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Décryptage de la décision CEDH Greenpeace Nordic and Nature & Youth v. Energy Ministry (The North Sea Fields Case) du 28 octobre 2025
Article écrit par Anne Stevignon, Juriste chez Notre Affaire à Tous et Charlotte Diericks-Visschers, stagiaire juriste chez Notre Affaire à Tous La CEDH vient de rendre une décision importante concernant les obligations procédurales des États en matière climatique : la Cour affirme que les Etats ont l’obligation d’évaluer les émissions aval dites de “scope 3” liées à la combustion du pétrole dans le cadre des études d’impact environnemental des nouveaux projets fossiles (EIE). Contexte et objet du litige L’affaire portait sur la légalité de décisions d’octroi de licences d’exploration pétrolière par la Norvège en mer de Barents. Les requérants, des individus et des ONG environnementales, soutenaient que ces nouvelles licences contribuent à un réchauffement climatique dangereux de nature à violer leurs droits protégés par la Convention européenne des droits de l’homme, notamment le droit à la vie protégé par l’article 2, le droit au respect de leur vie privée prévu à l’article 8, le droit à un recours effectif prévu par l’article 13 et la prohibition de la discrimination posée à l’article 14. Recevabilité de l’action Concernant la recevabilité de l’action, la Cour a repris les critères posés dans l’affaire KlimaSeniorinnen c. Suisse [1]. Elle confirme la possibilité pour des ONG environnementales d’agir en matière de contentieux climatique, tout en maintenant un seuil élevé pour la reconnaissance de la qualité de victimes pour des requérants individuels. L’octroi de permis pour des projets pétroliers et la combustion qui en résulte La Cour ne s’est pas prononcée sur les obligations substantielles d’atténuation du réchauffement climatique (comme dans l’affaire KlimaSeniorinnen), mais sur les obligations procédurales de l’État lors de l’octroi de licences d’exploitation d’un projet pétrolier en particulier. La Cour réaffirme d’abord l’existence d’une obligation positive de protection contre les effets graves du changement climatique sur la vie, la santé et le bien-être (§314). Elle rappelle également que cette obligation doit peser considérablement lorsqu’il s’agit de mettre en balance différents intérêts potentiellement contraires (§316). Si la Cour souligne le large pouvoir d’appréciation des États en la matière (§315), elle rappelle l’exigence d’une évaluation d’impact environnemental adéquate, en temps utile, complète, fondée sur les meilleures données scientifiques disponibles et réalisée de bonne foi (§318). En outre, elle fixe des conditions minimales pour l’évaluation de l’impact des projets pétroliers : elle affirme notamment que les émissions dites de “scope 3” liées à la combustion du pétrole et du gaz doivent faire partie des études d’impact (§319). La Cour justifie cette conclusion en affirmant le lien causal entre l’exploration, la production et la combustion de pétrole : “La Cour observe que, même si l’exploration n’est pas toujours suivie d’une extraction, et certainement pas automatiquement ou inconditionnellement, en Norvège, elle en constitue une condition préalable tant juridique que pratique. […] Le fait que d’autres événements et autorisations soient également nécessaires avant que l’extraction puisse avoir lieu ne rompt pas cette chaîne de causalité. Lorsqu’elle examine la causalité aux fins d’attribuer la responsabilité des effets néfastes résultant du changement climatique, la Cour n’a pas exigé qu’il soit démontré que « sans » une défaillance ou une omission des autorités, le préjudice ne se serait pas produit.” (§294) Ce faisant, la Cour se place dans la lignée de décisions qui l’ont précédée : l’arrêt de la Cour Suprême de Norvège du 22 décembre 2020 rendu dans la présente affaire [2], l’avis consultatif du Tribunal international du droit de la mer du 21 mai 2024 [3], l’avis consultatif de la Cour AELE du 21 mai 2025 [4] ou encore l’arrêt de la Cour suprême du Royaume Uni du 20 juin 2024 dans l’affaire Finch (confirmé depuis par une décision du 29 janvier 2025) [5]. La Cour a également tenu compte des avis rendus par des instances internationales, et notamment l’avis de la Cour Internationale de justice du 23 juillet 2025 selon lequel peut constituer un fait international illicite le fait pour un État d’octroyer des permis d’exploration pour les hydrocarbures [6]. Absence de violation de l’article 8 de la Convention par l’État norvégien En l’espèce, la Cour a estimé qu’il n’y avait pas de violation de l’article 8 dès lors que l’évaluation des émissions de “scope 3” – c’est-à-dire des émissions liées à la combustion en aval du pétrole extrait – n’était pas requise à ce stade préliminaire de la procédure, limité à l’octroi d’une licence d’exploration. Elle considère que le cadre juridique norvégien offre des garanties suffisantes dès lors que cette évaluation est exigée lors de la phase ultérieure de développement et d’exploitation du projet. En ciblant une licence d’exploration pétrolière – visant un projet précis – les requérants espéraient ouvrir la voie à une remise en cause plus structurelle de la stratégie fossile norvégienne. Mais la Cour refuse d’apprécier le contenu de la politique climatique nationale et ne consacre aucune incompatibilité de principe entre l’autorisation de nouveaux projets pétroliers et l’objectif de limiter le réchauffement climatique à 1,5 °C tel qu’imposé par l’Accord de Paris. Néanmoins, la CEDH trace une grille de lecture exigeante pour les obligations procédurales des États en matière d’octroi de permis d’exploitation d’hydrocarbures. De surcroît, la reconnaissance par la Cour de l’existence d’un lien de causalité entre l’exploration, la production et la combustion du pétrole constitue un précédent important pour d’autres contentieux, notamment ceux visant des majors pétro-gazières. Notes [1] CEDH, Verein KlimaSeniorinnen Schweiz et autres c. Suisse [GC], Requête n° 53600/20, 9 avril 2024, https://hudoc.echr.coe.int/eng#{%22itemid%22:[%22001-233258%22]} [2] Norges Høyesterett 22 December 2020, No. 0-051052SIV-HRET, https://cdn.climatepolicyradar.org/navigator/NOR/2016/greenpeace-nordic-assn-v-ministry-of-petroleum-and-energy-people-v-arctic-oil_c4546edcd30d144ba35805a6ce08fe26.pdf [3] Tribunal International du Droit de la Mer, Demande d’avis consultatif n° 31 soumise par la Commission des petits États insulaires sur le changement climatique et le droit international (Demande d’avis consultatif soumise au Tribunal), 21 mai 2024, https://www.itlos.org/fileadmin/itlos/documents/cases/31/Advisory_Opinion/A31_avis_cons_21.05.2024_orig.pdf [4] EFTA Court (la Cour AELE), Case E-18/24, the Norwegian State, represented by the Ministry of Energy,and Greenpeace Nordic and Nature and Youth Norway, 21 mai 2025, https://eftacourt.int/wp-content/uploads/2025/05/18_24_Judgment_EN.pdf?x74056 [5] R (on the application of Finch on behalf of the Weald Action Group) (Appellant) v Surrey County Council and others (Respondents), UKSC/2022/0064, 20 juin 2024, https://supremecourt.uk/uploads/uksc_2022_0064_judgment_c3d44bb244.pdf confirmé par la Sessions Court, [2025] CSOH …
Vers une représentation de la Nature dans la gouvernance des entreprises : une proposition de loi inédite remise au député Charles Fournier pour discussion à l’Assemblée nationale
Communiqué de presse – Les associations Corporate Regeneration, Notre Affaire à Tous, Earth Law Center et B Lab France ont remis aujourd’hui au député écologiste Charles Fournier une proposition de loi visant à représenter la Nature au sein des entreprises. Cette initiative ouvre la voie à une économie alignée avec les impératifs écologiques, en donnant à la Nature une place au sein des instances de décision des entreprises. Depuis la loi Pacte de 2019, l’entreprise doit “prendre en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité”. Mais dans les faits, la Nature qui est essentielle à la création de valeur ajoutée, reste absente des conseils d’administration, des assemblées générales et du dialogue social, bien que les décisions qui soient prises aient un impact sur son devenir. À l’heure où les crises environnementales imposent de repenser le lien d’interdépendance que nous avons avec la Nature et sa contribution allant au-delà d’une valeur strictement marchande, cette proposition de loi entend franchir une étape décisive : faire de la Nature un véritable acteur décisionnaire au sein de l’entreprise. Cette proposition s’inscrit dans le sillage des expérimentations pionnières menées par Patagonia aux Etats-Unis, Faith in Nature au Royaume-Uni ou encore Norsys en France, qui ont déjà introduit des représentants de la Nature dans leurs structures de gouvernance. D’un point de vue philosophique, elle s’inscrit également dans une tendance mondiale visant à reconnaître des droits à la nature et à redéfinir nos interrelations avec le vivant. Pour Charles Fournier, député de Tours : “Il est temps de sortir de la vision qui a dominé notre développement économique pendant le siècle dernier, où la nature était considérée comme l’“environnement”, ce qui nous entourait, et qui devait être à notre service, une ressource à exploiter. Représenter la nature dans la gouvernance des entreprises est un acte majeur de ce changement de vision. L’entreprise de demain doit repenser sa gouvernance, c’est aussi ce à quoi je m’engage en parallèle pour une meilleure représentation des salariés.” Pour les associations co-porteuses de la proposition de loi : “Il est urgent d’intégrer la nature au cœur de la gouvernance des entreprises en lui donnant une voix. En l’état actuel du droit, ce sont les intérêts actionnariaux qui priment dans la gestion des affaires au détriment du vivant. Sans transformation profonde des modèles de gouvernance, aucune réconciliation ne pourra advenir entre économie et écologie.” Représenter la Nature au cœur de l’entreprise La proposition de loi regroupe trois dispositifs complémentaires : Nature et dialogue social : une “Nature syndiquée” avec l’obligation de créer une commission environnement dans les comités sociaux et économiques (CSE) des entreprises de plus de 250 salariés. Ces commissions, appuyées par des parties prenantes externes, auront pour mission d’étudier l’impact des activités au regard des neuf limites planétaires et de former les représentants du personnel à la gouvernance écologique. Nature dans les conseils d’administration : une “Nature administratrice” avec nomination, dans les grandes entreprises, de deux administrateurs représentant la Nature au sein des conseils d’administration. Ces représentants, désignés parmi des organismes d’intérêt général ou des établissements publics, disposeront d’un mandat clair pour défendre les écosystèmes naturels et accompagner la transition environnementale des entreprises. Ils bénéficieront d’une formation adaptée prise en charge par l’entreprise. Nature dans les assemblées générales : une “Nature actionnaire” en facilitant la cession d’une partie du capital à une fondation actionnaire représentant la Nature, et l’introduction d’un vote consultatif obligatoire sur la politique environnementale dans les assemblées générales. Inspiré du “Say on Climate”, ce mécanisme permettrait aux actionnaires — et aux fondations agissant au nom de la nature — d’exprimer leur position sur les stratégies climatiques et écologiques des entreprises. Les associations alertent toutefois : sans transformation réelle des pratiques, la représentation de la Nature risque de rester symbolique et de se transformer en greenwashing. Outre un changement des modes de gouvernance, les associations appellent donc également à une intégration systémique des enjeux sociaux et environnementaux dans la stratégie des entreprises. Une proposition soutenue par un écosystème d’acteurs Aux côtés des associations co-auteurs, plusieurs entreprises et organisations pionnières, dont Norsys et le Fonds de dotation pour la Biodiversité, ont d’ores et déjà apporté leur soutien à cette initiative, convaincues qu’elle constitue un nouveau cadre de gouvernance plus juste et plus soutenable. Les signataires invitent l’ensemble des parlementaires, syndicats, réseaux d’entreprises et citoyens à soutenir cette réforme ambitieuse, qui place la préservation du vivant au cœur de la stratégie d’entreprise. La proposition de loi est pour le moment sous embargo. À propos des associations Corporate Regeneration : think & do tank dédié à la refondation de la gouvernance d’entreprise à l’aune des enjeux écologiques et sociaux. Notre Affaire à Tous : organisation engagée pour la reconnaissance des droits de la nature et la justice climatique et sociale. Earth Law Center : ONG internationale pionnière dans la défense des droits de la nature et la promotion d’un droit du vivant. B Lab France : B Lab France est l’association loi 1901 qui représente le mouvement B Corp en France. L’association se positionne comme un acteur de transformation sociale, sociétale et environnementale qui remplit une mission d’intérêt général. Contacts presse Corporate Regeneration : Frantz Gault, frantz@corporateregeneration.org Notre Affaire à Tous : Marine Yzquierdo, marine.yzquierdo@notreaffaireatous.org Earth Law Center : Alexandra Pimor, apimor@earthlaw.org B Lab France : Sarah Cerange, scerange@bcorporation.eu Pour Charles Fournier : Pauline Rapilly Ferniot, pauline.rapilly-ferniot@clb-an.fr
Affaire Grande-Synthe : le Conseil d’État relâche la pression, en dépit des derniers chiffres alarmants sur le climat
Le Conseil d’Etat arrête son suivi de la trajectoire française Ce vendredi 24 octobre, le Conseil d’État a rendu sa décision dans le dossier Grande-Synthe. Ce dernier oppose la commune de Grande-Synthe et les associations de l’Affaire du Siècle (Notre Affaire à Tous, Greenpeace France et Oxfam France) à l’État concernant les objectifs climatiques de la France. Le Conseil d’État a choisi de suivre les recommandations du rapporteur public énoncées à l’audience du 10 octobre dernier et de considérer que l’État avait bien exécuté les injonctions découlant de ses deux condamnations par le Conseil d’État en 2021 et 2023. Dans un contexte de recul sur les politiques climatiques et de décrochage de la trajectoire de baisse d’émissions de gaz à effet de serre, une telle décision est préoccupante. Pour Elsa Ingrand, chargée de campagne chez Notre Affaire à Tous :« Il serait dangereux que l’État voit dans cette décision un signe de victoire, alors même que les émissions stagnent et que les politiques climatiques reculent. Le Conseil d’État ne valide pas l’action climatique du gouvernement : il constate simplement le respect d’objectifs désormais dépassés. » Un jugement basé sur des objectifs caduques Le Conseil d’État, qui juge l’exécution de ce recours, a considéré que l’État avait respecté son 2e budget carbone et était en mesure de respecter le 3e. Il remplirait ainsi ses obligations de réduction d’émissions de gaz à effet de serre. Toutefois, il faut préciser que le Conseil d’État a limité son analyse aux anciens objectifs climatiques, en vigueur au moment de la première décision en 2021, pourtant obsolètes aujourd’hui. Le jugement se fonde donc sur l’objectif de réduction de -40% des émissions d’ici à 2030, alors qu’il a été rehaussé à -55% des émissions nettes dans le cadre du Fitfor55 de l’Union européenne(1). Le jugement ne porte par ailleurs que sur les émissions brutes et non les émissions nettes, alors que les puits de carbone français sont en situation de grande fragilité(2). Une décision à contre-courant des dernières analyses Le rapporteur a pourtant souligné dans ses conclusions que la décision du Conseil d’État de ce jour ne “vaudra pas satisfaction des objectifs actuellement assignés à l’État français”. Lors de l’audience, il a noté les “incertitudes croissantes” concernant l’atteinte de l’objectif de -40%, et a fortiori, celle du nouvel objectif de -55%. Une telle décision est inquiétante, alors que nous assistons à un véritable décrochage de la trajectoire de réduction des émissions et à un manque de planification. Ainsi, les réductions d’émissions dont se prévaut l’État sur la période 2019-2023 résultent en grande partie de circonstances exceptionnelles (crise sanitaire, inflation, hiver doux) et non de politiques climatiques structurelles, ainsi que l’a relevé le Conseil d’État. Les derniers chiffres du CITEPA témoignent aussi de ce décrochage : la baisse des émissions de gaz à effet de serre pour l’année 2025 devrait se situer à seulement -0,8%, bien loin des -5% nécessaires chaque année. Cela confirme le ralentissement déjà observé en 2024 (-1,8%) et s’inscrit dans un contexte de recul sur les mesures climatiques (coupes budgétaires, suspension de MaPrimeRénov, suppression de certaines lignes internationales de train, favorisation de l’élevage intensif via la LOA et la Loi Duplomb). C’est d’autant plus alarmant que la première mouture du projet de loi de finances pour 2026 n’augure pas des politiques climatiques ambitieuses, loin de là. Cette décision ne met pas fin au combat de l’Affaire du Siècle : nous continuerons à exiger des politiques climatiques à la hauteur de l’urgence. Le débat sur les objectifs renforcés de la France est loin d’être clos et de nouvelles pistes juridiques pourraient être envisagées. En attendant, les conséquences du changement climatique sont déjà là et impactent les plus vulnérables. Il faut donc agir en parallèle sur l’adaptation, et la justice pourra se prononcer à ce sujet prochainement dans le cadre du Recours des sinistré·es climatiques. Notes (1) Rapporté à la France, cela représente un objectif d’environ -50% d’émissions brutes et -54% d’émissions nettes par rapport à 1990 selon le gouvernement. (2) Voir le dernier rapport du HCC, p. 79, p.89, p.95 notamment. Notes aux rédactions Les étapes du recours : Novembre 2018 : La commune de Grande-Synthe, qui fait face au risque de montée des eaux, attaque l’État devant le Conseil d’État Février 2020 : Les organisation de l’Affaire du Siècle (Notre Affaire à Tous, Greenpeace France, Oxfam France) rejoignent le recours via une intervention volontaire 19 novembre 2020 : Le Conseil d’État rend une décision actant que les objectifs climatiques de la France et sa trajectoire pour les atteindre contraignants 1er juillet 2021 : Le Conseil d’État condamne l’État une première fois, et l’enjoint de prendre des mesures supplémentaires avant avril 2022. 30 juillet 2021 : Entrée en vigueur de la Loi européenne pour le climat et du Fitfor55 au niveau européen, qui fixe des nouveaux objectifs de baisse d’émissions de gaz à effet de serre (à -55% d’ici 2030 par rapport aux niveaux de 1990). Ce nouvel objectif ne peut être intégré à l’affaire Grande-Synthe, cette dernière ayant été lancée avant l’adoption dudit objectif. 10 mai 2023 : Le Conseil d’État condamne l’État une deuxième fois, dont le bilan est insuffisant pour respecter son objectif climatique de – 40% et l’enjoint de prendre des mesures supplémentaires avant juin 2024. Il annonce qu’il surveillera le respect de cette décision. 2025 : Le Conseil d’État évalue de nouveau la trajectoire de la France dans le cadre de l’exécution de ses dernières décisions. Contact presse Elsa Ingrand, chargée de campagne pour Notre Affaire à Tous : elsa.ingrand@notreaffaireatous.org
Total condamnée pour greenwashing : un précédent juridique majeur contre la désinformation climatique des majors pétrolières
English Press Release Paris, le 23 octobre 2025 – Le tribunal judiciaire de Paris a rendu aujourd’hui une décision historique, première mondiale : il condamne TotalEnergies pour pratiques commerciales trompeuses en raison de ses allégations mensongères portant sur son “ambition d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2050″ et « d’être un acteur majeur de la transition énergétique”. Cette décision historique fait suite à l’action en justice initiée en 2022 par Les Amis de la Terre France, Greenpeace France et Notre Affaire à Tous, avec le soutien de ClientEarth. Elle dénonce la campagne de communication de la major autour de son changement de nom de Total à TotalEnergies en 2021. Cette victoire marque un tournant pour la protection des consommateurs, la préservation du climat et la lutte contre les pratiques de greenwashing. C’est la première fois à travers le monde qu’une major pétro-gazière est condamnée par la justice pour avoir trompé le public en verdissant son image au sujet de sa contribution à la lutte contre le changement climatique. Le tribunal juge que Total a “commis des pratiques commerciales trompeuses en diffusant, à partir du site www.totalenergies.fr, des messages reposant sur les allégations portant sur leur “ambition d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2050 » et « d’être un acteur majeur de la transition énergétique » de nature à induire en erreur le consommateur, sur la portée des engagements environnementaux du Groupe”. Par conséquent le tribunal ordonne à TotalEnergies et TotalEnergies Electricité et Gaz France : de cesser leur allégations mensongères(1) dans le délai d’un mois, sous peine d’astreinte provisoire de 10.000 euros par jour de retard, de publier la décision de justice sur la page d’accueil de leur site internet www.totalenergies.fr de façon visible pendant 180 jours. Les associations saluent cette décision, à la hauteur de la gravité des dommages climatiques causés par ce géant pétro-gazier. Cette victoire consacre trois ans de combat judiciaire et la détermination des associations à faire reconnaître la responsabilité de TotalEnergies dans la désinformation climatique. Les associations regrettent néanmoins que le tribunal ait rejeté leurs demandes concernant le gaz et les agrocarburants, car il a considéré que les communications visées n’étaient pas “en relation directe avec la promotion, la vente ou la fourniture des énergies de la société TotalEnergies aux consommateurs”. Le tribunal ne s’est cependant pas prononcé sur le contenu de ces communications. Pour Justine Ripoll, responsable des campagnes chez Notre Affaire à Tous : “En reconnaissant que la communication de Total trompe les consommateurs, la justice française s’attaque enfin à l’impunité du greenwashing fossile dont Total bénéficiait jusque-là. Elle envoie un message clair : la désinformation climatique n’est pas une stratégie commerciale acceptable. Les citoyens ont droit à une information honnête et les entreprises fossiles doivent rendre des comptes sur la réalité de leurs activités.” Pour Edina Ifticene, responsable de campagne chez Greenpeace France : ”Avec plus de 97 % de sa production d’énergie issue des hydrocarbures et près de 80 % de ses investissements toujours orientés vers les énergies fossiles, Total continue d’aggraver la crise climatique, tout en prétendant contribuer à sa résolution. La décision historique du tribunal interdit enfin à la multinationale de dissimuler les dégâts qu’elle cause derrière des artifices de communication verte.(2)” Pour Juliette Renaud, coordinatrice des Amis de la Terre France : “Nous espérons que la décision du tribunal aidera à faire la lumière sur la réalité des activités de Total, qui continue son expansion pétrogazière sur tous les continents, et en particulier en Afrique, au prix de graves violations des droits humains, et de dommages environnementaux et climatiques irréversibles. La multinationale s’entête notamment à vouloir relancer son méga projet gazier Mozambique LNG, malgré un contexte sécuritaire et humanitaire alarmant. A lui seul, ce projet contribuerait à produire entre 3,3 et 4,5 milliards de tonnes d’équivalent CO₂. Il est temps de contraindre Total et les autres majors à se conformer aux recommandations des scientifiques pour en finir avec le développement de nouveaux projets fossiles.” Cette décision s’inscrit dans un contexte international où de plus en plus d’entreprises, notamment pétrolières, sont mises en cause pour des pratiques similaires. Enfin, à l’approche de la COP30, cette décision envoie un signal fort à l’ensemble de l’industrie fossile. La justice française vient aujourd’hui d’ouvrir la voie à d’autres actions similaires en Europe et dans le monde. Avec ce précédent majeur, c’est la stratégie globale de dissimulation des responsabilités climatiques des puissants groupes pétro-gaziers qui est en question. Faire reculer la désinformation climatique qu’ils orchestrent, c’est faire un grand pas en faveur de la transition énergétique. Notes (1) Liste des allégations visées :- « Notre ambition est d’être un acteur majeur de la transition énergétique tout en continuant à répondre aux besoins en énergie des populations”. – « Nous plaçons le développement durable au cœur de notre stratégie, de nos projets et de nos opérations pour contribuer au bien-être des populations, en ligne avec les Objectifs de Développement Durable définis par les Nations-Unies. »- « Nous plaçons le développement durable au cœur de notre stratégie, de nos projets et de nos opérations pour contribuer au bien-être des populations, en ligne avec les Objectifs de Développement Durable définis par les Nations-Unies. » « Plus d’énergies, moins d’émissions: c’est le double défi que nous devons relever aux côtés de nos parties prenantes afin de contribuer au développement durable de la planète et faire face au défi climatique.Nous avons pour ambition de contribuer à atteindre la neutralité carbone d’ici 2050 ensemble avec la société […] En proposant à nos clients des produits énergétiques de moins en moins carbonés ». (2) Voir les paragraphes 130 à 132 du jugement. Contacts presse Notre Affaire à Tous : Justine Ripoll – justine.ripoll@notreaffaireatous.org Les Amis de la Terre France : Juliette Renaud – juliette.renaud@amisdelaterre.org Greenpeace France : Franck Mithieux – franck.mithieux@greenpeace.org Lire le dossier de presse Lire la décision
Le manuel militant : comprendre les injustices et agir. les impacts inégalitaires de la crise environnementale en france
Il est parfois difficile de parler de sujets comme celui de la crise environnementale autour de soi. Pourtant, chez Notre Affaire à Tous, nous sommes convaincu·es qu’il est essentiel de partager les interactions entre enjeux écologiques, sociaux et économiques, pour comprendre l’aspect fondamentalement systémique de notre lutte. Car l’information sur les impacts existants de la triple crise environnementale en France reste trop rare, trop cantonnée ; Car les territoires et personnes premières concernées par les dérèglements climatiques et problématiques environnementales se rassemblent et font porter leur voix, notamment au travers d’actions en justice ; Car ces problématiques d’inégalités écologiques sont des problématiques de droits humains, dont la garantie doit être une priorité ; Car, enfin, les premières victimes de ce silence sont celles et ceux qui ont déjà peu de voix dans la décision publique : ce sont les plus précaires, les plus fragiles, qui subissent les premier·es les impacts des changements climatiques, souvent sans faire la une des journaux. À l’occasion de ses 10 ans, Notre Affaire à Tous publie un manuel militant qui propose les principales clés pour comprendre facilement ces interactions et pouvoir en parler. Par un format interactif, ce manuel ne souhaite pas rendre le sujet plus léger, mais bien inviter le·a lecteur·rice à adopter une posture active vis-à-vis de ces enjeux fondamentaux, afin de comprendre que la lutte contre les inégalités écologiques est bien notre affaire à tous·tes, et qu’il est possible pour chacun·e d’agir. Au sommaire Édito de Jérémie Suissa, délégué général de Notre Affaire à Tous IMPACTS : comprendre les injustices environnementales pour agir Un manuel militant : pourquoi faire ? 1. Travailler dans un monde à +4°C 2. Les territoires face au changement climatique : surexposition et mal-adaptation 3. Identités et groupes sociaux : “dis moi qui tu es, je te dirais comment tu es impacté·e”… Et maintenant, on fait quoi ? Lire et imprimer le manuel militant
Grande-Synthe : le rapporteur public veut tourner la page de l’affaire, en dépit des chiffres alarmants sur le climat publiés ce jour
Ce vendredi 10 octobre s’est tenue une audience au Conseil d’État dans le dossier qui oppose la commune de Grande-Synthe et les associations de l’Affaire du Siècle (Notre Affaire à Tous, Greenpeace France et Oxfam France) à l’État concernant les objectifs climatiques de la France. Après avoir condamné l’État à deux reprises en 2021 et 2023, le Conseil d’État se prononcera une nouvelle fois d’ici la fin de l’année sur l’exécution de ses décisions. Il statuera alors sur la capacité de l’État à respecter son ancien objectif de baisse d’émissions de gaz à effet de serre de -40% d’ici à 2030, par rapport aux niveaux de 1990. L’audience a été l’occasion pour le rapporteur public de présenter ses conclusions. Le rapporteur public a estimé que l’État serait en mesure de respecter cet objectif, qui est pourtant entre-temps devenu obsolète au regard des dernières obligations européennes. Les organisations de l’Affaire du Siècle déplorent cette analyse sur l’ancien objectif, qui va à l’encontre des expertises sur le sujet, y compris celle du Haut Conseil pour le Climat. Un périmètre d’analyse obsolète et incomplet Se basant sur des obligations désormais caduques, le rapporteur public recommande au Conseil d’État de ne contrôler le respect que d’une partie des engagements de la France. Il fonde ainsi son appréciation sur l’objectif désormais obsolète de réduction de -40% des émissions d’ici à 2030, alors même que le seuil a été rehaussé au niveau européen dans le cadre du Fitfor55, et s’établit désormais à -55 % en émissions nettes au niveau européen (1). Concernant ce nouvel objectif, il admet qu’il risque de ne pas être respecté, sans pour autant le prendre en compte dans ses conclusions. De même, l’analyse concerne seulement les émissions brutes de la France et non pas ses émissions nettes, alors que nous assistons à un affaiblissement conséquent des niveaux de puits de carbone (2), ce qui met en péril notre capacité à atteindre les objectifs climatiques français et européens. Des conclusions qui nient la réalité des chiffres et le manque de mesures efficaces Aussi, les organisations de l’Affaire du Siècle émettent de sérieux doutes concernant la capacité de la France à respecter cette cible de -40%, bien qu’elle soit caduque. Les derniers chiffres en témoignent : le CITEPA publie ce jour une prévision de baisses d’émissions de gaz à effet de serre pour l’année 2025 à -0,8%, bien loin des -5% nécessaires chaque année. Cela confirme le ralentissement et le potentiel décrochage de trajectoire, déjà observé en 2024 (-1,8%). De même, les réductions dont l’État se targue pour le budget carbone 2019-2023 reposent en partie sur des effets conjoncturels (crise du Covid-19, inflation, hivers doux), de l’aveu du Conseil d’État lui-même. Pourtant, la lutte contre le changement climatique nécessite des politiques programmées et de long terme. En tout état de cause, rien n’assure que l’objectif de -40% pourra être respecté. Dans un contexte de recul sur les mesures climatiques (coupes budgétaires, suspension de MaPrimeRénov, suppression de certaines lignes internationales de train, favorisation de l’élevage intensif via la LOA et la Loi Duplomb), L’Affaire du Siècle appelle le Conseil d’État à continuer son évaluation de la trajectoire de l’État sur les prochaines années et à enjoindre à l’État de mettre en place une politique climatique véritablement cohérente, notamment via la publication de la SNBC-3 et la PPE-3, attendues depuis près de deux ans déjà. Sans évolution radicale dans les politiques climatiques et si le Conseil d’État arrête son contrôle, le risque reste élevé qu’en 2028, nous réalisions que le 3ème budget carbone de la France a été largement dépassé. Notes (1) Rapporté à la France, cela représente un objectif d’environ -50% d’émissions brutes et -54% d’émissions nettes par rapport à 1990 selon le gouvernement. (2) Voir le dernier rapport du HCC, p. 79, p.89, p.95 notamment Notes aux rédactions Les étapes du recours : Novembre 2018 : La commune de Grande-Synthe, qui fait face au risque de montée des eaux, attaque l’État devant le Conseil d’État Février 2020 : Les organisation de l’Affaire du Siècle (Notre Affaire à Tous, Greenpeace France, Oxfam France) rejoignent le recours via une intervention volontaire 19 novembre 2020 : Le Conseil d’État rend une décision actant que les objectifs climatiques de la France et sa trajectoire pour les atteindre contraignants 1er juillet 2021 : Le Conseil d’État condamne l’État une première fois, et l’enjoint de prendre des mesures supplémentaires avant avril 2022. 30 juillet 2021 : Entrée en vigueur de la Loi européenne pour le climat et du Fitfor55 au niveau européen, qui fixe des nouveaux objectifs de baisse d’émissions de gaz à effet de serre (à -55% d’ici 2030 par rapport aux niveaux de 1990). Ce nouvel objectif ne peut être intégré à l’affaire Grande-Synthe, cette dernière ayant été lancée avant l’adoption dudit objectif. 10 mai 2023 : Le Conseil d’État condamne l’État une deuxième fois, dont le bilan est insuffisant pour respecter son objectif climatique de – 40% et l’enjoint de prendre des mesures supplémentaires avant juin 2024. Il annonce qu’il surveillera le respect de cette décision. 2025 : Le Conseil d’État évalue de nouveau la trajectoire de la France dans le cadre de l’exécution de ses dernières décisions. Contacts presse Elsa Ingrand, Chargée de campagne pour Notre Affaire à Tous, elsa.ingrand@notreaffaireatous.orgMarika Bekier, Oxfam France, mbekier@oxfamfrance.org
Numéro 23 de la newsletter des affaires climatiques et environnementales – Les espoirs d’une réglementation européenne des PFAS face aux volontés de dérégulation de l’industrie chimique
S’abonner à la newsletter Affaires climatiques et environnementales Chères lectrices, chers lecteurs, Pour cette vingt-troisième newsletter des affaires climatiques et environnementales, vous trouverez en focus un article sur les espoirs d’une réglementation européenne des PFAS face aux volontés de dérégulation de l’industrie chimique. Ensuite, vous retrouverez les chroniques de deux décisions récentes. La première concerne la décision de la cour constitutionnelle colombienne ordonnant aux autorités d’agir face aux catastrophes naturelles, jugeant que leur inaction violait les droits humains d’un propriétaire dont la maison est régulièrement inondée. La seconde porte sur la décision de la Cour constitutionnelle belge de censurer le report d’une ZFE sur le fondement du droit à un environnement sain. Très bonne lecture et merci d’être toujours aussi nombreux et nombreuses à lire ce courrier ! Et si vous souhaitez, vous aussi, vous investir dans la rédaction des prochains numéros, c’est par ici. Clarisse Macé, co-référente du groupe de travail veille-international Sommaire Focus – Les espoirs d’une réglementation européenne des PFAS face aux volontés de dérégulation de l’industrie chimique Affaire climatique La cour constitutionnelle colombienne a ordonné aux autorités d’agir face aux catastrophes naturelles, jugeant que leur inaction viole des droits humains d’un propriétaire dont la maison est régulièrement inondée. Affaire environnementale La Cour constitutionnelle belge a censuré le report d’une ZFE sur le fondement du droit à un environnement sain Focus : Les espoirs d’une réglementation européenne des PFAS face aux volontés de dérégulation de l’industrie chimique Le 27 février 2025 est à marquer d’une pierre blanche pour la lutte contre « l’une des plus graves contaminations auxquelles le monde est aujourd’hui confronté » : la première loi française visant à protéger la population des risques liés aux substances PFAS a été publiée au Journal Officiel, un an après le début des discussions législatives et moins de trois ans après la révélation du scandale en France. Inédite dans son ambition, elle vient surtout combler un vide réglementaire historique, qui a permis à des industriels producteurs et utilisateurs de ces molécules ultra résistantes et persistantes, dont les impacts sur la santé sont documentés de façon croissante, de contaminer nos écosystèmes et nos corps. Comment les processus de réglementation de l’industrie chimique, en grande partie européen, ont-ils amené à cette production d’ignorance ? Est-il envisageable aujourd’hui qu’ils permettent une meilleure application du principe de précaution, et ce à l’échelle de l’Union ? Lire le focus Affaire climatique La cour constitutionnelle colombienne a ordonné aux autorités d’agir face aux catastrophes naturelles, jugeant que leur inaction viole des droits humains d’un propriétaire dont la maison est régulièrement inondée. Un homme de 80 ans a vu sa maison inondée régulièrement pendant plus de douze ans. Les autorités locales colombiennes ont, à chaque fois, agi pour protéger ce citoyen, mais, par manque de moyens, n’ont jamais fait que réparer les dégâts causés sans créer de solution à long terme ou de moyen de prévention pour aider l’administré. Les inondations se sont donc répétées, causant à chaque fois des dommages et créant une inquiétude chez l’octogénaire. Les juges de la Cour constitutionnelle colombienne ont dû déterminer si les actions mises en place par les autorités locales suffisent à protéger les droits des administrés à un logement digne, à un procès équitable et à la dignité humaine. Lire l’article Affaire environnementale La Cour constitutionnelle belge a censuré le report d’une ZFE (zone à faibles émissions) sur le fondement du droit à un environnement sain Le 21 mars 2025, la Région de Bruxelles-Capitale a, par ordonnance, décalé de deux ans l’application d’une nouvelle phase de la zone à faibles émissions (ZFE). En effet, de nouvelles restrictions de circulation pour certains types de véhicules initialement prévues pour le 1er janvier 2025 étaient décalées au 1er janvier 2027. Plusieurs associations, notamment des droits humains et de protection de la santé, ainsi que plusieurs habitants touchés par des problèmes respiratoires aggravés par la pollution de l’air, ont saisi la Cour constitutionnelle belge pour suspendre l’exécution de ladite ordonnance. La décision de décaler l’application de mesures restrictives de la circulation pour limiter la pollution de l’air constitue-t-elle une violation du droit à un environnement sain et du droit à la protection de la santé ? Lire l’article
Causalités environnementale et climatique : dépasser les incertitudes scientifiques par le droit
Article écrit par Manolo Cléarc’h-Chalony, élève-avocat. Ce travail a fait l’objet d’une relecture augmentée. Il n’engage que le point de vue de son auteur·ice. Si vous constatez une erreur ou point de précision nécessaire, n’hésitez pas à nous écrire pour nous le signaler. Télécharger l’article en format PDF : Article au format PDF “Le juge ne recherche pas une vérité absolue ; il se borne à relever les indices qui engendreront dans son esprit un sentiment de probabilité” [1] – R.PERROT. Objet. La caractérisation du lien de causalité est une étape cardinale du contentieux de la responsabilité environnementale et climatique. Elle irrigue une grande partie des contentieux portés par la société civile, bien au-delà des frontières de l’Hexagone [2]. Ce constat a poussé l’équipe de Notre Affaire à Tous à identifier les problèmes rencontrés à ce sujet dans ses contentieux en matière climatique et en matière de santé environnementale. Dans ces deux types d’affaires, les enjeux probatoires s’agissant de la causalité sont au centre des débats judiciaires, académiques et politiques. L’objectif de ce travail est, une fois les principaux obstacles identifiés, de proposer des leviers permettant de faciliter la reconnaissance du lien causal lorsqu’une incertitude scientifique ou une multiplicité de facteurs explicatifs contrarient la caractérisation juridique de la causalité. Une définition juridique de la causalité. Le lien de causalité est décrit comme “la condition la plus mystérieuse de la responsabilité civile” [3] en raison de son “caractère insoluble” [4]. La causalité, au sens commun du terme, désigne le rapport de cause à effet entre deux événements. Elle se différencie ainsi de la simple corrélation ou encore de l’association, notamment en termes statistiques, qui ne font que démontrer un lien de variation entre deux événements sans se prononcer sur la causalité de l’un avec l’autre. En termes juridiques, le lien de causalité est une des trois conditions traditionnellement requises pour engager la responsabilité civile d’une personne [5]. Il relie le fait générateur au dommage et ce, dans la plupart des régimes de responsabilité, même objectifs [6]. Pour être retenu par les juridictions, ce lien causal doit classiquement être direct et certain [7]. Si ce lien causal est omniprésent en matière de responsabilité, aucune définition n’en est donnée par le code civil. Les projets de réforme de la responsabilité civile viennent entériner la nécessaire démonstration de ce lien de causalité [8] sans en donner de définition explicite [9]. De ce fait, la doctrine et la jurisprudence ont, de concert, délimité les contours de cette notion à partir de plusieurs théories. Parmi celles-ci, la théorie de l’équivalence des conditions et celle de la causalité adéquate sont les plus mobilisées. La première pourrait être définie à partir de l’article 6.18 du code civil belge dans sa rédaction issue de la loi du 7 février 2024. Cet article dispose que le “fait générateur de responsabilité est la cause d’un dommage s’il est une condition nécessaire de ce dernier. Un fait est une condition nécessaire du dommage si, sans ce fait, le dommage ne se serait pas produit tel qu’il s’est produit dans les circonstances concrètes présentes lors de l’événement dommageable”. En suivant cette théorie, toutes les conditions sine qua non du dommage doivent être prises en compte au titre de la causalité. Il faut ainsi mener une recherche hypothético-contrefactuelle en se demandant si, en l’absence de réalisation d’une condition, le résultat aurait été le même. En d’autres termes, “si en l’absence de A, B ne se serait pas produit, alors A est une condition sine qua non de B” [10] et devra être tenu comme la cause de B. La jurisprudence française applique cette théorie, sans toutefois la nommer expressément. C’est ainsi que la causalité entre l’accident de la circulation et la contamination de la victime par l’hépatite C, lors d’une transfusion sanguine rendue nécessaire par le choc, a été reconnue [11]. La jurisprudence a également recours à la théorie de l’équivalence des conditions en matière médicale ou de défaut de produits pharmaceutiques [12]. Il est, par ailleurs, enseigné que cette théorie serait davantage appliquée par les juridictions en présence d’une faute délictuelle [13]. S’agissant de la causalité adéquate, elle se fonde sur la notion de prévisibilité. La condition d’un résultat doit être celle prévisible selon le cours normal des choses. C’est la condition qui apparaît la plus probable à une personne raisonnable. En d’autres termes, il faut rechercher, postérieurement à la survenance du dommage, la raison la plus probable de l’avoir causé. L’application de cette théorie de la causalité amène les juridictions à être plus sévères en ne reconnaissant que la cause la plus à même d’expliquer le dommage ou, pour reprendre les mots de C.KAHN “un évènement est la cause adéquate d’un dommage lorsqu’il est susceptible de le produire dans la majorité des cas” [14]. L’ensemble des autres causes, qui ont concouru au dommage sans pour autant être susceptibles de le causer dans la plupart des cas, sont donc exclues. La jurisprudence a, par exemple, retenu que la seule cause des blessures d’un policier poursuivant une personne refusant d’obtempérer n’est pas ce refus, mais bien la chute accidentelle, indépendante du comportement du fuyard [15]. Cette théorie est intéressante en ce sens qu’elle repose, en grande partie, sur le caractère probabiliste des événements [16]. Seulement, elle ne permet pas de dégager une causalité dans le cas où une incertitude entoure l’événement considéré. Sans connaissance scientifique préalable de la probabilité qu’un événement cause de manière générale un résultat, il n’est pas possible d’identifier une telle causalité adéquate. Des théories rejetées. Dans un premier Livre Blanc [17], publié au mois d’octobre 2023, l’association Notre Affaire à Tous concluait déjà à la nécessaire évolution de la conception du lien de causalité en matière d’exposition aux pollutions chimiques. En effet, en matière de santé environnementale, la mobilisation des théories rappelées ci-avant n’est pas suffisante pour retenir une causalité certaine et directe entre l’exposition aux diverses pollutions et la survenance de certaines pathologies. Ces dernières sont, bien souvent, multifactorielles et les pollutions sont diffuses. Dans cette configuration, la méthodologie déductive, …
Pesticides : « Monsieur le Premier ministre, vous n’avez plus le choix : il est temps d’agir »
Tribune disponible également sur le blog de Mediapart : https://blogs.mediapart.fr/justice-pour-le-vivant/blog/300925/pesticides-monsieur-le-premier-ministre-vous-n-avez-plus-le-choix-il-est-temps-d-agir La justice a tranché : les protocoles d’évaluation et d’autorisation des pesticides en France sont invalides, obsolètes et dangereux. Monsieur le Premier ministre, la France ne peut plus ignorer l’urgence de réformer les autorisations de mise sur le marché des pesticides. Le 3 septembre 2025, la cour administrative d’appel de Paris a rendu une décision historique : pour protéger la biodiversité et la santé publique, elle a ordonné à l’État d’actualiser, dans un délai de 24 mois, les protocoles d’évaluation et d’autorisation des pesticides. Les juges ont également exigé la réévaluation de l’ensemble des autorisations de mise sur le marché (AMM) insuffisamment protectrices du Vivant, et la présentation sous six mois d’un calendrier détaillé pour conduire cette révision. Cette décision, obtenue dans le cadre de l’action collective Justice pour le Vivant (portée depuis 2022 par Notre Affaire à Tous, POLLINIS, Biodiversité sous nos pieds, ANPER-TOS et l’ASPAS), confirme la responsabilité de l’Etat dans la « contamination généralisée, diffuse, chronique et durable des eaux et des sols par les produits phytopharmaceutiques ». Pour la première fois, la justice reconnaît ce que la science ainsi que les collectifs associatifs et citoyens dénoncent depuis longtemps : l’obsolescence des protocoles d’évaluation et d’autorisation des pesticides. Leur actualisation n’est désormais plus seulement une exigence scientifique, mais aussi une obligation légale. Monsieur le Premier ministre, vous n’avez plus le choix : il est temps d’agir. Des solutions existent. Nous vous en proposons quelques unes aujourd’hui, et nous sommes prêts à travailler avec vous pour les mettre en œuvre dans les délais stricts ordonnés par la CAA de Paris, soit le 3 mars 2026 pour le calendrier de révision des AMM, et le 3 septembre 2027 concernant la refonte complète des protocoles : Aligner les procédures d’évaluation des pesticides sur les standards scientifiques préconisé par les experts notamment les scientifiques de l’EFSA (Autorité européenne de sécurité des aliments) dès 2013. Garantir l’indépendance de l’Anses en lui allouant les moyens humains et financiers nécessaires pour remplir sa mission d’intérêt général de protection des écosystèmes et de notre santé. Réévaluer immédiatement les AMM des fongicides SDHI, ainsi que des insecticides et herbicides dont les dangers pour la biodiversité et la santé humaine sont avérés. La France peut devenir un modèle de protection de la biodiversité et de la santé publique, et le leader de la transition agricole face à un modèle devenu insoutenable à court terme. Nous ne demandons pas l’impossible : nous exigeons que l’État respecte enfin le droit de l’Union européenne, la loi, la science et l’intérêt général. L’Histoire et les générations futures jugeront les choix que vous ferez aujourd’hui. Serez-vous du côté de ceux qui protègent la vie, ou de ceux qui la sacrifient au profit d’intérêts à court terme ? Signataires Nicolas Laarman, délégué général de POLLINIS Jérémie Suissa, délégué général de Notre Affaire à Tous Dorian Guinard, porte parole de Biodiversité sous nos pieds
Pesticides : POLLINIS, Notre Affaire à Tous et Générations Futures saisissent le Conseil d’Etat pour demander l’annulation du décret réduisant l’indépendance de l’ANSES
Communiqué de presse – POLLINIS, Notre Affaire à Tous et Générations Futures déposent deux recours en justice auprès du Conseil d’Etat pour demander l’annulation du décret du 8 juillet 2025 portant diverses dispositions relatives à l’autorisation des produits phytopharmaceutiques. Ce décret, qui constitue une tentative d’ingérence de la part du ministère de l’Agriculture, menace l’indépendance de l’agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) au profit d’intérêts économiques. Le rôle de l’ANSES est de délivrer, modifier ou retirer les autorisations de mise sur le marché des pesticides, en garantissant une expertise scientifique indépendante. Or, ce décret permet au ministre de l’Agriculture de s’immiscer dans les travaux de l’ANSES, en soumettant au directeur général une liste de demandes d’autorisation de mise sur le marché de pesticides qu’il juge prioritaires pour certaines filières agricoles. Cette immixtion affaiblit l’indépendance de l’Agence et l’objectif de ce décret est clair : introduire une logique de priorisation économique dans un processus censé être guidé uniquement par des impératifs d’intérêt général, de santé publique et de protection de l’environnement. Ce texte, entré en vigueur deux jours après l’adoption de la loi Duplomb, s’inscrit dans la continuité d’une manœuvre antidémocratique. Pour rappel, lors des discussions parlementaires dans le cadre de la proposition de loi visant à lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur, cette volonté de réduire l’indépendance de l’ANSES avait été rejetée en commission mixte paritaire. « Le Gouvernement a finalement fait passer par voie réglementaire ce qu’il n’avait pas réussi à faire passer par voie législative » réagit Arnaud Gossement, du cabinet représentant l’association POLLINIS. Pour Maître Hermine Baron du cabinet TTLA qui représente quant à elle les associations Notre Affaire à Tous et Générations Futures « c’est une atteinte à l’indépendance de l’ANSES, qui risque d’ouvrir la voie à une ingérence toujours plus forte dans les procédures d’évaluation, au mépris de la protection de la santé et de l’environnement. » Pour POLLINIS, Notre Affaire à Tous et Générations Futures, cette mesure est illégale et dangereuse: « C’est un coup de force sans précédent mené contre l’autorité sanitaire française chargée de protéger les abeilles et la biodiversité dans son ensemble, ainsi que notre santé. Désormais, le ministère de l’Agriculture peut directement faire pression sur l’ANSES pour satisfaire les exigences des lobbys de l’industrie agrochimique, au mépris des impératifs de santé publique et de protection de l’environnement ». CONTACTS PRESSE POLLINISHélène Angot, Chargée de communication : presse@pollinis.org Notre Affaire à TousEmilien Capdepon, Chargé de campagnes : emilien.capdepon@notreaffaireatous.org Générations FuturesYoann Coulmont, Chargé de plaidoyer : plaidoyer@generations-futures.fr
