6 ma 2020

Sous la pression de la société civile et des engagements neutralité carbone 2050 à l’échelle européenne, Total prend enfin acte de sa responsabilité majeure en matière de climat. Néanmoins, alors que son empreinte carbone a encore augmenté en 2019, les objectifs intermédiaires du Groupe à 2030 restent inchangés et Total ne présente aucun plan crédible de sortie des énergies fossiles. De fait, Total continuera d’investir massivement dans le pétrole et le gaz et se réserve la possibilité de vendre des quantités importantes de produits carbonés après 2050, notamment en dehors de l’Europe. Par ailleurs, ces engagements ne sont pas repris dans le plan de vigilance de la société mère du Groupe, document juridiquement contraignant et opposable aux membres de la société civile.

Quelles sont les nouvelles ambitions climatiques de Total annoncées aujourd’hui ?

  • Viser la neutralité carbone dans le monde en 2050 pour ses émissions relevant des scopes 1 et 2 (respectivement les émissions directes et indirectes liées à la consommation d’énergie des sites opérés)
  • Atteindre la neutralité carbone en Europe en 2050 pour l’ensemble de ses émissions, y compris celles qui relèvent du scope 3 (émissions résultant de l’utilisation des produits)
  • Réduction de 60% l’intensité carbone dans le monde en 2050 (scope 1 + 2 + 3)
  • Investissement de 20% dans le secteur ‘bas carbone’ (1) d’ici 2030

Pourquoi cet objectif ne change pas sa stratégie pétrolière et gazière ?

Tout d’abord, les émissions du scope 3 représentent 85% des GES de l’entreprise (2) et le marché européen 50 à 60% des ventes de Total (3). Dit autrement, 40 à 50% des parts de marché du groupe ne sont pas concernées par l’objectif de neutralité carbone et Total pourrait toujours revendre ses produits carbonés en dehors de l’Europe. Cette annonce ne fait donc que transposer à l’échelle du groupe les conséquences du projet de “Green Deal” européen. Il n’est pas davantage précisé quelle sera la contribution des technologies de captage et de stockage du CO2 (dites “CCUS”) dans cet objectif, alors même que le Giec rappelle qu’elles “sont incertaines et comportent des risques manifestes” (4). 

Ensuite, la réduction de -60% de l’intensité carbone ne garantit pas la baisse des émissions nettes du Groupe qui ne limite pas le volume d’hydrocarbures qu’il se permettra de vendre à cet horizon 2050. Il ne s’agit que du prolongement temporel de ses objectifs antérieurs de réduction d’intensité carbone de 15% pour 2030 et de 25 à 40% pour 2040. Les faits démontrent que la légère baisse de l’intensité carbone des produits utilisés par les clients de Total sur 2019 (71 à 70 gCO2 e/kBTu) s’est accompagnée d’une hausse des émissions absolues du scope 3 la même année (400 à 410 MtCO2e) (5) laquelle s’explique par la hausse de la production d’hydrocarbures du Groupe de 9% en 2019 (6). A contre-courant des actions requises pour lutter contre l’urgence climatique, Total envisage de croître dans le domaine du oil and gas (7). 

Pour les organisations qui ont lancé l’action en justice contre Total : “Comme cela est rappelé dans notre action en justice, il est nécessaire que l’entreprise envisage une baisse drastique de la production du pétrole et du gaz afin de faire cesser sa contribution illicite au réchauffement climatique (8). Par conséquent, les investissements doivent être dirigés massivement vers les énergies décarbonées et être significativement plus élevés que les prévisions actuelles” (9). 

Enfin, ces engagements ne sont pas repris dans le plan de vigilance de la société mère du Groupe, qui contraindrait juridiquement l’entreprise à mettre en oeuvre ses ambitions. Plus que jamais, les 5 associations et 14 collectivités (10) sont convaincues de la légitimité de l’action en justice engagée en janvier 2020 devant le tribunal judiciaire de Nanterre qu’elles entendent poursuivre et amplifier. Elles demandent à Total d’aligner l’ensemble de ses activités sur une trajectoire compatible avec une limitation du réchauffement climatique à 1,5°C afin de prévenir les atteintes aux droits humains, à l’environnement et à la santé et sécurité des personnes qui résulteraient d’un réchauffement incontrôlé du climat. De par son incomplétude et son incohérence avec les objectifs de croissance du groupe, l’annonce de Total ne permet pas de limiter le réchauffement climatique à un niveau tolérable et compatible avec les objectifs de l’Accord de Paris.

Contacts presse :

Notes : 

(1). L’énergie fossile du gaz n’en est pas exclue.
(2). p. 232 du DUE 2019 de Total
(3). P. 6 du DUE 2019 et P. 8 du DDR 2018 de Total
(4). GIEC, Résumé à l’intention des décideurs « Réchauffement planétaire de 1,5 °C, Rapport spécial du GIEC sur les conséquences d’un réchauffement planétaire de 1,5 °C par rapport aux niveaux préindustriels et les trajectoires associées d’émissions mondiales de gaz à effet de serre, dans le contexte du renforcement de la parade mondiale au changement climatique, du développement durable et de la lutte contre la pauvreté », sous la direction de V. Masson-Delmotte et al., Organisation météorologique mondiale, Genève, Suisse, 32 p. 
(5). p.232 DEU 2019
(6). p.26 DEU 2019
(7). En effet la société considère qu’il subsiste “une nécessité pour l’industrie d’investir de façon très substantielle pour faire face au déclin naturel des champs et répondre à la demande de pétrole prévue par ces scénarios à horizon de 20 ans et du ralentissements des investissements observés depuis 2015 dans l’industrie gazière et pétrolière” (p 305 DUE 2019).
(8). Le pétrole soit divisé par 10 dans le mix énergétique mondial primaire et le gaz par 6 d’ici 2050 par rapport à 2010 pour atteindre l’objectif 1,5°C, résumé spécial 1,5°C du GIEC de 2018
(9). Selon le GIEC, la part des ENR dans le mix énergétique mondial doit quadrupler en 2030 et octupler en 2050.
(10). Arcueil, Bayonne, Bègles, Bize-Minervois, Champneuville, Centre Val de Loire, Correns, Est-Ensemble Grand Paris, Grenoble, La Possession, Mouans-Sartoux, Nanterre, Sevran et Vitry-le-François.