A l’occasion de l’ouverture des débats à l’assemblée nationale sur la proposition de loi sénatoriale visant à faciliter la mise en œuvre des objectifs de « zéro artificialisation nette » au cœur des territoires, Notre Affaire à Tous, le Réseau Action Climat, la Fondation pour la Nature et l’Homme, la Ligue pour la Protection des Oiseaux, et Humanité et Biodiversité, ont souhaité adresser leur inquiétudes et leurs demandes quant aux ambitions du dispositif ZAN.

Madame la Première Ministre,

La proposition de loi actuellement en discussion devant le Parlement menace profondément la réalisation de l’objectif de zéro artificialisation nette. Mesure phare de la loi climat et résilience, cette mesure est particulièrement stratégique pour permettre à la France de tenir ses engagements en matière climatique et environnementale, et constitue le cœur des arguments avancés par l’État dans les procès climatiques dont il est l’objet pour justifier son action climatique.

La loi climat et résilience de 2021 a posé un objectif de zéro artificialisation nette en 2050, imposant une étape de réduction de l’artificialisation des sols à échéance 2031 de moitié par rapport à la décennie précédente (2011-2021). La proposition de loi sénatoriale relative au dispositif ZAN menace ces objectifs en délaissant la force contraignante du dispositif et en multipliant les dérogations à la comptabilisation des espaces artificialisés.

Les associations de défense de l’environnement demandent à ce que soit maintenue la force contraignante élevée et chiffrée que fixe la loi climat et résilience, notamment en inscrivant explicitement dans la loi la compatibilité des SCoTs, PLUi, et cartes communales avec les SRADDETs (1) afin de garantir l’atteinte des objectifs fixés nécessaires à la préservation des sols. Afin de répondre aux craintes des territoires concernant la création d’une forme de tutelle de la Région, nous proposons également de revoir la manière dont la territorialisation du ZAN est réalisée, en donnant la responsabilité aux territoires de trouver un accord, éventuellement arbitré par l’Etat. 

Sans mesure concrète de réduction de l’artificialisation des sols, celle-ci continuerait sur un rythme de 20 000 hectares par an (France Stratégie). Ce développement priverait les sols de leur capacité à stocker le carbone, amplifierait l’érosion de la biodiversité, et aggraverait les risques climatiques (inondations, incendies…) comme cela a été récemment le cas lors des inondations en Emilie-Romagne.

Ces mesures sont indispensables, au vu du constat des politiques d’aménagement passées qui, malgré l’affichage croissant d’exigence de sobriété foncière, ne sont pas parvenues à réduire suffisamment le rythme de l’artificialisation des sols face au développement économique des territoires.

Pourtant, l’Etat ainsi que les parlementaires enclenchent à bas bruit l’abandon du dispositif ZAN consacré par la loi climat et résilience, en détricotant exigence par exigence, et en accordant de multiples dérogations. Si le dispositif initial nécessitait effectivement des adaptations  afin de prendre en compte les contraintes de l’échelon local, les avancées réglementaires et législatives précédemment acquises font actuellement l’objet d’un réel retour en arrière.

En effet, afin que le dispositif ZAN soit opposable et  territorialisé à petite échelle, la loi Climat et résilience prévoit d’accorder à la région, et notamment à travers le Schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (SRADDET), d’importantes prérogatives en matière d’orientations d’aménagement pour une gestion économe des sols. Pour en assurer l’effectivité, la première version du décret d’application de la loi (2)(relatif à la territorialisation) impose un « rapport de compatibilité » entre les SCOTs et les règles du SRADDET fixant des objectifs chiffrés, ce afin de permettre d’assurer la déclinaison territorialisée de ces objectifs. Ce « rapport de compatibilité  » permet de s’assurer que les documents locaux d’urbanisme respectent l’esprit des objectifs régionaux qui découlent eux-mêmes de la loi climat et résilience

 Ce mécanisme est la pierre angulaire de l’effectivité de l’objectif ZAN. 

Nous constatons avec la plus grande inquiétude que les discussions actuellement en cours, notamment la proposition de loi sénatoriale visant à faciliter la mise en œuvre des objectifs de « zéro artificialisation nette » au cœur des territoires, envisagent  une  régression très problématique du dispositif en remettant en cause le rapport de compatibilité au profit d’un rapport de simple « prise en compte ». Cela signifierait que les documents d’urbanisme locaux pourraient déroger aux  orientations fondamentales de la norme supérieure, le SRADDET, en justifiant de l’intérêt d’une opération particulière. Cette évolution correspondrait finalement à transformer une obligation en simple recommandation, ce qui, en somme,  reviendrait à un abandon de l’objectif ZAN. Si la difficulté résidait dans le fait que le décret SRADDET contredirait la loi, nous vous invitons à modifier la loi pour y inscrire explicitement le lien de compatibilité. 

Le décret d’application relatif à la territorialisation de l’objectif ZAN, actuellement en révision, quant à lui, participe également à l’abandon du dispositif ZAN en transformant l’obligation d’édicter de telles règles en simple possibilité ; et en supprimant l’exigence de fixer des objectifs chiffrés de réduction du rythme de l’artificialisation des sols à échelle infrarégionale dans les règles du SRADDET. En cela, le nouveau décret prend seulement acte du fait que certaines régions ont appliqué les dispositions de la loi climat, quand d’autres ne l’ont pas fait. 

La planification écologique qui vous est confiée impose  de consolider les objectifs clés de la loi climat et résilience, et pour ce faire de garantir la force contraignante des mesures de réduction de l’artificialisation des sols et de les préciser au travers de chiffres applicables à échelle locale. Les reculs aujourd’hui envisagés, conjugués aux nombreuses dérogations votées au Sénat, conduiraient à un abandon de fait de l’objectif ZAN.

A terme, l’incapacité du Gouvernement à maintenir l’exigence de sobriété foncière renforcera la vulnérabilité des territoires et des populations aux impacts du dérèglement climatique. Les premiers réfugiés climatiques français sont apparus en février 2023 du fait de la montée des eaux (3) qui entraine des risques sur déjà plus de 800 communes (4), tandis qu’au cours du même mois de février, la communauté de communes du Pays de Fayence a suspendu tous les permis de construire pour 5 ans, pour cause de sécheresse, avant que le préfet du Var confirme ce choix dans un courrier du 10 mars (5). Si le ZAN doit être la politique qui planifie la fin de l’étalement urbain, nous devons avoir à l’esprit que les sécheresses portent en elles le risque d’impossibilités d’urbanisation de fait, brutales, non concertées. Que deviendront les quotas d’artificialisation des territoires frappés par les sécheresses et l’impossibilité de construire davantage ?

Ainsi, il nous semble crucial non pas d’affaiblir la portée du ZAN, mais au contraire de conforter le dispositif et de l’articuler avec les autres domaines de planification écologique, notamment concernant la ressource en eau. 

Au regard des catastrophes climatiques qui touchent d’ores et déjà le territoire français, il est impératif d’imposer des mesures ambitieuses de sauvegarde de la biodiversité, principale alliée face à ces phénomènes. Il est par conséquent impensable d’abandonner l’objectif ZAN. C’est pourquoi nous vous demandons, Madame la Première Ministre, une décision politique forte pour préserver et réaffirmer l’importance des objectifs de “zéro artificialisation nette”. 

Nous vous prions d’agréer, Madame la Première Ministre, l’expression de notre très haute considération. 

Signataires

Jérémie Suissa, Délégué Général (Notre Affaire à Tous)

Morgane Créach, Directrice, Réseau Action Climat

Matthieu Orphelin, Directeur Général, Ligue pour la Protection des Oiseaux, 

Stéphanie Clément-Grandcourt, Directrice Générale, Fondation pour la Nature et l’Homme

Sandrine Bélier, Directrice, Humanité et Biodiversité

Copie à M. Christophe Béchu, Ministre de la transition écologique

  1.  ou les Plan locaux d’urbanisme (PLU) non soumis à un  SCOT
  2.  Article R 4251-8-1 du Code général des collectivités territoriales
  3. France TV Info, Réchauffement climatique : quand la mer grignote le littoral, 3 février 2023 , disponible sur : <https://www.francetvinfo.fr/monde/environnement/rechauffement-climatique-quand-la-mer-grignote-le-littoral_5638901.html>
  4. Décret n° 2022-750 du 29 avril 2022 établissant la liste des communes dont l’action en matière d’urbanisme et la politique d’aménagement doivent être adaptées aux phénomènes hydrosédimentaires entraînant l’érosion du littoral, disponible sur : <https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000045726134>
  5. Courrier de M. Le préfet du Var, “ressource en eau et urbanisme sur le territoire de la communauté de communes du Pays de Fayence”, 10 mars 2023, disponible sur : <https://www.cc-paysdefayence.fr/wp-content/uploads/2023/03/PJ-3-Courrier-prefet-eau-urba-10.03.23-1.pdf >

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