Article rédigé par Manolo Cléarc’h-Chalony.

Les riverains des installations industrielles et les associations de protection de l’environnement sont-elles des personnes concernées par la procédure de référé pénal environnemental ?  La Cour de cassation apporte une réponse négative dans son arrêt du 18 mars 2025 (pourvoi n° 24-81.339). 

Selon la haute juridiction judiciaire, les riverains affectés par les émissions de PFAS et les associations qui les soutiennent ne sauraient être qualifiées de “personne concernée” au sens de l’alinéa 5 de l’article L. 216-13 du Code de l’environnement. Par conséquent, elles ne peuvent pas interjeter appel de l’ordonnance du Juge des libertés et de la détention (JLD) refusant de prononcer des mesures pour mettre un terme aux infractions à la législation des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE). La procédure de référé pénal environnemental est donc la chose du Ministère public et du mis en cause, au détriment des victimes, personnes réellement concernées. 

Celles-ci sont pourtant à l’origine de l’ouverture de la procédure. 

En l’espèce, aux mois de mai et juillet 2023, quarante-sept riverain.e.s, soutenu.e.s par onze associations, représentés par le cabinet Kaizen Avocat, ont demandé au Procureur de la République de Lyon d’adresser une requête au JLD. Leur objectif était alors d’obtenir “toute mesure utile” (1) de nature à faire cesser les infractions aux obligations de l’industriel en matière d’installations classées. Il était notamment reproché à l’exploitant de ne pas limiter la quantité de PFAS rejetés dans ses effluents aqueux. Au mois d’octobre 2023, le Procureur a accédé à cette demande et a saisi le JLD, comme le prévoit le Code de l’environnement. 

Après avoir écarté les questions prioritaires de constitutionnalité (2) soulevées par l’industriel, le JLD a, par ordonnance du 16 novembre 2023, rejeté les demandes du Procureur. Les motifs de la décision indiquent que “les mesures utiles permettant de mettre un terme à la pollution, et à tout le moins d’en limiter les effets” ont été “prises par le préfet dans” plusieurs arrêtés publiés en 2022 et 2023. Partant, le JLD conclut que “le non-respect des prescriptions relatives” aux installations classées “n’était donc pas ou plus caractérisé” au jour de la requête du Procureur. 

En application de l’alinéa 5 de l’article précité, le collectif de victimes et d’associations à l’origine de la procédure a interjeté appel. L’article en question dispose que “la personne concernée ou le Procureur de la République peut faire appel de la décision du juge des libertés et de la détention dans les dix jours suivant la notification ou la signification de la décision.” 

Le 11 janvier 2024, la chambre de l’instruction de la Cour d’Appel de Lyon a toutefois jugé l’appel des riverains et associations irrecevable. L’arrêt retient ainsi “qu’il est évident que les personnes physiques et les personnes morales concernées”, au sens de l’alinéa 5, sont “les personnes soupçonnées de ne pas respecter les prescriptions” relatives aux installations classées pour la protection de l’environnement. En d’autres termes, seul l’exploitant industriel serait à même de contester la décision du JLD, à l’exclusion des autres parties de la procédure. 

Cette interprétation n’a toutefois rien d’évident. C’est pourquoi le collectif à l’initiative de la procédure, ainsi que l’Avocat général, se sont pourvus en cassation. 

Les riverains et associations ont, en premier lieu, soutenu que la rédaction de l’article L. 216-13 du Code de l’environnement reflète la volonté du législateur de faciliter l’intervention des associations dans la procédure de référé pénal environnemental. 

Depuis sa création en 1992, le référé pénal environnemental permet aux associations de protection de l’environnement de saisir le Procureur de la République des manquements des installations industrielles. Cette procédure a, par la suite, fait l’objet de réformes (3) qui ont étendu son champ d’application, sans que la participation des associations ne soit remise en cause. Et pour cause, la ratio legis de cette procédure est de permettre aux associations et aux victimes d’agir lorsque l’autorité compétente fait défaut. Les riverains et riveraines jouent tout autant ce rôle de sentinelle. Comme le note la doctrine, “les victimes d’atteintes à l’environnement ne manqueront ainsi pas dorénavant de solliciter du JLD – ou au juge d’instruction – la prise des mesures conservatoires que le préfet se serait abstenu ou aurait refusé de prendre” (4). 

Si les associations et les personnes vivant à proximité des installations industrielles jouent un tel rôle dans le déclenchement de la procédure, pourquoi le législateur aurait-il souhaité les priver du droit d’appel ? L’économie de l’article L. 216-13 se trouverait alors bouleversée et il serait difficilement compréhensible que l’interprétation de ce texte retire d’une main ce que le législateur a donné de l’autre. 

Le collectif à l’origine de la procédure soutient, d’ailleurs, que le législateur utilise des termes différents, à l’intérieur même de la rédaction de l’article L. 216-13 du code de l’environnement, pour désigner l’exploitant industriel et les autres parties. Ainsi l’alinéa 3 de l’article précité fait-il référence à la personne “intéressée”, et non pas “concernée”, pour désigner le responsable d’exploitation. Dans son réquisitoire devant la Cour d’appel, le Procureur Général de Lyon avait, d’ailleurs, souligné cette subtilité rédactionnelle pour conclure à la recevabilité de l’appel. 

La Cour de cassation ne s’est toutefois pas adonnée à une analyse sémantique de l’article précité, ni à fournir une cohérence d’ensemble à l’article L. 216-13. Elle se contente de rejeter sèchement le pourvoi en rappelant que “pour déclarer irrecevable l’appel formé par les demandeurs, l’arrêt attaqué énonce que la personne concernée, titulaire du droit de relever appel de la décision du juge des libertés et de la détention en matière de référé environnemental, ne peut être que la personne soupçonnée de ne pas respecter les prescriptions imposées par les dispositions visées par l’article L. 216-13 du code de l’environnement”. 

A l’instar de son arrêt en date du 14 janvier 2025 (5), la Cour de cassation restreint l’accès à la procédure aux riverains et associations en leur refusant la qualité de parties. Elle donne ainsi davantage de poids à l’aspect pénal de la procédure de référé, plutôt qu’à son caractère environnemental. Cet arbitrage du Quai de l’Horloge est regrettable à double titre. En premier lieu, en ce qu’il prive la procédure de sa visée préventive. En second lieu, en ce qu’il entretient un trouble sur la régime de la procédure de référé pénal environnement, à rebours des dernières avancées jurisprudentielles. 

Le référé pénal environnemental vise avant tout à ce qu’il soit mis un terme rapidement aux manquements constatés, dans un objectif de prévention des atteintes à l’environnement ou de leur aggravation. Comme le souligne certains auteurs, l’intérêt principal de cette procédure réside dans “l’édiction rapide de mesures de nature à faire cesser l’atteinte en cours” (6). Dans ces conditions, “l’absence de droit d’initiative des victimes semble injustifiée” (7), l’objectif de cessation des atteintes à l’environnement semblant davantage relever des intérêts civils, de surcroît lorsqu’une association agréée de protection de l’environnement est à l’origine de la procédure. 

En déniant la qualité de personne concernée aux acteurs à l’origine du référé pénal environnemental, la Cour de cassation vide de sa substance la visée préventive de l’article L. 216-13 du Code de l’environnement et amoindri le rôle de vigie conféré à la société civile dans cette procédure. L’inertie initiale des services préfectoraux en charge de la police de l’environnement ne sera, in fine, que transférée aux services des Parquets. Ces derniers manquent déjà de moyens et, souvent, de connaissances spécifiques en matière environnementale (8). Atteindre les objectifs de célérité et d’efficacité de la procédure de référé pénal environnemental semblent, dans ces conditions, relever davantage du vœu pieu que de la réalité économique des Tribunaux.

Le récent arrêt de la Cour de cassation contribue, par ailleurs, à entretenir le trouble au sujet du régime procédural et des objectifs du référé pénal environnemental. Alors que plusieurs décisions avaient clairement distingué cette procédure des règles classiques de la procédure pénale, la Haute juridiction signe ici une décision contraire. 

La procédure de référé pénal environnemental n’a pas pour objectif de rechercher la responsabilité pénale de l’auteur des manquements. En effet, la Cour de cassation elle-même a jugé que la procédure de référé pénal environnemental “ne subordonne pas à la caractérisation d’une faute de la personne concernée de nature à engager sa responsabilité pénale le prononcé par le JLD, lors d’une enquête pénale, de mesures conservatoires” (Crim, 28 janvier 2020, n°19-80.091). 

Le Conseil Constitutionnel (9) a également pris soin de distinguer, d’une part, la procédure de référé pénal environnemental s’inscrivant dans une enquête pénale et, d’autre part, la procédure de référé pénal environnemental autonome de toute investigation pouvant mettre en cause la responsabilité du contrevenant. Ce n’est que dans le premier cas de figure que l’audition de la personne à l’origine des manquements constatés doit être avisée de son droit de garder le silence (10). Les principes directeurs du procès pénal n’ont donc, par principe, pas à s’appliquer à la procédure de référé pénal environnemental (11). 

En appliquant à la procédure de référé pénal environnemental les règles classiques de l’appel des jugements sur la culpabilité des personnes poursuivies pénalement, la Cour de cassation entretient le trouble sur le régime de cette action, en contradiction avec la visée préventive de la procédure prévue à l’article L. 213-16 du Code de l’environnement. 

La seule œuvre de clarté offerte par la Cour est la démonstration, s’il en était encore besoin, de l’inadaptation de la procédure pénale pour répondre aux préoccupations et besoins des victimes de pollutions industrielles. Privées de recours devant la juridiction répressive, elles pourraient, à l’image de l’action de masse (12) en réparation des préjudices liés aux PFAS annoncée au mois de février, se tourner vers le juge civil pour obtenir d’urgence une mesure conservatoire ou de remise en état sur le fondement de l’article 835 du CPC.

Désormais, seule une réécriture de l’article L 213-16 du Code de l’environnement semble à même de concrétiser les objectifs initiaux de la procédure de référé-pénal environnemental. En sus de l’inclusion de cet article au sein des dispositions communes du Code de l’environnement (13), des précisions doivent nécessairement être apportées pour que les victimes et associations soient reconnues comme parties intégrantes de la procédure. 

En premier lieu, la réforme devra explicitement consacrer le droit d’appel de ces acteurs qui, comme il a été souligné, sont à l’origine de la procédure. En second lieu, l’inertie procédurale ne doit pas se transmettre des services préfectoraux au Parquet. A l’instar de la possibilité reconnue aux victimes de déposer plainte avec constitution de partie civile auprès du Juge d’instruction passé un certain délai après la saisine du Procureur (14), une réelle initiative procédurale doit être reconnue aux victimes et associations. Celles-ci, passé un délai nécessairement court en raison de l’urgence de la situation, doivent pouvoir saisir directement  le JLD de leurs demandes en cas d’absence d’action du Ministère public. 

La Cour de cassation avait l’opportunité de reconnaître pleinement le rôle des associations et riverains dans la justice environnementale. Les mesures demandées étaient étudiées, scientifiquement validées et utiles à tout un territoire affecté par une pollution extrêmement grave aux polluants éternels. La Cour aura finalement préféré maintenir à distance la société civile. Les personnes concernées apprécieront.

Notes

(1) Article L216-13

(2) Celles-ci portaient, notamment, sur les pouvoirs du JLD, le respect des droits de la défense et de la présomption d’innocence.

(3) Notamment par la Loi n° 95-101 du 2 février 1995 relative au renforcement de la protection de l’environnement, l’Ordonnance n°2012-34 du 11 janvier 2012 portant simplification, réforme et harmonisation des dispositions de police administrative et de police judiciaire du code de l’environnement, la Loi n°2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages,  l’Ordonnance n°2017-80 du 26 janvier 2017 relative à l’autorisation environnementale, la Loi n°2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets.

(4) Benoît DENIS, Valérie SAINTAMAN, « La préservation de l’environnement opérée par le Juge des Libertés et de la détention au moyen de l’article L. 216-13 du Code de l’environnement », Energie – Environnement – Infrastructures n°5, Mai 2020, comm. 14.

(5) Crim, 14 janvier 2025, n°23-85.490 : “les moyens doivent être écartés, le premier étant inopérant, faute pour l’association d’avoir la qualité de partie.”

(6) Sébastien Bécue et Marc Pitti-Ferrandi, “Le référé pénal environnemental, une procédure juridique non identifiée ?”, Dalloz, AJ Pénal 2024, p.252.

(7) Bécue et Pitti-Ferandi op cit.

(8) Voir en ce sens le rapport de la Cour de cassation “Le traitement pénal du contentieux de l’environnement”, qui en 2022 soulignait déjà que: “le manque de temps et de moyens sont souvent avancés pour expliquer le faible investissement des magistrats, notamment du parquet, dans le traitement des contentieux de l’environnement. Il est permis de penser que le manque de connaissances en la matière est un facteur aggravant de cet état de fait” (page 19).

(9) Cons.const., 15 novembre 2024,n° 2024-1111 QPC.

(10) Pour une application par la jurisprudence, voir Crim, 28 janvier 2025, n°24-81.410.

(11) Inès Souid, “Référé pénal environnemental : l’application des principes directeurs du procès pénal en question”, Dalloz actualité 18 février 2025.

(12) https://kzn-avocatenvironnement.fr/action-juridique-pfas/

(13) Bien que son champ d’application soit large, l’article L 213-16 du Code de l’environnement figure pour l’heure au sein du livre II relatif aux milieux physiques, et non pas au livre premier relatif aux dispositions communes. 

(14) L’article 85 du Code de procédure pénale ouvre cette faculté aux victimes passé un délai de trois mois après la saisine du Procureur.