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La Décision FIE contre Irlande : un important précédent pour la lutte contre le changement climatique ?
Par Pauline Greiner, membre de Notre Affaire à Tous Introduction « Cette décision mémorable reconnaît le besoin pressant de répondre à l’urgence climatique et crée un précédent à suivre pour toutes les cours dans le monde » (1). C’est ainsi que David R. Boyd, Rapporteur Spécial de l’ONU sur les droits de l’Homme et l’environnement qualifie la décision rendue le 31 juillet 2020 par la Cour Suprême d’Irlande, annulant le plan national d’atténuation des émissions de gaz à effet de serre (GES) du gouvernement irlandais (2) et contraignant celui-ci à en adopter un nouveau. Ce plan, adopté en 2017 en application de la loi de 2015 sur l’Action Climatique et le Développement Bas Carbone (3) (ci-après « loi de 2015 »), est censé décrire les politiques mises en œuvre par le gouvernement sur la période 2017-2022 pour atteindre son « objectif national de transition » (ONT). Le plan est contesté après sa publication par l’association de protection environnementale Friends of the Irish Environment (FIE), qui le considère insuffisant et invoque la violation de droits constitutionnels tels que le droit à la vie, ainsi que d’un droit implicite à un environnement « compatible avec la dignité humaine », reconnu par la Haute Cour irlandaise un an auparavant (4). Plusieurs fois qualifiée « d’historique » (5), la victoire de FIE dans cette affaire est vue comme extrêmement encourageante pour l’évolution du contentieux climatique dans le monde. Pourtant, la décision ne reconnaît aucune violation des droits de l’Homme résultant de l’inaction climatique de l’État et écarte l’idée de l’existence du droit à un environnement sain. Si la décision de la Cour Suprême dans l’affaire FIE contre Irlande crée indéniablement un important précédent, particulièrement à l’échelle de l’Irlande (I), elle conserve néanmoins quelques limites (II). L’annulation de l’acte administratif : un important précédent pour l’évolution du contentieux climatique La « justiciabilité » de l’acte était un point très contesté par l’État en première instance : l’acte administratif que constitue l’adoption du plan par le ministre est-il examinable par le juge ? En effet, en vertu du principe de séparation des pouvoirs, qui en droit irlandais comme en droit français est un principe à valeur constitutionnelle, le juge ne peut s’immiscer dans les décisions de politiques publiques du gouvernement sous prétexte que celles-ci ne sont « pas adaptées ». En première instance, le défendeur (l’État) avait souligné que le plan d’atténuation ne créait de droits ni n’imposait d’obligations et qu’il constituait donc un simple énoncé de politique gouvernementale non susceptible d’être examiné par le juge (6). La Haute Cour avait également conclu que la marge de discrétion laissée au gouvernement par la loi de 2015 pour la mise en œuvre de ses politiques de réduction des émissions de GES ne permettait pas au juge d’estimer que le plan était insuffisant au regard de cette même loi (7). Cependant, les juges de la Cour Suprême ont adopté une autre approche. En effet, l’article 4 de la loi de 2015 énonce quelques conditions précises que doit satisfaire un plan d’atténuation pour être valable. Ainsi, le respect de ces règles relève de l’obligation légale et non de la discrétion du ministre. Les juges estiment donc que le plan est « justiciable » et peut être examiné au regard de la loi de 2015 (8). Ce passage de la décision est important puisque désormais, en Irlande, il sera admis que les actes du gouvernement pris conformément à la loi de 2015 sur l’action climatique sont examinables par le juge. Il convient cependant de noter que cette loi ne pose pas d’exigences quant à la forme que devront prendre les politiques climatiques mises en place. Puisqu’il s’agit d’évaluer le respect d’une obligation légale et non les choix politiques du gouvernement, les juges peuvent soumettre le plan à leur examen. L’article 4 de la loi de 2015 exige que le plan fournisse des détails quant à la manière dont le gouvernement se propose d’atteindre l’ONT sur la période donnée. La Cour Suprême utilise dans son analyse le standard, habituel en common law, de la « personne raisonnable » (9) pour évaluer la compatibilité du plan avec cette exigence de détail. Pour la Cour, le plan doit permettre à « une personne raisonnable et intéressée de juger de si le plan en question est réaliste et de savoir si elle approuve les choix de politiques mises en place pour atteindre l’Objectif National de Transition » (10). Elle constate alors que le plan d’atténuation se trouve « excessivement vague ou ambitieux » par endroits (11), l’empêchant d’atteindre le niveau de spécificité requis par la loi. C’est pour cette raison que la Cour Suprême décide de l’annuler. Cette décision établit un important précédent, au moins au niveau national. Un plan d’action climatique, pour être valable, doit être suffisamment transparent et détaillé, car c’est ce qui permet au public d’évaluer concrètement l’efficacité des politiques mises en place par le gouvernement et éventuellement de chercher à engager sa responsabilité. Cette décision clarifie l’obligation qu’a l’État irlandais d’atteindre un niveau satisfaisant de spécificité et de transparence dans ses futurs plans d’atténuation. Il sera désormais impossible pour le gouvernement de n’émettre que des objectifs de long-terme vagues sans détailler les mesures qui permettront de les atteindre, tout en invoquant la marge de discrétion pour éviter l’annulation de l’acte. La décision FIE constitue donc une première étape importante pour l’évolution du contentieux climatique en Irlande. En revanche, contrairement à ce que les requérants avaient pu espérer, elle ne passe pas le cap de la reconnaissance de la responsabilité de l’État pour violation des droits humains. Il convient donc d’examiner les limites de cette décision, qualifiée par beaucoup « d’historique ». Les limites de la décision FIE contre Irlande Malgré l’annulation de l’acte, la Cour Suprême a refusé de reconnaître la violation des droits humains protégés par la Constitution irlandaise et la Convention européenne des droits de l’Homme (CEDH), pour des raisons d’ordre purement procédural. En ce qui concerne les droits explicitement reconnus par la Constitution, FIE invoque la violation du droit à la vie (12) et du droit à l’intégrité physique (13). La Cour a bien reconnu que puisque l’acte était ultra vires …
L’Insuffisante protection européenne du droit à un environnement sain
Par Salomé Cohen, membre de Notre Affaire à Tous Introduction « Beaucoup d’autres combats sont à mener mais si celui-ci échoue, plus aucun autre ne pourra être entrepris» (1). Tout au long de son ouvrage, Aurélien Barrau place l’Humanité face à ses contradictions. L’une d’entre elles consiste à défendre les droits humains sans y inclure celui d’évoluer dans un environnement sain. Aujourd’hui, près de 9 millions de décès prématurés dans le monde sont dus à la pollution atmosphérique. Cette dernière réduirait davantage l’espérance de vie que l’alcool, le tabac ou les violences (2), sans parler de la dégradation de la biodiversité et de son habitat, à l’origine de la crise sanitaire que nous traversons. Au vu de ce constat, des droits aussi fondamentaux que le droit à la vie et le droit à la santé ne peuvent qu’être bafoués. Il est aujourd’hui évident que les atteintes à l’environnement – comprenant l’inaction face à la crise écologique – violent les droits humains, pourtant reconnus par toutes les nations. Mais rien n’y fait, la répression supranationale des infractions écologiques est au point mort. Le vendredi 24 mai 2019, la protection effective d’un droit individuel à l’environnement se heurtait à un nouvel obstacle : l’échec des négociations pour l’adoption du Pacte mondial pour l’environnement. Alors que des juristes du monde entier appelaient les Nations Unies à voter en faveur d’un texte juridiquement contraignant, c’est une simple déclaration politique qui fut acceptée. Pourtant, ce projet se contentait de rendre obligatoire des principes depuis longtemps reconnus par les États. A première vue, la situation ne semble pas plus favorable au niveau régional ; seule la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples consacre le droit des peuples à un « environnement satisfaisant et global, propice à leur développement » (3). La lettre de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales (ci-après CEDH) ne mentionne aucun droit à la protection de l’environnement ou à la préservation de la nature (4). Cet instrument a été amendé plusieurs fois, sans jamais que ne soit ajouté le droit à un environnement sain. Ce dernier vise pourtant le droit dont dispose chaque être humain de vivre et évoluer dans un milieu équilibré et respectueux de sa santé, de son bien-être et de sa dignité. Bien que ce droit à l’environnement soit dépourvu de valeur conventionnelle, la Cour européenne des droits de l’homme joue un rôle dans sa promotion à l’égard des 47 membres du Conseil de l’Europe. Le contentieux européen de l’environnement représente en effet quelque 300 décisions, oscillant entre interprétation extensive de la CEDH et affirmation de la marge nationale d’appréciation. UNE INTERPRETATION EXTENSIVE DES DROITS DE L’HOMME AU SERVICE DE L’ENVIRONNEMENT Les jurisprudences de la Cour européenne et de la Cour interaméricaine des droits de l’Homme sont sources d’espoir. Une approche par l’entremise des droits humains existants, conventionnellement garantis, est adoptée afin d’inciter les États à protéger le droit à un environnement sain. L’inexistence conventionnelle du droit individuel à l’environnement A l’époque où la CEDH fut adoptée, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les préoccupations environnementales n’étaient pas au cœur des débats. Il est donc compréhensible que le texte européen, dans sa première version, ne mentionne pas de droit individuel à l’environnement. Même si de nombreux protocoles sont venus modifier le texte d’origine, aucun d’entre eux n’ajoute mention d’un droit à l’environnement. Dans sa Résolution 1614, l’Assemblée parlementaire avait pourtant recommandé au Comité des Ministres « d’élaborer un protocole additionnel à la Convention européenne des Droits de l’Homme, concernant la reconnaissance de droits procéduraux individuels, destinés à renforcer la protection de l’environnement, tels qu’ils sont définis dans la Convention d’Aarhus (5) » (6). Faute de fondement conventionnel, les requêtes relatives à l’environnement furent systématiquement rejetées par la Commission européenne en raison de leur incompatibilité avec la compétence matérielle de la CEDH (7). Ce n’est qu’à partir des années 1980 que la Commission a progressé dans le traitement des requêtes environnementales (8). Ces avancées sont à nuancer. Face à l’afflux des requêtes, le système de tri en amont de l’examen de la recevabilité devient de plus en plus exigeant. Lorsque les conditions ne sont pas remplies, la requête est définitivement rejetée. L’absence conventionnelle du droit à un environnement sain ne place évidemment pas les requêtes qui y sont relatives en priorité. La consécration prétorienne d’un droit d’accès à la justice environnementale Afin de favoriser l’accès à la justice environnementale, la Cour européenne passe notamment par une substantialisation des droits procéduraux. Dans sa logique de prééminence du droit, elle examine l’effectivité réelle et concrète des droits procéduraux tels que le droit à un procès équitable (9) et à un recours effectif (10). Le respect de ces derniers sont essentiels à la protection des droits substantiels garantis par la CEDH et donc à la protection par ricochet du droit à l’environnement. Dans cette dynamique, la Cour a affirmé que l’impossibilité pour les requérants d’obtenir le contrôle d’une décision gouvernementale relative à leur droit environnemental constituait une violation de l’article 6 de la CEDH (11). Cependant, elle précise que le droit invoqué doit avoir un caractère civil et qu’un lien suffisamment direct avec le problème environnemental doit être établi. Or, en matière environnementale, établir ce lien est une difficulté de taille. Elle le reconnaîtra cependant dans des affaires où la célérité, le coût ou encore la disponibilité des procédures judiciaires posent difficulté (12). L’article 34 de la CEDH précise que la requête peut émaner de « toute personne physique, toute organisation non gouvernementale ou tout groupe de particuliers qui se prétend victime (…) ». En matière environnementale, la Cour étend cet accès aux associations environnementales qui jouent, selon elle, le rôle de « chien de garde », essentiel pour une société démocratique (13). Cependant, la Cour limite cet accès aux associations qui défendent un intérêt public général (14). L’accès à la justice environnementale se lit également à travers la liberté d’expression de l’article 10§1 de la CEDH. La Cour a affirmé « un net intérêt général à autoriser de tels groupes et les particuliers en dehors du …
OEIL – Le premier projet du groupe local lyonnais !
Le groupe local de Lyon lance son premier projet baptisé “OEIL – l’observatoire écosystémique des inégalités lyonnaises” ! Depuis sa création en 2015, Notre Affaire à Tous s’est intéressée aux victimes françaises du dérèglement climatique. Loin de l’idée reçue affirmant que le dérèglement climatique serait une menace globale et uniforme, la notion d’inégalité environnementale et climatique est au cœur de la lutte contre le changement climatique. Au sein de la Métropole de Lyon, les territoires les plus défavorisés sont aussi les plus exposés à des nuisances environnementales. Inégalités socio-économiques et environnementales se juxtaposent. Différents facteurs tels que l’âge, le sexe, et le statut social des individus, qui comprend leurs ressources économiques, culturelles et sociales, amplifient la vulnérabilité des individus face au changement climatique. Poursuivant le travail d’enquête sur les vécus climatiques dans cinq grandes villes françaises réalisé en 2019, Notre Affaire à Tous – Lyon lance une étude sociologique, en partenariat avec le Master Éthique, écologie et développement durable de l’Université Jean Moulin de Lyon, première étape du projet OEIL. Les étudiant-e-s du Master, guidés par les bénévoles du groupe local de Lyon, rencontrent les habitant-e-s du Grand Lyon, afin de répertorier leurs impressions, sur les thèmes de la santé, l’environnement, l’alimentation ou encore le réchauffement climatique. Le résultat de cette étude servira de base pour mener une réflexion approfondie sur l’amélioration des politiques publiques en termes d’urbanisme, pollution, santé publique, environnement… Doublé d’une étude écotoxicologique sur l’exposome – l’ensemble des pollutions auxquelles l’humain est exposé – Notre Affaire à Tous choisit de croiser des données sociologiques et scientifiques afin de comprendre précisément les impacts de la pollution sur les habitant-e-s de la Métropole de Lyon. L’association tient à s’unir à la sphère universitaire ainsi qu’à la recherche pour produire des études approfondies et ainsi développer du contenu et de la réflexion sur ce sujet encore trop peu exploité des inégalités socio-environnementales. En documentant et sensibilisant aux impacts du changement climatique, Notre Affaire à Tous interpelle les pouvoirs publics afin qu’ils prennent réellement en compte les risques climatiques pour la population. L’urgence climatique est déjà ressentie par les citoyen-ne-s et nous mettons nos forces pour que les politiques renforcent leur capacité d’action afin d’endiguer la crise climatique. Nous sommes convaincu-e-s que le sujet des inégalités socio-environnementales est indispensable pour définir des mesures environnementales fortes adaptées à la réalité des citoyen-ne-s et propres à chaque territoire.
Lutter contre le changement climatique par la désobéissance civile, un état de nécessité devant le juge pénal ?
Par Paul Mougeolle et Antoine Le Dylio Résumé Face à la crise climatique, assistons-nous aux prémices d’une légitimation par les tribunaux de certains actes de désobéissance civile non violents ? Le tribunal de grande instance de Lyon semble s’engager dans cette voie, puisqu’il a prononcé la relaxe de deux militants prévenus du chef de vol en réunion à la suite du décrochage d’un portrait du président de la République dans la mairie du deuxième arrondissement de Lyon. En réaction aux débats suscités par ce jugement, ce commentaire interroge la possibilité de voir l’état de nécessité prospérer dans le contexte d’urgence environnementale. Introduction À la suite du décrochage du portrait du président de la République par des militants écologistes, largement relayé par les réseaux sociaux, la mairie du deuxième arrondissement de Lyon déposait plainte pour vol en réunion le 21 février dernier. Le portrait enlevé en présence de la presse n’a pas été restitué et serait conservé dans un lieu tenu secret afin d’être brandi lors de futures manifestations en faveur de la protection du climat. Les prévenus soutenaient qu’au regard des connaissances scientifiques actuelles, les accords internationaux et les voies légales empruntées demeurent insuffisants puisqu’ils ne permettent pas d’instaurer une politique efficace de lutte contre le changement climatique. En conséquence, des actions non violentes de désobéissance civile seraient selon eux nécessaires. Devant la catastrophe climatique annoncée, leur avocat plaidait donc la relaxe au nom de « l’état de nécessité ». Cette interprétation a été rejetée en bloc par le ministère public qui requérait leur condamnation à une amende de cinq cents euros. Au terme d’une argumentation singulière, le juge a prononcé la relaxe des prévenus. Certains titres de presse se sont alors fait l’écho de la reconnaissance d’un état de nécessité (1), mais cette affirmation doit être nuancée. La motivation du jugement s’inscrit certes dans l’esprit de cette notion – et les critères exigés apparaissent en filigrane – mais le juge n’y fait pas explicitement référence, sauf lorsqu’il expose la défense des prévenus. L’état de nécessité est admis pour la première fois comme cause exonératoire de responsabilité en 1898, par le « bon juge » du tribunal de Château Thierry (2), dans une affaire impliquant une mère de famille qui avait volé du pain « sous l’irrésistible impulsion de la faim ». Il faudra attendre la réforme de 1994 pour que le législateur introduise cette notion dans le Code pénal. L’article 122-7 prévoit désormais que « n’est pas pénalement responsable la personne qui, face à un danger actuel ou imminent qui menace elle-même, autrui ou un bien, accomplit un acte nécessaire à la sauvegarde de la personne ou du bien, sauf s’il y a disproportion entre les moyens employés et la gravité de la menace. » En l’espèce, pour retenir l’état de nécessité, le juge devait déterminer, d’une part, si les conséquences du changement climatique constituent pour les prévenus un danger actuel ou imminent (I/) et, d’autre part, si le décrochage de portraits du président de la République constitue une réponse nécessaire et non disproportionnée (II/). I/ – Un danger actuel ou imminent à identifier : le changement climatique ou l’insuffisance des politiques publiques ? La reconnaissance de l’état de nécessité suppose en premier lieu qu’un danger actuel ou imminent menace la personne qui accomplit un acte nécessaire à sa propre sauvegarde, à celle d’autrui ou celle d’un bien. Le juge n’hésite pas à qualifier le dérèglement climatique de danger grave, actuel et imminent (3), et la communauté scientifique s’accorde sur ce fait. En particulier, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) a publié en décembre 2018 un rapport spécial (4) relatif aux effets d’un réchauffement climatique de 1,5 °C, dont les conclusions sont sans appel : les dangers encourus au-delà d’un tel réchauffement planétaire moyen sont non seulement « imminents », puisque cette situation surviendrait entre 2030 et 2050, mais surtout excessivement graves, tant pour les personnes que pour leurs biens. De surcroît, les effets du dérèglement sont déjà sérieusement perceptibles, y compris en France où canicules, sécheresses et incendies se multiplient en période estivale alors que le réchauffement moyen n’est que d’un degré. Le juge relève que ce dérèglement « affecte gravement l’avenir de l’humanité » mais également « l’avenir de la faune et de la flore ». Cette motivation s’inscrit pleinement dans la thèse, soutenue par la doctrine (5) et de nombreux recours (6), selon laquelle les États sont tenus à une obligation de lutter contre le changement climatique en raison d’atteintes sur l’environnement, mais aussi des atteintes aux droits fondamentaux des personnes, desquels se déduirait le droit de vivre dans un système climatique soutenable. Le droit à la vie est même convoqué à demi-mot par le magistrat lorsqu’il affirme que l’État ne respecte pas ses objectifs « pouvant être perçus comme minimaux dans un domaine vital ». Le changement climatique représenterait donc selon le juge un danger grave, qui est actuel ou imminent. Mais dans le contexte de la présente affaire, admettre l’état de nécessité suppose en toute rigueur que ce soit la carence de l’État en matière climatique qui constitue un danger actuel ou imminent, ou au moins qu’elle y participe, dans la mesure où c’est au regard de cette carence que sera analysée l’adéquation des actes des prévenus. Le juge s’attache alors à caractériser la carence de l’État en relevant trois manquements corroborés par des données institutionnelles (Eurostat, SNBC, Commissariat général au développement durable). D’abord le dépassement de la trajectoire de réduction des émissions de gaz à effet de serre fixée par la Stratégie nationale bas-carbone (SNBC) ; ensuite les manquements en matière de déploiement des énergies renouvelables ; et enfin l’échec de l’amélioration de la performance énergétique. Les personnes interrogées en qualité de témoin lors de l’audience avaient souligné cette carence : Wolfgang Cramer, scientifique en écologie globale, avait affirmé la nécessité d’un changement rapide de notre modèle de société pour limiter la hausse des températures. Quant à Cécile Duflot, militante écologiste, directrice d’Oxfam et ancienne ministre du Logement, elle a rappelé que des recours ont été engagés pour mettre fin à l’inaction de l’État, à savoir le recours en responsabilité dit « l’affaire du siècle » (7) porté devant le tribunal administratif de …
Les impacts de la loi relative au devoir de vigilance sur la gouvernance des entreprises multinationales
Article écrit par Paul Mougeolle, membre de Notre Affaire à Tous, juriste doctorant, Université Paris Nanterre Article publié dans le cadre du Séminaire EnCommuns qui s’est tenu le 17 mars 2019 sur le thème « La loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères de 2017, une nouvelle obligation pour les multinationales d’ entreprendre en commun ? ». 1. Introduction Comparée aux premières lois relatives à l’abolition de l’esclavage à la fin du XVIIIème siècle ou celles sur les droits sociaux des travailleurs du XIXème siècle (1), la loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre représente un grand bond en avant en matière de responsabilité des multinationales. En effet, cette loi oblige les grandes entreprises à établir publiquement une véritable politique de vigilance afin de prévenir les atteintes graves aux droits de l’homme et à l’environnement, et ce tant en France qu’à l’étranger. L’objectif de la loi est donc à la fois simple et ambitieux : il s’agit de rendre « la mondialisation plus humaine » (2) en essayant notamment de mettre fin à l’esclavage moderne (3) et d’éviter de futures catastrophes industrielles telles que l’on a connues avec l’effondrement du Rana Plaza en 2013 au Bangladesh (4), de l’explosion de l’usine Bophal en Inde dans les années 1980 ou celle d’AZF en France et les multiples marées noires comme par exemple celle résultant du naufrage de l’Erika (5). Afin de parvenir à remplir cet objectif, un dispositif légal introduisant un changement radical du statut quo était nécessaire. Une proposition de loi sur le devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre a donc étéproposé par des députés de la majorité. Celle-ci a suscité nombreux débats et navettes parlementaires entre 2013 et 2017. A la toute fin du mandat de F. Hollande, près de trois ans et demi après le dépôt initial, la loi fût finalement promulguée le 27 mars 2017. Cela a marqué la fin d’un parcours semé d’embûches, car son entrée en vigueur était compromise jusqu’au bout. En effet, en raison du blocage du Sénat, du désaccord de la commission mixte paritaire et du manque de soutien du gouvernement, la proposition de loi n’aurait pu jamais voir le jour. Suite au compromis trouvé entre les députés de la majorité et le gouvernement après le départ de l’ancien ministre de l’économie Mr. Macron, le texte a pu être imposé malgré tout à l’Assemblée Nationale (A.N.) en lecture définitive. Cependant, l’étape du passage du texte devant le Conseil constitutionnel en raison de la saisine des 60 députés et 60 sénateurs de l’opposition était extrêmement redoutée à cause de la jurisprudence constitutionnelle particulièrement protectrice du principe de la liberté d’entreprendre des entreprises. Le Conseil avait même censuré une disposition de la loi Sapin 2 très similaire au devoir de vigilance à peine quelques mois plus tôt, et ce sur le fondement de ce principe (cf. il s’agissait d’une obligation faite aux grandes entreprises de divulguer publiquement leurs bénéfices non taxés dans des paradis fiscaux (6). La pression de la société civile a vraisemblablement pesé car le Conseil constitutionnel s’est manifestement détaché de sa jurisprudence antérieure (7). Juliette Renaud, seconde intervenante lors du séminaire, ajouta qu’il s’agissait d’une réelle surprise : les communiqués de presse préparés en avance étaient très pessimistes, et à cause de la censure de la disposition relative à l’amende civile de 10 à 30 millions d’euros (8), qui s’avère à première vue importante, les médias avaient titré que la loi a perdu son caractère contraignant (v. article des Echos, « Devoir de vigilance : le Conseil constitutionnel vide la loi de sa substance » (9). Cette censure partielle n’entame pourtant en rien la structure de la loi (cf. communiqué de presse collectif des associations et syndicats mobilisés sur la loi –: « Devoir de vigilance : le Conseil constitutionnel valide l’essentiel de la loi, un pas historique pour la protection des droits humains et de l’environnement, un signal fort pour l’Europe et l’international » (10). En tout état de cause, l’entrée en vigueur de cette loi avait fait grand bruit à l’international dans le domaine du businness & human rights (11). Celle-ci a même inspiré la première version officielle du Traité de l’ONU sur les entreprises transnationales et les droits de l’homme (12) et les experts juridiques évoquant assez unanimement une loi pionnière (13). Pour la première fois en France et dans le monde une règle de droit établit un régime de responsabilité des sociétés mères sur leurs filiales et leurs chaînes de sous-traitance. Le régime antérieur faisait prévaloir l’irresponsabilité en raison de l’indépendance de la personne morale (« voile » de l’autonomie de la personne morale, « corporate veil » en anglais) : la filiale est légalement autonome de la société mère, malgré la relation de contrôle. Juliette Renaud ajouta qu’il est possible et largement répandu dans le monde des affaires de faire remonter les profits vers la société mère, mais lorsqu’un dommage survient, les entreprises plaident la déconnexion légale entre la mère et les filiales ou sous- traitants ; l’objectif de la loi était donc de réconcilier les réalités économiques et juridiques. 2. Dispositions principales de la loi sur le devoir de vigilance Les rédacteurs de la loi n’ont pas opté pour une formulation très claire en ce qui concerne son champ d’application personnel. Quoi qu’il en soit, la loi concerne les sociétés mères et entreprises donneuses d’ordre constituées en sociétés anonymes (14) ainsi que, par l’effet de renvois du Code de commerce, les sociétés commanditées par actions (SCA) et les sociétés européennes (SE). Il y a en revanche un débat sur l’inclusion des sociétés par actions simplifiées (SAS) (15). Ensuite, pour qu’une société mère soit soumise au devoir de vigilance, celle-ci doit employer en France « au moins cinq mille salariés en son sein et dans ses filiales directes ou indirectes » ou plus de « dix mille salariés en son sein et dans ses filiales directes ou indirectes » en France et à …
Quatorze témoignages de citoyens et citoyennes impacté-e-s par le dérèglement climatique !
Les dérèglements climatiques menacent les droits fondamentaux des citoyens français et ont un impact différencié selon les régions, les groupes sociaux et les secteurs d’activités. Nous donnons la parole à 14 personnes dont les vies sont déjà affectées par le dérèglement climatique. Ces témoignages illustrent l’ampleur de la crise climatique. Lire le rapport "Un Climat d’inégalités" Témoignage entier Ewilan Témoignage entier Marie Témoignage entier Jean-Louis Témoignage entier William Témoignage entier Alexis Témoignage entier Ricardo Témoignage entier Jean-François Témoignage entier Paulo Témoignage entier Ambre Témoignage entier François Témoignage entier Maurice Témoignage entier Raphaël Témoignage entier Jean Témoignage entier
CP / “Un climat d’inégalités” : un rapport inédit sur les impacts inégaux du dérèglement climatique en France
Le mercredi 9 décembre 2020 l’association Notre Affaire à Tous publie son rapport Un climat d’inégalités. Celui-ci met en lumière un phénomène encore trop peu documenté : les inégalités climatiques sur le territoire français. Ce rapport de 140 pages part d’un constat simple : 5 ans après la signature de l’Accord de Paris par la France, les actions ambitieuses en matière climatique se font toujours attendre et l’accélération du changement climatique pèse de manière inégale sur la population française. Le rapport publié par l’association met en lumière les conséquences désastreuses de ce retard. Il y a 5 ans, l’Accord de Paris introduisait pour la première fois le terme de justice climatique dans un traité international. La justice climatique se distingue des approches purement physiques et environnementales des changements climatiques en privilégiant une approche en termes de justice et d’équité face au dérèglement climatique. Aujourd’hui sur le territoire français, la justice climatique est encore loin d’être accessible et les inégalités se creusent. Le rapport “Un climat d’inégalités” les documente, les analyse et présente des pistes de travail qui devraient être au cœur de la politique climatique. Le changement climatique se nourrit des inégalités et les renforce Si le dérèglement climatique nous menace tou·te·s, il existe des différences d’impacts. Certaines populations et certains territoires sont plus exposés et plus vulnérables aux conséquences des changements climatiques. Ces inégalités climatiques peuvent être territoriales : les territoires montagneux, les littoraux, les territoires d’Outre-mer sont ainsi plus vulnérables. D’autres inégalités climatiques sont le résultat de structures sociales inégalitaires : inégalités socio-économiques, rapports de domination hommes/femmes, discriminations raciales etc. Par ailleurs, les conditions socio-économiques déterminent également la capacité des populations et des territoires à s’adapter aux changements climatiques. Les impacts différenciés du dérèglement climatique créent ainsi des inégalités climatiques qui viennent renforcer des inégalités sociales déjà existantes. Les citoyen·ne·s français·e·s, déjà exposé·e·s aux risques climatiques Alors que le phénomène est connu au niveau mondial, en France, les inégalités climatiques sont méconnues et peu documentées. Pourtant celles-ci se creusent. De 1999 à 2018, la France a été le 15ème pays le plus à risque face au dérèglement climatique à l’échelle mondiale et le premier à l’échelle européenne. Six Français·e·s sur dix sont déjà concerné·e·s par les risques climatiques. Il existe une triple peine. Alors que les plus pauvres ont une plus faible empreinte carbone, ils souffrent plus des conséquences : plus exposés aux risques climatiques, ils ont également moins de moyens pour y faire face et sont disproportionnellement impactés par la fiscalité environnementale. “Cinq ans après l’Accord de Paris, deux ans après le lancement de l’Affaire du Siècle et de la mobilisation des gilets jaunes, les citoyen·ne·s payent le prix de l’inaction climatique et les inégalités se creusent. Aujourd’hui, notre combat va au-delà des tribunaux. Ce que nous portons, c’est la justice environnementale et sociale. Si on agit, c’est pour rendre justice aux plus précaires, pour que personne ne soit laissé de côté. Après ces années critiques de défaillances climatiques, la réalité des inégalités climatiques et l’impératif de justice sociale doivent guider l’élaboration de politiques publiques pour permettre à toutes et tous de vivre dans une société de justice”. Clothilde Baudouin, responsable du projet “Inégalités climatiques” à Notre Affaire à Tous Quatorze citoyen·ne·s témoignent “L’érosion marine est de plus en plus fréquente. Dans nos métiers, nous sommes directement tributaires de l’environnement naturel. Déplacer nos productions vers le large est une manière de s’adapter… pour un temps… au changement climatique”.Jean-François Périgné, mytiliculteur sur l’île d’Oléron “Les sécheresses et les périodes de fortes chaleurs de ces dernières années rendent les saisons irrégulières et pénalisent nos cultures”.Raphaël Baltassat, agriculteur en Haute-Savoie Des conséquences en termes de droits fondamentaux, de conditions de vie et de santé, à la mise en danger des secteurs les plus vulnérables de notre économie, le rapport “Un climat d’inégalités”, ainsi que ses témoignages, dressent un panorama des inégalités climatiques en France, rappelant le lien intrinsèque entre enjeux sociaux et écologiques et la nécessité d’une transition juste. Contacts presse : Cécilia Rinaudo, Coordinatrice Générale : 06 86 41 71 81Clothilde Baudouin, Responsable du projet Inégalités Climatiques : 06 09 73 39 39 Lire le rapport complet
CP / Une plainte à la Commission Européenne pour signaler les atteintes françaises au droit de l’environnement
Vendredi 4 décembre 2020 – Communiqué de presse Notre Affaire à Tous dépose une plainte à la Commission européenne pour signaler les atteintes françaises au droit de l’environnement. Cette plainte porte sur le décret du 8 avril 2020 contre lequel l’association a déposé un recours devant le Conseil d’État le 27 mai dernier. En l’absence de réponse de l’État et en l’attente du jugement, l’association saisit la Commission européenne. Pour appuyer cette demande, 19 eurodéputé.e.s saisissent les commissaires européens de la même alerte. Pour Notre Affaire à Tous, il y a urgence : ce décret, adopté en plein confinement, permet aux préfets de contourner les normes existantes pour prendre des décisions dans des domaines étendus, tels que l’aménagement du territoire, l’environnement et la construction, ainsi que l’octroi de subventions. La plainte se base sur le fait que l’application d’un tel décret contreviendrait aux directives Projets, Habitats, Eau etc. en n’assurant pas en amont d’un projet une évaluation environnementale permettant de répertorier les effets de ce projet sur l’environnement. Mais aussi à la Charte européenne des droits fondamentaux et notamment en matière de recours effectif au juge, sujet sur lequel la Commission travaille déjà en matière environnementale. Alors que le Parlement Européen dessine cette année les contours de la Climate Law, la France persiste dans son mouvement de détricotage du droit. En effet, depuis avril, des sites clés en main aux procédures accélérées ont été annoncés, les examens au cas par cas de l’opportunité d’une étude d’impact ont été confiés aux Préfets, la nomenclature sur les installations classées a été abaissée et la loi ASAP transformant certaines enquêtes publiques en consultations dématérialisées a été adoptée fin octobre. “Saisir la justice à l’échelle européenne permet de rappeler au gouvernement, que le détricotage du droit de l’environnement a des limites : le droit européen.”Chloé Gerbier, juriste de l’association En mai dernier deux eurodéputés grecs, Petros Kokkalis GUE et Jutta Paulus Greens, alertaient les commissaires européens sur la législation régressive en matière d’environnement de leur pays. C’est aujourd’hui la même démarche qui habitent les 19 eurodéputé.e.s français qui soulignent dans leur lettre la situation française alarmante vis-à-vis du droit européen en matière environnementale. Ils demandent par celle-ci aux commissaires de bien vouloir saisir la Commission des problématiques posées par le décret n° 2020-412 du 8 avril 2020 relatif au droit de dérogation reconnu au préfet. Alors que l’Etat semble ignorer les illégalités relevées à l’échelle nationale devant le Conseil d’Etat, la saisine par une diversité d’acteurs de l’échelle européenne donne l’espoir qu’une telle dérogation au droit de l’environnement puisse être annulée. Contact presse :Chloé Gerbier : 06.46.43.55.09 Lire le communiqué en PDF Lettre des eurodéputé-es Liste des euro-député-e-es ayant signé la lettre MARIE TOUSSAINT, GREENS / EFAMOUNIR SATOURI, GREENS / EFACLAUDE GRUFFAT, GREENS / EFADAVID CORMAND, GREENS / EFAMICHÈLE RIVASI, GREENS / EFACAROLINE ROOSE, GREENS / EFABENOIT BITEAU, GREENS / EFAFRANSISCO GUERREIRO, GREENS / EFASVEN GIEGOLD, GREENS / EFADANIEL FREUND, GREENS / EFAMILAN BRGLEZ, GREENS / EFATILLY METZ, GREENS / EFADAMIEN CARÊME, GREENS / EFAERNEST URTASUN, GREENS / EFAMANUEL BOMPARD, EUROPEAN UNITED LEFT – NORDIC GREEN LEFTSARA WIENER, GREENS / EFAROSA D’AMATO, MOVIMENTO 5 STELLEMANON AUBRY, EUROPEAN UNITED LEFT – NORDIC GREEN LEFTAURORE LALUCQ, PROGRESSIVE ALLIANCE OF SOCIALISTS AND DEMOCRATS
CP / Ecocide : le gouvernement pense-t-il réellement répondre aux attentes de la Convention citoyenne avec la création d’un délit d’écocide ?
Dimanche 22 novembre 2020 Alors qu’une réunion de conclusion du groupe de travail écocide doit intervenir demain entre la Convention citoyenne et les ministères de la Justice et de la Transition écologique, le gouvernement vient d’annoncer dans le Journal du dimanche la création d’un délit d’écocide.Le groupe écocide de la Convention Citoyenne, appuyé par Notre Affaire à Tous, Wild Legal et d’autres professionnels du droit, vise à retravailler la proposition de loi sur la reconnaissance du crime d’écocide publiée en juin dernier par la Convention citoyenne. L’objectif est de proposer une nouvelle définition du crime d’écocide pour répondre aux critiques formulées par le gouvernement sur l’imprécision et le manque de clarté de la loi pénale. En attendant la réunion de conclusion de ce groupe de travail qui doit avoir lieu demain avec les ministres Eric Dupond-Moretti et Barbara Pompili, ces derniers viennent tout juste d’annoncer, sans attendre cette rencontre, la création d’un délit d’écocide devant être intégré dans le projet de loi Parquet européen. “Nous répondons à l’interpellation des citoyens sur le crime d’écocide” se félicitent-ils. Or leur proposition est loin de respecter l’esprit du texte proposé par la Convention citoyenne. Le crime d’écocide ainsi que les limites planétaires, deux éléments pourtant fondamentaux soutenus par la Convention citoyenne, sont ainsi définitivement enterrés au profit d’un délit général d’atteinte aux eaux, aux sols et à l’air qui semblait déjà en cours de discussion au sein du gouvernement et qui ne répond pas, en tout cas pas pleinement, aux propositions citoyennes ni au défi environnemental et climatique. Les ministres se contentent donc de reprendre le terme d’”écocide” et de l’apposer sur un texte pour prétendre satisfaire aux exigences des citoyens, un bel exercice de communication auquel le gouvernement est habitué. Pour Marie Toussaint, de Notre Affaire à Tous: “Les ministres se saisissent enfin de l’enjeu crucial de la répression pénale des atteintes à l’environnement. Parmi les propositions formulées dans le JDD nous ne trouvons toutefois trace ni d’une approche écocentrée, ni de la condamnation des atteintes autonomes à l’environnement, c’est-à-dire sans qu’elles ne soient rattachées à la violation d’une règle en vigueur. Nous serons d’une extrême vigilance. La notion d’écocide ne doit pas être vidée de son contenu si l’on veut qu’elle protège correctement l’environnement et vienne sanctionner les crimes aujourd’hui commis en toute impunité” Pour Marine Yzquierdo, coordinatrice plaidoyer de Notre Affaire à Tous : “Ce délit général de pollution est sans rapport avec le crime d’écocide, censé punir les atteintes les plus graves à l’environnement en intégrant une approche écosystémique en référence aux limites planétaires. Ce délit devrait s’ajouter au crime d’écocide et non le remplacer. Reste une avancée intéressante avec la création d’un délit de mise en danger de l’environnement, mais le critère de “violation délibérée” est à discuter car s’il faut en plus que cela soit “manifeste”, cela posera une condition supplémentaire et donc limitera le champ de la répression » Il convient donc de connaître les amendements exacts au projet de loi Parquet européen qui seront proposés par le gouvernement. Valérie Cabanes, présidente d’honneur de Notre Affaire à Tous, ajoute : “Je suis très déçue concernant l’annonce du gouvernement français concernant la reconnaissance du crime d’écocide ce matin, avec fracas dans le JDD. Ce crime contre la sûreté de la planète dont la reconnaissance a été demandée par les citoyens de la Convention citoyenne pour le Climat en écho à la campagne menée par la Fondation Stop Ecocide a été relégué au rang de délit environnemental. Utiliser le terme d’écocide en le vidant de sa substance est un mauvais tour fait aux citoyens, en donnant l’illusion qu’ils ont obtenu ce qu’ils souhaitaient.” Un décryptage des mesures proposées par le gouvernement sera effectué après la réunion de conclusion avec les ministres, prévue demain midi. Contacts presse : Marine Yzquierdo : marine.yzquierdo@notreaffaireatous.com – 06.50.27.05.78Marie Toussaint : marie@notreaffaireatous.org – 06.42.00.88.68 Lire le communiqué en PDF Notre décryptage sur l’écocide
CP / Décision du Conseil d’État sur le recours de Grande-Synthe : une avancée historique pour le climat et pour la suite de l’Affaire du Siècle
Ce jeudi 19 novembre, le Conseil d’État a rendu une décision historique [1] dans le cadre du recours juridique de la commune de Grande-Synthe, dans lequel les quatre organisations de l’Affaire du Siècle (Notre Affaire à Tous, Fondation Nicolas Hulot, Greenpeace France et Oxfam France) interviennent. Cette décision marque une avancée décisive face à l’inaction climatique de l’État : les objectifs climatiques de la France et la trajectoire pour y parvenir deviennent contraignants. L’État français a trois mois désormais pour démontrer à la fois la crédibilité de la trajectoire annoncée et si les moyens qu’il a mis en place sont à la hauteur de ses engagements. Pour les organisations de l’Affaire du Siècle, intervenantes dans le dossier : « La décision du Conseil d’État rebat les cartes de la politique climatique de la France. En effet, en affirmant le caractère contraignant des objectifs de réduction d’émissions de gaz à effet de serre contenus dans la loi [2], la plus haute juridiction administrative met l’État face à ses responsabilités dans la crise climatique. C’est une véritable révolution en droit : les lois programmatiques sur le climat ont jusqu’ici été considérées par les gouvernements et parlements successifs comme de vagues promesses. Elles font désormais peser sur l’État une obligation de résultat, et l’engagent à mettre en œuvre des mesures concrètes et efficaces pour atteindre ces objectifs ». En quoi cette décision est-elle historique ? La loi de programmation qui fixe les objectifs climatiques de la France n’est plus une vague promesse, elle oblige. Le « droit mou » devient du « droit dur ». Le Conseil d’État, qui souligne le caractère a priori peu crédible de la trajectoire annoncée par le gouvernement, lui demande donc de rendre des comptes, effectuant ainsi, à la barre du tribunal, un véritable travail d’évaluation de politique publique. Ce travail pourrait déboucher non seulement sur un jugement, mais aussi sur une injonction d’adopter des actions de nature à atteindre l’objectif fixé. Le Conseil d’État procède à cette évaluation avant même que l’on soit au terme fixé par la trajectoire. Il reconnaît ainsi que les objectifs de 2030, 2050 ou 2100 se construisent dès maintenant. La décision est porteuse de changements concrets pour les opérateurs privés et publics : si à la suite de l’évaluation, le Conseil d’État estime que les actions sont insuffisantes, il pourra enjoindre l’État à agir. Cela peut se traduire notamment par de nouvelles réglementations, des mesures incitatives ou des mesures contraignantes. La France loin d’atteindre ses objectifs climat Les organisations de L’Affaire du Siècle ainsi que le Haut conseil pour le climat ont déjà souligné à plusieurs reprises que les trajectoires n’étaient pas crédibles et les actions de l’État insuffisantes. Entre 2015 et 2018 : le rythme de baisse des émissions de gaz à effet de serre a été quasiment deux fois plus lent que ce que la France aurait dû faire pour être sur la bonne trajectoire, suffisante et efficace, pour atteindre l’objectif de 40% de baisse des rejets de gaz à effet de serre en 2030 (-1,1% par an au lieu de -1,9%). Le premier budget carbone n’a pas été respecté, ni globalement ni sectoriellement pour les quatre principaux secteurs qui représentent plus de 85 % des émissions (transport, bâtiment, énergie et agriculture). La relève des budgets carbone 2019-2023 [3] dans les décrets Stratégie Nationale Bas Carbone (SNBC) est directement contraire à une recommandation explicite du Haut conseil pour le climat [4].La Commission européenne a d’ailleurs épinglé la France en septembre 2020, estimant qu’avec les mesures existantes, la France devrait manquer son objectif de baisse des gaz à effet de serre à 2030 de 11 points de pourcentage [5]. Des manquements que le Conseil d’Etat a lui aussi notés et soulignés dans son arrêt. Quelle suite pour l’Affaire du Siècle ? La prochaine décision à venir sur le recours de Grande-Synthe au Conseil d’État (en mars 2021, suite à l’évaluation menée sur les engagements de l’État) est fondamentale et déterminerait une potentielle victoire aussi pour l’Affaire du Siècle. En effet, le Conseil d’État est la plus haute juridiction administrative française et l’État n’a donc aucun recours contre ses décisions. Cette décision obligerait le Tribunal administratif à donner raison à l’Affaire du Siècle, a minima sur une partie de ses arguments. Mais surtout, l’Affaire du Siècle donnera la possibilité à la justice de préciser davantage la nature et l’étendue de la responsabilité de l’État. Le Tribunal administratif pourrait ainsi reconnaître un Principe général du droit, celui du droit à un système climatique soutenable et face à ce droit, l’obligation d’agir. Il s’agirait alors non plus d’une décision ponctuelle, mais d’une obligation générale qui s’imposera également au législateur et aux autorités administratives. De même, alors que le Conseil d’État a écarté les articles 2 et 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme, nous défendons l’idée que les droits climatiques doivent être reconnus comme étant des droits fondamentaux. Nous demandons également à la justice de reconnaître que le préjudice écologique peut bien s’appliquer à l’État. Enfin, l’Affaire du Siècle pourrait permettre de faire reconnaître des carences spécifiques de l’État, en particulier sur les objectifs sectoriels, par exemple sur l’efficacité énergétique, les énergies renouvelables, les transports, etc. Dans les trois prochains mois, l’Affaire du Siècle va faire appel à des experts pour déposer un nouveau mémoire démontrant l’inaction climatique de l’État, continuant ainsi à soutenir le dossier de Grande-Synthe pour obtenir qu’une injonction à agir soit prononcée à l’issue de cette nouvelle période d’instruction. Notes aux rédactions : [1] la décision du Conseil d’État [2] article 100-4 du code de l’énergie, suite à l’adoption de la loi pour la Transition énergétique et la croissance verte : “réduire les émissions de gaz à effet de serre de 40 % entre 1990 et 2030 et de diviser par quatre les émissions de gaz à effet de serre entre 1990 et 2050.” [3] les décrets 2020 ont relevé les plafonds de 398 Mt CO2eq à 422 Mt CO2eq. [4] “Nous recommandons que le niveau du deuxième budget carbone présenté dans ce …
Numéro 9 de la newsletter des affaires climatiques – Droit à un environnement sain
Chères lectrices, chers lecteurs, Voici la dernière newsletter des affaires climatiques de cette drôle d’année (pas d’inquiétude, nous revenons en janvier !). Une année pas comme les autres où la pandémie et les catastrophes naturelles nous donnent un avant goût de ce qui pourrait nous attendre dans les décennies à venir. Une année pas comme les autres, qui nous a, également, appris à ralentir et à nous concentrer sur l’essentiel. Une année pas comme les autres, qui ne se termine pas si mal, avec les résultats d’une élection présidentielle américaine qui, même s’ils ne nous donnent pas l’espoir d’une révolution en matière environnementale, nous offre un horizon “moins pire” que les années précédentes. Dans cette nouvelle lettre, nous vous proposons de lire la première partie d’une étude qui porte sur le droit à un environnement sain dans la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union européenne, où l’on découvre les difficultés de la Cour à reconnaître une véritable valeur normative à ce principe. Dans la partie “affaires climatiques”, vous trouverez les fiches d’arrêt de nouveaux recours juridiques, contre les Etats autrichiens, ougandais et espagnols. Dans la mesure où ils sont tout récents, aucun, n’a, pour l’heure, fait l’objet d’une décision de justice. Dans la partie “affaires environnementales”, la requête d’une association de protection de l’environnement allemande contre le Gouvernement de son pays pour sa carence en matière de lutte contre la pollution de l’air qui arrive en même temps que l’adoption par le Conseil de l’UE d’un rapport sur la pollution de l’air ; la mise en œuvre d’une procédure de la commission européenne contre l’Etat français lui demandant de respecter ses obligations en matière d’accès du public à l’information environnementale ; le jugement du Tribunal judiciaire marseillais sur le préjudice écologique ; et, enfin, la décision du juge des référés du Conseil d’Etat en matière de restriction des épandages agricoles. Nous vous souhaitons une très bonne lecture et nous nous retrouvons en 2021 ! Sandy Cassan-Barnel S’abonner à la newsletter Focus : le droit à un environnement sain en droit de l’UE L’article « L’application du « droit à un environnement sain » par la CJUE : une stratégie cohérente à amplifier » ne vise pas, à travers la notion indéterminée de « droit à un environnement sain », un champ du droit de l’Union, à savoir le droit environnemental de l’Union. Il n’étudiera donc ni l’ensemble, ni une partie du droit dérivé. L’article comprend cette notion comme un possible principe, de valeur constitutionnelle, permettant de contrôler l’ensemble des actes des institutions et des États membres. Dans un premier temps, il est question de savoir si un tel principe existe. La réponse est loin d’être claire. Il est néanmoins possible de répondre positivement, bien qu’il faille aussitôt ajouter que sa force normative est extrêmement faible. Dans un second temps, il est question de savoir si la CJUE n’a pas cherché à mettre en œuvre une stratégie qui permettrait de dépasser les faiblesses de ce principe. Autrement dit, dans l’impossibilité de l’invoquer efficacement de façon directe, n’est-il pas possible de l’invoquer de façon indirecte ? Il est finalement question, dans l’ensemble de cet article, de la manière dont la Cour met en œuvre le droit à un environnement sain : en ne le reconnaissant pas directement comme un véritable principe de droit, mais en lui garantissant indirectement une certaine effectivité. Il s’agit donc de rechercher, au travers d’arrêts variés et disparates de la Cour, cette stratégie. Lire l’article en entier Affaires climatiques internationales CEDH, 2 septembre 2020, Youth for Climate Justice Six jeunes portugais saisissent la Cour européenne des droits de l’Homme, en l’absence d’épuisement des voies de recours internes. Ils demandent à la Cour de se prononcer sur les atteintes à leurs droits fondamentaux, par les Etats défendeurs, pour avoir contribué à la crise climatique. Les requérant-es dénoncent la participation des défendeurs à la crise climatique, l’absence d’adoption de mesures promptes à enrayer cette crise, et l’incidence de cette participation sur la protection de leurs droits issus de la Convention européenne des droits de l’Homme. Procédure : le 2 septembre 2020, la CEDH est saisie. Lire la fiche d’arrêt Tsama William et al. v. Attorney general of Uganda Les requérant-es sont victimes et familles de victimes de glissements de terrains dans la région de Bududa, en Ouganda. Les requérants saisissent la Haute Cour. Ils contestent la carence des autorités locales et nationales dans l’adoption de mesures permettant de prévenir ou limiter les conséquences de ces glissements de terrain sur les droits fondamentaux à la vie. Le 3 décembre 2019, un glissement de terrain, faisant suite à de nombreux autres, engloutit les propriétés des requérants et cause vingt décès. Les victimes et familles des victimes, décident de saisir la Haute Cour de l’Ouganda. Procédure : le 15 octobre 2020, la Haute Cour du pays est saisie. Lire la fiche d’arrêt Cour suprême d’Espagne, Greenpeace et al. Le 15 septembre 2020, trois organisations non gouvernementales, Greenpeace Espagne, Oxfam Intermón et Ecologistas en Acción, ont assigné l’Etat espagnol en justice pour son manque d’ambition en matière climatique. Faisant suite à de nombreuses actions en justice similaires dans les pays européens, trois organisations non gouvernementales ont constaté le non-respect par l’Espagne de ses engagements internationaux. Elles ont donc saisi la Cour suprême d’Espagne afin de condamner l’Espagne pour son inaction dans la lutte contre le réchauffement climatique. Le 30 septembre 2020, la Cour suprême a admis la requête et a demandé au ministère de la présidence de présenter son dossier administratif dans un délai de 20 jours Lire la fiche d’arrêt Affaires environnementales Tribunal judiciaire de Marseille, Parc national des Calanques, 6 mars 2020 Par un jugement en date du 6 mars 2020, le Tribunal judiciaire de Marseille a condamné quatre braconniers à verser la somme de 350 000 euros au Parc national des Calanques au titre du préjudice écologique causé à l’écosystème des Calanques. Cette somme sera affectée en totalité à la réparation des atteintes à l’environnement. En juillet 2018, divers groupes et associations – FNE PACA, FNE Bouches du Rhône, Sea Shepherd, l’Association pour la protection des animaux sauvages, le Comité Régional des Pêches Maritimes et des Elevages Marins de la région PACA et le …
Recours climat de Grande-Synthe devant le Conseil d’Etat : vers un tournant majeur pour la justice climatique et pour l’Affaire du siècle ?
Pour les organisations de l’Affaire du Siècle : “Si le Conseil d’Etat suit l’avis du Rapporteur public [1], Stéphane Hoynck, le dossier de Grande-Synthe pourrait ouvrir la voie à une évolution majeure dans le droit environnemental français et à une victoire historique de l’Affaire du Siècle, qui obligeraient l’Etat à mettre ses actions en conformité avec ses engagements pour le climat ». Le Conseil d’Etat pourrait ainsi, pour la première fois en France, exiger de l’Etat qu’il rende enfin des comptes sur ses politiques climatiques, devant la justice. “Il ne faut pas attendre qu’une obligation de résultat soit reconnue dans ses carences, il faut faire en sorte de mettre en œuvre tous les moyens nécessaires pour agir » a souligné le Rapporteur Public. Si le Conseil d’Etat n’est pas satisfait des réponses qui lui sont données, parce qu’il apparaît que notre pays suit des trajectoires qui permettent déjà de dire que les objectifs fixés ne seront pas atteints, il pourra enjoindre l’Etat à adopter des mesures de nature à rétablir la trajectoire correcte. Ce serait une étape et une reconnaissance fondamentales dans le travail de l’Affaire du Siècle, qui depuis 2018 démontre, travaux scientifiques à l’appui, l’insuffisance des politiques climatiques actuelles de la France par rapport aux objectifs fixés à moyen et long terme. Le recours de l’Affaire du Siècle, dont l’instruction est clôturée, et pour lequel une date d’audience doit désormais être fixée, pourrait en outre faire reconnaître l’obligation de l’Etat à agir face à la crise climatique, et à protéger les Français.es, déjà affecté.es par les impacts des changements climatiques”. Notes aux rédactions : [1] Le Rapporteur Public demande une mesure d’instruction complémentaire “afin que soient produits dans un délai de 3 mois, tous éléments permettant de vérifier, eu égard au relèvement opéré par le décret n° 2020-457 du 21 avril 2020 [décret qui a relevé les plafonds de la SNBC], la cohérence de la trajectoire désormais prévue avec l’objectif de réduction du niveau des émissions de gaz à effet de serre produites par la France fixé par l’article L. 100-4 du code de l’énergie [-40% GES d’ici 2030 par rapport à 1990] et par l’annexe I du règlement (UE) 2018/842 du 30 mai 2018. [-37% GES en 2030 par rapport à 2005]”. Contacts presse : Clothilde Baudouin – Notre Affaire à Tous : +33 6 09 73 39 39Paula Torrente – Fondation Nicolas Hulot : + 33 7 87 50 74 90Kim Dallet – Greenpeace : +33 6 33 58 39 46Marion Cosperec – Oxfam France : +33 7 68 30 06 17
