Article écrit par Manolo Cléarc’h-Chalony, élève-avocat.
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“Le juge ne recherche pas une vérité absolue ; il se borne à relever les indices qui engendreront dans son esprit un sentiment de probabilité” [1] – R.PERROT.
Objet. La caractérisation du lien de causalité est une étape cardinale du contentieux de la responsabilité environnementale et climatique. Elle irrigue une grande partie des contentieux portés par la société civile, bien au-delà des frontières de l’Hexagone [2]. Ce constat a poussé l’équipe de Notre Affaire à Tous à identifier les problèmes rencontrés à ce sujet dans ses contentieux en matière climatique et en matière de santé environnementale. Dans ces deux types d’affaires, les enjeux probatoires s’agissant de la causalité sont au centre des débats judiciaires, académiques et politiques. L’objectif de ce travail est, une fois les principaux obstacles identifiés, de proposer des leviers permettant de faciliter la reconnaissance du lien causal lorsqu’une incertitude scientifique ou une multiplicité de facteurs explicatifs contrarient la caractérisation juridique de la causalité.
Une définition juridique de la causalité. Le lien de causalité est décrit comme “la condition la plus mystérieuse de la responsabilité civile” [3] en raison de son “caractère insoluble” [4]. La causalité, au sens commun du terme, désigne le rapport de cause à effet entre deux événements. Elle se différencie ainsi de la simple corrélation ou encore de l’association, notamment en termes statistiques, qui ne font que démontrer un lien de variation entre deux événements sans se prononcer sur la causalité de l’un avec l’autre. En termes juridiques, le lien de causalité est une des trois conditions traditionnellement requises pour engager la responsabilité civile d’une personne [5]. Il relie le fait générateur au dommage et ce, dans la plupart des régimes de responsabilité, même objectifs [6]. Pour être retenu par les juridictions, ce lien causal doit classiquement être direct et certain [7]. Si ce lien causal est omniprésent en matière de responsabilité, aucune définition n’en est donnée par le code civil. Les projets de réforme de la responsabilité civile viennent entériner la nécessaire démonstration de ce lien de causalité [8] sans en donner de définition explicite [9]. De ce fait, la doctrine et la jurisprudence ont, de concert, délimité les contours de cette notion à partir de plusieurs théories. Parmi celles-ci, la théorie de l’équivalence des conditions et celle de la causalité adéquate sont les plus mobilisées.
La première pourrait être définie à partir de l’article 6.18 du code civil belge dans sa rédaction issue de la loi du 7 février 2024. Cet article dispose que le “fait générateur de responsabilité est la cause d’un dommage s’il est une condition nécessaire de ce dernier. Un fait est une condition nécessaire du dommage si, sans ce fait, le dommage ne se serait pas produit tel qu’il s’est produit dans les circonstances concrètes présentes lors de l’événement dommageable”. En suivant cette théorie, toutes les conditions sine qua non du dommage doivent être prises en compte au titre de la causalité. Il faut ainsi mener une recherche hypothético-contrefactuelle en se demandant si, en l’absence de réalisation d’une condition, le résultat aurait été le même. En d’autres termes, “si en l’absence de A, B ne se serait pas produit, alors A est une condition sine qua non de B” [10] et devra être tenu comme la cause de B. La jurisprudence française applique cette théorie, sans toutefois la nommer expressément. C’est ainsi que la causalité entre l’accident de la circulation et la contamination de la victime par l’hépatite C, lors d’une transfusion sanguine rendue nécessaire par le choc, a été reconnue [11]. La jurisprudence a également recours à la théorie de l’équivalence des conditions en matière médicale ou de défaut de produits pharmaceutiques [12]. Il est, par ailleurs, enseigné que cette théorie serait davantage appliquée par les juridictions en présence d’une faute délictuelle [13].
S’agissant de la causalité adéquate, elle se fonde sur la notion de prévisibilité. La condition d’un résultat doit être celle prévisible selon le cours normal des choses. C’est la condition qui apparaît la plus probable à une personne raisonnable. En d’autres termes, il faut rechercher, postérieurement à la survenance du dommage, la raison la plus probable de l’avoir causé. L’application de cette théorie de la causalité amène les juridictions à être plus sévères en ne reconnaissant que la cause la plus à même d’expliquer le dommage ou, pour reprendre les mots de C.KAHN “un évènement est la cause adéquate d’un dommage lorsqu’il est susceptible de le produire dans la majorité des cas” [14]. L’ensemble des autres causes, qui ont concouru au dommage sans pour autant être susceptibles de le causer dans la plupart des cas, sont donc exclues. La jurisprudence a, par exemple, retenu que la seule cause des blessures d’un policier poursuivant une personne refusant d’obtempérer n’est pas ce refus, mais bien la chute accidentelle, indépendante du comportement du fuyard [15]. Cette théorie est intéressante en ce sens qu’elle repose, en grande partie, sur le caractère probabiliste des événements [16]. Seulement, elle ne permet pas de dégager une causalité dans le cas où une incertitude entoure l’événement considéré. Sans connaissance scientifique préalable de la probabilité qu’un événement cause de manière générale un résultat, il n’est pas possible d’identifier une telle causalité adéquate.
Des théories rejetées. Dans un premier Livre Blanc [17], publié au mois d’octobre 2023, l’association Notre Affaire à Tous concluait déjà à la nécessaire évolution de la conception du lien de causalité en matière d’exposition aux pollutions chimiques. En effet, en matière de santé environnementale, la mobilisation des théories rappelées ci-avant n’est pas suffisante pour retenir une causalité certaine et directe entre l’exposition aux diverses pollutions et la survenance de certaines pathologies. Ces dernières sont, bien souvent, multifactorielles et les pollutions sont diffuses. Dans cette configuration, la méthodologie déductive, reposant notamment sur une approche contrefactuelle, peut difficilement aboutir à retenir une causalité juridique. Sans unité d’espace, de temps et de lieu, il est en effet malaisé de déterminer si une situation donnée aurait été différente en l’absence d’un événement précis. C’est, d’ailleurs, ce qui a poussé la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) a rejeté expressément la causalité fondée sur la “condition sine qua non” dans l’affaire des aînées suisses [18]. Une telle conception de la causalité est aussi malmenée en matière de santé, dès lors que l’innocuité du vaccin [19] est mise en doute ou lorsque l’exposition à une substance cause des effets à retardement [20]. Pourtant, cette conception traditionnelle de la causalité est souvent synonyme de privation de toute réparation pour les victimes de pollutions diffuses ou d’événements climatiques extrêmes. Sans lien de causalité certain, l’application du droit civil conduit les juridictions à ne pas reconnaître de droit à indemnisation pour les victimes, faute de démontrer que le comportement dénoncé a effectivement causé les dommages constatés.
La causalité apparaît donc fréquemment comme un verrou dans les contentieux climatiques et environnementaux, plus particulièrement dans le cadre d’une incertitude scientifique (II) ou d’une pluralité de responsables (III). Avant d’étudier les techniques juridiques développées pour prendre en considération ces difficultés, il convient de préciser l’objet de la causalité climatique et environnementale (I).
I – Déterminer l’objet de la causalité environnementale et climatique
Les liens de causalité. Le lien de causalité cache en réalité plusieurs liens de cause à effet. En premier lieu, le lien de causalité désigne la loi matérielle générale entre deux événements. C’est la causalité dite générale. Par exemple, on sait que l’exposition à l’amiante cause l’apparition de mésothéliome pleural. Il s’agit d’une règle générale, appuyée par les observations scientifiques.
Au-delà de cette première relation causale, le lien de causalité renvoie également à la causalité spéciale, appliquée à chaque cas d’espèce. Celui-ci relie donc la situation donnée à la règle générale. Par exemple, dans un dossier précis, on devra déterminer si la personne a effectivement été exposée à l’amiante et que son mésothéliome peut être mis en lien avec cette exposition.
Le lien de causalité doit donc se conjuguer au pluriel pour réellement correspondre à la réalité tant scientifique que juridique de ce concept. En décomposant le lien causal, il est plus facile de percevoir les difficultés que rencontrent les requérants en matière de pollution environnementale et de responsabilité climatique.
Les causalités en matière de pollution. En matière de pollution environnementale, l’établissement de la causalité générale entre l’exposition à un produit toxique et la survenance de problèmes de santé est un enjeu crucial. Si les effets nocifs sur l’environnement et la santé de certaines molécules historiques sont documentés [21], la toxicité des molécules émergentes, à l’instar des pesticides ou des PFAS, est encore trop peu étudiée. Même lorsqu’il existe des données relatives à l’exposition à ces substances, des difficultés intrinsèques au processus scientifique empêchent de conclure fermement à une causalité générale qui soit directe et certaine. Comme le note un rapport sénatorial en date du 8 juillet 2015 “la recherche en matière d’impact sanitaire des expositions environnementales, dont la pollution de l’air, se heurte souvent à la difficulté de faire le lien entre les résultats des études épidémiologiques et la causalité biologique” [22]. Les études épidémiologiques ne permettent pas d’expliquer, biologiquement, les conséquences de l’exposition sur la santé. L’épidémiologie a recours à des outils statistiques. Cette discipline ne peut qu’exprimer une association, une probabilité entre l’apparition d’une maladie et l’exposition à un produit toxique. Inversement, les résultats des études toxicologiques ou des études biologiques, opérées en laboratoire sur des animaux, ne sont pas forcément transposables aux êtres humains [23]. Les résultats obtenus dans ces études tant épidémiologiques que toxicologiques sont, toutefois, des indices qui permettent aux scientifiques et aux juristes d’inférer une règle générale de cause à effet. C’est, au demeurant, la méthodologie utilisée par le Centre International de Recherche sur le Cancer (CIRC) [24]. On comprend, dès lors, que l’établissement d’une causalité générale entre exposition à un polluant et apparition de maladies constitue un premier défi pour les demandeurs.
Par la suite, l’établissement de la causalité spéciale apparaît également comme un obstacle en matière de pollution. Plus particulièrement, “le passage d’une étude épidémiologique à un cas particulier constitue une difficulté supplémentaire” [25]. R.SLAMA [26] rappelle ainsi que, si la science est capable de démontrer la part causale d’un effet environnemental sur la santé au niveau d’une population, il est beaucoup plus complexe de le déterminer au niveau individuel, du fait de la multiplicité des expositions environnementales. En effet, là encore, la charge probatoire reposant sur le demandeur à l’instance est grande. Il lui faudra démontrer non seulement qu’il a effectivement été exposé à la pollution en cause mais encore que seule cette exposition est à la source de sa pathologie. Or, dans le cas des pollutions industrielles, une telle démonstration est complexe à apporter. Cette complexité tient, d’une part, au caractère diffus de la pollution. Contrairement à une vaccination ou à un accident de la circulation qui constitue un événement borné dans le temps, l’exposition à la pollution, notamment celle de l’air, est diffuse et continue. Elle s’étale ainsi sur un laps de temps parfois important. Il est alors ardu de démontrer que l’apparition des symptômes coïncide avec les rejets industriels. Il manque alors l’unité de temps, d’action et de lieu propice à la caractérisation de la causalité [27]. D’autre part, les individus ne vivent pas dans des chambres aseptisées où seul un unique agent chimique serait distillé. Au contraire, ils vivent dans un environnement où coexistent différentes sources de pollutions, différentes molécules susceptibles de causer la même maladie. Mis à part la question des maladies dites signatures, tels que les mésothéliomes se développant sous l’effet de l’exposition à l’amiante, il est parfois impossible de déterminer avec précision, dans un cas précis, si une maladie peut scientifiquement n’être rattachée qu’à une seule molécule dans un environnement qui en comporte des dizaines. Dans ces conditions, la preuve de la causalité spéciale est particulièrement difficile à administrer.
On comprend donc que les principales difficultés rencontrées en matière de pollution sont, d’une part, la preuve de la relation de cause à effet entre le produit et les pathologies, d’autre part, le caractère multifactoriel des dommages en cause. Une telle décomposition du lien causal est aussi un défi en matière de responsabilité climatique.
Les causalités climatiques. À l’instar des questions de santé environnementale, l’établissement de la causalité climatique se morcèle en différents liens de cause à effet. Il serait ici vain de reprendre, de manière détaillée, l’intégralité des études sur les liens scientifiques s’établissant, par exemple, entre les émissions de gaz à effet de serre (GES) et la fonte des glaces. De manière schématique, M.BACACHE [28] retient trois niveaux de causalité climatique :
- Le premier relie l’activité émettrice de GES au changement climatique.
- Le deuxième relie le changement climatique à l’apparition d’événements climatiques déterminés (inondations, sécheresse, feu de forêt).
- Le dernier met en relation l’événement climatique déterminé avec les dommages ressentis par la victime.
D’autres auteurs, à l’instar de P.MAIMONE [29], ajoutent à ce triptyque deux autres relations de cause à effet pour préciser la relation entre le changement climatique général causé par l’augmentation des GES dans l’atmosphère et les évènements climatiques déterminés :
- L’un serait celui entre ce réchauffement général et “une conséquence écologique théorique du changement climatique, c’est-à-dire à un événement que les scientifiques estiment possible”.
- L’autre serait celui entre l’événement théorique et l’événement “climatique, météorologique ou écologique localisé, survenu ou en cours de réalisation” [30].
Cette décomposition du lien causal donne à voir la difficulté à laquelle est confrontée le demandeur. En effet, au-delà de déterminer les dommages, leur relation avec un événement extrême et l’émission de GES dans l’atmosphère par un acteur économique, encore lui faudra-t-il démontrer que ces émissions contribuent, aussi bien théoriquement qu’en pratique, à la réalisation de l’événement climatique extrême en cause. Pour reprendre les mots de M.MOLINER, “la complexité de l’enchaînement des causes et des conséquences” [31] rend difficile la caractérisation de la causalité en matière de responsabilité climatique.
L’introduction de deux étapes supplémentaires par P.MAIMONE a, surtout, le mérite d’illustrer l’incertitude matérielle qui entoure la survenance des événements climatiques extrêmes. Le recours à la science de l’attribution [32], fondée sur des modélisations mathématiques (et donc des probabilités statistiques) a justement pour objectif de déterminer la proportion de responsabilité des activités humaines dans la survenance de ce type de catastrophes, de manière générale.
La CEDH [33] et les juridictions administratives françaises [34] ont elles aussi facilité le travail probatoire des demandeurs en reconnaissant explicitement un certain nombre de ces enchaînements causaux. En matière climatique, la CEDH a relevé l’existence de trois liens de causalité distincts. Le premier, scientifique, tient à la causalité entre les émissions de GES et les manifestations du réchauffement climatique. Le deuxième, général, doit être établi entre ces manifestations du réchauffement climatique et les risques qu’elles impliquent pour les droits humains. Enfin, le troisième tient à la causalité spéciale entre un risque donné pour une personne et l’action ou la carence de l’État dans la prévention du risque [35]. La CEDH invoque aussi une “quatrième dimension” de la causalité, tenant davantage à la répartition des responsabilités qu’à la causalité matérielle.
S’agissant des deux premières relations causales, la CEDH se fonde sur “la reconnaissance scientifique, politique et judiciaire de l’existence d’un lien entre lesdits effets négatifs et la jouissance (de différents aspects) des droits de l’homme” [36]. Elle retient particulièrement les multiples rapports du GIEC, d’autres travaux scientifiques, les normes des États membres et certains instruments internationaux pour conclure que “l’existence d’indications suffisamment fiables de ce que le changement climatique anthropique existe, qu’il représente actuellement et pour l’avenir une grave menace pour la jouissance des droits de l’homme garantis par la Convention” [37] est établie. Elle va même plus loin, au paragraphe 456 de sa décision, en visant “l’existence d’éléments scientifiques très préoccupants et [le] consensus international croissant quant aux graves effets du changement climatique sur la jouissance des droits de l’homme”.
Le Conseil d’État, dans ses décisions Grande-Synthe [38] et le tribunal administratif de Paris, dans l’Affaire du Siècle [39] ont également reconnu le lien entre l’émission anthropique de GES et les dommages environnementaux pouvant en résulter. Aucune incertitude scientifique n’est donc apparente s’agissant du lien de causalité générale entre les émissions de GES et l’apparition de dommages climatiques et de risques pour les droits humains.
La question de l’incertitude tend pourtant à réapparaître au stade de la causalité spéciale, c’est-à-dire, au stade d’un événement climatique extrême donné et de l’action ou de l’inaction en cause ayant participé à l’émission de GES. Au regard de la multiplicité des causes du réchauffement climatique et de la diversité des acteurs y contribuant, se pose le problème de l’imputabilité et de la part de responsabilité. À cet égard, les seules démonstrations pouvant être apportées seront statistiques et probabilistes. En partant de la somme des émissions d’un acteur, au regard de l’ensemble des émissions de GES, il est possible de développer des modèles mathématiques de rattachement des émissions d’un acteur à la survenance d’un événement extrême [40]. L’incertitude est alors constituée et demeure un frein à l’action des requérants.
II – Démontrer le lien de causalité en présence d’une incertitude matérielle
La principale source d’incertitude est matérielle. Elle tient à répondre à la question : l’événement A est-il bien, scientifiquement, à l’origine de l’événement B ? La réponse à cette question est difficile lorsque la science elle-même n’a pas tranché.
Définition. L’incertitude doit s’entendre d’une incertitude scientifique légitime [41], fondée sur un débat nourri et argumenté dans la communauté scientifique. Les prétentions fondées sur les pseudosciences, sur des théories qu’il n’est pas possible de réfuter ou encore celles fondées sur de simples croyances ne sont, par définition, pas susceptibles d’un débat contradictoire et argumenté au sein de la communauté scientifique. Ces prétentions ne sauraient donc faire l’objet d’un débat judiciaire étayé.
Incertitude et droit de la preuve. L’incertitude scientifique se caractérise par un “état de connaissances scientifiques peu stabilisé, indéterminé, voire une absence de connaissance scientifique” [42]. En d’autres termes, elle renvoie au doute quant à la relation de cause à effet entre deux évènements. L’incertitude matérielle se fait donc jour lorsque la relation entre deux événements factuels, à savoir sur le fait que l’action A cause de manière certaine la réaction B, demeure en question. Cette incertitude recouvre les situations dans lesquelles, sans pouvoir l’exclure, la communauté scientifique ne peut se prononcer avec certitude sur la loi générale de cause à effet entre deux événements. Par exemple, il existe une telle incertitude s’agissant de l’exposition prolongée du bétail aux antennes-relais et la baisse de production de lait [43].
La certitude, critère nécessaire du lien causal, est alors mise à mal. Dans ces cas de figure, les règles probatoires classiques [44] du code civil doivent mener les juridictions à écarter la causalité juridique, faute de démonstration de la part des demandeurs d’un lien certain d’enchaînement entre les événements. La justice considère le doute comme un manquement probatoire de la part du demandeur, le condamnant ainsi à voir ses prétentions écartées. Le seul fait qu’un doute existe, au sein de la communauté scientifique, s’agissant de la relation de cause à effet entre deux événements ne devrait toutefois pas condamner toute reconnaissance de causalité juridique. En effet, le propre de la science est, justement, de raisonner de manière probatoire et l’incertitude au sein de la communauté scientifique est une étape nécessaire de la production de connaissance.
La connaissance scientifique repose sur la probabilité. Exiger une causalité “scientifiquement certaine” apparaît oxymorique tant la science repose, justement, sur l’incertitude. Sans reprendre l’ensemble des origines tant épistémologiques que philosophiques de la pensée scientifique, rappelons-nous uniquement des enseignements de Karl Popper. Selon lui, la règle scientifique se caractérise par sa réfutabilité, à savoir, la possibilité d’être réfutée par une observation probante inverse. Partant, toute règle scientifique comporte une part d’incertitude : elle reste hypothétiquement réfutable mais demeure la plus vraisemblable. Comme le rappelle C.KAHN, “il faut systématiquement garder à l’esprit que les lois causales dites générales et universelles sont en réalité par essence hypothétiques” [45]. Il n’y a donc guère que dans les cas où l’enchaînement causal est complètement écarté, par réfutation, qu’une certitude, alors négative, émerge. L’incertitude quant à l’enchaînement logique entre deux événements n’est donc pas une aberration mais bien le fondement même de la science.
Dès lors, “ne pas tenir la causalité pour acquise comporte le même risque d’erreur quant à l’adéquation entre la causalité juridique et la causalité scientifique que l’admission ou la présomption de causalité” [46]. En effet, dès lors qu’un débat sérieux et étayé existe au sein de la communauté scientifique s’agissant de la relation de cause à effet entre deux événements, et qu’aucune réfutation n’est intervenue pour exclure toute causalité, il existe, a priori, une probabilité égale que la causalité soit établie ou qu’elle ne le soit pas. En tranchant systématiquement en faveur de l’exclusion de la causalité dans un tel cas de figure, les juridictions, qui font ainsi preuve d’une “frilosité juridique” [47], refusent en réalité d’accepter le principe du doute et de l’incertitude qui sont au cœur des réflexions scientifiques. Il est pourtant impératif de faire accepter l’incertitude scientifique par les juridictions pour bénéficier d’un régime probatoire ad hoc.
Accepter l’incertitude scientifique. En retenant l’existence d’une incertitude matérielle, les juridictions acceptent de détacher la causalité scientifique et la causalité juridique [48]. Cette distinction permet alors aux demandeurs de fonder leur argumentation sur des outils juridiques particuliers, tels que les présomptions, qui permettront de dépasser l’incertitude scientifique et le refus initial des juridictions de trancher le litige.
La première étape pour dépasser l’incertitude matérielle est donc de la caractériser. Exposer au juge les incertitudes rencontrées par le monde scientifique est nécessaire pour traduire la réalité. C’est d’ailleurs de la sorte que la cour d’appel de Versailles a expressément motivé un arrêt relatif au distilbène [49]. La cour, dont le raisonnement a été validé par la Cour de cassation [50], retient ainsi que “comme c’est toujours le cas dans les sciences du vivant, la démonstration de la causalité ne peut être incontestable, elle n’en est pas moins hautement probable”. La caractérisation de l’incertitude est d’autant plus nécessaire que les parties adverses ne manqueront pas d’appuyer sur ce doute, à tous les niveaux. Les débats récents s’agissant du cas de Théo Grateloup [51], opposé au fabricant du glyphosate, illustrent ce nécessaire exercice de sincérité. La Présidente d’audience et l’avocate de Théo reconnaissent le manque de certitude scientifique s’agissant de la relation causale entre le glyphosate et les pathologies du jeune homme. Or c’est bien parce qu’il n’existe pas de certitude négative, à savoir, d’exclusion formelle de tout lien de causalité entre l’exposition au glyphosate et les pathologies en cause, que les juridictions sont conduites à se prononcer [52].
C’est précisément dans ces situations que la causalité scientifique et la causalité juridique en viennent à diverger, sans toutefois devenir autonomes l’une de l’autre. Comme l’écrit C.RADE “l’admission de la preuve par présomptions ne postule ni n’induit de jugement ou d’affirmation scientifique et ne saurait pareillement se heurter à l’obstacle préalable de l’absence de certitude scientifique sur l’imputabilité/la causabilité du dommage” (…) il ne s’agit par hypothèse que d’une présomption simple qui peut être renversée par la preuve contraire, tant sur le plan matériel que scientifique, c’est-à-dire que le dommage a une autre cause identifiée (exonération matérielle) ou que la causabilité n’est qu’apparente et que la science réfute avec certitude toute possibilité d’un lien de cause à effet” [53]. En d’autres termes, ce n’est que si une incertitude scientifique existe que la causalité juridique prend le relai de la causalité scientifique. Dans ce cas, “la première ne s’inscrit pas en contradiction avec la seconde, mais consacre une approche distincte, soucieuse de ne pas faire peser l’incertitude scientifique sur les victimes” [54].
Surtout, la caractérisation de l’incertitude scientifique sera nécessaire pour justifier un changement dans les règles classiques de répartition du risque et de la charge de la preuve. Un “effort de traduction juridique du doute scientifique” est nécessaire pour conduire “le juge à se contenter de probabilité raisonnable pour retenir une responsabilité” [55]. En effet, si l’incertitude scientifique est caractérisée, les juridictions ne pourront pas exiger qu’un lien de causalité certain soit rapporté, sauf à demander aux requérants d’apporter une preuve impossible ou une probatio diabolica [56]. Consciente de cette situation intenable tant juridiquement que matériellement pour les demandeurs, la jurisprudence a aménagé la preuve du lien causal. La Cour de cassation a ainsi rappelé, dans le cas du Levothyrox [57], que la caractérisation d’un lien de causalité scientifique ne saurait être une condition nécessaire à l’admission des présomptions. La CJUE a également reconnu que le raisonnement par présomption est, en matière de produits défectueux, le seul à même de rendre effective l’application de la directive en cas d’incertitude scientifique. C’est ainsi qu’elle a jugé que “un régime probatoire qui exclurait tout recours à une méthode indiciaire et prévoirait que (…) la victime est tenue de rapporter la preuve certaine issue de la recherche médicale de l’existence d’un lien de causalité entre le défaut attribué au vaccin et la survenance de la maladie méconnaîtrait les principes de la directive (…)”. En effet, “un tel degré d’exigence probatoire (…) aurait pour effet de rendre (…) excessivement difficile ou (…) impossible la mise en cause de la responsabilité du producteur”.
Caractériser l’incertitude est donc une condition nécessaire pour bénéficier du régime de la probabilité et de la présomption qui dérogent au principe de la certitude du lien de causalité.
Les présomptions : outils probabilistes pour résorber l’absence de certitude scientifique. En recourant au système des présomptions, le juge prend, dans les cas d’incertitudes, le relai du scientifique qui ne parvient pas à définir de manière certaine le lien causal. R.SAVATIER écrivait ainsi que, dans ces situations, les juristes tendent à “substituer à la vérité des procédés de remplacement” [58]. La présomption fait donc, en quelque sorte, la synthèse entre la science et le droit en acceptant de donner une force juridique à des règles scientifiques uniquement probables. La présomption est prévue par le droit positif à l’article 1382 [59] du code civil. Dans son ancienne rédaction [60], le code civil définissait la présomption comme le fait de “tenir pour vrai un élément simplement possible”. Elle se fonde sur le plerumque fit, ce qui arrive le plus souvent. On procède donc, de manière fictive, au passage d’un fait connu à un fait inconnu. C’est-à-dire, à partir d’un fait constaté, on admet la survenance d’un autre fait, même si celui-ci n’est pas démontré avec certitude dans chaque d’espèce.
Le recours aux présomptions est d’ores et déjà admis par les juridictions civiles et administratives. Les exemples d’utilisation de ce mode de preuve se retrouvent particulièrement en matière de santé : vaccin de l’hépatite B [61], défaut des produits médicaux [62], hormone de croissance [63]. Ces utilisations de la présomption se fondent sur un certain nombre de critères, notamment ceux rappelés par le Conseil d’État dans sa décision du 29 septembre 2021 (n°435323) [64]. Ces critères sont très souvent l’absence d’exclusion scientifique du lien de causalité [65], l’absence d’autres éléments explicatifs [66] de la pathologie et, enfin, l’apparition de la pathologie dans un “délai normal pour ce type d’affection” [67]. A partir de ces faits certains, la juridiction tire une relation causale certaine avec la pathologie, sans pour autant qu’une certitude scientifique n’émerge. Le recours aux présomptions permet donc de modifier l’objet de la preuve pour faciliter l’admission de la causalité.
Une première adaptation des présomptions aux expositions environnementales a émergé dans la jurisprudence administrative. Une telle présomption a, surtout, été mobilisée dans le cadre des contentieux relatifs à la pollution de l’air. Les cours administratives d’appel de Paris et de Lyon ont ainsi retenu le lien de causalité entre la carence de l’État dans la lutte contre la pollution de l’air et les préjudices subis par les requérants. La méthode retenue pour les présomptions est proche de celle utilisée en matière de vaccination ; le demandeur doit démontrer “au vu du dernier état des connaissances scientifiques” [68] que le lien de causalité n’est pas exclu, que les pathologies se sont développées dans un temps normal des pics de pollution et, in fine, qu’aucune autre cause n’explique les pathologies.
Ces critères sont toutefois problématiques. S’agissant de l’exposition à des polluants, les entreprises poursuivies en raison des dommages causés par leurs activités ou leurs produits se réfugient souvent derrière des causes alternatives de causalité pour amoindrir les arguments des demandeurs. On en trouve une illustration particulière dans le cas de l’exposition à l’amiante où le tabagisme des personnes exposées a longtemps été un moyen de défense des employeurs pour faire obstacle à leur indemnisation [69]. Or, en matière de santé environnementale, la plupart des pathologies développées sont multifactorielles en ce qu’elles peuvent être causées ou aggravées par de nombreux facteurs environnementaux et génétiques. Le concept de l’exposome décrit bien cet état de fait. Introduit au milieu des années 2000 par le CIRC, la notion de l’exposome désigne “l’ensemble des expositions environnementales au cours de la vie, y compris les facteurs liés au mode de vie, dès la période prénatale” [70]. Cet exposome, par nature aussi individuel que le génome, peut expliquer certaines maladies, voire décès [71]. Dès lors, comment prouver l’effet d’un polluant sur la santé alors même que d’autres produits chimiques pourraient, concurremment, expliquer la survenance de la pathologie ?
En cas d’incertitudes en lien avec une multiplicité de causes éventuelles, la jurisprudence ne demande que la preuve de l’aggravation. Le demandeur n’a plus à démontrer que telle exposition environnementale est responsable de la survenance de sa pathologie : la simple aggravation suffit. En d’autres termes, il importe peu de savoir que la seule exposition à ce produit ou polluant est la cause de la maladie : le simple rôle causal de la molécule dans l’aggravation de la pathologie suffit. La cour administrative d’appel (CAA) de Lyon a tiré toutes les conséquences des constatations selon lesquelles les pathologies en cause sont multifactorielles. Elle a ainsi jugé que l’existence d’autres causes explicatives n’était pas de nature à “atténuer le lien entre l’aggravation des pathologies de l’enfant et son exposition à la pollution atmosphérique”. La Cour de cassation, dans l’affaire du distilbène, a également admis le recours aux présomptions et a précisé qu’il n’est pas “exigé que les pathologies aient été exclusivement causées” par l’exposition au produit [72]. La CEDH ne sollicite pas non plus qu’un lien de causalité scientifique certain soit établi entre l’apparition des pathologies des requérants et la pollution en cause. En effet, la seule aggravation du risque de pathologie est suffisante [73] pour entraîner un devoir de protection de la part de l’État. La seule incertitude scientifique sur les effets précis de la pollution sur la santé de chaque requérant ne dispense pas l’État d’un tel devoir [74]. L’ensemble de ces décisions laisse entrevoir l’avènement d’un réel lien de causalité probabiliste, au sens où c’est bien l’augmentation de la probabilité d’être atteint par une pathologie ou un événement climatique négatif qui entraînera la reconnaissance d’un lien de causalité [75].
La personne responsable devrait donc être tenue d’indemniser l’intégralité des dommages causés dès lors que l’exposition au produit a aggravé les pathologies en cause. À titre d’exemple, en matière de dénigrement, la Cour de cassation a aussi pu retenir que la seule participation de l’entreprise fautive à l’aggravation “des pertes de clientèle et de bénéfices” [76] de sa concurrente est suffisante pour retenir un lien de causalité.
La question du degré de probabilité. À considérer que l’incertitude scientifique légitime soit établie et que la juridiction saisie accepte de recourir aux présomptions pour établir le lien de causalité, encore faut-il déterminer le degré de preuve que les requérants devront atteindre pour emporter la conviction du juge. De manière pratique, la réponse à cette question sera de nature à déterminer le standard juridique qui, une fois atteint, fera passer le faisceau d’indices à une vérité judiciaire.
Une première manière d’aborder cette question est par le biais des mathématiques, des chiffres. Certains auteurs proposent ainsi de chiffrer la probabilité que telle ou telle action ou omission ait créé ou aggravé le dommage. À partir d’un certain seuil de probabilité, le juge devrait faire droit à l’intégralité des demandes en réparation des demandeurs. C’est ce que défend C.KAHN en conclusion de sa thèse. Selon elle, dans les cas d’incertitude scientifique ne permettant de déboucher qu’à une estimation de la probabilité du lien causal entre deux évènements, le juge devrait fonder sa décision sur le pourcentage de probabilité. À partir de la logique de la “balance des probabilités” du droit anglo-saxon, l’auteure propose de retenir le pourcentage de 50% pour déterminer si la causalité peut être retenue complètement ou partiellement. Ainsi, dans les cas où la probabilité générale de causalité est supérieure à 50%, “la causalité matérielle spéciale du dommage de la victime éventuelle devrait être présumée et permettre la réparation intégrale de son dommage”. Inversement, lorsque la règle scientifique générale affiche une probabilité de cause à effet inférieure à 50%, “une réparation proportionnelle à la probabilité de causalité matérielle générale devrait être privilégiée”.
Si cette manière de procéder a pour avantage de définir une méthode objectifiable de résolution des incertitudes scientifiques, elle présente plusieurs inconvénients, à commencer par le calcul d’un tel taux de probabilité. En premier lieu, si la communauté scientifique est confrontée à des débats internes s’agissant de la relation causale entre deux événements, il est difficile d’imaginer qu’elle s’accorde davantage sur le taux de pourcentage de chance qu’une telle relation existe. Les mêmes limites que celles précédemment identifiées, notamment les problématiques d’accès à la donnée, seront rencontrées. En second lieu, comme le note G.STETTLER, le passage à une relation causale mathématisée constituerait un “leurre d’objectivité et de précision des données chiffrées”. En partant de l’étude d’une centaine d’arrêts relatifs à la perte de chance, l’auteur démontre que l’existence d’une “véritable incapacité des juges du fond à fixer objectivement le pourcentage de perte de chance”. Le contentieux se déplace alors sur le terrain du quantifiable au détriment des autres critères d’appréciation non-quantifiables. En somme, remplacer une certitude chiffrée par une probabilité chiffrée ne résout pas les difficultés inhérentes au processus scientifique et à la démonstration de la causalité.
En outre, la fixation d’un seuil de 50% de probabilité est arbitraire et ne saurait s’appliquer à l’ensemble des connaissances. En effet, un réel enjeu tient au seuil et à l’échelle de probabilité à atteindre pour que la causalité soit retenue et la responsabilité des acteurs engagée. En matière climatique, les proportions en cause sont bien moindres que les 50% mobilisés dans la théorie anglo-saxonne de la balance des probabilités. À titre d’exemple, la part des émissions totales de CO2 attribuée à RWE entre 1751 et 2010 est estimée à 0,47% [77]. S’agissant de TotalEnergies, la part des émissions historiques de l’entreprise est évaluée à 0,9% par Carbon Majors [78]. Est-ce à dire que, judiciairement et politiquement, la causalité entre ces émissions historiques et les dégâts causés par le réchauffement climatique devrait être automatiquement écartée ? On voit clairement que le recours aux probabilités chiffrées n’est pas une gageure d’objectivité : les seuls 0,9% de Total dans les émissions globales sur la période de 1854 à 2022 représentent 17,584 millions de tonnes d’équivalent CO2. L’utilisation de probabilité laisse ici de côté plusieurs autres facteurs tels que le rôle systémique joué par certains acteurs économiques et institutionnels dans la lutte contre le dérèglement climatique. De la même manière, la causalité en matière environnementale est morcelée. À titre d’exemple, dans sa décision du 19 février 2025, la CAA de Lyon retient que “le facteur attribuable à la pollution dans la survenue des manifestations respiratoires dont a souffert l’enfant peut être estimé entre 10 et 20 %” [79]. Ces proportions ont emporté la conviction de la juridiction, bien qu’elles soient inférieures à 50%. En matière de santé environnementale, les scientifiques seraient bien en peine de déterminer, pour chaque personne humaine, les proportions de chacun des facteurs constitutifs de son exposome. Là encore, la bataille entourant l’établissement de ces proportions risquerait de masquer les autres enjeux relatifs à l’affaire comme la faute commise par l’État ou, dans le cas d’une pollution chimique, par l’industriel. Au demeurant, l’aggravation même minime, disons 5%, du risque de cancer du fait de l’exposition à des produits toxiques doit-elle être supportée par la victime ? Nous sommes d’avis que, lorsqu’un risque est créé, la personne à l’origine de celui-ci devrait en supporter les conséquences [80]. L’établissement de ces seuils et échelles est avant tout politique et l’apparence d’objectivité d’un seuil de 50% cache les enjeux réels de la plupart des contentieux climatiques et environnementaux.
Dépasser les chiffres. Pour résoudre cette problématique et dépasser la tyrannie des chiffres, il conviendrait d’adopter une “approche qualitative des probabilités” [81]. G.STETTLER propose ainsi de “revenir à la définition des probabilités qualitatives comme une estimation verbale du degré de vraisemblance de la réalisation des événements. En d’autres termes, elle consiste à apprécier, de façon motivée, si un élément de preuve est, par exemple, “probable” ou bien “quasi certain” ou encore “très hypothétique””. Une telle manière de procéder est, d’ailleurs, directement intégrée dans le code civil, reprise par la jurisprudence et analysée par la doctrine.
Ainsi, aux termes de ce code, la conviction du juge ne peut-elle être emportée qu’en présence d’indices “graves, précis et concordants”. La Cour de cassation n’exige toutefois pas que les juridictions motivent chacune de ces conditions [82]. La Haute juridiction a d’ailleurs, dans un premier temps, laissé entendre qu’un seul élément de preuve [83] serait suffisant pour emporter la conviction du juge, bien que le texte de l’article 1382 utilise le pluriel. Cette solution est toutefois relative en ce sens que la Cour de cassation refuse, par exemple, que la décision du juge se fonde uniquement sur le rapport d’expertise établi de manière amiable à la demande d’une seule partie [84]. Certains auteurs estiment, par ailleurs, que c’est bien le critère de la concordance entre les éléments de preuve qui fondent réellement la présomption [85]. En tout état de cause, la Cour de cassation laisse, de manière constante, cette question à l’appréciation des juridictions du fond [86] : elle ne fait que s’assurer que les juridictions ont bien qualifié le lien de causalité, sans exclure, d’emblée, le recours aux présomptions [87].
La jurisprudence en matière d’infections à l’hépatite C ou au VIH permet également un recours qualitatif à la probabilité. En premier lieu, pour considérer qu’une infection est bien d’ordre transfusionnel, la partie demanderesse devra apporter un faisceau d’indices démontrant “un degré suffisamment élevé de vraisemblance” [88]. Inversement, pour faire chuter la présomption ainsi établie, la partie en défense devra démontrer que “la probabilité d’une origine transfusionnelle est manifestement moins élevée que celle d’une origine étrangère aux transfusions” [89]. De la même manière, l’approche qualitative des probabilités est rappelée par le Conseil d’État dans les arrêts relatifs aux préjudices découlant d’une vaccination obligatoire. Loin de rechercher un lien de causalité “établi”, la jurisprudence administrative ne demande que l’établissement d’une “probabilité suffisante” [90] de la causalité.
Au soutien de sa thèse, G.STETTLER propose de retenir un “standard de preuve”, qui se distingue théoriquement des présomptions, sans toutefois que cette distinction ne nous semble refléter de différence pratique. Le standard de preuve est “un seuil à partir duquel la probabilité permet de retenir l’existence d’un fait”. G.STETTLER, face aux difficultés posées par la quantification mathématique des probabilités, propose de fixer un standard de preuve flottant exprimé en termes qualitatif. Le standard est dit flottant lorsqu’il est laissé à l’appréciation du juge dans chaque cas d’espèce, en fonction des facteurs propres à l’affaire et des enjeux du dossier. L’auteur rappelle ainsi que le standard de la “certitude raisonnable”, notamment intégré aux principes Unidroit, est un standard flottant. Un tel seuil de probabilité est, d’ailleurs, retenu dans la jurisprudence interne, sous diverses formulations que l’auteur recense [91]. Aux termes de son analyse, l’auteur propose que le lien de causalité soit retenu dès lors que le juge est “raisonnablement convaincu de son existence”, une telle conviction pouvant être fondée sur “un degré suffisant de probabilité” [92].
L’adoption d’un tel standard de preuve est, d’ailleurs, en phase avec le droit de la responsabilité civile. En effet, la faute civile s’apprécie en fonction d’un standard de preuve, celui de la personne raisonnable. Tout comportement qui s’écarte du comportement attendu par une telle personne doit être considéré comme une faute, à condition que le juge en soit suffisamment convaincu. Une telle pratique, reposant sur une formulation qualitative de la probabilité, est, par ailleurs, alignée avec la méthodologie de plusieurs institutions scientifiques comme le GIEC et le CIRC [93].
Une telle manière d’appréhender les présomptions est, d’ailleurs, mobilisée par la CEDH en matière environnementale.
La causalité environnementale dans la jurisprudence de la CEDH. Si la CEDH rappelle qu’aucun droit autonome à un environnement sain n’est protégé par la Convention, elle protège toutefois le bien-être et la qualité de vie des individus sous le prisme de l’article 8 de la Convention relatif à la protection de la vie privée et familiale [94]. Une pollution grave, même causée par une personne privée, peut constituer une atteinte à cette protection de la vie privée voire, depuis un récent arrêt [95], au droit à la vie consacré par l’article 2 de la Convention.
Dans le cadre des contentieux relatifs aux pollutions, la CEDH a adopté plusieurs appréciations de la causalité. Si la CEDH a, dans un premier temps, rappelé qu’elle appliquait le standard de la preuve “au-delà de tout doute raisonnable” [96], qui en droit pénal anglo-saxon est un seuil de preuve élevé, elle a rapidement adopté une approche plus pragmatique fondée sur une “évaluation globale de l’affaire” [97].
Une telle adaptation de l’appréciation de la causalité est inhérente aux limites probatoires rencontrées par les requérants en matière environnementale. En effet, la CEDH rappelle qu’il est “souvent impossible de quantifier les effets d’une pollution industrielle importante dans chaque situation individuelle et de distinguer l’influence d’autres facteurs, tels que, par exemple, l’âge et la profession. Il en va de même s’agissant de la dégradation de la qualité de vie résultant de la pollution industrielle” [98]. Elle reconnaît également qu’une telle difficulté découle du fait que “les pathologies modernes se caractérisent par la pluralité de leurs causes”.
Partant, la CEDH admet ouvertement le recours à un certain nombre de présomptions dans l’établissement de la causalité entre la pollution et la dépréciation de la qualité de vie des requérants, voire avec leurs problèmes de santé. Dans un arrêt Tatar c/Roumanie, la Cour fait explicitement référence à une conception probabiliste de la causalité, reposant sur des “éléments statistiques suffisants et convaincants” [99]. En règle générale, la Cour ne fait toutefois pas de ces éléments de preuve des conditions nécessaires à l’établissement de la causalité. C’est ainsi qu’elle admet également le recours à des “éléments de preuve indirecte et [des] présomptions [qui] concordent étroitement” [100] ou encore à “un faisceau d’indices, ou de présomptions non réfutées, suffisamment graves, précis et concordants” [101]. L’évaluation globale de l’affaire par la Cour lui permet de retenir plusieurs éléments de preuve, à commencer par la durée de l’exposition [102], la localisation de la pollution en comparaison avec celle du domicile des requérants [103], les rapports scientifiques de portée générale concernant les effets sanitaires de la pollution [104], la reconnaissance par les autorités de la pollution [105], le dépassement des normes environnementales [106] pour en induire la causalité entre les préjudices des requérants et la pollution.
La caractérisation de la causalité, tant spéciale que générale, est donc facilitée par la Cour. Il conviendra de noter que la Cour ne se réfère pas à un seuil de probabilité établi sous forme de pourcentage. Dans la majorité des affaires, l’applicabilité de l’article 8 ou la reconnaissance de la qualité de victime au sens de la Convention repose sur une appréciation probabiliste, généralement formulée en termes qualitatifs [107], ou sur un rappel des critères dégagés par la Cour dans sa jurisprudence antérieure.
La causalité climatique et la préservation des droits humains. Si plusieurs enchaînements causaux sont d’ores et déjà jugés comme certains par les experts scientifiques et reconnus par les juridictions, la caractérisation d’un lien de causalité spéciale entre l’action ou l’inaction d’un acteur dans l’émission de GES et un préjudice identifié n’est pas chose aisée.
La CEDH contourne toutefois ce lien de causalité en rejetant expressément la réflexion à partir de la condition sine qua non, que l’on pourrait rattacher à la théorie de l’équivalence des conditions et au raisonnement contrefactuel. La Cour précise “qu’il n’y a pas lieu d’établir avec certitude que les choses auraient tourné autrement si les autorités avaient adopté une conduite différente. L’analyse pertinente n’exige pas qu’il soit démontré qu’en l’absence d’un manquement ou d’une omission des autorités, le dommage ne se serait pas produit”. Pour la Cour de Strasbourg, la causalité entre un risque donné pour une personne protégée par la Convention et le changement climatique doit s’analyser sous le prisme des obligations positives des États en matière de lutte contre ce phénomène. Elle rappelle alors que “l’essence des obligations pertinentes de l’État en matière de changement climatique est liée à la réduction des risques de dommage pour les individus. À l’inverse, un défaut d’exécution de ces obligations entraîne une aggravation des risques en cause”. Partant, la causalité ne saurait être établie qu’en référence à cette obligation : “ce qui est important et suffisant pour engager la responsabilité de l’État, c’est plutôt le constat que des mesures raisonnables que les autorités internes se sont abstenues de prendre auraient eu une chance réelle de changer le cours des événements ou d’atténuer le préjudice causé”. In fine, en s’abstenant de prendre des mesures de réduction des émissions de GES, la Suisse a bien causé les dommages en cause : son action aurait permis d’atténuer le préjudice.
Cette manière de procéder est, sans doute, à mettre en lien avec la théorie du risque [108]. En effet, dans le cas où une activité est dangereuse ou que la personne a une obligation de prévenir un certain type de risque, et que le préjudice constaté est en lien avec le risque de l’activité ou le risque soumis à une obligation de prévention, alors, la causalité doit également être retenue. Une telle obligation de limitation des risques causés par le réchauffement climatique est d’ailleurs explicitement reconnue par la cour d’appel de La Haye dans sa décision du 11 décembre 2024 [109]. A titre subsidiaire, la cour de Hamm juge également que RWE doit être tenue responsable du risque créé par son activité si un tel risque se matérialise [110]. En adaptant le raisonnement de la Cour de Strasbourg, il pourrait être jugé qu’à partir du moment où l’acteur en cause a une obligation de prévenir les risques de réchauffement climatique, que les dommages en lien avec ces risques se concrétisent et qu’aucune action effective pour les éviter n’a été prise, la causalité doit être présumée. En agissant ainsi, la CEDH rééquilibre non pas la charge mais le risque de la preuve.
Rééquilibrer le risque de la preuve. Comme démontré, le recours à des outils probabilistes permet de prendre en compte les débats inhérents à la construction de la connaissance scientifique et de dépasser la limite liée à la certitude du lien causal. Ces outils sont, surtout, un moyen adéquat de rétablir l’équilibre procédural entre les parties. D’une part, ils permettent aux demandeurs de porter la charge de la preuve, de manière adaptée aux contentieux en cause. D’autre part, ils font reposer le risque de la preuve, à savoir, le poids de l’incertitude, sur les épaules des défendeurs. Le risque de la preuve “consiste à désigner celui qui doit succomber au procès” (…) lorsque la lumière ne sera pas faite” [111] sur l’ensemble des faits. En d’autres termes, une fois que l’ensemble des éléments de preuve sont produits devant le juge mais que la causalité ne peut être retenue pour établie de manière certaine, le risque de la preuve devrait alors reposer sur les défendeurs. Cette conclusion est motivée par plusieurs principes du droit, à commencer par la garantie d’un procès équitable.
Dans les contentieux climatiques et ceux liés aux pollutions, la plupart des éléments de preuve, notamment les données scientifiques relatives aux émissions de GES et à l’innocuité des produits en cause, sont détenues voire financées par les défendeurs. Ces derniers, qu’ils soient des personnes publiques ou des entreprises privées, disposent souvent des capacités scientifiques, techniques et financières de procéder à des expertises ou des études poussées, ce qui n’est pas le cas des demandeurs. Dans ces situations, les demandeurs, souvent victimes des activités ou de la passivité des défendeurs, se retrouvent en situation de net désavantage probatoire. Il est permis de se demander si, dans un tel cas de figure, faire reposer le risque de la preuve sur les demandeurs ne serait pas une atteinte à l’égalité des armes, principe consacré à l’article 6 de la Convention EDH. Certains auteurs [112] proposent ainsi de rétablir l’équilibre entre les parties en faisant supporter le risque, et non pas la charge, de la preuve sur les épaules de la partie placée en position de force probatoire. Le doute profitera alors à la partie faible sur le terrain de la preuve. Une telle manière de procéder est d’autant plus justifiée en matière sanitaire et environnementale que les principaux éléments de défense des entreprises et des États consistent à pointer l’absence de certitude scientifique. Cette technique, notamment utilisée par l’industrie du tabac [113] ou encore des boissons sucrées ou des perturbateurs endocriniens [114], est souvent connue sous le nom de “théorie du doute” et consiste à propager de fausses informations pour contester les effets des produits en cause. En faisant reposer le risque de la preuve sur les épaules des parties les plus à mêmes d’apporter des éléments probatoires, le juge pourra ainsi éviter ces écueils.
Faire peser le risque de l’incertitude sur les défendeurs est aussi une application concrète des principes de précaution et de vigilance. À titre de rappel, le principe de précaution possède une valeur constitutionnelle. Il prévoit justement que, lorsque la réalisation d’un dommage à l’environnement est incertaine au regard des connaissances scientifiques, des mesures doivent être prises pour limiter une telle réalisation. Si ce principe est souvent mobilisé au moment de l’appréciation de la faute [115], il n’est pas inconcevable qu’il trouve également une application dans l’appréciation du lien causal. En cas d’incertitude, il semble logique que la personne sur laquelle pèse l’obligation de précaution doit également supporter le risque de l’incertitude causale. Inversement, on se retrouverait dans une sorte de “quadrature du cercle : comment établir un lien de causalité à partir de quelque chose qui est, par hypothèse, incertain” [116] ? Les principaux détracteurs du principe de précaution auront rapidement le réflexe de brandir l’arrêt de la Cour de cassation en date du 18 mai 2011, par lequel la Haute juridiction a rappelé que la Charte de l’Environnement ne dispensait pas le demandeur de démontrer l’existence d’une relation causale entre la faute et le dommage [117]. Or ce même arrêt souligne que le recours aux présomptions, même sans preuve scientifique, est admis. Cet arrêt ne concerne d’ailleurs que la mobilisation du principe de précaution au stade de la charge de la preuve. La porte demeure donc ouverte pour que le risque de la preuve, lui, repose sur le défendeur. En effet, une fois l’existence d’indices rendant vraisemblable [118] le risque de dommages graves, la partie adverse devrait supporter le risque de l’incertitude. Dans l’arrêt rappelé ci-avant, la cour d’appel s’était livrée à une analyse précise des faits et a retenu que les indices apportés n’étaient pas suffisants pour constituer une présomption. La Cour de cassation laisse donc ouverte la possibilité d’interpréter l’incertitude de la relation causale à l’aune du principe de précaution au stade du risque de la preuve, sans que le seul principe de précaution ne puisse fonder l’intégralité des indices nécessaires à l’établissement d’une présomption. Au niveau européen, la CEDH a récemment fait directement référence au principe de précaution [119] pour redéfinir le lien de causalité. La Cour de Strasbourg prend ainsi acte que l’incertitude scientifique entre les dommages personnels causés à une personne et l’exposition à des produits chimiques, d’une part, ne permet pas à un État de se dédouaner de sa responsabilité dans la gestion des risques sanitaires [120] et, d’autre part, n’empêche pas que cette personne soit considérée comme victime. En effet, la CEDH admet qu’une personne exposée à un risque sanitaire grave connu des autorités n’a pas à apporter la preuve de la causalité entre ses pathologies et les rejets chimiques [121]. La seule preuve de la résidence de la victime dans les communes concernées par le risque d’augmentation de telles pathologies suffit à établir le lien de causalité spécial.
S’agissant de l’obligation de vigilance, elle trouve à s’appliquer de manière générale. Le principe de vigilance environnementale a ainsi été reconnu expressément par le Conseil Constitutionnel [122]. L’article 1240 du code civil implique également de comparer la situation d’espèce au standard juridique de la personne raisonnable, qui se doit d’être vigilante [123]. C’est dans la prévention de risques potentiels que l’obligation de vigilance est appliquée. Imposer au demandeur d’apporter la preuve irréfutable, et non uniquement vraisemblable ou probable, d’un lien de causalité est donc, par principe, une preuve impossible. La jurisprudence, dans un attendu visant le principe de responsabilité générale de l’article 1382 du code civil, a admis cette situation et fait reposer le risque de l’incertitude sur les débiteurs de l’obligation de vigilance, en l’espèce, des laboratoires pharmaceutiques. La Cour de cassation rappelle ainsi que “la présence de résultats discordants quant aux avantages et inconvénients” [124] des produits en cause n’exonère pas la compagnie pharmaceutique de sa responsabilité. Les débiteurs de l’obligation de vigilance, face à la démonstration d’une causalité probable, devront supporter le risque de la preuve.
Enfin, la plupart des activités en cause dans les contentieux climatiques et de pollutions environnementales sont des activités dangereuses. La nature de ces activités devrait également être prise en considération par le juge au moment de répartir le risque de la preuve. En effet, dans le cas d’une activité dangereuse pour la société, la personne bénéficiant des avantages de l’activité doit répondre des risques qu’elle génère. Ce raisonnement n’est pas novateur [125] mais trouve une application renouvelée en matière environnementale [126]. Si cette création du risque a pu être analysée sous l’angle d’un fondement autonome de responsabilité [127], ou être invoquée dans le cadre de la caractérisation d’une faute [128] ou d’un trouble anormal de voisinage [129], elle joue également un rôle au stade de l’établissement de la causalité. En effet, la doctrine a recensé un certain nombre d’arrêts présumant que le préjudice constaté “est la réalisation normale et prévisible du risque créé par la faute” [130]. En matière environnementale et climatique, une telle manière de procéder est tout à fait à propos. En effet, la plupart des réglementations en matière environnementale, climatique ou sanitaire ont pour objectif de prévenir les risques [131]. Une faute commise par une entreprise, ou par l’État, dans sa politique de prévention et l’établissement d’un préjudice résultant du risque qu’une telle politique tentait de prévenir devrait ainsi être présumée en relation causale. Une telle manière de procéder a, par exemple, été retenue par la Cour de cassation s’agissant du dépassement des seuils de la législation relative aux installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE) et le préjudice moral d’une association environnementale [132]. Le tribunal maritime de Marseille, dans un dossier relatif à la préservation des herbiers de posidonie, a également mobilisé cette présomption. La juridiction a, en effet, retenu un lien de causalité entre le mouillage d’un bateau dans une zone protégée par arrêté préfectoral et la détérioration des herbiers, au motif pris qu’un tel arrêté avait justement pour objectif de préserver cette plante [133]. Partant, dès lors que l’activité en cause est génératrice de risques et que les préjudices constatés sont en lien avec les risques encourus, l’incertitude devrait peser sur la personne ayant commis une faute dans sa politique de prévention.
De manière synthétique, la question de l’incertitude doit être fractionnée en plusieurs étapes. En premier lieu, le demandeur doit démontrer l’existence d’une incertitude scientifique légitime et que le recours aux présomptions est donc permis. En deuxième lieu, il devra, à partir de l’ensemble des éléments de preuve disponibles, démontrer que l’événement en cause a contribué, à un degré suffisant de probabilité, à l’aggravation du dommage. Enfin, en cas de persistance d’une incertitude, le risque de la preuve devra peser sur le défendeur soumis à une obligation générale de vigilance, de précaution ou d’atténuation des risques. Au-delà de cette démonstration matérielle de la causalité, l’incertitude se fait également jour au stade du degré de responsabilité des acteurs identifiés lorsqu’il existe une pluralité de causes explicatives du dommage.
III – Retenir la responsabilité des acteurs identifiés en cas de multiplicité de causes scientifiques
Une fois que l’incertitude matérielle entre deux événements est levée à l’aide des outils probabilistes, un autre type d’incertitude peut poindre s’agissant de la part de chaque élément causal dans la réalisation effective du dommage, ce qui pose davantage la question de la part de responsabilité de chaque événement dans la réalisation du dommage. Une autre source d’incertitude peut, dans le même temps, concerner l’imputabilité du fait générateur de responsabilité à une personne déterminée. La question n’est plus ici de se demander si telle action ou omission a contribué à causer le dommage mais, plutôt, dans le cas où plusieurs événements sont scientifiquement en lien avec le dommage, de savoir laquelle de ces causes doit être retenue et, le cas échéant, dans quelle proportion. Plusieurs principes du droit civil semblent pouvoir être actionnés pour répondre à ces questions.
Le droit positif. En matière de responsabilité délictuelle, dès lors que la causalité est établie, la participation même minime au dommage oblige le responsable à la réparation de l’ensemble des préjudices de la victime. Il s’agit de la stricte application de l’obligation solidaire (ou in solidum) à la dette et du principe de réparation intégrale. La proportion de chacun des faits générateurs n’est normalement prise en compte qu’au moment de la répartition de la charge de la dette entre les codébiteurs. Une telle règle de droit est, à première vue, une faveur envers les victimes du réchauffement climatique ou encore de pollution environnementale. Si l’événement générateur de responsabilité est bien en lien avec le préjudice subi et ce, même de manière infinitésimale, l’application stricte du droit voudrait que l’acteur en cause soit tenu à l’intégralité de la réparation. Le droit français adopte, in fine, une binarité entre le tout ou rien.
Une telle manière de procéder est, assurément, à l’origine des multiples débats s’agissant du choix de la théorie [134] à adopter pour apprécier la causalité, voire de la réticence de certaines juridictions à retenir un lien de causalité lorsqu’une incertitude scientifique plane. C’est, sans doute, la question de la responsabilité climatique qui interroge le plus cette pratique du “tout ou rien”. En effet, comme il a été rappelé, le taux individuel de contribution des acteurs économiques aux émissions historiques de GES n’est pas élevé. Il est donc logique que les juridictions puissent être réticentes à l’idée de condamner le responsable d’un pourcentage restreint à réparer l’intégralité des dommages climatiques. Un auteur note à ce sujet que “le poids économique considérable que les dettes de responsabilité liées à la réparation de ces dommages représenteraient et les difficultés entourant la mise en œuvre des recours en contribution empêcheraient économiquement la mobilisation de la responsabilité civile au service de l’adaptation au changement climatique” [135]. Au-delà de l’aspect économique, il s’agit aussi d’un enjeu stratégique pour les contentieux portés par les associations de protection de l’environnement et du climat. La juridiction doit être convaincue du bien-fondé des demandes et la décision rendue doit être acceptable socialement. Derrière cette question se cache donc également un enjeu de politique contentieuse pour les parties.
Plusieurs outils juridiques permettent de contourner cette problématique de l’obligation à l’intégralité de la dette.
Responsabilité proportionnelle. Le mécanisme de la responsabilité proportionnelle peut être de nature à rendre plus acceptable et réaliste la décision du juge. La responsabilité proportionnelle permet d’intégrer la répartition des responsabilités non pas au stade de la contribution à la dette [136], mais directement au stade de l’obligation à la dette. Selon ce mécanisme, chaque personne n’est tenue, envers la victime, qu’à hauteur de sa participation causale. La juridiction procède à une “évaluation probabiliste jouée par chaque cause” [137]. Cette manière de procéder a pour principal avantage d’évacuer la question de la “cause adéquate” ou encore du “facteur le plus explicatif” et de permettre une réparation, même minime, dès lors que l’événement a joué un rôle dans la réalisation du dommage.
La Cour de cassation a historiquement retenu une telle responsabilité partielle dans ses arrêts Lamoricière [138] et Houillères du Nord [139]. Certaines décisions récentes, tant de la Cour de cassation que des juridictions du fond [140], laissent à penser que, malgré l’abandon de cette jurisprudence dans les années 1960, la responsabilité partielle est toujours appliquée. C’est ainsi que, dans le cas du DES, la Cour de cassation a validé le raisonnement d’une cour d’appel ayant retenu la responsabilité d’un laboratoire à hauteur de 60% [141] dans l’impossibilité pour la victime de procréer, sans pour autant retenir de cause d’exonération de responsabilité. Dans une affaire similaire, la cour d’appel de Versailles a également retenu une responsabilité pour moitié [142], sans là non plus retenir une cause d’exonération. Le contentieux relatif à l’indemnisation du préjudice corporel consécutivement à un accident de la circulation ou au titre de la solidarité nationale par l’ONIAM ouvre aussi la voie à une appréciation partielle de la causalité. Les victimes d’accidents voient ainsi leur droit à indemnisation réduit du fait d’une prise en compte stricte de la part causale de l’accident médical ou de l’infection nosocomiale par rapport à l’état antérieur de la victime [143]. Une chronique en date du mois de mai 2025, souligne quant à elle que, si la solution de la Cour de cassation s’agissant de l’absence d’effet de l’état antérieur de la victime sur son droit à indemnisation est répétée inlassablement, “le fait que la question de la prise en compte de l’état antérieur de la victime soit, chaque année, de nouveau soumise à la Cour de cassation révèle une véritable difficulté sur ce point en pratique devant les juges du fond” [144]. L’ensemble de ces solutions jurisprudentielles pourrait être mobilisé dans le cadre du contentieux climatique.
A l’instar de l’affaire RWE [145], les demanderesses françaises pourraient solliciter une obligation à réparation partielle et proportionnée à l’intensité causale entre la proportion d’émissions historiques de GES et le dommage en cause. Certains auteurs, à l’instar de P.MAIMONE, proposent d’ailleurs des formules mathématiques précises pour résoudre cette équation [146]. Ces mêmes calculs pourraient être mobilisés pour calculer ce que la doctrine qualifie de “fausse perte de chance”.
Fausse perte de chance. Qualifiée de “curiosité française” [147], la perte de chance est une construction jurisprudentielle qui désigne “la disparition actuelle et certaine d’une éventualité favorable” [148]. La perte de chance et l’incertitude sont consubstantielles. En premier lieu, c’est l’existence d’un aléa sur la réalisation de l’éventualité favorable [149], empêchant la réparation intégrale du dommage du fait de l’absence de caractère certain, qui a conduit les juridictions à créer ce préjudice de substitution. L’incertitude ne repose alors pas sur le lien de causalité entre le fait générateur et le préjudice, mais bien sur la réalisation du préjudice lui-même.
La perte de chance a très rapidement été utilisée à d’autres fins que la seule indemnisation de la perte de chance de réalisation d’un événement futur. La doctrine qualifie le déplacement du préjudice de perte de chance à la causalité fondée sur la perte de chance de “fausse perte de chance”. La perte de chance, toujours exprimée sous forme de probabilité, ne vient pas réparer le préjudice mais intègre une nouvelle forme de responsabilité proportionnelle. Dans une récente affaire, la conseillère en charge du rapport devant la Cour de cassation a rappelé que le préjudice de perte de chance est un “préjudice raccourci à la mesure du lien de causalité probable qui unit le fait générateur au préjudice” [150] intégral. Autrement dit, la perte de chance permet aux juridictions d’accorder “une indemnité correspondant à la réparation partielle de leur dommage final alors que le lien de causalité entre le fait générateur et ce dommage reste affecté d’incertitude” [151]. Dans cette optique, le préjudice de perte de chance n’est alors qu’une fraction du dommage intégral mais il est “appréhendé au prisme d’une causalité altérée”. La causalité est alors “reconnue de façon proportionnelle au risque de dommage créé par le fait générateur de responsabilité” [152]. Admettons que l’exposition à un produit toxique concourt à la réalisation du dommage à hauteur de 30% et que les 70% autres sont dus à d’autres facteurs environnementaux. Dans le cas de la fausse perte de chance, ce pourcentage serait intégré au stade de la responsabilité pour ne retenir une obligation à réparation que de 30%. La répartition de la responsabilité ne se fait plus au niveau de la contribution entre codébiteurs mais est directement intégrée au stade de l’obligation à la dette, via la perte de chance.
Avantages et inconvénients. Le principal apport de la perte de chance et de la responsabilité proportionnelle est de transcrire la réalité le plus fidèlement possible, sans tomber dans les travers du “tout ou rien”. Il est permis de penser que, dans le cas où il pourrait moduler la proportion de l’obligation à la dette de réparation, le juge serait amené à infléchir son appréciation du lien de causalité. L’affaire RWE, précédemment évoquée, pourrait à ce titre en être une illustration.
Toutefois, le recours à la responsabilité partielle et à la perte de chance interroge à plusieurs égards. En premier lieu, le recours à ces mécanismes permet aux défendeurs et aux juridictions d’intégrer des faits extérieurs et ne présentant pas les caractéristiques de la faute de la victime ou d’un événement de force majeure susceptible de dégager, au moins partiellement, l’auteur de sa responsabilité. Aussi la doctrine a-t-elle pu s’inquiéter de voir les prédispositions de la victime ou des facteurs extérieurs à la cause être intégrés pour diminuer la responsabilité des auteurs [153]. Un fait, même non fautif, de la victime pourrait ainsi venir diminuer son droit à réparation. Dans le cas des expositions environnementales, on pourrait ainsi concevoir que la vie privée de la personne soit analysée dans ses moindres détails pour trouver d’autres sources éventuelles d’exposition (produits ménagers utilisés, tabagisme et régime alimentaire, lieu de vie et de travail). Dans le cas des contentieux climatiques, l’application de la responsabilité proportionnelle pourrait également ouvrir la porte à l’établissement d’un bilan des émissions de GES de chaque demandeur pour évaluer leur propre responsabilité dans la commission du dommage. En bout de course, on peut donc s’attendre à ce qu’un effet boomerang vienne percuter le rôle procédural de la victime, qui sera alors tenue de se justifier. Or une telle situation serait en contradiction avec la jurisprudence de la Cour de cassation selon laquelle la victime n’a pas à limiter son dommage [154] ou celle, bien établie, que les prédispositions de la victime n’ont pas à être prises en compte dans l’appréciation du dommage [155]. Le régime de la responsabilité partielle devrait donc être précisé pour permettre d’écarter le fait de la victime non fautive. En deuxième lieu, la responsabilité partielle viendra, indiscutablement, amoindrir le droit à réparation de la victime. P.MAIMONE [156] indique à juste titre que la responsabilité partielle peut conduire à remonter la chaîne de la causalité et à multiplier des proportionnalités entre elles, rendant de moins en moins importante l’indemnisation finalement allouée aux victimes. Enfin, les deux mécanismes reposent également sur l’idée que l’ensemble des données nécessaires au calcul des probabilités existent et sont accessibles aux parties. Or, comme il a été démontré supra, l’accès à des données fiables est une des principales difficultés des contentieux climatiques et environnementaux. De la même manière, placer la focale sur les éléments chiffrables se fait au détriment des autres éléments disponibles.
Le retour de la causalité adéquate en matière climatique ? La décision RWE se fonde quant à elle sur la théorie de la causalité adéquate pour retenir un lien causal. La juridiction allemande a reconnu le lien de causalité entre les émissions de GES de la société RWE et les dommages climatiques touchant la province de Huaraz, en estimant que la contribution de RWE à la concentration de GES depuis 1965 peut être évaluée à 0,38%. Si l’intensité du lien causal ne permet pas d’ordonner des réparations, le principe de responsabilité est quant à lui reconnu. La cour de Hamm reconnaît ainsi un lien de causalité à partir de la double constatation que la société allemande a contribué de manière significative aux émissions globales de GES et qu’elle avait connaissance des risques encourus par l’accumulation de ces substances dans l’atmosphère [157]. Sur le premier point, la cour adopte une approche comparative dans l’appréciation du niveau d’émissions de RWE. Elle rappelle notamment que ce n’est pas le seul pourcentage de participation à la réalisation du dommage qui doit être pris en compte, encore faut-il le mettre en perspective avec les autres causes éventuelles. S’appuyant sur le rapport Carbon Majors, la cour reconnaît ainsi que RWE est responsable de 0,38% des émissions industrielles depuis 1965, ce qui la place au rang de 23ème plus grand pollueur. Dès lors, la participation de RWE dans l’augmentation des risques de dommages à la propriété de Saul Luciano Lliuya ne peut être regardée comme insignifiante et doit être retenue.
Imputation. Enfin, la question de l’imputabilité du dommage à un acteur déterminé peut également être source d’incertitude. Que le nombre de responsables potentiels soit restreint ou infini, le rattachement du fait dommageable à une personne déterminée continue d’être un obstacle dans les contentieux de la responsabilité climatique et environnementale. Dans le cas où un cocktail de molécules serait en cause, ou dans celui où deux usines produisent le même produit toxique, sans qu’il puisse être déterminé avec précision quelle substance est à l’origine du dommage, il est possible de passer outre cette incertitude. La jurisprudence a alors recours à un renversement de la charge de la preuve ou aux présomptions. En matière médicale, il est possible que la source du dommage provienne de différents endroits. Ainsi, en matière d’infections nosocomiales, il appartient à chaque établissement dans lequel a séjourné le patient de démontrer qu’il n’est pas à l’origine du dommage [158]. Dans la même veine, la Cour de cassation a jugé, dans le cas du Distilbène, que s’il est impossible à la victime de savoir précisément lequel des médicaments elle a ingéré, il appartient “alors à chacun des laboratoires de prouver que son produit [n’est] pas à l’origine du dommage” [159]. En matière environnementale, les présomptions peuvent également être retenues. Ainsi, la seule proximité géographique entre une usine polluante et le siège de la pollution est suffisante, pour la CJUE, à rattacher le dommage à l’usine [160].
L’imputation des dommages climatiques est toutefois rendue plus complexe du fait de la multiplicité des sources et acteurs susceptibles d’en être à l’origine.
Imputation en matière climatique. Si la CEDH et les juridictions nationales ont posé plusieurs jalons s’agissant de la causalité matérielle entre l’émission de GES et les dommages climatiques, la question de l’imputabilité du dommage à une émission précise d’un acteur donné reste entière. Une telle multiplicité a notamment été avancée par la Suisse devant la CEDH [161] pour tenter de se dédouaner de sa responsabilité. La causalité climatique est, en effet, multifactorielle, diffuse et à effet différé. Comme le rappelle A.STEVIGNON [162], “une tonne de gaz à effet de serre émise en France a les mêmes effets sur la planète que l’émission d’une même quantité” dans un autre endroit du globe. Partant, le nombre de causes et de responsables des événements climatiques extrêmes est, potentiellement, illimité. Chacun est alors tenté de relativiser sa propre participation, voire d’insister sur les causes non-anthropiques du réchauffement climatique pour semer le doute sur l’imputabilité du dommage. Si la CEDH reconnaît que “les effets néfastes et les risques pour des individus ou groupes d’individus particuliers vivant en un lieu donné résultent de l’ensemble des émissions mondiales de GES”, elle rejette toutefois expressément cet argument de la “goutte d’eau dans l’océan”.
Rappelons que, pour apprécier le lien de causalité, la Cour se fonde sur l’existence d’une obligation, pour les États, de prendre des actions afin de limiter le réchauffement climatique et ses conséquences. La question de la causalité est tranchée à partir de cette obligation. L’argument de la “goutte d’eau dans l’océan” n’a, alors, aucune influence sur l’établissement d’une causalité entre la carence de l’État et les risques causés aux requérants. La seule question retenue par la Cour est de savoir s’il existe une obligation de prendre des mesures de nature à limiter les risques posés par le réchauffement climatique et d’évaluer si de telles mesures ont été prises. En cas de carence de l’État, la causalité est alors présumée sans que le comportement des autres acteurs, notamment privés, n’ait d’incidence sur cette appréciation.
En conclusion, le problème gordien des futurs litiges climatiques et de santé environnementale se nouera autour des questions causales. Dans le cas d’une incertitude scientifique légitime, la juridiction saisie ne pourra pas se retrancher derrière elle pour éviter d’apporter une réponse ferme à la question posée [163]. Les outils probabilistes que sont les présomptions du fait de l’homme devront nécessairement être mobilisés pour contourner le doute scientifique. Une telle présomption, appliquée au domaine du climat et de la santé environnementale ne saurait toutefois reposer sur les mêmes conditions que celles utilisées en matière de vaccination. Les expositions sur le temps long et le caractère protéiforme des maladies en lien avec certains composés chimiques ou celui des conséquences du réchauffement climatique ne peuvent être appréhendés à travers la condition de l’apparition concomitante des symptômes à l’administration du produit. La présomption devra donc se fonder, en l’absence de consensus scientifique et de chiffres certains, sur une approche qualitative de la probabilité, à l’image de ce que réalise la CEDH par le biais de son appréciation globale de la situation de fait. Il sera donc nécessaire d’établir un standard de preuve, pouvant être “un degré de probabilité raisonnable”. L’objet de la preuve ne devra plus être le lien de causalité certain, du fait de l’incertitude même d’un tel lien dans la communauté scientifique, mais bien la capacité de l’événement dénoncé d’aggraver le préjudice subi par la victime. La charge de la preuve reposera sur la partie demanderesse qui, une fois la démonstration de l’état d’incertitude scientifique légitime réalisée, devra convaincre le juge en apportant des éléments susceptibles de dépasser ce standard de preuve. Le doute pouvant subsister dans l’esprit du juge malgré cette démonstration devra, quant à lui, être supporté par le défendeur, acteur économique ou État à l’origine de la faute ou de la carence dénoncée. Il s’agit, ici, de rétablir le risque de la preuve qui doit être corrélé aux risques pris par les défendeurs dans leur activité ou leur carence dans la protection des droits fondamentaux et l’aptitude à la preuve du demandeur qui a rarement accès aux éléments de preuve. Ce nouveau système de preuve pourrait avoir le mérite de sortir les justiciables et les juridictions de l’impasse du doute, régulièrement attisé par les défendeurs.
L’identification de la part de responsabilité de ces derniers est également entachée d’incertitude lorsque les préjudices dénoncés sont susceptibles d’être causés par différents faits. Le verrou de la responsabilité pleine et entière dans la réparation de l’intégralité du préjudice subi par la victime constitue, à n’en pas douter, un frein à la reconnaissance des liens causaux, avant tout en matière climatique. Le recours à la responsabilité proportionnelle ou à la “fausse” perte de chance pourraient permettre de lever cette barrière, en admettant que chaque responsable puisse n’être tenu, à l’égard de la victime, qu’à hauteur de sa participation causale dans la réalisation du dommage. Une telle manière de procéder, bien qu’elle soit souvent sanctionnée par la Cour de cassation, n’est pas absente de notre système juridique. Sa consécration pourrait, en partie, réconcilier plus étroitement les causalités scientifique et juridique, la première dictant alors le degré de responsabilité pouvant être retenue. Cette situation n’est toutefois pas entièrement souhaitable. D’une part, un tel amoindrissement du principe de la réparation intégrale pourrait s’avérer difficile à entendre pour les victimes de catastrophes naturelles ou de pollutions présentant, dans leur chair, les effets de tels événements. D’autre part, ces mécanismes présentent l’inconvénient d’intégrer, au stade de l’obligation à la dette, des événements ne revêtant pas la qualification de force majeure ou de faute de la victime, seuls à même de venir réduire le droit à indemnisation. Une réflexion sera donc nécessaire sur le point de savoir si des éléments relatifs à la victime peuvent être pris en compte dans le calcul du lien de causalité et s’il est socialement concevable de ne réparer que partiellement les dommages corporels causés par les catastrophes climatiques et les pollutions chimiques. Enfin, le renouveau de la théorie de la causalité adéquate, tel qu’impulsé par la décision RWE, constitue une nouvelle piste de réflexion. Si une telle théorie s’accoutume mal de l’incertitude matérielle, elle pourrait se révéler porteuse d’espoir lorsque plusieurs faits causaux, certains scientifiquement, sont applicables au cas d’espèce. Il est toutefois à craindre qu’elle ne permette pas de convaincre une juridiction de prononcer la condamnation, à réparation intégrale, d’un acteur présentant un pourcentage de participation au dommage faible.
Enfin, si l’objet, la charge et le risque de la preuve du lien de causalité ont ici été débattus, son mode d’administration risque également de complexifier le parcours judiciaire des demandeurs. La forme que doit prendre la preuve est, en effet, une question essentielle pour que les demandes puissent prospérer. Les parties doivent-elles procéder à des mesures d’expertise amiable ? Une étude épidémiologique réalisée en dehors de toute procédure judiciaire peut-elle être mobilisée ? Une expertise judiciaire est-elle nécessaire ? L’étendue du dommage causé par une catastrophe climatique peut-elle être établie à partir de simples modélisations mathématiques ou des factures de réparation doivent-elles être fournies ? Ces questions laissent poindre celles, plus épineuses, de la place de l’expert face au juge, de la force probante des éléments de preuve ou encore du coût de telles mesures.
Notes
[1] R.PERROT, observations sous Cass. civ., 29 mai 1951, JCP.
[2] L’affaire opposant Saul Luciano Lliuya, agriculteur péruvien, à l’entreprise RWE devant les juridictions allemandes illustre parfaitement les obstacles auxquels peuvent être confrontés les demandeurs en réparation des préjudices environnementaux causés par le dérèglement climatique. Après avoir vu son action jugée irrecevable en première instance pour défaut de causalité, Lliuya a finalement obtenu gain de cause en appel. Les débats sur le fond ont abouti à une décision le 28 mai 2025.
[3] C.KAHN, Recherche de la causalité et incertitudes scientifiques en droit de la responsabilité civile : étude de droit comparé, droit français – common law, th. dir. J.-S. BORGHETTI, Université Paris-Panthéon-Assas, 2023, page 1.
[4] A.BÉNABENT, Droit civil, Les obligations, 19ème éd., 2021, LGDJ; cité par C.KAHN, op cit.
[5] Article 1240 du code civil.
[6] Faits des choses (article 1242 du code civil), défectuosité des produits (article 1245 et suivants), troubles anormaux du voisinage (article 1252), accident de la circulation (loi dite Badinter).
[7] La Cour de cassation veille à ce que les juridictions caractérisent cette relation causale, voir en ce sens 3ème Civ, 11 février 1998, n°96-10.257.
[8] Proposition de loi portant réforme de la responsabilité civile déposée au Sénat le 29 juillet 2020, article 1239 – La responsabilité suppose l’existence d’un lien de causalité entre le fait imputé au défendeur et le dommage ; Projet de réforme de la responsabilité civile présenté par la Chancellerie le 13 mars 2017, Article 1239.
[9] L’avant-projet Catala précisant à ce sujet qu’il “paraît illusoire de chercher à définir le lien de causalité par une formule générale”.
[10] C.KAHN, op.cit, page 79.
[11] 1ère Civ, 4 décembre 2001, n°99-19.197.
[12] 1ère Civ, 6 décembre 2023, n°22-21.238.
[13] C.FRANCOIS et G.CATTALANO, Cours de droit des obligations 2024, 6e édition, Collection CRFPA, Editions IEJ de la Sorbonne, page 296.
[14] C.KAHN, op.cit, page 106.
[15] 1ère Civ, 5 mars 2020, n°18-26.137.
[16] A cet égard, voir infra “Le retour de la causalité adéquate en matière climatique ?”.
[17] NAAT Lyon, Livre blanc : État des lieux et pistes d’évolution du contentieux de la santé environnementale, octobre 2023.
[18] CEDH, Verein KlimaSeniorinnen Schweiz et autres c. Suisse, 9 mars 2024, requête n°53600/20, para 439.
[19] Les débats relatifs au vaccin contre l’hépatite B et la sclérose en plaque démontrent la difficile adaptation des théories classiques de la causalité en présence d’une incertitude scientifique.
[20] A ce titre, nous citerons notamment l’évolution jurisprudentielle et législative relative à l’indemnisation des victimes de l’amiante.
[21] Par exemple, le charbon ou pour reprendre notre précédent exemple, l’amiante.
[22] Sénat, Rapport au nom de la commission d’enquête sur le coût économique et financier de la pollution de l’air, 8 juillet 2015, page 48.
[23] On pensera notamment à des maladies comme le VIH.
[24] Le CIRC classe les substances en fonction de plusieurs critères, en ce compris l’exposition, étude de la cancérogénicité chez l’être humain à partir de données épidémiologiques, étude de la cancérogénicité chez les des animaux de laboratoire à partir d’essais biologiques, indications mécanistiques chez les humains exposés.
[25] A.LE DILYO, “Lutte contre la pollution atmosphérique : la carence fautive de l’État reconnue par des jugements en demi-teinte”, La Revue des droits de l’Homme, Actualités Droits-Libertés, août 2019.
[26] R.SLAMA, “La causalité en santé environnementale. Est-elle compatible avec celle des tribunaux ?” in Les grandes notions de la responsabilité civile à l’aune des mutations environnementales, recueil sous la direction de B.PARANCE et J.ROCHFELD, Dalloz, 2024.
[27] M.-F.STEINLE-FEUERBACH, “L’épidémie et la règle des trois unités”, Le journal des accidents et des catastrophes, avril 2020.
[28] M.BACACHE, “Changement climatique, responsabilité civile et incertitude”, Énergie-Environnement- Infrastructures, n°8-9, Lexisnexis, 2018.
[29] P.MAIMONE, La responsabilité civile extracontractuelle et la lutte contre l’aggravation du changement climatique, th. dir. S.PORCHY-SIMON, Université Lyon III – Jean Moulin, 2024.
[30] Ibid, page 91.
[31] M.MOLINER, Le droit face à la pollution atmosphérique et aux changements climatiques, cité par P.MAIMONE, op.cit.
[32] A ce sujet, voir notamment la section “2.1 Observed Changes, Impacts and Attribution” du 6ème rapport de synthèse du GIEC publié en 2023, page 42.
[33] CEDH, Verein KlimaSeniorinnen, op.cit.
[34] CE, 6ème et 5ème chambres réunies, 19 novembre 2020, Commune de Grande-Synthe, n°427301.
[35] CEDH, Verein KlimaSeniorinnen, op.cit, para 425.
[36] Ibid, para 434.
[37] Ibid, para 436.
[38] CE, Commune de Grande-Synthe, op.cit, para 13.
[39] TA Paris, 3 février 2021, n°1904967, para 31 : “le non-respect de la trajectoire qu’il s’est fixée pour atteindre ces objectifs engendre des émissions supplémentaires de gaz à effet de serre, qui se cumuleront avec les précédentes et produiront des effets pendant toute la durée de vie de ces gaz dans l’atmosphère, soit environ 100 ans, aggravant ainsi le préjudice écologique invoqué”.
[40] P.MAIMONE, op.cit, pages 188 et suivantes.
[41] Au sens donné par C.KAHN dans sa thèse, à savoir, d’une part, “la théorie invoquée a fait ou peut faire l’objet de tests, pour filtrer les mythes et les fausses croyances”, d’autre part, “il ne faut pas que la théorie ait été réfutée”, page 198.
[42] G.STETTLER, “Incertitude scientifique – Dimension juridique”, in Dictionnaire juridique du changement climatique, cité par P.MAIMONE, op.cit, page 90.
[43] Voir notamment TA Clermont-Ferrand, 23 mai 2022, n°2200944; CA Caen, 17 octobre 2023, RG n°22/01638.
[44] Article 1353 du code civil – Celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver.
[45] C.KAHN, op.cit, page 256.
[46] Ibid, page 332.
[47] M.BACACHE, “Les mutations des faits générateurs” in B.PARANCE et J.ROCHFELD, Les Grandes notions. op.cit, page 59.
[48] I.GALLMEISTER, “Produits défectueux : sclérose en plaques et vaccin contre l’hépatite B”, Recueil Dalloz 2012, page 2853.
[49] CA Versailles, 30 avril 2004, RG n°2002-05924.
[50] 1ère Civ, 7 mars 2006, n°04-16.179.
[51] A.POINSSOT, “En Isère, la famille Grateloup sereine face à Bayer, qui réfute toute responsabilité”, Mediapart, 3 avril 2025.
[52] Dans cette affaire, la juridiction a finalement retenu une incertitude non pas sur la causalité entre les pathologies du jeune homme et l’exposition au produit chimique, mais sur l’utilisation même du produit chimique par la mère; voir à ce sujet L.LAVOCAT, “Glyphosate : la famille Grataloup perd au tribunal contre Bayer-Monsanto”, Reporterre, 31 juillet 2025.
[53] C.RADE, “Causalité juridique et causalité scientifique : de la distinction à la dialectique”, Recueil Dalloz 2012, page 112.
[54] L.CHEVREAU et T.JAMES, “L’imputation d’un dommage à une vaccination implique que le lien entre la pathologie alléguée et l’acte vaccinal ne puisse être exclu qu’en l’absence de toute probabilité de relation causale” in Indemnisation des victimes d’accidents médicaux – Panorama des dernières décisions d’octobre à décembre 2024, Lexbase, février 2025.
[55] M.BACACHE, “Les mutations des faits générateurs”, op.cit.
[56] G.STETTLER, op.cit, page 421.
[57] 1ère Civ, 14 novembre 2024, n°23-19.156; voir également 1ère Civ, 25 juin 2009, 08-12.781.
[58] R.SAVATIER, “Le droit et les progrès techniques”, Bulletin international des sciences sociales, IV, 2, 1952, pages 326-335.
[59] Les présomptions (…) sont laissées à l’appréciation du juge, qui ne doit les admettre que si elles sont graves, précises et concordantes, et dans les cas seulement où la loi admet la preuve par tout moyen.
[60] Article 1349 ancien du code civil.
[61] 1ère Civ, 22 mai 2008, n°05-20.317 : “’en se déterminant ainsi, en référence à une approche probabiliste déduite exclusivement de l’absence de lien scientifique et statistique entre vaccination et développement de la maladie, sans rechercher si les éléments de preuve qui lui étaient soumis constituaient, ou non, des présomptions graves, précises et concordantes du caractère défectueux du vaccin litigieux”.
[62] 1ère Civ, 2 février 2022, n°20-15.526.
[63] 1ère Civ, 24 janvier 2006, n°03-20.178.
[64] CE, 7 novembre 2024, n° 466288.
[65] Inversement, on ne pourrait pas soutenir que la causalité est probable, voir en ce sens les développements sur les procédés scientifiques.
[66] Voir notamment, dans le cas d’une infection nosocomiale : 1ère Civ, 1er juin 1998, n°97-18.481; dans le cas du Mediator : 1ère Civ, 20 septembre 2017, 16-19.643.
[67] 1ère Civ, 11 juillet 2018, n°17-10.837.
[68] Pour un exemple récent, voir CE, 5e chambre, 9 février 2024, n° 471441.
[69] Voir encore, récemment, CA Amiens, 3 octobre 2024, RG n°23/00796.
[70] Définition proposée par l’école des hautes études en santé publique (EHESP).
[71] En 2015, selon la Ligue contre le cancer, la pollution de l’air aux particules fines a contribué à 3,6 % des cancers du poumon.
[72] 1ère Civ, 19 juin 2019, n°18-10.380.
[73] CEDH, Fadaïeva c/ Russie, 30 novembre 2005, requête n°55723/00, para 88 : “l‘exposition prolongée de l’intéressée aux émissions industrielles rejetées par le complexe Severstal est la cause de la dégradation de son état de santé”; CEDH, Jugheli c/ Géorgie, 13 juillet 2017, requête n°38342/05, para 71 : “quand bien même la pollution de l’air n’aurait pas causé de dommage apparent à la santé des requérants, elle aurait pu les rendre plus vulnérables à plusieurs maladies”.
[74] CEDH, Cannavacciulo et autres/ Italie, 30 janvier 2025, requête n°51567/14, para 390-391.Dans cette affaire, la Cour a accordé la qualité de victime aux résidents des différentes municipalités concernées par les dépôts de déchets illégaux sans exiger que chaque requérant démontre être atteint de pathologies en lien avec les émanations toxiques des décharges; elle rappelle en outre que “in line with a precautionary approach, given that the general risk had been known for a long time, the fact that there was no scientific certainty about the precise effects the pollution may have had on the health of a particular applicant cannot negate the existence of a protective duty, where one of the most important aspects of that duty is the need to investigate, identify and assess the nature and level of the risk”.
[75] C.LEPAGE, “Les mutations de la causalité et le juge administratif”, in Les grandes notions de la responsabilité, op.cit.
[76] Com, 23 mars 1999, n°96-22.334.
[77] Pour une traduction du jugement, voir le dossier “Luciano Lliuya v. RWE AG” sur le site internet de ClimateCaseChart.
[78] The Carbon Majors Database.
[79] CAA Lyon, 3ème chambre, 19 février 2025, n°21LY0024.
[80] Voir infra, sur la théorie du risque.
[81] G.STETTLER op.cit., page 619.
[82] 1ère Civ, 16 mai 1966.
[83] 1ère Civ, 18 mars 1997, n°94-21.396.
[84] 3ème Civ, 14 mai 2020, n°19-16.278.
[85] J-D.BRETZNER, “Réflexions sur la place du faisceau d’indices dans le procès civil” in La preuve en métamorphoses, RDA, n°29, mars 2025, p. 63, citant notamment Com, 23 mai 2024, n°22-24.305.
[86] 2ème Civ, 2 juin 2005, n°03-20.011.
[87] 1ère Civ, 22 mai 2008, n°05-20.317.
[88] CE, 19 octobre 2011, n° 339670.
[89] 1ère Civ, 26 juin 2024, n° 23-13.255.
[90] CE, 5ème et 4ème sous-sections réunies, 30 décembre 2013, n° 347459.
[91] G.STETTLER, op.cit., page 580.
[92] Ibid, pages 646-647.
[93] Ibid, page 610.
[94] Voir notamment la fiche thématique “Environnement et CEDH”, dans sa version en date d’avril 2024.
[95] CEDH, Cannavacciuolo, op.cit.
[96] CEDH, Verein KlimaSeniorinnen, op.cit., para 435.
[97] E.LAMBERT, “L’approche pragmatique de la Cour européenne des droits de l’homme concernant la preuve dans les litiges environnementaux de l’article 8”, Civitas Europa, 2022/2, n°49.
[98] CEDH, Cordella c/Italie, 24 juin 2019, requête n°54414/13, para 160.
[99] CEDH, Tatar c/Roumanie, 27 janvier 2009, requête n°67021/01, para 106.
[100] CEDH, Fadaïeva, op.cit., para 88.
[101] Ibid, para 79.
[102] Ibid, para 87.
[103] CEDH, Cannavacciuolo, op.cit.
[104] CEDH, Cordella, op.cit.
[105] CEDH Fadaieva et CEDH, Cannavacciuolo, op.cit.
[106] CEDH, Dubetska c/Ukraine, 10 février 2011, requête n°30499/03, para 111.
[107] CEDH, Grimkovskaya c/Ukraine, 21 juillet 2011, requête n°38182/03, para 61.
[108] Voir infra, “Rééquilibrer le risque de la preuve”.
[109] Cour d’appel de la Haye, Shell PLC c/ Milieudefensie et autres, 11 novembre 2024, para 7.27.
[110] Haute cour régionale de Hamm, Saul Luciano Lliuya c/ RWE, 28 mai 2025, page 56.
[111] M.MEKKI, “Le risque de la preuve”, Droit et économie du procès civil, LGDJ, 2010, page 19.
[112] J.-F.CESARO, Le doute en droit privé, Editions Panthéon-Assas, juillet 2003.
[113] N.ORESKES, E.M.CONWAY, Les marchands de doute, Le Pommier, 2012.
[114] Voir notamment La fabrique de l’ignorance, Arte, 2021, 1h36min.
[115] M.BACACHE, “Les mutations des faits générateurs”, op.cit.
[116] J.-P.MARGUENAUD, “Rapport final” in Dossier. Le traitement jurisprudentiel du principe de précaution en droit français et européen : quelle méthodologie ?, RFDA, 11 janvier 2018, page 1084.
[117] 3ème Civ, 18 mai 2011, n°10-17.645.
[118] M.MEKKI, “Le droit privé de la preuve… à l’épreuve du principe de précaution”, Recueil Dalloz 2014, page 1391.
[119] CEDH, Cannavacciuolo, op.cit., para 396-398.
[120] Ibid, para 370-380.
[121] Voir en ce sens B.LANIYAN, “Terra dei Fuochi en Italie : l’irruption des pollutions diffuses systémiques dans le champ du droit à la vie”, Actu Environnement, 19 mai 2025.
[122] Cons. Const, Décision n° 2011-116 QPC, Michel Z, 8 avril 2011.
[123] 1ère Civ, 15 novembre 2023 – n° 22-21.17 dans l’affaire du Mediator; 1ère Civ, 25 mai 2023, n°22-11.541 dans l’affaire des prothèses PIP.
[124] 1ère Civ, 7 mars 2006, n°04-16.179.
[125] Cette théorie a notamment été développée sous la plume de R.SALEILLES et L.JOSSERAND à la fin du XIXe et au début du XX siècle.
[126] M.BACACHE, “Questions transversales, Responsabilité civile et environnement”, Énergie – Environnement – Infrastructures n° 1011, LexisNexis, novembre 2024, dossier 7.
[127] G.SCHAMPS, La mise en danger un concept fondateur d’un principe général de responsabilité – Analyse de droit comparé, Université Catholique de Louvain, 1998.
[128] Notamment dans le cadre de la réparation d’un préjudice d’anxiété découlant de l’exposition d’autrui à une substance toxique, voir Ass. Plén., 5 avril 2019, n°18-17.442.
[129] 2ème Civ, 24 février 2005, n°04-10.362.
[130] G.VINEY, P.JOURDAIN et S.CARVAL, Traité de droit civil, dir. J. Ghestin, t. IV, Les conditions de la responsabilité : LGDJ, 4e éd., 2001, n° 369.
[131] Par exemple, aux termes de l’article L511-1 du code de l’environnement, le régime des ICPE a pour objectif de prévenir “les dangers ou inconvénients soit pour la commodité du voisinage, soit pour la santé, la sécurité, la salubrité publiques, soit pour l’agriculture, soit pour la protection de la nature, de l’environnement”.
[132] 3ème Civ, 8 juin 2011, n°10-15.500.
[133] C.GIRARDIN LANG, “Préjudice écologique : deux capitaines de yachts à l’origine de dégradations sont condamnés”, Actu Environnement, 26 novembre 2024.
[134] Voir supra s’agissant de la théorie de la causalité adéquate ou de l’équivalence des conditions.
[135] P.MAIMONE, op.cit., page 117; voir aussi M.BACACHE, “Changement climatique, responsabilité civile et incertitude”, Énergie – Environnement – Infrastructures, n° 2, étude 4, février 2025.
[136] Voir notamment l’utilisation de la méthodologie des parts de marché dans l’arrêt concernant le DES : CA Versailles, 30 juin 2016, RG n°12/13064.
[137] G.STETTLER, op.cit., page 461.
[138] Com, 19 juin 1951.
[139] 2ème Civ, 13 mars 1957.
[140] Voir les exemples cités par G.STETTLER, page 465.
[141] 1ère Civ, 14 novembre 2019, n°18-10794, Gaz. Pal. 21 avril 2020, n° 377r2, page 30, note Z.JACQUEMIN.
[142] CA Versailles, 11 février 2021, n° 19/04496.
[143] TA Paris, 6e section, 2e chambre, 12 décembre 2023, n° 2112356.
[144] A.CAYOL, “Chronique de droit du dommage corporel (janv.-déc. 2024)”, Bulletin Juridique des Assurances, n° 98, 1er mai 2025.
[145] Haute cour régionale de Hamm, Saul Luciano Lliuya c/ RWE, 28 mai 2025.
[146] P.MAIMONE, op.cit., page 188.
[147] P.JOURDAIN, “La perte d’une chance, même faible, est indemnisable !”, RTD Civ., 2013, page 380.
[148] 1ère Civ, 21 novembre 2006, 05-15.674.
[149] Initialement, la perte de chance provient des contentieux relatifs aux fautes commises par les conseils juridiques qui ont dépassé les délais pour former un recours ; voir notamment Chambre des requêtes, 17 juillet 1889.
[150] Rapport de M.BACACHE lors de l’audience du 16 mai 2025 sur les pourvois n°22-21.812 et 22-21.146.
[151] P.JOURDAIN, op.cit.
[152] C.KAHN, op.cit., para 709.
[153] Z.JACQUEMIN, “Le retour inquiétant des prédispositions de la victime via le contentieux du distilbène”, Gazette du palais, 21 avril 2020, n° 3772, page 30.
[154] 2ème Civ, 19 juin 2003, n°00-22.302.
[155] Pour un rappel récent, 2ème Civ, 15 février 2024, n°22-20.994.
[156] P.MAIMONE, op.cit., pages 190-191.
[157] Haute cour régionale de Hamm, Saul Luciano Lliuya c/ RWE, 28 mai 2025, pages 47-53.
[158] 1ère Civ, 17 juin 2010, n°09-67.011.
[159] 1ère Civ, 24 septembre 2009, n°08-16.305.
[160] CJUE, 9 mars 2010, aff. C-378/08, para 56.
[161] CEDH, Verein KlimaSeniorinnen, op.cit., para 444 “enfin l’argument “goutte d’eau dans l’océan” qui ressort implicitement des observations du Gouvernement – autrement dit, la question de la capacité de tel ou tel État à influer sur le changement climatique mondial –, il convient de relever que, dans le contexte des obligations positives qui incombent à un État au titre de la Convention, la Cour a toujours dit qu’il n’y a pas lieu d’établir avec certitude que les choses auraient tourné autrement si les autorités avaient adopté une conduite différente. L’analyse pertinente n’exige pas qu’il soit démontré qu’en l’absence d’un manquement ou d’une omission des autorités, le dommage ne se serait pas produit. Ce qui est important et suffisant pour engager la responsabilité de l’État, c’est plutôt le constat que des mesures raisonnables que les autorités internes se sont abstenues de prendre auraient eu une chance réelle de changer le cours des événements ou d’atténuer le préjudice causé”.
[162] A.STEVIGNON, Le climat et le droit des obligations, préf. N. Molfessis, LGDJ, Bibliothèque de droit de l’urbanisme et de l’environnement, t. 21, 2022, §223.
[163] Cela constituerait un déni de justice au sens de l’article 4 du code civil.