
Révélations. Dès 1971, Total (à l’époque Total et Elf) a été averti de la possibilité d’un dérèglement climatique sans précédent aux « conséquences catastrophiques » dû à la production de combustibles fossiles !
Dans un article de recherche paru le 20 octobre, trois historiens documentent comment la multinationale a consciemment mis en place, au cours de ces 50 dernières années, des stratégies de fabrique du doute autour de l’urgence climatique afin de discréditer la science, et empêché, par un lobbying féroce, toute forme de régulation de leurs activités, en continuant à développer massivement et presque exclusivement les énergies fossiles
Pour mettre en lumière ces révélations, nous lançons, aux côtés de 350.org, la campagne de mobilisation #TotalMent, exigeons des décideurs publics de tenir la multinationale responsable et appelons les institutions financières à cesser de la financer !
D’où viennent ces révélations ?
Les recherches des trois historiens ont été déclenchées par la découverte d’une preuve directe de la connaissance par Total de savoirs scientifiques sur le changement climatique en 1971 : cette année-là, Total Information, le magazine de l’entreprise, à l’occasion du premier numéro consacré à l’environnement, publie un article intitulé « La pollution atmosphérique et le climat » (Durand-Dastès, 1971), qui souligne l’origine anthropique et l’impact des activités du groupe : « Depuis le XIXe siècle, l’homme brûle en quantité chaque jour croissante des combustibles fossiles, charbons et hydrocarbures », ayant pour conséquence une augmentation « préoccupante » du CO2 dans l’atmosphère, et alerte sur les « effets importants » et les « conséquences catastrophiques » que ce dérèglement climatique pourrait avoir. Il est rédigé par l’un des universitaires français les plus au fait de la littérature internationale sur le sujet à l’époque, François Durand-Dastès.
Cette découverte a été le point de départ de nouvelles recherches basées sur des sources primaires inédites d’archives de l’entreprise et d’entretiens avec d’anciens dirigeants et salariés, afin de savoir comment Total [et Elf avec qui la fusion s’est opérée en 1999] ont répondu à ces premières alertes scientifiques et aux politiques climatiques de régulation de l’industrie fossile depuis 50 ans.
La stratégie de fabrique du doute, de lobbying et de greenwashing
De 1971 à 1988 Total nie l’existence d’un dérèglement climatique
Entre 1972 et 1988, pendant 17 ans, le magazine Total Information ne mentionne plus jamais la question climatique. Dans les communications publiques de Total et Elf, le réchauffement climatique est minoré et l’impact des activités humaines sur ces dérèglements est nié. Pourtant, à l’époque, il ne s’agit pas d’un déni de la part de Total, mais bien d’une stratégie active de négation du changement climatique. En effet, en interne Total et Elf s’activent face à une menace pour leurs activités qu’ils perçoivent comme bien réelle. Ils créent leurs départements environnement en 1971, établissent via l’American Petroleum Institute des programmes de recherche sur le climat vers la fin des années 1970 et élaborent des pistes de stratégies défensives à partir du milieu des années 1980, comme le démontre par exemple un rapport annuel au comité de direction d’Elf en 1986 «De l’avis unanime des experts, tous les modèles prédisent le réchauffement climatique, mais l’ampleur du phénomène reste indéterminée. Bien sûr, les premières réactions ont consisté à « imposer des taxes sur les combustibles fossiles », il est donc clair que le secteur du pétrole devra, une fois encore, se préparer à se défendre » (Tramier, 1986).
De 1988 à 1996, Total créé le doute sur l’origine du dérèglement climatique
Face aux données et alertes scientifiques qui s’accumulent et sont de plus en plus difficiles à remettre en question, et dans un contexte où la communauté internationale s’organise pour faire face à ce que la revue Nature qualifie déjà en 1979 comme « l’enjeu environnemental le plus important aujourd’hui », la stratégie de Total de négation du changement climatique devient contre-productive. En coordination avec toute l’industrie fossile internationale, à travers des organisations comme l’IPIECA ou le « Groupe de travail sur les dérèglements climatiques dans le monde », Total opte pour une stratégie de fabrique du doute, à l’image des compagnies du tabac dans les années 1950. Il s’agit d’invoquer les incertitudes entourant les prévisions climatiques, la nécessité d’effectuer d’autres recherches, le coût des mesures politiques et d’autres politiques environnementales qui ne nuiraient pas aux intérêts des entreprises.
Cette stratégie de promotion de l’incertitude scientifique se comprend d’autant mieux quand on la place dans le contexte de l’énorme combat engagé par Total et Elf contre les taxes sur les énergies fossiles ou éco-taxes au début des années 1990, comme le confirme l’ancien directeur environnement de Total « Girault [directeur de la stratégie chez Elf] craignait que l’enjeu climatique aboutisse à nous imposer des taxes et il était anti-tax […] Il fallait bien s’appuyer sur des arguments, alors il s’appuyait sur ceux qui disaient que le problème climatique n’était pas grave » (Tramier, 24 novembre 2020). Un exemple particulièrement éclairant, documenté par l’article des chercheurs, est celui de la mise en échec par les industries fossiles de l’initiative d’écotaxe européenne en 1992, comme l’atteste par exemple un rapport interne par Elf où Francis Girault s’en félicite et souligne le rôle joué par le travail de lobbying réalisé auprès « d’interlocuteurs directs avec les cabinets ministériels et les administrations en France (Premier ministre, Finance, Environnement, Recherche et Affaires européennes) et auprès de la Communauté économique européenne ».
De 1997 à 2021, Total adopte la stratégie du "greenwashing"
L’article documente également le tournant opéré à la fin des années 1990 par Total qui décide d’adopter une position consistant à accepter publiquement la science du climat tout en œuvrant à retarder des décisions ou en promouvant des actions périphériques au contrôle des combustibles fossiles, le virage bien connu du « greenwashing ». Total et Elf cessent de contester trop ouvertement le consensus scientifique sur les dérèglements climatiques, mais adoptent plutôt des formulations ambiguës du réchauffement climatique, qui minimisent la fiabilité et la signification des éléments scientifiques. Ils communiquent sur les actions mises en place par l’entreprise pour faire face à la crise climatique, la non-nécessité de régulation, tout en continuant à investir massivement dans les énergies fossiles.
Aujourd’hui, Total est l’une des 20 entreprises fossiles ayant le plus contribué au dérèglement climatique depuis 1965 et malgré sa volonté de se renommer Total Energies, la multinationale pétrolière et gazière continue aujourd’hui à produire 447 unités d’énergies fossiles pour une seule d’énergies renouvelables.
Nos demandes suite à ces révélations
Nous demandons à TotalEnergies de :
- Reconnaître son rôle ainsi que sa responsabilité passée et présente dans le changement climatique
- Mettre immédiatement toutes ses ressources à disposition dans la transition énergétique, en réorientant leurs investissements vers les énergies renouvelables.
- Abandonner tout nouveau projet d’exploration et d’exploitation d’énergies fossiles dans le monde et anticiper la fermeture de certains de ses sites.
Nous demandons aux acteurs financiers :
- De s’engager à ne pas financer ni à assurer de nouveaux projets d’exploration et d’exploitation aux combustibles fossiles
- De rejoindre le mouvement mondial de désinvestissement des combustibles fossiles.
- A la BCE d’exclure Total et l’industrie fossile et les autres secteurs très polluants de ses programmes d’achat d’actifs.
Nous demandons aux pouvoirs publics français de :
- Faire toute la lumière sur la responsabilité climatique passée et présente de TotalEnergies en convoquant une commission d’enquête parlementaire
- Garantir l’application effective de la loi française sur le devoir de vigilance et la renforcer
- Soutenir l’internationalisation du devoir de vigilance des multinationales
Partagez la nouvelle !
Pour exiger un réel changement de paradigme et de réelles actions pour le climat, partagez ces révélations accablantes dans vos réseaux ! Nous exigeons des décideurs publics de tenir la multinationale responsable et demandons aux institutions financières de cesser de la financer. Soutenez l’initiative avec le hashtag #TotalMent. Combattez avec nous l’impunité de l’industrie fossile !
Nous revenons pour vous en vidéo sur les révélations #TotalMent, avec Laure Barbé de Notre Affaire à Tous et Clémence Dubois de 350.org !
Rendez-vous chaque mercredi pour une nouvelle vidéo pour tout savoir du contenu de ses révélations, de la stratégie climaticide de Total et des solutions pour la transition énergétique !