Chères lectrices, chers lecteurs, 

Les bénévoles de Notre Affaire à Tous vous livrent un nouveau numéro de la newsletter des affaires climatiques vous offrant un panorama de l’état du droit climatique et environnemental actuel. Le focus de ce 11ème numéro porte sur la confrontation de la protection du droit de propriété avec la crise climatique et de la façon dont sa protection devra être, à l’avenir, repensée. 

Dans la partie “Affaires climatiques” de la newsletter, vous pourrez découvrir de nouvelles fiches d’arrêt portant sur les dernières affaires en cours dans le monde : la plainte contre Chevron pour greenwashing, la saisine réussie de la CEDH par de jeunes portugais, la mobilisation des jeunes canadiens et, enfin, la toute récente décision de la Cour de La Haye qui a condamné la compagnie pétrolière Shell à réduire ses émissions de gaz à effet de serre.

Pour ce qui est de la partie “droit de l’environnement” de la lettre, vous y trouverez un trio de décisions intéressant concernant l’application du devoir de vigilance aux actions des compagnies pétrolières ainsi qu’une note sur cette thématique mais, également, les commentaires de la décision du Conseil constitutionnel relative à la définition du préjudice écologique réparable, la personnalité juridique octroyée à la rivière Québécoise Magpie et, enfin, une note sur la décision de la Cour d’Appel de Bordeaux censurant pour excès de pouvoir une décision préfectorale obligeant un citoyen bangladais à quitter le territoire français et dont l’état de santé aurait été aggravé par la pollution atmosphérique dans son pays.

Nous vous souhaitons une très bonne lecture !

Focus : Crise climatique et atteintes au droit de propriété

Les pollutions de l’air, des sols, de l’eau, altèrent profondément nos conditions de vie et chassent progressivement nos espoirs d’un environnement viable et stable, propice à notre survie. Aussi, la protection de l’environnement apparaît-elle nécessaire afin d’assurer, d’une part, notre existence et, d’autre part, la coexistence des êtres humains sur Terre. Surtout, la plénitude d’exercice et de jouissance des droits humains fondamentaux tels le droit à la vie, le droit d’accès à l’eau ou encore le droit au respect de la vie privée et familiale est intimement corrélée au degré de dégâts causés par la domination de l’Homme sur son environnement.

Parmi ces droits humains fondamentaux figure le droit de propriété. Bien qu’il ne constitue pas un concept unifié en droit international, il n’en demeure pas moins un droit humain consacré et certainement l’un des fondements des rapports sociaux dans nos pays occidentaux libéraux. En outre, la propriété et les droits qui s’y rattachent catalysent un rapport de domination conceptualisé à travers la notion d’anthropocentrisme. Or la crise climatique actuelle, révèle les limites de ce système anthropocentré et renforce l’impérieuse nécessité de repenser nos rapports à notre environnement.

Dans cet article nous vous proposons de nous interroger autour des axes suivants : Penser la protection de l’environnement comme la « finalité ultime de l’action publique » et non plus comme une variable que l’on ajuste au gré de l’étendue de droits fondamentaux humains, est-il un projet socialement acceptable ? Est-ce à dire qu’il faille définitivement abolir le système libéral d’appropriation et d’aliénation de l’environnement ? Peut-on réellement repenser l’exercice du droit de propriété afin de suffisamment l’adapter aux impératifs environnementaux de notre temps ?

Affaires climatiques

Plainte contre Chevron pour greenwashing

Pour la première fois depuis l’institution des « green guides” de la Federal Trade Commission, une coalition d’ONG a saisi l’autorité de la concurrence afin de dénoncer le manque de cohérence entre la communication du groupe pétrolier Chevron et l’impact de ses opérations sur l’environnement. Les ONG arguent que la stratégie de communication de l’entreprise mise en place dépeint cette dernière comme plus engagée environnementalement et socialement qu’elle ne l’est en réalité, induisant volontairement les consommateurs en erreur.

Cette plainte est la première à se servir des guides verts de la FTC pour dénoncer des pratiques dites de greenwashing ou écoblanchiment contre un grand groupe fournisseur de combustibles fossiles.

L’affaire Youth for Climate Justice v. 33 pays

La Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) a été saisie par six jeunes portugais en septembre 2020. Ils dénoncent la violation de plusieurs de leurs droits, dont le droit à la vie, causé par le réchauffement climatique. Ils soulignent le lien direct entre le dérèglement climatique et les feux de forêt de plus en plus fréquents dans leur pays. Dans cette affaire, c’est la responsabilité collective de l’Europe face au changement climatique que soulèvent les requérants, ainsi qu’une demande de justice climatique.

Cette affaire établit pour la première fois  au niveau d’une juridiction internationale le lien direct entre les droits de l’Homme et le climat. De plus, la CEDH accorde une importance particulière à l’affaire en acceptant la priorité de cette plainte au vu de l’urgence soulevée.

Milieudefensie c/ Shell Tribunal de La Haye – 26 mai 2021

Suite à une lettre de  mise en demeure envoyée en 2018 et  restée infructeuse , l’association   Milieudefensie (Amis de la Terre Pays-Bas) accompagnée de six autres ONG ont assigné en justice le groupe Shell en 2019.

Dans sa décision, le juge impose à Shell de réduire ses émissions de gaz à effet de serre directs et indirects (scopes 1, 2 et 3), ce qui comprend les émissions liées aux produits pétroliers et gaziers) de 45% pour 2030 par rapport à 2019, en lien avec la trajectoire 1.5°C. Ce jugement s’applique à l’ensemble du groupe Shell, c’est-à-dire à toutes les filiales du groupe, y compris celles situées à l’étranger .

Les jeunes canadiens poursuivent leur mobilisation pour la justice climatique

L’organisme ENvironnement JEUnesse (ou « ENJEU ») poursuit en appel son combat juridique pour la justice climatique. 

Depuis 2018, ENJEU tente d’entreprendre une action collective au nom du groupe défini comme l’ensemble des « résidents du Québec âgés de 35 ans et moins en date du 26 novembre 2018 ». Le but de cette action est d’obtenir une déclaration judiciaire selon laquelle l’inaction climatique du gouvernement canadien a pour effet de violer les droits fondamentaux des membres du groupe, et de faire condamner le gouvernement à payer une somme de 100 dollars de dommages punitifs par membre du groupe.

Affaires environnementales

Conseil constitutionnel décision n°2020-881 QPC du 5 février 2021

A travers cette décision, le Conseil Constitutionnel donne une définition précise du préjudice écologique réparable. Les sages confirment que les termes « non négligeables » de l’article 1247 du Code civil, sont bien conformes à la Constitution.

 A la suite d’un dégazage de la centrale nucléaire de Golfech dépassant le seuil radioactif autorisé, l’association Réseau Sortir du Nucléaire a porté plainte. La plainte ayant été classée sans suite, l’association a fait citer le 13 octobre 2017, devant le tribunal correctionnel de Montauban, la société EDF pour des contraventions au code de l’environnement. L’association a été déboutée de sa demande par un jugement du 10 janvier 2019. Les parties civiles ont interjeté appel. La Cour d’appel de Toulouse a rejeté le 10 février 2020 leur demande au motif qu’une atteinte environnementale n’était pas démontrée. Les associations se sont pourvues en cassation et ont soulevé une QPC.

La Cour administrative d’appel de Bordeaux 2ème chambre 18 décembre 2020

Après un arrêté pris à son encontre quant à son obligation de quitter le territoire français (OQTF) un Bangladais, Sheel, a saisi la justice française à travers un recours pour excès de pouvoir. Celui-ci s’est vu autorisé à rester sur le territoire Français, car la justice a estimé que sa santé était incompatible avec la pollution de l’air de son pays. 

M. A, de nationalité bangladaise, a déclaré être entré en France le 4 décembre 2011. Il souffre d’une pathologie respiratoire chronique associant un asthme allergique sévère traité quotidiennement, et d’un syndrome d’apnée du sommeil sévère imposant l’utilisation d’un appareil de ventilation électrique lequel nécessite une maintenance et un remplacement fréquent du matériel. En 2020, de façon inédite, la cour a considéré que le requérant ne pouvait être regardé comme pouvant jouir d’un traitement approprié au Bangladesh.

Milieudefensie , Fidelis Ayoro OGURU, Alali Efanga. v. Shell Petroleum N.V.

Une filiale du groupe Shell a agi illégalement, en violation de son devoir de vigilance (duty of care), en omettant d’installer un système de détection des fuites (SDF) permettant de détecter rapidement une fuite dans un oléoduc. La société mère est également directement responsable de par son devoir de vigilance face à l’omission de sa filiale.

En première instance, le tribunal de district de La Haye, dans un jugement du 30 janvier 2013, a rejeté toutes les demandes de MD et al., considérant que l’argument de Shell selon lequel la fuite avait été causée par un sabotage n’avait pas été suffisamment réfuté ; que la réaction de SPDC avait été adéquate en arrêtant effectivement et en remédiant à la fuite dès que possible ; et qu’il n’avait pas été établi que la décontamination ait eu lieu de manière insuffisante.

Dans un jugement préliminaire du 18 décembre 2015, la Cour d’Appel de la Haye a confirmé la compétence des juridictions des Pays-Bas. La décision de première instance a été infirmée par la Cour d’Appel de La Haye dans un jugement du 29 janvier 2021.

Hamida Begum Vs. Maran Ltd Cour d’Appel d’Angleterre et du Pays de Galles

Une compagnie maritime britannique qui vend délibérément un navire à mettre au rebut dans des conditions dangereuses au Bangladesh, peut être poursuivie au Royaume-Uni, en application de son devoir de vigilance, pour la mort d’un ouvrier sur le chantier.

M. Khalil Mollah est décédé des suites d’une chute le 30 mars 2018 alors qu’il travaillait au démantèlement d’un pétrolier de 300 000 tonnes, le EKTA, dans le chantier naval Zuma Enterprise à Chattogram, au Bangladesh. 

EKTA, anciennement Maran Centaurus, était détenu et géré par des sociétés appartenant au groupe Angelicoussis Shipping Group, qui comprenait Maran (UK) Limited. Lors d’une transaction en août 2017 d’une valeur de plus de 16 millions de dollars US, Maran Centaurus a été vendu à Hsejar dans le but de le faire démanteler. Peu de temps après, le pétrolier a été échoué délibérément selon une pratique courante, sur une bande sableuse de Chattogram, au Bangladesh, afin d’être démantelé.

Québec : la rivière Magpie se voit octroyer la personnalité juridique

Par résolution du 16 février 2021, le conseil d’une municipalité régionale de la Côte-Nord du Québec a octroyé la personnalité juridique à une grande rivière sauvage, la Magpie. 

Cette résolution, adoptée avec l’accord de la communauté autochtone dont le territoire ancestral est traversé par la rivière, vise à protéger le cours d’eau des menaces environnementales, notamment celles liées au développement des projets hydro-électriques. 

Le procès-verbal de la résolution insiste sur l’urgence de protéger la rivière en tant que milieu de vie et dresse la liste de ses droits fondamentaux, dont ceux d’exister, d’être à l’abri de la pollution, de maintenir sa biodiversité, et d’ester en justice. Pour l’exercice de ces droits, la municipalité a prévu que la rivière serait représentée par des « gardiens » chargés de veiller à la défense de ses droits et intérêts.

Devoir de vigilance : 3 arrêts importants au premier trimestre 2021

En ce début d’année 2021, trois arrêts importants en Europe traitent de la question éminemment actuelle de la responsabilité des sociétés multinationales face aux actions ou omissions de leurs filiales à l’étranger. Ce devoir de vigilance, dont la définition et la portée ont été développées par la Cour Suprême britannique dans l’arrêt Vedanta de 2019, est un des piliers de la lutte contre les atteintes à l’environnement et aux droits humains. 

C’est par le biais de la question de compétence des juridictions des pays d’immatriculation de ces sociétés multinationales, que les Cours ont été invitées à se prononcer sur la recevabilité des demandes des plaignants, victimes de préjudices dues à des atteintes graves à l’environnement et aux droits humains causées par les activités de filiales de multinationales.

Nos chroniques pour Lexradio

Nous vous invitons également à écouter deux chroniques enregistrées par Notre Affaire à Tous pour Lexradio sur le droit de l’environnement !

Dans la première chronique, nous revenons sur l’historique de l’affaire Urgenda aux Pays-Bas. La seconde chronique se concentre sur L’Affaire du Siècle, l’action en justice contre l’inaction climatique de l’Etat français !

L’ambition de cette newsletter ? Donner les moyens à toutes et tous de comprendre les enjeux de telles actions en justice face à l’urgence climatique ! Abonnez-vous pour recevoir, chaque mois, les actualités et informations sur ces affaires qui font avancer, partout dans le monde, nos droits et ceux de la nature face aux dégradations environnementales et climatiques : le combat qui se joue dans les tribunaux est bien celui de la défense des pollués face aux pollueurs, nouvel enjeu du XXIe siècle.