En début d’année, la France métropolitaine a battu son record de nombre de jours sans pluie : 32 jours, du jamais vu depuis le début des enregistrements en 1959. Si quelques gouttes ont pu tomber ici ou là, le cumul quotidien des précipitations a été inférieur à 1 mm, et ce en plein hiver – période essentielle où les nappes phréatiques se remplissent et où la neige s’accumule en montagne. Le mois de février 2023 a été le mois le plus sec jamais enregistré avec un déficit de précipitation d’environ 50%. La situation est également préoccupante dans les territoires ultra-marins, par exemple en Guadeloupe où le déficit de précipitations est de -30% depuis décembre 2022. Les prévisions pour l’été 2023 concernant la sécheresse sont inquiétantes. Les réserves en eau qui avaient permis aux territoires français de traverser la sécheresse de 2022 ne sont pas constituées pour faire face à un été chaud et sec.

Pourquoi une telle sécheresse ? Est-ce dû au réchauffement climatique ? Quelles conséquences actuelles et à venir ? 

Pour le 22 mars, journée mondiale de l’eau, nous vous proposons quelques éléments de réponse dans ce nouvel hors-série de notre revue IMPACT.

Quelle sécheresse en France actuellement ?

La sécheresse est un épisode de manque d’eau créant un déséquilibre hydrologique. La France est actuellement touchée par trois types de sécheresse : 

  • la sécheresse météorologique qui provient d’un déficit de précipitations sur une période donnée ;
  • la sécheresse agricole lorsque le déficit de précipitations créé un déficit hydrique des sols mesuré par le taux d’humidité à 1 mètre de profondeur ;
  • la sécheresse hydrologique qui est atteinte quand les niveaux des nappes phréatiques et des cours d’eau sont trop bas.

Selon le Bureau des Recherches Géologiques et Minières (BRGM), le niveau des nappes phréatiques au 1er mars 2023 est anormalement bas, avec 80% des nappes à des niveaux modérément bas à très bas. 

Le saviez-vous ?

Au 16 mars 2023, sept départements français (Ain, Alpes-Maritime, Ardèche, Bouches-du-Rhône, Drôme, Guadeloupe, Isère, Pyrénées-Orientales, Var) en alerte sécheresse ont déjà pris des mesures de restriction d’eau.

Cette situation est due à une année 2022 et un début 2023 particulièrement chauds et secs selon MétéoFrance

Près de -25% de précipitations sur l’ensemble de la France métropolitaine en 2022, l’année dernière a été la plus chaude jamais enregistrée. La sécheresse de 2022 avait déjà coûté 2 à 3 milliards d’euros aux assureurs et 76 millions d’euros à l’État au titre des indemnisations agricoles. L’année 2022 faisait elle-même suite à d’autres étés très secs successifs depuis 2018.

Ces phénomènes de sécheresses à répétition et sévères sont une conséquence du changement climatique comme expliqué par le GIEC dans le résumé final de son sixième rapport en trois volets sorti ce lundi  20 mars 2023.En effet, le changement climatique entraîne un changement des saisons, une réduction de la période hivernale avec un réchauffement important des étés. Or, la chaleur renforce l’évaporation de l’eau. Des chercheurs du CNRS ont prouvé pour l’été 2022 l’impact du changement climatique d’origine humaine sur la circulation atmosphérique et sur la sécheresse. Mais d’autres facteurs aggravent la sécheresse. Avec la bétonisation, l’urbanisation et l’agriculture conventionnelle qui a fortement dégradé les sols, l’eau s’infiltre beaucoup moins dans les sols, ce qui a tendance à empêcher le rechargement des nappes phréatiques.

Les conséquences de la sécheresse sont importantes. Nous en avions déjà décrit certains dans un précédent hors-série consacré au bilan de l’été 2022.

L’accès à l’eau des personnes : un enjeu majeur

Sans eau, l’humain meurt. Le droit à l’eau – sans être consacré par la constitution française – est reconnu par l’article L210-1 du Code de l’environnement. Or, la sécheresse a des conséquences importantes sur l’accès à l’eau des personnes. Elle impacte tant la quantité d’eau disponible que sa qualité (développement de bactéries, concentration de composés, etc). 

En Outre-mer, notamment en Guadeloupe, les services d’eau potable procède à des coupures face au manque de ressource. En métropole, de nombreuses communes connaissent chaque année leur “Jour Zéro”, le jour où il n’y a plus d’eau au robinet. Plus de 700 communes ont connu des difficultés d’approvisionnement en eau en 2022 et 550 ont dû ravitailler leurs concitoyens par camion-citerne.

Au-delà de l’accessibilité physique de l’eau, le problème de l’accessibilité financière se pose. La sécheresse participe à faire monter le prix de l’eau. Or, en 2017, on estimait que 3% de la population française était déjà en situation de précarité hydrique (c’est-à-dire que le poids de l’eau dans leur budget est égal ou supérieur à 10% de leur budget total).

L’accès à l’eau est révélateur d’importantes inégalités : 

  • inégalités territoriales, entre les territoires qui ont suffisamment d’eau et ceux qui en manquent
  • inégalités sociales, entre les ménages aisés qui ont plus facilement accès à la ressource et les ménages les plus pauvres. (Outre le revenu, d’autres facteurs renforcent ces inégalités, notamment le manque de représentativité politique, les limites de l’accès à l’information et de la participation à la décision publique). 

Cet été 2022, le manque d’eau dans des villages du sud a montré les tensions et les inégalités que pouvait générer la sécheresse.

La sécheresse a des conséquences pour les végétaux et les animaux

L’eau est indispensable à la survie de nombreux végétaux sur le territoire français qui ne sont pas adaptés à des milieux très secs. Pour les plantes, la sécheresse entraîne un manque d’eau qui a un impact sur leur croissance et peut entraîner leur mort. La période de récupération des végétaux suite à une sécheresse peut être très longue, elle est en moyenne de 6 mois au niveau mondial. Les conséquences pour la flore sont donc durables dans le temps.

Pour le monde animal, la sécheresse a également des conséquences importantes. Les animaux aquatiques sont particulièrement touchés par les bas niveaux des cours d’eau qui fragmentent leur milieu voire amènent son assèchement complet, ce qui entraîne la mort de nombreux individus. Mais toute la faune est concernée avec des difficultés pour boire et s’hydrater, mais aussi une transformation de leur habitat (diminution de la transpiration des arbres en forêt, baisse de la qualité de l’eau, diminution des végétaux disponibles pour l’alimentation, incendies, etc) qui créent une surmortalité importante. Prenons l’exemple des oiseaux qui sont en pleine période de nidification et particulièrement vulnérables à la déshydratation. 

Bien sûr, totalement dépendant de son environnement pour sa survie, l’humain souffre par effet de rétroaction des impacts de la sécheresse sur la faune et la flore.

La sécheresse a un impact direct sur les activités agricoles, cultures et élevages.

En 2022, la sécheresse avait fait chuter de 54% les rendements de maïs non irrigués et cette année 2023 pourrait être encore pire. Les arbres fruitiers souffrent déjà de la sécheresse hivernale en ce début 2023 et ils ne vont pas pouvoir mobiliser suffisamment d’eau pour leur croissance et la production de fruits. La vigne est également impactée par la sécheresse des sols dans de nombreux départements, par exemple en Côte d’Or. Les conséquences se font aussi sentir pour l’élevage en jouant sur la disponibilité du fourrage et l’hydratation des animaux. Si la sécheresse actuelle se poursuit en mars et avril, il risque de ne pas y avoir assez de fourrage pour nourrir les animaux. Cet épisode précoce de sécheresse est d’autant plus inquiétant qu’il fait suite à un été 2022 qui avait fortement impacté le secteur agricole (manque d’herbe, récoltes détruites, trésorerie dégradée, baisses de revenus, licenciements dans un secteur soumis déjà à de fortes disparités sociales).

Les ressources agricoles constituent notre alimentation. Les difficultés de production alimentaire à cause de la sécheresse vont réduire les stocks disponibles mais risquent également de faire augmenter les prix de certains produits alimentaires.

De multiples impacts sur la santé

La santé des personnes est également à risque face à la sécheresse. Il y a les conséquences immédiates les plus évidentes : déshydratation, problème d’hygiène lié au manque d’eau ou encore risques de dénutrition et malnutrition induits par les conséquences de la sécheresse sur l’alimentation. Mais d’autres conséquences moins connues existent sur notre santé. Peu d’études ont été faites en France, mais dans d’autres pays des chercheurs ont démontré que la sécheresse pouvait : 

  • causer ou aggraver des maladies respiratoires (concentration en poussières et en particules fines dans l’air), 
  • amener le développement de certains pathogènes (notamment les norovirus), favoriser les maladies vectorielles en particulier celles diffusées par les moustiques, 
  • augmenter les risques d’exposition à des contaminants (concentration de composés dans l’eau, mais aussi application de pesticides qui par temps sec ont plus de chance de se répandre dans une zone non ciblée et de s’accumuler),
  • ou encore favoriser les problèmes de santé mentale et le stress face au manque d’eau.

Des conséquences aussi sur le logement

Au-delà des limitations des permis de construire pour des maisons neuves du fait du manque d’eau dans certaines communes, la sécheresse joue également sur le phénomène de retrait et gonflement des argiles qui vient fragiliser les bâtiments. Le manque d’eau amène une perte de volume des argiles entraînant leur retrait et l’affaissement des sols où se trouvent les fondations et les dallages des bâtiments. Les sinistres liés à l’impact de la sécheresse sur les bâtiments ont été multipliés par quatre en 5 ans et touchent désormais des régions jusque-là épargnées comme l’Est de la France. Selon un rapport du ministère de la Transition Écologique publié en 2021, plus de 10 millions de maisons individuelles sont menacées et le phénomène pourrait s’aggraver jusqu’à concerner une maison sur deux en France métropolitaine.

Quelles solutions ?

Un Plan national sur l’eau devrait être annoncé dans les jours qui viennent dans le même format que le plan de sobriété énergétique de cet hiver. Selon les premières informations, ce plan, auquel on peut reprocher sa verticalité et l’absence d’adaptation à chaque territoire, insisterait sur la remise aux normes du réseau soumis à d’importantes fuites et sur l’effort des citoyen·ne·s pour une sobriété hydrique. 

Face à l’annonce de ce plan, deux enjeux méritent notre attention :

  • Face aux sécheresses, attention aux bonnes solutions. Les politiques publiques trop souvent encore financent des maladaptations au détriment de solutions d’intérêt général. Par exemple, de nombreux agriculteurs se tournent vers la création de retenues d’eaux immenses pouvant aller jusqu’à couvrir la surface de 250 piscines olympiques. Ces retenues représentent des chantiers d’aménagement coûteux de plusieurs millions d’euros à 70% financés par l’État, mais celles-ci vont puiser encore plus dans les nappes phréatiques, captent dans le bassin versant déjà soumis à de fortes baisses de débit de l’eau et amènent d’importantes pertes du fait de l’évaporation. 
  • Nous ne sommes pas tou·te·s égaux face à la ressource en eau. Une réflexion collective est nécessaire pour réduire de façon intelligente et solidaire notre consommation d’eau en priorisant les usages de façon juste et équitable. L’eau est l’affaire de tou·te·s ! À cet égard, consacrer notre droit d’accès à une eau potable dans la Constitution pourrait être un bouclier juridique pour les citoyen·ne·s des générations présentes et futures.

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