Article rédigé par Léna Curien, de l’équipe Notre Affaire à Tous – Lyon

Compte-rendu des premières audiences environnementales du Pôle Régional Environnemental d’Annecy

2020. La loi est tombée : la justice pénale se durcit pour les délinquant·e·s environnementaux qui seront désormais, lorsque l’affaire est grave,  jugé·e·s par des tribunaux dotés de moyens renforcés dans le ressort de chaque cour d’appel française : les Pôles Régionaux Environnementaux (PRE). 

4ème source de revenus criminels après les stupéfiants, la contrefaçon et la traite des êtres humains, la criminalité environnementale est une réalité par trop méconnue. Elle se matérialise par des nuisances environnementales et climatiques quotidiennes, dans l’ombre des grands scandales environnementaux

Mais l’heure est à la fermeté, comme l’a démontré le Pôle Régional Environnemental d’Annecy ce mardi 1er octobre 2023. Il y était question de deux affaires de remblais illégaux, un fléau malheureusement ordinaire, à traiter prioritairement et fermement, de l’avis des autorités annéciennes.   

« Les remblais illégaux par dépôt non autorisé de déchets inertes sont un fléau pour le bassin annécien ».
Une juriste assistante spécialisée 

Le Tribunal Judiciaire d’Annecy a été désigné récemment « Pôle Régional et Environnemental » et mène ainsi à ce jour une dizaine d’enquêtes sur des infractions environnementales les plus techniques, graves et complexes, d’où le recrutement d’une « assistante juridique environnementale  spécialisée »  en 2023.

Pour la session matinale de 8h30, deux sociétés et deux prévenus, dont le Maire d’une commune, sont mis en cause pour avoir défriché sans autorisation la forêt d’un particulier, sans autorisation des travaux d’aménagement avec des déchets à la composition inconnue, les avoir abandonné illégalement dans une zone interdite par un plan de prévention des risques naturels (PPRT) nuisant au milieu aquatique. 

Entre 2021 et 2022, ils auraient abattu 112 m2 d’arbres se trouvant sur leurs parcelles classées en zone naturelle et remblayé celles-ci avec 14 000 tonnes de terre minérale issues de chantiers du bassin annécien décalant au passage de 30 m un cours d’eau , au risque de provoquer des glissements de terrain.

« Il y a une différence entre « élimination » et « valorisation » des déchets inertes ».
Le Procureur de la République

Lors des débats, la Présidente du Tribunal insiste lourdement sur la différence entre « élimination » et « valorisation » de déchets inertes. La valorisation agricole réalisée avec ces déchets doit ainsi répondre à un besoin préexistant d’aménagement de terrain exprimé par un propriétaire. Dans l’affaire, il y aurait eu  élimination car les prévenus n’avaient besoin ni de cette terre caillouteuse inadaptée aux cultures,  ni des remblais qu’elle a permis de créer. 

Le procureur lui, s’étonne de l’absence de « Registre Déchets » (1) dans les entreprises. Car oui, même de la banale terre entre dans la catégorie de « déchet inerte» au sens de Code de l’Environnement (2). 

Les avocats de la défense, de leur côté, réfutent les faits et l’intention de « défrichement » et plaident la volonté de revégétalisation à la fin des travaux de remblais stoppés net par l’action en justice, et la « régénération naturelle ». 
Leur conception de la microbiologie des sols (3) est pour le moins singulière et les lignes du rapport de la DDT sont catégoriques : la repousse de plantations futures est compromise par l’apport de déchets inertes recouvrant pour partie les souches des arbres fraîchement abattus. Cela caractérise un « changement de destination » et donc le défrichement des parcelles, utilisées auparavant pour des activités forestières.

« Le déplacement d’un cours d’eau n’a pas d’impact sur l’environnement, s’il est temporaire »
Un avocat de la défense

La méconnaissance par l’entreprise des documents d’urbanisme étonne à nouveau le Procureur. Les travaux étaient explicitement défendus car la zone était classée zone « N » par le Plan Local d’Urbanisme (PLU) —entendez par là naturelle, et  zone « Rouge » par le Plan de Prévention des Risques Naturel et Technologique (PPRT ou PPRN) — entendez par là zone interdite à tout aménagement car sujette à glissement de terrain.
La fragmentation des milieux naturels et la destruction de continuités écologiques — ou « trame verte et bleue », mettent également en péril la biodiversité essentielle à la vie sur terre (Rapport OFB, 2023). La défense contestera pourtant que le déplacement temporaire d’un cours d’eau puisse avoir un quelconque impact sur l’environnement.

L’association France Nature Environnement demande 3000 euros pour les atteintes à l’environnement et le non-respect des directives européennes « Déchets » et « Eaux », à la loi de 2020 relative à l’économie circulaire et à la « fiche déchets » de la région AuRa à destination des professionnels du BTP. Sa constitution de partie civile (4) est contestée : elle ne pourrait pas « connaître de préjudice moral » selon les avocats de la défense. La protection de l’environnement, c’est pourtant la raison d’être de l’association qui réalise actuellement un Atlas de la Biodiversité sur la commune. 

L’un des propriétaires se défend : il souhaitait rendre service à une entreprise de BTP dans le besoin en accueillant les déchets sur son terrain. Mais la contrepartie financière et en nature issus des gains de coupe de bois et des travaux autour d’une vieille grange fait tache.

C’est au tour du Maire de plaider sa cause. Les besoins en logements croissent, réhaussent l’activité pour les professionnel·le·s du BTP qui manquent de zones de dépôt pour les professionnels.
L’argument ne fait pas mouche chez le procureur. Il rappelle la responsabilité du producteur et détenteur de déchets qui doit déposer en priorité ses déchets dans des Installation de Stockage des Déchets Inertes (ISDI). Il ne peut réaliser, sous couvert de « valorisation agricole », des « opérations de blanchiment en matière de déchet ». 

« Il y a là une véritable opération de blanchiment en matière de déchets »
Le procureur de la République

Les propos de Me JULLIEN sont empreints de climato-scepticisme (5) et sans lien avec l’affaire : « des températures élevées existaient déjà à l’époque des dinosaures ». Le second avocat, Me MESSIE plaide plutôt la clémence face à une sensibilisation progressive à la question écologique.

Le procureur se montre toutefois ferme vis-à-vis des entreprises délinquantes environnementales. Ces dernières créent de la distorsion de concurrence par rapport aux sociétés plus vertueuses qui respectent les réglementations. 

Le procureur condamne ensuite le comportement des entreprises qui sollicitent les propriétaires de terrains agricoles pour accueillir leurs déchets inertes. Dans ce ce but, elles leur offrent des montants plus élevés que les bénéfices pouvant être tirés des produits agricoles et participent à la diminution des surfaces cultivées disponibles.

« Économiquement, l’affaire est juteuse »
Le Procureur de la République

L’argent est le nerf de la guerre des entreprises qui ont économisé, selon l’estimation basse de Monsieur le Procureur, pas moins de 155 000 euros en ne déposant pas leurs 8053m2 de déchets inertes dans des Installation de Stockage des Déchets Inertes (ISDI) qui demandent entre 8 à 26 euros pour le stockage d’une tonne.

Il martèle ensuite les sanctions encourues pour un délit pouvant conduire jusqu’à 4 ans d’emprisonnement pour la personne physique et pour les entreprises des amendes plus hautes que les économies réalisées grâce aux infractions, une exclusion des marchés publics (6) et une publication de l’affaire dans le journal local. 
Le Code de l’Environnement (7) impose également de systématiquement rechercher si une remise en état des milieux est possible. L’entreprise pourrait ainsi devoir retirer l’intégralité des remblais, proposer un programme de remise en état et reboiser avec des essences imposées dans le délai d’un an avec 400 euros d’amende par jour de retard.

Les coups de 14h sonnent lorsque Madame la Présidente expose la seconde affaire : infractions aux dispositions du plan local d’urbanisme, réalisation irrégulière d’affouillement ou d’exhaussement du sol, abandon de déchets hors des emplacements autorisés et déversement d’une substance dans les eaux entraînant des dommages à la flore ou la faune. Deux entreprises ainsi que leur dirigeant et un salarié sont mis en cause. Il leur est reproché le dépôt d’un mélange hétéroclite de plastiques, fer, terre, cailloux et déchets verts issus d’activités professionnelles paysagères sur une hauteur de plus de 2m, ainsi que le déversement de 30 à 35 m3 de ces déchets dans le cours d’eau situé 35 m en contrebas d’une falaise.

Chose rare, le maire de la commune est présent dans la salle, contrairement à ses collègues de la gendarmerie, de la Direction Départementale Territoriale (DDT) et de l’Office Français de la Biodiversité (OFB), pourtant à l’origine de procès-verbaux. Le fait est révélateur des carences des autorités étatiques déconcentrées en personnel spécialisé sur les problématiques environnementales. 

« C’est une affaire scandaleuse ! »
Un propriétaire, partie civile

L’affaire est similaire à celle de la matinée mais les demandes de réparation des préjudices sont différentes. Les infractions reprochées auraient porté atteinte au milieu sensible qu’est la ripisylve (8) et pollué le cours d’eau (9), détruisant les frayères (10). “ La seule violation de la loi suffit à caractériser le préjudice, ici la législation européenne, nationale et régionale sur les déchets (11)”, rappelle l’association FNE. La Fédération Départementale pour la Pêche et la Protection des Milieux Aquatiques  fonde sa demande sur le préjudice écologique au sens du Code Civil (12).

Le propriétaire de la parcelle concernée par le dépôt n’est également pas convaincu par l’argument d’un “cordon sécuritaire” réalisé avec des monticules de déchets inertes pour “empêcher les conducteur·ice·s de chuter dans le précipice, pas plus que par l’argument de trois “accidents de manœuvre”. Il est partie civile et pour lui l’affaire est « scandaleuse ». Il demande réparation de son préjudice moral et matériel. 
Les propos de son avocat sont d’une grande simplicité : « Il faut faire en sorte dans cette affaire, que l’écologie soit placée au centre, au même titre que le respect de la vie».

« Il faut faire en sorte dans cette affaire, que l’écologie soit placée au centre, au même titre que le respect de la vie».
Un avocat de la partie civile

Les peines requises par le Procureur vont , comme dans la matinée, de la remise en état à la prison avec sursis en passant par des amendes et des exclusions de marchés publics dissuasifs de toute récidive.

La journée se termine ainsi à 17h40 sur les conclusions finales du prévenu: « Il est difficile d’entendre qu’en tant que chef d’entreprise on peut être sanctionné, mais je ne renonce pas à ma culpabilité et j’assumerai cette responsabilité s’il le faut.»

« Il est difficile d’entendre qu’en tant que chef d’entreprise, on peut être sanctionné »
Un prévenu, dirigeant d’entreprise

L’huissier le confirme, deux affaires pénales seulement en une journée de 7h, c’est « un cas exceptionnel», pour une juridiction qui tourne plutôt autour de 8/10 affaires par jour.  

« Deux affaires pénales seulement en une journée de 7h, c’est un cas exceptionnel. »
Un huissier de justice

La décision sera rendue le 12 novembre à 8h30.

Notre Affaire à Tous espère qu’à défaut de remblayer les trous du droit de l’environnement, le Pôle Régional Environnemental d’Annecy résoudra pour partie la question des remblais illégaux dans les Pays de Savoie et incitera les dirigeant·e·s d’entreprises à « bien faire » au nom de l’Environnement.

Notes

(1) Il est imposé par le Code de l’environnement, dans la lignée de la loi sur les déchets inertes de 2006.

(2) Chapitre Ier Titre IV du Livre V du Code de l’Environnement

(3) Voir à ce propos les excellentes conférences de Claude et Lydia Bourguignon sur la composition des sols

(4) L’association est autorisée à plaider en justice en vertu de l’article. Art. L.141-2 du Code de l’Environnement.

(5) Ce comportement est caractérisé par un déni d’un changement climatique. Aujourd’hui pourtant, les rapports du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) — compilations d’études internationales attestent d’un changement climatique d’origine humaine et industrielle. Les expert·e·s recommandent de réduire drastiquement nos émissions de gaz à effet de serre pour maintenir une température d’1,5°C d’ici à 2050 permettant la vie humaine sur terre.

(6) Jurisprudence récente du TJ d’Annecy, 25 juin 2024

(7) Article L. 173-5 du  Code de l’Environnement

(8) Cordon boisé le long d’un cours d’eau au rôle écologique conséquent et majeur dans lutte contre et l’adaptation aux changements climatiques, est au centre des argumentaires

(9) Article L. 432-2 du Code de l’Environnement

(10) Lieux de reproduction des poissons dans le lit du cours d’eau

(11) 50% des plaintes déposées sur le site de FNE « Sentinelles de l’Environnement » correspondent à ce type d’infraction

(12) Articles 1248 et 1249 du Code Civil

Normes citées au cours des débats

  • L. 141-2 Code de l’Environnement
  • L. 173-5 Code de l’Environnement
  • L. 216-6 Code de l’Environnement
  • L. 432-2 Code de l’Environnement
  • L. 541-1 Code de l’Environnement
  • L.541-31 Code de l’Environnement
  • L. 341-3 Code Forestier
  • 1248 Code Civil
  • 1249 Code Civil
  • Loi sur les déchets inertes de 2006

Infractions reprochées selon la classification des infractions dénommée “NATINF”

  • NATINF n°98
  • NATINF n°1086
  • NATINF n° 3548
  • NATINF n° 4572 
  • NATINF n°10299
  • NATINF n°13172
  • NATINF n° 22661
  • NATINF n° 22967
  • NATINF n° 23032
  •  NATINF n°23264
  • NATINF n° 25031
  • NATINF n° 25849
  • NATINF n° 25975
  • NATINF n° 31055
  • NATINF n°31136
  • NATINF n° 31145
  • NATINF n°32646
  • NATINF n°32672 

Normes complémentaires

  • Directive UE 2024/1203 du 11 avril 2024 relative à la protection de l’environnement par le droit pénal
  • Loi du 24 décembre 2024 relative au parquet européen et à la justice pénale spécialisée
  • Décret n°2021-286 du 16 mars 2021 désignant les pôles régionaux spécialisés en matière d’atteintes à l’environnement en application des articles 706-2-3 du code de procédure pénale et L. 211-20 du code de l’organisation judiciaire et portant adaptation du code de procédure pénale à la création d’assistant·e·s spécialisé·e·s en matière environnementale