Article écrit par Anne Stevignon, Juriste chez Notre Affaire à Tous et Charlotte Diericks-Visschers, stagiaire juriste chez Notre Affaire à Tous
La CEDH vient de rendre une décision importante concernant les obligations procédurales des États en matière climatique : la Cour affirme que les Etats ont l’obligation d’évaluer les émissions aval dites de “scope 3” liées à la combustion du pétrole dans le cadre des études d’impact environnemental des nouveaux projets fossiles (EIE).

Contexte et objet du litige
L’affaire portait sur la légalité de décisions d’octroi de licences d’exploration pétrolière par la Norvège en mer de Barents. Les requérants, des individus et des ONG environnementales, soutenaient que ces nouvelles licences contribuent à un réchauffement climatique dangereux de nature à violer leurs droits protégés par la Convention européenne des droits de l’homme, notamment le droit à la vie protégé par l’article 2, le droit au respect de leur vie privée prévu à l’article 8, le droit à un recours effectif prévu par l’article 13 et la prohibition de la discrimination posée à l’article 14.
Recevabilité de l’action
Concernant la recevabilité de l’action, la Cour a repris les critères posés dans l’affaire KlimaSeniorinnen c. Suisse [1]. Elle confirme la possibilité pour des ONG environnementales d’agir en matière de contentieux climatique, tout en maintenant un seuil élevé pour la reconnaissance de la qualité de victimes pour des requérants individuels.
Les obligations procédurales des États dans le contexte climatique
La Cour ne s’est pas prononcée sur les obligations substantielles d’atténuation du réchauffement climatique (comme dans l’affaire KlimaSeniorinnen), mais sur les obligations procédurales de l’État lors de l’octroi de licences d’exploitation d’un projet pétrolier en particulier.
La Cour réaffirme d’abord l’existence d’une obligation positive de protection contre les effets graves du changement climatique sur la vie, la santé et le bien-être (§314). Elle rappelle également que cette obligation doit peser considérablement lorsqu’il s’agit de mettre en balance différents intérêts potentiellement contraires (§316).
Si la Cour souligne le large pouvoir d’appréciation des États en la matière (§315), elle rappelle l’exigence d’une évaluation d’impact environnemental adéquate, en temps utile, complète, fondée sur les meilleures données scientifiques disponibles et réalisée de bonne foi (§318). En outre, elle fixe des conditions minimales pour l’évaluation de l’impact des projets pétroliers : elle affirme notamment que les émissions dites de “scope 3” liées à la combustion du pétrole et du gaz doivent faire partie des études d’impact (§319).
Ce faisant, la Cour se place dans la lignée de décisions qui l’ont précédée : l’arrêt de la Cour Suprême de Norvège du 22 décembre 2020 rendu dans la présente affaire [2], l’avis consultatif du Tribunal international du droit de la mer du 21 mai 2024 [3], l’avis consultatif de la Cour AELE du 21 mai 2025 [4] ou encore l’arrêt de la Cour suprême du Royaume Uni du 20 juin 2024 dans l’affaire Finch (confirmé depuis par une décision du 29 janvier 2025) [5].
La Cour a également tenu compte des avis rendus par des instances internationales, et notamment l’avis de la Cour Internationale de justice du 23 juillet 2025 selon lequel peut constituer un fait international illicite le fait pour un État d’octroyer des permis d’exploration pour les hydrocarbures [6].
Absence de violation de l’article 8 de la Convention par l’État norvégien
En l’espèce, la Cour a estimé qu’il n’y avait pas de violation de l’article 8 dès lors que l’évaluation des émissions de “scope 3” – c’est-à-dire des émissions liées à la combustion en aval du pétrole extrait – n’était pas requise à ce stade préliminaire de la procédure, limité à l’octroi d’une licence d’exploration. Elle considère que le cadre juridique norvégien offre des garanties suffisantes dès lors que cette évaluation est exigée lors de la phase ultérieure de développement et d’exploitation du projet.
En ciblant une licence d’exploration pétrolière – visant un projet précis – les requérants espéraient ouvrir la voie à une remise en cause plus structurelle de la stratégie fossile norvégienne. Mais la Cour refuse d’apprécier le contenu de la politique climatique nationale et ne consacre aucune incompatibilité de principe entre l’autorisation de nouveaux projets pétroliers et l’objectif de limiter le réchauffement climatique à 1,5 °C tel qu’imposé par l’Accord de Paris.
Néanmoins, la CEDH trace une grille de lecture exigeante pour les obligations procédurales des États en matière d’octroi de permis d’exploitation d’hydrocarbures.
Notes
[1] CEDH, Verein KlimaSeniorinnen Schweiz et autres c. Suisse [GC], Requête n° 53600/20, 9 avril 2024, https://hudoc.echr.coe.int/eng#{%22itemid%22:[%22001-233258%22]}
[2] Norges Høyesterett 22 December 2020, No. 0-051052SIV-HRET, https://cdn.climatepolicyradar.org/navigator/NOR/2016/greenpeace-nordic-assn-v-ministry-of-petroleum-and-energy-people-v-arctic-oil_c4546edcd30d144ba35805a6ce08fe26.pdf
[3] Tribunal International du Droit de la Mer, Demande d’avis consultatif n° 31 soumise par la Commission des petits États insulaires sur le changement climatique et le droit international (Demande d’avis consultatif soumise au Tribunal), 21 mai 2024, https://www.itlos.org/fileadmin/itlos/documents/cases/31/Advisory_Opinion/A31_avis_cons_21.05.2024_orig.pdf
[4] EFTA Court (la Cour AELE), Case E-18/24, the Norwegian State, represented by the Ministry of Energy,and Greenpeace Nordic and Nature and Youth Norway, 21 mai 2025, https://eftacourt.int/wp-content/uploads/2025/05/18_24_Judgment_EN.pdf?x74056
[5] R (on the application of Finch on behalf of the Weald Action Group) (Appellant) v Surrey County Council and others (Respondents), UKSC/2022/0064, 20 juin 2024, https://supremecourt.uk/uploads/uksc_2022_0064_judgment_c3d44bb244.pdf confirmé par la Sessions Court, [2025] CSOH 10, P560/22, P967/23, P1158/23, 29 janvier 2025, https://www.scotcourts.gov.uk/media/v0zkbsxy/2025csoh10-petitions-by-greenpeace-limited-and-uplift-for-judicial-review.pdf
[6] Cour Internationale de Justice, Obligations des Etats en matière de Changement Climatique, Rôle général n° 187, 23 juillet 2025, https://www.icj-cij.org/sites/default/files/case-related/187/187-20250723-adv-01-00-fr.pdf §427.
