En cette chaude après-midi ensoleillée du 10 mars 2023, la cloche retentit dans le lycée de la Plaine de l’Ain à Ambérieu-en-Bugey. Aujourd’hui, un procès fictif environnemental est au programme pour les terminales du cours de philosophie. 

Après une courte présentation de l’association Notre Affaire À Tous-Lyon et de ses missions de sensibilisation à la justice climatique, les consignes sont données. 

Du pétrole a été découvert  en plein milieu du lac de Miribielle  et une multinationale pétrolière, nommée “PetrolX”, vient tout juste de décrocher son permis d’exploiter le gisement auprès de la mairie de la commune ! Mais le projet n’est pas sans faire de remous parmi les citoyen.ne.s. Les associations “Vert de Lion” et “ Vivre à Miribielle” ont pris leur décision : cette fois, pas question de se laisser faire,  ils saisiront les juges.

Distribution d’un rôle par élève et d’un petit tas de cartes ressources en lien avec le sujet  pour chaque pôle puis le chronomètre se déclenche : une demi-heure seulement pour préparer sa plaidoirie en groupe ! Dans le pôle d’expertise et de jugement, la concentration est à son comble. Que peut bien signifier cette carte sur laquelle figure la hiérarchie des normes ? Comment un juge doit-il prendre sa décision ?  Et que fait un.e  expert.e scientifique rattaché.e au tribunal ? Trois mots sont maîtres pour dans ces deux professions :  impartialité, indépendance et justice. Côté pôle de quartier et pôle environnemental, les riverain.e.s et les militant.e.s sollicitent leurs avocat.e.s pour obtenir les meilleurs conseils. Comment réussir à préserver les systèmes vivants, humains et non-humains ?

“Comment réussir à préserver les systèmes vivants, humains et non-humains ? “

À l’autre bout de la salle, les politiques et les entreprises, locales ou multinationales se concertent. Le but est simple, trouver la faille de la partie adverse et anticiper leurs arguments pour défendre au mieux le projet de l’industrie “PetrolX”. 

17h, le temps est  écoulé. Place maintenant au procès. En ligne l’une en face de l’autre, les parties se toisent en attendant l’arrivée des juges. Le silence se fait et soudain la sonnette tintinnabule : “La Cour ! Levez-vous !” proclame le professeur, qui pour cette heure incarnera l’huissier de justice. Sur invitation, l’un des avocat.e.s de l’association de protection de l’environnement se lance et prend la parole devant ses camarades : “Il y a déjà une pollution de notre lac et de nos terres, mais ce projet ne va faire qu’amplifier cette pollution !”.  Pris dans sa tirade, il aligne les arguments : “Cette pollution nous empêchera de cultiver !” avant que Madame la Juge lui demande de bien vouloir conclure. Pas facile effectivement de condenser la réflexion de tout son groupe en une minute trente seulement. 

“Cette pollution nous empêchera de cultiver !“

“Pourquoi nous priver de cette opportunité, nous pourrions subir un préjudice économique si cette entreprise ne voit jamais le jour” rétorque Charli, dans le camp des défenseur.euse.s du projet. “La pollution de l’air atteint chaque année 4000 personnes, victimes de maladies respiratoires dans le bassin Lionnet”, rappellent les scientifiques, attachés à la réalité des faits, dans leur grande blouse blanche du TP de physique de l’heure d’avant. Alexandre, au soutien de la major pétrolière, s’indigne  “Aujourd’hui, le pétrole est indispensable à notre société, notamment dans les transports !”. À sa suite, Avril se félicite des efforts entrepris par cette société, actrice de la transition énergétique, qui s’engage à inscrire son activité pétrolière dans les Accords de Paris. “C’est un beau projet pour l’avenir” clame t-elle. Mais Lina constate la carence de ses élu.e.s, qui n’ont pas pris la peine de rechercher si une diversification d’activités économiques moins polluantes n’aurait pas eu pour effet de créer le même nombre d’emplois.  “Nous sommes contre ce projet, il aurait fallu faire des votes avec les citoyens avant d’accorder ce permis pour lequel nous n’avons même pas été consulté.e.s” exige une autre citoyenne, au nom de son droit de participation à l’élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement. Louis, entrepreneur,  termine en rappelant que “chaque projet se pense à long terme” avant que les juges ne passent à la deuxième étape du procès, celle des questions des magistrat.e.s aux parties. La définition  de l’intérêt général en tête, la juge Elisa s’interroge quant aux affirmations de l’entreprise PetrolX :  “Vous dites améliorer la qualité de vie des habitant.e.s, pourriez-vous préciser s’il vous plaît ?” 

“Chaque projet se pense à long terme”

Après les questions, s’ensuit un débat mouvementé entre les parties, qui, s’il ne respecte pas tout à fait le déroulé classique d’un procès, n’en reste pas moins crucial pour que chacun.e puisse tester la répartie de ses adversaires. Narquoise, l’écologiste Louna ironise lorsque l’un des représentant.e.s de PetrolX  lui parle de compensation carbone : “Les champs, c’est pas fait pour planter des arbres, alors où est-ce que vous allez les mettre vos arbres hein ?” La clochette tinte à nouveau et les juges quittent la salle d’audience pour délibérer. 

“Les champs, c’est pas fait pour planter des arbres, alors où est-ce que vous allez les mettre vos arbres hein ?”

Après quelques minutes de compte-rendu informel, à chaud, avec le reste de la classe, la porte s’entrebaille et l’huissier ramène l’ordre dans la salle. Le couverture de cuir rouge du Code de l’environnement brille sur le bureau, tout près des juges. La tension monte. La décision est prise : l’entreprise ne pourra s’installer qu’à la stricte condition de respecter le droit en matière de pollutions et de réduction des émissions de gaz à effet de serre. La décision détonne par rapport aux magistrat.e.s de la classe précédente. Ces dernier.e.s avaient préféré annuler le permis accordé par la mairie à PetrolX, par manque de preuve certaine de la dynamique économique sur la région qu’aurait engendré le projet.

Myriam, marquée par ce procès vient me confier à la fin de l’intervention : “Ça m’aurait aidée d’être dans l’équipe adverse, j’aurais pu vraiment plus sortir de ma zone de confort. Mais ce qui est sûr, c’est que ça nous a forcé.e à parler pour nous faire entendre !”.  Secouant de droite à gauche ses cheveux noirs entremêlés de rose, elle ajoute :  “ Même dans la réalité, on brade la vie des espèces protégées et des humains travaillant dans ce genre d’entreprise,  simplement pour de l’essence moins chère !”.

“ Même dans la réalité, on brade la vie des espèces protégées et des humains travaillant dans ce genre d’entreprise, simplement pour de l’essence moins chère !”

La sonnerie marque la fin du cours et Alessio, Lina, Myriam, Oscar, Mathis,Elisa et tous.tes les autres  retrouvent leur peau d’élève. Sac à l’épaule, livret de solutions à la main, ils et elles s’en vont profiter de ce week-end mérité en cette période de révision du baccalauréat. Et qui sait, peut-être que plus tard, quelques juristes-en-herbe devenu.e.s grandes plantes, iront défendre les intérêts du vivant au moyen du droit… 

Les bénévoles du groupe Education Sensibilisation à Notre Affaire À Tous – Lyon

10 mars 2023, Lycée de la Plaine de l’Ain,  Ambérieu-en-Bugey