Par Théophile Keïta, membre de Notre Affaire à Tous

Trois actions juridiques récentes devant différents organes de l’ONU viennent en interroger le rôle à la lumière des contentieux climatiques grandissant. 

Teitiota c. Nouvelle-Zélande

La première affaire, Teitiota c. Nouvelle-Zélande, est une communication portée par un ressortissant des îles Kiribati, situées dans l’Océan Pacifique, devant le Comité des droits de l’Homme de l’Organisation des Nations Unies. Ce Comité, composé d’experts indépendants, surveille la mise en œuvre du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (ci-après, « PIDCP ») par les États qui en sont parties. Il y conteste une décision de rejet de sa demande d’asile par la Nouvelle-Zélande et invoque les dangers que font courir le changement climatique, en particulier la montée des eaux, sur les archipels Kiribati où il doit être renvoyé. 

Torres Strait Islanders petition

La seconde affaire est une requête portée par des habitants des îles Torres Strait, qui sont un atoll situé entre l’Australie et la Papouasie Nouvelle-Guinée, devant le Comité consultatif des Nations Unies pour les droits de l’Homme, qui examine le respect des droits humains dans les différents pays membres de l’ONU, et émet des recommandations à ce sujet. La communication vient reprocher l’inaction climatique de l’Australie, en se fondant en particulier sur la violation des droits reconnus par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques. 

Le droit des peuples autochtones contre les déplacements forcés

La troisième affaire est une requête adressée à différents rapporteurs spéciaux des Nations-Unies par cinq tribus natives-américaines, reprochant la violation de leurs droits fondamentaux par le Gouvernement fédéral américain. 

Les trois cas sont symptomatiques, au niveau international, des effets du changement climatique sur les populations les plus vulnérables. D’une part, l’affaire Teitiota et l’affaire Torres Strait soulèvent la question du danger que vivent les différentes populations insulaires. D’autre part, la pétition des cinq tribus natives-américaines présente les enjeux liés aux peuples autochtones et à la difficulté à faire respecter leurs droits. Ces populations sont d’autant plus vulnérables qu’elles sont dépendantes de leurs milieux naturels immédiats. C’est ce que soulève le requérant dans l’affaire Teitiota, où il décrit particulièrement comment la montée des eaux et la salinisation de son milieu de vie menace la possibilité d’y habiter décemment. 

Ces différentes affaires permettent de souligner le rôle encore paradoxal de l’ONU dans le cas particulier des affaires de justice climatique. Si ces affaires, ensemble avec d’autres, pointent l’importance hautement symbolique que peuvent avoir les organes de l’ONU, elles permettent également d’en démontrer les limites. 

L’importance symbolique des différents organes de l’ONU se traduit par la reconnaissance, par ces organes, des liens entre le changement climatique et les droits humains. Ainsi, dans l’affaire Teitiota, le Comité reconnaît que la dégradation de l’environnement est une menace pour le respect du droit à la vie. Cette approche permet d’avancer en matière de « droits de l’Homme des enjeux climatiques » (1). Elle est d’ores et déjà présente dans d’autres contentieux nationaux, comme l’affaire Leghari (2) et consiste à considérer que les effets du changement climatique constituent une menace pour différents droits fondamentaux. Différents organes internationaux (3) l’ont d’ores et déjà suivie. C’était également la ligne observée  par le rapport de l’International Bar Association de 2014, « Achieving Justice and Human Rights in an Era of Climate Disruption » qui préconisait de « verdir les droits humains » (4).

Cependant, ces affaires permettent de soulever les limites du recours aux organes de l’ONU.

D’abord, ces organes rencontrent des difficultés propres aux contentieux climatiques. Par exemple, la question de la preuve des effets du changement climatique, ainsi que du lien de causalité entre ces effets et les violations alléguées. Dans l’affaire Teitota, le Comité conteste les différents éléments de preuve apportés par le requérant, comme le risque prévisible de privation de nourriture ou de précarité extrême. Deux opinions dissidentes suggèrent de considérer autrement la charge de la preuve. 

Ensuite, le recours à des organes internationaux par les requérants, dans le cadre d’affaires climatiques, vient supposer de répondre à certaines conditions procédurales particulières. Ainsi, il est nécessaire d’épuiser les voies de recours internes, comme dans l’affaire Teitota. En l’espèce, cette condition est remplie, mais l’on peut se poser la question relativement à d’autres affaires comme la communication portée par seize enfants, dont Greta Thunberg et Alexandria Villaseñor devant le Comité des droits de l’enfant des Nations Unies (5). En effet, la recevabilité des communications devant ce comité suppose que celles-ci soient présentées dans les douze mois suivant l’épuisement des recours internes, sauf si l’auteur peut démontrer qu’il était impossible de présenter la communication dans ce délai (6). 

Un autre obstacle dans le recours aux organes de l’ONU réside dans le manque de caractère obligatoire des sanctions. Ces différents organes ont une influence par les rapports ou les avis qu’ils émettent, mais ne peuvent prononcer d’injonctions. Ainsi, les constatations du Comité des droits de l’homme, devant lequel s’est tourné le requérant dans l’affaire Teitiota, n’ont pas de valeur juridictionnelle. Le Conseil d’État l’a relevé dans un arrêt du 5 mai 2006, dans lequel il considère que : 

« Les constatations du comité des droits de l’homme, organe non juridictionnel institué par l’article 28 du Pacte international sur les droits civils et politiques, ne revêtent pas de caractère contraignant à l’égard de l’Etat auquel elles sont adressées » (7)

À l’inverse, certaines juridictions nationales disposent d’un véritable pouvoir d’injonction envers les États ou les entreprises. Par exemple, en France, dans le cadre de l’Affaire du Siècle, les associations requérantes demandent au juge administratif d’enjoindre l’État de mettre un terme aux différents manquements qui lui sont reprochés. Cette tendance suit la décision du Conseil d’État, Les Amis de la terre, où la juridiction avait adressé une injonction à l’État dans le cadre d’un recours en carence fautive (8).

Pour conclure, le rôle de l’ONU est important car il permet d’avancer dans la qualification des menaces que représente le changement climatique pour les droits humains, et ses décisions viennent au soutien d’argumentations juridiques dans des affaires climatiques nationales. Cependant, ce rôle est encore partiel, car l’organisation ne dispose pas des moyens nécessaires pour forcer les États à répondre à l’urgence. 

Ces différentes carences des organes internationaux ne signifient pas qu’ils n’ont pas de rôle à jouer dans le développement des affaires climatiques, bien au contraire. Ils démontrent qu’il appartient aux juristes de s’approprier ces lacunes, et de développer les outils juridiques pour que les initiatives juridiques locales et nationales rencontrent un écho sur le plan du droit international. Ces outils peuvent être nombreux, encore éparpillés dans différentes spécialités et ne peuvent faire l’objet de ce présent article. Quoiqu’il en soit, de telles initiatives doivent avoir des boussoles. Parmi elles peuvent figurer les propositions de Mireille Delmas-Marty, qui suggère de substituer la souveraineté étatique solitaire à la souveraineté étatique solidaire (9). Au moment où le monde entier subit les coups d’un virus et met au défi les Etats, il nous appartient de repenser les règles d’interaction des différentes communautés nationales dans l’ordre international. 

Notes

  1.  C. Cournil, « Les droits fondamentaux au service de l’émergence d’un contentieux climatique contre l’État. Des stratégies contentieuses des requérants à l’activisme des juges », M. Torre-Schaub, C. Cournil, S. Lavorel, M. Moliner-Dubost (dir.), op. cit., p. 195-196.
  2.  Haute cour de Lahore, ordonnance relative au changement climatique, 4 septembre 2015, No W.P. No. 25501/2015. 
  3.  Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes, Comité des droits économiques, sociaux et culturels, Comité de la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille, Comité des droits de l’enfant, Comité des droits des personnes avec des handicaps, « Joint Statement on Human Rights and Climate Change », 16 septembre 2019, (https://www.ohchr.org/EN/NewsEvents/Pages/DisplayNews.aspx?NewsID=24998&LangID=E) (consulté le 10 avril 2020).
  4.  IBA, « Achieving Justice and Human Rights in an Era of Climate Disruption », 2014, p. 119 et s. 
  5.  https://childrenvsclimatecrisis.org/ (consulté le 10 avril 2020)
  6.  Assemblée génération des Nations Unies, « Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant établissant une procédure de présentation de communications », Résolution adoptée par l’Assemblée générale le 19 décembre 2011, A/RES/66/138, Article 7
  7. CE, 5 mai 2006, n° 242713, (https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriAdmin.do?oldAction=rechJuriAdmin&idTexte=CETATEXT000008222763&fastReqId=623946632&fastPos=1) (consulté le 10 avril 2020)
  8.  Conseil d’État, 12 juillet 2017, Association des Amis de la Terre France, n° 394254, (https://www.conseil-etat.fr/ressources/decisions-contentieuses/dernieres-decisions-importantes/ce-12-juillet-2017-association-les-amis-de-la-terre-france) (consulté le 10 avril 2020)
  9.  Mireille Delmas-Marty, « Profitons de la pandémie pour faire la paix avec la terre », Le Monde, 17 mars 2020, (https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/03/17/mireille-delmas-marty-profitons-de-la-pandemie-pour-faire-la-paix-avec-la-terre_6033344_3232.html) (consulté le 10 avril 2020)