« Beaucoup d’autres combats sont à mener mais si celui-ci échoue, plus aucunautre ne pourra être entrepris» (1).
Tout au long de son ouvrage, Aurélien Barrau place l’Humanité face à ses contradictions. L’une d’entre elles consiste à défendre les droits humains sans y inclure celui d’évoluer dans un environnement sain.
Aujourd’hui, près de 9 millions de décès prématurés dans le monde sont dus à la pollution atmosphérique. Cette dernière réduirait davantage l’espérance de vie que l’alcool, le tabac ou les violences (2), sans parler de la dégradation de la biodiversité et de son habitat, à l’origine de la crise sanitaire que nous traversons. Au vu de ce constat, des droits aussi fondamentaux que le droit à la vie et le droit à la santé ne peuvent qu’être bafoués.
Il est aujourd’hui évident que les atteintes à l’environnement – comprenant l’inaction face à la crise écologique – violent les droits humains, pourtant reconnus par toutes les nations. Mais rien n’y fait, la répression supranationale des infractions écologiques est au point mort.
Le vendredi 24 mai 2019, la protection effective d’un droit individuel à l’environnement se heurtait à un nouvel obstacle : l’échec des négociations pour l’adoption du Pacte mondial pour l’environnement. Alors que des juristes du monde entier appelaient les Nations Unies à voter en faveur d’un texte juridiquement contraignant, c’est une simple déclaration politique qui fut acceptée. Pourtant, ce projet se contentait de rendre obligatoire des principes depuis longtemps reconnus par les États. A première vue, la situation ne semble pas plus favorable au niveau régional ; seule la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples consacre le droit des peuples à un « environnement satisfaisant et global, propice à leur développement » (3).
La lettre de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales (ci-après CEDH) ne mentionne aucun droit à la protection de l’environnement ou à la préservation de la nature (4). Cet instrument a été amendé plusieurs fois, sans jamais que ne soit ajouté le droit à un environnement sain. Ce dernier vise pourtant le droit dont dispose chaque être humain de vivre et évoluer dans un milieu équilibré et respectueux de sa santé, de son bien-être et de sa dignité.
Bien que ce droit à l’environnement soit dépourvu de valeur conventionnelle, la Cour européenne des droits de l’homme joue un rôle dans sa promotion à l’égard des 47 membres du Conseil de l’Europe. Le contentieux européen de l’environnement représente en effet quelque 300 décisions, oscillant entre interprétation extensive de la CEDH et affirmation de la marge nationale d’appréciation.
UNE INTERPRETATION EXTENSIVE DES DROITS DE L’HOMME AU SERVICE DE L’ENVIRONNEMENT
Les jurisprudences de la Cour européenne et de la Cour interaméricaine des droits de l’Homme sont sources d’espoir. Une approche par l’entremise des droits humains existants, conventionnellement garantis, est adoptée afin d’inciter les États à protéger le droit à un environnement sain.
L’inexistence conventionnelle du droit individuel à l’environnement
A l’époque où la CEDH fut adoptée, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les préoccupations environnementales n’étaient pas au cœur des débats. Il est donc compréhensible que le texte européen, dans sa première version, ne mentionne pas de droit individuel à l’environnement. Même si de nombreux protocoles sont venus modifier le texte d’origine, aucun d’entre eux n’ajoute mention d’un droit à l’environnement. Dans sa Résolution 1614, l’Assemblée parlementaire avait pourtant recommandé au Comité des Ministres « d’élaborer un protocole additionnel à la Convention européenne des Droits de l’Homme, concernant la reconnaissance de droits procéduraux individuels, destinés à renforcer la protection de l’environnement, tels qu’ils sont définis dans la Convention d’Aarhus (5) » (6).
Faute de fondement conventionnel, les requêtes relatives à l’environnement furent systématiquement rejetées par la Commission européenne en raison de leur incompatibilité avec la compétence matérielle de la CEDH (7). Ce n’est qu’à partir des années 1980 que la Commission a progressé dans le traitement des requêtes environnementales (8).
Ces avancées sont à nuancer. Face à l’afflux des requêtes, le système de tri en amont de l’examen de la recevabilité devient de plus en plus exigeant. Lorsque les conditions ne sont pas remplies, la requête est définitivement rejetée. L’absence conventionnelle du droit à un environnement sain ne place évidemment pas les requêtes qui y sont relatives en priorité.
La consécration prétorienne d’un droit d’accès à la justice environnementale
Afin de favoriser l’accès à la justice environnementale, la Cour européenne passe notamment par une substantialisation des droits procéduraux. Dans sa logique de prééminence du droit, elle examine l’effectivité réelle et concrète des droits procéduraux tels que le droit à un procès équitable (9) et à un recours effectif (10). Le respect de ces derniers sont essentiels à la protection des droits substantiels garantis par la CEDH et donc à la protection par ricochet du droit à l’environnement.
Dans cette dynamique, la Cour a affirmé que l’impossibilité pour les requérants d’obtenir le contrôle d’une décision gouvernementale relative à leur droit environnemental constituait une violation de l’article 6 de la CEDH (11). Cependant, elle précise que le droit invoqué doit avoir un caractère civil et qu’un lien suffisamment direct avec le problème environnemental doit être établi. Or, en matière environnementale, établir ce lien est une difficulté de taille. Elle le reconnaîtra cependant dans des affaires où la célérité, le coût ou encore la disponibilité des procédures judiciaires posent difficulté (12).
L’article 34 de la CEDH précise que la requête peut émaner de « toute personne physique, toute organisation non gouvernementale ou tout groupe de particuliers qui se prétend victime (…) ». En matière environnementale, la Cour étend cet accès aux associations environnementales qui jouent, selon elle, le rôle de « chien de garde », essentiel pour une société démocratique (13). Cependant, la Cour limite cet accès aux associations qui défendent un intérêt public général (14).
L’accès à la justice environnementale se lit également à travers la liberté d’expression de l’article 10§1 de la CEDH. La Cour a affirmé « un net intérêt général à autoriser de tels groupes et les particuliers en dehors du courant dominant à contribuer au débat public par la diffusion d’informations et d’opinions sur des sujets d’intérêt général comme la santé et l’environnement ». Elle a soulevé la nécessité de permettre aux groupes militants de “mener leurs activités de manière effective” (15).
Le droit d’accès à l’information est la clé de voûte de la protection environnementale européenne. Il peut découler de l’article 2 et de l’article 8de la CEDH (16) dont la Cour dégage deux obligations positives incombant aux États : garantir le droit d’accès à l’information, d’une part, et informer le public de toute situation pouvant mettre la vie en danger, y compris dans le cas de catastrophes naturelles, d’autre part. L’accès effectif du public aux conclusions des rapports d’experts et aux informations essentielles à l’évaluation des risques auxquels il s’expose est indispensable (17).
La Cour s’est notamment reposée sur la Convention d’Aarhus (18) ayant entériné le droit d’accès à l’information et a rappelé que la Résolution 1430 (2005) de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (19) renforce le devoir des États d’optimiser l’accès et la diffusion des informations dans le domaine des risques industriels.
Cependant, le respect de l’obligation d’informer n’exempte pas l’État de ses responsabilités. Ce dernier doit en effet prendre toutes les mesures possibles afin de prévenir les risques dont il a connaissance (20).
La protection indirecte du droit à un environnement sain
Au-delà d’un accès facilité à la justice environnementale, la Cour européenne, afin de poursuivre son objet – la protection effective des droits en concordance avec les besoins des sociétés actuelles – interprète certains droits conventionnels comme protégeant le droit à l’environnement.
Source de tous les autres droits fondamentaux, le droit à la vie est largement mis à mal par la dégradation de notre planète. Universellement reconnu, il est notamment consacré par l’article 2 de la CEDH. Ce dernier impose à l’État de prendre toutes les mesures nécessaires à la protection de la vie des personnes relevant de leur juridiction, même si les dommages émanent d’acteurs privés sans lien direct avec l’État. La Cour a rappelé plusieurs fois que l’article 2 s’applique en cas d’activités à caractère industriel dangereuses, qu’elles soient publiques ou privées. Elle y inclut l’exploitation de sites de stockage de déchets (21), l’incidence des émissions nocives émanant d’une usine de fertilisants (22) ou les essais nucléaires (23).
Les catastrophes naturelles peuvent également conduire à une violation de l’article 2, notamment lorsque les autorités n’ont pas adopté des mesures réglementaires et informé le public de manière adéquate (24) ou lorsqu’aucune enquête judiciaire sur la catastrophe n’est menée (25).
L’article 8 de la CEDH est le plus significatif en la matière. C’est en effet par le prisme de la vie privée et familiale que la Cour a initialement reconnu le droit à un environnement sain. Cet article comprend le droit, pour une personne, d’être protégée contre des atteintes à son environnement, comme les pollutions sonores (26) ou les pollutions olfactives (27). Ces pollutions ont été interprétées comme affectant le bien-être de la personne et mettant en péril le respect de son domicile et de sa vie privée, même en l’absence de risques graves sur la santé, voire en l’absence totale de risque (28). L’article 8 est également mobilisé pour protéger le droit à la santé (29).
Le droit à l’environnement sain passe parfois par le droit à l’alimentation ou encore par le droit à l’eau. Ces derniers ne sont pas inscrits dans la CEDH mais transparaissent dans certains arrêts de la Cour, au titre de l’article 3 de la CEDH (30). L’absence, l’insuffisance ou l’inadaptation de l’alimentation et de l’hydratation pouvant être assimilées à une torture, un traitement cruel, inhumain ou dégradant.
La protection du droit à l’environnement connaît donc une forte progression grâce à la pratique de la Cour. Cependant, ne pouvant outrepasser le consentement des États membres, elle doit veiller à leur laisser une marge nationale d’appréciation plus ou moins large.
LA RÉTICENCE DES ÉTATS MEMBRES ENVERS UNE PROTECTION ENVIRONNEMENTALE EUROPÉENNE
En janvier 2020, se tiendront les audiences de l’Affaire du Siècle devant le Tribunal administratif de Paris. Ce recours, entamé en 2018 par Notre Affaire à Tous et trois autres organisations, poursuit l’État français pour inaction climatique (31). Ce type d’action va inévitablement se multiplier devant les juridictions nationales. Le dessin d’une protection européenne standard du droit à l’environnement sain accroîtra la fréquence à laquelle ces requêtes parviendront à la Cour européenne. Celle-ci devra alors fixer l’ampleur de la marge d’appréciation qu’elle laisse aux États en matière environnementale.
De manière générale, l’État, dans la mise en œuvre de son droit national, bénéficie d’une marge nationale d’appréciation. Un droit de la CEDH peut faire l’objet de limitations sur la base du droit national. Cependant, cette marge est très variable et son ampleur dépend de plusieurs facteurs : la nature du droit en cause, l’importance du but poursuivi par la mesure restrictive, la précision des termes de l’article en jeu ou encore l’existence d’un standard européen.
En matière environnementale, au vu des faits susmentionnés, l’ampleur de la marge nationale d’appréciation semble difficile à fixer en ce que les différents critères n’entrent pas en convergence pour aiguiller la Cour.
La Cour fait alors face à ses contradictions. Par exemple, en 2009, elle mettait en avant le principe de précaution qui « a vocation à s’appliquer en vue d’assurer un niveau de protection élevée de la santé, de la sécurité des consommateurs et de l’environnement, dans l’ensemble des activités de la Communauté » (32). Pourtant, dans un arrêt de 2006, la Cour écartait ce principe en faveur de la marge d’appréciation étendue des États en matière d’environnement (33). Aussi, comme précisé précédemment, l’article 8 semble imposer à l’État de protéger un individu contre les atteintes portées à son environnement. Toutefois, la Cour précise que ce droit doit être balancé avec les intérêts de l’État, notamment économiques (34). Lorsque ces derniers sont en jeu, l’État jouit d’une large marge d’appréciation quant au choix des mesures à prendre.
En refusant de faire peser un fardeau excessif sur les États, la Cour n’hésite pas à modérer les obligations imposées aux États en fonction de l’espèce.
Évidemment, dans certains cas, les États utilisent leur marge nationale d’appréciation pour protéger davantage les individus contre les atteintes à leur environnement. Cependant, l’absence de consensus européen sur cette question rend la tâche délicate en ce que la Cour ne peut pas consacrer un droit à l’environnement effectif et systématique dans sa pratique alors même qu’il n’est ni conventionnel, ni consensuel. Les préoccupations climatiques s’accroissent en Europe, la Cour semble tiraillée entre attendre que les États introduisent un droit à l’environnement sain dans leurs ordres internes, et affirmer la consécration non consensuelle mais effective de ce droit.
En 2009, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe s’était positionnée en faveur de l’adoption d’un protocole additionnel relatif au droit à un environnement sain (35). Malheureusement, le Comité des ministres (36) n’a pas adhéré à cette initiative qui n’a donc jamais vu le jour. Au regard des lacunes de la protection européenne du droit à un environnement sain, l’adoption d’un nouveau texte contraignant est pourtant cruciale.
Ce combat doit bien sûr s’inscrire dans une démarche globale de protection du vivant, dont l’être humain ne représente que 0,01%. Au-delà de l’aspect répressif et de la reconnaissance des victimes, une meilleure protection européenne du droit à un environnement sain jouerait un rôle préventif utile à tout l’écosystème.
Notes
A. Barrau, Le plus grand défi de l’histoire de l’humanité, face à la catastrophe écologique et sociale, Michel Lafon, 2è ed., 2020
J. Lelieveld, A. Pozzer, U. Pöschl, M. Fnais, A. Haines, T. Münzel, “Loss of life expectancy from air pollution compared to other risk factors: a worldwide perspective”, Cardiovascular Research, Volume 116, Issue 11, 1 septembre 2020, Pages 1910–1917, [En ligne], https://doi.org/10.1093/cvr/cvaa025 (consulté le 3 novembre 2020)
Charte africaine des droits de l’homme et des peuples adoptée par la dix-huitième Conférence des Chefs d’état et de Gouvernement, Nairobi, Kenya, Juin 1981, article 24.
Cour européenne des droits de l’homme, Kyrtatos c. Grèce, 22 mai 2003, paragraphe 52.
Convention sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement, 25 juin 1998.
Assemblée parlementaire, Résolution 1614, Environnement et droits de l’homme, paragraphe 10, 27 juin 2003.
Commission européenne, X et Y c. République fédérale d’Allemagne, décision d’irrecevabilité du 13 mai 1976.
Commission européenne, Arrondelle c. Royaume-uni, Requête n°7889/77, 15 juillet 1980 ; Cour européenne des droits de l’homme, Fredin c. Suède, 18 février 1991, paragraphe 41.
Convention de sauvegarde des droits de l’homme et libertés fondamentales, 4 novembre 1950, Article 6.
Convention de sauvegarde des droits de l’homme et libertés fondamentales, 4 novembre 1950, Article 13.
Cour européenne des droits de l’homme, Zander c. Suède, 25 novembre 1993 ; Cour européenne des droits de l’homme, Balmer-Schafroth et autres contre Suisse, 26 juillet 1997
Cour européenne des droits de l’homme, Taskin c. Turquie, 24 janvier 2004 ; Steel et Morris c. Royaume Uni, 15 février 2005, paragraphe 89 ; Howald Moor et autres c. Suisse, 11 mars 2014.
Cour européenne des droits de l’homme, Vides Aizsardzibas Klubs c. Lettonie, 27 mai 2004, paragraphe 40.
Cour européenne des droits de l’homme, Gorraiz Lizarraga et autres c. Espagne, 27 avril 2004, paragraphe 46.
Cour européenne des droits de l’homme, Steel et Morris c. Royaume-Uni, 15 février 2005, paragraphe 89 ; Cour européenne des droits de l’homme, Verein gegen Tierfabriken c. Suisse, Grande Chambre, 30 juin 2009.
Pour l’article 2 : Cour européenne des droits de l’homme, Oneryildiz c. Turquie, 30 novembre 2004, paragraphe 67 et paragraphe 84-87 ; Convention européenne des droits de l’homme, Boudaïeva et autres c. Russie, 20 mars 2008, paragraphe 131 ; Pour l’article 8 : Cour européenne des droits de l’homme, Guerra et autres contre Italie, 19 février 1998.
Cour européenne des droits de l’homme, Tătar c. Roumanie, 27 janvier 2009, paragraphe 93 à 119.
Voir note de bas de page n°5.
Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, Résolution 1430 (2005), 18 mars 2005.
Convention européenne des droits de l’homme, Boudaïeva et autres c. Russie, 20 mars 2008, paragraphe 131.
Cour européenne des droits de l’homme, Oneryildiz c. Turquie, 30 novembre 2004.
Cour européenne des droits de l’homme, Guerra et autres contre Italie, 19 février 1998, paragraphes 60 et 62.
Cour européenne des droits de l’homme, L.C.B c. Royaume-Uni, 9 juin 1998, paragraphe 36.
Cour européenne des droits de l’homme, Bouaïeva et autres c. Russie, 20 mars 2008.
Cour européenne des droits de l’homme, Özel et autres c. Turquie, 17 novembre 2015
Cour européenne des droits de l’homme, Powell et Rayner c. Royaume-Uni, 21 février 1990.
Cour européenne des droits de l’homme, Lopez Ostra c. Espagne, 9 décembre 1994.
Cour européenne des droits de l’homme, Brânduşe c. Roumanie, 7 avril 2009.
Cour européenne des droits de l’homme, Fadeïva contre Russie, 9 juin 2005.
Cour européenne des droits de l’homme, Florea c. Roumanie, 14 septembre 2010 ; Cour européenne des droits de l’homme, Kadikis c. Lettonie, 4 mai 2006.
Cour européenne des droits de l’homme, Tătar c. Roumanie, 27 janvier 2009, paragraphe 120.
Cour européenne des droits de l’homme, Luginbuhl c. Suisse, 17 janvier 2006.
Cour européenne des droits de l’homme, Hatton et autres contre Royaume-Uni, 8 juillet 2003.
Assemblée parlementaire, Recommandation 1885 (2009), Élaboration d’un protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme relatif au droit à un environnement sain, 30 septembre 2009, [En ligne], http://assembly.coe.int/nw/xml/XRef/Xref-XML2HTML-FR.asp?fileid=17777&lang=FR (consulté le 6 novembre 2020).
Le groupe local de Lyon lance son premier projet baptisé “OEIL – l’observatoire écosystémique des inégalités lyonnaises” !
Depuis sa création en 2015, Notre Affaire à Tous s’est intéressée aux victimes françaises du dérèglement climatique. Loin de l’idée reçue affirmant que le dérèglement climatique serait une menace globale et uniforme, la notion d’inégalité environnementale et climatique est au cœur de la lutte contre le changement climatique.
Au sein de la Métropole de Lyon, les territoires les plus défavorisés sont aussi les plus exposés à des nuisances environnementales. Inégalités socio-économiques et environnementales se juxtaposent. Différents facteurs tels que l’âge, le sexe, et le statut social des individus, qui comprend leurs ressources économiques, culturelles et sociales, amplifient la vulnérabilité des individus face au changement climatique.
Poursuivant le travail d’enquête sur les vécus climatiques dans cinq grandes villes françaises réalisé en 2019, Notre Affaire à Tous – Lyon lance une étude sociologique, en partenariat avec le Master Éthique, écologie et développement durable de l’Université Jean Moulin de Lyon, première étape du projet OEIL. Les étudiant-e-s du Master, guidés par les bénévoles du groupe local de Lyon, rencontrent les habitant-e-s du Grand Lyon, afin de répertorier leurs impressions, sur les thèmes de la santé, l’environnement, l’alimentation ou encore le réchauffement climatique.
Le résultat de cette étude servira de base pour mener une réflexion approfondie sur l’amélioration des politiques publiques en termes d’urbanisme, pollution, santé publique, environnement…
Doublé d’une étude écotoxicologique sur l’exposome – l’ensemble des pollutions auxquelles l’humain est exposé – Notre Affaire à Tous choisit de croiser des données sociologiques et scientifiques afin de comprendre précisément les impacts de la pollution sur les habitant-e-s de la Métropole de Lyon. L’association tient à s’unir à la sphère universitaire ainsi qu’à la recherche pour produire des études approfondies et ainsi développer du contenu et de la réflexion sur ce sujet encore trop peu exploité des inégalités socio-environnementales.
En documentant et sensibilisant aux impacts du changement climatique, Notre Affaire à Tous interpelle les pouvoirs publics afin qu’ils prennent réellement en compte les risques climatiques pour la population. L’urgence climatique est déjà ressentie par les citoyen-ne-s et nous mettons nos forces pour que les politiques renforcent leur capacité d’action afin d’endiguer la crise climatique.
Nous sommes convaincu-e-s que le sujet des inégalités socio-environnementales est indispensable pour définir des mesures environnementales fortes adaptées à la réalité des citoyen-ne-s et propres à chaque territoire.
Face à la crise climatique, assistons-nous aux prémices d’une légitimation par les tribunaux de certains actes de désobéissance civile non violents ? Le tribunal de grande instance de Lyon semble s’engager dans cette voie, puisqu’il a prononcé la relaxe de deux militants prévenus du chef de vol en réunion à la suite du décrochage d’un portrait du président de la République dans la mairie du deuxième arrondissement de Lyon. En réaction aux débats suscités par ce jugement, ce commentaire interroge la possibilité de voir l’état de nécessité prospérer dans le contexte d’urgence environnementale.
Introduction
À la suite du décrochage du portrait du président de la République par des militants écologistes, largement relayé par les réseaux sociaux, la mairie du deuxième arrondissement de Lyon déposait plainte pour vol en réunion le 21 février dernier. Le portrait enlevé en présence de la presse n’a pas été restitué et serait conservé dans un lieu tenu secret afin d’être brandi lors de futures manifestations en faveur de la protection du climat.
Les prévenus soutenaient qu’au regard des connaissances scientifiques actuelles, les accords internationaux et les voies légales empruntées demeurent insuffisants puisqu’ils ne permettent pas d’instaurer une politique efficace de lutte contre le changement climatique. En conséquence, des actions non violentes de désobéissance civile seraient selon eux nécessaires. Devant la catastrophe climatique annoncée, leur avocat plaidait donc la relaxe au nom de « l’état de nécessité ». Cette interprétation a été rejetée en bloc par le ministère public qui requérait leur condamnation à une amende de cinq cents euros.
Au terme d’une argumentation singulière, le juge a prononcé la relaxe des prévenus. Certains titres de presse se sont alors fait l’écho de la reconnaissance d’un état de nécessité (1), mais cette affirmation doit être nuancée. La motivation du jugement s’inscrit certes dans l’esprit de cette notion – et les critères exigés apparaissent en filigrane – mais le juge n’y fait pas explicitement référence, sauf lorsqu’il expose la défense des prévenus.
L’état de nécessité est admis pour la première fois comme cause exonératoire de responsabilité en 1898, par le « bon juge » du tribunal de Château Thierry (2), dans une affaire impliquant une mère de famille qui avait volé du pain « sous l’irrésistible impulsion de la faim ». Il faudra attendre la réforme de 1994 pour que le législateur introduise cette notion dans le Code pénal. L’article 122-7 prévoit désormais que « n’est pas pénalement responsable la personne qui, face à un danger actuel ou imminent qui menace elle-même, autrui ou un bien, accomplit un acte nécessaire à la sauvegarde de la personne ou du bien, sauf s’il y a disproportion entre les moyens employés et la gravité de la menace. »
En l’espèce, pour retenir l’état de nécessité, le juge devait déterminer, d’une part, si les conséquences du changement climatique constituent pour les prévenus un danger actuel ou imminent (I/) et, d’autre part, si le décrochage de portraits du président de la République constitue une réponse nécessaire et non disproportionnée (II/).
I/ – Un danger actuel ou imminent à identifier : le changement climatique ou l’insuffisance des politiques publiques ?
La reconnaissance de l’état de nécessité suppose en premier lieu qu’un danger actuel ou imminent menace la personne qui accomplit un acte nécessaire à sa propre sauvegarde, à celle d’autrui ou celle d’un bien.
Le juge n’hésite pas à qualifier le dérèglement climatique de danger grave, actuel et imminent (3), et la communauté scientifique s’accorde sur ce fait. En particulier, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) a publié en décembre 2018 un rapport spécial (4) relatif aux effets d’un réchauffement climatique de 1,5 °C, dont les conclusions sont sans appel : les dangers encourus au-delà d’un tel réchauffement planétaire moyen sont non seulement « imminents », puisque cette situation surviendrait entre 2030 et 2050, mais surtout excessivement graves, tant pour les personnes que pour leurs biens. De surcroît, les effets du dérèglement sont déjà sérieusement perceptibles, y compris en France où canicules, sécheresses et incendies se multiplient en période estivale alors que le réchauffement moyen n’est que d’un degré.
Le juge relève que ce dérèglement « affecte gravement l’avenir de l’humanité » mais également « l’avenir de la faune et de la flore ». Cette motivation s’inscrit pleinement dans la thèse, soutenue par la doctrine (5) et de nombreux recours (6), selon laquelle les États sont tenus à une obligation de lutter contre le changement climatique en raison d’atteintes sur l’environnement, mais aussi des atteintes aux droits fondamentaux des personnes, desquels se déduirait le droit de vivre dans un système climatique soutenable. Le droit à la vie est même convoqué à demi-mot par le magistrat lorsqu’il affirme que l’État ne respecte pas ses objectifs « pouvant être perçus comme minimaux dans un domaine vital ».
Le changement climatique représenterait donc selon le juge un danger grave, qui est actuel ou imminent. Mais dans le contexte de la présente affaire, admettre l’état de nécessité suppose en toute rigueur que ce soit la carence de l’État en matière climatique qui constitue un danger actuel ou imminent, ou au moins qu’elle y participe, dans la mesure où c’est au regard de cette carence que sera analysée l’adéquation des actes des prévenus.
Le juge s’attache alors à caractériser la carence de l’État en relevant trois manquements corroborés par des données institutionnelles (Eurostat, SNBC, Commissariat général au développement durable). D’abord le dépassement de la trajectoire de réduction des émissions de gaz à effet de serre fixée par la Stratégie nationale bas-carbone (SNBC) ; ensuite les manquements en matière de déploiement des énergies renouvelables ; et enfin l’échec de l’amélioration de la performance énergétique. Les personnes interrogées en qualité de témoin lors de l’audience avaient souligné cette carence : Wolfgang Cramer, scientifique en écologie globale, avait affirmé la nécessité d’un changement rapide de notre modèle de société pour limiter la hausse des températures. Quant à Cécile Duflot, militante écologiste, directrice d’Oxfam et ancienne ministre du Logement, elle a rappelé que des recours ont été engagés pour mettre fin à l’inaction de l’État, à savoir le recours en responsabilité dit « l’affaire du siècle » (7) porté devant le tribunal administratif de Paris, ainsi que le recours en excès de pouvoir engagé par la commune de Grande-Synthe devant le Conseil d’État.
La difficulté tient à l’exigence d’une proximité certaine, aussi bien temporelle que spatiale, entre le danger et la personne ou le bien menacé. La Cour de cassation exige en effet que « le danger [soit] actuel, c’est-à-dire que les prévenus [soient] au contact même de l’événement menaçant »(8).
Mais à la lecture du jugement commenté, il ne ressort nullement des faits que les prévenus seraient physiquement plus susceptibles d’être affectés par le changement climatique que le reste de la population. Rappelons que le tribunal de l’Union européenne s’est appuyé sur cet argument pour déclarer irrecevable le recours People’s Climate Case (9), sur le fondement d’une jurisprudence classique (10), même s’il a par ailleurs admis que chaque individu risque d’être affecté d’une manière ou d’une autre par le réchauffement de l’atmosphère (11). À n’en pas douter, il sera décisif que les individus parviennent à démontrer que l’évolution du climat porte à leur personne une atteinte qui leur est spécifique.
Relevons en revanche que le juge témoigne d’une certaine compréhension de la crainte des prévenus et semble conciliant lorsqu’il évoque des « citoyens profondément investis dans une cause particulière servant l’intérêt général ». Certains pourraient y voir l’amorce d’une reconnaissance de l’état d’éco-anxiété, qui commence à faire l’objet d’études de la part des spécialistes en psychologie (12).
Il pourrait enfin être soutenu que le caractère actuel ou imminent du danger doit s’évaluer à l’aune de la durée nécessaire pour accomplir un acte de sauvegarde ; auquel cas, force est de rappeler que le GIEC estime qu’il faut une action constante pour réduire les gaz à effet de serre d’ici 2050 de 93 % par rapport à 2010, afin d’atteindre la neutralité carbone à l’échelle globale. Il s’agit donc pour les militants d’exercer une pression constante destinée à s’assurer de l’efficacité des politiques publiques.
En définitive, au regard des décisions antérieures, le caractère global et diffus du changement climatique pourrait constituer un obstacle à sa caractérisation comme danger actuel ou imminent au sens de l’article 122-7 du Code pénal. A fortiori, il en serait de même pour la carence de l’État.
II/ – Le décrochage de portraits du président de la République, une réponse nécessaire et proportionnée à la carence étatique ?
À supposer que le dérèglement climatique ainsi que la carence de l’État caractérisent un danger grave et imminent, il convient de s’interroger sur les caractères nécessaire, adapté et proportionné de la réponse apportée par les militants, à savoir le décrochage de portraits du président de la République. Selon la Cour de cassation, pour retenir l’état de nécessité les juges du fond doivent démontrer que l’infraction commise par le prévenu pouvait seule permettre d’éviter l’événement qu’il redoutait (13).
En somme, la question est de savoir si le vol de ces portraits est la seule action que les militants pouvaient entreprendre pour obtenir de la part du président de la République une inflexion des politiques climatiques, à supposer qu’une politique climatique nationale exemplaire permette d’éviter ou même d’atténuer le danger redouté.
Or le juge suggère lui-même l’impuissance relative du président de la République, à raison puisque le changement climatique est un problème d’ampleur mondiale qui suppose une coopération diplomatique dont le succès échappe à la seule volonté d’un État, quelles que soient ses ambitions (14).
La politique climatique française est certes insuffisante, mais les émissions directes du territoire français ne représentent que 1 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre (15). Ce constat obère la reconnaissance du caractère adapté puisque, même à supposer que la France cesse toute émission de gaz à effet de serre, les conséquences du changement climatique pour les citoyens français resteraient tout aussi dramatiques. De ce point de vue, il semble impossible que la solution du juge prospère, a fortiori si les critères de l’état de nécessité doivent être interprétés strictement.
Cela étant, la responsabilité de la France dépasse la seule question de ses propres émissions. Les militants en attendent également une action diplomatique forte et cohérente afin d’inciter des pays fortement émetteurs comme les États-Unis à combattre le réchauffement et l’insuffisance des politiques nationales en matière climatique rend la France peu crédible pour mener ces négociations.
Pour justifier la nécessité du décrochage de portraits, le juge estime que l’acte des prévenus « doit être interprété comme le substitut nécessaire d’un dialogue impraticable entre le président de la République et le peuple ». La motivation du jugement se détache ainsi des critères de l’état de nécessité pour glisser vers une justification fondée sur un « devoir de vigilance critique » (16). Cette notion convoquée par le juge fait écho au concept de démocratie environnementale participative, ainsi qu’à l’obligation de vigilance environnementale à laquelle chacun est tenue (17). Le jugement s’inscrit ainsi dans l’argumentation des prévenus qui avançaient que les moyens légaux dont ils disposent ne suffisent plus (18) et que le contexte actuel de l’urgence climatique justifie l’exercice d’une désobéissance civile non violente.
Ce devoir de vigilance critique paraît séduisant, mais les marches et les grèves en faveur du climat ne suffisent-elles pas à l’exercer pleinement ? Est-il nécessaire de les parer de portraits volés du président de la République ? Ce devoir doit-il légitimer l’invention par les citoyens « d’autres modes de participation » illégaux, au motif que l’exercice du droit de vote serait insuffisant dans le cadre d’un État démocratique ?
Dans les affaires de fauchage d’organismes génétiquement modifiés (OGM), la Cour de cassation avait confirmé en 2002 l’arrêt de la cour d’appel qui avait écarté l’état de nécessité, considérant notamment que « les prévenus disposaient de nombreux moyens d’expression dans une société démocratique autres que la destruction […] de milliers de plants de riz pour faire entendre leur voix auprès des pouvoirs publics » (19). Le contexte était néanmoins différent puisqu’il était alors fait application du principe de précaution, les risques des OGM sur la santé humaine n’étant pas établis, tandis que les conséquences délétères du changement climatique sont avérées. En outre, contrairement à la destruction de champs d’expérimentation d’OGM, le vol commis par les décrocheurs n’a entraîné qu’un faible trouble à l’ordre public : selon le juge, la réunion des militants, « même non déclarée préalablement en préfecture », « revêt[ait] un caractère manifestement pacifique de nature à constituer un trouble à l’ordre public très modéré ». Ce constat est confirmé par le coût négligeable du bien volé et l’absence de constitution de partie civile par la mairie de Lyon.
Les actions menées par les militants ont le mérite de susciter le débat sur le rôle des États dans la lutte contre le changement climatique ; elles pourraient renforcer la pression sur le gouvernement et l’inciter à des réformes ambitieuses pour adapter sa politique aux dangers du dérèglement climatique. Mais considérer que le vol de portraits du président de la République permettrait de résoudre les difficultés de mise en œuvre de cette politique revient à adopter une approche assez extensive de l’état de nécessité. Le juge disposait d’alternatives plus pragmatiques : il aurait pu par exemple prononcer une dispense de peine, les critères requis (20) pouvant raisonnablement être considérés comme vérifiés. En effet, le reclassement des prévenus est acquis, le dommage causé est réparé (21) et le trouble résultant de l’infraction a cessé.
Les douze futurs jugements de militants ainsi que le prochain arrêt de la cour d’appel de Lyon éclaireront sans doute la question de savoir si, au regard du principe d’application stricte de la loi pénale, les conditions de l’état de nécessité sont bel et bien réunies.
Notes
O. P.-V., 17 septembre 2019, « Décrocheurs du portrait de Macron : « l’état de nécessité », une notion au cœur de la relaxe », L’Express.
T. corr. de Château-Thierry, 4 mai 1898 ; le juge prononça la relaxe, estimant « regrettable que, dans une société bien organisée, un des membres de cette société […] puisse manquer de pain autrement que par sa faute ».
Jugement commenté, p. 7.
Cette synthèse du rapport, signée et acceptée par les gouvernements du monde entier, intègre les connaissances scientifiques les plus avancées et les plus sûres en la matière : https://www.ipcc.ch/sr15/chapter/summary-for-policy-makers/.
Christel Cournil, Antoine Le Dylio, Paul Mougeolle, « « L’affaire du siècle » : entre continuité et innovations juridiques », AJDA, 2019, p. 1864 ; Expert Group on Global Climate Obligations, Oslo Principles on Global Climate Obligations, Eleven International Publishing, 2015.
V. le recours contre l’État dans « l’affaire du siècle » porté par les organisations non gouvernementales Notre Affaire à Tous, la Fondation pour la Nature et l’Homme, Greenpeace France et Oxfam France : https://laffairedusiecle.net/wp-content/uploads/2019/05/Argumentaire-du-Mémoire-complémentaire.pdf
Id.
Cass., Crim., 7 février 2007, no 06-80.108.
Recours formé par dix de plaignants contre le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne concernant l’insuffisance des législations en matière climatique.
CJCE, 15 juillet 1963, Plaumann & Co. contre Commission de la Communauté économique européenne, Aff. 25-62.
TUE, Ordonnance du Tribunal (deuxième chambre), 8 mai 2019, Armando Carvalho e.a. contre Parlement européen et Conseil de l’Union européenne, T-330/18, cons. 49 et suiv. “49. The applicants have not established that the contested provisions of the legislative package infringed their fundamental rights and distinguished them individually from all other natural or legal persons concerned by those provisions just as in the case of the addressee. 50. It is true that every individual is likely to be affected one way or another by climate change, that issue being recognised by the European Union and the Member States who have, as a result, committed to reducing emissions. However, the fact that the effects of climate change may be different for one person than they are for another does not mean that, for that reason, there exists standing to bring an action against a measure of general application. As can be seen from the case-law cited in paragraph 48 above, a different approach would have the result of rendering the requirements of the fourth paragraph of Article 263 TFEU meaningless and of creating locus standi for all without the criterion of individual concern within the meaning of the case-law resulting from the judgment of 15 July 1963, Plaumann v Commission (25/62, EU:C:1963:17), being fulfilled.
Coralie Lemke, 15 mars 2019, « L’éco-anxiété ou le trouble mental causé par la peur du changement climatique », Sciences et Avenir.
Crim. 25 juin 1958 : D. 1958. 693, note M.R.M.P. ; JCP 1959. II. 10941, note Larguier ; RSC 1959. 111, obs. Légal.
attendu que la conservation de ce portrait, qui achève de caractériser sa soustraction volontaire, n’était certes pas une suite nécessaire au marquage d’une forme d’appel adressé au président de la République, face au danger grave, actuel et imminent à prendre des mesures financières et réglementaires adaptées ou à défaut rendre compte de son impuissance […] », p. 7.
Haut conseil pour le climat, « Agir en cohérence avec les ambitions », 1er rapport annuel, 2019, en ligne [https://www.hautconseilclimat.fr/rapport-2019/] : les émissions de la France s’élèvent à 460 Mt CO2e et son empreinte carbone à 731 Mt CO2e.
Jugement commenté, p. 7.
CC, Décision no 2011-116 QPC, 8 avril 2011, M. Michel Z. et autre [Troubles du voisinage et environnement].
Relevons par ailleurs que les actes liés à la conduite des relations extérieures de la France sont des actes de gouvernement : ils ne peuvent donc pas être déférés devant un juge national, ce qui renforce l’argument selon lequel les voies légales empruntées demeurent insuffisantes.
CA Montpellier, 3e ch., 20 décembre 2001, no 01/00715 ; confirmé par Cass. Crim., 19 novembre 2002, no 02-80.788.
V. article 132-59 du Code pénal
Compte tenu de la faible valeur du bien et de l’absence de constitution de la partie civile ; voir, en ce sens un jugement estimant le dommage est réparé en raison de la modification de leurs demandes par les parties civiles (réduction à 1 franc de dommages et intérêts) : Trib. corr. Paris, 21 mai 1996 : Dr. pénal 1996. 240, obs. Véron.
Article écrit par Paul Mougeolle, membre de Notre Affaire à Tous, juriste doctorant, Université Paris Nanterre
Article publié dans le cadre du Séminaire EnCommuns qui s’est tenu le 17 mars 2019 sur le thème « La loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères de 2017, une nouvelle obligation pour les multinationales d’ entreprendre en commun ? ».
1. Introduction
Comparée aux premières lois relatives à l’abolition de l’esclavage à la fin du XVIIIème siècle ou celles sur les droits sociaux des travailleurs du XIXème siècle (1), la loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre représente un grand bond en avant en matière de responsabilité des multinationales. En effet, cette loi oblige les grandes entreprises à établir publiquement une véritable politique de vigilance afin de prévenir les atteintes graves aux droits de l’homme et à l’environnement, et ce tant en France qu’à l’étranger. L’objectif de la loi est donc à la fois simple et ambitieux : il s’agit de rendre « la mondialisation plus humaine » (2) en essayant notamment de mettre fin à l’esclavage moderne (3) et d’éviter de futures catastrophes industrielles telles que l’on a connues avec l’effondrement du Rana Plaza en 2013 au Bangladesh (4), de l’explosion de l’usine Bophal en Inde dans les années 1980 ou celle d’AZF en France et les multiples marées noires comme par exemple celle résultant du naufrage de l’Erika (5).
Afin de parvenir à remplir cet objectif, un dispositif légal introduisant un changement radical du statut quo était nécessaire. Une proposition de loi sur le devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre a donc étéproposé par des députés de la majorité. Celle-ci a suscité nombreux débats et navettes parlementaires entre 2013 et 2017. A la toute fin du mandat de F. Hollande, près de trois ans et demi après le dépôt initial, la loi fût finalement promulguée le 27 mars 2017. Cela a marqué la fin d’un parcours semé d’embûches, car son entrée en vigueur était compromise jusqu’au bout. En effet, en raison du blocage du Sénat, du désaccord de la commission mixte paritaire et du manque de soutien du gouvernement, la proposition de loi n’aurait pu jamais voir le jour. Suite au compromis trouvé entre les députés de la majorité et le gouvernement après le départ de l’ancien ministre de l’économie Mr. Macron, le texte a pu être imposé malgré tout à l’Assemblée Nationale (A.N.) en lecture définitive. Cependant, l’étape du passage du texte devant le Conseil constitutionnel en raison de la saisine des 60 députés et 60 sénateurs de l’opposition était extrêmement redoutée à cause de la jurisprudence constitutionnelle particulièrement protectrice du principe de la liberté d’entreprendre des entreprises. Le Conseil avait même censuré une disposition de la loi Sapin 2 très similaire au devoir de vigilance à peine quelques mois plus tôt, et ce sur le fondement de ce principe (cf. il s’agissait d’une obligation faite aux grandes entreprises de divulguer publiquement leurs bénéfices non taxés dans des paradis fiscaux (6). La pression de la société civile a vraisemblablement pesé car le Conseil constitutionnel s’est manifestement détaché de sa jurisprudence antérieure (7). Juliette Renaud, seconde intervenante lors du séminaire, ajouta qu’il s’agissait d’une réelle surprise : les communiqués de presse préparés en avance étaient très pessimistes, et à cause de la censure de la disposition relative à l’amende civile de 10 à 30 millions d’euros (8), qui s’avère à première vue importante, les médias avaient titré que la loi a perdu son caractère contraignant (v. article des Echos, « Devoir de vigilance : le Conseil constitutionnel vide la loi de sa substance » (9). Cette censure partielle n’entame pourtant en rien la structure de la loi (cf. communiqué de presse collectif des associations et syndicats mobilisés sur la loi –: « Devoir de vigilance : le Conseil constitutionnel valide l’essentiel de la loi, un pas historique pour la protection des droits humains et de l’environnement, un signal fort pour l’Europe et l’international » (10).
En tout état de cause, l’entrée en vigueur de cette loi avait fait grand bruit à l’international dans le domaine du businness & human rights (11). Celle-ci a même inspiré la première version officielle du Traité de l’ONU sur les entreprises transnationales et les droits de l’homme (12) et les experts juridiques évoquant assez unanimement une loi pionnière (13). Pour la première fois en France et dans le monde une règle de droit établit un régime de responsabilité des sociétés mères sur leurs filiales et leurs chaînes de sous-traitance. Le régime antérieur faisait prévaloir l’irresponsabilité en raison de l’indépendance de la personne morale (« voile » de l’autonomie de la personne morale, « corporate veil » en anglais) : la filiale est légalement autonome de la société mère, malgré la relation de contrôle. Juliette Renaud ajouta qu’il est possible et largement répandu dans le monde des affaires de faire remonter les profits vers la société mère, mais lorsqu’un dommage survient, les entreprises plaident la déconnexion légale entre la mère et les filiales ou sous- traitants ; l’objectif de la loi était donc de réconcilier les réalités économiques et juridiques.
2. Dispositions principales de la loi sur le devoir de vigilance
Les rédacteurs de la loi n’ont pas opté pour une formulation très claire en ce qui concerne son champ d’application personnel. Quoi qu’il en soit, la loi concerne les sociétés mères et entreprises donneuses d’ordre constituées en sociétés anonymes (14) ainsi que, par l’effet de renvois du Code de commerce, les sociétés commanditées par actions (SCA) et les sociétés européennes (SE). Il y a en revanche un débat sur l’inclusion des sociétés par actions simplifiées (SAS) (15). Ensuite, pour qu’une société mère soit soumise au devoir de vigilance, celle-ci doit employer en France « au moins cinq mille salariés en son sein et dans ses filiales directes ou indirectes » ou plus de « dix mille salariés en son sein et dans ses filiales directes ou indirectes » en France et à l’étranger (16). Cela signifie que les filiales françaises de sociétés mères étrangères peuvent être soumises à la loi si leurs effectifs en France dépassent les 5000 salariés, ou si leurs effectifs en France et dans les filiales de cette filiale française dans le monde dépassent les 10 000 salariés. Selon les travaux préparatoires de la loi, plus de 150 entreprises seraient donc concernées.
Sur la nature du devoir de vigilance et son champ d’application matériel : le devoir de vigilance consiste en un procédé d’identification et de prévention des risques d’atteintes graves envers les droits humains, les libertés fondamentales, la santé, la sécurité des personnes, ainsi que l’environnement. Il s’agit d’un champ d’application très large, se concrétisant toutefois en fonction des risques générés par les entreprises.
Concernant la portée du devoir de vigilance des sociétés mères et donneuses d’ordres, celle-ci doit être exercée afin de prévenir les atteintes graves résultant tant des activités de la société mère, que de ses filiales directes et indirectes au sens du II de l’article L. 233-16. Un contrôle absolu de la société mère sur ses filiales n’est donc pas nécessaire pour faire appliquer le devoir de vigilance, car selon l’art. 233- 16 al. 2 du code de commerce, une relation de contrôle exclusive est établie lorsque la société mère détient directement ou indirectement la majorité des droits de vote ou lorsqu’elle désigne la majorité des membres des organes d’administration, de direction ou de surveillance d’une autre entreprise (17), ou encore lorsqu’elle exerce une influence dominante sur une autre en vertu d’un contrat ou de clauses statutaires. »
Concernant le devoir de vigilance des donneuses d’ordre envers les sous-traitants et fournisseurs, la loi vise à titre de rappel à empêcher la survenance d’un nouveau Rana Plaza selon l’exposé des motifs de la loi. Cependant, il est loin d’être certain que la rédaction retenue le permette étant précisé qu’une relation commerciale établie est nécessaire, c’est-à-dire une relation stable, ancienne et intensive établie généralement par un contrat cadre (18). Par ailleurs, il ne ressort malheureusement pas clairement de l’énoncé de la loi que les sous-traitants et fournisseurs respectifs des filiales de la société mère doivent faire l’objet de vigilance (19).
En ce qui concerne le contenu et le mode d’élaboration du plan de vigilance, celui- ci « a vocation à être élaboré en association avec les parties prenantes de la société, le cas échéant dans le cadre d’initiatives pluripartites au sein de filières ou à l’échelle territoriale. Il comprend les mesures suivantes :
Une cartographie des risques destinée à leur identification, leur analyse et leur hiérarchisation ;
Des procédures d’évaluation régulière de la situation des filiales, des sous-traitants ou fournisseurs avec lesquels est entretenue une relation commerciale établie, au regard de la cartographie des risques ;
Des actions adaptées d’atténuation des risques ou de prévention des atteintes graves ;
Un mécanisme d’alerte et de recueil des signalements relatifs à l’existence ou à la réalisation des risques, établi en concertation avec les organisations syndicales représentatives dans ladite société ;
Un dispositif de suivi des mesures mises en œuvre et d’évaluation de leur efficacité. » (20)
Il est par ailleurs possible de faire engager la responsabilité de l’entreprise de manière préventive, tant pour défaut de conformité formelle aux exigences de la loi (plan de vigilance manquant ou incomplet, portée insuffisante du devoir de vigilance) que pour manque d’effectivité des mesures de vigilance (21). Cette possibilité, tout à fait nouvelle en droit civil français de la responsabilité, ouvre la voie à de nouveaux types de contentieux et semble particulièrement bienvenue au regard de l’objectif ultime de la loi, à savoir la prévention des atteintes (22). En effet, toute personne ayant intérêt à agir – donc celle, exposée aux risques générés par l’entreprise – peut ester en justice après avoir mis en demeure préalablement l’entreprise afin de demander au juge d’enjoindre l’entreprise à mettre en place un système de vigilance effectif en conformité avec la loi, le cas échéant sous astreinte financière.
En cas de survenance d’un préjudice, une action civile extracontractuelle classique au titre de l’art. 1240 et 1241 du code civil devient possible pour demander des dommages et intérêts. Même s’il ne s’agit pas d’une obligation de résultat et que la charge de la preuve repose toujours sur la victime dans le cadre d’une action en réparation d’un dommage (23), l’obligation de publier un plan de vigilance peut alléger ce fardeau. En outre, il faut souligner qu’il est possible de demander la réparation d’une perte de chance. Même si cela ne permet pas de réparer le préjudice intégralement, cela n’oblige pas le requérant à faire état d’un lien causal de manière parfaitement rigoureuse (24).
Notons enfin qu’aucune personne publique ne participe au contrôle de la mise en œuvre de la loi.
Pertinence de la loi pour le projet de recherche « En-communs »
Etant donné que la loi vise la prévention des atteintes graves aux droits de l’homme et à l’environnement, il peut être considéré que la protection des (biens) communs entre dans le champ d’application de la loi. Par exemple, une entreprise sidérurgique ou minière doit tout mettre en œuvre afin que les pollutions générées par ses activités n’affectent pas le droit à l’eau des populations riveraines.
Par ailleurs, en accord avec l’esprit de la loi, toute partie prenante externe ou interne a vocation à prendre part à l’élaboration du plan, et ce dans tous ses aspects. Rappelons que les parties prenantes sont, selon la définition large de la stakeholder theory, les personnes qui, par opposition à celles pouvant avoir un droit de codétermination, subissent un risque du fait de l’activité ou des produits de l’entreprise (25). Dès lors, si les activités de l’entreprise sont de nature à mettre en danger certaines ressources environnementales exploitées par une communauté pour subvenir à leurs besoins, cette communauté peut solliciter l’entreprise afin de contribuer à l’élaboration de la politique de prévention au plus haut niveau du groupe d’entreprise. Une obligation est même posée pour associer les syndicats à l’établissement d’un système d’alerte et recueil des signalements dans le plan de vigilance, afin que les lanceurs d’alertes puissent pouvoir s’exprimer tout en étant protégés.
Ainsi, même si les parties prenantes ne doivent pas être intégrées dans un organe préétabli comme dans un conseil de surveillance ou d’administration ou même si aucun nouvel organe d’entreprise est créé, l’obligation d’établir un plan de vigilance, en devant prendre a minima en considération les parties prenantes si ce n’est les intégrer dans l’élaboration du plan de vigilance, reste un nouvel instrument extrêmement intéressant pouvant redéfinir les pratiques des entreprises.
De manière générale, les parties prenantes exposées à certains risques semblent désormais mieux positionnées pour pouvoir dialoguer avec l’entreprise et l’interpeller en amont d’un dommage. Des initiatives sont lancées par la société civile afin de comparer les performances des entreprises, en général (26) ou, dans certains domaines particuliers (27). La procédure formelle de mise en demeure permet également de sommer l’entreprise à réagir encore de manière extrajudiciaire avant de pouvoir ester en justice afin d’essayer de prévenir, d’atténuer ou de réparer l’atteinte.
Pour illustrer les potentialités de la loi, nous pouvons prendre le cas de Total qui n’a pas du tout intégré la problématique du changement climatique dans son premier plan de vigilance de 2017 (28), alors que les derniers rapports scientifiques du Groupe Intergouvernemental d’Experts sur le Climat (GIEC) ont mis en évidence depuis un certain temps déjà les risques très importants liés au changement climatique. Selon le dernier rapport spécial d’octobre 2018, des atteintes graves, multiples, et irréversibles pourraient même survenir avec une probabilité certaine à partir d’un réchauffement global à seulement plus de 2°C (29). Une interpellation extrajudiciaire a dès lors été initiée par une association de protection de l’environnement et du climat, Notre Affaire à Tous, accompagnée de plus de 13 collectivités territoriales (Grenoble, Nanterre, Bayonne…) d’ores et déjà exposées aux impacts du réchauffement climatique. Celle-ci visait à demander à Total d’élaborer un plan de vigilance en conformité avec les objectifs de la loi (30). Plus particulièrement, aux termes du courrier d’interpellation, le prochain plan de vigilance de Total « devra intégrer les actions […] en matière d’atténuation du risque climatique et de prévention des atteintes graves à l’environnement et aux droits humains qui en découlent. » Le courrier ajoute, en s’adressant encore à Total : « Vous devrez ainsi en tirer toutes les conséquences qui s’imposent à vos activités ». En clair, le collectif estime que Total n’a d’autre choix que d’orienter progressivement son modèle économique basé sur les hydrocarbures vers les énergies renouvelables afin de concourir à la prévention des risques liés au changement climatique.
Mi-janvier, le directeur juridique du groupe Total répondit à l’interpellation en indiquant que le second plan de vigilance intégrera le risque climatique (31). Cette loi dispose-t-elle donc de la capacité de faire évoluer Total en matière climatique et de contribuer à une prévention de la tragédie annoncée du commun (32) qu’est l’atmosphère et le changement climatique ? (33)
Quoi qu’il en soit, Patrick Pouyanné (PDG de Total) estime que la loi sur le devoir de vigilance fait peser un risque non maîtrisable sur les entreprises. Ses juristes l’auraient même dissuadé de créer un comité des parties-prenantes car ce seraitune « usine à contentieux » (34). Cette déclaration révèle en tout cas que le niveau de contrainte exercée par la loi est particulièrement élevé, malgré l’absence complète des pouvoirs publics dans le contrôle de son application. La possibilité de pouvoir recourir au juge, troisième branche de l’Etat de droit selon la théorie la séparation des pouvoirs, permettrait en revanche d’assurer un respect des droits.
Si l’on poursuit l’analyse de la loi sur le devoir de vigilance sous l’angle du bundle of rights tel que pensé par E. Ostrom et E. Schlager dans leur article sur les ressources naturelles communes (35), deux points principaux peuvent être soulevés :
A titre de rappel ou informatif, Ostrom et Schlager ont développé ce concept à partir de recherches empiriques et ont démontré que des régimes de propriété établissant une gestion commune pour des « commmon-pool-ressources » (CPR) (ressources environnementales partagées) permettent de mieux sauvegarder ces ressources que les régimes de propriété individuels. Ce type de propriété suppose une distribution de cinq droits à une communauté, à savoir le droit d’accès (36), le droit de prélèvement (37), le droit de gestion (38), le droit d’exclure (39) et le droit d’aliéner (40). Ostrom et Schlager donnent ainsi « corps à l’idée selon laquelle la propriété ne peut se concevoir que comme relative et partagée entre plusieurs acteurs. Elles autorisent à penser des formes de propriété partagée au sein même d’une communauté, mais aussi des formes de propriété où la distribution des droits s’opère entre l’autorité publique et une communauté ou encore entre communautés et individus ou bien encore entre État et individus. » (41)
En premier lieu, le devoir de vigilance confère aux parties prenantes affectés par des risques, et, selon les circonstances, à des commoners (s’il s’agit de ‘propriétaires’ ou usagers d’un CPR) une possibilité de participer à la gouvernance de l’entreprise au cours de l’élaboration du plan de vigilance. A défaut d’une telle collaboration, la loi pose une obligation de prendre en compte les personnes affectées par des risques graves et concrets et de leur laisser la possibilité de signaler et d’alerter avant la survenance du dommage. Le droit d’ester en justice vient quant à lui consacrer un certain droit de gouvernance, afin de pouvoir rétablir la légalité en dernier recours devant le juge.
En second lieu, le devoir de vigilance implique une obligation pour la société mère et donneuse d’ordre de mettre en œuvre toutes mesures raisonnables pour sauvegarder certains droits fondamentaux liés à des biens communs, tel que l’interdiction d’accaparement des terres à des communautés autochtones pour des besoins miniers, ou encore l’interdiction d’entraver le droit à l’eau des commoners d’une nappe phréatique en mettant en péril son équilibre écologique tel que c’est le cas à Vittel (42). En outre, si les demandes formulées par Notre Affaire à Tous à Total aboutissaient, nous pourrions considérer que la loi permet aux commoners de la ressource commune qu’est l’atmosphère – ayant des droits de vivre dans un climat soutenable, soit des droits d’utilisation – d’obliger d’autres commoners telles que des compagnies pétrolières de cesser la pollution excessive par les gaz à effet serre. Nous pouvons donc considérer que la loi sur le devoir de vigilance a le potentiel pour obliger les multinationales de ne pas entraver le droit d’accès et/ou de prélèvement des commoners à leurs ressources. Un droit d’utilisation des biens communs voire de gestion et d’exclusion peut même en ressortir si l’entreprise se retrouve elle-même dans une position de commoner, tel que cela est le cas en matière climatique ou dans le cas de Vittel.
Il apparaît assez clairement que l’obligation de prévention associée à une incitation expresse de participation du public à la gouvernance devrait faire évoluer l’entreprise vers une gouvernance plus participative et horizontale. On voit bien ici que la loi sur le devoir de vigilance introduit un changement de paradigme et opère une nouvelle distribution de droits aux parties prenantes de l’entreprise. Rappelons toutefois que le champ d’application du plan est restreint aux impacts sociaux et environnementaux les plus négatifs de l’entreprises.
Conclusion : la position de loi sur le devoir de vigilance par rapport à la RSE et la loi PACTE
La loi sur le devoir de vigilance, en posant des obligations de mise en œuvre et d’effectivité, est innovante voire révolutionnaire car elle vient rendre les principes de RSE en grande partie contraignants (43). Cela est bien différent de l’actuel projet de loi PACTE (44) qui n’introduit qu’une « évolution normative légère » (45) en obligeant simplement les entreprises à « prendre en considération les enjeux sociaux et environnementaux » (46). Malgré son atout majeur d’introduire une réforme pour toutes les formes de sociétés, la loi PACTE perpétue l’esprit volontaire des principes de RSE, en introduisant dans le droit simplement un devoir de conscience ainsi que « des options pour que les entreprises à la recherche d’une exemplarité dans ce domaine puissent aller plus loin » (47). Pour un collectif d’associations, il s’agit d’un «manque d’ambition criant face aux crises sociales, climatiques et environnementales actuelles » (48). S’ils participent à rendre la loi plus bavarde, il semble bien que ces changements mineurs ne peuvent entraîner que peu d’effets juridiques et concrets (49). A cet égard, Juliette Renaud indique que le PDG de Danone aurait déclaré lors de l’assemblée générale du Global Compact France le 23 avril 2018 qu’il était prêt à faire des efforts pour suivre les recommandations du rapport Notat-Sénart – à l’origine de la loi PACTE – mais qu’il faudrait en contrepartie retirer un certain nombre de dispositions de la loi sur le devoir de vigilance et la loi Sapin 2 (50).
Une évolution substantielle supplémentaire de la responsabilité des entreprises pourrait se réaliser par différentes voies prochainement. D’une part, la communauté internationale, l’Union européenne et les Etats en général font l’objet de nombreuses sollicitations de la société civile (51) et d’institutions gouvernementales (52) afin d’adopter des nouveaux textes allant vers une consécration du devoir de vigilance ou de diligence (human rights due diligence) en hard-law. D’autre part, une évolution semble manifestement se dérouler de manière autonome au sein de la jurisprudence. En effet, à l’échelle internationale, l’obligation pour les Etats de réguler les groupes d’entreprises et les multinationales semble ainsi s’établir (53). Quant à l’échelle nationale, la notion de devoir de vigilance est préexistante dans le droit commun et a permis de faire condamner les laboratoires UCB Pharma ayant produit le médicament Distilbène en 2006 en raison de la connaissance de risques pour la santé, et ce malgré la présence de résultats discordants (54). Enfin, à l’étranger, dans des pays de tradition de common-law, le fondement du duty of care (similaire au concept du devoir de vigilance) est largement employé pour tenir aussi bien les Etats que les multinationales responsables de violations de droits de l’homme ou de l’environnement (55).
Cette évolution normative de l’obligation de vigilance ou de diligence, participe à une réelle redéfinition du régime de responsabilité de l’entreprise ainsi qu’à sa gouvernance, en consacrant la possibilité de faire valoir des intérêts collectifs ou tiers dans le cadre de ses activités.
Notes
RAPPORT n°2628 fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la république sur la proposition de loi (n° 2578), relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre, PAR M. DOMINIQUE POTIER, Député, p. 17-18 :
« Quant à la France, malgré l’abolition ancienne de l’esclavage sur le sol métropolitain par un édit du 3 juillet 1315 du roi Louis X, et en dépit d’une première abolition décrétée par la Convention le 16 pluviôse de l’an II (4 février 1794) et rapportée par la loi du 20 mai 1802, elle n’ordonna officiellement la fin de la traite négrière qu’en 1815. Le décret impérial du 29 mars 1815 (2), confirmé par l’ordonnance royale du 8 janvier 1817 et la loi du 15 avril 1818, met un terme juridique à ce commerce immoral.
Que retenir de l’Histoire, sinon la conviction que l’action déterminée d’un État couplée à une action diplomatique patiente peut parvenir à une avancée significative des droits de l’homme, sur laquelle personne n’envisage de revenir aujourd’hui, mais qui apparaissait à l’époque excessivement coûteuse pour les milieux d’affaires (3) ?
b. La protection des ouvriers face aux accidents du travail, exemple d’organisation de la responsabilité de l’entreprise par la loi. »
Intervention de M. Dominique POTIER dans le cadre de la DISCUSSION GENERALE retransmise dans le rapport n°2628 précédemment cité, p. 50.
Voir intervention de Mme Danielle AUROI, Députée et Rappofrteure du Rapport n°2504 fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la république sur la proposition de loi (n° 1519), relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre, retransmise dans le cadre de la DISCUSSION GENERALE à la p. 27 :
« Nous avons rarement l’occasion de voter un texte qui fasse avancer de façon aussi évidente les droits de l’homme, et qui s’inscrive autant dans la lignée de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, de Victor Schoelcher et de l’abolition de l’esclavage, de Jean Jaurès et de la question sociale. Car il s’agit bien de lutter contre une forme moderne d’esclavage organisé sous nos yeux dans le contexte de la mondialisation, par l’exploitation d’hommes et de femmes, dissimulée sous des relations de sous-traitance et de filiales. »
V. Rapport n°2628, p. 9 : « L’opinion publique française a été profondément marquée par le naufrage de l’Erika au large des côtes françaises en 1999 (1) et par l’effondrement du Rana Plaza à Dacca, au Bangladesh, au printemps 2013 (2). »
Pour justifier une telle loi, V. Rapport n°2628, p. 25 :
« Plus de 120 000 citoyens français ont signé la pétition « Rana Plaza, Bhopal, Erika : halte à l’impunité des multinationales » lancée par les organisations non gouvernementales actives sur le sujet. En outre, selon un sondage commandé à l’institut CSA par le Forum citoyen pour la RSE et publié le 27 janvier 2015, 9 Français sur 10 estiment que les marques qui faisaient fabriquer leurs vêtements dans les usines du Rana Plaza devraient être obligées d’indemniser les victimes. Pour 95 % des Français, ce type de drame, ainsi que les catastrophes environnementales telles que la marée noire de l’Erika, pourraient être évités si les multinationales prenaient plus de précautions. Enfin, 76 % des Français pensent que les multinationales françaises devraient être tenues responsables devant la justice des accidents graves provoqués par leurs filiales et sous-traitants. »
Conseil, constitutionnel, décision n° 2016-741 DC du 8 décembre 2016, voir para. 100 – 103. Pour une analyse plus détaillée des similarités entre la disposition de la loi Sapin 2 et la loi sur le devoir de vigilance et les risques d’anticonstitutionnalité de cette dernière, voir Paul MOUGEOLLE, « Sur la conformité constitutionnelle de la proposition de loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre »,La Revue des droits de l’homme [En ligne], Actualités Droits- Libertés, mis en ligne le 15 février 2017, para. 67 – 99.
Le collectif des associations et syndicats mobilisés sur la loi envoya un mémoire dit de porte étroite au Conseil constitutionnel et des ONG étrangères publièrent même une déclaration commune afin de soutenir le texte. Le Conseil constitutionnel publia même pour la première fois la liste des personnes ayant soumises des contributions extérieures dites de « portes-étroites » pour la décision sur la loi sur le devoir de vigilance.
Conseil constitutionnel, Décision n° 2017-750 DC du 23 mars 2017 Loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre.
Voir par exemple : https://business.lesechos.fr/directions-juridiques/droit-des-affaires/responsabilite- assurances/0211905855508-devoir-de-vigilance-le-conseil-constitutionnel-vide-la-loi-de-sa- substance-la-loi-307773.php
Communiqué des associations suivantes : Amis de la Terre France, Amnesty International France, CCFD-Terre Solidaire, CGT, CFDT, collectif Éthique sur l’étiquette, Ligue pour les Droits de l’Homme, Peuples Solidaires et Sherpa , voir : https://www.asso-sherpa.org/devoir-de-vigilance-conseil- constitutionnel-valide-lessentiel-de-loi
Voir cet article d’une ONG spécialisée : http://corporatejustice.org/news/393-france-adopts- corporate-duty-of-vigilance-law-a-first-historic-step-towards-better-human-rights-and-environmental- protection
Conseil des droits de l’homme, Rapport sur la troisième session du Groupe de travail intergouvernemental à composition non limitée sur les sociétés transnationales et autres entreprises et les droits de l’homme, Trente-septième session, 26 février-23 mars 2018, p. 6 : « La loi sur le devoir de vigilance adoptée récemment par la France était une norme contemporaine qui pourrait servir de source d’inspiration au Groupe de travail. »
Sandra COSSART, Jérôme CHAPLIER and Tiphaine BEAU DE LOMENIE, The French Law on Duty of Care: A Historic Step Towards Making Globalization Work for All, Developments in the Field, Business and Human Rights Journal, 2 (2017), pp. 317–323.
La loi a notamment inséré l’article L. 225-102-4 dans la partie du code du commerce relative aux sociétés anonymes.
L’art. L. 225-102-4 du Code de commerce ne devrait pas s’appliquer aux SAS car il vise des rapports devant être rendus au conseil d’administration ou au directoire. Or, les SAS ne disposent pas de tels organes légaux.
Cette interprétation a été confirmée par la décision du Conseil constitutionnel sur la loi :
« En vertu du paragraphe I sont soumises à l’obligation d’établir un plan de vigilance les sociétés ayant leur siège social en France et qui, à la clôture de deux exercices consécutifs, emploient au moins cinq mille salariés en leur sein et dans leurs filiales françaises, ou emploient au moins dix mille salariés en leur sein et dans leurs filiales françaises et étrangères.
L’art. 233-16 al. 2 du code de commerce établit par ailleurs une présomption de contrôle exclusif lorsque la mère détient 40 % des droits de votes.
La loi énonce le champ d’application : « Le plan comporte les mesures de vigilance raisonnable propres à identifier les risques et à prévenir les atteintes graves envers les droits humains et les libertés fondamentales, la santé et la sécurité des personnes ainsi que l’environnement, résultant des activités de la société et de celles des sociétés qu’elle contrôle au sens du II de l’article L. 233-16, directement ou indirectement, ainsi que des activités des sous-traitants ou fournisseurs avec lesquels est entretenue une relation commerciale établie, lorsque ces activités sont rattachées à cette relation. »
Voir loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre.
Voir le régime de responsabilité en amont instauré par la loi : « II.-Lorsqu’une société mise en demeure de respecter les obligations prévues au I n’y satisfait pas dans un délai de trois mois à compter de la mise en demeure, la juridiction compétente peut, à la demande de toute personne justifiant d’un intérêt à agir, lui enjoindre, le cas échéant sous astreinte, de les respecter. »
Avant l’injonction introduises par le devoir de vigilance, seulement la protection de la vie privée et la prévention et la cessation du préjudice écologique (introduit en 2016) pouvaient faire l’objet d’une responsabilité dite préventive dans une procédure contentieuse non-référée. Pour plus de détails, voir: Avis n° 569 présenté Par M. Alain ANZIANI, Sénateur au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d’administration générale (1) sur le projet de loi, adopté par l’assemblée nationale en deuxième lecture, pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, 2016, pp. 34 – 35.
Il faut pouvoir démontrer que le plan a été insuffisant ou son incapacité à prévenir le dommage, c’est-à-dire le lien de causalité entre la possibilité d’action de la société mère et le préjudice.
v. Charley HANNOUN, « Le devoir de vigilance des sociétés mères et entreprises donneuses d’ordre après la loi du 27 mars 2017 », in : Dossier, Le devoir de vigilance, Droit Social n°10, Octobre 2017, p. 816 ; Paul MOUGEOLLE, « Sur la conformité constitutionnelle de la proposition de loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre », La Revue des droits de l’homme [En ligne], Actualités Droits-Libertés, mis en ligne le 15 février 2017, para. 51.
M-C. CAILLET, Du devoir de vigilance aux plans de vigilance ; quelle mise en œuvre, Dossier Le devoir de vigilance, Droit Social, 2017, p. 823 citant F-G. TREBULLE, Stakeholders Theory et droit des sociétés (1ere partie), Bulletin Joly, 2006.
voir également l’intervention plus bas de Juliette RENAUD sur le rapport inter-associatif, citation officielle : et al., « Loi sur le devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre, année 1 : Les entreprises doivent mieux faire », Action Aid France – Peuples Solidaires, Amis de la Terre France, Amnesty International France, CCFD-Terre Solidaire, Collectif Ethique sur l’étiquette, Sherpa, membres du Forum Citoyen pour la RSE, février 2019.
MIGHTY EARTH, FRANCE NATURE ENVIRONNEMENT, SHERPA (auteurs), Devoir de vigilance et déforestation : le cas oublié du soja, mars 2019
Voir le document de référence 2017 de TOTAL incluant le rapport financier annuel, ainsi que le plan de vigilance aux pages 96 à 103.
Voir le dossier de presse de l’interpellation qui inclut la lettre d’interpellation en annexe 1 : https://notreaffaireatous.org/wp-content/uploads/2018/10/DP2F-INTERPELLATION-TOTAL-3.pdf
Voir la réponse du directeur juridique : https://www.novethic.fr/fileadmin/user_upload/tx_ausynovethicarticles/BH/Courrier-de-Total-au- collectif-de-collectivit%C3%A9s-et-dONG-janvier-2019_477793.pdf
Selon un fameux biologiste américain, G. Hardin, la dégradation des ressources environnementales provient du fait de leur utilisation commune : étant donné que chacun agit rationnellement dans son propre intérêt, la destruction du commun (pêcheries, pâtures ou forêts…) par la pollution ou la surexploitation est inévitable. Il a dénommé ce phénomène comme étant « la tragédie des communs », voir : G. HARDIN, « The Tragedy of the Commons», Science, 162, 13 décembre 1968, pp. 1243-1248. science.sciencemag.org/content/162/3859/1243.full.
Certains auteurs ont repris cette théorie de la tragédie des communs pour l’appliquer au défi posé par le changement climatique, voir : J. PAAVOLA, Climate Change The Ultimate Tragedy of the Commons?, in: Property in Land and Other Resources, Edited by Daniel H. Cole and Elinor Ostrom, Lincoln Institute of Land Policy, Cambridge Massachussets ; D. AUVERLOT, La tragédie du réchauffement climatique : Du cinquième rapport du GIEC à la conférence du Bourget 2015, France Stratégie, 07 mai 2014 ; E. OSTROM, A Polycentric Approach for Coping with Climate Change, (2009), document préparé pour le World Development Report 2010 de la Banque mondiale ;
P. POUYANNE, PDG de TOTAL SA, intervention lors de l’assemblée général du Global Compact France, 23 avril 2018 : « À cause de ce texte extrêmement mal écrit [loi sur le devoir de vigilance], je suis piloté sur ce terrain-là par des juristes qui sont terrorisés par des class actions » […] « Quand j’ai proposé à une réunion de créer un comité de parties prenantes, ils m’ont dit ce serait une erreur, une usine à contentieux. L’enfer est pavé de bonnes intentions. Des textes de cette nature qui font peser des obligations, dont aucun d’entre nous n’est capable de les remplir, ne font pas progresser la cause. Ça m’étonnerait beaucoup que l’on arrive à imposer un tel texte aux pays anglo-saxons. Attention à ne pas croire que l’on peut tout normer, tout légiférer. »
E. SCHLAGER, E. OSTROM, « Property-Rights Regimes and Natural Resources : A Conceptual Analysis », Land Economics, 68/3, 1992, pp. 249-262 ; pour une explication, analyse et comparaison de ce concept en français avec d’autres, voir : Fabienne ORSI, Réhabiliter la propriété comme bundle of rights : des origines à Elinor Ostrom, et au-delà ?, Revue internationale de droit économique 2014/3 (t. XXVIII), pages 371 à 385, Mis en ligne sur Cairn.info le 19/02/2015; https://doi.org/10.3917/ride.283.0371 .
« Les droits d’accès au CPR et le droit de prélèvement (withdrawal) des unités de la ressource (des poissons dans une pêcherie, du bois dans une forêt, etc.). Il s’agit des droits d’usage » selon Fabienne ORSI, op. cité.
(38) Idem.
« Le droit de gestion est le droit à réguler les conditions d’utilisation de la ressource ainsi que les changements nécessaires à son amélioration. Il s’agit ici plus spécifiquement du droit à déterminer les règles de prélèvement de la ressource » selon Fabienne ORSI, op. cité.
« Le droit d’exclure concerne le droit de déterminer qui va bénéficier des droits d’usage et si ceux-ci seront ou non transférables » selon Fabienne ORSI, op. cité.
« Le droit d’aliéner est défini comme étant le droit de vendre ou de céder entièrement ou partiellement l’un ou les deux droits d’exclure et de gestion » selon Fabienne ORSI, op. cité.
Fabienne ORSI, op. cité.
Pour plus d’informations sur « l’affaire Vittel », voir : https://reporterre.net/A-Vittel-Nestle-privatise- la-nappe-phreatique
A cet égard, notons que les premières propositions de lois de la loi sur le devoir de vigilance prévoyaient une présomption de responsabilité pénale et civile pour toutes les sociétés mères en cas de dommage en instaurant un renversement de la charge de la preuve. Ainsi, le dispositif original misait sur un régime de responsabilité important que cela aurait eu des impacts en amont sur la gouvernance.
N. NOTAT, J-D. SENARD, Rapport aux ministres de la transition écologique et solidaire, de la justice, de l’économie et des finances, du travail, « L’entreprise, objet d’intérêt collectifs », 9 mars 2018.
L’article 1833 du Code civil serait complété par l’alinéa suivant : « La société est gérée dans son intérêt social et en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité.»
Voici les différentes options que l’actuel projet de loi propose : Art. 1835 : « Les statuts peuvent préciser une raison d’être, constituée des principes dont la société se dote et pour le respect desquels elle entend affecter des moyens dans la réalisation de son activité. » ; Art. L225-35 du Code de commerce : « Il prend également en considération la raison d’être de la société, lorsque celle-ci est définie dans les statuts en application de l’article 1835 du code civil. »
Collectif d’associations, Loi PACTE et devoir de vigilance : un rendez-vous manqué ?, La Croix, 13.03.2019.
A. GOSSEMENT, commentant le projet de loi PACTE sur le site internet de son cabinet d’avocats considère au contraire que, « S’il est démontré que le dirigeant ou organe dirigeant ne s’est jamais interrogé sur l’enjeu environnemental de ses décisions, la question de sa responsabilité en sus de la responsabilité de la personne morale sera inévitablement posée. » Il semble pourtant très peu probable que la responsabilité de la personne morale soit engagée dans ces conditions car les entreprises d’une certaine taille sont déjà soumises à des obligations de déclaration de performance sociale et environnementales. Elles sont dès lors déjà obligées de s’interroger et de déclarer leurs activités extra-financières. Il est par ailleurs tout simplement impossible de démontrer une absence d’interrogation sur certains points de la part du dirigeant pour une personne tierce. Ces changements sont donc absolument superflus.
Propos exacts rapportés dans un article de Novethic : https://www.novethic.fr/actualite/entreprise- responsable/isr-rse/loi-pacte-les-grands-patrons-veulent-plus-de-simplification-administrative- 145752.html
V. par exemple : Daniel BLACKBURN, International Centre for Trade Union Rights (ICTUR), Removing Barriers to Justice How a treaty on business and human rights could improve access to remedy for victims, August 2017.
V. par exemple les recommandations très claires des institutions européennes suivantes : Conseil de l’Europe – Comité des Ministres aux Etats membres, Recommandation CM/Rec (2016)3 sur les droits de l’homme et les entreprises, adoptée par le Comité des Ministres le 2 mars 2016, lors de la 1249e réunion des Délégués des Ministres, Opinion of the European Union Agency for Fundamental Rights, Improving access to remedy in the area of business and human rights at the EU level, FRA Opinion – 1/2017 [B&HR] Vienna, 10 April 2017.
Comité des droits économiques, sociaux et culturels a adopté à sa 61ème session (mai-juin 2017), Observation générale n° 24 sur les obligations des États dans le contexte des activités des entreprises, 10 août 2017.
Cour de Cassation, Chambre civile 1, du 7 mars 2006, 04-16.179, Publié au bulletin ; voir également l’obligation de vigilance environnementale découverte par le Conseil constitutionnel dans sa Décision n° 2011-116 QPC du 8 avril 2011 M. Michel Z. et autre [Troubles du voisinage et environnement].
England and Wales Court of Appeal, Chandler v. Cape [2012] EWCA Civ 525, 25 April 2012 ; Rechtbank Den Haag, Urgenda v. Netherlands, C/09/456689 / HA ZA 13-1396, 24.06.2015.
Les dérèglements climatiques menacent les droits fondamentaux des citoyens français et ont un impact différencié selon les régions, les groupes sociaux et les secteurs d’activités. Nous donnons la parole à 14 personnes dont les vies sont déjà affectées par le dérèglement climatique. Ces témoignages illustrent l’ampleur de la crise climatique.
Le mercredi 9 décembre 2020 l’association Notre Affaire à Tous publie son rapport Un climat d’inégalités. Celui-ci met en lumière un phénomène encore trop peu documenté : les inégalités climatiques sur le territoire français. Ce rapport de 140 pages part d’un constat simple : 5 ans après la signature de l’Accord de Paris par la France, les actions ambitieuses en matière climatique se font toujours attendre et l’accélération du changement climatique pèse de manière inégale sur la population française. Le rapport publié par l’association met en lumière les conséquences désastreuses de ce retard.
Il y a 5 ans, l’Accord de Paris introduisait pour la première fois le terme de justice climatique dans un traité international. La justice climatique se distingue des approches purement physiques et environnementales des changements climatiques en privilégiant une approche en termes de justice et d’équité face au dérèglement climatique. Aujourd’hui sur le territoire français, la justice climatique est encore loin d’être accessible et les inégalités se creusent. Le rapport “Un climat d’inégalités” les documente, les analyse et présente des pistes de travail qui devraient être au cœur de la politique climatique.
Le changement climatique se nourrit des inégalités et les renforce
Si le dérèglement climatique nous menace tou·te·s, il existe des différences d’impacts. Certaines populations et certains territoires sont plus exposés et plus vulnérables aux conséquences des changements climatiques. Ces inégalités climatiques peuvent être territoriales : les territoires montagneux, les littoraux, les territoires d’Outre-mer sont ainsi plus vulnérables. D’autres inégalités climatiques sont le résultat de structures sociales inégalitaires : inégalités socio-économiques, rapports de domination hommes/femmes, discriminations raciales etc. Par ailleurs, les conditions socio-économiques déterminent également la capacité des populations et des territoires à s’adapter aux changements climatiques. Les impacts différenciés du dérèglement climatique créent ainsi des inégalités climatiques qui viennent renforcer des inégalités sociales déjà existantes.
Les citoyen·ne·s français·e·s, déjà exposé·e·s aux risques climatiques
Alors que le phénomène est connu au niveau mondial, en France, les inégalités climatiques sont méconnues et peu documentées. Pourtant celles-ci se creusent. De 1999 à 2018, la France a été le 15ème pays le plus à risque face au dérèglement climatique à l’échelle mondiale et le premier à l’échelle européenne. Six Français·e·s sur dix sont déjà concerné·e·s par les risques climatiques. Il existe une triple peine. Alors que les plus pauvres ont une plus faible empreinte carbone, ils souffrent plus des conséquences : plus exposés aux risques climatiques, ils ont également moins de moyens pour y faire face et sont disproportionnellement impactés par la fiscalité environnementale.
“Cinq ans après l’Accord de Paris, deux ans après le lancement de l’Affaire du Siècle et de la mobilisation des gilets jaunes, les citoyen·ne·s payent le prix de l’inaction climatique et les inégalités se creusent. Aujourd’hui, notre combat va au-delà des tribunaux. Ce que nous portons, c’est la justice environnementale et sociale. Si on agit, c’est pour rendre justice aux plus précaires, pour que personne ne soit laissé de côté. Après ces années critiques de défaillances climatiques, la réalité des inégalités climatiques et l’impératif de justice sociale doivent guider l’élaboration de politiques publiques pour permettre à toutes et tous de vivre dans une société de justice”.
Clothilde Baudouin, responsable du projet “Inégalités climatiques” à Notre Affaire à Tous
Quatorze citoyen·ne·s témoignent
“L’érosion marine est de plus en plus fréquente. Dans nos métiers, nous sommes directement tributaires de l’environnement naturel. Déplacer nos productions vers le large est une manière de s’adapter… pour un temps… au changement climatique”.
Jean-François Périgné, mytiliculteur sur l’île d’Oléron
“Les sécheresses et les périodes de fortes chaleurs de ces dernières années rendent les saisons irrégulières et pénalisent nos cultures”.
Raphaël Baltassat, agriculteur en Haute-Savoie
Des conséquences en termes de droits fondamentaux, de conditions de vie et de santé, à la mise en danger des secteurs les plus vulnérables de notre économie, le rapport “Un climat d’inégalités”, ainsi que ses témoignages, dressent un panorama des inégalités climatiques en France, rappelant le lien intrinsèque entre enjeux sociaux et écologiques et la nécessité d’une transition juste.
Notre Affaire à Tous dépose une plainte à la Commission européenne pour signaler les atteintes françaises au droit de l’environnement. Cette plainte porte sur le décret du 8 avril 2020 contre lequel l’association a déposé un recours devant le Conseil d’État le 27 mai dernier. En l’absence de réponse de l’État et en l’attente du jugement, l’association saisit la Commission européenne. Pour appuyer cette demande, 19 eurodéputé.e.s saisissent les commissaires européens de la même alerte.
Pour Notre Affaire à Tous, il y a urgence : ce décret, adopté en plein confinement, permet aux préfets de contourner les normes existantes pour prendre des décisions dans des domaines étendus, tels que l’aménagement du territoire, l’environnement et la construction, ainsi que l’octroi de subventions.
La plainte se base sur le fait que l’application d’un tel décret contreviendrait aux directives Projets, Habitats, Eau etc. en n’assurant pas en amont d’un projet une évaluation environnementale permettant de répertorier les effets de ce projet sur l’environnement. Mais aussi à la Charte européenne des droits fondamentaux et notamment en matière de recours effectif au juge, sujet sur lequel la Commission travaille déjà en matière environnementale.
Alors que le Parlement Européen dessine cette année les contours de la Climate Law, la France persiste dans son mouvement de détricotage du droit. En effet, depuis avril, des sites clés en main aux procédures accélérées ont été annoncés, les examens au cas par cas de l’opportunité d’une étude d’impact ont été confiés aux Préfets, la nomenclature sur les installations classées a été abaissée et la loi ASAP transformant certaines enquêtes publiques en consultations dématérialisées a été adoptée fin octobre.
“Saisir la justice à l’échelle européenne permet de rappeler au gouvernement, que le détricotage du droit de l’environnement a des limites : le droit européen.”
Chloé Gerbier, juriste de l’association
En mai dernier deux eurodéputés grecs, Petros Kokkalis GUE et Jutta Paulus Greens, alertaient les commissaires européens sur la législation régressive en matière d’environnement de leur pays. C’est aujourd’hui la même démarche qui habitent les 19 eurodéputé.e.s français qui soulignent dans leur lettre la situation française alarmante vis-à-vis du droit européen en matière environnementale. Ils demandent par celle-ci aux commissaires de bien vouloir saisir la Commission des problématiques posées par le décret n° 2020-412 du 8 avril 2020 relatif au droit de dérogation reconnu au préfet.
Alors que l’Etat semble ignorer les illégalités relevées à l’échelle nationale devant le Conseil d’Etat, la saisine par une diversité d’acteurs de l’échelle européenne donne l’espoir qu’une telle dérogation au droit de l’environnement puisse être annulée.
Alors qu’une réunion de conclusion du groupe de travail écocide doit intervenir demain entre la Convention citoyenne et les ministères de la Justice et de la Transition écologique, le gouvernement vient d’annoncer dans le Journal du dimanche la création d’un délit d’écocide.
Le groupe écocide de la Convention Citoyenne, appuyé par Notre Affaire à Tous, Wild Legal et d’autres professionnels du droit, vise à retravailler la proposition de loi sur la reconnaissance du crime d’écocide publiée en juin dernier par la Convention citoyenne. L’objectif est de proposer une nouvelle définition du crime d’écocide pour répondre aux critiques formulées par le gouvernement sur l’imprécision et le manque de clarté de la loi pénale.
En attendant la réunion de conclusion de ce groupe de travail qui doit avoir lieu demain avec les ministres Eric Dupond-Moretti et Barbara Pompili, ces derniers viennent tout juste d’annoncer, sans attendre cette rencontre, la création d’un délit d’écocide devant être intégré dans le projet de loi Parquet européen. “Nous répondons à l’interpellation des citoyens sur le crime d’écocide” se félicitent-ils. Or leur proposition est loin de respecter l’esprit du texte proposé par la Convention citoyenne.
Le crime d’écocide ainsi que les limites planétaires, deux éléments pourtant fondamentaux soutenus par la Convention citoyenne, sont ainsi définitivement enterrés au profit d’un délit général d’atteinte aux eaux, aux sols et à l’air qui semblait déjà en cours de discussion au sein du gouvernement et qui ne répond pas, en tout cas pas pleinement, aux propositions citoyennes ni au défi environnemental et climatique.
Les ministres se contentent donc de reprendre le terme d’”écocide” et de l’apposer sur un texte pour prétendre satisfaire aux exigences des citoyens, un bel exercice de communication auquel le gouvernement est habitué.
Pour Marie Toussaint, de Notre Affaire à Tous:“Les ministres se saisissent enfin de l’enjeu crucial de la répression pénale des atteintes à l’environnement. Parmi les propositions formulées dans le JDD nous ne trouvons toutefois trace ni d’une approche écocentrée, ni de la condamnation des atteintes autonomes à l’environnement, c’est-à-dire sans qu’elles ne soient rattachées à la violation d’une règle en vigueur. Nous serons d’une extrême vigilance. La notion d’écocide ne doit pas être vidée de son contenu si l’on veut qu’elle protège correctement l’environnement et vienne sanctionner les crimes aujourd’hui commis en toute impunité”
Pour Marine Yzquierdo, coordinatrice plaidoyer de Notre Affaire à Tous : “Ce délit général de pollution est sans rapport avec le crime d’écocide, censé punir les atteintes les plus graves à l’environnement en intégrant une approche écosystémique en référence aux limites planétaires. Ce délit devrait s’ajouter au crime d’écocide et non le remplacer. Reste une avancée intéressante avec la création d’un délit de mise en danger de l’environnement, mais le critère de “violation délibérée” est à discuter car s’il faut en plus que cela soit “manifeste”, cela posera une condition supplémentaire et donc limitera le champ de la répression »
Il convient donc de connaître les amendements exacts au projet de loi Parquet européen qui seront proposés par le gouvernement.
Valérie Cabanes, présidente d’honneur de Notre Affaire à Tous, ajoute : “Je suis très déçue concernant l’annonce du gouvernement français concernant la reconnaissance du crime d’écocide ce matin, avec fracas dans le JDD. Ce crime contre la sûreté de la planète dont la reconnaissance a été demandée par les citoyens de la Convention citoyenne pour le Climat en écho à la campagne menée par la Fondation Stop Ecocide a été relégué au rang de délit environnemental. Utiliser le terme d’écocide en le vidant de sa substance est un mauvais tour fait aux citoyens, en donnant l’illusion qu’ils ont obtenu ce qu’ils souhaitaient.”
Un décryptage des mesures proposées par le gouvernement sera effectué après la réunion de conclusion avec les ministres, prévue demain midi.
Ce jeudi 19 novembre, le Conseil d’État a rendu une décision historique [1] dans le cadre du recours juridique de la commune de Grande-Synthe, dans lequel les quatre organisations de l’Affaire du Siècle (Notre Affaire à Tous, Fondation Nicolas Hulot, Greenpeace France et Oxfam France) interviennent. Cette décision marque une avancée décisive face à l’inaction climatique de l’État : les objectifs climatiques de la France et la trajectoire pour y parvenir deviennent contraignants. L’État français a trois mois désormais pour démontrer à la fois la crédibilité de la trajectoire annoncée et si les moyens qu’il a mis en place sont à la hauteur de ses engagements.
Pour les organisations de l’Affaire du Siècle, intervenantes dans le dossier : « La décision du Conseil d’État rebat les cartes de la politique climatique de la France. En effet, en affirmant le caractère contraignant des objectifs de réduction d’émissions de gaz à effet de serre contenus dans la loi [2], la plus haute juridiction administrative met l’État face à ses responsabilités dans la crise climatique. C’est une véritable révolution en droit : les lois programmatiques sur le climat ont jusqu’ici été considérées par les gouvernements et parlements successifs comme de vagues promesses. Elles font désormais peser sur l’État une obligation de résultat, et l’engagent à mettre en œuvre des mesures concrètes et efficaces pour atteindre ces objectifs ».
En quoi cette décision est-elle historique ?
La loi de programmation qui fixe les objectifs climatiques de la France n’est plus une vague promesse, elle oblige. Le « droit mou » devient du « droit dur ».
Le Conseil d’État, qui souligne le caractère a priori peu crédible de la trajectoire annoncée par le gouvernement, lui demande donc de rendre des comptes, effectuant ainsi, à la barre du tribunal, un véritable travail d’évaluation de politique publique. Ce travail pourrait déboucher non seulement sur un jugement, mais aussi sur une injonction d’adopter des actions de nature à atteindre l’objectif fixé.
Le Conseil d’État procède à cette évaluation avant même que l’on soit au terme fixé par la trajectoire. Il reconnaît ainsi que les objectifs de 2030, 2050 ou 2100 se construisent dès maintenant.
La décision est porteuse de changements concrets pour les opérateurs privés et publics : si à la suite de l’évaluation, le Conseil d’État estime que les actions sont insuffisantes, il pourra enjoindre l’État à agir. Cela peut se traduire notamment par de nouvelles réglementations, des mesures incitatives ou des mesures contraignantes.
La France loin d’atteindre ses objectifs climat
Les organisations de L’Affaire du Siècle ainsi que le Haut conseil pour le climat ont déjà souligné à plusieurs reprises que les trajectoires n’étaient pas crédibles et les actions de l’État insuffisantes.
Entre 2015 et 2018 : le rythme de baisse des émissions de gaz à effet de serre a été quasiment deux fois plus lent que ce que la France aurait dû faire pour être sur la bonne trajectoire, suffisante et efficace, pour atteindre l’objectif de 40% de baisse des rejets de gaz à effet de serre en 2030 (-1,1% par an au lieu de -1,9%).
Le premier budget carbone n’a pas été respecté, ni globalement ni sectoriellement pour les quatre principaux secteurs qui représentent plus de 85 % des émissions (transport, bâtiment, énergie et agriculture). La relève des budgets carbone 2019-2023 [3] dans les décrets Stratégie Nationale Bas Carbone (SNBC) est directement contraire à une recommandation explicite du Haut conseil pour le climat [4].
La Commission européenne a d’ailleurs épinglé la France en septembre 2020, estimant qu’avec les mesures existantes, la France devrait manquer son objectif de baisse des gaz à effet de serre à 2030 de 11 points de pourcentage [5].
Des manquements que le Conseil d’Etat a lui aussi notés et soulignés dans son arrêt.
Quelle suite pour l’Affaire du Siècle ?
La prochaine décision à venir sur le recours de Grande-Synthe au Conseil d’État (en mars 2021, suite à l’évaluation menée sur les engagements de l’État) est fondamentale et déterminerait une potentielle victoire aussi pour l’Affaire du Siècle. En effet, le Conseil d’État est la plus haute juridiction administrative française et l’État n’a donc aucun recours contre ses décisions.
Cette décision obligerait le Tribunal administratif à donner raison à l’Affaire du Siècle, a minima sur une partie de ses arguments. Mais surtout, l’Affaire du Siècle donnera la possibilité à la justice de préciser davantage la nature et l’étendue de la responsabilité de l’État.
Le Tribunal administratif pourrait ainsi reconnaître un Principe général du droit, celui du droit à un système climatique soutenable et face à ce droit, l’obligation d’agir. Il s’agirait alors non plus d’une décision ponctuelle, mais d’une obligation générale qui s’imposera également au législateur et aux autorités administratives. De même, alors que le Conseil d’État a écarté les articles 2 et 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme, nous défendons l’idée que les droits climatiques doivent être reconnus comme étant des droits fondamentaux. Nous demandons également à la justice de reconnaître que le préjudice écologique peut bien s’appliquer à l’État.
Enfin, l’Affaire du Siècle pourrait permettre de faire reconnaître des carences spécifiques de l’État, en particulier sur les objectifs sectoriels, par exemple sur l’efficacité énergétique, les énergies renouvelables, les transports, etc.
Dans les trois prochains mois, l’Affaire du Siècle va faire appel à des experts pour déposer un nouveau mémoire démontrant l’inaction climatique de l’État, continuant ainsi à soutenir le dossier de Grande-Synthe pour obtenir qu’une injonction à agir soit prononcée à l’issue de cette nouvelle période d’instruction.
[2] article 100-4 du code de l’énergie, suite à l’adoption de la loi pour la Transition énergétique et la croissance verte : “réduire les émissions de gaz à effet de serre de 40 % entre 1990 et 2030 et de diviser par quatre les émissions de gaz à effet de serre entre 1990 et 2050.”
[3] les décrets 2020 ont relevé les plafonds de 398 Mt CO2eq à 422 Mt CO2eq.
[4] “Nous recommandons que le niveau du deuxième budget carbone présenté dans ce projet soit revu à la baisse, en cohérence avec la trajectoire à long-terme et les dernières données sur les émissions nationales” – rapport annuel 2019
Cécilia Rinaudo – Notre Affaire à Tous : 06 86 41 71 81
Paula Torrente – Fondation Nicolas Hulot : 07 87 50 74 90
Kim Dallet – Greenpeace France : 06 33 58 39 46
Marion Cosperec – Oxfam France : 07 68 30 06 17
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Me Guillaume Hannotin (avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation représentant l’Affaire du Siècle dans le recours de Grande-Synthe) : +33 6 82 41 24 42
Me Clément Capdebos (conseil de Greenpeace) : +33 6 98 86 63 66
Me Clémentine Baldon (conseil de la FNH) : +33 7 62 47 84 04
Cabinet Vigo (conseil de Notre Affaire à Tous) : Hugo Partouche +33 6 71 99 32 02, Aimée Kleiman +33 6 79 36 10 80
Chères lectrices, chers lecteurs, Voici la dernière newsletter des affaires climatiques de cette drôle d’année (pas d’inquiétude, nous revenons en janvier !). Une année pas comme les autres où la pandémie et les catastrophes naturelles nous donnent un avant goût de ce qui pourrait nous attendre dans les décennies à venir. Une année pas comme les autres, qui nous a, également, appris à ralentir et à nous concentrer sur l’essentiel. Une année pas comme les autres, qui ne se termine pas si mal, avec les résultats d’une élection présidentielle américaine qui, même s’ils ne nous donnent pas l’espoir d’une révolution en matière environnementale, nous offre un horizon “moins pire” que les années précédentes.
Dans cette nouvelle lettre, nous vous proposons de lire la première partie d’une étude qui porte sur le droit à un environnement sain dans la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union européenne, où l’on découvre les difficultés de la Cour à reconnaître une véritable valeur normative à ce principe. Dans la partie “affaires climatiques”, vous trouverez les fiches d’arrêt de nouveaux recours juridiques, contre les Etats autrichiens, ougandais et espagnols. Dans la mesure où ils sont tout récents, aucun, n’a, pour l’heure, fait l’objet d’une décision de justice. Dans la partie “affaires environnementales”, la requête d’une association de protection de l’environnement allemande contre le Gouvernement de son pays pour sa carence en matière de lutte contre la pollution de l’air qui arrive en même temps que l’adoption par le Conseil de l’UE d’un rapport sur la pollution de l’air ; la mise en œuvre d’une procédure de la commission européenne contre l’Etat français lui demandant de respecter ses obligations en matière d’accès du public à l’information environnementale ; le jugement du Tribunal judiciaire marseillais sur le préjudice écologique ; et, enfin, la décision du juge des référés du Conseil d’Etat en matière de restriction des épandages agricoles. Nous vous souhaitons une très bonne lecture et nous nous retrouvons en 2021 !
Focus : le droit à un environnement sain en droit de l’UE
L’article « L’application du « droit à un environnement sain » par la CJUE : une stratégie cohérente à amplifier« ne vise pas, à travers la notion indéterminée de « droit à un environnement sain », un champ du droit de l’Union, à savoir le droit environnemental de l’Union. Il n’étudiera donc ni l’ensemble, ni une partie du droit dérivé. L’article comprend cette notion comme un possible principe, de valeur constitutionnelle, permettant de contrôler l’ensemble des actes des institutions et des États membres. Dans un premier temps, il est question de savoir si un tel principe existe. La réponse est loin d’être claire. Il est néanmoins possible de répondre positivement, bien qu’il faille aussitôt ajouter que sa force normative est extrêmement faible. Dans un second temps, il est question de savoir si la CJUE n’a pas cherché à mettre en œuvre une stratégie qui permettrait de dépasser les faiblesses de ce principe. Autrement dit, dans l’impossibilité de l’invoquer efficacement de façon directe, n’est-il pas possible de l’invoquer de façon indirecte ? Il est finalement question, dans l’ensemble de cet article, de la manière dont la Cour met en œuvre le droit à un environnement sain : en ne le reconnaissant pas directement comme un véritable principe de droit, mais en lui garantissant indirectement une certaine effectivité. Il s’agit donc de rechercher, au travers d’arrêts variés et disparates de la Cour, cette stratégie.
Six jeunes portugais saisissent la Cour européenne des droits de l’Homme, en l’absence d’épuisement des voies de recours internes. Ils demandent à la Cour de se prononcer sur les atteintes à leurs droits fondamentaux, par les Etats défendeurs, pour avoir contribué à la crise climatique. Les requérant-es dénoncent la participation des défendeurs à la crise climatique, l’absence d’adoption de mesures promptes à enrayer cette crise, et l’incidence de cette participation sur la protection de leurs droits issus de la Convention européenne des droits de l’Homme. Procédure : le 2 septembre 2020, la CEDH est saisie.
Tsama William et al. v. Attorney general of Uganda
Les requérant-es sont victimes et familles de victimes de glissements de terrains dans la région de Bududa, en Ouganda. Les requérants saisissent la Haute Cour. Ils contestent la carence des autorités locales et nationales dans l’adoption de mesures permettant de prévenir ou limiter les conséquences de ces glissements de terrain sur les droits fondamentaux à la vie. Le 3 décembre 2019, un glissement de terrain, faisant suite à de nombreux autres, engloutit les propriétés des requérants et cause vingt décès. Les victimes et familles des victimes, décident de saisir la Haute Cour de l’Ouganda. Procédure : le 15 octobre 2020, la Haute Cour du pays est saisie.
Le 15 septembre 2020, trois organisations non gouvernementales, Greenpeace Espagne, Oxfam Intermón et Ecologistas en Acción, ont assigné l’Etat espagnol en justice pour son manque d’ambition en matière climatique. Faisant suite à de nombreuses actions en justice similaires dans les pays européens, trois organisations non gouvernementales ont constaté le non-respect par l’Espagne de ses engagements internationaux. Elles ont donc saisi la Cour suprême d’Espagne afin de condamner l’Espagne pour son inaction dans la lutte contre le réchauffement climatique. Le 30 septembre 2020, la Cour suprême a admis la requête et a demandé au ministère de la présidence de présenter son dossier administratif dans un délai de 20 jours
Tribunal judiciaire de Marseille, Parc national des Calanques, 6 mars 2020
Par un jugement en date du 6 mars 2020, le Tribunal judiciaire de Marseille a condamné quatre braconniers à verser la somme de 350 000 euros au Parc national des Calanques au titre du préjudice écologique causé à l’écosystème des Calanques. Cette somme sera affectée en totalité à la réparation des atteintes à l’environnement.
En juillet 2018, divers groupes et associations – FNE PACA, FNE Bouches du Rhône, Sea Shepherd, l’Association pour la protection des animaux sauvages, le Comité Régional des Pêches Maritimes et des Elevages Marins de la région PACA et le Groupe d’études du Mérou – se constituent partie civile en raison de l’atteinte qu’ont porté quatre individus à leur mission statutaire. Ces derniers sont suspectés de pêcher illégalement dans les eaux protégées du Parc national des Calanques depuis quatre ans.
Deutsche Umwelthilfe c. République fédérale allemande, 2020
L’association allemande de défense de l’environnement « Deutsche Umwelthilfe », a intenté un recours contre l’État allemand en matière de lutte contre la pollution de l’air. Elle dénonce les insuffisances du plan national allemand de réduction des polluants atmosphériques et entend obtenir son renforcement. En 2018, 60.000 personnes seraient décédées prématurément à cause de la pollution de l’air en Allemagne. C’est le danger environnemental le plus important pour la santé en Allemagne. Pourtant, la qualité de l’air fait l’objet d’une réglementation importante au niveau européen, notamment au travers de la directive 2016/2284 concernant la réduction des émissions nationales de certains polluants atmosphériques dont découle pour chaque État membre l’élaboration d’un plan national sur la qualité de l’air.
Restriction des épandages agricoles, Conseil d’Etat, 2020
Le 20 avril 2020, le juge des référés du Conseil d’Etat a rendu une ordonnance dans laquelle il constate l’absence de carence du gouvernement dans la protection du droit à la vie et à la santé, dans une affaire dans laquelle le demandeur lui reprochait de ne pas avoir appliqué l’arrêté du 7 avril 2016 qui prescrit des mesures de restriction des épandages en cas de pic de pollution et de dépassement des seuils d’alerte. A l’occasion du confinement qui débute en France le 17 mars 2020, l’association nationale RESPIRE souhaite suspendre provisoirement, le temps de l’épidémie, les épandages agricoles.
Directive accès du public aux informations environnementales
Le 14 mai 2020, la Commission Européennea engagé une procédure formelle d’infraction contre la France, lui demandant de respecter ses obligations conformément à la Directive 2003/4 du 28 janvier 2003 sur l’accès du public à l’information environnementale. La France dispose désormais de 4 mois pour fournir une réponse détaillée, sans quoi la Commission peut décider d’envoyer un avis motivé, demandant que des mesures soient prises.La Commission Européenne peut engager régulièrement des « procédures d’infraction » contre les États Membres qui ne respectent pas leurs obligations en vertu du droit de l’Union européenne.
Renforcement de la lutte contre la pollution de l’air en Europe
La pollution de l’air serait responsable de 400 000 décès par an sur le territoire de l’Union européenne. A cela s’ajoute les effets néfastes de la qualité de l’air sur les écosystèmes.Le 5 mars 2020, le conseil de l’UE rend ses conclusions sur la qualité de l’air en Europe suite à deux ans d’évaluation des normes européennes en la matière. Si ce rapport souligne l’amélioration de la qualité de l’air depuis 2008 en raison des politiques européennes et du cadre législatif existant, ce dernier insiste sur l’importance de renforcer ces mesures législatives pour tendre à toujours plus d’efficacité.
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