Par Clara Garnier, rédigé dans le cadre d’un stage avec le Réseau environnement Santé, sous la coordination de Me Louise Tschanz (Kaizen Avocat) et de Me Hilème Kombila (BLC Avocats et présidente de NAAT Lyon)
L’Organisation mondiale de la santé (OMS) estime que dans le monde 23 % des décès et 25% des pathologies chroniques sont liés à des facteurs environnementaux. Ces facteurs environnementaux, notamment la qualité de l’air, la qualité de l’eau, l’alimentation ou encore l’exposition à des substances chimiques ont un impact sur la santé.
Depuis le début des années 2000, le concept « Une Seule Santé » ou « One Health » se développe. Cette approche se veut transversale et repose sur l’idée que la santé humaine et la santé animale sont interdépendantes et liées à la santé des écosystèmes dans lesquels elles coexistent.
Un exemple qui illustre parfaitement le lien entre la santé humaine et la santé des écosystèmes est la pandémie de Covid 19 qui est une zoonose, c’est-à-dire une maladie qui se transmet des animaux à l’homme, l’activité humaine ayant favorisé la transmission de cette maladie.
Les pollutions ont des conséquences sur la santé humaine et peuvent ainsi entrainer des préjudices. En matière de responsabilité et de réparation des préjudices subis par les victimes de pollution, il convient de s’interroger sur la manière d’appréhender la santé environnementale par les juridictions.
Qu’est-ce que la santé environnementale ?
Selon la Déclaration sur l’action pour l’environnement et la santé, Conférence de l’OMS sur l’environnement et la santé en 1994, la santé environnementale comprend « les aspects de la santé humaine, y compris la qualité de la vie, qui sont déterminés par les facteurs physiques, chimiques, biologiques, sociaux, psychosociaux et esthétiques de notre environnement. Elle concerne également la politique et les pratiques de gestion, de résorption, de contrôle et de prévention des facteurs environnementaux susceptibles d’affecter la santé des générations actuelles et futures » (1).
Quels sont les enjeux de la santé environnementale ?
- En France, 5 à 10 % des cancers seraient liés à des facteurs environnementaux ;
- La France est le 3ème pays le plus touché par la pollution atmosphérique liée aux particules en suspension en Europe ;
- L’ozone a provoqué la mort prématurée de 21.000 personnes en France en 2000. Ce chiffre devrait être multiplié par 4 d’ici 2030 selon l’OCDE ;
- 2,4 millions de salariés français sont exposés à des produits cancérogènes en France.
- La France est le 3ème pays le plus touché par la pollution atmosphérique liée aux particules en suspension en Europe ;
- En France, on estime le nombre de décès lié à l’amiante à 100.000 d’ici 2025 (2).
Le contexte de la santé environnementale : une pollution diffuse et multifactorielle
La pollution est souvent diffuse, dans le temps et dans l’espace, les facteurs de pollutions ayant une origine difficilement localisable, avec des effets qui se déclarent parfois bien après l’émission de la pollution, voire chez les générations futures.
De surcroît, la pollution a de multiples origines, ce qui peut impliquer un effet cocktail. A petite dose, cela peut entrainer un danger plus important qu’une seule substance à grande dose.
Au regard de la complexité de cette pollution, un nouveau concept est de plus en plus utilisé : celui d’exposome, qui vise à intégrer de l’ensemble des expositions qui peuvent influencer la santé humaine.
Qu’est-ce que le contentieux de la santé environnementale ?
L’article 1240 du code civil oblige celui qui cause un dommage à autrui à le réparer. Les différents facteurs de pollutions engendrés par l’activité humaine peuvent générer des dommages, qu’il faudra alors réparer.
La réparation, synonyme d’indemnisation, se réalise via le dédommagement d’un préjudice par la personne qui en est responsable civilement. L’indemnisation vise spécifiquement l’opération consistant à rétablir la victime dans la situation où elle serait si le dommage ne s’était pas produit, en réparant celui-ci de la manière la plus adéquate, soit en nature, soit en argent.
Quelles sont les difficultés rencontrées par le contentieux de la santé environnementale ?
Le lien de causalité les pollutions et les maladies est difficile à établir car les pollutions sont souvent diffuses et multifactorielles.
Les données scientifiques ont une place essentielle dans le contentieux, afin de prouver le lien entre la pollution et les dommages. Or, les études scientifiques en toxicologie et épidémiologie sont réalisées à l’échelle d’une population, et non à l’échelle individuelle. De plus, le coût des expertises judiciaires, qui prouverait le préjudice à l’échelle individuelle, est très élevé et souvent aux frais des victimes, ce qui n’encourage pas le recours au contentieux.
Par conséquent, le lien de causalité en santé environnementale entre le fait générateur (la pollution) et le dommage (les atteintes à la santé humaine) est souvent difficile à établir. In fine, les victimes des pollutions sont faiblement indemnisées.
Qu’est-ce que le lien de causalité ?
Le lien de causalité est l’imputabilité d’un fait générateur à un dommage causant un préjudice qui permet d’engager la responsabilité d’une personne physique ou morale pour demander la réparation du préjudice subi sur le fondement de l’article 1240 du code civil (3).
L’article 1353 du code civil prévoit que la preuve du lien de causalité incombe à la victime (4) qui doit alors prouver par tous moyens le lien causal entre le dommage qu’elle a subi et le fait générateur de responsabilité.
Ce lien doit être direct et certain : la responsabilité du fait personnel « suppose un rapport de causalité certain entre la faute et le dommage » (5).
Lorsque la preuve est difficile à établir directement, l’article 1382 du code civil (6) prévoit que le recours à des présomptions est possible en présence de preuves graves, précises et concordantes.
En 2020, la Cour de cassation a approuvé pour la première fois, dans l’affaire Paul François, que l’exposition à un pesticide puisse constituer un dommage corporel (7). Le juge a apprécié des présomptions graves précises et concordantes pour admettre :
- Le lien de causalité entre l’inhalation du produit et le dommage ;
- Le lien de causalité entre le défaut du produit et le dommage est établi.
Comment utiliser les données scientifiques dans le contentieux de la santé environnementale ?
L’utilisation de données scientifiques a permis de faire évoluer la prévention des atteintes à la santé et a permis d’établir un lien de causalité entre les pollutions et les pathologies développées.
Le juriste doit travailler avec des experts dans le cadre du contentieux, notamment avec des toxicologues et des épidémiologues, car ce sont les experts en santé environnementale :
- La toxicologie est une « science qui étudie la nature, les effets et la détection des toxiques dans les organismes vivants ainsi que des substances par ailleurs inoffensives qui s’avèrent toxiques dans des conditions particulières. L’hypothèse de base de la toxicologie est qu’il existe une relation entre la dose (quantité), la concentration à l’endroit touché et les effets qui en résultent » (8).
- L’épidémiologie est une « branche de la médecine qui étudie les divers facteurs conditionnant l’apparition, la fréquence, le mode de diffusion et l’évolution des maladies affectant des groupes d’individus » (9).
Le juriste va devoir avoir recours à une logique probabiliste, traduisant le risque de l’exposition aux polluants et le seuil à partir duquel le risque peut devenir un danger. Ce point est complexe, dans la mesure où certaines substances sont dangereuses, quelle que soit la dose (par exemple les perturbateurs endocriniens).
Aménagements du lien de causalité par la loi : le cas du préjudice d’anxiété
Initialement, la jurisprudence a admis la condamnation des employeurs sur le fondement du préjudice d’anxiété, lorsque les salariés étaient exposés à l’amiante. Les salariés bénéficiaient alors d’une présomption de causalité lié à leur exposition à l’amiante et l’indemnisation de leur préjudice d’anxiété était automatique.
En 2019, la Cour de cassation a étendu le préjudice d’anxiété au-delà des bénéficiaires du régime légal originel en admettant la possibilité pour un salarié qui n’avait pas travaillé dans l’un des établissements mentionnés à l’article 41 de la loi du 23 décembre 1998 de se prévaloir du préjudice d’anxiété (10), en cas de contamination par l’amiante, sur le fondement des règles de droit commun régissant l’obligation de sécurité de l’employeur.
En 2019, le préjudice d’anxiété a été élargi par la Cour de cassation en dehors de l’amiante.
En application des règles de droit commun régissant l’obligation de sécurité de l’employeur, le salarié qui justifie d’une exposition à une substance nocive ou toxique générant un risque élevé de développer une pathologie grave et d’un préjudice d’anxiété personnellement subi résultant d’une telle exposition, peut agir contre son employeur pour manquement de ce dernier à son obligation de sécurité (11).
Le salarié doit alors apporter les preuves suivantes :
- Exposition à une substance nocive ou toxique générant un risque élevé de développer une pathologie grave ;
- Préjudice d’anxiété personnellement subi résultant d’une telle exposition.
En dehors du droit du travail et de l’indemnisation des atteintes potentielles à la santé causées par l’amiante, le juge peut aussi indemniser le préjudice résultant d’une exposition à une pollution dont les effets sur la santé sont incertains. Le juge a retenu ce préjudice d’angoisse pour les cas d’exposition à des antennes relais. La proximité d’antennes relais dont les effets sur la santé sont débattus par la science peut représenter une crainte légitime concernant les risques sanitaires constitutive d’un trouble anomal.
Le juge se base sur plusieurs données scientifiques afin de prendre en compte ce préjudice moral résultant de l’angoisse afin d’en ordonner la cessation et la réparation.
Le juge estime que même si les normes d’exposition sont respectées et que les risques restent hypothétiques, les controverses scientifiques concernant l’impact des antennes relais sur la santé participent à l’angoisse ressentie par les riverains voisins de ces antennes (12).
Cependant, la reconnaissance d’un préjudice d’angoisse ou d’un préjudice d’anxiété en matière de santé environnementale reste rare dans la jurisprudence.
Le juge administratif pour sa part reconnait également le préjudice d’anxiété dans le cas de salariés exposés à l’inhalation de poussière d’amiante (13) et en a récemment rappelé le régime probatoire (14). Le Conseil d’État s’est éloigné de la jurisprudence de la Cour de cassation. Toujours en ce qui concerne l’exposition par un salarié, il estime que toute situation permettant d’établir une exposition effective à un risque fréquent et grave entraîne la reconnaisse d’un préjudice d’anxiété, sans avoir à en rapporter la preuve. Cette solution pourrait être transposable à toute affaire sanitaire.
Le juge administratif reconnait également le préjudice d’anxiété en matière médicale, dans l’affaire du Médiator, le Conseil d’État a admis l’existence d’une angoisse subjective chez la requérante, exposée au risque, mais n’ayant développé aucune pathologie liée à la prise du médicament, et a reconnu la possibilité de se prévaloir d’un préjudice d’anxiété (15).
La reconnaissance du préjudice d’anxiété en dehors des relations salariés-employés sera sans doute faite dans la jurisprudence civile et administrative future.
Comment une victime de pollution peut-elle constituer des preuves pour ensuite obtenir réparation du préjudice ?
La certitude juridique est différente de la certitude scientifique. Les victimes doivent apporter les preuves démontrant le lien de causalité entre la pollution et les dommages subis, afin d’emporter la conviction du juge et pouvoir obtenir réparation de leurs préjudices.
Le dossier des victimes de pollutions réclamant une réparation de leurs préjudices doit être solide et être constitué de nombreuses preuves, par exemple :
- Un dossier médical complet établi au moment de l’apparition ou de l’aggravation de la maladie ou au moment de l’exposition à des pollutions afin de mettre en avant un lien de causalité ;
- Le recours à un huissier qui va établir un constat afin de certifier les faits (par exemple l’apparition ou l’aggravation de la pathologie ; la découverte d’une pollution ; des mesures réalisées par un bureau d’études) ;
- Les données scientifiques reconnues et crédibles ;
- L’utilisation de données toxicologiques ou épidémiologiques, afin d’établir une probabilité de lien de causalité entre la pollution et l’apparition ou l’aggravation de la pathologie.
En toute hypothèse, il est important de souligner que toute victime doit avoir une démarche proactive pour constituer des preuves : plus le dossier sera solide, plus la probabilité d’obtenir réparation des préjudices subis sera élevée.
Que retenir ?
En science, le doute subsiste toujours, c’est la base de la recherche.
Par conséquence, en contentieux de la santé environnementale, le lien de causalité direct et certain entre une pollution et un dommage à la santé humaine est difficile à prouver.
Il y a une évolution du contentieux vers une indemnisation du préjudice résultant d’une pollution plus diffuse et multifactorielle. On le voit aujourd’hui à travers l’élargissement du préjudice d’anxiété, étendu à tous les salariés exposés à des substances nocives ou toxiques générant un risque élevé de développer une pathologie grave et d’un préjudice d’anxiété personnellement subi.
L’utilisation de données scientifiques dans le contentieux peut permettre de réparer les dommages causés par des pollutions diffuses et multifactorielles, notamment en apportant des preuves établissant une probabilité de lien de causalité. Corinne Lepage rappelle dans un Colloque devant la Cour de cassation en mars 2022, qu’il est important de passer d’un modèle déterministe à un modèle probabiliste. Dans ce cas le lien causal va pouvoir se traduire en termes d’augmentation des probabilités et le fait générateur sera considéré comme une circonstance favorisant la réalisation du dommage climatique (16).
Sources :
(1) Déclaration sur l’action pour l’environnement et la santé, Conférence de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) sur l’environnement et la santé, Helsinki, 1994.
(2) « Zoonoses : quels liens entre atteintes à la biodiversité et pandémies ? », Commissariat général au développement durable, 3 mars 2022. URL.
(3) Article 1240 du code civil, ancien article 1382 du même code « Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ».
(4) Article 1353 du code civil « Celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver ».
(5) Cass. 2e civ., 27 octobre 1976, n°73-14.891 et n°74-10.318 : Lien de causalité doit être direct et certain.
(6) Article 1382 du code civil « Les présomptions qui ne sont pas établies par la loi, sont laissées à l’appréciation du juge, qui ne doit les admettre que si elles sont graves, précises et concordantes, et dans les cas seulement où la loi admet la preuve par tout moyen ».
(7) Cass. 1re civ., 21 oct 2020, n°19-18.689 : Affaire Paul François, admission que l’exposition à un pesticide soit un dommage corporel.
(8) « Toxicologie« , Dictionnaire Environnement, Actu-environnement.com.
(9) « Epidémiologie« , Dictionnaire Environnement, Actu-environnement.com.
(10) Cass., ass. plén., 5 avr. 2019, n° 18-17.442 : Préjudice d’anxiété admis pour tous les salariés exposés à l’amiante.
(11) Cass. soc., 11 sept. 2019, n° 17-24.879 : Préjudice d’anxiété reconnu pour toute exposition aux substances nocives ou toxiques.
(12) CA Versailles, 14ème chambre, 4 février 2009 n° 08/08775 : Préjudice d’angoisse reconnu pour les voisins d’une antennes relais malgré les controverses scientifiques sur les dangers.
(13) CE, 18 mai 2011, n° 326416 : reconnaissance du préjudice d’anxiété par le juge administratif.
(14) CE, 28 mars 2022, n° 453378 : le juge administratif reconnait le préjudice d’anxiété pour les salariés ayant été exposés de façon effective à un risque fréquent et grave entraîne la reconnaisse d’un préjudice d’anxiété, sans avoir à en rapporter la preuve.
(15) CE, 9 nov. 2016, n° 393108, 393902, 393926, 393904 : Affaire du Médiator, reconnaissance du préjudice d’angoisse en matière médicale.
(16) Colloque « Environnement : faut-il modifier l’appréhension du lien de causalité ? », Cour de cassation, 31 mars 2022.