Ce vendredi 10 octobre s’est tenue une audience au Conseil d’État dans le dossier qui oppose la commune de Grande-Synthe et les associations de l’Affaire du Siècle (Notre Affaire à Tous, Greenpeace France et Oxfam France) à l’État concernant les objectifs climatiques de la France. Après avoir condamné l’État à deux reprises en 2021 et 2023, le Conseil d’État se prononcera une nouvelle fois d’ici la fin de l’année sur l’exécution de ses décisions. Il statuera alors sur la capacité de l’État à respecter son ancien objectif de baisse d’émissions de gaz à effet de serre de -40% d’ici à 2030, par rapport aux niveaux de 1990. L’audience a été l’occasion pour le rapporteur public de présenter ses conclusions.
Le rapporteur public a estimé que l’État serait en mesure de respecter cet objectif, qui est pourtant entre-temps devenu obsolète au regard des dernières obligations européennes. Les organisations de l’Affaire du Siècle déplorent cette analyse sur l’ancien objectif, qui va à l’encontre des expertises sur le sujet, y compris celle du Haut Conseil pour le Climat.
Un périmètre d’analyse obsolète et incomplet
Se basant sur des obligations désormais caduques, le rapporteur public recommande au Conseil d’État de ne contrôler le respect que d’une partie des engagements de la France. Il fonde ainsi son appréciation sur l’objectif désormais obsolète de réduction de -40% des émissions d’ici à 2030, alors même que le seuil a été rehaussé au niveau européen dans le cadre du Fitfor55, et s’établit désormais à -55 % en émissions nettes au niveau européen (1). Concernant ce nouvel objectif, il admet qu’il risque de ne pas être respecté, sans pour autant le prendre en compte dans ses conclusions.
De même, l’analyse concerne seulement les émissions brutes de la France et non pas ses émissions nettes, alors que nous assistons à un affaiblissement conséquent des niveaux de puits de carbone (2), ce qui met en péril notre capacité à atteindre les objectifs climatiques français et européens.
Des conclusions qui nient la réalité des chiffres et le manque de mesures efficaces
Aussi, les organisations de l’Affaire du Siècle émettent de sérieux doutes concernant la capacité de la France à respecter cette cible de -40%, bien qu’elle soit caduque. Les derniers chiffres en témoignent : le CITEPA publie ce jour une prévision de baisses d’émissions de gaz à effet de serre pour l’année 2025 à -0,8%, bien loin des -5% nécessaires chaque année. Cela confirme le ralentissement et le potentiel décrochage de trajectoire, déjà observé en 2024 (-1,8%). De même, les réductions dont l’État se targue pour le budget carbone 2019-2023 reposent en partie sur des effets conjoncturels (crise du Covid-19, inflation, hivers doux), de l’aveu du Conseil d’État lui-même. Pourtant, la lutte contre le changement climatique nécessite des politiques programmées et de long terme. En tout état de cause, rien n’assure que l’objectif de -40% pourra être respecté.
Dans un contexte de recul sur les mesures climatiques (coupes budgétaires, suspension de MaPrimeRénov, suppression de certaines lignes internationales de train, favorisation de l’élevage intensif via la LOA et la Loi Duplomb), L’Affaire du Siècle appelle le Conseil d’État à continuer son évaluation de la trajectoire de l’État sur les prochaines années et à enjoindre à l’État de mettre en place une politique climatique véritablement cohérente, notamment via la publication de la SNBC-3 et la PPE-3, attendues depuis près de deux ans déjà. Sans évolution radicale dans les politiques climatiques et si le Conseil d’État arrête son contrôle, le risque reste élevé qu’en 2028, nous réalisions que le 3ème budget carbone de la France a été largement dépassé.
Notes
(1) Rapporté à la France, cela représente un objectif d’environ -50% d’émissions brutes et -54% d’émissions nettes par rapport à 1990 selon le gouvernement.
(2) Voir le dernier rapport du HCC, p. 79, p.89, p.95 notamment
Notes aux rédactions
Les étapes du recours :
Novembre 2018 : La commune de Grande-Synthe, qui fait face au risque de montée des eaux, attaque l’État devant le Conseil d’État
Février 2020 : Les organisation de l’Affaire du Siècle (Notre Affaire à Tous, Greenpeace France, Oxfam France) rejoignent le recours via une intervention volontaire
19 novembre 2020 : Le Conseil d’État rend une décision actant que les objectifs climatiques de la France et sa trajectoire pour les atteindre contraignants
1er juillet 2021 : Le Conseil d’État condamne l’État une première fois, et l’enjoint de prendre des mesures supplémentaires avant avril 2022.
30 juillet 2021 : Entrée en vigueur de la Loi européenne pour le climat et du Fitfor55 au niveau européen, qui fixe des nouveaux objectifs de baisse d’émissions de gaz à effet de serre (à -55% d’ici 2030 par rapport aux niveaux de 1990). Ce nouvel objectif ne peut être intégré à l’affaire Grande-Synthe, cette dernière ayant été lancée avant l’adoption dudit objectif.
10 mai 2023 : Le Conseil d’État condamne l’État une deuxième fois, dont le bilan est insuffisant pour respecter son objectif climatique de – 40% et l’enjoint de prendre des mesures supplémentaires avant juin 2024. Il annonce qu’il surveillera le respect de cette décision.
2025 : Le Conseil d’État évalue de nouveau la trajectoire de la France dans le cadre de l’exécution de ses dernières décisions.
Contacts presse
Elsa Ingrand, Chargée de campagne pour Notre Affaire à Tous, elsa.ingrand@notreaffaireatous.org
Marika Bekier, Oxfam France, mbekier@oxfamfrance.org