Fanny Giansetto, docteur en droit privé, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, nous présente les problématiques de détermination du juge compétent et de la loi applicable dans le cadre des recours climatiques, qui sont caractérisés par des causes et des impacts diffus, et met en lumière le caractère inadapté des règles actuelles.

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En effet, en vertu des règles de droit international privé françaises actuelles, la détermination de la juridiction compétente (devant laquelle une victime va pouvoir porter son recours) et la détermination de la loi applicable (en vertu de laquelle le recours va être jugé), dépendent du lieu du fait générateur du dommage et du lieu du dommage. Or, dans le cas du réchauffement climatique, les faits générateurs sont multiples et ont lieu dans de multiples endroits du monde. De même, les dommages peuvent arriver un peu partout dans le monde. L’application des règles telles qu’elles existent conduit à des questions sans réponse : la victime doit-elle saisir tous les juges de tous les lieux où il y a eu un fait générateur ? Un  juge qui aurait été saisi est-il compétent pour  juger tout le litige ?

Fanny Giansetto, plaide donc pour un renouveau du droit international privé : il pourrait être pertinent, pour déterminer la compétence du juge, de se fonder sur le lieu du domicile du défendeur voire même de créer une compétence internationale pour saisir la justice internationale. Concernant la détermination de la loi applicable, il pourrait être judicieux de désigner la loi la plus favorable à la victime.

François Lafforgue, avocat, Cabinet Teissonnière Topaloff Lafforgue Andreu et Associés, croit voir un certain infléchissement de la jurisprudence relative au lien de causalité favorable aux victimes, et se propose de faire un panorama des décisions  les plus récentes.

En matière civile, dans l’arrêt de la CJUE du 21 juin 2017 en matière de responsabilité du fait des produits défectueux, dans l’arrêt de la Cour de Cassation du 10 septembre 2017 (affaire du Médiator), ou encore dans la décision de la Cour de Cassation du 9 mars 2017 (contentieux sur la reconnaissance de maladies professionnelles), l’incertitude scientifique a été dépassée pour retenir le lien de causalité.

Même en matière pénale, où le lien de causalité est envisagé de façon très restrictive, on peut constater un léger assouplissement (affaire AZF – CA Paris, 31 octobre 2017 « fautes caractérisées qui auraient créées ou contribuées à créer la réalisation du dommage »).

En matière administrative, dans le cadre des recours liés aux algues vertes, les juridictions administratives ont admis l’existence d’un lien de causalité entre la prolifération des algues vertes et la carence fautive de l’Etat à agir.

Les techniques juridiques du faisceau d’indices (contentieux de la pollution de l’air) et des présomptions (contentieux du préjudice d’anxiété des personnes exposées à l’amiante) peuvent permettre de surmonter les difficultés à établir un lien de causalité.

Mathilde Vervynck, avocate FIDAL, revient sur les caractéristiques des pollutions diffuses (multifactorielles, effets répartis dans le temps, etc) et s’interroge sur leur compatibilité avec l’exigence de démontrer un lien de causalité (qui doit être établi pour engager juridiquement la responsabilité). Elle rappelle qu’en principe, pour établir la violation d’une obligation, il faut qu’une faute ait entraîné un dommage et qu’un lien de causalité direct et certain soit établi entre les deux. S’il y a des sources et des dommages multiples, la mise en oeuvre de ce principe est particulière difficile. Des théories classiques ont été développées pour surmonter les difficultés liées à l’établissement de la causalité et favoriser l’indemnisation des victimes : la théorie de l’équivalence des conditions et la théorie de la causalité adéquate, responsabilité in solidum, mais ces concepts classiques ne sont pas suffisants.

Chancia Plaine, juriste en droit de l’environnement, a participé à la recherche documentaire sur le contentieux climatique mondial (voir Ouvrage de Maître Christian Huglo à ce sujet), souligne l’existence d’une reconnaissance par le juge national du lien de causalité avec la science climatique depuis 2007. Celle-ci reste complexe, du fait de la fragilité de la science du climat et de ses incertitudes, ainsi que dans l’affaire Massachusetts v. EPA (États-Unis).

Le juge met en oeuvre un double lien de causalité : général qui vise les liens réels entre le facteur causant un dommage et le dommage lui-même ; individuel qui traite des facteurs et d’un dommage précis. Les juges éprouvent des difficultés à établir le lien de causalité individuel. Deux approches sont alors possibles :

    • l’approche dite flexible : les preuves sont basées sur les possibilités de survenance du risque ; les preuves sont basées sur un lien substantiel entre la cause et le dommage (affaire Klimaatzaak).
    • la théorie des dommages causés au public; le contentieux américain illustre cette dernière. Cette théorie est fondée sur les incertitudes scientifiques et économiques. Elle a permis au juge national de consacrer le lien de causalité aux Etats-Unis.

Le juge consacre toutefois progressivement un lien de causalité climatique : en 2007, dans l’affaire Massachussets v. EPA comme encore Greenpeace New Zealand v. Northland regional Council (Nouvelle-Zélande) où il a ordonné à l’Etat de réduire de 25% ses émissions de gaz à effet de serre d’ici 2020 par rapport aux années 90, en s’appuyant sur les données du GIEC. Ce fut à nouveau le cas dans l’affaire Urgenda en 2015.

De fait, le GIEC insiste dès 1995 sur la nécessité de prendre des mesures de précaution « réelles et adéquates ». Sur plusieurs recours (Klimaatzaak, Philippines, Pakistan) font effectivement appel au principe de précaution dans le droit national, allant jusqu’à la méthode procédurale de l’inversion de la charge de la preuve, comme en témoigne l’affaire Massachusetts v. EPA (États-Unis). De nombreuses difficultés restent à surmonter : solidarité passive des présumé-e responsables, présomption d’intérêt à agir, absence de fonds prévus pour l’indemnisation ou encore compétence du juge, fut-elle universelle ou non.

Depuis la salle, Michel Prieur souligne l’importance du droit et des jurisprudences en matière de droits humains pour le contentieux climatique, ainsi que le rôle des comités internationaux, certes non juridictionnels, mais disposant d’un grand impact sur les juridictions internationales. Tout comme Yann Aguila, il partage l’analyse du besoin d’un 3 Pacte international contraignant sur l’environnement afin de dépasser les limites étudiées au long de cette table-ronde.