Réalisé par Malo Viennet, Antoine Moreau et Léa Ricard

Master D3P1 “Risques, Science, Environnement et Santé”, Sciences Po Toulouse

En partenariat avec l’association “Notre Affaire à Tous” (NAAT)

Remerciements:

Nous tenons à remercier les personnes qui ont bien voulu accorder du temps à cette étude et participer aux entretiens :

  • Gilles Martin, Professeur émérite de l’Université Côte d’Azur et Président du conseil scientifique du parc national de Port-Cros
  • Simon Jolivet, Maître de conférences en droit public à l’Université de Poitiers et secrétaire général de la Société française pour le droit de l’environnement

“Le parc n’a de sens que s’il parvient à protéger ce qui est remarquable mais aussi

ce qui est tout à fait ordinaire.”

Gilles Martin, Président du conseil scientifique du parc national de Port-Cros

Cette affirmation, à première vue contre-intuitive, questionne en réalité l’essence même d’un parc naturel, à savoir protéger le vivant. Mais quel type de vivant au juste ? Les écosystèmes et espèces rares et menacées ? Ou bien, sans hiérarchie aucune, tout type de vivant, “ordinaire” compris ? Cet article se propose d’explorer ces réflexions, avec un principal objectif : comprendre si les parcs naturels français représentent aujourd’hui une réponse efficace à l’enjeu de l’érosion massive de la biodiversité.

La Convention sur la diversité biologique des Nations Unies (CDB, 1992) définit la biodiversité comme suit : “variabilité des êtres vivants de toute origine y compris, entre autres, les écosystèmes aquatiques et les complexes écologiques dont ils font partie : cela comprend la diversité au sein des espèces, ainsi que celle des écosystèmes” (art. 2). Elle comprend ainsi trois niveaux d’organisation : la diversité des écosystèmes, la diversité des espèces et la diversité génétique, le tout étant en perpétuelle interaction. Si aujourd’hui 55% de la population mondiale vit en zone urbaine, l’humanité ne dépend pas moins entièrement de la biodiversité. Différentes raisons l’expliquent : celle-ci produit l’oxygène grâce aux végétaux terrestres et microalgues marines, fournit les sociétés en matières premières, bois, fibres, mais aussi ressources fossiles (pétrole dérivé du plancton ou charbon issu d’anciennes forêts), constitue la base de l’alimentation (végétaux, viandes, poissons), régule le climat, et est enfin gage de la santé humaine, plus de la moitié des principes actifs pharmacologiques étant extraits du monde vivant. Cependant, sans précédent non seulement dans l’histoire de l’humanité, mais aussi dans celle de la Terre aux échelles géologiques, la biodiversité connaît aujourd’hui un effondrement massif et rapide. Selon l’IPBES, les ¾ des zones terrestres et 2/3 des zones marines ont été modifiées de manière significative, et 60% des populations de vertébrés ont décliné entre 1970 et 2014 au niveau mondial. Cette véritable annihilation biologique est le fait des activités humaines. Cinq causes majeures sont à l’origine de cette érosion : les changements d’usage, les destructions, et fragmentations des terres dus à la déforestation, l’agriculture, et l’urbanisation ; l’exploitation directe de certains organismes ; le changement climatique ; la pollution ; et les espèces exotiques envahissantes. À ces causes s’ajoute également le commerce de la faune sauvage, 4ème marché mondial illégal le plus lucratif. L’érosion de la biodiversité représente donc une crise incommensurable en soi, tout en étant l’une des plus importantes menaces pour la santé humaine.

Face à ces constats, une mise à l’agenda des enjeux de biodiversité – étroitement liés à ceux du climat – s’est progressivement opérée au niveau international et national, et des outils ont été mis en place. Citons par exemple la Convention sur la diversité biologique (1992), la convention CITIES, certaines directives européennes telles que les directives habitats, directives oiseaux, directive cadre sur l’eau, et le réseau Natura 2000, mais aussi, au niveau national, la loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages (2016), le Plan National Biodiversité, la trame verte et bleue et, enfin, les parcs naturels, terrestres et marins.

Les parcs naturels font donc partie intégrante des outils de protection de la biodiversité, et sont reconnus juridiquement. De fait, il faut souligner la distinction entre parc naturel régional et parc national, rattachés à des régimes juridiques différents. La vocation des parcs est double :

  1. Protéger et gérer des milieux naturels remarquables, des espèces rares ou menacées et des patrimoines géologique et paléontologique exceptionnels
  2. Sensibiliser le public à ces richesses.

L’objectif est donc assez délicat, puisqu’il s’agit d’allier actions humaines et protection de la nature. Le classement d’un parc témoigne donc d’une volonté politique de doter un territoire d’une forte visibilité nationale et internationale, et d’y mener une politique stricte et intégrée de protection et de gestion de valeurs patrimoniales naturelles et culturelles. Aujourd’hui, le territoire français comporte 58 parcs naturels régionaux et 11 parcs naturels nationaux, représentés sur la carte ci-dessous.

Source: http://geoconfluences.ens-lyon.fr/

Afin de comprendre si les parcs naturels français représentent aujourd’hui une réponse efficace à l’enjeu de l’érosion massive de la biodiversité, ou si, au contraire, leur portée se limite à des outils dits compensatoires insuffisants face à l’érosion massive et globale de celle-ci, nous avons interrogé deux acteurs de terrain : Gilles MARTIN, Professeur émérite de l’Université Côte d’Azur et Président du conseil scientifique du parc national de Port-Cros, et Simon JOLIVET, maître de conférence en droit public à l’université de Poitier et spécialiste des questions de conservation. L’article se propose ainsi de mettre en lumière les distinctions et spécificités juridiques de chaque type de parc, régional et national, avant d’analyser concrètement les enjeux quant au fonctionnement et à la finalité des parcs en matière de biodiversité.

Le cadre juridique des parcs naturels français : Bien faire la différence entre des entités administratives distinctes

Gilles Martin le rappelle, parler de « Parc naturels » renvoie à « deux choses très différentes ». En effet, la confusion est vite arrivée entre Parcs Nationaux et Parcs Naturels Régionaux, lesquels correspondent en réalité à des vocations et des régimes propres.

Les Parcs Nationaux (PN) sont des espaces essentiellement consacrés à la sauvegarde des milieux naturels. Il s’agit d’y mener une politique de conservation « de la faune, de la flore, du sol, du sous-sol, de l’atmosphère, des eaux et en général du milieu naturel »1. Ils relèvent d’un régime d’exception, à portée contraignante, pouvant conduire à « interdire ou réglementer toute action susceptible de nuire au développement naturel de la faune et de la flore ».2

Statut = Établissement public administratif.

Les Parcs Naturels Régionaux (PNR) ont quant à eux une vocation double : la protection des espaces naturels est mêlée à l’ambition de développement économique durable. Ils s’inscrivent ainsi dans la politique plus large d’aménagement durable des territoires : « ce sont des territoires de projet et d’aménagement beaucoup plus que de protection. »3. Ils restent en somme partie du droit commun, et présentent «beaucoup moins de contraintes en matière de protection »4… À titre d’illustration, les pratiques de la chasse et de la pêche n’y sont pas limitées.5 Le PNR est constitué par une charte, adoptée par décret et valable pour 15 ans, dans laquelle les parties contractantes s’engagent à réaliser un « projet de protection et de développement » du territoire concerné — Autrement dit, « les règles du jeu que se donnent les partenaires ».6

Statut = Syndicat mixte de collectivités locales.7

En bref, entre les deux régimes, la distinction la plus saillante est à trouver dans la portée de leurs mesures de gestion et de protection : elle est « réglementaire » pour les PN, et « contractuelle » pour les PNR.8 Pour grossir le trait, les seconds agissent indirectement, à travers les collectivités parties prenantes de leur charte, et ultérieurement en jouant un rôle d’animateur, d’incitation, de sensibilisateur, de coordinateur… À noter que sur leur nature même, le degré d’anthropisation des territoires fait aussi la différence, très faible pour les PN quand il s’agit de zones beaucoup plus habitées dans les PNR.

À la décharge du profane, il y a bien un facteur de confusion que nous avons volontairement laissé de côté jusque-là : les Parcs nationaux se décomposent en deux zones spécifiques dont l’une se rapproche du régime des PNR. En effet, autour des « cœurs» où le pouvoir réglementaire du parc s’applique, on trouve une « aire d’adhésion » qui répond à une charte, à l’instar des PNR. Cet espace, déterminé au préalable par le décret de création du parc, est délimité au territoire des communes signataires, les autres étant placées en « aire potentielle d’adhésion ».9

L’encadrement juridique des parcs naturels français en textes clés :

Parcs naturels

  • Loi relative à la création de parcs nationaux (22 juillet 1960) — Crée les PN
  • Loi relative aux Parcs nationaux, aux Parcs naturels marins et aux Parcs naturels régionaux (14 avril 2006) — Rénove l’esprit des parcs français pour le réancrer dans les enjeux du développement durable, et renforce la capacité de protection des PN : Elle crée notamment des instruments spécifiques de protection pour les espaces marins comme « l’Agence des aires marines protégées ».10

Parcs naturels régionaux

  • Décret instituant des Parcs naturels régionaux (1 mars 1967) — Crée les PNR
  • Décret relatif aux Parcs naturels régionaux (25 avril 1988) — Met en conformité les parcs avec les lois de décentralisation, « réaffirme l’objectif premier des Parcs, reconnaît aussi leur rôle de développement économique et social, ainsi que leur objectif d’expérimentation, d’exemplarité et de recherche ».11
  • Lois de décentralisation et la Loi sur la protection et la mise en valeur des paysages (8 janvier 1993) – Confère un poids réel aux chartes, principe étant établi que « les documents d’urbanisme doivent être compatibles avec les orientations et les mesures de la charte ».12
  • Conseil d’État, 29 avril 2009, arrêt Commune de Manzat – Consacre la portée réglementaire des chartes.13

Pour aller plus loin :

Les parcs ne sont pas les seuls types d’espaces naturels protégés en France. Pour compléter le tableau, il faut d’abord inclure les Réserves naturelles. Ces zones correspondent à un espace relativement restreint où s’applique une réglementation plus stricte que dans les parcs. C’est d’autant plus le cas pour les Réserves intégrales, qui ont elles une vocation de préservation.14 Prévues par les Parcs nationaux, on dénombre sur le territoire français 3 de ces espaces les plus réglementés en matière de protection de l’environnement — toute activité humaine y est proscrite. Ajoutons enfin les Sites classés et Sites inscrits, lesquels ne couvrent pas nécessairement des espaces naturels, mais des lieux « exceptionnels d’intérêt national »15. Précisons que tous les espaces que nous venons d’évoquer peuvent se situer au sein du territoire d’un parc naturel — seulement au sein des

PN, pour ce qui est des réserves naturelles. Seuls les territoires d’un PN et d’un PNR ne peuvent se chevaucher.16

Sur le terrain : Les parcs naturels français face à l’érosion de la biodiversité

La question de la pertinence des parcs comme outils d’action publique de lutte contre l’érosion de la biodiversité

Les personnes interrogées reconnaissent unanimement l’utilité des parcs naturels contre l’érosion de la biodiversité, en soulignant aussi bien leurs effets externes que internes. Concernant leurs effets externes, Gilles Martin souligne en effet que, contrairement à certaines idées préconçues, les parcs ne sont pas “sous cloche”, la faune et la flore interagissant entre extérieur et intérieur du parc. Par exemple, dans le parc national de Port-Cros, est observé un phénomène dit “effet réserve”, des zones fortes de protection du parc bénéficiant à des zones hors parc, et certains poissons protégés pondant ainsi des larves atteignant les côtes voisines, parfois jusqu’à Marseille. De plus, les deux interlocuteurs mettent également en avant l’importance de la création de réseaux écologiques, de corridors. Ceux-ci sont indispensables puisque certaines espèces, protégées au sein des parcs, ont besoin de se déplacer. C’est le cas des espèces migratrices, mais aussi de celles se déplaçant pour accomplir leur cycle de vie, alimentaire et reproductif.

Face aux effets bénéfiques des parcs sur la biodiversité, la question de leur extension et multiplication mérite d’être posée. Ici, les deux interlocuteurs mettent en avant les limites d’une certaine course à l’extension, et ce pour diverses raisons. Tout d’abord, Simon Jolivet souligne “la course au gigantisme des aires protégées” ayant lieu actuellement: une course entre Etats, avec en ligne de mire 30% d’aires protégées dans le monde d’ici 2030. Or, selon lui, cet effet d’annonce est en réalité souvent inversement proportionnel au degré de protection de l’écosystème. Concrètement, des stratégies de communication étatiques sont en jeu, puisque plus l’environnement monte à l’agenda des préoccupations politiques internationales, plus cela devient un enjeu de puissance pour les Etats, et plus il devient nécessaire de manifester son engagement. Gilles Martin met également en avant le risque de baisse d’ambition dans la multiplication des aires protégées, avec par exemple des activités humaines perpétuées au sein des parcs pour atteindre les 30%… Conséquence ? Une non protection de la biodiversité. Un autre enjeu de taille est celui de la régulation des espèces au sein des parcs, mais aussi celui du choix de protection du type de biodiversité. En effet, le chercheur D. Thierry dénonce le cloisonnement affectant l’action publique française en matière de protection de la biodiversité, et les échecs que cela entraîne. Les mesures selon lui sont trop largement centrées sur les espèces rares, en danger d’extinction, les protections tendant à s’apparenter donc à de la muséographie, et ce au détriment de la biodiversité ordinaire. Partiellement en opposition, Simon Jolivet indique que les espaces protégés ont au contraire été mis en place historiquement indépendamment des espèces, tout en soulignant effectivement que le droit de l’environnement dans son ensemble reste trop centré sur la nature extraordinaire, au détriment de l’ordinaire. Néanmoins, celle-ci ne relève selon lui pas entièrement des parcs naturels potentiels, puisqu’une grande partie se trouve en milieu agricole. C’est donc également à d’autres secteurs, notamment l’agriculture et l’habitat, plus éloignés a priori des problématiques biodiversité, d’intégrer ces dimensions de protection. Gilles Martin s’inscrit aussi dans cette perspective, puisque, selon lui, ce serait une erreur que de déconsidérer l’outil des parcs naturels au motif qu’il ne peut protéger l’entièreté de la biodiversité dite ordinaire. Si les parcs s’avèrent donc nécessaires aujourd’hui pour la protection de la biodiversité, ils ne sont néanmoins pas suffisants pour contrer à eux seuls l’érosion de la biodiversité. Enfin, ces territoires ne sont pas statiques et même en leur sein, peuvent survenir des contentieux juridiques, impactant de près ou de loin la biodiversité.

Un aperçu des contentieux juridiques ayant trait à la protection de la biodiversité au sein des parcs

Si les formes d’espaces protégés et tout le panel d’institutions et de mesures concrètes mises en place pour protéger la biodiversité semblent relativement efficaces, dans bien des cas les principes de protection de la nature avancés sont mis face à la complexité du terrain. Cette réalité, ce sont évidemment des intérêts socio-économiques propres à l’activité humaine et qui peuvent se trouver en contradiction avec ceux de la préservation de la nature (exploitation agricole, halieutique, tourisme, habitat…etc). Ce qui a pour effet de provoquer un certain nombre de litiges. On remarque à ce sujet que l’implication du juge dans la vie des parcs s’est nettement accrue au fil du temps. Si l’on prête attention aux chiffres dans les parcs naturels régionaux, on constate que le nombre d’arrêts et de jugements engageant les parcs entre 2002 et 2006 est supérieur au nombre d’arrêts et jugements constatés entre 1967 (date de création des parcs) et 2002, soit une période de 35 ans17. Dans le cadre de ces recours en contentieux, le juge qui sera alors amené à se prononcer sur la base du droit en vigueur peut mobiliser le droit des espaces protégés comme le droit commun de manière plus générale.

En l’occurrence, dans le droit des parcs, on retrouve les chartes précédemment évoquées. Les chartes des parcs nationaux ont toujours par essence fait office d’acte administratif, elles sont d’ailleurs reconnues par le préfet à la création du parc. Rappelons que leur portée réglementaire est consacrée depuis 200918. Ce socle juridique, défini dernièrement par la loi de 2006, implique ainsi tout un apanage d’acteurs qui vont eux aussi produire du droit. Parmi ceux-ci on peut citer les directeurs des parcs nationaux qui émettent des décisions, ou encore un corps de police qui adresse des procès-verbaux. En somme, on parle ici de tous les inspecteurs, agents administratifs assermentés, qui sont habilités à constater les infractions dans les espaces protégés. Ces agents sont détachés par l’Office français de la biodiversité (OFB), dont la compétence administrative découle directement du Ministère de la transition écologique et solidaire. Lors d’un entretien, Simon Jolivet nous dépeint l’OFB comme le “bras armé du Ministère”.

Ainsi, à l’échelle de l’espace protégé, en cas de désaccord avec un acte administratif relatif à la gestion des parcs, toute personne physique ou morale est en droit d’introduire un recours en contentieux auprès du Tribunal administratif de son lieu de résidence. Dans la pratique, les motifs de ces contentieux croissants sont multiples. Cela peut tenir à la contestation de procès-verbaux, de décisions de la direction, ou encore à la remise en cause d’une interdiction d’activité. Gilles Martin nous donne l’exemple dans le Parc national du Mercantour d’une association de cyclistes qui attaque une décision de la direction du parc limitant la circulation des vélos sur une zone protégée. L’association va alors fonder son action sur le droit commun, en mobilisant, par exemple, une atteinte à la liberté d’aller et venir. Toujours dans la lignée de litiges semblables, Gilles Martin nous cite un contentieux avec des commerçants qui contestent une décision d’interdiction d’activité. Ces derniers, gérants de magasins dédiés à la location de jet-skis, vont alors s’opposer à l’interdiction de ce loisir au sein du parc et considérer la décision de la direction comme une atteinte à la liberté d’entreprendre.

Après avoir évoqué les contentieux où les requérants contestent l’avancée de la législation protectrice, venons-en aux contentieux où les dégâts sont déjà palpables, où c’est cette fois le parc qui demande des réparations face aux dommages constatés sur son territoire. À ce sujet, Gilles Martin nous donne l’exemple d’un serial-killer jugé il y a quelques années pour avoir tué 104 chamois dans les parcs nationaux du Mercantour et des Écrins. Dans ce cas, le loisir de braconnage de cet individu se heurte à la législation protectrice du parc, l’infraction se constatant sur son territoire. Toutefois, dans bien d’autres cas, les responsables du dommage constaté se trouvent à l’extérieur de l’aire protégée, ce qui peut s’avérer problématique. Comme nous le rappelle Gilles Martin, la nature n’est jamais mise « sous cloche », les éco-systèmes communiquent entre eux et s’affectent sur des superficies toujours plus vastes que celle du territoire tel qu’il est établi juridiquement. Les animaux effectuent des migrations, de même que l’eau suit son cycle à une échelle bien plus large. On a encore une fois l’exemple à Port-Cros d’une pollution par des hydrocarbures, due à la percussion de deux bateaux au large de la Corse ayant impacté des côtes constituantes du cœur du Parc national en octobre 2019. Un procès est sûrement à venir, où il faudra avancer la notion de préjudice écologique. Or, la difficulté sera d’évaluer et de prouver ce préjudice. Le parc étant Parc national, il aura qualité pour agir en réparation des préjudices subis.

Une problématique classique : Comment concilier l’augmentation de la fréquentation touristique avec la protection de la biodiversité ?

La pandémie de Covid-19 a généré une hausse sensible de la fréquentation des parcs naturels. Elle vient renforcer une tendance déjà observable pendant la décennie, comme l’illustre cette statistique concernant les Parcs nationaux : En 2018, plus de 10 millions de visites sont recensées, soit une augmentation de 60% par rapport à 2011.19 Cette nouvelle manne économique bienvenue ramène néanmoins les parcs à un enjeu de taille : comment s’accommoder de l’augmentation du tourisme tout en menant à bien la mission de conservation des espaces naturels ? La question se pose avec d’autant plus d’acuité pour les Parcs naturels régionaux où, pour rappel, la valorisation et le développement économique sont parties prenantes de leurs objectifs.

S’agissant de la faune, par exemple, certains temps de l’année sont difficilement conciliables avec un flux important de visiteurs ; quand le printemps ouvre la saison des reproductions, l’hiver correspond à une phase de raréfaction de la nourriture, soit autant de périodes où la quiétude est de mise pour les espèces animales.20

« Quiétude Altitude » est justement le thème d’un dispositif mis en place par le parc régional des Vosges du Nord pour répondre à ce défi.21 Depuis 2015, le public est informé en temps réel sur les comportements à observer pour favoriser une expérience la plus harmonieuse possible avec les espaces naturels. Certaines zones peuvent ainsi être placées en vigilance renforcée, quand elles ne sont pas tout simplement interdites à la visite. Même son de cloche au parc des Landes de Gascogne22, où la fréquentation a doublé pendant la pandémie. La direction reste alerte ; si elle entend « aller à la rencontre des attentes des clientèles d’aujourd’hui et de demain », décision a déjà été prise de cesser de communiquer sur ses espaces les plus prisés. C’est tout particulièrement le cas de l’attraction phare du parc, le site labellisé “rivière sauvage” de La Leyre. Par ailleurs, tourisme et biodiversité ne sont pas nécessairement antagonistes ; c’est justement l’essence de l’éco-tourisme que de fusionner les deux. Prônée par les parcs, cette forme de tourisme est fondée sur “l’observation de la nature et l’éducation du public, en lien avec les spécificités de chaque territoire et le patrimoine culturel”. Le Birdwatching en est une pratique probante, à travers laquelle amateurs et professionnels s’adonnent à l’observation respectueuse des oiseaux. En France, les parcs seraient d’ailleurs “à la pointe” de l’accompagnement des acteurs dans le cadre de la mise en œuvre de la Charte européenne du tourisme durable.23

Oui, les parcs naturels peuvent concilier tourisme et biodiversité, à condition de s’en donner les moyens. À bien des égards, cette problématique restera à l’avenir un des enjeux primordiaux pour la gestion de la biodiversité en leur sein. En atteste, s’agissant des PNR, la nouvelle stratégie pour le tourisme – “Destination Parcs” – déployée par la Fédération des parcs naturels régionaux de France qui entend bien développer le secteur avec une offre « spécifique aux parcs »24 ; En 2021, 15 d’entre eux font partie de l’initiative.25

Pour autant, imputer au tourisme la responsabilité principale des nuisances de l’activité humaine sur la biodiversité des parcs serait une erreur. De fait, l’empreinte du secteur est à relativiser en comparaison avec d’autres activités humaines. Dans une enquête réalisée auprès des directeurs de Parcs naturels régionaux, le secteur arrive troisième au rang des plus concernés par la question de la biodiversité (45% de réponse positive), loin derrière l’agriculture/agroalimentaire (85%) et la filière bois/sylviculture dans une moindre mesure (50%).26

Somme toute, s’il peut être un poids, le tourisme peut être dans une certaine mesure un levier à disposition des parcs dans leur mission de protection de la biodiversité. Au-delà d’un apport économique utile, le secteur offre la possibilité de mettre en scène la mission des parcs et par extension justifier leur existence. C’est bien ce que ces derniers font en encadrant les pratiques du public autour des impératifs de la biodiversité, en le sensibilisant à sa richesse, en le rappelant à son indispensabilité pour l’Homme. Ici aussi, par rayonnement, les parcs naturels français apportent une réponse au phénomène d’érosion par delà leurs frontières.

1 Contributions collectives – Chercheurs ENS Lyon. (2020, décembre). Parc national en France / parc naturel régional (PNR) — Géoconfluences. Géoconfluences.ENS-Lyon.fr. Consulté le 18 mars 2022,

2 Idem.

3 Idem.

4 Entretien avec Gilles Martin.

5 Ibid. Géoconfluences.

6 Parcs naturels régionaux de France. (2018). Questions – Réponses sur les Parcs naturels régionaux. Argumentaire.

7 Ibid. Géoconfluences.

8 Idem.

9 Parcs Nationaux. (s. d.). L’organisation du territoire d’un parc national français | Portail des parcs nationaux de France. parcsnationaux.fr. Consulté le 15 mars 2022.

10 Ibid. Géoconfluences.

11 Parcs naturels régionaux de France. (2007, août). Les parcs naturels régionaux : 40 ans d’histoire. . .

12 Ibid. Géoconfluences.

13 Patrick Janin, “De la charte des parcs naturels régionaux en particulier et des chartes territoriales en général” in Revue juridique de l’Environnement, 2010-4, p. 591-603.

14 Ibid. Géoconfluences.

15 Ibid. Géoconfluences.

16 Ibid. Argumentaire PNR.

17 Aurélie Tournier, “Les tribulations du droit des chartes : regard d’une juriste des parcs”, Revue juridique de l’environnement, année 2006, HS, p. 65-74.

18 Patrick Janin, “De la charte des parcs naturels régionaux en particulier et des chartes territoriales en général” in Revue juridique de l’Environnement, 2010-4, p. 591-603.

19 Ministère de la Transition Écologique. (2021, 30 juin). Les parcs nationaux de France – Chiffre clés – Edition 2021 (Partie 3). statistiques.developpement-durable.gouv.fr. Consulté le 15 mars 2022.

20 Barroux, R. (2021, 21 janvier). Les 56 parcs naturels régionaux français à la recherche d’un juste équilibre. Le Monde.fr. Consulté le 15 mars 2022.

21 Idem.

22 Idem.

23 CDC Biodiversité. (2015, novembre). Biodiv’2050 – Mission économie de la biodiversité (No 8). Groupe Caisse des dépôts.

24 Ibid. Barroux, R.

25 Destination Parcs : la plateforme d’offres touristiques des Parcs Naturels Régionaux. (2022, 17 mars). Hospitality ON. Consulté le 15 mars 2022.

26 Ibid. CDC Biodiversité.

BIBLIOGRAPHIE

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CDC Biodiversité. (2015, novembre). Biodiv’2050 – Mission économie de la biodiversité (No 8). Groupe Caisse des dépôts. URL :

http://www.mission-economie-biodiversite.com/wp-content/uploads/dlm_uploads/2015/12/biodiv-2050- n8-fr-md.pdf

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Parcs naturels régionaux de France. (2007, août). Les parcs naturels régionaux : 40 ans d’histoire. . .

:https://www.parcs-naturels-regionaux.fr/sites/federationpnr/files/document/centre_de_ressources/hist oire-40_ans.pdf

Parcs naturels régionaux de France. (2018). Questions – Réponses sur les Parcs naturels régionaux. Argumentaire. :

https://www.parcs-naturels-regionaux.fr/sites/federationpnr/files/document/centre_de_ressources/pnr_ argumentaire_2018_bd.pdf

Office français de la biodiversité. (2020, janvier). Préserver la biodiversité, c’est aussi nous préserver.

file:///C:/Users/missl/Downloads/pr-server-la-biodiversit-c-est-aussi-nous-pr-server–67932.pdf

Thierry Damien, « Atteintes à la biodiversité et risques épidémiques », Revue juridique de l’environnement, 2020/HS20 (n° spécial), p. 81-93. URL

https://www-cairn-info-s.biblio-dist.ut-capitole.fr/revue-revue-juridique-de-l-environnement-2020-HS20- page-81.html

Aurélie Tournier, “Les tribulations du droit des chartes : regard d’une juriste des parcs”, Revue juridique de l’environnement, année 2006, HS, p. 65-74.

Patrick Janin, “De la charte des parcs naturels régionaux en particulier et des chartes territoriales en général” in Revue juridique de l’Environnement, 2010-4, p. 591-603.https://www.cairn.info/revue-revue-juridique-de-l-environnement-2010-4-page-591.html