Catégorie : Inégalités climatiques

  • IMPACTS n°18 – 28 janvier 2022 – Fiscalité et justice climatique

    Ce 18e numéro de la revue de presse « IMPACTS«  se concentre sur les thématiques de la fiscalité et ses liens avec la justice climatique. D’après une étude publiée par Oxfam en novembre 2021, l’empreinte carbone des 1% les plus riches du monde sera 30 fois supérieure à celle compatible avec la limitation du réchauffement à 1,5 °C d’ici 2030, fixée lors de l’Accord de Paris. Et tandis qu’environ 50 % des émissions mondiales sont imputables aux 10% des habitant-es de la planète les plus riches, la moitié la plus pauvre de la population mondiale est quant à elle responsable de seulement 10% environ des émissions de CO2 mondiales. Considérée comme un outil essentiel dans la lutte contre les inégalités, la fiscalité est aussi pour de nombreux économistes un levier efficace pour lutter contre le changement climatique. Cependant, aujourd’hui, la fiscalité verte se pense dans le monde et en France au détriment des ménages les plus pauvres et creuse les inégalités alors que ce sont les revenus les plus élevés qui en moyenne polluent le plus. Ainsi, en France, alors que les 1% les plus riches ont une empreinte carbone dix fois plus importante que la moitié la plus pauvre des Français, la fiscalité verte représente 4,5% des revenus des 20% des ménages les plus modestes contre 1,3% pour les 20% des ménages les plus riches. En contestant la hausse de la taxe carbone, le mouvement des Gilets Jaunes a conduit à une meilleure prise en compte des enjeux sociaux et fiscaux dans la lutte contre le changement climatique même si jusqu’ici le gel effectué alors par le gouvernement sur la taxe n’a pas changé l’équilibre existant. La question que résumait bien le rapport du Réseau Action Climat en novembre 2019 est celle-ci : comment réduire de 40% nos émissions de gaz à effet de serre en 2030 en garantissant la justice sociale ? Alors que de nouvelles pistes émergent en France notamment dans le contexte des élections présidentielles 2022, redistributivité de la taxe carbone, soutien aux ménages les plus pauvres plus performant, ISF climatique, à l’échelle internationale, des pistes aussi sont étudiées comme la taxe carbone mondiale dans le sillage de l’accord sur la taxation des multinationales. Ne faudrait-il pas parler de la taxe carbone aux frontières de l’Europe ?
     

    La situation dans le monde

    La fiscalité environnementale vue par les institutions internationales

    Pour l’OCDE, la fiscalité (qui englobe les taxes sur le carbone et différentes taxes spécifiques sur la consommation d’énergie) est un levier efficace pour faire baisser les émissions dommageables liées à la consommation d’énergie.

    Une tribune publiée dans le Wall Street Journal en 2019 défendait également une taxe carbone progressive et redistributrice comme l’un des outils les plus forts pour faire diminuer les émissions carbone. Pourtant, au niveau mondial, la fiscalité appliquée actuellement sur l’énergie par 42 pays émettant 80% de la consommation mondiale d’énergie et des émissions de CO2 correspondantes – et qui inclut les taxes sur le charbon, les taxes sur le transport routier, les taxes sur les carburants – n’est pas suffisante pour lutter contre le changement climatique, selon un rapport de l’OCDE publié en 2018. La fiscalité énergétique a un impact très limité puisque selon l’organisation, 81% des émissions échappent à toute taxation, et « 97% d’entre elles sont soumises à une imposition inférieure à 30 euros par tonne de CO₂, un montant qui représente une estimation objectivement faible des coûts climatiques ». Enfin, le rapport pointe du doigt la quasi-absence d’évolution des taux dans l’ensemble des pays étudiés.

     Cette situation fiscale stagnante a trois effets : les émissions de CO2 continuent d’augmenter avec la hausse des revenus, le gain reste inférieur au coût pour l’environnement de la consommation d’énergie. Les taxes créent seulement des incitations à réduire la consommation d’énergie sans changement notable par rapport à l’urgence requise.

    La situation en Europe

    Au niveau européen, les situations sont très diverses selon les pays. La Bulgarie est le pays européen le plus en pointe concernant les écotaxes avec 9,85% de ses recettes fiscales provenant d’impôts environnementaux en 2019, devant la Grèce et la Slovénie (respectivement 9,79% et 9,58% de recettes environnementales en 2019). La moyenne dans l’Union européenne ne s’élève qu’à 5,89% des recettes.

    Cette diversité dans l’Union européenne peut s’expliquer en partie par l’obligation d’unanimité du Conseil européen en matière fiscale. Cela débouche sur une législation européenne qui inclut de manière inégale les mesures fiscales, soit laissant libre choix aux pays d’y avoir recours ou non, soit permettant aux pays d’adopter des exemptions totales ou partielles. Par exemple, la directive européenne 2003/96/EC concernant la taxation des produits énergétiques et de l’électricité permet aux Etats-membres d’inclure dans leur droit national de larges exemptions. 

    L’Union européenne réfléchit à développer la fiscalité environnementale. Cependant, les discussions semblent encore timides sur ces questions. Le parlement européen s’est prononcé favorablement en vue d’une taxe carbone aux frontières du marché commun dès 2023 mais de nombreux Etats-membres y sont réticents. La solution privilégiée par l’Union est le marché carbone (“Emission Trading System” ou “EU ETS”). Ce marché est basé sur un plafond d’émissions de gaz à effet de serre à ne pas dépasser. Les entreprises dépassant ce plafond doivent acheter des quotas d’émissions qu’elles peuvent échanger sur un marché spécialisé, le marché du carbone (CO2). Ce marché concerne pour l’instant les entreprises les plus polluantes, représentant 40% des émissions de CO2. En 2020, le nombre total de quotas pouvant être créés sur le marché européen du CO2 (le plafond des émissions) représentait 1 720 millions de tonnes d’émissions de CO2 et le prix s’élève aujourd’hui à 80€ la tonne de CO2. Pour de nombreuses ONG, ce marché est en fait un “permis à polluer” et n’incite pas les entreprises à réduire leurs émissions. Malgré les fortes critiques de ce mécanisme, Ursula von der Leyen, Présidente de la Commission européenne, propose la création d’un second marché du carbone sur le transport routier et le chauffage.

    La situation en France

    Une fiscalité peu probante

    Malgré la reconnaissance du principe pollueur-payeur dans la Charte de l’environnement de 2005, en France, la fiscalité environnementale est limitée et le système fiscal actuel est défavorable à l’environnement. Selon le Réseau Action Climat, la France est à la 27ème place de la fiscalité environnementale dans l’Union Européenne. Selon les chiffres d’Eurostat, la France fait figure de mauvaise élève et se trouve en dessous de la moyenne européenne :Le Conseil des Prélèvements Obligatoires (CPO) sous l’égide de la Cour des Comptes a produit en 2019 un ensemble de rapports sur la fiscalité environnementale et l’urgence climatique

    Selon ces rapports, la fiscalité environnementale française est constituée de 46 instruments fiscaux, d’un rendement de 56 milliards d’euros en 2018, ce qui représente un peu moins de 5% des prélèvements obligatoires. 83% de cette fiscalité environnementale concerne l’énergie et se compose surtout de taxes à la consommation : taxes sur les énergies dont la TICPE, qui s’applique au pétrole utilisé pour le transport et les chauffages, la TICGN, la taxe intérieure de consommation sur le gaz naturel, la TICC, la taxe intérieure de consommation sur le charbon, et les taxes sur l’électricité dont la CSPE. Les transports sont peu taxés en France (taxes sur les certificats d’immatriculation, taxes sur les conventions d’assurance automobile, malus automobile, etc.), et la pollution, les déchets, et les ressources, de façon marginale. Dans ce paysage, la TICPE génère à elle seule 33 milliards de recettes, soit 62% des impôts liés au climat. En comparaison, la taxe carbone rapportait en 2019, 10 milliards à l’État. 

    Bien qu’elle ait rapporté 43 milliards d’euros en 2019 à l’Etat français, et que sa part (3,7%) augmente dans le PIB depuis 2015 pour atteindre la moyenne européenne, la fiscalité liée au climat est dénoncée pour son manque de pertinence et son incohérence. Selon l’Institut de l’Économie pour le Climat (IE4C), la TICPE, la TICGN et la TICC sur le charbon ne sont que partiellement indexées sur les émissions carbone depuis 2014. L’institut dénonce pour les transports le niveau du malus automobile qui “ne décourage pas les consommateurs d’acheter des véhicules polluants” notamment de type SUV. 

    De même, les entreprises bénéficient d’importantes exonérations. Par exemple sur les taxes de consommation des énergies fossiles : la trentaine de dérogations représentent un manque à gagner d’environ 10 milliards d’euros pour l’Etat. Les secteurs les plus émetteurs de gaz à effet de serre comme les raffineries, le transport routier et le transport aérien bénéficient de subventions qui accentuent leurs pollutions et grèvent le budget de l’État dont les dépenses pourraient financer la transition écologique.

     Le Réseau Action Climat signalait que “de manière générale, le système fiscal français est très défavorable à l’environnement, en comparaison avec nos voisins européens. Les subventions défavorables à la transition énergétique sont supérieures aux subventions qui y sont favorables”. 
     

    La fiscalité verte à l’échelle des collectivités territoriales

    Une étude publiée par l’Agence France Locale en juin 2021 met en avant la nécessité de questionner la pertinence de la fiscalité écologique locale et de procéder à des améliorations afin de pouvoir financer la transition écologique.

    Une part de la fiscalité environnementale revient aux collectivités territoriales, notamment une part importante des recettes du TICPE (12 milliards aux collectivités sur les 30,5 milliards d’euros de recette en 2017).Or l’emploi de ces ressources par les collectivités n’est pas affecté spécifiquement aux projets environnementaux.

    Les pistes actuelles pour une taxation plus juste pour le climat

    La fiscalité a été à certains égards absente des débats sur la Loi Climat et le texte voté en août 2021 ne remet pas en cause l’architecture fiscale du pays. Pour Lucas Chancel, chercheur en économie, “la lutte contre le réchauffement climatique exige une vraie révolution fiscale”. 

    Finalement, la loi climat et résilience comporte seulement quelques mesures de fiscalité énergétique et environnementale dont les principales concernant les secteurs du transport routier et aérien. L’article 30 prévoit une hausse de TICPE pour le secteur du transport routier et l’article 38 du projet de loi entend imposer aux compagnies de navigation aérienne de compenser le carbone émis lors des vols intérieurs métropolitains, et sur la base du volontariat, lors des vols entre la métropole et l’Outre-mer. 

    En dehors de ces mesures, la fiscalité verte a peu évolué. Ainsi, en 2022, alors que le mouvement des gilets jaunes a 3 ans et que l’urgence climatique se fait toujours plus pressante, aucune réforme de fond de la taxe carbone n’a été proposée pour pallier ses défauts, et son taux étant toujours gelé, son efficacité s’en trouve réduite. Le PLF 2022 présenté le 22 septembre 2021 quant à lui ne comporte que des éléments de fiscalité sur la pollution des navires.

    Où en est-on de la taxe carbone ?

    Bien que la taxe carbone, dont les recettes s’élèvent à environ 8 milliards d’euros, rapporte moins à l’heure actuelle que la TICPE, 37 milliards, c’est pourtant elle qui en matière de fiscalité verte est devenue la plus controversée depuis le mouvement des Gilets Jaunes.

    Comme le rappelle une étude de l’OFCE, cette idée de donner un prix au carbone a été lancée en 1997 avec le protocole de Kyoto. En France, la taxe carbone a été proposée par plusieurs gouvernements successifs, en 2000 et 2009. À chaque fois, cependant, elle fut retoquée par le Conseil Constitutionnel. La taxe voit finalement le jour en 2014 sous le gouvernement Ayrault non plus sous la forme d’une taxe mais comme une composante intégrée aux taxes sur l’énergie (TICPE, TICGN, TICC), en fonction de la quantité d’émission de gaz à effet de serre qu’elle produit. Cette composante carbone, payée par les particuliers et les entreprises, est conçue pour augmenter chaque année pour s’établir à 100 euros la tonne de CO2 en 2030 afin de donner un signal prix assez fort qui à terme décourage des modes carbonés et rende les alternatives plus compétitives ; par exemple, inciter à changer de voiture ou isoler les bâtiments.
     
    Alors qu’elle était déjà passée de 7 euros à 44,60 euros depuis 2014, la hausse de la CCE a été ressentie plus fortement en 2018 par les ménages à cause de la hausse conjointe des cours mondiaux du pétrole. Depuis, la taxe est restée à son niveau de 2018 sans que l’on sache ce qu’il adviendra par la suite.
     
    De nombreux économistes et ONG environnementales considèrent que la taxe carbone, si elle doit être repensée en profondeur, ne doit pas être abandonnée. « Aucune autre mesure ne permet d’avoir un impact aussi important », assure le rapport de Réseau Action Climat. Leurs calculs projettent ainsi qu’un prix de 250 € par tonne de CO2 (contre 44,6 € aujourd’hui) permettrait de réduire les émissions de la France de 18 % par rapport à 2019. La taxe est donc toujours considérée comme l’un des outils les plus efficaces pour lutter contre nos modes de vie carboné, que ce soit par le Haut Conseil pour le Climat, le Conseil des prélèvements obligatoires, l’I4CE (Institute for Climate Economics), ou encore le Conseil d’analyse économique. Mais, sans s’accorder de façon unanime sur les solutions, tous sont d’accord sur le fait qu’à l’heure actuelle la taxe comporte de nombreux défauts.
     
    Comme le rappelle le rapport de l’OFCE, l’un de ses principaux soucis est sa régressivité. Concrètement, les études ont montré que le 1er décile des revenus les plus faibles payaient plus de taxe que le décile des revenus les plus élevés. La taxe entraîne donc un surcoût annuel pour les ménages les plus pauvres qui n’est pas compensé par un mécanisme de redistribution. Toujours selon l’OFCE, « la taxe impacte plus fortement les ménages les plus pauvres du fait d’une consommation généralement contrainte, et d’une faible capacité d’investissement dans des logements mieux isolés ou des véhicules plus sobres ». « La localisation des ménages est une autre source d’inégalité face à la taxe carbone, en raison de l’usage plus important de l’automobile en milieu rural ou dans les communes de moins de 20 000 habitants. » Enfin, la CCE est inégale dans son assiette dans le sens où comme le rappelle l’I4CE, il existe de nombreuses exonérations à cette taxe décidées à l’échelle internationale ou nationale : transport aérien et maritime international, transports aériens et fluviaux nationaux, transport routier de marchandises, taxis, usages agricoles, gazole non routier dans le BTP etc. La taxe est aussi considérée encore trop peu efficace. Concrètement, l’OFCE estime que le signal prix visé de 100 euros la tonne en 2030 ne permet pas de respecter l’objectif d’une augmentation des températures sous le seuil des 2 degrés.
     
    Selon Christian de Perthuis, professeur à l’Université Paris-Dauphine, “la fiscalité carbone reste une nécessité pour que le pays respecte ses objectifs climatiques. Mais elle ne peut fonctionner que si elle n’aggrave pas les inégalités.” Aujourd’hui, les défenseurs de la taxe prônent donc pour la rendre acceptable aux yeux de la population avec plusieurs modifications : intégrer des mécanismes de redistribution, élargir son assiette (Conseil des prélèvements obligatoires), qui ne couvre aujourd’hui que 46% des émissions. D’autres acteurs institutionnels comme l’ADEME demandent même son remplacement par une contribution climat solidarité.
     
    En 2019, le Réseau Action climat, qui propose que les recettes soient utilisées pour financer la transition écologique par un reversement sous la forme d’un revenu climat, de crédit d’impôt, ou de chèque pour les ménages non imposables, a lancé avec Oxfam et le Secours Catholique – Caritas France un calculateur qui permet de calculer le montant actuel de la taxe carbone pour un foyer et le montant que ces foyers pourraient recevoir s’il y avait un dispositif de redistribution des recettes aux ménages, pour protéger leur pouvoir d’achat. Ces calculs qui se basent en grande partie sur les travaux de Thomas Douenne et Adrien Fabre ont nourri les débats de la Convention Citoyenne pour le Climat en 2020 qui a préféré finalement laissé de côté aux termes du débat la réforme de la taxe carbone. Citons un exemple des simulations rendues publiques dans le rapport : Séverine, Adam et leurs deux enfants gagnent 17 000 euros de revenus annuels, ils ont une voiture diesel, et habitent à Lyon dans un logement de 80 mètres carrés chauffé au gaz. Le coût de leur taxe carbone s’élevant à 201 euros, le ménage recevrait 410 euros sous forme de redistribution. Des exemples de redistribution existent ailleurs dans le monde. L’exemple le plus connu est celui de la Colombie-Britannique, au Canada, dont les habitant-es des classes modestes et moyennes ont bien accepté cette taxe.
     
    Le Conseil d’analyse économique a tenté d’évaluer en 2019 dans une note « pour le climat : une taxe juste, pas juste une taxe » plusieurs calculs de mécanismes de redistribution. Leur recommandation est de reprendre le calcul fait par Terra Nova, tout en l’amendant. Celui-ci fonctionnerait sur un transfert qui diminue par décile avec la prise en compte du facteur géographique. La redistribution selon leurs conseils prendrait la forme d’un chèque simplifié, et l’élargissement de la base permettrait d’assouplir la trajectoire haussière du prix de la tonne de CO2.
     
    Les pistes de refonte de la taxe carbone restent à l’heure actuelle ouvertes. Plus largement, les auteurs du rapport d’Action climat insistent sur le fait qu’une évaluation des taxes pour le climat est importante, trop souvent le coût qu’il représente pour les ménages par tranche de revenu est mis de côté.

    Autres pistes en France

    « L’ISF climatique : la fiscalité environnementale, un enjeu dans la campagne présidentielle »

    Le patrimoine financier détenu par les ménages français est fortement émetteur aussi. L’étude menée par Greenpeace avec l’appui du cabinet Carbone 4 en exploitant les données de l’Insee conduit à une empreinte carbone de 46 tCO2eq/an pour le patrimoine financier des 10 % les plus aisés, et même de 189 tCO2eq/an pour les 1% les plus riches, contre 2,9 tCO2eq/an pour les 10 % les plus pauvres. Ainsi, conclut Greenpeace, le patrimoine financier des 1 % des ménages les plus riches est associé à une empreinte carbone 66 fois supérieure à celle des 10 % les plus pauvres. 

    Ces chiffres posent la question du « juste partage de l’effort climatique » et ce d’autant plus dans un contexte budgétaire tendu, où les investissements manquent pour financer l’urgence climatique. En 2019, l’I4CE (qui ne prend pas en compte l’argent temporairement débloqué dans le plan de relance) pointait qu’il manquait 15 à 18 milliards d’euros par an pour respecter la trajectoire du second budget carbone (2019-2023). Selon la même source, il faudrait entre sept et neuf milliards supplémentaires d’argent public d’ici à 2023 pour respecter les objectifs climatiques du pays. « Cela sans compter que les objectifs actuels de la France n’ont pas encore été rehaussés, alors que la Commission européenne propose d’atteindre une baisse des émissions de 55 % en 2030 par rapport à 1990, et qu’il faudrait en réalité viser – 65 % minimum pour se mettre sur une trajectoire compatible avec l’objectif de 1,5 °C. »

    Le patrimoine financier détenu par les ménages français est fortement émetteur aussi. L’étude menée par Greenpeace avec l’appui du cabinet Carbone 4 en exploitant les données de l’Insee conduit à une empreinte carbone de 46 tCO2eq/an pour le patrimoine financier des 10 % les plus aisés, et même de 189 tCO2eq/an pour les 1% les plus riches, contre 2,9 tCO2eq/an pour les 10 % les plus pauvres. Ainsi, conclut Greenpeace, le patrimoine financier des 1 % des ménages les plus riches est associé à une empreinte carbone 66 fois supérieure à celle des 10 % les plus pauvres. 

    Ces chiffres posent la question du « juste partage de l’effort climatique » et ce d’autant plus dans un contexte budgétaire tendu, où les investissements manquent pour financer l’urgence climatique. En 2019, l’I4CE (qui ne prend pas en compte l’argent temporairement débloqué dans le plan de relance) pointait qu’il manquait 15 à 18 milliards d’euros par an pour respecter la trajectoire du second budget carbone (2019-2023). Selon la même source, il faudrait entre sept et neuf milliards supplémentaires d’argent public d’ici à 2023 pour respecter les objectifs climatiques du pays. « Cela sans compter que les objectifs actuels de la France n’ont pas encore été rehaussés, alors que la Commission européenne propose d’atteindre une baisse des émissions de 55 % en 2030 par rapport à 1990, et qu’il faudrait en réalité viser – 65 % minimum pour se mettre sur une trajectoire compatible avec l’objectif de 1,5 °C. »

    Alors que Bruno Le Maire a lancé l’idée de “flécher les recettes fiscales liées aux énergies fossiles vers la lutte contre le réchauffement climatique”, l’idée d’un ISF climatique, né dans les bureaux de Greenpeace, est reprise par de nombreux et nombreuses candidat-es de la gauche, dès la primaire écologiste, mais aussi chez les socialistes, et la France insoumise. Le concept est tiré du rapport de Greenpeace “L’argent sale du capital : Pour l’instauration d’un ISF climatique” publié en octobre 2020 et avait fait partie aussi des pistes retenues par la Convention Citoyenne pour le Climat

    L’impôt sur la fortune climatique est pensé comme une alternative à la taxe carbone qui impacte les ménages les plus pauvres sans impacter de manière efficace la consommation énergétique des ménages les plus riches. Au contraire, l’ISF climatique se fonde sur le constat des inégalités sociales et de pollution et souhaite les corriger. Quelques chiffres de l’OFCE peuvent être cités : sur les 17 milliards d’euros distribués aux ménages lors des trois premiers budgets du quinquennat, plus du quart est allé soutenir le revenu disponible des 5 % de ménages les plus aisés. Les 5 % de Français-es les plus pauvres ont vu leur niveau de vie se réduire d’environ 240 euros par an sous l’effet des mesures fiscales du gouvernement, quand les 5 % les plus riches ont vu leur pouvoir d’achat grimper de 2 905 euros. Par ailleurs, n’échappant pas à la règle selon laquelle la hausse des émissions de carbone grimpe avec les revenus, les 10 % de ménages les plus riches ont, en effet, une empreinte carbone 2,7 fois plus élevée que les plus pauvres. 

    Un autre problème, né de la suppression de l’ISF en 2017, a été pris en compte par le rapport de Greenpeace. L’ISF en 2017 a été remplacé par un IFI, un impôt sur la fortune immobilière qui concerne les personnes détenant un patrimoine immobilier net supérieur à 1,3 million d’euros au 1er janvier de l’année d’imposition. Le problème est donc que les patrimoines financiers ne sont plus taxés. Or, comme l’a montré récemment un rapport fait par Oxfam France et Les Amis de la Terre, les actifs financiers ont une empreinte carbone non négligeable. Pour exemple, en 2018, les émissions de gaz à effet de serre issues des activités de financement et d’investissement des quatre principales banques françaises – BNP Paribas, Crédit Agricole, Société Générale et BPCE – dans le secteur des énergies fossiles ont atteint plus de 2 milliards de tonnes équivalent CO2, soit 4,5 fois les émissions de la France cette même année.


     Le patrimoine financier détenu par les ménages français est fortement émetteur aussi. L’étude menée par Greenpeace avec l’appui du cabinet Carbone 4 en exploitant les données de l’Insee conduit à une empreinte carbone de 46 tCO2eq/an pour le patrimoine financier des 10 % les plus aisés, et même de 189 tCO2eq/an pour les 1% les plus riches, contre 2,9 tCO2eq/an pour les 10 % les plus pauvres. Ainsi, conclut Greenpeace, le patrimoine financier des 1 % des ménages les plus riches est associé à une empreinte carbone 66 fois supérieure à celle des 10 % les plus pauvres. 

    Ces chiffres posent la question du « juste partage de l’effort climatique » et ce d’autant plus dans un contexte budgétaire tendu, où les investissements manquent pour financer l’urgence climatique. En 2019, l’I4CE (qui ne prend pas en compte l’argent temporairement débloqué dans le plan de relance) pointait qu’il manquait 15 à 18 milliards d’euros par an pour respecter la trajectoire du second budget carbone (2019-2023). Selon la même source, il faudrait entre sept et neuf milliards supplémentaires d’argent public d’ici à 2023 pour respecter les objectifs climatiques du pays. « Cela sans compter que les objectifs actuels de la France n’ont pas encore été rehaussés, alors que la Commission européenne propose d’atteindre une baisse des émissions de 55 % en 2030 par rapport à 1990, et qu’il faudrait en réalité viser – 65 % minimum pour se mettre sur une trajectoire compatible avec l’objectif de 1,5 °C. » 

    Concrètement, à quoi ressemblerait cet outil fiscal ? Greenpeace France propose la création d’un ISF climatique dérivé de l’ISF en vigueur jusqu’en 2017 et qui serait pondéré en fonction non seulement du volume d’actifs financiers détenus par le ménage imposé, mais également de l’empreinte carbone de ces mêmes actifs. Cette pondération consisterait à introduire une composante carbone appliquée au patrimoine financier des ménages assujettis. Celle-ci serait identique à la composante carbone appliquée dans le cadre de la TICPE et suivrait la même trajectoire. 

    Bien que l’ISF soit souvent présenté comme ne répondant pas aux questions de différence de patrimoine au sein de la population, c’est un fait que la France manque d’instruments qui soient acceptables socialement et efficaces pour réduire l’empreinte carbone des français.

    Piste à l’échelle internationale

    Dans leur rapport Carbon and inequality From Kyoto to Paris, Piketty et Chancel montraient en 2015 que les inégalités d’émissions de CO2 mondiales sont de plus en plus expliquées par les inégalités à l’intérieur des pays et non entre pays. Si une hausse des contributions des pays du Nord est nécessaire, l’étude montre ainsi que les classes aisées des pays émergents, du fait de la hausse de leurs revenus et de leurs émissions, pourraient également contribuer à ces fonds.

    Cette étude examine par ce prisme de nouvelles stratégies en vue d’augmenter le volume global de l’aide pour l’adaptation au changement climatique, où les émissions individuelles et non les émissions nationales ou le PIB par tête, seraient la base de calcul des contributions. 

    Piketty et Chancel explorent ainsi 3 stratégies pour la mise en place d’une taxe mondiale progressive sur le CO2. Dans la stratégie 1, tous les émetteurs au-dessus de la moyenne mondiale (i.e. tous les émetteurs au-dessus de 6,2tCO2e par an) contribuent à l’effort en proportion de leurs émissions dépassant le seuil ; dans la stratégie 2, les 10% les plus émetteurs paient ; dans la stratégie 3, ce sont les 1% les plus émetteurs qui paient. Dans la stratégie 3, la plus favorable aux Européen-nes, Piketty et Chancel montrent que le volume de financement provenant du Vieux continent atteindrait 23 milliards d’euros, soit plus de trois fois sa contribution actuelle. (si l’étude date de 2015, en comparaison, le budget de la PAC en 2021 était de 55 milliards). Piketty et Chancel précisaient que d’autres idées pouvaient être mises à l’étude, comme une taxe sur les revenus ou une taxe sur les billets d’avion. 

    Les idées énoncées dans ce rapport qui a déjà 7 ans sont souvent remises au goût du jour. Ce fut le cas en 2019 et récemment en 2021 dans le sillage de l’accord obtenu sur la taxation des multinationales au niveau du G20 en octobre 2021 qui se tint juste avant la COP 26. Dans la version 2021, la taxe était évaluée en fonction non plus des émissions par tête comme recommandés par Piketty et Chancel mais en fonction des émissions nationales. 

    En attendant, c’est au niveau de l’Europe qu’un « mécanisme d’ajustement carbone aux frontières », a été présenté en juillet dernier qui fixera un prix du carbone pour les importations de certains produits.


  • Dérèglement climatique : quel impact sur nos droits ?

    A l’occasion de la journée internationale des droits de l’Homme le 10 décembre, Notre Affaire à Tous publie un kit sur les droits humains les plus impactés par le dérèglement climatique ! A travers ce kit pédagogique, nous souhaitons rendre visibles les impacts sur les droits fondamentaux déjà concrets et donner les outils pour permettre une meilleure prise en compte et incorporation de ces droits dans les politiques publiques luttant contre le changement climatique.

    En effet, le changement climatique impacte d’ores et déjà de nombreuses populations à travers le monde, ce qui engendre des conséquences concrètes sur leurs droits fondamentaux. Parce qu’il entraîne dès aujourd’hui des effets dévastateurs sur l’environnement, le dérèglement climatique affecte les conditions de vie de millions de personnes, particulièrement des plus vulnérables. Suite à l’échec de la COP26 dans la protection des communautés les plus vulnérables à la crise climatique, il est plus que jamais essentiel de considérer la crise climatique comme une crise de droits humains. Face à l’ampleur du phénomène et le retard de l’action climatique, des phénomènes climatiques extrêmes climatiques font déjà de nombreuses victimes : feux de forêts, inondations, tempêtes, montée du niveau de la mer… La solidarité climatique et la prise en compte des situations des personnes les plus touchées doit devenir une priorité des Etats.

    Ce sont les droits à la vie, à un environnement sain, à la santé, à l’eau, au logement, à l’alimentation, au travail ou encore à l’éducation qui sont menacés par l’inaction climatique des dirigeants. Repousser l’action condamne les populations les plus affectées et renforce les inégalités tout en aggravant l’isolement social, les discriminations et l’exclusion.

    L’action climatique centrée sur les droits humains peut jouer un rôle fondamental pour engager une transition juste. Se battre pour l’inclusion du respect des droits humains aide les communautés les plus touchées à satisfaire leurs demandes de politiques climatiques acceptables et socialement justes. Ensemble, agissons pour que les dirigeants et les entreprises intègrent les droits humains dans leurs actions climatiques et fassent le lien entre préoccupations environnementales et justice sociale.

  • A découvrir : L’exposition photographique « Paysages d’inégalités

    Notre Affaire à Tous dévoile son exposition « Paysages d’inégalités« . Ce projet a été réalisé en partenariat avec la photographe Dagmara Bojenko, et revient sur l’histoire de six collectifs de citoyen-nes organisés face à des constructions polluantes. Ces citoyens et citoyennes sont tantôt les victimes directes d’installations affectant leur qualité de vie, tantôt des militant-es engagé-es dans la lutte contre l’artificialisation sans limite des terres agricoles et des espaces verts. Les photographies sont exposées au Ground Control (81 rue du Charolais à Paris) du 17 au 21 novembre !   

    L’exposition illustre le combat de six collectifs racontant chacun sa lutte. De l’Aude au Nord, en passant par la Seine-Saint-Denis, les Deux-Sèvres et le Cantal, nous faisons le lien entre les politiques menées sur le territoire, leurs conséquences néfastes sur les conditions de vie de certaines populations, et l’engagement citoyen pour garantir le droit à un environnement sain.  

    En mettant en lumière l’histoire des personnes affectées par ces projets, nous souhaitons montrer le rapport entre les décisions d’aménagement sur les territoires et les conséquences du changement climatique : il s’agit de montrer que les aménagements inadaptés au changement climatique accentuent ses conséquences. L’artificialisation des terres agricoles, la bétonisation des espaces verts permettant aux habitant-es de se rafraîchir en période de canicule ou la privatisation de l’accès à l’eau sont autant d’exemples qui témoignent de l’importance de la lutte de ces collectifs.

    En contant l’histoire de personnes impactées par des dégradations environnementales, Notre Affaire à Tous entend à la fois sensibiliser un large public à la nécessité d’une transition juste et équitable et encourager la mobilisation citoyenne pour un environnement sain, face aux projets polluants qui n’ont plus leur place dans la société d’aujourd’hui et qui dégradent le vivant

    Luttes locales : qui sont les collectifs qui se battent pour le vivant ?

    Le mercredi 17 novembre, en parallèle du vernissage de l’exposition « Paysages d’inégalités » présentant en images le combat quotidien de 6 collectifs pour préserver leur environnement proche et le vivant dans son ensemble, nous avons organisé une soirée dédiée aux luttes locales, leurs récits, leurs victoires, leurs obstacles, au Ground Control. Certains de ces collectifs étaient présents et l’événement a été ponctué de prises de parole et récits autour de leur combat contre les projets imposés et polluants, le tout dans une humeur festive. L’étude sociologique « Les David contre Goliath » menée sur plusieurs mois et auprès de 50 collectifs a également été présentée. Quelles sont leurs motivations ? D’où viennent-ils ? Comment s’organisent-ils ? Pour en savoir plus, découvrez l’étude !

  • CP / “Paysages d’inégalités” : l’exposition photographique qui dévoile les visages des impacts environnementaux en France

    Communiqué de presse – Paris, le 17 novembre 2021

    Ce mercredi 17 novembre, Notre Affaire à Tous et la photographe Dagmara Bojenko dévoilent l’exposition “Paysages d’inégalités”, illustrant le combat de six collectifs partout en France contre les projets imposés et les inégalités environnementales. De l’Aude au Nord, en passant par la Seine-Saint-Denis, les Deux-Sèvres et le Cantal, l’exposition fait le lien entre les politiques menées sur les territoires, leurs conséquences néfastes sur les conditions de vie de certaines populations et l’engagement citoyen pour garantir le droit à un environnement sain. 

    Les infrastructures humaines sont une source continuelle de dégradations environnementales qui prennent diverses formes : pollutions sonores, visuelles, rejets atmosphériques, pollution des eaux et des sols… Les multiples et désastreux impacts sur la santé ne sont aujourd’hui plus à démontrer. Mais ces impacts sont inégaux : les produits issus des atteintes à l’environnement se voient accaparer par les plus aisés au détriment des plus démunis qui n’en subissent que les conséquences néfastes. Il existe donc une double peine : celles et ceux contribuant le moins au problème subissent le plus les conséquences.

    L’inaction climatique et la destruction du vivant affectent déjà les conditions de vie et les droits fondamentaux de nombreux citoyens et citoyennes. Face à cette situation, des collectifs se forment pour contrer les projets polluants et destructeurs, pour se battre contre la pollution de l’air, de l’eau et des sols, et pour contrer le déni de démocratie environnementale. A travers son exposition photographique, Notre Affaire à Tous a voulu rendre visible les visages et paysages touchés par les dégradations environnementales et la force de l’engagement citoyen face à des acteurs puissants qui continuent de menacer le vivant en toute impunité. 

    Pour Clothilde Baudouin, chargée du projet “inégalités climatiques” à Notre Affaire à Tous : “En contant l’histoire réelle de personnes impactées par des dégradations environnementales, Notre Affaire à Tous entend à la fois sensibiliser un large public à la nécessité d’une transition juste et équitable et encourager la mobilisation citoyenne pour un environnement sain, face aux projets polluants qui n’ont plus leur place dans la société actuelle.

    L’exposition sera présentée au Ground Control (81 rue du Charolais à Paris) le 17 décembre à 19h et restera sur place jusqu’au dimanche 21 novembre. Pour que l’exposition puisse circuler largement, le site internet paysages-d’inégalités.fr a été créé. Dans les prochains mois, l’exposition sera itinérante et sera présentée dans différents lieux publics en France.

    Crédits photos : Dagmara Bojenko

    Contact presse : 

  • Changement climatique, inégalités et risques sanitaires

    Rapport d’étude réalisé par Alice Gautreau, Julie Hernu, Clément Martin et Perrine Pastor, étudiant-es du Master D3P1 « Risques, Science, Environnement et Santé » de Sciences Po Toulouse

    L’urgence climatique est là. Les manifestations du changement climatique ont été largement documentées par la communauté scientifique. Les rapports montrant les effets du changement climatique sur l’environnement sont de plus en plus médiatisés et reprennent successivement les données suivantes : parmi les dix années les plus chaudes jamais recensées, huit sont survenues au cours de la dernière décennie[1], l’augmentation du niveau des mers pourrait atteindre 60 cm à 1 mètre d’ici la fin du siècle[2], et il est nécessaire de limiter l’augmentation moyenne des températures à 2 voire 1,5 degrés par rapport à l’ère préindustrielle. Comme l’a identifié le Sénat dans un rapport de 2019[3], ces phénomènes vont continuer de s’amplifier à l’avenir selon les modélisations scientifiques du GIEC[4]. Globalement, la nécessité de lutter contre le changement climatique est inscrite à l’agenda de tous : décideurs politiques, organisations non-gouvernementales, entreprises, société civile, etc. Cette prise de conscience a été cristallisée par l’Accord de Paris qui, à l’issue de la COP21 de 2015, marque une volonté consensuelle de l’ensemble des Etats de diminuer leurs émissions de gaz à effet de serre. L’Accord de Paris marque également une rupture dans la mesure où il enjoint les entités non-parties de l’Accord, en particulier les entreprises, à lutter contre le risque climatique via leur démarche RSE (responsabilité sociétale de l’entreprise)[5].

    Mais la lutte contre le changement climatique est essentiellement abordée au prisme de la protection de l’environnement. A contrario, et c’est tout l’objet du présent rapport, la question des effets du changement climatique sur la santé humaine est très peu abordée. C’est ce que souligne la revue scientifique The Lancet dans un rapport de 2019 :

    « Le changement climatique est de plus en plus largement représenté dans les médias et par les gouvernements d’une manière qui ne le relie pas à la santé humaine [… tandis que] la santé, qui est un domaine majeur d’intérêt individuel, est rarement liée au changement climatique. »[6].

    Cet extrait est révélateur d’une imperméabilité entre ces deux champs que sont le changement climatique et la santé. Dans le présent rapport, la notion de santé sera considérée au sens large en se basant sur la définition de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) :

    « La santé est un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité. La possession du meilleur état de santé qu’il est capable d’atteindre constitue l’un des droits fondamentaux de tout être humain, quelles que soient sa race, sa religion, ses opinions politiques, sa condition économique ou sociale »[7].

    Les premiers liens entre santé et changement climatique ont été établis sous l’impulsion d’organisations internationales spécialisées. En 2000, l’OMS a proposé une approche écosystémique de la santé via le programme « One Health ». Dans le monde universitaire, la santé environnementalea émergé comme un champ à part entière visant à mettre en lumière l’interdépendance entre ces deux notions.

    Pour l’OMS, « La santé environnementale comprend les aspects de la santé humaine, y compris la qualité de la vie, qui sont déterminés par les facteurs physiques, chimiques, biologiques, sociaux, psychosociaux et esthétiques de notre environnement. Elle concerne également la politique et les pratiques de gestion, de résorption, de contrôle et de prévention des facteurs environnementaux susceptibles d’affecter la santé des générations actuelles et futures »[8].

    En droit français, l’impact de l’environnement sur la santé humaine se retrouve à travers le concept d’exposome, défini par l’article L. 1411-1 du Code de la santé publique comme « l’intégration sur la vie entière de l’ensemble des expositions [environnementales] qui peuvent influencer la santé humaine ».

    De façon très concrète, plusieurs rapports mettent en lumière les effets néfastes du changement climatique sur la santé. Pour The Lancet,certainespopulations sont particulièrement concernées par l’augmentation du niveau moyen des températures et des fréquences et intensités des vagues de chaleur : « Un enfant né aujourd’hui vivra dans un monde où il fera plus de quatre degrés de plus que la moyenne de l’ère préindustrielle. Le changement climatique aura un impact sur sa santé, de la petite enfance et l’adolescence à l’âge adulte et à la vieillesse. À travers le monde, les enfants sont parmi les plus touchés par le changement climatique. »[9]. Par ailleurs, la pollution de l’air, qui est principalement liée à l’utilisation d’énergies fossiles et aggravée par le changement climatique, affecte les organes vitaux du corps humain tels que le cœur et les poumons. Sur le long terme, la pollution de l’air affecte le taux de mortalité. En 2016, 7 millions de personnes sont décédées prématurément dans le monde en raison de maladies liées à la pollution de l’air[10]. En France, cela représente environ 48 000 personnes par an[11]. Selon une étude de Harvard, ces chiffres seraient grossièrement sous-estimés[12]. Le risque de malnutrition est un autre exemple qui témoigne de l’interdépendance entre changement climatique et santé puisque les dérèglements climatiques (tempêtes, sécheresses, élévation du niveau de la mer etc.) menacent les productions agricoles et ainsi la sécurité alimentaire.

    Enfin, la crise sanitaire de la Covid-19 a révélé l’ampleur des zoonoses, ces maladies transmises à l’homme par l’intermédiaire d’animaux, pouvant être source de nouvelles pandémies. Selon l’OMS, 60% des maladies infectieuses humaines sont zoonotiques[13]. Bref, les relations entre santé et environnement ont été scientifiquement prouvées, ce qui pousse la revue britannique The Lancet à affirmer que le changement climatique est « la plus grande menace mondiale pour la santé publique au 21ème siècle »[14].

    En parallèle, le présent rapport vise à mettre en lumière les inégalités face au risque climatique. La notion de risque est conventionnellement définie comme la conjonction d’un aléa et d’un enjeu.

    L’aléa étant ici la probabilité qu’un événement climatique se produise tandis que l’enjeu est la vulnérabilité d’une population exposée à cet aléa. Les populations n’ont toutefois pas les mêmes vulnérabilités face aux risques climatiques car elles y sont différemment confrontées. En outre, parmi les personnes exposées, certaines sont plus ou moins fortement impactées selon l’âge, la profession, le sexe, l’état de santé, la situation socio-économique, etc. De plus, certains territoires et certaines activités économiques sont et seront plus impactés par le changement climatique, en particulier les territoires montagneux, littoraux et ultramarins. On observe donc des inégalités face au changement climatique. Selon le Haut Conseil pour le Climat, ces dernières aggravent les chocs externes, en l’occurrence le changement climatique le changement climatique, car elles « augmentent les vulnérabilités [transformant ainsi] la menace en catastrophe »[15].

    Malheureusement, la question des risques sanitaires liés au changement climatique, ainsi que celle des inégalités qui en découlent, reste trop peu prise en compte par les politiques publiques en France. Sur le plan juridique, les spécialistes constatent une trop faible judiciarisation de ces enjeux. Dans un article de 2020[16], la professeure des universités en droit public Christel Cournil montre que les enjeux de santé et d’environnement sont pris en compte par les pouvoirs publics bien que de manière très cloisonnée. On constate toutefois quelques avancées avec la mise en place dès 2004 du premier Plan national de santé environnement (PNSE)[17] qui est élaboré tous les cinq ans et qui est un outil clef de la planification de la santé environnementale. En 2006, la stratégie nationale d’adaptation au changement climatique évoque pour la première fois les enjeux sanitaires liés au changement climatique et le Plan national d’adaptation au changement climatique[18] actuellement en vigueur a affirmé la prise en compte du risque sanitaire.  Mais, dans la pratique, ces outils restent peu nombreux, peu mobilisés et sont critiqués.

    De manière générale, aucune tendance de fond n’est observée dans les politiques publiques françaises concernant la santé environnementale. La question des risques sanitaires liés au changement climatique est largement sous-estimée en France, même par certains spécialistes. Sur le plan législatif, la députée Sandrine Josso déplore le fait que la récente Loi Climat n’ait pas pris en compte les recommandations qu’elle avait faites concernant le volet santé[19].

    Toutefois, le lien entre santé et changement climatique s’inscrit progressivement dans le droit, notamment sous l’impulsion de la société civile via les procès contre l’Etat pour inaction climatique[20]. L’argumentaire santé-environnement s’est ainsi retrouvé dans des affaires  célèbres telle que « Urgenda »[21], dans laquelle l’Etat néerlandais a été accusé de ne pas prendre les mesures nécessaires dans la lutte contre le changement climatique et la protection de la santé des populations. Cet argumentaire s’est retrouvé plus récemment au cours de « l’Affaire du Siècle » en France, menée par quatre associations de défense de l’environnement dont Notre Affaire à Tous (NAAT)[22], qui co-produit le présent rapport. De plus, le droit à un environnement équilibré et respectueux de la santé, mentionné à l’article 1 de la Charte de l’environnement, est un Objectif à Valeur Constitutionnelle depuis 2020[23].

    Face aux réponses insuffisantes des décideurs politiques, il apparaît alors nécessaire d’impulser de nouvelles approches en termes de politiques publiques qui seraient plus transversales afin de considérer la santé au prisme des bouleversements climatiques susceptibles de l’affecter. L’enjeu de ce rapport, proposé conjointement par les étudiants de Sciences Po Toulouse[24] et l’association Notre Affaire à Tous, est donc de décloisonner ces deux notions que sont l’environnement et la santé afin de penser les liens entre les deux. Pour cela, il est nécessaire de montrer que changement climatique, santé et inégalités sont étroitement liés. Ce sera l’objet de la première partie de ce rapport (I). Un tel constat nous permettra ensuite d’analyser comment ces enjeux sont pris en compte en France par les politiques publiques et ce à différentes échelles : nationale (II) et locales (III). L’objectif est de voir ce qui est mis en place par les différents acteurs publics afin de lutter contre les risques sanitaires qui résultent du changement climatique et de s’interroger sur la pertinence de la répartition des compétences entre eux. . Cette analyse nous permettra enfin de dresser des recommandations cohérentes à destination des décideurs politiques mais aussi afin d’appuyer les associations dans leurs plaidoyers visant à mettre la santé environnementale à l’agenda politique.


    [1]  Nick WATTS, et al. “The 2019 Report of The Lancet Countdown on Health and Climate Change: Ensuring That the Health of a Child Born Today Is Not Defined by a Changing Climate”. The Lancet, vol. 394, no 10211, Elsevier, novembre 2019, p. 1836‑78. www.thelancet.com, doi:10.1016/S0140-6736(19)32596-6.

    [2] Ronan DANTEC, Jean-Yves ROUX, Rapport d’information n° 511 fait au nom de la délégation sénatoriale à la prospective sur l’adaptation de la France aux dérèglements climatiques à l’horizon 2050, Paris, Sénat, 2019. http://www.senat.fr/rap/r18-511/r18-511.html

    [3] Ibid.

    [4] Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat

    [5] Responsabilité sociétale des entreprises

    [6] Traduction extraite de :  Nick WATTS, et al. Op. cit., novembre 2019, p. 1836‑78.

    [7] Préambule à la Constitution de l’Organisation mondiale de la Santé, signé le 22 juillet 1946 par les représentants de 61 Etats et entré en vigueur le 7 avril 1948.

    [8] Définition de l’OMS en 1994.

    [9] Nick WATTS, et al. Op. cit., novembre 2019, p. 1836‑78.

    [10] Ibid.

    [11] Santé Publique France

    [12] Leah BURROWS. “Deaths from fossil fuel emissions higher than previously thought”. Harvard University, 9 février 2021, https://www.seas.harvard.edu/news/2021/02/deaths-fossil-fuel-emissions-higher-previously-thought.

    [13] “One Health, Une seule santé”. OIE – World Organisation for Animal Health, https://www.oie.int/fr/pour-les-medias/une-seule-sante/. Consulté le 23 avril 2021.

    [14] The Lancet. “Humanising Health and Climate Change”. The Lancet, vol. 392, no 10162, Elsevier, décembre 2018, p. 2326. www.thelancet.com, doi:10.1016/S0140-6736(18)33016-2.

    [15] Haut Conseil pour le Climat. Climat, santé : mieux prévenir, mieux guérir. Avril 2020, p. 24, https://www.hautconseilclimat.fr/publications/climat-sante-mieux-prevenir-mieux-guerir/

    [16] Christel COURNIL, “L’appréhension juridique des risques sanitaires liés au changement climatique”, Revue juridique de l’environnement, vol. spécial, no. HS20, 2020, pp. 171-188

    [17] Intégré au Code de la Santé (article L. 1311-6) par la loi du 9 août 2004.

    [18] PNACC 2 (2018-2022)

    [19] Sandrine JOSSO (rapporteure), Elisabeth TOUTUT-PICARD (présidente), Rapport fait au nom de la commission d’enquête sur l’évaluation des politiques publiques de santé environnementale, n°3701, Paris, Assemblée nationale, 2020.

    [20] Christel COURNIL, Op. cit., 2020, pp. 171-188.

    [21] Cour du district de La Haye, 24 juin 2015, Urgenda v. Government of the Netherlands

    [22] Site web : https://notreaffaireatous.org/

    [23] Cecilia RINAUDO. “CP / La décision du Conseil Constitutionnel crée un tournant historique pour la protection de l’environnement et la justice climatique !”,  Notre Affaire à Tous, 31 janvier 2020, https://notreaffaireatous.org/cp-la-decision-du-conseil-constitutionnel-cree-un-tournant-historique-pour-la-protection-de-lenvironnement-et-la-justice-climatique/

    [24] Étudiant.e.s du Master D3P1 « Risques, Science, Environnement et Santé » de Sciences Po Toulouse.

  • IMPACTS – 5 octobre 2021 – Alimentation, agriculture et changement climatique

    Ce 17e numéro de la revue de presse « IMPACTS«  se concentre sur les conséquences du dérèglement climatique sur l’alimentation et l’agriculture et sur la nécessaire refonte du système alimentaire actuel.  

    À un mois de la COP26 qui se déroulera à Glasgow du 1er au 12 novembre, le changement climatique et les phénomènes climatiques extrêmes se font de plus en plus intenses et mettent en péril la sécurité alimentaire de populations du monde entier. Et la France n’échappe pas à cette situation. Désertification, salinisation des sols, variations de la pluviosité amenant sécheresses ou inondations soudaines, évolutions climatiques auxquelles les cultures ne sont pas adaptées et/ou favorisant la prolifération de parasites et de maladies… autant de défis auxquels doit faire face l’agriculture afin de pouvoir continuer à nourrir la planète. 

    L’agriculture a cette spécificité qu’elle peut être considérée à la fois comme une victime principale du dérèglement climatique, mais aussi une de ses causes majeures, ainsi qu’une éventuelle solution, relève Bruno Parmentier, ingénieur et économiste spécialisé dans les questions agricoles et alimentaires.  

    Pour combattre les inégalités sociales climatiques et environnementales, il nous faut les connaître. C’est le sens de cette revue de presse élaborée par Notre Affaire à Tous, qui revient sur les #IMPACTS différenciés du changement climatique, sur nos vies, nos droits et ceux de la nature.

    Le dérèglement climatique, facteur de graves crises alimentaires

    Se nourrir est un besoin vital et un droit humain fondamental, inscrit dans le droit international depuis 1966 avec le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. Selon le rapporteur spécial des Nations Unies, le droit à l’alimentation se définit comme “le droit d’avoir un accès régulier, permanent et libre, soit directement, soit au moyen d’achats monétaires, à une nourriture quantitativement et qualitativement adéquate et suffisante, correspondant aux traditions culturelles du peuple dont est issu le consommateur, et qui assure une vie psychique et physique, individuelle et collective, libre d’angoisse, satisfaisante et digne”. Pourtant, selon l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), en 2020, plus de 2,3 milliards de personnes (soit 30% de la population mondiale) n’avaient pas accès toute l’année à une alimentation adéquate. Par ailleurs, elle estime que 9,9% environ de la population était en situation de sous-alimentation en 2020, contre 8,4% en 2019. Selon Action contre la Faim, aujourd’hui, ce sont jusqu’à 811 millions de personnes qui souffrent de la faim dans le monde, et ce chiffre augmente pour la cinquième année consécutive. Une hausse de 161 millions de personnes a été observée rien que sur l’année 2020. Dans le rapport de 2018 sur l’état de la sécurité alimentaire et de la nutrition dans le monde, l’ONU avertissait sur “l’impact du climat sur la sécurité alimentaire et la nutrition”. L’organisation soulevait alors que les catastrophes climatiques avaient doublé depuis 1990, ce qui avait nuit à la production agricole et contribué aux pénuries alimentaires. 

    Dans le rapport de 2021, l’avertissement s’est mué en alerte : la faim dans le monde s’aggrave considérablement. Ils relèvent trois facteurs majeurs de l’accroissement de l’insécurité alimentaire et de la malnutrition : les conflits, les chocs économiques (exacerbés par la pandémie de covid-19), ainsi que la variabilité du climat et les phénomènes climatiques extrêmes. 

    Un autre rapport publié en mars dernier par la FAO soulève l’augmentation constante de l’intensité et la fréquence des catastrophes météorologiques, mais aussi biologiques dues aux changements climatiques. Ainsi, les inondations, les tempêtes, les sécheresses, les méga-incendies, mais aussi les ravageurs, les maladies et infestations des cultures et du bétail ont des effets dévastateurs sur la sécurité alimentaire et les moyens d’existence. D’autant plus que ce sont les pays les moins avancés (PMA) et les pays à revenu faible et intermédiaire (PRFM) qui supportent la majeure partie de ces fléaux. La FAO relève que de 2008 à 2018, l’Asie, l’Afrique, l’Amérique latine et les Caraïbes ont été les régions les plus durement touchées, ayant subi à elles seules plus de 108 milliards dollars (USD) en dommages ou en pertes de récoltes et de production animale. L’impact de ces catastrophes, au cours de la même période, se traduit aussi par une perte de 698 calories par habitant et par jour en moyenne dans ces quatre régions. Néanmoins, un avenir résilient aux catastrophes est possible selon la FAO, par un investissement dans la collecte et l’analyse de données, par des collaborations intersectorielles ou encore par des partenariats public-privé.

    Action contre la Faim alerte elle aussi sur les conséquences de la crise climatique sur la faim dans le monde. Désormais, pour l’ONG, “agir pour le climat, c’est lutter contre la faim”. En 2020, selon l’ONU, le nombre de personnes souffrant de la faim à cause de chocs climatiques s’élevait à 15 millions de personnes. Ainsi, les difficultés d’accès physique et économique aux moyens de production, la perte d’accès à l’eau pour les cultures et le bétail, la fragilisation des rendements des exploitations et de la qualité des aliments produits ainsi que la destruction de ressources alimentaires sont quelques unes des conséquences directes des dérèglements climatiques. Toujours selon l’ONU, Madagascar serait le premier pays à subir la famine à cause du réchauffement climatique. Aucun conflit n’est en cause, seulement plusieurs années de sécheresse. Lola Castro, directrice régionale du Programme alimentaire mondial (PAM) pour le sud de l’Afrique évoque une “situation très dramatique” mais prédit aussi que “le pire est à venir” car la famine ne cesse de progresser, et met en danger la vie de plus d’un million de personnes. Selon elle, l’aide de la communauté internationale est urgente et indispensable, les fonds manquent et les agences humanitaires peinent à sensibiliser le reste du monde. Au Kenya, 2,1 millions de personnes risquent également de mourir de faim en raison d’une sécheresse massive qui sévit dans la moitié du pays et qui affecte les récoltes. Les agriculteurs ne sont pas les seuls à être touchés par la sécheresse. En effet, les habitants des zones urbaines sont aussi contraints de payer plus cher le peu de nourriture disponible.

    Les impacts directs du dérèglement climatique sur les productions agricoles

    Les conséquences du dérèglement climatique sur les rendements agricoles sont d’ores et déjà documentées. Elles sont d’autant plus importantes que l’agriculture est intimement liée à la problématique de l’eau, 93% des ressources hydriques disponibles dans le monde étant utilisées à des fins agricoles selon l’hydrologue Emma Haziza. Il faut 1 tonne d’eau pour produire 1kg de céréales, 4 à 11 tonnes pour produire 1kg de viande. Les désertifications, sécheresses et difficultés d’approvisionnement en eau ont et auront un impact important sur les rendements agricoles. Des cultures-phares comme le riz, le maïs et le café sont concernées. 

    De façon globale, selon une étude publiée dans la revue scientifique Nature Climate Change, le dérèglement climatique a entraîné une baisse de 21 % de la croissance agricole mondiale depuis les années 1960. Un chiffre important pour une hausse de la température moyenne du globe de 1°C, alors que les modèles climatiques prévoient des hausses de températures globales bien plus importantes d’ici la fin du siècle, rappelle la chercheuse Delphine Renard. Selon le GIEC, des cultures essentielles car bases de l’alimentation humaine comme le blé et le maïs subissent déjà aujourd’hui les effets du dérèglement climatique, et estime que les baisses de rendement des céréales de 10 à 25 % pourraient être courantes dans les années 2050, amenant de fortes hausses de prix et donc du coût des denrées alimentaires. Par exemple, selon une étude publiée dans Agronomy for Sustainable Development, les rendements de riz pluvial au Sénégal pourraient être divisés par deux d’ici à 2100. 

    Preuve de ces conséquences, 2021 a été une année compliquée, voire catastrophique pour les agricultrices et agriculteurs de France et d’ailleurs, et le changements climatique en est grandement responsable. 

    Parmi les ravages causés par le changement climatique cette année en France, figure le gel tardif d’avril, qui n’a épargné aucune exploitation française. L’évènement a été analysé par le ministre de l’Agriculture Julien Denormandie comme “probablement la plus grande catastrophe agronomique de ce début de XXIe siècle”. Les pertes pour la viticulture et l’arboriculture ont été estimées à plus de 4 millions d’euros. Le réseau international de scientifiques World Weather Attribution établit que le changement climatique a augmenté d’environ 60% la probabilité qu’une vague de froid survienne en période de bourgeonnement cette année. Ils expliquent que ces vagues de froid sont devenues moins probables et moins intenses qu’au siècle dernier en raison du réchauffement des températures, mais qu’elles font plus de dégâts car elles surviennent au moment où la végétation se réveille. Et le phénomène risque de s’accentuer année après année si les températures continuent d’augmenter. 

    En juin, après le gel tardif, puis des épisodes violents de vent et de grêle, les agriculteurs ont de nouveau été touchés par les aléas climatiques avec des orages qui ont endommagé les exploitations agricoles de nombreuses régions françaises. Les trois quarts de la France ont été touchés et certaines parcelles ont été détruites à 100%, comme en Côte d’Or ou dans le Doubs. Les pertes économiques sont considérables, tout comme l’impact moral pour les agriculteurs qui se sentent impuissants. L’accroissement de l’intensité et de la fréquence de ces évènements ne laissera pas d’autre choix que de réfléchir à un nouveau système agricole, en plus de refonder complètement l’assurance-récolte

    En raison des aléas climatiques qui se sont succédé cette année, la récolte française de vin devrait être en baisse de 24 % à 30 % en 2021, selon le ministère français de l’Agriculture, qui évoque un niveau de rendement d’une faiblesse jamais vue depuis quarante-cinq ans. Les évolutions climatiques ont plus encore de conséquences sur la production de vin, qui représente à elle seule 15% de la valeur de la production agricole française. En effet, l’augmentation des températures favorise et accélère la mutation des vignes, et rend ainsi les vendanges de plus en plus précoces. Les vendanges se font donc lors de températures estivales, ce qui favorise l’oxydation des grappes de raisin et leur fait perdre des qualités organoleptiques, à moins que la cueillette ne se fasse de nuit. De plus, les hautes températures augmentent la concentration en sucre des raisins, donc après transformation, la teneur en alcool du vin. Ce sont aussi la qualité du vin et la singularité des vins qui sont impactés. Enfin, l’apparition d’agents pathogènes, comme les ravageurs, les champignons pathogènes et les insectes, deviendra de plus en plus fréquente. 

    Les abeilles, elles aussi, ont souffert des aléas du climat. La récolte de miel de cette année n’atteindrait ainsi que 30% à 40% de celle de l’année dernière. Les trois conditions nécessaires à une bonne récolte, le soleil, la floraison et la santé de la colonie, n’ont jamais été réunies en même temps cette année, selon Dominique Cena, vice-président de l’UNAF. La période de gel puis de fortes pluies, émanant directement des changements climatiques, a empêché les abeilles de sortir et a retardé les floraisons. La situation est particulièrement difficile pour les petits apiculteurs qui n’ont pu tirer aucun profit de leurs abeilles. Si certaines abeilles sont nourries au sirop de glucose, les apiculteurs peinent à maintenir leurs prix. Privilégier la consommation de miel français est ainsi essentiel pour soutenir les apiculteurs. 

    Au niveau mondial, un autre produit particulièrement touché par les changements climatiques est le blé dur, utilisé pour fabriquer les pâtes et dont la production n’est concentrée que dans quelques régions du monde. Ainsi, l’augmentation des phénomènes climatiques extrêmes pourrait entraîner une pénurie de pâtes. La vague de chaleur qu’a connu le Canada à la fin du mois de juin dernier devrait réduire de 32% la récolte de blé par rapport à la moyenne des cinq dernières années, alerte le Syndicat des industriels fabricants de pâtes alimentaires de France (Sifpaf), alors que le pays représente ⅔ du commerce mondial de blé dur habituellement. À part le Mexique et le Maroc, qui récoltent leur blé plus tôt dans l’année, tous les pays producteurs de blé dur ont été durement touchés par les évènements climatiques extrêmes cet été. Selon une étude de l’Institut international pour l’analyse des systèmes appliqués, des sécheresses simultanées, graves et prolongées séviront dans le monde, même si le réchauffement climatique venait à se stabiliser. D’autres productions importantes ont également souffert, comme les amandes en Californie

    De plus en plus d’ouvriers agricoles souffrent donc économiquement des changements climatiques, mais ils sont aussi de plus en plus nombreux à en souffrir physiquement. Cela a été particulièrement flagrant cet été dans le nord-ouest des États-Unis, où une vague de chaleur record a causé la mort de plusieurs travailleurs et questionné leurs droits face à leur vulnérabilité climatique. Une étude universitaire américaine publiée en 2015 révèle que les travailleurs agricoles courent 35 fois plus de risques de décès liés à la chaleur que les autres travailleurs, et que ces risques augmentent. Pourtant, aucune loi n’oblige les employeurs à fournir de l’eau, de l’ombre ou des pauses. D’autant plus qu’aux Etats-Unis, la majorité de 2,4 millions de travailleurs agricoles sont sans papiers et vivent avec la crainte d’être pénalisés ou expulsés s’ils s’expriment.

    Afghanistan : les agriculteurs victimes du changement climatique : un exemple des conséquences systémiques du dérèglement climatique sur l’agriculture et l’alimentation

    En Afghanistan, où une large partie de la population tire ses revenus de l’agriculture, la vulnérabilité au changement climatique est forte et a constitué un contexte favorable aux talibans dans la conquête du pays. Producteur de grenades, de pignons, de raisins, l’Afghanistan est déjà très fortement impacté par le changement climatique. Selon le Germanwatch Global Climate Risk, il est le 6ème pays le plus touché par le changement climatique. Ces dernières années, le pays a connu plusieurs disettes. Dans les montagnes du nord du pays, la fonte des neiges a été précoce et provoqué des inondations dans les champs et les systèmes d’irrigation, et le phénomène se double de chutes de neige sur la période hivernale en trop faible abondance. Dans le sud et l’ouest du pays, les épisodes de pluie diluvienne ont augmenté de 10 à 25% sur les trente dernières années. Ces catastrophes détruisent les récoltes, amenuisent les ressources des agriculteurs qui se retrouvent bien souvent dans l’obligation d’emprunter, et contribuent à une situation d’insécurité alimentaire. On estime qu’un tiers des Afghans sont en situation de crise ou d’urgence alimentaire liée à la sécheresse, alors que le pays a déjà traversé une sécheresse historique en 2018 et mis au moins 250 000 personnes sur les routes. Et on estime déjà que les récoltes de 2021 seront 20% inférieures à celles de 2020

    Ce contexte, cumulé à l’absence d’aide du gouvernement déjà très concentré sur l’effort de guerre, a nourri une colère qu’ont pu exploiter les talibans qui ont par ailleurs les moyens d’enrôler des paysans en leur offrant 5 à 10 dollars par jour – a contrario on estime qu’un agriculteur afghan gagne en moyenne 1 dollar par jour. Nadim Farajalla, expert sur le changement climatique à l’université américaine de Beyrouth, explique que les agriculteurs font souvent le choix d’abandonner leurs terres pour essayer de trouver de l’argent en ville et laissent ainsi des familles derrière eux. Les enfants de ces familles deviennent alors des proies plus faciles à recruter. 

    Ce n’est pas la première fois qu’un groupe terroriste tire ainsi partie du changement climatique, notent les experts. Boko Haram a pu tirer profit dans un passé récent du manque d’eau au lac Tchad et, l’État islamique, de l’extrême sécheresse en Syrie et en Irak. 

    Pour obtenir des revenus plus stables, de nombreux agriculteurs, notamment dans le sud du pays où la sécheresse a été la plus forte et les talibans les plus populaires, ont choisi de planter du pavot car il est moins gourmand en eau et plus rémunérateur. Ainsi, l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime estime que les surfaces cultivées de pavot ont bondi de près de 40 % en 2020 après quelques années de baisse. Or, les talibans qui contrôlent le marché de l’opium prélèvent des taxes chez les agriculteurs, ce qui constitue pour le groupe islamiste une source d’enrichissement supplémentaire. 

    Un rapport pointe une autre menace liée au changement climatique qui pèse sur la population : la rareté de l’eau. Les infrastructures sont en très mauvais état à cause des conflits répétés, et la capacité de stockage en eau par habitant est l’un des plus faibles de la région. A Hérat, une ville stratégique de l’ouest, les talibans ont ainsi “attaqué à plusieurs reprises un barrage qui est essentiel pour l’eau potable, l’agriculture et l’électricité pour les habitants de la région”, détaille le New York Times. Si ce manque d’eau a permis aux talibans de s’emparer des villes, il ne faut pas oublier que la situation pourrait se retourner contre eux une fois arrivés au pouvoir s’ils n’arrivent pas à assurer les services de base à la population.

    Des solutions envisagées vers la résilience et l’adaptation climatiques

    Le changement climatique affecte les récoltes et le bétail avec un telle rapidité, que des changements progressifs ne suffisent plus. En effet, l’augmentation de la chaleur, de l’aridité et de l’élévation du niveau de la mer menacent la survie de millions de petits agriculteurs et bouleversent la sécurité alimentaire mondiale. Ainsi, dans un rapport publié en juin dernier par le World Resources Institute, les chercheurs plaident pour des changements plus larges et radicaux des systèmes alimentaires, afin de s’adapter aux nouveaux défis climatiques. Déjà près de 800 millions de personnes dans le monde souffrent de la faim, un nombre qui a augmenté de 60 millions au cours des cinq dernières années. Le changement climatique contribue à augmenter ces chiffres et poussera probablement plus de 100 millions de personnes supplémentaires sous le seuil de pauvreté, dont beaucoup d’agriculteurs, éleveurs et autres ruraux. Pour eux, les changements radicaux consistent à déplacer les cultures dans des zones où le climat serait désormais plus adapté. Ils donnent l’exemple de producteurs de café costaricains, qui, dans la partie nord et plus aride du pays, cultivent désormais des agrumes, ou d’agriculteurs éthiopiens qui ont déplacé leurs parcelles dans des zones plus fraîches. Cependant, les chercheurs avertissent que les agriculteurs qui ont de petites exploitations et qui sont les plus vulnérables aux impacts climatiques, auront besoin de ressources pour s’adapter : plus de recherches, de subventions et d’incitations gouvernementales. 

    Selon une étude menée par des scientifiques du CNRS publiée en juin dernier, une cohabitation équilibrée entre agriculture et environnement pourrait être possible en Europe, par un remodelage complet de son système agroalimentaire. Ce scénario reposerait sur trois leviers. Le premier consisterait en un changement de régime alimentaire, notamment vers moins de produits d’origine animale, ce qui permettrait de limiter l’élevage hors-sol et de supprimer les importations d’aliments pour le bétail. Le deuxième levier s’inspirerait des principes de l’agroécologie en généralisant les systèmes de rotation des cultures. Ces cultures seraient diversifiées et intégreraient des légumineuses fixatrices d’azote, ce qui permettrait de se passer des engrais azotés de synthèse comme des pesticides. Et le troisième pilier reposerait sur la reconnexion de l’élevage avec les systèmes de culture en abandonnant leur concentration dans des régions ultra-spécialisées. Ce scénario permettrait ainsi de nourrir l’ensemble de la population européenne prévue pour 2050, tout en continuant d’exporter des céréales vers les pays qui en ont besoin pour l’alimentation humaine. De surcroît, la pollution des eaux et les émissions de gaz à effet de serre causés par l’agriculture seraient largement réduites, et le niveau de perte d’azote dans l’environnement serait divisé.

    Pour adapter l’agriculture au changement climatique, le président de l’Assemblée permanente des chambres d’agriculture (APCA), Sébastien Windsor, propose de la repenser. Il a ainsi annoncé le 24 août dernier un “plan pour une résilience globale des exploitations, porté par les chambres d’agriculture en 2022”. L’objectif est avant tout d’accompagner les agriculteurs sur le terrain, notamment en leur conseillant des variétés plus résistantes à la hausse des températures, aux gelées tardives, ou encore aux inondations en plus en plus fréquentes. Le plan d’action sera territorialisé, afin d’accompagner au mieux les agriculteurs de tout le pays dans leur transition. Les mesures dépendront par ailleurs des conclusions du Varenne agricole de l’eau et du changement climatique attendues pour début 2022. Le Varenne, lancé le 28 mai 2021 par le ministre de l’agriculture et la secrétaire d’Etat à la biodiversité, vise à concevoir une nouvelle gestion de l’eau en agriculture et à adapter toutes les filières agricoles aux évolutions du climat. Il se décline en trois groupes de travail sur la gestion des risques climatiques, sur la résilience de l’agriculture et sur la gestion partagée et raisonnée des ressources en eau. Une de ses ambitions est de refonder l’assurance récolte pour 2023, afin de prévenir et indemniser plus efficacement les agriculteurs victimes des aléas climatiques.

    Refonder notre système alimentaire agro-industriel : une urgence face au dérèglement climatique et aux crises agricoles et alimentaires

    On le sait, l’agriculture industrielle a sa part de responsabilité dans la crise écologique, agricole et alimentaire que nous sommes en train de vivre. C’est donc l’ensemble de notre modèle agricole actuel qu’il faut remettre en question pour penser l’agriculture de demain, et renoncer aux soucis productivistes pour parvenir à plus de résilience, de durabilité et de justice. 

    L’objectif premier du modèle agricole actuel est d’assurer une productivité et une rentabilité économiques optimales. C’est une agriculture industrielle, intensive et ultra mécanisée, dépendante des énergies fossiles, d’intrants (produits utilisés pour améliorer le rendement des cultures mais qui ne sont pas naturellement présents dans les sols) et d’importantes surfaces. Mais c’est aussi un modèle dans lequel les richesses et pouvoirs sont détenus par un petit nombre d’acteurs, au détriment de millions de petits producteurs. C’est pourquoi il peut être considéré comme responsable d’importants déséquilibres sociaux et dérèglements environnementaux, qui touchent en premier lieu les populations les plus vulnérables. Le système alimentaire agro-industriel émet à lui seul ⅓ des émissions mondiales de gaz à effet de serre. 

    Face à ces enjeux, la transition agroécologique peut être une solution. De plus en plus présente dans les débats scientifiques, agricoles et politiques internationaux, l’agroécologie propose une véritable alternative sociétale grâce à des systèmes agricoles et alimentaires durables, qui s’appuient sur une science des écosystèmes agricoles tirée des lois de la nature et des savoir-faire paysans. C’est un modèle qui vise à répondre aux besoins alimentaires des consommateurs et des marchés locaux, et qui se fonde sur une utilisation responsable et optimale des ressources naturelles, tout en respectant les valeurs sociales et humaines. Ainsi, l’agroécologie est un outil de résilience au changement climatique, puisqu’elle permet de réduire l’impact environnemental et climatique de notre agriculture et notre alimentaire et facilite l’adaptation du système agricole aux perturbations liées aux changements climatiques. 

    Dans ce sens, Xavier Reboud, chercheur en agroécologie à l’Inrae, explique qu’il existe un ensemble de leviers qui peuvent, conjointement, renforcer la régulation naturelle des bioagresseurs, et ainsi rendre nos systèmes agricoles moins vulnérables, sans user de pesticides. Le premier levier consiste à diversifier les plantes, mélanger les espèces et variétés, à l’échelle d’une parcelle. Le deuxième levier repose sur un sol en bonne santé. Les apports organiques présents dans un sol peu travaillé réduit son oxydation et favorise son activité biologique. Enfin, le troisième levier consiste à cultiver chaque parcelle sur une surface réduite tout en y combinant des infrastructures biologiques comme des haies ou des prairies. La combinaison de ces trois leviers formerait des agro-écosystèmes, qui permettraient non seulement de rendre les plantes moins vulnérables face aux bioagresseurs souterrains et aériens, mais aussi de renforcer leur résistance au stress lié aux évènements climatiques extrêmes. 

    Bien qu’à une échelle très réduite et largement subventionnée par l’aide internationale, l’agroécologie est mise à profit au Liban par des agriculteurs et activistes pour répondre à l’explosion de la pauvreté et à l’inflation. Aucun produit chimique n’est utilisé, les semences collectées dans le monde entier sont réutilisées chaque année et cultivées en harmonie avec la nature. Si la prise de conscience environnementale reste limitée selon les activistes, les libanais se tournent de plus en plus vers ces produits locaux, car leurs prix ont très peu augmenté depuis le début de la crise, contrairement aux produits importés. En outre, ils espèrent diffuser le savoir en matière de techniques agroécologiques auprès des agriculteurs pour mener le pays vers l’autosuffisance. 

    En Afrique, l’agroécologie est de plus en plus reconnue. Initialement développée sur le continent pour répondre à la demande croissante des consommateurs du Nord, elle devient un enjeu de taille pour la santé publique, l’autonomie alimentaire et le retour à la terre. L’agroécologie correspond en Afrique à un retour à l’agriculture traditionnelle, cependant il reste nécessaire de convaincre les jeunes agriculteurs de faire leur transition. Pour cela, de plus en plus d’initiatives sont menées, notamment de la part d’associations qui tentent de sensibiliser et former les consommateurs et les agriculteurs. En Guinée, la création d’un label bio est à l’étude, ce qui permettrait de garantir une rémunération juste aux producteurs, tout en encourageant un large public à acheter ces produits. Pour Leonida Odongo, éducatrice communautaire et militante pour la justice alimentaire à Nairobi, “l’avenir sera agroécologique ou ne sera pas”. En raison, selon elle, de la faiblesse des systèmes législatifs en Afrique, de nombreux pesticides interdits dans le monde continuent d’être utilisés par des agriculteurs grandement incités par les entreprises agroalimentaires. C’est pourquoi elle s’engage dans la sensibilisation et l’éducation d’agriculteurs kényans à des pratiques agricoles plus respectueuses de l’environnement. Lors de sessions communautaires de formation, elle invite les agriculteurs à la réflexion et au partage de leurs expériences et connaissances transgénérationnelles, pour montrer que les formes de production autochtones et agro écologiques, tout en ne mettant pas en danger la biodiversité et la santé, sont tout aussi efficaces et rentables. 

    En France de plus en plus de fermiers et agriculteurs pratiquent l’agroécologie, comme Jérôme Orvain, fermier limousin. Il a d’abord choisi de privilégier les circuits courts, pour faire profiter ses productions à une économie locale, territoriale, plutôt que mondiale. Puis il a adopté l’agriculture biologique. Il explique aujourd’hui que ses produits sont “à 100% en vente directe, en circuit court et en bio”. C’est aussi le cas de Julien Piron, qui produit des légumes en maraîchage biologique et agroécologique, en Indre et Loire. Ancien chercheur en biologie humaine et animale à l’INSERM, il a choisi, il y a huit ans, d’acheter une prairie délaissée, pour en faire le Jardin d’Édaphon. L’édaphon désigne l’ensemble des organismes vivant dans le sol (vers de terres, bactéries, champignons…) qui s’installent et pérennisent, pendant et entre les cultures, lorsque la terre est très peu travaillée, permettant d’éviter l’utilisation d’intrants. 

    Cependant, la transition agroécologique nécessite une véritable volonté politique. Si les Etats qui saisissent l’importance de changer de modèle agricole et de modifier nos habitudes alimentaires sont de plus en plus nombreux, rares sont ceux qui initient un vrai changement. Ainsi, l’agroécologie reste largement sous-financée et reléguée au second plan, alors que des accords et politiques commerciaux écocides et inéquitables continuent à être signés et menés à tout va. Si même les Etats conscients de l’urgence se montrent aussi peu déterminés à produire de véritables changements, c’est qu’ils savent aussi que l’agroécologie n’est pas compatible avec le mode de production capitaliste. En effet, alors que la première repose sur des exploitations familiales durables et diversifiées qui nécessitent plusieurs années pour porter ses fruits, la seconde cherche, par des moyens techniques, à obtenir des profits immédiats. De plus, la première favorise une grande diversification des milieux, des espèces et des variétés ainsi que des habitats pour la faune et la flore, alors que la seconde mise sur l’ultra spécialisation des exploitations. Enfin, la première privilégie l’observation de la nature, l’adaptation permanente des pratiques aux évolutions de l’environnement, le contact entre l’humain, la terre et l’animal, alors que la seconde est fondée sur la rationalisation, la planification et la division du travail.

    Par ailleurs, la transition agroécologique génère des coûts importants dans l’immédiat, d’autant plus que seule l’agriculture biologique bénéficie d’une aide spécifique au changement de système, relève France Stratégie dans un rapport publié en août 2020 sur les performances économiques et environnementales de l’agroécologie. Cependant, l’agroécologie s’avère rentable à moyen terme. Les bénéfices économiques proviendraient principalement de la réduction des charges liées à l’achat et à l’utilisation d’engrais et produits phytosanitaires de synthèse, ainsi que des prix de commercialisation plus élevés.

    Les solutions proposées par la nouvelle réforme de la PAC pour concilier impératifs environnementaux et priorités socio-économiques divisent

    Le 25 juin 2021, un nouvel accord a été conclu à Bruxelles entre les eurodéputés et les États membres de l’Union européenne sur la Réforme de la Politique agricole commune (PAC). Trois ambitions principales pour 2023-2027 : accroître le soutien des petites et moyennes exploitations agricoles, renforcer la transparence sur les dépenses des fonds européens et “verdir” l’agriculture européenne. Pour ce dernier point, les écorégimes, primes destinées aux agriculteurs adoptant des programmes environnementaux exigeants définis par chaque Etat selon des critères communs, sont notamment concernés. L’accord prévoit de consacrer en moyenne 25% (les eurodéputés réclamaient 30%) par an des paiements directs aux éco- régimes. 

    Du côté des eurodéputés Verts et des ONG environnementales, nombreux estiment cette réforme insuffisante. Pour l’eurodéputé Benoît Biteau, elle serait même “climatiquement nuisible et dangereuse pour la diversité”. Plusieurs points sont dénoncés, et parmi eux le nombre croissant de dérogations, notamment sur le conditionnement des versements au respect des normes sociales protégeant les travailleurs, ou sur le pourcentage de terres à ne pas cultiver et la rotation annuelle des cultures, qui sont des mesures clés pour la préservation de la biodiversité. Les politiques agricoles sont jugées incompatibles avec les objectifs environnementaux et climatiques de l’UE qui avaient été fixés par la Commission à travers le Pacte Vert, ne permettant pas de rendre plus durable le système alimentaire européen. Pour Benoît Biteau, “les écorégimes continuent d’utiliser comme références les hectares ou les têtes de bétail”, et encouragent ainsi les grandes exploitations et l’agriculture productiviste, au détriment des petites et moyennes exploitations agroécologiques. Par ailleurs, les objectifs de la Commission visant notamment une baisse à 50 % de l’usage des pesticides d’ici à 2030 et un quart des terres réservées au bio ne seront, selon lui, pas atteints, puisque ils ne sont pas “juridiquement contraignants”. 

    Alors qu’une personne sur trois se trouve en situation d’insécurité alimentaire à l’échelle mondiale et face au dérèglement climatique, il est essentiel de transformer notre système alimentaire actuel, basé sur l’agro-industrie et de soutenir les solutions permettant la résilience alimentaire.


  • Pour une région à la hauteur de l’urgence climatique

    Pour une région à la hauteur de l’urgence climatique

    Le 6 mai 2021, Notre Affaire à Tous publie ses propositions à destination des candidat·e·s aux élections régionales qui se tiendront les 20 et 27 juin 2021. Par ses compétences propres, la région est un échelon territorial essentiel pour engager une transition écologique et sociale, et lutter contre le dérèglement climatique. Notre Affaire à Tous propose ainsi des outils et des pratiques afin que ces enjeux soient pris en compte par les élu·e·s locaux·ales.

    Alors que le mouvement pour la justice climatique met en avant les préoccupations grandissantes des citoyen·ne·s pour les questions socio-environnementales et que de nombreuses personnes sur le territoire français sont déjà confrontées aux impacts du dérèglement climatique, la région doit intégrer de façon transversale, dans toutes ses politiques et activités, la problématique environnementale et les enjeux sociaux qui y sont liés. 

    L’échelon régional, souvent peu mis en avant, est pourtant au centre des réformes législatives récentes, et du projet de loi 4D, afin de positionner la région comme collectivité cheffe de file de la transition écologique. Il est essentiel que les futur·e·s élu·e·s se saisissent pleinement de ces compétences. 

    Ainsi, forte des constats tirés de son rapport “Un Climat d’inégalités” et de ses actions au niveau local, Notre Affaire à Tous a développé 38 propositions réparties en 8 grandes thématiques :

    • La conservation et sensibilisation autour de la biodiversité ;
    • La résilience du territoire à l’échelle de la région ;
    • La santé à l’échelle régionale ;
    • L’éducation, la formation et la sensibilisation aux enjeux climatiques ;
    • La participation au sein de la région ;
    • La nécessité de la recherche sur la justice environnementale ;
    • La vie quotidienne, économique et sociale ;
    • Le cadre de vie : logement et alimentation.

    Ces propositions s’appuient sur les compétences des régions, les outils déjà disponibles et les bonnes pratiques à développer afin de mettre en œuvre la justice environnementale à l’échelle régionale.

  • Climate Inequalities

    Climate Inequalities

    Overview

    Though climate change is perceived as a consistent, global threat, socio-environmental inequality is still a topic that has received little engagement in France. Yet, vulnerability to the risks of climate change varies greatly among individuals depending on age, sex, and social status (including economic, cultural, and social resources). We believe that environmental and climate inequality is at the heart of the fight against climate change.

    Since its creation in 2015, Notre Affaire à Toushas taken an interest in the numerous French victims of the climate emergency, such as farmers, beekeepers, fishers, aquaculturists, and winemakers. We are taking action to highlight these diverse situations and develop suitable support and protection for individuals facing the consequences of climate change.

    We are determined to support and protect individuals against the consequences of climate change, which will cause us all to suffer ecological, moral, physical, or even economic harm. Disparities are already being felt among individuals and territories, exacerbating existing vulnerabilities. To better advocate for our cause, we are bringing together the power of the research and academic sphere with organizations and social movements.

    Our objectives

    • To promote access to and raise awareness of climate justice for local communities
    • To document and raise awareness of the impacts of climate change and its related inequalities to allow for a real consideration of climate risks for the population
    • To use journalistic and/or academic means to highlight witness’s stories in order to present portraits of the French people affected by climate change
    • To researchand make known the various harms populations suffer concerning climate change and to support citizens in environmental legal recourse
    • To foster a European movement around the impacts of climate change and eventually gain a real and adequate awareness of the risks of climate change for the population

    How ?

    We have established relationships with students, researchers, and specialists to develop informative content on climate inequalities. We are conducting studies, going out into the field, and collecting and analyzing data.

    In order to foster dialogue and disseminate information, the group also works with journalists and has its own monthlypress review, #IMPACTS. To help our demands come to fruition, we are using legal recourse and analyzing the feasibility of and interest in a class action lawsuit for the environment.

    We are confident that the reality of socio-environmental inequality has a strong potential for mobilization and can increase awareness of the climate emergency, which is already affecting quality of life.

    Our Actions

    IMPACTS – La revue des inégalités climatiques

    La newsletter IMPACTS revient sur les impacts inégalitaires de la crise environnementale afin de mettre en lumière les conséquences du dérèglement du climat sur les territoires et populations français-es. Impacts sociaux, économiques, territoriaux, etc… Le réchauffement climatique aggrave les inégalités. Nous voulons les montrer pour mieux les combattre !

    Pour une région à la hauteur de l’urgence climatique

    Alors que le mouvement pour la justice climatique met en avant les préoccupations grandissantes des citoyen·ne·s pour les questions socio-environnementales et que de nombreuses personnes sur le territoire français sont déjà confrontées aux impacts du dérèglement climatique, la région doit intégrer la problématique environnementale et les enjeux sociaux qui y sont liés.

    Par ses compétences propres, la région est un échelon territorial essentiel pour engager une transition écologique et sociale, et lutter contre le dérèglement climatique. Notre Affaire à Tous propose ainsi des outils et des pratiques afin que ces enjeux soient pris en compte par les élu·e·s locaux·ales.

    Le rapport « Un Climat d’inégalités »

    Nous publions le rapport “Un climat d’inégalités : Les impacts inégaux du dérèglement climatique en France”, pour mettre en lumière un phénomène encore trop peu documenté : les inégalités climatiques sur le territoire français. Au cœur du rapport, quatorze citoyen·ne·s témoignent des impacts directs du dérèglement climatique sur leurs conditions de vie quotidienne. 5 ans après la signature de l’Accord de Paris par la France, les actions ambitieuses en matière climatique se font toujours attendre et l’accélération du changement climatique pèse de manière inégale sur la population française. Nous montrons les conséquences désastreuses de ce retard.

    Une enquête inédite sur les vécus climatiques

    Notre Affaire à Tous a créé un consortium entre sphères universitaire et associative afin de ressembler nos expertises.

    L’enquête « Vivre les fournaises urbaines » est le fruit d’une alliance unique et essentielle entre Notre Affaire à Tous, l’Université Lyon 2 et l’UMR Triangle pour penser de nouveaux milieux et territoires de vie plus écologiques. Cette enquête est inédite et se concentre sur les vécus climatiques et les engagements écologiques dans 5 grandes villes du sud de la France !

    L’enquête souligne une fois de plus l’urgence à agir.

    Le People’s Climate Case

    De mai 2018 à mars 2021,Notre Affaire à Tous a accompagné Maurice Feschet, le plaignant français du People’s Climate Case. Cette action en justice avait pour objectif de rehausser l’ambition climatique insuffisante des institutions de l’Union européenne et ainsi de protéger les droits fondamentaux à la vie, à la santé, au travail et à la propriété des familles plaignantes. Elles demandaient que des mesures efficaces pour lutter contre le changement climatique soient prises.

    JIEC et appels à témoignages

    Entre 2018 et 2019, Notre Affaire à Tous a travaillé avec le JIEC – Journalistes d’Investigation sur l’Écologie et le Climat. Issu-es de cinq médias. Ils et elles se sont rassemblé-es pour dresser des portraits de témoins du changement climatique en France. Pour compléter ce travail, Notre Affaire à Tous a également lancé deux appels à témoignages sur les impacts du dérèglement climatique en France.

    Our resources


    External resources

    Our other actions

  • IMPACTS – 11 juin 2021 – Travail et changement climatique

    Ce 16e numéro de la revue de presse « IMPACTS«  se concentre sur les conséquences du dérèglement climatique sur le monde du travail et sur les travailleurs les plus touchés par les menaces que pose le phénomène sur leurs activités.  

    Dans un récent rapport intitulé “Travailler sur une planète plus chaude : l’impact du stress thermique sur la productivité du travail et le travail décent”, l’Organisation internationale du travail a alerté qu’à l’échelle mondiale, 80 millions d’emplois seraient menacés d’ici 2030 à cause du dérèglement climatique. En premier lieu, les chaleurs vont conduire à une perte de productivité dans de nombreux secteurs, notamment dans l’industrie et l’agriculture. “2,2% du total des heures travaillées dans le monde pourraient être perdues en raison des températures élevées, selon des projections basées sur une hausse de la température mondiale de 1,5°C d’ici la fin du siècle”. 

    Au niveau mondial, en 2017, ce serait 153 milliards d’heures de travail qui auraient été perdues à cause des canicules, une hausse de 60% par rapport à l’an 2000. Alors que le phénomène est déjà palpable, l’étude des conséquences des vagues de chaleur sur le milieu du travail est récente. Ce n’est que dans le quatrième et le cinquième rapport d’évaluation du GIEC (2007 et 2014) que ces problématiques ont été soulevées. Entre perte des outils de travail du fait de catastrophes naturelles, accidents du travail et risques sanitaires, les menaces sur le monde du travail sont multiples.  

    Pour combattre les inégalités sociales climatiques et environnementales, il nous faut les connaître. C’est le sens de cette revue de presse élaborée par Notre Affaire à Tous, qui revient sur les #IMPACTS différenciés du changement climatique, sur nos vies, nos droits et ceux de la nature

    Selon le “Guide pour les syndicats : Adaptation au changement climatique et monde de travail” les secteurs les plus touchés sont et seront l’agriculture et la sylviculture, très dépendants des ressources naturelles, mais aussi le secteur de la pêche, l’approvisionnement en énergie et en eau, la construction, les transports, le tourisme, ces derniers étant principalement vulnérables à cause du risque de catastrophes naturelles, et par ricochet les services d’urgence, de secours, et le monde de la santé. Enfin, les secteurs bancaires et assurantiels seront aussi de plus en plus affectés par l’augmentation de la fréquence, de l’intensité et des dégâts causés par les événements climatiques extrêmes. Côté assurances, on peut lire dans La Tribune que “le coût des sinistres liés aux catastrophes naturelles pourrait être multiplié par cinq d’ici à trente ans”, d’après l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution. Côté banques, un nouveau rapport de Reclaim Finance indique que les banques européennes sont « mal préparées à la perte de valeur de leurs actifs fossiles« . 

    Le rapport “Assessing the Implications of Climate Change Adaptation on Employment in the EU” indique que ce sont l’industrie manufacturière et les services collectifs, le commerce de détail et les loisirs qui souffriront le plus des conséquences en termes de pertes d’emplois, comptabilisant environ 100 000 pertes pour les deux secteurs d’ici 2050, puis les services aux entreprises (informatique, services juridiques, gestion des installations, etc.) et les services publics (jusqu’à 90 000 emplois perdus pour les deux), si aucune mesure d’adaptation n’est prise. 

    Ces difficultés et pertes d’emplois seront à la fois dues aux conséquences directes des catastrophes naturelles liées au dérèglement climatiques (tempêtes, inondations, canicules, etc) et génératrices de chocs économiques, mais aussi à une perte de productivité liée aux conditions de travail. 

    Pourquoi une telle réduction de la productivité au travail ? Parce qu’il a été démontré que les températures idéales pour un travail efficace devraient être comprises entre 16 et 24°C, selon le type de travail effectué. La productivité au travail a déjà été réduite depuis le début des années 2020 selon l’Organisation Internationale du Travail (OIT). En effet, “entre 2000 et 2015, 23 millions d’années de vie active ont été perdues chaque année au niveau mondial en raison de ces risques”. Après la construction, c’est l’agriculture qui fait partie des secteurs d’ores et déjà les plus touchés, avec 60% des heures de travail perdues d’ici 2030. 

    Face à la menace du changement climatique, des chercheurs britanniques ont par ailleurs révélé dans une étude que diminuer le temps de travail permettrait de réduire les émissions de gaz à effet de serre drastiquement, car cela conduirait à une réduction des déplacements, de la production de biens de consommation et d’envois de mails. Les chercheurs préconisent dans cette étude de réduire le temps de travail à 9h par semaine, bien loin des 36h hebdomadaires moyennes travaillées par les Européen-nes. 

    Outre la perte de productivité, l’augmentation des températures entraîne également une perte de vigilance, ce qui augmente les risques d’accidents du travail (chutes, manipulation de produits chimiques).

    Les conséquences du dérèglement climatique, notamment la hausse des températures, l’évolution de l’environnement biologique et chimique et la modification de la fréquence et de l’intensité de certains aléas climatiques, ont un impact sur les travailleurs et les risques professionnels auxquels ils et elles font face. Elles augmentent la pénibilité du travail mais favorisent également les accidents et les risques psycho-sociaux.

    A mesure que le dérèglement climatique s’aggrave, la santé et la sécurité des travailleurs sont de plus en plus mises en danger. Le “Guide pour les syndicats : Adaptation au changement climatique et monde de travail” revient sur les effets du changement climatique sur la santé et la sécurité des travailleurs. Le stress thermique, l’épuisement lié à la chaleur, les boutons de chaleur, les syncopes et les évanouissements sont autant d’impacts sur la santé auxquels les travailleurs devront faire face, notamment dans les secteurs les plus touchés.

    Travailleurs : canicules, stress thermique et événements extrêmes 

    Les vagues de chaleur augmentent fortement la pénibilité de leur travail et les risques pour leur santé. Face à l’augmentation des périodes de canicule, le cas des travailleur·se·s en extérieur, dans les secteurs du BTP, de l’agriculture et de la restauration est révélateur car ils et elles se retrouvent en première ligne des impacts des fortes chaleurs, de plus en plus intenses et fréquentes. C’est le cas par exemple des livreurs à vélo qui livrent les repas lors de fortes chaleurs en fournissant un effort physique important sur des routes bitumées brûlantes. 

    Ce sont donc souvent les travailleurs les moins bien rémunérés et qui exercent les métiers les plus physiques, qui sont les plus exposés aux risques climatiques et aux événements météorologiques extrêmes et donc à des conditions de travail difficiles. Elles et ils sont aussi plus exposé-es au stress thermique qui peut mener à des coups de chaleur, c’est-à-dire à des températures qui s’élèvent au-delà de ce que le corps humain peut supporter sans souffrir de trouble physiologique. Les coups de chaleur peuvent être fatals et aller jusqu’au décès. Les risques de malaises, de blessures à cause de la diminution de la vigilance, de déshydratation, et de fatigue physique et mentale sont aussi exacerbés. Au cours des deux épisodes caniculaires de l’été 2019, dix personnes sont décédées sur leur lieu de travail, dont une majorité d’hommes travaillant en extérieur. Pendant les canicules 2020, 12 accidents du travail mortels liés à la chaleur ont été signalés par l’Inspection Médicale du Travail. 

    L’exposition à la chaleur peut également entraîner des complications de nombreuses maladies chroniques, notamment les maladies respiratoires, les maladies cardiovasculaires, le diabète et les maladies rénales

    Le lien entre changement climatique et exposition à des produits chimiques est aussi inquiétant. En effet, “des températures et une humidité élevées affecteraient les réponses physiologiques du corps aux agents toxiques de l’environnement. Ainsi, par exemple, une peau chaude et humide favorise l’absorption des produits chimiques”. Dans ces conseils aux agriculteur·rice·s en cas de forte chaleur, le Ministère de l’Agriculture rappelle les risques d’intoxication aux produits chimiques du fait d’une transformation plus rapide des produits phytosanitaires en vapeur et de leur plus grande absorption par l’organisme (voies respiratoires et peau).

    En 2012, un rapport de l’organisation internationale du travail “Working towards sustainable development” révélait que l’agriculture était “le plus gros employeur mondial avec plus d’un milliard de travailleurs, y compris un grand nombre d’ouvriers agricoles pauvres et d’agricultures vivriers (essentiellement des femmes)”. Or, le secteur est un des plus vulnérables face au changement climatique, tout en étant à la fois un des plus émetteurs de gaz à effet de serre au monde – en 2018, il était responsable de 19% des émissions de la France selon le Haut Conseil pour le Climat

    Les agriculteurs pâtissent déjà et pâtiront de plus en plus des effets du dérèglement climatique sur leurs cultures. Les sécheresses mais aussi les cycles de développement de plus en plus précoces des végétaux mettent en danger les cultures. Le mois d’avril 2021 a été particulièrement ravageur pour les exploitations françaises, à cause d’un épisode de gel intense, juste après que des records de températures maximales aient été battus au mois de mars. Les arboriculteurs, viticulteurs et maraîchers ont été les plus durement touchés par ce phénomène qui risque des s’accentuer avec le dérèglement climatique. 

    Le modèle agricole doit donc être revu pour s’adapter au défi climatique et pour la souveraineté alimentaire. Dans son rapport de 2014, le GIEC alertait déjà sur la menace d’une baisse des rendements des principales cultures (blé, maïs, riz…) “de 2% par décennie si les émissions mondiales de gaz à effet de serre ne sont pas divisées par deux d’ici à 2050”. Selon les Nations Unies, 1,5 milliard de personnes, soit 600 millions de plus qu’aujourd’hui, souffriront de la faim à la fin du siècle si nous maintenons nos émissions à leur niveau actuel. L’augmentation du niveau des océans, qui pourrait atteindre près d’un mètre à la fin du siècle (et bien davantage au-delà), menace également une part importante de l’activité agricole des Etats côtiers

    En Europe, quelques exemples sont déjà visibles. En Italie, par exemple, en 2019, l’augmentation des températures a créé un fléau de punaises dévoreuses de cultures, causant des centaines de millions d’euros de pertes. Plus au nord, en Finlande, qui est un important pays producteur d’orge et d’avoine de printemps, la fertilité du sol est en baisse, car des périodes humides et sèches plus fréquentes privent la terre de nutriments, selon un récent rapport de l’Agence européenne pour l’environnement.

    Paradoxalementdans certaines régions européennes, les températures plus chaudes ont favorisé les cultures. C’est le cas en Russie par exemple, où la superficie consacrée au blé d’hiver – premier pays expéditeur de cette culture – s’est étendue grâce à l’amélioration de la qualité des semences et à la douceur du climat. Selon un document de la Commission européenne, le changement climatique pourrait également favoriser les rendements du blé et du maïs en Europe de l’Est.

    Le code du travail indique que tout employeur doit prendre en considération les “ambiances thermiques”, mais il reste assez flou sur les règles à suivre lors de vagues de chaleur et aucun seuil de température maximale n’est fixé dans la loi

    Il existe bien une obligation générale du ou de la responsable, qui doit, en période de canicule ou non, veiller à la sécurité et la santé physique et mentale de ses employé·e·s, comme indiqué dans l’article L4131-1 du Code du travail. Cependant, en dehors des quelques normes précises telles que celles obligeant à fournir aux personnes travaillant en extérieur trois litres d’eau par jour ainsi qu’un abri, les autres éléments ne sont que des recommandations. Ainsi, l’Institut National de Recherche et de Sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles propose des aménagements du travail en périodes de canicules : modification des heures de travail (commencer et finir plus tôt), pauses plus régulières, diminution de la cadence du travail, arrêt des appareils électriques non nécessaires ou encore accès à l’eau. De même, dans ses rapports « Recommandations canicule », le Ministère de la Santé rappelle les bonnes pratiques aux employeur·se·s avant l’été (évaluation des risques, mise à disposition de locaux, affichage des recommandations) et pendant les vagues de chaleur (informer des risques, adapter les horaires de travail) permettant d’assurer la santé et la sécurité de leurs employé·e·s. 

    Dans le cas particulier des catastrophes naturelles, légalement, les salariés ont le droit avec l’accord de leur employeur à un congé non rémunéré de 20 jours par an dans la zone où il habite ou travaille.

    Ainsi, il apparaît nécessaire d’adapter les conditions de travail aux nouvelles conditions climatiques. Maintenir les heures de travail habituelles pour les métiers les plus exposés, notamment pendant les heures les plus chaudes (pour les travailleurs en extérieur) ne fera que contribuer à l’augmentation des accidents du travail et à la menace sur les conditions de travail dans ces secteurs. Cette adaptation permettra également de créer des emplois : certains indices laissent à penser qu’en Europe, au moins 500 000 emplois supplémentaires seront directement ou indirectement créés d’ici 2050 grâce à l’augmentation du nombre d’activités liées à l’adaptation. 

    Face à ces risques, la vulnérabilité des travailleur·se·s est de plus en plus prise en compte dans les plans d’adaptation nationaux (PNACC) et par des organismes comme l’ANSES. Pourtant, il y a encore une méconnaissance des dangers liés aux coups de chaleur et à ses conséquences, à la fois pour les employeur·se·s et les employé·e·s. Ces vulnérabilités posent des questions de justice sociale et de travail décent.

    Face à ces pertes déjà importantes de revenus, des citoyen-nes se tournent vers les tribunaux. En Allemagne en 2019, trois familles d’agriculteurs bio avaient lancé une action en justice, après avoir “perdu plus d’un tiers de leur récolte de millet, la moitié de leur récolte de foin« , une catastrophe pour leurs conditions de vie et leur futur. Les familles demandaient à l’Etat allemand de respecter ses propres objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre à l’horizon 2020 pour protéger les droits fondamentaux. Le recours a été rejeté par la cour administrative de Berlin, mais des enseignements peuvent en être tirés

    Une autre action en justice, le People’s Climate Case, lancée en 2018, regroupait 10 familles plaignantes d’Europe et du monde, dont plusieurs personnes voyaient leurs conditions de travail se détériorer par les effets déjà visibles du dérèglement climatique, à cause des impacts sur le tourisme, l’agriculture, le secteur forestier. Maurice FeschetAlfredo SendimMaike Recktenwald et d’autres demandaient à l’Union européenne de réhausser son ambition de réduction des émissions de gaz à effet de serre, afin de protéger leurs droits fondamentaux. Leur action n’a malheureusement pas abouti, à cause d’un cruel manque d’accès à la justice en Europe.

    La France est cependant plus épargnée que d’autres pays par les conséquences du dérèglement climatique à l’heure actuelle.Les travailleurs de nombreux autres pays sont – et seront – beaucoup plus touchés notamment du fait des conditions climatiques déjà existantes. Par exemple, au-delà de la chaleur, le taux d’humidité est un facteur important car il joue sur la sudation et donc les mécanismes biologiques de refroidissement du corps humains. Selon des modèles climatiques, une hausse de 2,5°C pourrait exposer plus d’un milliard de personnes à des conditions climatiques non compatibles avec le travail pendant au moins un mois de l’année. Dans une étude publiée en 2016 consacrée aux impacts de la chaleur sur le travail, le Climate Vulnerable Forum indique que les régions les plus touchées seront l’Afrique de l’Ouest et l’Asie du Sud pour lesquelles il est estimé qu’environ 5% des heures travaillées seront perdues en 2030. 

    • Des métiers rendus plus difficiles par l’évolution du climat

     Les travailleurs les plus touchés sont d’ores et déjà les travailleurs les plus pauvres et vulnérables. Ces derniers n’ont pas le choix d’aller travailler malgré les conditions climatiques et ne sont pas protégés par le droit du travail. Ainsi, en 2015, la canicule a tué plus de 1 000 personnes au Pakistan, dont un nombre important de travailleurs précaires. Le dérèglement climatique va accentuer la pression sur ces travailleurs et les inégalités sociales.

    Les métiers agricoles notamment sont rendus plus difficiles par le dérèglement climatique. La sécheresse, tout comme la montée des eaux et les fortes pluies, réduit la production agricole et impacte l’élevage. Or, l’agriculture est le premier pourvoyeur d’emplois à l’échelle de la planète. En plus des pertes de revenus liées aux évolutions climatiques, les conditions de travail se dégradent. Ainsi, les paludiers en Inde font face à une perte d’un quart de leur production par an associée à une perte de qualité (et donc une diminution du prix) du fait des fortes pluies et des tempêtes de sable. En parallèle, ils doivent travailler en plein soleil sous des températures pouvant désormais aller jusqu’à 54°C. 

    • Le renforcement de l’esclavage moderne

    Le dérèglement climatique a un impact sur l’esclavage moderne. En rendant plus vulnérables les populations et en renforçant les inégalités, il facilite l’esclavagisme. Pour Michel Veuthey, “la traite se développe parce qu’il y a vulnérabilité. Aujourd’hui, il faudrait ainsi intégrer l’enjeu du combat contre la traite des personnes dans le cadre plus large de la lutte contre le changement climatique, car en créant des vulnérabilités, le changement climatique fait naître de nouveaux réseaux de traite”. 

    Selon l’Organisation Internationale du Travail, les personnes déjà victimes de discriminations et d’inégalités, notamment les femmes et les filles, sont les principales victimes et 40,3 millions de personnes sont victimes de l’esclavage moderne. 

    Au Cambodge, des personnes chassées de leurs terres par la sécheresse ont vu leurs dettes rachetées par des propriétaires d’usines qui les exploitent en vue d’un remboursement. Les déplacés climatiques – et leurs enfants – se retrouvent emprisonnés dans une servitude pour dette car les sommes qu’ils gagnent en travaillant sont insuffisantes pour rembourser ce qu’ils doivent. En Europe, les risques d’esclavage moderne sont aussi en augmentation, notamment pour les personnes migrantes. Ce fléau risque donc de poursuivre sa croissance avec le développement des migrations liées directement ou indirectement au dérèglement climatique. 

    Amnesty International a participé à la mise en œuvre de la Loi britannique de 2015 sur l’esclavage moderne relative à la transparence des chaînes d’approvisionnement, laquelle oblige les organisations qui mènent des activités au Royaume-Uni, et dont le chiffre d’affaires total est supérieur ou égal à 36 millions de livres sterling, à indiquer quelles mesures elles adoptent pour veiller à ce que les acteurs de leurs chaînes d’approvisionnement mondiales ne se livrent pas à des pratiques d’esclavage moderne.

  • CP / Elections régionales : 38 propositions pour une région à la hauteur de l’urgence climatique et sociale

    Communiqué de presse – Jeudi 6 mai 2021

    Ce 6 mai, Notre Affaire à Tous publie ses propositions à destination des candidat·e·s aux élections régionales qui se tiendront les 20 et 27 juin 2021. Par ses compétences propres, la région est un échelon territorial essentiel pour engager une transition écologique et sociale, et lutter contre le dérèglement climatique. Notre Affaire à Tous propose ainsi des outils et des pratiques afin que ces enjeux soient pris en compte par les élu·e·s locaux·ales.

    Alors que le mouvement pour la justice climatique met en avant les préoccupations grandissantes des citoyen·ne·s pour les questions socio-environnementales et que de nombreuses personnes sur le territoire français sont déjà confrontées aux impacts du dérèglement climatique, la région doit intégrer de façon transversale, dans toutes ses politiques et activités, la problématique environnementale et les enjeux sociaux qui y sont liés. 

    L’échelon régional, souvent peu mis en avant, est pourtant au centre des réformes législatives récentes, et du projet de loi 4D, afin de positionner la région comme collectivité cheffe de file de la transition écologique. Il est essentiel que les futur·e·s élu·e·s se saisissent pleinement de ces compétences. 

    Ainsi, forte des constats tirés de son rapport “Un Climat d’inégalités” et de ses actions au niveau local, Notre Affaire à Tous a développé 38 propositions réparties en 8 grandes thématiques :

    • La conservation et sensibilisation autour de la biodiversité ;
    • La résilience du territoire à l’échelle de la région ;
    • La santé à l’échelle régionale ;
    • L’éducation, la formation et la sensibilisation aux enjeux climatiques ;
    • La participation au sein de la région ;
    • La nécessité de la recherche sur la justice environnementale ;
    • La vie quotidienne, économique et sociale ;
    • Le cadre de vie : logement et alimentation.

    Ces propositions s’appuient sur les compétences des régions, les outils déjà disponibles et les bonnes pratiques à développer afin de mettre en œuvre la justice environnementale à l’échelle régionale.

    Pour Notre Affaire à Tous : “La région se doit d’utiliser tous les leviers à sa disposition pour garantir le droit à un environnement sain de toutes et tous et dans le même temps, préserver le vivant : le mandat à venir s’ancre dans l’urgence climatique contre laquelle des mesures socio-environnementales devront être élaborées pour une réelle transition juste”.

    Contacts presse

    • Clothilde Baudouin, chargée de plaidoyer inégalités climatiques : 06 09 73 39 39
    • Chloé Gerbier, juriste de l’association Notre Affaire à Tous : 06 46 43 55 09