Plusieurs journaux sont revenus sur le climat de l’année 2022 et sur l’été particulièrement hors-normes que nous avons connus. Cela était-il prévisible ? Oui, le GIEC alerte depuis les années 90 sur les conséquences du changement climatique.

Quels impacts ces évènements climatiques extrêmes ont eu concrètement en France ? C’est cette question qui a intéressé le groupe de travail inégalités climatiques qui suit au sein de sa revue IMPACTS les impacts différenciés du changement climatique sur la population et le territoire français. Nous avons eu à cœur de dresser une synthèse à partir des nombreuses données chiffrées qui sont remontées ces dernières semaines afin de dresser un premier bilan de l’été 2022 et de vous le partager.

Cette synthèse montre que les impacts concernent tout le territoire français et perdurent dans le temps. Ainsi, en décembre, 20 départements étaient encore en alerte sécheresse. Ce bilan fait également apparaître que si toute la France a souffert des évènements climatiques extrêmes survenus pendant l’été, des parties de la population et des territoires ont été plus touché.e.s que d’autres dessinant des vulnérabilités différenciées qui nous permettent de mieux comprendre comment le changement climatique s’ancre en France. Elle met en évidence que des politiques d’adaptation sont à prendre dès maintenant pour limiter et anticiper ces impacts et protéger en priorité les territoires et les populations les plus impactées par le changement climatique pour des raisons d’équité.

Sommaire

I. Retour sur les évènements climatiques extrêmes de l’été 2022 en France
II. Bilan humain de l’été 2022
III. Les impacts sur les sols et la biodiversité
IV. Pertes et dommages : les sinistres pour les particuliers
V. Autres pertes et dommages : les impacts importants sur l’agriculture et
l’alimentation

I. Retour sur les évènements climatiques extrêmes de l’été 2022 en France

Cet été a été marqué par : 

3 vagues de chaleur intenses.
• 33 jours de canicule.

2022 est le deuxième été le plus chaud enregistré après 2003, juste avant celui de 2018 et le mois de juin a été le plus chaud jamais enregistré (maximale à 36,2°C).
Cet été se classe parmi les 10 étés les plus secs sur la période 1959-2022. Cette sécheresse n’est pas un événement isolé, l’été 2019 et l’été 2020 avaient déjà été particulièrement secs.

Les orages ont été exceptionnellement nombreux et ont souvent
été accompagnés de chutes de grêle dévastatrices ou de rafales
de vent dépassant les 200 km/ heure ou de pluie diluvienne.

Les orages ont occasionné 23 000 coupures d’électricité, et
100 communes ont été ravitaillées en eau potable à cause du
manque d’eau.

• De très nombreux incendies, dont les feux de Gironde.
• En France, les feux de l’été sont jusqu’à plus de 7 fois plus importants
que la moyenne des 15 dernières années.

Tous les départements français ont été en alerte sécheresse, 57 départements étaient en crise, une vingtaine étaient encore en alerte en décembre.
• Des ruptures de glacier se sont produits dans les Pyrénées et les Alpes.

Le saviez-vous ?

Strasbourg a connu 50 jours de chaleur consécutifs (plus de 25 °C) et Marseille 113 jours de chaleur consécutifs à partir du 9 mai. La température de la mer Méditerranée était de 4 à 5 degrés au-dessus des températures normales, c’est cette hausse des températures qui explique en partie la violence des orages survenus en Corse à la fin de l’été.

Quels impacts ont eu ces évènements au-delà de leur caractère hors-normes ?

II. Bilan humain de l’été 2022

Ces événements ont d’abord eu de graves conséquences sur la vie de nombreuses personnes.

Le chiffre le plus impressionnant est le nombre de décès suite aux trois vagues de chaleur qui auraient entraîné 10 420 décès supplémentaires entre le 1ᵉʳ juin et le 15 septembre 2022.

Autre chiffre révélateur de la vulnérabilité des travailleurs en extérieur, 7 personnes auraient été victimes d’accidents du travail mortels liés à la chaleur d’après la Direction générale du travail.

Suite aux orages et incendies, 7 personnes ont péri dans les orages et incendies, 49personnes ont été blessées, dont de nombreux pompiers, et au moins 45 000 personnes ont été évacuées. (Ces derniers chiffres ont été récoltés en réalisant une veille de plusieurs médias sur tout l’été.

Enfin, les recours aux soins aux urgences ont été multipliés par deux créant un effet d’engorgement dans les hôpitaux déjà fragilisés par les vagues successives de covid qui ont continué durant l’été.

Qui a été le plus touché ?

Les personnes les plus touchées ont été : les pompiers, les touristes, les travailleurs en extérieur et les personnes âgées de plus de 75 ans qui représentent 80 % des mort.e.s des vagues de chaleur.
Les régions : Bretagne (+ 19,9 %), Grand Est (+ 25,7 %) et Île-de-France (+ 20,8 %) ont les
excès de mortalité relatifs les plus importants
Source : https://reporterre.net/Canicule-et-Covid-ont-cause-10-000-morts-en-plus

III. Les impacts sur les sols et la biodiversité

Le bilan des incendies

L’impact le plus saisissant sur les paysages et les écosystèmes est celui laissé par les incendies qui ont été 7 fois plus importants en France que la moyenne des 15 dernières années. Cette augmentation du nombre d’incendies a touché tous les pays d’Europe.

En plus des vies touchées par les feux de l’été, c’est 61 289 hectares qui ont brûlé, soit 6 fois la taille du département de Paris.

Par ailleurs, des moyens considérables ont été déployés pour éteindre ces incendies. Le coût de chaque intervention s’élèverait d’après Le Parisien à un chiffre compris entre 750 000 à un million d’euros.

En juillet 2022, ce sont 3 000 hommes qui ont été mobilisés, 2 000 au plus près du feu et 1000 pour gérer le déroulement des interventions. En termes de matériel, c’est 350 engins de lutte et 200 en appui qui ont été mobilisés, soit un coût global à plus de 100 millions d’euros. En plus de leur coût sur le terrain, l’indemnisation des véhicules défaillants représente un coût
considérable. À titre d’exemple, les gros camions peuvent coûter jusqu’à 300 000 euros et 50 000 euros pour les 4×4.

Enfin et surtout, ces interventions ont de lourds impacts en terme de santé, car elles sont génératrices de stress intense comme ont pu l’indiquer les équipes de soin qui suivent les sapeurs-pompiers à la presse.

Impacts sur les forêts

Les peuplements forestiers ont été fortement impactés par la sécheresse. De nombreux témoignages ont rapporté l’état dégradé de la végétation qui affichait des couleurs d’automne en plein été.

Les forêts ont été touchées aussi par les épisodes de grêle du début de l’été durant lesquels de nombreux arbres ont été blessés sur des dizaines voire des centaines d’hectares. Les plus forts dégâts en forêt se sont produits dans les régions de : Bourgogne-Franche-Comté, la Nouvelle-Aquitaine (Dordogne, Gironde, Landes, Deux-Sèvres, Vienne et Creuse), le Centre
(Loir-et-Cher, Indre, Maine-et Loire) et l’Allier.

Impacts sur la faune

Malgré le manque de données chiffrées dont nous disposons pour le moment, la LPO, le CNRS, ou encore Eau de France, ont signalé les vulnérabilités qu’occasionnaient la sécheresse mais aussi les intempéries sur la population animale

Outre l’impact important de la sécheresse sur le bétail, les chercheur.se.s ont souligné que les milieux aquatiques ont été fortement perturbés par les vagues de canicules qui ont occasionné de faibles étiages ou des assecs, une hausse de la température de l’eau, une baisse de la quantité d’oxygène, et favorisé l’apparition de micro-algues. De nombreux sauvetages de poissons ont ainsi été effectués partout en France et de nombreuses populations de poissons sont mortes, par exemple dans la Loire ou au nord de Pau, sur le lac de Serre-Castets.

Les chercheur.se.s ont rapporté que les oiseaux, vulnérables à la déshydratation, ont souffert plus particulièrement des intempéries de juin ou du manque d’eau lié à la sécheresse.

Enfin, les incendies en Bretagne et en Gironde, ont tué ou privé de leur habitat de nombreux animaux sauvages : des insectes, des amphibiens, des reptiles et des mammifères.

Impacts sur les glaciers

L’enneigement historiquement bas dans les Écrins cet hiver et les fortes chaleurs persistantes, dès le printemps, ont eu des conséquences sur plusieurs glaciers des Hautes-Alpes, notamment pour le plus vaste glacier des Écrins, le glacier Blanc, dont la fonte a été exceptionnelle. D’autres glaciers sont en danger : les glaciers d’Ailefroide, de la Momie, des Violettes et du Pelvoux.

IV. Pertes et dommages : les sinistres pour les particuliers

Le terme « perte et dommage » est utilisé par les Nations Unies pour désigner les dommages causés par le changement climatique. Comme le résume le Réseau Action Climat, les pertes et dommages peuvent être de nature économique et non économique. Ils peuvent être la conséquence de phénomènes météorologiques extrêmes tels que des ouragans violents, ou de phénomènes à occurrence lente comme la montée du niveau des mers. Les populations les plus vulnérables des pays en développement, pourtant les moins responsables du changement climatique, sont les plus durement touchées et ont le moins de moyens pour faire face à ces impacts.

En 2022, en France, la sécheresse et les intempéries ont causé des millions de sinistres pour un coût total estimé entre 6 et 7 milliards d’euros.

Les orages de grêle survenus entre le 18 juin et le 4 juillet ont coûté 2,4 milliards d’euros:
▪ 624 000 sinistres au total.
▪ 267 000 habitations sinistrées.
▪ 337 000 automobiles endommagés.
▪ 16 000 biens professionnels sinistrés.
▪ 4 000 biens agricoles frappés.

La sécheresse a provoqué de nombreux phénomènes de retrait-gonflement des sols argileux provoquant de nombreuses fissures dans les maisons pour un coût entre 1,9 et 2,8 milliards d’euros.

Le phénomène de retrait-gonflement des sols argileux :Les terrains argileux superficiels peuvent varier en volume à la suite d’une modification de leur teneur en eau. Ils se rétractent lors des périodes de sécheresse et gonflent au retour des pluies. L’augmentation des sécheresses et des épisodes de pluie violents lié au changement climatique accélère ce type de phénomène.

Ces chiffres sont à prendre en compte aussi dans le temps long car au total, entre 1990 et 2020, la sécheresse a coûté, selon les assureurs, 14 milliards d’euros

Entre 2020 et 2050, la sécheresse pourrait coûter sans politique d’adaptation urgente et sérieuse au changement climatique 43 milliards d’euros. Ce sont 10 millions de maisons individuelles françaises concernées à cause notamment du phénomène de retrait-gonflement des sols argileux. 

V. Autres pertes et dommages : les impacts importants sur l’agriculture et l’alimentation

Le secteur français le plus fortement impacté par les évènements climatiques extrêmes a été l’agriculture, et donc conséquemment les agriculteur.ice.s mais aussi notre alimentation.

Concrètement, qu’est-ce que cela signifie pour les agriculteurs ?

  • des récoltes détruites, 
  • une trésorerie dégradée, 
  • une baisse de revenu qui se fait ressentir sur l’année, 
  • des licenciements dans un secteur soumis déjà à de fortes disparités sociales.

Pour notre alimentation, cela signifie une baisse de production agricole. Ainsi, l’été 2022 a été marqué par une forte baisse de : 

– production de maïs, -17,1% par rapport à la moyenne 2017-2021, ce qui veut dire que c’est la plus faible récolte de maïs depuis 1990.

– production d’herbe, – 33 % par rapport à la période de référence (1989-2018). C’est la production la plus faible depuis 2003.

Ces baisses de rendement peuvent avoir d’autres impacts sur une chaîne d’approvisionnement déjà soumise à une forte tension depuis la guerre en Ukraine, et sur d’autres produits réalisés à partir de maïs. 

À titre d’exemple, une partie de la production mondiale de maïs est utilisée en alimentation animale mais aussi par les productions industrielles d’éthanol et d’amidon. Les firmes agro-alimentaires utilisent de plus en plus l’amidon du maïs comme substitut du sucre. C’est le cas pour la confiserie, la chocolaterie, la pâtisserie, la biscuiterie, la fabrication de confitures, de conserves de fruits, de crèmes glacées, d’entremets, de plats cuisinés… Le maïs est aussi largement utilisé pour la fabrication de la bière, en complément du malt, ainsi que pour produire du whisky (bourbon).

Comme le soulignait le Ministère de l’Agriculture, d’autres effets décalés de la sécheresse pourraient se manifester dans les mois à venir, par exemple une baisse de la production laitière ou une décapitalisation du cheptel. 

Enfin, de nombreux labels alimentaires (AOP, IGP) n’ont pas été en mesure de respecter le cahier des charges annuel faute d’herbe suffisante dans les pâturages ou à cause du manque d’eau  : abondance, reblochon, Munster, fourme d’Ambert, bleu d’Auvergne, beurre Charentes-Poitou, beurre des Charentes, beurre des Deux-Sèvres, IGP Agneau du Quercy, les labels flageolet vert et lingot du Nord. 

Qui a été le plus touché dans le secteur agro-alimentaire? 

Les cultures les plus touchées ont été l’arboriculture, les vignes. Les bêtes ont fortement souffert du manque d’herbe. Les maraîchages conventionnels et agroécologiques ont été également durement touchés à l’ouest et dans le sud de la France.
Pour exemple le plus symbolique, 11 départements victimes de la sécheresse ont été indemnisés au titre des calamités agricoles : l’Ardèche, l’Aveyron, le Cantal, la Drôme, la Loire, la Haute-Loire, le Lot, la Lozère, le Puy-de-Dôme, le Rhône et le Tarn. L’indemnisation prévisionnelle pour ces départements s’élève à 76,3 millions d’euros.

Mais la sécheresse n’a pas  eu que des impacts sur l’agriculture, elle a eu aussi de forts impacts sur d’autres secteurs économiques :

– le tourisme, notamment dans les Hautes Alpes et les Alpes de Haute Provence, en Corse et en Gironde. Dans le bassin d’Arcachon, le tourisme aurait enregistré une baisse de chiffre d’affaires de 10 à 50%

des secteurs essentiels comme le transport fluvial ont été menacés, notamment sur le Rhin qui connaissait son plus faible niveau depuis 15 ans.

Conclusion

Ce premier bilan des impacts de l’été 2022 sur la France met en relief des vulnérabilités.

Pour les personnes :

– les personnes âgées de plus de 75 ans 

les travailleurs en extérieur : secteur touristique, construction, pisciculture, agriculture

–  les pompiers

En terme de territoires : 

–  les zones littorales, en particulier la côte ouest et la côté méditerranéenne, marquées par les gros orages de l’été, les incendies et des périodes de canicule très longues ;

– les zones fluviales du Rhin, de la Loire et du Rhône fortement impactées par la sécheresse ;

– les départements du sud de la France marqués par de graves problèmes de sécheresse et d’approvisionnement en eau ;

– des villes comme Nantes ou Saint-Malo qui ont failli manquer d’eau potable ;

– la région Grand Est, qui compte le plus fort taux de surmortalité lié aux canicules (+ 25,7 %) ;

– les massifs forestiers exposés aux risques d’incendie, comme on l’a vu en Gironde ;

– les zones montagneuses soumises à des risques de fonte comme on l’a vu avec le glacier blanc dans les Écrins ;

– les zones de plateaux, comme la Cantal, la Drôme, le Quercy, sensibles aux sécheresses ;

– et les zones argileuses exposées au risque de retrait-gonflement des sols argileux.

D’autres vulnérabilités existantes ont moins été relayées par la presse : les jeunes enfants, les femmes enceintes, les habitant.e.s des centres villes exposés au phénomène de fournaise urbaine en temps de canicule. D’autres personnes ont souffert aussi pendant l’été, notamment les personnes détenu.e.s dans les prisons françaises souvent condamnées pour leur surpopulation carcérale et leurs conditions indignes de détention. 

Quatre ans après le lancement de l’Affaire du Siècle, et la condamnation de l’État en 2021 par la justice, ce bilan montre que les catastrophes climatiques sont amplifiées par l’inaction de l’État et le manque d’adaptation des territoires français au changement climatique.

Il montre aussi l’importance de mieux connaître les impacts du changement climatique pour penser et agir collectivement dans un souci d’efficacité et de justice dès aujourd’hui.

Pour en savoir plus…

Si vous voulez mieux connaître les inégalités climatiques et environnementales, ou rejoindre le groupe inégalités climatiques pour porter plus fort ce combat, vous pouvez nous écrire ou consulter notre rapport sur les inégalités climatiques et environnementales :  

Et les combats en justice menés par Notre Affaire à tous