Mai 2022 – Communiqué de la société civile sur la proposition de directive sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité

Les organisations de la société civile et syndicales soussignées accueillent favorablement la proposition de directive de la Commission sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité. Nous sommes convaincu·e·s qu’il s’agit d’une étape essentielle et attendue depuis longtemps pour la reconnaissance de la responsabilité des entreprises en matière de droits humains et garantir l’accès à la justice aux victimes.

Il est cependant urgent de remédier à certaines lacunes significatives qui risquent d’empêcher la directive de déployer les effets positifs dont les populations, la planète et le climat ont urgemment besoin et que les citoyen·ne·s de l’UE, les travailleur·euse·s et communautés affecté·e·s par les violations commises par les entreprises, réclament depuis longtemps.

C’est pourquoi nous appelons le Parlement européen et les États membres à remédier aux failles de la proposition, en tenant notamment compte de la perspective de genre, tout en se basant sur les éléments positifs qu’elle contient déjà. Ces améliorations sont nécessaires pour que cette législation permette une prévention efficace des violations des droits humains et des atteintes à l’environnement commises par les entreprises, et pour garantir aux victimes de ces atteintes un accès à la justice et à la réparation. La partie qui suit présente les grandes lignes de notre vision collective pour obtenir ces améliorations :

Les demandes de la société civile

Nous demandons aux co-législateurs de contraindre les entreprises à mettre en place des mesures effectives de prévention des atteintes aux droits humains et l’environnement tout au long de la chaîne de valeur, selon une approche fondée sur les risques et de manière qui soit proportionnée. Malheureusement, la proposition de directive limite le devoir de vigilance aux « relations commerciales établies », ce qui est en deçà des standards internationaux et risque d’inciter les entreprises à restructurer leurs chaînes de valeur de sorte à échapper à leur devoir de vigilance.

Par ailleurs, la définition des atteintes aux droits humains et à l’environnement doit être élargie pour y inclure toutes les atteintes aux droits humains et à l’environnement. Quoi qu’il en soit, l’annexe correspondante doit, d’une part, être plus inclusive afin d’intégrer tous les instruments internationaux pertinents et, d’autre part, être mise à jour régulièrement pour permettre leur développement ultérieur.

Les co-législateurs doivent également renforcer les dispositions sur la responsabilité civile et sur l’accès à la justice. Dans le cadre d’une action en justice, la charge de la preuve doit reposer sur l’entreprise qui devra donc prouver qu’elle a respecté ses obligations de vigilance. Cette charge ne doit pas peser sur la partie demanderesse qui dispose de ressources limitées et d’un accès restreint aux preuves. La responsabilité civile des entreprises doit pouvoir être engagée, même lorsqu’elles se sont efforcées de vérifier leur conformité en recourant à des initiatives sectorielles et à des audits privés. D’autres obstacles à l’accès à la justice bien connus doivent également être éliminés, notamment l’accès difficile des parties demanderesses à des informations clés, les délais déraisonnables et les freins aux recours collectifs. Les organisations à but non lucratif indépendantes qui ont un intérêt légitime à représenter des victimes devraient également avoir le droit d’agir en leur nom.

Un autre sujet brûlant est l’absence totale d’un devoir de vigilance en matière climatique. Les co-législateurs doivent répondre à l’urgence climatique par un devoir immédiat des entreprises de faire face, dans leurs chaînes de valeurs, aux risques et aux conséquences du changement climatique. Les entreprises doivent aussi avoir l’obligation de développer et mettre en œuvre un plan de transition efficace, aligné sur l’accord de Paris, et qui comprenne des objectifs de réduction des émissions pour le court, moyen et long terme. L’action des autorités publiques ainsi que la responsabilité civile mises en place devront servir à rendre exigibles ces obligations.

Alors que des standards internationaux s’appliquent à toutes les entreprises, la proposition de la Commission exclut environ 99 % des entreprises européennes. Le Parlement européen et les États membres doivent inclure les PME dans le champ d’application de la directive. Nous considérons injustifié et injustifiable le fait que les obligations de vigilance incombant au secteur financier soient réduites et que les processus d’identification des risques des entreprises opérant dans les secteurs à haut risque soient limités aux dommages les plus graves. Sur le fondement d’une approche basée sur les risques, nous appelons à l’inclusion de toutes les entreprises dans le champ d’application de la législation.

De plus, la directive proposée devrait accorder à la perspective des parties prenantes le rôle et le poids qu’elle mérite et rendre obligatoire une véritable consultation à toutes les étapes de la procédure de mise en place du devoir de vigilance. Le devoir de vigilance doit être renforcé de sorte à inclure un processus de consultation effectif et continu des parties prenantes, y compris une consultation obligatoire et proactive des travailleur·euse·s, des syndicats, des membres des communautés locales et des autres parties prenantes pertinentes ou concernées. Cet engagement doit prendre en considération les barrières auxquelles font face certains groupes vulnérables spécifiques. Dans ce contexte, l’absence, dans la proposition, d’une perspective de genre et d’intersectionnalité constitue l’une de nos principales inquiétudes.


En lien avec ceci, l’absence de références spécifiques aux défenseur·euse·s des droits humains et de l’environnement est particulièrement préoccupante. La proposition ne garantit aucune protection aux défenseur·euse·s des droits humains et de l’environnement à travers le monde, et se contente uniquement de prévoir une protection contre le risque de représailles pour les travailleur·euse·s basé·e·s dans l’UE. La protection des individus et des communautés contre les représailles et les atteintes à leurs droits doit être renforcée. Le droit des personnes indigènes à l’autodétermination et au consentement libre, préalable et éclairé (FPIC) doit également être expressément inclus et reconnu dans la directive.

Dans tous les cas où il est nécessaire de mettre fin à une relation ou à des activités commerciales, la directive doit rendre obligatoire un désengagement responsable, en précisant que les entreprises demeurent responsables des atteintes non réparées ainsi que des atteintes aux droits humains supplémentaires causées par leur désengagement.

La proposition ne prévoit pas non plus d’obligations de transparence dans la chaîne de valeur ni d’exigences de déclaration. Nous estimons que la directive doit contraindre les entreprises à recenser leur chaîne de valeur et leurs relations commerciales et à publier les informations
pertinentes
.


Nous constatons avec inquiétude que la proposition de directive repose considérablement sur les codes de conduite, clauses contractuelles, audits privés et les initiatives sectorielles, lesquels se sont avérés être insuffisants pour identifier, prévenir et faire cesser les violations des droits humains et les atteintes à l’environnement. Ces mesures ne peuvent pas être considérées comme des éléments de preuve du respect par les entreprises de leur devoir de vigilance. Il est évident que les pratiques d’achat des entreprises engendrent aussi des risques et répercussions considérables sur les droits humains et l’environnement, c’est pourquoi il faut exiger explicitement des entreprises qu’elles traitent de cette question.


Pour terminer, la proposition devrait davantage clarifier les obligations de vigilance des directeur·trice·s ainsi que leur obligation de superviser et d’œuvrer pour la mise en place du devoir de vigilance, notamment par des plans de transition et des objectifs de durabilité. Les conseils d’administration devraient avoir une obligation claire d’intégrer les risques et les conséquences en matière de durabilité dans la stratégie de l’entreprise. De même, la part variable de la rémunération des directeur·trice·s doit être renforcée et directement liée à la performance de l’entreprise en matière de durabilité et, en particulier, en matière climatique.


Nous suggérons l’ensemble de ces modifications pour garantir que l’Union européenne ne se limite pas à un simple exercice législatif de « cases à cocher » et éviter qu’elle consolide un système actuellement défaillant, qui laisse les entreprises porter systématiquement atteintes aux droits des populations et à la planète. Il est à présent crucial que les co-législateurs améliorent la directive sur la base des présentes recommandations.

Ces changements doivent être intégrés de toute urgence. Nous ne pouvons pas nous permettre d’attendre la fin de la décennie pour l’adoption de ces dispositions, alors que les dommages en matière de droits humains, ainsi que les dommages environnementaux et climatiques, continuent d’avoir lieu partout dans le monde.

Retrouvez toutes les organisations signataires ici.