Pour le huitième numéro de la newsletter des affaires climatiques, Notre Affaire à Tous fait un focus sur ce qu’impliquerait pour les droits humains, de protéger les droits de la nature ! La protection des droits de la nature doit-elle se faire au détriment de la protection des droits humains ? Ou, finalement, est-ce que cette nouvelle protection ne permet pas d’accroître la protection de l’ensemble des droits fondamentaux attachés à la personne humaine ?
Nous vous proposons ensuite un tour des affaires climatiques récentes. Malgré la pandémie, les recours juridiques climatiques et environnementaux n’ont pas faibli. Aux Etats-Unis, des batailles ont été gagnées contre la construction d’oléoducs visant à transporter du gaz de schiste. En Europe, des citoyens du Royaume-Uni, de l’Irlande et de la Suisse encouragent, par leurs recours, les juges à prendre position sur la question de la carence des Etats en matière de lutte contre la crise climatique ! Enfin, nous brossons un panorama des avancées de la France en matière de contentieux environnementaux : ces dernières semaines, deux tribunaux se sont prononcés sur des atteintes à l’environnement constitutives d’un préjudice écologique. Le Conseil d’Etat a aussi ordonné au gouvernement d’adopter des mesures afin de réduire la pollution de l’air sous astreinte et la société Lubrizol a été mise en examen pour “atteinte grave à l’environnement”. Preuve que l’outil juridique peut être un moyen efficace de lutte pour la protection de l’environnement.
Sandy Cassan-Barnel
Focus – La confrontation des droits de la nature et des droits humains
Reconnaître des droits à la Nature interroge notre rapport au monde. En effet, l’Homme moderne occidental, « maître et possesseur de la nature » l’apprivoise et la soumet pour l’exploiter. A cet état de fait, le droit de l’environnement oppose une autre vision du rapport de l’Homme à la Nature qui permet de corriger les abus de son exploitation par des garanties et protections.
En France, l’intégration de la Charte de l’environnement dans le bloc de constitutionnalité en 2004 et la création du préjudice écologique dans le Code civil reflètent cette « préoccupation environnementale ». Par ailleurs, la qualification juridique des biens environnementaux nourrit les réflexions doctrinales. Objet extérieur aux personnes, les entités naturelles ne sont pas non plus des choses. Leur qualification semble donc changer selon la façon dont l’Homme souhaite en disposer. S’il peut exercer son droit de propriété sur certaines choses, il en va différemment lorsque ces entités sont « protégées » par le droit de l’environnement. Dans la perspective française, les « biens communs » bénéficient ainsi d’une protection disparate, non unifiée. Ils ne sont qu’une partie d’un tout, jamais envisagés en tant que détenteurs de droits liés à leur valeur intrinsèque.
Pourtant, le dérèglement climatique, les catastrophes environnementales répétées, les conséquences manifestes de la surproduction et la surconsommation sont autant de signaux qui incitent à repenser cette construction juridique anthropo-centrée. Aussi, l’émergence de droits de la nature compris comme un « ensemble de règles reconnaissant et protégeant, au titre leur valeur intrinsèque, les entités naturelles et écosystèmes en tant que membres interdépendants de la communauté indivisible de la vie » révèle-t-elle ce changement de paradigme. Ainsi, il ne s’agit plus de considérer la Nature comme objet mais bien comme sujet de droit autonome, au-delà de ce que permet aujourd’hui le droit de l’environnement. Cette modification radicale de notre relation au monde sape la conception jusnaturaliste du droit qui sacralise l’universalité et l’inaliénabilité des droits humains. En effet, les droits humains sont des droits naturels qui font de l’Homme le fondement et le sujet primordial de notre système de droits et de garanties des droits. Cet édifice juridique ne peut être détaché d’une certaine dimension politique et économique des rapports de l’Homme en société et dans son environnement.
Affaires climatiques internationales
Friends of the Irish Environment v. Ireland – 31 juillet 2020
En 2017, l’association Friends of the Irish Environment (FIE) a déposé un recours contre le plan national d’atténuation des émissions de gaz à effet de serre (GES) du gouvernement irlandais au motif qu’il entrerait en violation de la loi sur l’action climatique de 2015 mais aussi de la Constitution irlandaise et de la Convention Européenne des Droits de l’Homme (CEDH), en particulier des droits à la vie, à l’intégrité physique et au respect de la vie privée et familiale. FIE demande à la Haute Cour (tribunal de première instance) d’invalider le plan d’action du gouvernement et d’enjoindre celui-ci à en adopter un nouveau. Leur requête est rejetée par un jugement du 19 septembre 2019.
FIE a alors demandé à ce que l’affaire soit entendue directement par la Cour Suprême. Le 31 juillet 2020, la Cour Suprême rend sa décision en faveur des requérants. Le plan d’atténuation du gouvernement est définitivement invalidé. Cela signifie que le gouvernement devra adopter un nouveau plan, plus précis et en accord avec la loi de 2015. En revanche la question d’une potentielle violation des droits de l’Homme n’a pas été abordée.
US District Court for DC, "Standing Rock Sioux Tribe v. Usace"
Les tribus amérindiennes Standing Rock et Cheyenne contestent l’octroi par l’US Army Corp of Engineers (USACE) de la servitude permettant à l’oléoduc Dakota Access de traverser le lac Oahe. Il est reproché à l’USACE d’avoir octroyé cette servitude sans établir un “environmental impact statement” ou EIS (étude d’impact environnementale), pourtant requis lorsqu’une construction affecte significativement l’environnement. La US District Court for DC (cour fédérale du premier degré) a annulé la décision d’accorder à l’oléoduc Dakota Access une servitude sur le lac Oahe et a ordonné sa fermeture sous 30 jours. En juin 2016, Dakota Access LLC lança la construction d’un oléoduc, transportant de l’huile de schiste entre le Dakota du Nord et l’Illinois et traversant les Etats du Dakota du Nord et du Sud ; de l’Iowa et de l’Illinois. La construction de l’oléoduc fut achevée en avril 2017. Elle suscita des manifestations à travers tout le pays en raison de son impact sur l’environnement et sur les pratiques religieuses des communautés locales, puisque le tracé de l’oléoduc devait traverser différents sites sacrés amérindiens.
Plan B Earth et autres contre le secrétaire d’Etat au transport
Le 27 février 2020, la Cour d’appel d’Angleterre et du Pays de Galles a invalidé la déclaration de politique nationale relative aux aéroports (ANPS) rédigée en 2018 et qui permettait notamment de lancer le projet de construction d’une 3ème piste à l’aéroport londonien d’Heathrow. L’illégalité relevée par la Cour était l’absence de prise en compte dans l’ANPS de l’Accord de Paris. L’autorité administrative devra donc revoir sa déclaration et y expliquer comment elle prend en compte l’Accord de Paris et les engagements pris par le Royaume-Uni, même si elle n’est pas tenue de s’y conformer.
La société opératrice de l’aéroport d’Heathrow a déposé un recours, jugé recevable, auprès de la Cour suprême contre cette décision.
Ainées pour la protection du climat contre Conseil Fédéral et autres
L’association suisse « Aînées pour la protection du climat » se constitue à l’été 2016 avec comme objectif de protéger les droits fondamentaux de ses membres, mais aussi celui de l’ensemble des êtres vivants et des générations à venir. Le 5 mai 2020, le Tribunal fédéral rejette le recours de l’association « Aînées pour la protection du climat » contre les omissions du gouvernement suisse en matière de protection du climat. Pour le Tribunal, les Aînées ne subissent pas un préjudice spécifique d’une intensité suffisante et le fondement invoqué étant un outil de protection juridique individuelle, il ne peut servir comme en l’espèce à une action en défense d’un intérêt public. Cette action pourra se déployer par les autres moyens de la vie institutionnelle et politique du pays.
Affaires et actualités environnementales
Conseil d’Etat, 10 juillet 2020, Pollution de l’air
Par un arrêt en date du 12 juillet 2017, le Conseil d’Etat avait annulé la décision implicite par laquelle le gouvernement avait refusé de prendre les mesures utiles et d’élaborer des plans conformes à la qualité de l’air ambiant et un air pur permettant de ramener sur l’ensemble du territoire les concentrations en particules fines et en dioxyde d’azote en deçà des valeurs limites. Par cette décision de 2017, le juge administratif avait enjoint le Premier ministre et le ministre chargé de l’environnement de prendre toutes les mesures nécessaires pour que soit élaboré et mis en œuvre un plan relatif à la qualité de l’air dans quinze zones.Estimant que la décision du 12 juillet 2017 n’avait pas été exécutée, Les Amis de la Terre, 68 associations, huit personnes physiques et une commune, ont saisi le Conseil d’État d’une demande d’astreinte.
Les requérants demandent ainsi au Conseil d’Etat de constater que la décision du 12 juillet 2017 n’a pas été exécutée et que soit prononcée à l’encontre de l’Etat, s’il ne justifie pas de l’exécution, une astreinte de 100 000 euros par jour de retard. Par un arrêt du 10 juillet 2020, le Conseil d’Etat enjoint au gouvernement d’adopter des mesures afin de réduire la pollution de l’air concernant les concentrations en dioxyde d’azote et particules fines sous astreinte de 10 millions d’euros par semestre de retard. Il s’agit du montant le plus élevé jamais prononcé par le juge administratif dans le but de contraindre l’Etat à exécuter sa décision.
Mise en examen de Lubrizol – 27 février 2020
Le 26 septembre 2019 à Rouen, un incendie démarre sur les sites des entreprises Lubrizol, fabricant d’additifs pour lubrifiants, et Normandie Logistique, société de transport routier. La ville de Rouen se réveille alors sous un important nuage de fumée toxique et odorante. Selon le rapport du gouvernement, cet incendie n’a pas engendré de pollution significative de l’air et de l’eau ou mettant en danger la santé des citoyens. Néanmoins, c’est plusieurs milliers de tonnes de produits dangereux qui ont brûlé. Un mois après le départ de feu, une enquête judiciaire est ouverte contre X pour sept chefs d’accusation dont notamment « destruction involontaire par incendie due à la violation manifestement délibérée d’une obligation de sécurité ou de prudence » et « mise en danger de la vie d’autrui ».
Suite à l’ouverture de l’enquête, la société Lubrizol a été mise en examen le 27 février 2020 par le parquet de Paris pour deux chefs d’accusation : le déversement de substances nuisibles dans les eaux superficielles, souterraines ou les eaux de la mer et pour manquement dans l’exploitation de son site ayant porté une atteinte grave à la santé et à l’environnement. La société Lubrizol a été placée sous contrôle judiciaire avec l’obligation de s’acquitter d’une caution de 375 000 euros et de constituer une provision à hauteur de 4 millions d’euros afin de pouvoir régler, le cas échéant, la réparation des dommages causés.
Sobegi contre Sepanso 64 – Tribunal judiciaire de Pau
La Sobegi, chargée du traitement des gaz résiduaires rejetés par les industries du Bassin de Lacq et filiale à 100% de Total, a été condamnée par le Tribunal judiciaire de Pau le 22 juin 2020. Elle devra réparer un préjudice écologique et un préjudice environnemental collectif à la Sepanso 64 qui avait déposé plainte en raison de dépassement des seuils de poussières rejetées par oxydateur thermique, système permettant l’incinération de déchets industriels liquides et d’effluents gazeux, à plusieurs reprises entre 2016 et 2017. Le juge a considéré que le simple dépassement d’un seuil établi par arrêté préfectoral, qui est « fixé pour protéger l’environnement et la santé humaine » constitue un préjudice écologique.
L’ambition de cette newsletter ? Donner les moyens à toutes et tous de comprendre les enjeux de telles actions en justice face à l’urgence climatique ! Abonnez-vous pour recevoir, chaque mois, les actualités et informations sur ces affaires qui font avancer, partout dans le monde,nos droits et ceux de la nature face aux dégradations environnementales et climatiques : le combat qui se joue dans les tribunaux est bien celui de la défense des pollués face aux pollueurs, nouvel enjeu du XXIe siècle.