Ce 18e numéro de la revue de presse « IMPACTS« se concentre sur les thématiques de la fiscalité et ses liens avec la justice climatique. D’après une étude publiée par Oxfam en novembre 2021, l’empreinte carbone des 1% les plus riches du monde sera 30 fois supérieure à celle compatible avec la limitation du réchauffement à 1,5 °C d’ici 2030, fixée lors de l’Accord de Paris. Et tandis qu’environ 50 % des émissions mondiales sont imputables aux 10% des habitant-es de la planète les plus riches, la moitié la plus pauvre de la population mondiale est quant à elle responsable de seulement 10% environ des émissions de CO2 mondiales. Considérée comme un outil essentiel dans la lutte contre les inégalités, la fiscalité est aussi pour de nombreux économistes un levier efficace pour lutter contre le changement climatique. Cependant, aujourd’hui, la fiscalité verte se pense dans le monde et en France au détriment des ménages les plus pauvres et creuse les inégalités alors que ce sont les revenus les plus élevés qui en moyenne polluent le plus. Ainsi, en France, alors que les 1% les plus riches ont une empreinte carbone dix fois plus importante que la moitié la plus pauvre des Français, la fiscalité verte représente 4,5% des revenus des 20% des ménages les plus modestes contre 1,3% pour les 20% des ménages les plus riches. En contestant la hausse de la taxe carbone, le mouvement des Gilets Jaunes a conduit à une meilleure prise en compte des enjeux sociaux et fiscaux dans la lutte contre le changement climatique même si jusqu’ici le gel effectué alors par le gouvernement sur la taxe n’a pas changé l’équilibre existant. La question que résumait bien le rapport du Réseau Action Climat en novembre 2019 est celle-ci : comment réduire de 40% nos émissions de gaz à effet de serre en 2030 en garantissant la justice sociale ? Alors que de nouvelles pistes émergent en France notamment dans le contexte des élections présidentielles 2022, redistributivité de la taxe carbone, soutien aux ménages les plus pauvres plus performant, ISF climatique, à l’échelle internationale, des pistes aussi sont étudiées comme la taxe carbone mondiale dans le sillage de l’accord sur la taxation des multinationales. Ne faudrait-il pas parler de la taxe carbone aux frontières de l’Europe ? |
La situation dans le monde
La fiscalité environnementale vue par les institutions internationales
Pour l’OCDE, la fiscalité (qui englobe les taxes sur le carbone et différentes taxes spécifiques sur la consommation d’énergie) est un levier efficace pour faire baisser les émissions dommageables liées à la consommation d’énergie. Une tribune publiée dans le Wall Street Journal en 2019 défendait également une taxe carbone progressive et redistributrice comme l’un des outils les plus forts pour faire diminuer les émissions carbone. Pourtant, au niveau mondial, la fiscalité appliquée actuellement sur l’énergie par 42 pays émettant 80% de la consommation mondiale d’énergie et des émissions de CO2 correspondantes – et qui inclut les taxes sur le charbon, les taxes sur le transport routier, les taxes sur les carburants – n’est pas suffisante pour lutter contre le changement climatique, selon un rapport de l’OCDE publié en 2018. La fiscalité énergétique a un impact très limité puisque selon l’organisation, 81% des émissions échappent à toute taxation, et « 97% d’entre elles sont soumises à une imposition inférieure à 30 euros par tonne de CO₂, un montant qui représente une estimation objectivement faible des coûts climatiques ». Enfin, le rapport pointe du doigt la quasi-absence d’évolution des taux dans l’ensemble des pays étudiés. Cette situation fiscale stagnante a trois effets : les émissions de CO2 continuent d’augmenter avec la hausse des revenus, le gain reste inférieur au coût pour l’environnement de la consommation d’énergie. Les taxes créent seulement des incitations à réduire la consommation d’énergie sans changement notable par rapport à l’urgence requise. |
La situation en Europe
Au niveau européen, les situations sont très diverses selon les pays. La Bulgarie est le pays européen le plus en pointe concernant les écotaxes avec 9,85% de ses recettes fiscales provenant d’impôts environnementaux en 2019, devant la Grèce et la Slovénie (respectivement 9,79% et 9,58% de recettes environnementales en 2019). La moyenne dans l’Union européenne ne s’élève qu’à 5,89% des recettes.
Cette diversité dans l’Union européenne peut s’expliquer en partie par l’obligation d’unanimité du Conseil européen en matière fiscale. Cela débouche sur une législation européenne qui inclut de manière inégale les mesures fiscales, soit laissant libre choix aux pays d’y avoir recours ou non, soit permettant aux pays d’adopter des exemptions totales ou partielles. Par exemple, la directive européenne 2003/96/EC concernant la taxation des produits énergétiques et de l’électricité permet aux Etats-membres d’inclure dans leur droit national de larges exemptions. L’Union européenne réfléchit à développer la fiscalité environnementale. Cependant, les discussions semblent encore timides sur ces questions. Le parlement européen s’est prononcé favorablement en vue d’une taxe carbone aux frontières du marché commun dès 2023 mais de nombreux Etats-membres y sont réticents. La solution privilégiée par l’Union est le marché carbone (“Emission Trading System” ou “EU ETS”). Ce marché est basé sur un plafond d’émissions de gaz à effet de serre à ne pas dépasser. Les entreprises dépassant ce plafond doivent acheter des quotas d’émissions qu’elles peuvent échanger sur un marché spécialisé, le marché du carbone (CO2). Ce marché concerne pour l’instant les entreprises les plus polluantes, représentant 40% des émissions de CO2. En 2020, le nombre total de quotas pouvant être créés sur le marché européen du CO2 (le plafond des émissions) représentait 1 720 millions de tonnes d’émissions de CO2 et le prix s’élève aujourd’hui à 80€ la tonne de CO2. Pour de nombreuses ONG, ce marché est en fait un “permis à polluer” et n’incite pas les entreprises à réduire leurs émissions. Malgré les fortes critiques de ce mécanisme, Ursula von der Leyen, Présidente de la Commission européenne, propose la création d’un second marché du carbone sur le transport routier et le chauffage. |
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La situation en France
Une fiscalité peu probante
Malgré la reconnaissance du principe pollueur-payeur dans la Charte de l’environnement de 2005, en France, la fiscalité environnementale est limitée et le système fiscal actuel est défavorable à l’environnement. Selon le Réseau Action Climat, la France est à la 27ème place de la fiscalité environnementale dans l’Union Européenne. Selon les chiffres d’Eurostat, la France fait figure de mauvaise élève et se trouve en dessous de la moyenne européenne :Le Conseil des Prélèvements Obligatoires (CPO) sous l’égide de la Cour des Comptes a produit en 2019 un ensemble de rapports sur la fiscalité environnementale et l’urgence climatique. Selon ces rapports, la fiscalité environnementale française est constituée de 46 instruments fiscaux, d’un rendement de 56 milliards d’euros en 2018, ce qui représente un peu moins de 5% des prélèvements obligatoires. 83% de cette fiscalité environnementale concerne l’énergie et se compose surtout de taxes à la consommation : taxes sur les énergies dont la TICPE, qui s’applique au pétrole utilisé pour le transport et les chauffages, la TICGN, la taxe intérieure de consommation sur le gaz naturel, la TICC, la taxe intérieure de consommation sur le charbon, et les taxes sur l’électricité dont la CSPE. Les transports sont peu taxés en France (taxes sur les certificats d’immatriculation, taxes sur les conventions d’assurance automobile, malus automobile, etc.), et la pollution, les déchets, et les ressources, de façon marginale. Dans ce paysage, la TICPE génère à elle seule 33 milliards de recettes, soit 62% des impôts liés au climat. En comparaison, la taxe carbone rapportait en 2019, 10 milliards à l’État. Bien qu’elle ait rapporté 43 milliards d’euros en 2019 à l’Etat français, et que sa part (3,7%) augmente dans le PIB depuis 2015 pour atteindre la moyenne européenne, la fiscalité liée au climat est dénoncée pour son manque de pertinence et son incohérence. Selon l’Institut de l’Économie pour le Climat (IE4C), la TICPE, la TICGN et la TICC sur le charbon ne sont que partiellement indexées sur les émissions carbone depuis 2014. L’institut dénonce pour les transports le niveau du malus automobile qui “ne décourage pas les consommateurs d’acheter des véhicules polluants” notamment de type SUV. De même, les entreprises bénéficient d’importantes exonérations. Par exemple sur les taxes de consommation des énergies fossiles : la trentaine de dérogations représentent un manque à gagner d’environ 10 milliards d’euros pour l’Etat. Les secteurs les plus émetteurs de gaz à effet de serre comme les raffineries, le transport routier et le transport aérien bénéficient de subventions qui accentuent leurs pollutions et grèvent le budget de l’État dont les dépenses pourraient financer la transition écologique. Le Réseau Action Climat signalait que “de manière générale, le système fiscal français est très défavorable à l’environnement, en comparaison avec nos voisins européens. Les subventions défavorables à la transition énergétique sont supérieures aux subventions qui y sont favorables”. |
La fiscalité verte à l’échelle des collectivités territoriales
Une étude publiée par l’Agence France Locale en juin 2021 met en avant la nécessité de questionner la pertinence de la fiscalité écologique locale et de procéder à des améliorations afin de pouvoir financer la transition écologique.
Une part de la fiscalité environnementale revient aux collectivités territoriales, notamment une part importante des recettes du TICPE (12 milliards aux collectivités sur les 30,5 milliards d’euros de recette en 2017).Or l’emploi de ces ressources par les collectivités n’est pas affecté spécifiquement aux projets environnementaux. |
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Les pistes actuelles pour une taxation plus juste pour le climat
La fiscalité a été à certains égards absente des débats sur la Loi Climat et le texte voté en août 2021 ne remet pas en cause l’architecture fiscale du pays. Pour Lucas Chancel, chercheur en économie, “la lutte contre le réchauffement climatique exige une vraie révolution fiscale”.
Finalement, la loi climat et résilience comporte seulement quelques mesures de fiscalité énergétique et environnementale dont les principales concernant les secteurs du transport routier et aérien. L’article 30 prévoit une hausse de TICPE pour le secteur du transport routier et l’article 38 du projet de loi entend imposer aux compagnies de navigation aérienne de compenser le carbone émis lors des vols intérieurs métropolitains, et sur la base du volontariat, lors des vols entre la métropole et l’Outre-mer.
En dehors de ces mesures, la fiscalité verte a peu évolué. Ainsi, en 2022, alors que le mouvement des gilets jaunes a 3 ans et que l’urgence climatique se fait toujours plus pressante, aucune réforme de fond de la taxe carbone n’a été proposée pour pallier ses défauts, et son taux étant toujours gelé, son efficacité s’en trouve réduite. Le PLF 2022 présenté le 22 septembre 2021 quant à lui ne comporte que des éléments de fiscalité sur la pollution des navires.
Où en est-on de la taxe carbone ?
Bien que la taxe carbone, dont les recettes s’élèvent à environ 8 milliards d’euros, rapporte moins à l’heure actuelle que la TICPE, 37 milliards, c’est pourtant elle qui en matière de fiscalité verte est devenue la plus controversée depuis le mouvement des Gilets Jaunes. Comme le rappelle une étude de l’OFCE, cette idée de donner un prix au carbone a été lancée en 1997 avec le protocole de Kyoto. En France, la taxe carbone a été proposée par plusieurs gouvernements successifs, en 2000 et 2009. À chaque fois, cependant, elle fut retoquée par le Conseil Constitutionnel. La taxe voit finalement le jour en 2014 sous le gouvernement Ayrault non plus sous la forme d’une taxe mais comme une composante intégrée aux taxes sur l’énergie (TICPE, TICGN, TICC), en fonction de la quantité d’émission de gaz à effet de serre qu’elle produit. Cette composante carbone, payée par les particuliers et les entreprises, est conçue pour augmenter chaque année pour s’établir à 100 euros la tonne de CO2 en 2030 afin de donner un signal prix assez fort qui à terme décourage des modes carbonés et rende les alternatives plus compétitives ; par exemple, inciter à changer de voiture ou isoler les bâtiments. Alors qu’elle était déjà passée de 7 euros à 44,60 euros depuis 2014, la hausse de la CCE a été ressentie plus fortement en 2018 par les ménages à cause de la hausse conjointe des cours mondiaux du pétrole. Depuis, la taxe est restée à son niveau de 2018 sans que l’on sache ce qu’il adviendra par la suite. De nombreux économistes et ONG environnementales considèrent que la taxe carbone, si elle doit être repensée en profondeur, ne doit pas être abandonnée. « Aucune autre mesure ne permet d’avoir un impact aussi important », assure le rapport de Réseau Action Climat. Leurs calculs projettent ainsi qu’un prix de 250 € par tonne de CO2 (contre 44,6 € aujourd’hui) permettrait de réduire les émissions de la France de 18 % par rapport à 2019. La taxe est donc toujours considérée comme l’un des outils les plus efficaces pour lutter contre nos modes de vie carboné, que ce soit par le Haut Conseil pour le Climat, le Conseil des prélèvements obligatoires, l’I4CE (Institute for Climate Economics), ou encore le Conseil d’analyse économique. Mais, sans s’accorder de façon unanime sur les solutions, tous sont d’accord sur le fait qu’à l’heure actuelle la taxe comporte de nombreux défauts. Comme le rappelle le rapport de l’OFCE, l’un de ses principaux soucis est sa régressivité. Concrètement, les études ont montré que le 1er décile des revenus les plus faibles payaient plus de taxe que le décile des revenus les plus élevés. La taxe entraîne donc un surcoût annuel pour les ménages les plus pauvres qui n’est pas compensé par un mécanisme de redistribution. Toujours selon l’OFCE, « la taxe impacte plus fortement les ménages les plus pauvres du fait d’une consommation généralement contrainte, et d’une faible capacité d’investissement dans des logements mieux isolés ou des véhicules plus sobres ». « La localisation des ménages est une autre source d’inégalité face à la taxe carbone, en raison de l’usage plus important de l’automobile en milieu rural ou dans les communes de moins de 20 000 habitants. » Enfin, la CCE est inégale dans son assiette dans le sens où comme le rappelle l’I4CE, il existe de nombreuses exonérations à cette taxe décidées à l’échelle internationale ou nationale : transport aérien et maritime international, transports aériens et fluviaux nationaux, transport routier de marchandises, taxis, usages agricoles, gazole non routier dans le BTP etc. La taxe est aussi considérée encore trop peu efficace. Concrètement, l’OFCE estime que le signal prix visé de 100 euros la tonne en 2030 ne permet pas de respecter l’objectif d’une augmentation des températures sous le seuil des 2 degrés. Selon Christian de Perthuis, professeur à l’Université Paris-Dauphine, “la fiscalité carbone reste une nécessité pour que le pays respecte ses objectifs climatiques. Mais elle ne peut fonctionner que si elle n’aggrave pas les inégalités.” Aujourd’hui, les défenseurs de la taxe prônent donc pour la rendre acceptable aux yeux de la population avec plusieurs modifications : intégrer des mécanismes de redistribution, élargir son assiette (Conseil des prélèvements obligatoires), qui ne couvre aujourd’hui que 46% des émissions. D’autres acteurs institutionnels comme l’ADEME demandent même son remplacement par une contribution climat solidarité. En 2019, le Réseau Action climat, qui propose que les recettes soient utilisées pour financer la transition écologique par un reversement sous la forme d’un revenu climat, de crédit d’impôt, ou de chèque pour les ménages non imposables, a lancé avec Oxfam et le Secours Catholique – Caritas France un calculateur qui permet de calculer le montant actuel de la taxe carbone pour un foyer et le montant que ces foyers pourraient recevoir s’il y avait un dispositif de redistribution des recettes aux ménages, pour protéger leur pouvoir d’achat. Ces calculs qui se basent en grande partie sur les travaux de Thomas Douenne et Adrien Fabre ont nourri les débats de la Convention Citoyenne pour le Climat en 2020 qui a préféré finalement laissé de côté aux termes du débat la réforme de la taxe carbone. Citons un exemple des simulations rendues publiques dans le rapport : Séverine, Adam et leurs deux enfants gagnent 17 000 euros de revenus annuels, ils ont une voiture diesel, et habitent à Lyon dans un logement de 80 mètres carrés chauffé au gaz. Le coût de leur taxe carbone s’élevant à 201 euros, le ménage recevrait 410 euros sous forme de redistribution. Des exemples de redistribution existent ailleurs dans le monde. L’exemple le plus connu est celui de la Colombie-Britannique, au Canada, dont les habitant-es des classes modestes et moyennes ont bien accepté cette taxe. Le Conseil d’analyse économique a tenté d’évaluer en 2019 dans une note « pour le climat : une taxe juste, pas juste une taxe » plusieurs calculs de mécanismes de redistribution. Leur recommandation est de reprendre le calcul fait par Terra Nova, tout en l’amendant. Celui-ci fonctionnerait sur un transfert qui diminue par décile avec la prise en compte du facteur géographique. La redistribution selon leurs conseils prendrait la forme d’un chèque simplifié, et l’élargissement de la base permettrait d’assouplir la trajectoire haussière du prix de la tonne de CO2. Les pistes de refonte de la taxe carbone restent à l’heure actuelle ouvertes. Plus largement, les auteurs du rapport d’Action climat insistent sur le fait qu’une évaluation des taxes pour le climat est importante, trop souvent le coût qu’il représente pour les ménages par tranche de revenu est mis de côté. |
Autres pistes en France
« L’ISF climatique : la fiscalité environnementale, un enjeu dans la campagne présidentielle »
Le patrimoine financier détenu par les ménages français est fortement émetteur aussi. L’étude menée par Greenpeace avec l’appui du cabinet Carbone 4 en exploitant les données de l’Insee conduit à une empreinte carbone de 46 tCO2eq/an pour le patrimoine financier des 10 % les plus aisés, et même de 189 tCO2eq/an pour les 1% les plus riches, contre 2,9 tCO2eq/an pour les 10 % les plus pauvres. Ainsi, conclut Greenpeace, le patrimoine financier des 1 % des ménages les plus riches est associé à une empreinte carbone 66 fois supérieure à celle des 10 % les plus pauvres.
Ces chiffres posent la question du « juste partage de l’effort climatique » et ce d’autant plus dans un contexte budgétaire tendu, où les investissements manquent pour financer l’urgence climatique. En 2019, l’I4CE (qui ne prend pas en compte l’argent temporairement débloqué dans le plan de relance) pointait qu’il manquait 15 à 18 milliards d’euros par an pour respecter la trajectoire du second budget carbone (2019-2023). Selon la même source, il faudrait entre sept et neuf milliards supplémentaires d’argent public d’ici à 2023 pour respecter les objectifs climatiques du pays. « Cela sans compter que les objectifs actuels de la France n’ont pas encore été rehaussés, alors que la Commission européenne propose d’atteindre une baisse des émissions de 55 % en 2030 par rapport à 1990, et qu’il faudrait en réalité viser – 65 % minimum pour se mettre sur une trajectoire compatible avec l’objectif de 1,5 °C. »
Le patrimoine financier détenu par les ménages français est fortement émetteur aussi. L’étude menée par Greenpeace avec l’appui du cabinet Carbone 4 en exploitant les données de l’Insee conduit à une empreinte carbone de 46 tCO2eq/an pour le patrimoine financier des 10 % les plus aisés, et même de 189 tCO2eq/an pour les 1% les plus riches, contre 2,9 tCO2eq/an pour les 10 % les plus pauvres. Ainsi, conclut Greenpeace, le patrimoine financier des 1 % des ménages les plus riches est associé à une empreinte carbone 66 fois supérieure à celle des 10 % les plus pauvres.
Ces chiffres posent la question du « juste partage de l’effort climatique » et ce d’autant plus dans un contexte budgétaire tendu, où les investissements manquent pour financer l’urgence climatique. En 2019, l’I4CE (qui ne prend pas en compte l’argent temporairement débloqué dans le plan de relance) pointait qu’il manquait 15 à 18 milliards d’euros par an pour respecter la trajectoire du second budget carbone (2019-2023). Selon la même source, il faudrait entre sept et neuf milliards supplémentaires d’argent public d’ici à 2023 pour respecter les objectifs climatiques du pays. « Cela sans compter que les objectifs actuels de la France n’ont pas encore été rehaussés, alors que la Commission européenne propose d’atteindre une baisse des émissions de 55 % en 2030 par rapport à 1990, et qu’il faudrait en réalité viser – 65 % minimum pour se mettre sur une trajectoire compatible avec l’objectif de 1,5 °C. »
Alors que Bruno Le Maire a lancé l’idée de “flécher les recettes fiscales liées aux énergies fossiles vers la lutte contre le réchauffement climatique”, l’idée d’un ISF climatique, né dans les bureaux de Greenpeace, est reprise par de nombreux et nombreuses candidat-es de la gauche, dès la primaire écologiste, mais aussi chez les socialistes, et la France insoumise. Le concept est tiré du rapport de Greenpeace “L’argent sale du capital : Pour l’instauration d’un ISF climatique” publié en octobre 2020 et avait fait partie aussi des pistes retenues par la Convention Citoyenne pour le Climat.
L’impôt sur la fortune climatique est pensé comme une alternative à la taxe carbone qui impacte les ménages les plus pauvres sans impacter de manière efficace la consommation énergétique des ménages les plus riches. Au contraire, l’ISF climatique se fonde sur le constat des inégalités sociales et de pollution et souhaite les corriger. Quelques chiffres de l’OFCE peuvent être cités : sur les 17 milliards d’euros distribués aux ménages lors des trois premiers budgets du quinquennat, plus du quart est allé soutenir le revenu disponible des 5 % de ménages les plus aisés. Les 5 % de Français-es les plus pauvres ont vu leur niveau de vie se réduire d’environ 240 euros par an sous l’effet des mesures fiscales du gouvernement, quand les 5 % les plus riches ont vu leur pouvoir d’achat grimper de 2 905 euros. Par ailleurs, n’échappant pas à la règle selon laquelle la hausse des émissions de carbone grimpe avec les revenus, les 10 % de ménages les plus riches ont, en effet, une empreinte carbone 2,7 fois plus élevée que les plus pauvres.
Un autre problème, né de la suppression de l’ISF en 2017, a été pris en compte par le rapport de Greenpeace. L’ISF en 2017 a été remplacé par un IFI, un impôt sur la fortune immobilière qui concerne les personnes détenant un patrimoine immobilier net supérieur à 1,3 million d’euros au 1er janvier de l’année d’imposition. Le problème est donc que les patrimoines financiers ne sont plus taxés. Or, comme l’a montré récemment un rapport fait par Oxfam France et Les Amis de la Terre, les actifs financiers ont une empreinte carbone non négligeable. Pour exemple, en 2018, les émissions de gaz à effet de serre issues des activités de financement et d’investissement des quatre principales banques françaises – BNP Paribas, Crédit Agricole, Société Générale et BPCE – dans le secteur des énergies fossiles ont atteint plus de 2 milliards de tonnes équivalent CO2, soit 4,5 fois les émissions de la France cette même année.
Le patrimoine financier détenu par les ménages français est fortement émetteur aussi. L’étude menée par Greenpeace avec l’appui du cabinet Carbone 4 en exploitant les données de l’Insee conduit à une empreinte carbone de 46 tCO2eq/an pour le patrimoine financier des 10 % les plus aisés, et même de 189 tCO2eq/an pour les 1% les plus riches, contre 2,9 tCO2eq/an pour les 10 % les plus pauvres. Ainsi, conclut Greenpeace, le patrimoine financier des 1 % des ménages les plus riches est associé à une empreinte carbone 66 fois supérieure à celle des 10 % les plus pauvres.
Ces chiffres posent la question du « juste partage de l’effort climatique » et ce d’autant plus dans un contexte budgétaire tendu, où les investissements manquent pour financer l’urgence climatique. En 2019, l’I4CE (qui ne prend pas en compte l’argent temporairement débloqué dans le plan de relance) pointait qu’il manquait 15 à 18 milliards d’euros par an pour respecter la trajectoire du second budget carbone (2019-2023). Selon la même source, il faudrait entre sept et neuf milliards supplémentaires d’argent public d’ici à 2023 pour respecter les objectifs climatiques du pays. « Cela sans compter que les objectifs actuels de la France n’ont pas encore été rehaussés, alors que la Commission européenne propose d’atteindre une baisse des émissions de 55 % en 2030 par rapport à 1990, et qu’il faudrait en réalité viser – 65 % minimum pour se mettre sur une trajectoire compatible avec l’objectif de 1,5 °C. »
Concrètement, à quoi ressemblerait cet outil fiscal ? Greenpeace France propose la création d’un ISF climatique dérivé de l’ISF en vigueur jusqu’en 2017 et qui serait pondéré en fonction non seulement du volume d’actifs financiers détenus par le ménage imposé, mais également de l’empreinte carbone de ces mêmes actifs. Cette pondération consisterait à introduire une composante carbone appliquée au patrimoine financier des ménages assujettis. Celle-ci serait identique à la composante carbone appliquée dans le cadre de la TICPE et suivrait la même trajectoire.
Bien que l’ISF soit souvent présenté comme ne répondant pas aux questions de différence de patrimoine au sein de la population, c’est un fait que la France manque d’instruments qui soient acceptables socialement et efficaces pour réduire l’empreinte carbone des français.
Piste à l’échelle internationale
Dans leur rapport Carbon and inequality From Kyoto to Paris, Piketty et Chancel montraient en 2015 que les inégalités d’émissions de CO2 mondiales sont de plus en plus expliquées par les inégalités à l’intérieur des pays et non entre pays. Si une hausse des contributions des pays du Nord est nécessaire, l’étude montre ainsi que les classes aisées des pays émergents, du fait de la hausse de leurs revenus et de leurs émissions, pourraient également contribuer à ces fonds.
Cette étude examine par ce prisme de nouvelles stratégies en vue d’augmenter le volume global de l’aide pour l’adaptation au changement climatique, où les émissions individuelles et non les émissions nationales ou le PIB par tête, seraient la base de calcul des contributions.
Piketty et Chancel explorent ainsi 3 stratégies pour la mise en place d’une taxe mondiale progressive sur le CO2. Dans la stratégie 1, tous les émetteurs au-dessus de la moyenne mondiale (i.e. tous les émetteurs au-dessus de 6,2tCO2e par an) contribuent à l’effort en proportion de leurs émissions dépassant le seuil ; dans la stratégie 2, les 10% les plus émetteurs paient ; dans la stratégie 3, ce sont les 1% les plus émetteurs qui paient. Dans la stratégie 3, la plus favorable aux Européen-nes, Piketty et Chancel montrent que le volume de financement provenant du Vieux continent atteindrait 23 milliards d’euros, soit plus de trois fois sa contribution actuelle. (si l’étude date de 2015, en comparaison, le budget de la PAC en 2021 était de 55 milliards). Piketty et Chancel précisaient que d’autres idées pouvaient être mises à l’étude, comme une taxe sur les revenus ou une taxe sur les billets d’avion.
Les idées énoncées dans ce rapport qui a déjà 7 ans sont souvent remises au goût du jour. Ce fut le cas en 2019 et récemment en 2021 dans le sillage de l’accord obtenu sur la taxation des multinationales au niveau du G20 en octobre 2021 qui se tint juste avant la COP 26. Dans la version 2021, la taxe était évaluée en fonction non plus des émissions par tête comme recommandés par Piketty et Chancel mais en fonction des émissions nationales.
En attendant, c’est au niveau de l’Europe qu’un « mécanisme d’ajustement carbone aux frontières », a été présenté en juillet dernier qui fixera un prix du carbone pour les importations de certains produits.