Catégorie : Inégalités climatiques

  • IMPACTS – Lutte LGBTQIA+ et justice climatique

    Le mois de juin s’est achevé. Il marque chaque année depuis plus de 50 ans un temps important de la lutte contre les discriminations liées à l’orientation sexuelle et aux identités de genre, avec l’organisation de “prides” et d’événements partout dans le monde. Dans le prolongement de ce “mois des fiertés”, Notre Affaire à Tous revient sur les liens entre climat et mouvement LGBTQIA+ dans un nouveau numéro d’IMPACTS, sa revue mettant en lumière les conséquences des changements climatiques et les inégalités de leurs impacts.

    Le mouvement LGBTQIA+ témoigne du pouvoir de l’action collective, de la poursuite de l’égalité et de l’acceptation de tous·tes les individu·es, quelle que soit leur orientation sexuelle ou leur identité de genre. Né d’une riche histoire de lutte, de résilience et d’activisme, le mouvement est devenu un phénomène international qui participe de manière significative aux progrès vers l’inclusivité.

    Les origines du mouvement LGBTQIA+ remontent au début du XXe siècle, lorsque certain·e·s courageux·euses ont commencé à défier les normes sociétales et les lois oppressives qui marginalisaient les minorités sexuelles et de genre. Cependant, ce sont les événements du 28 juin 1969, connus sous le nom d’émeutes de Stonewall, qui ont déclenché une étincelle qui façonnera le cours de l’histoire LGBTQIA+. 

    Le Stonewall Inn, un bar gay de New York, est devenu l’épicentre d’un mouvement de résistance lorsque des clients ont riposté à une descente de police violente et injustifiée. Ce soulèvement a marqué un tournant, galvanisant la communauté et entraînant l’émergence d’un militantisme LGBTQIA+ à plus grande échelle.

    S’appuyant sur l’élan généré par le soulèvement populaire de Stonewall, la première “Pride March” officielle a eu lieu aux États-Unis le 28 juin 1970, commémorant le premier anniversaire du soulèvement. 

    Marsha P Johnson, une femme trans, noire et militante est désormais reconnue comme une figure de proue du soulèvement de Stonewall et est aujourd’hui devenue un symbole de l’activisme LGBTQIA+« 

    Portrait of Marsha P. Johnson, Freedom Fighter » by andydr is marked with CC0 1.0.

    Quelques années plus tard, outre-Atlantique, la communauté LGBTQIA+ française organise sa propre manifestation, la toute première « Marche des fiertés » à Paris le 25 juin 1977. Moins connue que son équivalent américain, la « Marche des fiertés » de 1977 est également une des toutes premières initiatives sur le continent européen.

    La première Marche des fiertés LGBT, le 25 juin 1977 à Paris. (ANNE-MARIE FAURE-FRAISSE)
    (Source : FranceTV Info)

    Cette marche, menée par le Mouvement de Libération des Femmes (MLF) et le Groupe de Libération Homosexuelle (GLH), a rassemblé 300 manifestant·es. Marie-Jo Bonnet, l’une des participantes de la marche de 1977, a partagé dans une interview pour FranceTV que l’événement constituait la première instance française où les personnes LGBTQIA+ “existaient” fièrement et visiblement dans le pays (1). Elle poursuit en soulignant les interconnexions profondes entre le mouvement queer des années 70, alors émergent, et le mouvement féministe déjà établi depuis les années 30 et 60 (2) :

    « C’était une manifestation de femmes, il y avait très peu d’hommes […] C’était une action féministe avant tout. L’idée de manifester avait été transmise par les femmes du MLF, et en particulier les homosexuelles présentes au sein du mouvement. »
    Marie-Jo Bonnet, historienne et militante féministe

    Photo: Wikipedia (CC BY-SA 4.0)

    Depuis ces événements pionniers, les marches des fiertés se sont grandement développées, tant en termes de portée géographique que de nombre de participant·es. Au fil des années, le mouvement LGBTQIA+ a gagné en visibilité, mobilisant diverses communautés et allié·es à se rejoindre dans la défense des droits des personnes LGBTQIA+. L’évolution de la “Pride” ne se limite pas aux États-Unis et à la France ; c’est devenu un phénomène mondial, des villes du monde entier organisent leurs propres événements Pride. De Londres à Sydney, de São Paulo à Tokyo, environ 20 millions de personnes dans le monde descendent dans la rue pour célébrer l’amour, la diversité et l’égalité.

    Néanmoins, il semble également important de souligner que le mouvement “Pride” trouve ses racines dans une lutte contre l’injustice; et de faits bien plus sombres que les couleurs arc-en-ciel attribuées au mouvement aujourd’hui. À l’époque de Stonewall, le mouvement queer émerge du plaidoyer des personnes trans et non-binaires noir·es contre les violences policières répétitives qu’iels subissaient. Et malgré ce que beaucoup considèrent maintenant comme une célébration mondiale, 64 pays du monde criminalisent encore les relations de même sexe et beaucoup d’autres exercent toujours une violence systémique sur leurs citoyen·es LGBTQIA+ à l’aide de lois et normes qui limitent leurs droits et leur existence (3). De nombreuses personnes ignorent encore les inégalités exacerbées auxquelles la communauté LGBTQIA+ est confrontée, à l’école, au travail, ou encore face à la justice et au changement climatique. Pour Notre Affaire à Tous, cette édition est l’occasion de s’engager sur une perspective queer et féministe de l’écologie et de réitérer son combat pour la justice sociale et climatique. Nous espérons que cette édition participera humblement au combat que les précédentes générations ont entrepris et donnera la parole – à travers le prisme de la question climatique – à des communautés trop souvent ignorées.

    Inégalités climatiques : la communauté LGBTQIA+ parmi les premiers concernés

    Les personnes LGBTQIA+ sont concerné·es par les inégalités climatiques : iels font partie des populations particulièrement à risque face aux impacts des changements climatiques du fait des discriminations et des violations de leurs droits fondamentaux. Iels sont également confronté·es à des difficultés spécifiques qui ne sont pas prises en compte par les politiques publiques, ce qui renforce leur vulnérabilité.

    Discriminations et accès au logement digne : des facteurs de risque face aux changements climatiques et aux nuisances environnementales

    Les personnes LGBTQIA+ sont parmi les plus concerné·es par les impacts du réchauffement climatique tout d’abord du fait de leur situation face au logement. Au niveau mondial, les personnes LGBTQIA+ sont surreprésenté·es parmi les personnes en situation de pauvreté selon l’OCDE et la Banque Mondiale (4), la situation économique ayant un impact évident sur l’accès et la qualité du logement. Si les études sont peu nombreuses en France, des chercheurs anglo-saxons ont démontré que les personnes LGBTQIA+ étaient nombreux·ses parmi les sans-abris et les personnes en situation d’errance, leur identité de genre ou leur orientation sexuelle amenant une rupture avec leurs réseaux familiaux ou étant à l’origine de discriminations leur rendant plus difficile l’accès au logement. Aux Etats-Unis, une étude estime que les jeunes de 18 à 25 ans s’identifiant comme LGBTQIA+ avait 2,2 fois plus de risque de vivre dans la rue que les jeunes du même âge s’identifiant comme hétérosexuel·les (5). Pour le cas français, dans son 28ème rapport sur le mal-logement publié en février 2023, la Fondation Abbé Pierre rappelle que les discriminations au travail et au logement des personnes LGBTQIA+, invisibilisé·es en France, sont monnaie courante et entraînent les personnes dans des situations de mal-logement ou de sans-abrisme (6). Or, le mal-logement et le sans-abrisme sont synonyme d’absence  de protection ou de protection limitée face aux intempéries ou aux fortes chaleurs, de difficultés d’accès à l’eau (pour boire, se laver, cuisiner…), de difficultés d’accès à l’énergie (et donc à la fois au chauffage mais aussi aux équipements nécessaires en cas de canicule comme les réfrigérateurs), etc. Les personnes mal-logé·es en France, parmi lesquel·les un nombre important de personnes LGBTQIA+, sont donc en première ligne face aux impacts des changements climatiques.

    Ces mauvaises conditions de logement ont des impacts sur la santé des personnes (7). Santé Publique France a déjà souligné le lien entre mal-logement et décès lors des canicules (8). Les personnes mal-logé·es ont plus de chance d’avoir des problèmes de santé que les personnes bien logé·es. Ces problèmes de santé rendent ensuite les personnes encore plus vulnérables aux conséquences du réchauffement climatique, créant un véritable cercle vicieux. De nombreuses maladies chroniques (maladies cardiovasculaires, maladies rénales, allergies, asthme, santé mentale, etc) sont renforcées par les changements climatiques et leurs conséquences (9). Et ce alors que les personnes LGBTQIA+ sont déjà statistiquement plus exposé.e.s aux problèmes de santé mentale comme la dépression ou l’anxiété; aux maladies sexuellement transmissibles comme le VIH; aux addictions; et qu’iels subissent des discriminations au cours de leurs parcours de soins (10). Le cercle vicieux des problèmes de santé face au réchauffement climatique est donc exponentiel pour les personnes LGBTQIA+.

    Les conséquences des événements climatiques extrêmes : une hausse des violences anti-LGBTQIA+

    Face aux événements climatiques extrêmes, les personnes s’identifiant comme LGBTQIA+ sont généralement défavorisé·es par rapport aux personnes s’identifiant comme hétérosexuel·les. Tout d’abord car les discriminations subies sont un frein à une protection efficace contre les impacts du changement climatique. Les discriminations à l’embauche, les difficultés d’insertion liées aux préjugés, les problèmes de santé liés aux parcours de vie difficiles, etc, ont un impact sur la situation économique des personnes qui n’ont pas toujours les moyens de déménager, de rénover leur logement, ou de le reconstruire après un événement météorologique extrême.

    Lorsqu’un événement extrême survient, des personnes LGBTQIA+ peuvent se voir refuser l’accès aux lieux de mise à l’abri ou à différentes aides du fait de leur identité de genre ou de leur orientation sexuelle. Cela a été le cas par exemple suite au tremblement de terre à Haïti en 2020 (11). Mais ces problématiques émergent également dans des pays où la reconnaissance des droits des personnes LGBTQIA+ est plus avancée. Des études menées aux Etats-Unis ont montré que les personnes LGBTQIA+ ont été victimes de violences et / ou marginalisé·es suite à l’ouragan Katrina en 2005 (12). Des personnes trans se sont vu·es refuser de l’aide humanitaire en raison de l’absence de documents d’identité correspondant à leur genre et leur nom actuel, tandis que des couples de même sexe n’ont pas été considérés comme des familles par des organismes fédéraux limitant l’aide reçue – en général au détriment de leurs enfants – du fait de la définition par ces organismes du termes « foyer » (« household »)(13). A cela s’ajoute la difficulté d’accès aux médicaments ou la prise en compte de leurs problématiques particulières.

    Dans les situations post-catastrophes, les personnes LGBTQIA+ ont plus de risque de subir du harcèlement et des violences, y compris physiques (14). Lors des inondations de 2011 en Australie, 43% des personnes s’identifiant comme LGBTQIA+ indiquaient craindre pour leur sécurité dans les rues, les parcs mais aussi les centres d’évacuation (15).

    Encore une fois, les études menées en France sur les conséquences des événements climatiques extrêmes, de leurs impacts et des suites pour les personnes LGBTQIA+ sont très limitées amenant une véritable invisibilisation de la problématique (16).

    Déplacements et migrations climatiques : discriminations tout au long du parcours migratoire et absence de véritable protection pour les personnes LGBTQIA+

    Le réchauffement climatique est également générateur d’importants déplacements de populations : tant du fait de conséquences d’événements climatiques extrêmes et soudains (inondations, feux de forêts, tempêtes, etc) que de phénomènes de long terme (désertification de certaines régions, hausse du niveau de l’océan, etc), des personnes sont obligé·es de quitter leurs lieux de vie. La Banque Mondiale estime à 216 millions le nombre de déplacé·es climatiques à horizon 2050 (17). Or, du fait de leur vulnérabilité aux conséquences des changements climatiques, les personnes LGBTQIA+ sont plus susceptibles de devoir fuir pour survivre. Les discriminations qu’iels subissent leurs font alors courir des risques supplémentaires (18). Au cours de leurs parcours migratoires, iels peuvent subir des violences et abus du fait de leurs orientations sexuelles ou de leur identité de genre. L’arrivée dans une nouvelle communauté peut les amener à subir de nouvelles discriminations et violences. Iels peuvent également n’avoir d’autre choix que de traverser une frontière les amenant dans un État où les relations homosexuelles ou leurs identités de genre sont criminalisées (19), et parfois même punies de mort (20). Iels courent alors d’importants risques de persécutions. Si finalement iels arrivent en Europe ou en France (ce qui est le cas pour un petit pourcentage de personnes exilé·es, la plupart d’entre elleux s’installant dans les pays limitrophes de leur pays d’origine (21)), iels risquent l’expulsion du fait de l’absence de protection et de statut de « réfugié·e climatique ».

    Les personnes LGBTQIA+ sont confronté·es à des problématiques particulières et à d’importantes discriminations qui les placent dans des situations de forte vulnérabilité face aux impacts des changements climatiques mais également dans les politiques et pratiques d’atténuation ou d’aide post-catastrophe. Malgré leur importance, ces inégalités climatiques sont peu étudiées au niveau mondial, et encore moins en France. Pourtant, de plus en plus d’activistes montrent qu’il existe des liens forts entre les questions climatiques et la lutte contre les discriminations des personnes LGBTQIA+.

    10 activistes LGBTQIA+ pour la justice climatique et environnementale

    Les luttes LGBTQIA+ et écologiques convergent encore peu en France mais dans les pays anglophones, notamment aux Etats-Unis, et dans les pays dit « du Sud », de nombreux et nombreuses militant·es LGBTQIA+ pour le climat et la justice sociale sont visibles et influent·es, que ce soit dans des associations ou d’autres mouvements de la société civile, des organisations politiques et/ou sur les réseaux sociaux. Toutes et tous revendiquent plus ou moins explicitement une démarche d’intersectionnalité.

    Voici 10 d’entre elleux, présenté·es par ordre alphabétique.

    Deseree Fontenot (elle / iel)

    Deseree est la co-directrice du Movement Generation : Justice and Ecology Project, qui sensibilise des centaines d’organisations et d’individus aux enjeux de la justice écologique par le prisme de la relation à la terre, aux écosystèmes et des interactions entre des individu·es et des communautés réparties dans tous les Etats-Unis.

    Deseree a aussi co-fondé le Queer EcoJustice Project en 2016. Cette plateforme met en avant des projets collaboratifs mêlant justice écologique et droits des personnes LGBTQIA+, afin de créer un ensemble de ressources et une communauté autour de ces sujets. Par exemple, le projet Rhizomatique cherche à comprendre les liens entre les mouvements queer et environnementaux grâce à des entretiens qui mettent en avant des militant·es LGBTQIA+ pour l’environnement et l’émergence de ce mouvement. Ce projet vise aussi à présenter une « contre-mémoire » aux mouvements passés, en visibilisant les luttes queer jusque-là non historicisés et reconnues. Enfin, le projet souhaite proposer des pistes de stratégies possibles pour les organisations environnementales afin de construire des mouvements plus diversifiés.

    Elle travaille actuellement au Center for Lesbian and Gay Studies in Religion and Ministry à Berkeley en Californie.

    Gabriel Klaasen (il / iel)

    Gabriel vit au Cap en Afrique du Sud, où il est coordinateur de l’African Climate Alliance, un mouvement de jeunes né en 2019 après les premières manifestations d’ampleur pour le climat en Afrique du Sud. Ce mouvement appelle à une véritable justice climatique intersectionnelle et développe un réseau d’organisations et de jeunes militant·es dans toute l’Afrique. 

    Gabriel est également responsable de la communication de l’organisation Project 90 by 2030 qui poursuit les mêmes objectifs. Il a notamment permis de faire reconnaître au sein du mouvement climatique sud-africain la façon dont l’imbrication des crises liées aux inégalités sociales et au dérèglement climatique affecte davantage les personnes et les zones les plus touchées de la société (Most Affected People and Areas, ou MAPA), telles que les communautés indigènes noires et les personnes de couleur (Black Indigenous and People of Colour, ou BIPOC), ainsi que les personnes LGBTQIA+. Il a aussi mis en avant le rôle majeur de ces populations dans la construction d’un futur plus désirable.

    Isaias Hernandez (il)

    Isaias est un éco-influenceur mexicano-américain vivant en Californie. Diplômé en sciences de l’environnement, il utilise les réseaux sociaux pour parler de façon accessible de justice environnementale, de véganisme et de modes de vie zéro déchet. Il traite également des inégalités climatiques, en particulier celles subies par les communautés pauvres, racisées et/ou LGBTQIA+. Ayant lui-même été confronté à ces inégalités, il souhaite offrir un espace d’échanges bienveillant via ses réseaux sociaux.

    Vous pouvez le suivre sur Instagram @queerbrownvegan, Twitter @queerbrownvegan et TikTok @queerbrownvegan. Son site internet, Queer Brown Vegan, comporte aussi de nombreuses ressources.

    Izzy McLeod (iel)

    Izzy vit à Cardiff au Pays de Galles. Sur son blog The Quirky Environmentalist et ses réseaux sociaux, iel lie questions écologiques, inégalités et droits des personnes LGBTQIA+. Iel traite en particulier de la mode, défendant un système soutenable pour la planète et qui n’exploite pas les travailleurs et travailleuses impliqué·es dans la chaîne de production. Iel a notamment lancé en 2019 la campagne « Who made My Pride Merch » qui appelle les marques affirmant soutenir les personnes LGBTQIA+ à être plus transparentes sur les conditions de fabrication de leurs produits et à mieux protéger les droits des travailleurs et travailleuses, ces dernier·ères étant particulièrement vulnérables et exploité·es dans les pays où iels ont peu, voire aucun droit.

    Izzy cherche également à mettre en avant sur ses réseaux des personnes de communautés marginalisées afin de montrer les inégalités qu’iels subissent, et de découvrir et apprendre des façons différentes d’être au monde.

    En plus de son blog, vous pouvez suivre Izzy sur Instagram @muccycloud, Facebook Muccycloud et Twitter @muccycloud.

    Jerome Foster II (il / iel)

    Jerome siège au Conseil consultatif sur la justice environnementale de la Maison Blanche depuis 2021, dont il est le plus jeune membre. En 2019, il a notamment parlé de la crise climatique devant le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme et le Comité spécial sur la crise climatique de la Chambre des représentants. La même année, il a organisé des grèves pour le climat du mouvement Fridays for the Future devant la Maison Blanche.

    Il a également créé une organisation, OneMillionOfUs devenue Waic Up, qui cherche à impliquer les jeunes dans la vie civique et à informer sur des sujets tels que la violence liée aux armes à feu, le changement climatique, l’immigration, l’égalité de genre et de race.

    En 2022, Jerome et son partenaire, Elijah McKenzie-Jackson, un autre activiste climatique, ont écrit une lettre à l’ONU appelant l’institution internationale à ne pas organiser la COP27 en Égypte en raison des atteintes aux droits des personnes LGBTQIA+ et des femmes.

    Vous pouvez suivre Jerome sur Twitter @JeromeFosterII, Instagram @jeromefosterii et TikTok @iamjeromefosterii.

    Mitzi Jonelle Tan (elle / iel)

    Mitzi est une militante écologiste philippine qui met en particulier en avant les enjeux de justice climatique – notamment entre pays « du Nord » et « du Sud » – dans un pays très vulnérable au changement climatique (typhons, inondations…) et particulièrement dangereux pour les militant·es.

    Elle a co-fondé en 2019 l’organisation Youth Advocates for Climate Action Philippines (YACAP), l’équivalent de Fridays for the Future aux Philippines, qui réclame des actions concrètes et systémiques pour répondre à la crise climatique, protéger les défenseur·euses de l’environnement et œuvrer en faveur de la justice climatique. Elle est aussi impliquée dans les mouvements Fridays for the Future International et Fridays for the Future MAPA (Most Affected People and Areas), au sein desquels elle milite pour l’anti-impérialisme, l’anti-colonialisme et met en avant l’intersectionnalité de la crise climatique. Elle encourage les jeunes des pays « du Sud » à s’impliquer dans des organisations locaux et internationales, et dans les processus politiques.

    Vous pouvez suivre Mitzi sur Instagram @mitzijonelle et Twitter @mitzijonelle, et YACAP sur Facebook Youth Advocates for Climate Action Philippines, Twitter @YACAPhilippines et Instagram @yacaphilippines.

    Natalia Villaran (elle)

    Natalia est une écoféministe et artiste Afro-Caribéenne vivant à Porto Rico aux Antilles. Elle revendique elle aussi une démarche intersectionnelle.

    Natalia est impliquée dans le mouvement #Queers4ClimateJustice (Q4CJ) lancé en 2018 qui demande à ce que le rôle des communautés LGBTQIA+, particulièrement vulnérables aux conséquences du changement climatique, soit reconnu par les mouvements écologistes. En tant qu’organisatrice de Q4JC, elle a notamment permis d’aborder la question de l’inclusion des personnes LGBTQIA+ avec les militant·es pour la justice climatique à Porto Rico. Elle a également permis à des personnes LGBQTIA+ de Porto Rico d’assister à la conférence nationale Creating Change 2023 à San Francisco. Cette dernière est organisée chaque année par le National LGBTQ Task Force afin de faire progresser la justice et l’égalité en faveur des personnes LGBTQIA+ aux Etats-Unis.

    Enfin, Natalia a publié en 2022 son premier livre, Desamor y Memorias de una Virgo (Le chagrin d’amour et les souvenirs d’une vierge), qui témoigne de son expérience en tant que femme racisée.

    Vous pouvez suivre le compte Instagram @queers4climatejustice et vous rendre sur son site.

    Pattie Gonia (elle / iel) / Wyn Wiley (il)

    Pattie Gonia est une drag queen créée par le photographe Wyn Wiley passionné par la nature. Pattie Gonia s’inscrit ainsi dans une démarche de justice sociale mais aussi d’activisme environnemental. Elle est connue pour parvenir à attirer l’attention sur les dommages environnementaux grâce à ses messages et ses tenues, telles que des robes fabriquées à partir de déchets plastiques, de feuilles et d’autres matériaux. Son compte rassemble désormais une communauté de personnes queer et d’allié·es sensibles aux questions écologiques et passionné·es d’expéditions dans la nature.

    Vous pouvez la suivre sur Twitter @PattieGonia, Instagram @PattieGonia et YouTube @PattieGonia7449.

    Precious Brady-Davis (elle)

    Precious est une femme transgenre vivant à Chicago. Elle est consultante sur les sujets de diversité, d’équité et d’inclusion, et directrice régionale adjointe de la communication pour la campagne Beyond Coal du Sierra Club, qui réclame la fermeture de toutes les centrales à charbon des États-Unis pour les remplacer par une production d’énergies renouvelables. Elle a été nommée en 2023 à la sous-commission de transition pour les droits de l’homme, l’équité et l’inclusion du maire de Chicago, Brandon Johnson.

    Precious est également conférencière et autrice de I Have Always Been Me publié en 2021, témoignage de son enfance et de son parcours en tant que femme transgenre de couleur.

    Vous pouvez la suivre sur Instagram @preciousbradydavis et Twitter @mspreciousdavis.

    Tori Tsui (elle / iel)

    Tori est une éco-activiste queer Hong-Kongaise vivant actuellement au Royaume-Uni. Elle a co-fondé la plateforme Bad Activist Collective qui permet de rassembler, dans une démarche d’intersectionnalité, des militant·es pour la justice raciale, climatique et les droits LGBTQIA+ au travers de l’art et de l’activisme. Tori traite en particulier de la santé mentale et du catastrophisme environnemental. En juillet 2023, elle publiera son livre It’s Not Just You qui explore les relations entre la crise climatique et la santé mentale. Dans cet ouvrage, elle appelle à ne pas individualiser « l’éco-anxiété », mais à s’en saisir collectivement afin d’interroger le rôle du système socioéconomique et politique dans le développement de cette « anxiété ».

    Elle a participé à un projet nommé « Sail For Climate Action » visant à donner une voix aux jeunes d’Amérique latine, des Caraïbes et de communautés indigènes afin de mieux représenter ces régions et communautés invisibilisées alors qu’elles font parties des premières touchées par les conséquences du réchauffement climatique. Avec d’autres militant·es pour le climat, elle a également lancé une campagne appelée « Pass The Mic » qui a pour but d’amener des personnalités et des marques influentes à mettre en avant des militant·es pour la justice climatique et des personnes déjà particulièrement affecté·es par la crise climatique.

    Vous pouvez suivre Tori sur Instagram @toritsui_, Twitter @toritsui, TikTok @toritsui, et consulter son site. Vous pouvez aussi suivre Bad Activists Collective sur Instagram @badactivistcollective.

    Interview de Vani Bhardwaj

    Vani Bhardwaj

    Doctorante à l’Indian Institute of Technology, Guwahati, Inde. Co-responsable du Cercle Genre et Justice Climatique de la Society of Gender Professionals. Responsable Politique chez Young Women In Sustainable Development. Chercheuse pour The Pixel Project, en particulier sur des projets et campagnes sur les violences sexistes et sexuelles. Autrice de Queering Conflict Transformation and Peace-building et de Queering Disasters In Light Of the Climate Crisis for the Gender in Geopolitics institute.

    Photo : LinkedIn

    Notre Affaire à Tous a eu la chance d’apprendre de Vani Bhardwaj, qui a pris le temps de répondre à nos questions. Vani poursuit son doctorat sur les intersections entre le changement climatique et le genre, en se concentrant plus particulièrement sur la façon dont les femmes et les populations queer en Inde et au Bangladesh sont touchées par les politiques liées à l’eau. En plus d’être doctorante à temps plein, Vani participe également à différentes initiatives de volontariat axées sur le genre et le changement climatique, notamment avec des organisations féministes queer aussi bien mondiales que locales.

    Vani a gentiment accepté de partager son expertise avec Notre Affaire à Tous, ainsi pour préserver l’authenticité académique de ses mots et de son travail, et pour maintenir l’intégrité des personnes à qui elle prête sa voix, cette interview sera rendue en anglais, avec seulement des points clés traduits en français.

    Notre Affaire A Tous (NAAT) : How do you think the experiences of LGBTQIA+ people, queer individuals intersect with environmental concerns and climate change impacts? 

    (Traduction : Comment pensez-vous que les expériences des personnes LGBTQIA+ s’entrecroisent avec les préoccupations environnementales et les impacts du changement climatique ?)

    Vani Bhardwaj (VB) : I believe environmental change is now known to have an exaggerated impact for women and girls, but what often gets omitted is that the queer population is also completely ostracized – there is a “queer blind narrative”  around ecology and how we approach ecology. So in order to incorporate the queer population within our climate change narratives, we need to reframe the way we understand ecology itself. For instance, when we look at public spaces that are somewhat “taboo” – which are ostracized, or at the outliers of a city or even a rural hinterland – that is very similar to the way the queer population is treated in India. 

    So when we look at, say, climate disasters, and we think of restabilizing the lives of the people afterwards, we never cater to the queer population. And there are particular intersectionalities that even the queer population is not really acknowledging themselves. I once talked to a queer person living in Delhi [capital of India] which observed a certain position of power compared to people living on the periphery of the country, like Guwahati [city in North-East India, between Bengladesh and Butan], the city I am located as we speak. Guwahati is home for Dalit people [i.e. lowest caste in India, “outcastes” and “underprivileged”) and when I addressed the conditions of life for Dalit queer people, the person living in Delhi completely denied the terms “Dalit queers” stating that the queer population itself is not “casteist”, it does not have caste-based discrimination. But that is not true, when we look not only at literature but also lived experiences of many Dalit scholars, they talk about how even the “Dalitality” (a concept attributed to Dr. Suraj Yengde) actually matters in everyday lives: Dalits are ostracized, and discriminated against when it comes to their career just on the based off caste, so they are doubly marginalized if that individual is Dalit and queer. 

    There is some kind of a blind spot within the Queer community regarding that. So when this Dalit queer individual was embedded in such a society, faces displacement due to climate disasters, which are caused by climate change, they are doubly and triply marginalized. They are almost silenced in the mainstream narrative, and I think that is why it is very crucial to focus on the queer narratives within the climate change impacts, and not only impacts, but consequences as well. We really need to reframe how we approach ecology as such and I think the particular stance of queer feminist political ecology is the most inclusive frame.

    🔑 Points clés en français :
    • Dans le contexte du changement climatique, il est largement reconnu que les femmes et les filles subissent un impact disproportionné. Cependant, un aspect souvent négligé est la marginalisation des populations queer. Les discours sur l’écologie et l’approche des problèmes environmentaux perpétuent l’invisibilisation des populations queer. Pour intégrer pleinement ces populations dans nos récits sur le changement climatique, Vani suggère de reformuler notre compréhension de l’écologie elle-même. 
    • Il existe un parallèle significatif entre la marginalisation des personnes queer et celle d’espaces publics « tabous », en périphérie des zones urbaines et rurales. De même, lorsqu’il s’agit de catastrophes liées au climat et de l’aide post-catastrophe, les besoins et les expériences des populations queer sont souvent négligés. Ce manque de considération perpétue leur marginalisation au sein de la société.
    • Même au sein de la communauté queer, les expériences intersectionnelles sont insuffisamment reconnues. Une conversation avec une personne queer vivant à Delhi a mis en évidence sa position de pouvoir relative par rapport à celleux qui résident en périphérie du pays, comme à Guwahati, où se concentrent les Dalits – la caste la plus basse de l’Inde, historiquement opprimée et marginalisée. Lorsqu’il est question des conditions de vie des queer Dalits, l’individu de Delhi nie l’existence de la « queer dalititude », affirmant que les personnes queer ne sont pas affectées par la discrimination basée sur la caste. Cependant, à la fois la littérature existante et les expériences vécues des chercheur·euses queer Dalits démontrent que l’identité Dalit influence considérablement leur vie quotidienne. Ainsi, les personnes queer Dalits font face à une double marginalisation, non seulement en raison de leur orientation sexuelle, mais aussi en raison de leur caste.
    • Face aux déplacements induits par le climat, les personnes queer Dalits se trouvent davantage marginalisé·es et réduites au silence. Leurs expériences et leurs voix sont souvent absentes des discours dominants. Il est crucial de se concentrer non seulement sur les impacts du changement climatique, mais aussi sur les conséquences auxquelles sont confrontées les communautés queer. Il devient donc impératif de reformuler notre approche écologique et d’adopter un cadre plus inclusif, tel que la perspective écologique politique queer féministe, qui offre une vision globale pour aborder ces questions.

    NAAT : Are there any specific initiative, policy or advocacy efforts that have emerged from the collaboration between queer and ecological movements you can think of and how effective have they been in addressing the concerns and claims of both groups ?

    (Traduction : Connaissez-vous des initiatives, des politiques ou des efforts de plaidoyer spécifiques qui ont émergé de la collaboration entre les mouvements queer et écologiques, et dans quelle mesure ont-ils été efficaces pour aborder les préoccupations et revendications des deux groupes ?)

    VB : I would say that the convergence of climate change issues and the queer population is really not clear in India. Living and working in a place which itself is at the periphery in India, we are already trying to normalize the narrative that people are not to be ostracized, because the narrative against LGBTQIA+ population is very much prevalent in the peripheries. We are still working on normalizing the fact that we are also human you know. That’s the kind of narrative that we need to normalize first. 

    I think the convergence between climate change issues and how it is exaggeratedly impacting LGBTQIA+ population has not really taken off in small Indian towns, it is much more prevalent in Mumbai or Delhi, which are the metro cities of the country. But in my own activism I have created a global and online community of practice approach in which we do invite grassroots scholars and academia together so people who are theoretically engaged in this space and who are practically on the ground, implementing and designing climate adaptation-related projects can come together and have these dialogue sessions. Many times when we talk about gender and climate justice frameworks, we have queer political activist from outside of the periphery who say that we need to go beyond these dialogue sessions but I think the ground realities are very different from the theory, particularly in Guwahati where the inclusion narrative has not really emerged. A local convergence of activism is not relevant and is almost ahead of its time in that sense. 

    🔑 Points clés en français :
    • Il y a encore peu de convergence des problématiques liées aux changements climatiques et au mouvement LGBTQIA+ en Inde, notamment dans les zones périurbaines et rurales. Ces convergences sont encore à créer dans ces régions, mais il semble d’abord nécessaire de lutter contre les discriminations subies par les personnes LGBTQIA+ et de normaliser un discours d’inclusion et de reconnaissance de droits.

    NAAT : What are some of the challenges or barriers faced by people either from the Global South, from the periphery, or even more locally in Guwahati in engaging with climate justice movements, and how would you say these challenges differ from the ones from the Global North or “Centre”?

    (Traduction: Quels sont les défis et/ou obstacles auxquels sont confrontées les personnes queers issues de la Périphérie ou plus localement à Guwahati lorsqu’elles s’engagent dans les mouvements pour la justice climatique? Comment diriez-vous que ces défis diffèrent de ceux des populations du Nord Global ou du « Centre » ?)

    VB : So first of all, if we look at it from a scholarly and theoretical manner, I always find it difficult to find any kind of literature regarding climate justice, queer population and their intersectionalities being explored in the “majority world’s academia”. Most, if not all the research available, usually comes from scholars from South Africa or Australia exploring the intersectional relations between the Global South and the queer population(s) getting impacted by climate change and climate disasters. In addition to being scholarly and theoretically limited, in a practical approach and real ground realities, when you do your ethnographic research and when you go to different households, you can’t expect a closeted person who has not come out yet to just be vulnerable to you outright for the sake of research. There is an inherent and prevalent patriarchy, transphobia and homophobia on ground realities within rural Bangladesh or India.

    Picture this, the Brahmaputra river is flooding year after year, and we want to talk about disaster relief efforts with locals. What we see is that there is no sex disaggregation or gender disaggregation based data and there is a high degree of chance that people who have not revealed their sexual or gendered identities, and are part of a minority, may again be at a disadvantage because the shelter camps and post-disaster recovery efforts are completely blind to gender. They are blind when it comes to women and girls so they are also completely blind about queer populations.

    For queer communities, there’s a concept of housing, and then there’s a concept of home, right? Where exactly is “home” is a question many queer people problematize and wonder their entire lives. If they do not have the support within their families, which without the intention to do a generalization is very often the case in hegemonic heteronormative families in India and Bangladesh, and that creates settings that are transphobic and homophobic,  it is very difficult for them to come out to their own family. The entire concept of home becomes irrelevant, they feel alienated inside their so called home, and so they try to find community and networks outside of their bloodline. That is to say that in situations of climate disaster, it is not automatically their home being taken away, it is more their housing if they have one.

    Lots of queer people in India will battle the trauma and this protracted conflict of what really is “home” their entire lives and I think that wound reopens when climate disasters keep striking again and again. It is kind of a double or a triple displacement, a displacement at the social, economic, psychological and psychosocial level. I think the government has particularly been very much blind up until 2-3 years ago to the fact that queer population even existed when climate disasters happened because there is a very apparent transphobic and homophobic attitude within disaster relief volunteers themselves which participates in ostracizing the queer community with disaster relief efforts.

    So in this part of the country, when climate disaster strikes, not only does hegemonic masculinity and femininity get affected, but we also observe that indigenous masculinity and indigenous femininity get swept away in the disaster too. They get swept away in the disaster, in the sense that for example indigenous masculinity gets challenged as they no longer are the breadwinner of the household because of the climate disaster. So amongst all of these complex notions for a queer individual to even come out, and, you know, reveal  “I am part of the queer community and I have exaggerated impacts due to the climate disasters” is quite difficult. In addition, asking the government for measures or policies, or to simply have queer activists sitting on the round table for policy making is even more of a challenge.

    The Indian civil society is trying to eliminate transphobia and homophobia through pride marches and push for community networking spaces like open libraries for queer community-members to come, sit and read together. More of these initiatives are emerging but intersectionality with climate change still hasn’t been mainstreamed because queer people are missing in the public policy-making spaces dedicated to disaster management policies.

    Frankly, heteronormative people are not going to sit there and you know, be so much as sensitive regarding the queer population’s relation to climate disasters while they’re transphobic and homophobic in their private sphere. We really need the queer population to actually be part of that policy circle which decides disaster management policies. And I think because the indigenous masculinity and indigenous femininity also get challenged by climate disasters, and within that, we need to find this queer narrative to challenge these multidimensional marginalities in relief efforts.

    🔑 Points clés en français :
    • Il existe un manque de littérature académique sur la justice climatique et les intersections avec la population queer. La plupart des recherches existantes provient de chercheur·euses en Afrique du Sud ou en Australie, se concentrant sur l’impact du changement climatique et des catastrophes sur les populations queer du Sud Global. En termes pratiques, mener des recherches ethnographiques dans ces régions présente des défis, car les personnes qui ne sont pas encore “out” peuvent ne pas révéler ouvertement leur identité en raison du patriarcat, de la transphobie et/ou de l’homophobie prévalentes dans les zones rurales du Bangladesh et de l’Inde.
    • L’absence de données par sexe et genre dans les efforts de secours en cas de catastrophe désavantage encore plus les individu·es qui n’ont pas révélé leur identité sexuelle ou de genre. Les camps d’hébergement et les efforts de reconstruction post-catastrophe naturelle ne sont que peu sensibilisés autour des questions de genre, notamment auprès des femmes et filles, mais aussi auprès de la communauté LGBTQIA+.
    • Pour les communautés queer, le concept de « foyer » est complexe, car beaucoup font face à des environnements familiaux hostiles et hétéronormés en Inde et au Bangladesh. Ils se sentent souvent marginalisé·es au sein de leur propre foyer et cherchent des communautés et des réseaux en dehors de leur famille. Lors de catastrophes climatiques, ce n’est pas nécessairement leur foyer physique qui est emporté, mais plutôt leur sentiment d’appartenance à un lieu et/ou logement.
    • Les personnes queer en Inde luttent fréquemment contre les traumatismes et les conflits liés au concept de « foyer » tout au long de leur vie. Les catastrophes climatiques exacerbent cette blessure, entraînant des déplacements multiples à des niveaux sociaux, économiques, psychologiques et psychosociaux. Le gouvernement a historiquement fermé les yeux sur l’existence de la population queer lors des catastrophes climatiques, perpétuant ainsi une attitude transphobe et homophobe parmi les secouristes et les efforts de secours en cas de catastrophe, marginalisant davantage la communauté queer.

    NAAT : What role do you think this intersection plays in the relationship between the climate justice movement and the LGBTQIA+ movement, and how does it change the experiences and priorities of individuals who identify as part of both groups?

    (Traduction: Quel(s) rôle(s) attribuez vous à la convergence des luttes dans la relation entre le mouvement pour la justice climatique et le mouvement LGBTQIA+, et comment cela modifie-t-il les expériences et priorités des personnes qui s’identifient à ces deux groupes ?)

    VB : First, let me make it clear that the LGBTQIA+ community is not homogeneous so we need to recognize the heterogeneity of the community. Then secondly, we need to ensure that the spaces in which the community is embedded are comfortable so that it becomes comfortable for individuals to reveal their place on the entire sexual and genital spectrum, which is still very much of a struggle, at least in India, as I can’t speak for the entire Global South.

    For instance in India, there’s a great difference and disparity between how much the lesbians and the gays get discussed in mainstream queer narratives, and how much the asexuals* are completely marginalized. They are basically the “plus” in LGBTQ+. So obviously there are always differentiations but no categorization, because the moment you categorize anything, then you are endangering the entire community to exclusion. The moment you start categorizing, you are essentially trying to exclude somebody. So the moment you’re trying to set boundaries by categorizing by putting a nomenclature, you are bound to exclude somebody or the other. 

    And I think that is how climate justice narratives and activism need to incorporate everybody within the LGBTQs if you really want to have a separate networking or like a separate community or civil society organization focusing only on lesbians then another organization focusing only on transgenders, those can be separate, because they don’t have these separate differentiated demands , although they do have a common thread of getting ostracized multidimensionally. So it is very much essential for LGBTQ population because.

    When a climate disaster strikes, what happens is that whatever landscape that has been established completely gets dismantled and you have to rebuild it once again. So in that same way, when we’re talking about gender and sexuality spectrum, I think we can completely dismantle the way we have been heteronormative in discussing it and we can rebuild all of that. Climate disaster recovery and recovering and gender narratives are very much closely linked together.

    There is this entire strand of queer feminist political ecology that talks about how the so called “unkempt and the pristine” forests that have not been touched, that are at the outsides and the outskirts of the city, or the towns which are basically the embodiment of the ostracized  – where nobody is living. Those are places which the local queer community can completely relate to, because of a shared sense of ostracization. Queer political ecology is how ecology is being understood by the queer population, how the queer community experiences the environment, how they experience ecology, how they experience, you know, the flow and flood of the river within the city or the polluted air around them? You know we only have cis-heteronormative and capitalistic narratives about our understanding of the environment. I remember like in primary school we were taught that there are biotic and abiotic components and so there are always binaries, there is the normal life and then there is the disrupted life due to climate disaster so that’s again a binary. But if you really look at the queer activists and how they will see a climate disaster or even climate change, maybe it won’t be that much in a binary context, it won’t be so dualistic in classification and categorization and that is why would benefit from more trans and queer scholars to understand environment itself; we need to reframe how we understand the concept of environment itself. We need to go to the basics and unpack those to really dovetail queer activism with climate change and climate justice.

    🔑 Points clés en français :
    • Tout d’abord, il est important de souligner que la communauté LGBTQIA+ n’est pas homogène, et il est donc nécessaire de reconnaître cette hétérogénéité. Deuxièmement, il est primordial de veiller à ce que les espaces dans lesquels la communauté évolue soient confortables, de manière à ce que les individu·es puissent se sentir à l’aise pour exprimer leur place sur l’ensemble du spectre sexuel et de genre. Cela reste encore un défi, du moins en Inde. Vani note également l’hétérogénéité du “Sud Global” et l’importance d’éviter les généralisations pour des régions/pays si disparates.
    • Par exemple, en Inde, il existe une grande différence et disparité entre la visibilité accordée aux lesbiennes et aux gays dans les récits queer dominants, et la marginalisation complète des personnes asexuel·les, qui constituent en quelque sorte le « plus » dans LGBTQ+. Il y a toujours des différenciations, mais pas de catégorisation, car dès lors que l’on catégorise quelque chose, on exclut potentiellement toute une partie de la communauté. Le fait de poser des catégories et des limites de démarcation peut entraîner l’exclusion de certaines personnes.
    • Dans le cadre de la justice climatique, il est essentiel d’inclure tout le monde au sein de la communauté LGBTQIA+. Il est possible d’avoir des organisations spécifiques se concentrant sur des sous-groupes particuliers, comme les lesbiennes ou les personnes transgenres, tout en reconnaissant le fil conducteur commun de l’ostracisation multidimensionnelle. Lorsque des catastrophes climatiques surviennent, le paysage établi est démantelé, nécessitant une reconstruction. De même, les discussions sur le genre et la sexualité peuvent être déconstruites depuis une perspective hétéronormative pour être reconstruites de manière plus inclusive. La récupération après les catastrophes climatiques et les récits de genre sont étroitement liés.
    • La politique écologique queer féministe met en évidence le lien entre les espaces marginalisés, tels que les forêts préservées à la périphérie des villes, et les expériences de la communauté queer locale. Elle offre un cadre pour comprendre comment la population queer perçoit l’environnement, y compris l’impact de facteurs tels que le débit des rivières ou la pollution de l’air. En dépassant les récits cis-hétéronormatifs et capitalistes, une compréhension plus nuancée de l’environnement peut être développée. Cela nécessite une plus grande implication de chercheurs trans et queer afin repenser notre compréhension de l’environnement et de concilier l’activisme queer avec la lutte contre le changement climatique et la justice climatique.

    NAAT : Climate movement(s) in France have lacked the perspective of the periphery in both academic circles and mainstream narratives. Would you have any recommendations for “Global North » countries and organizations to 1) better include the “Global South”, or rather the situated knowledge(s) and local experiences within international climate justice movements, and how can the Global North better include LGBTQIA+ people in their climate justice initiatives?

    (Traduction: Le(s) mouvement(s) de justice climatique en France omettent majoritairement la/les perspective(s) de la Périphérie – à la fois dans les cercles académiques et dans les discours dit “mainstream”. Auriez-vous des recommandations à l’intention des pays et organisations du Centre, pour 1) mieux inclure la Périphérie, ses expertises et ses expériences au sein du mouvement du justice climatique internationale, 2) mieux inclure les personnes LGBTQIA+ dans ses initiatives de justice climatique ?)

    VB : Thank you for that wonderful question. I think it has many parts to it. So let me just talk about this classification of Global North and Global South and the moment you say Global North and South, they’re juxtaposed into binaries and it becomes “Global North” versus “Global South”. Or at least that’s what it comes off as in more general settings. Whenever I use those terms, they are defined by power dynamics and positionality. So most people have now started saying “majority world” instead of Global South, but I refrain from even using that because when you use “majority world” that it itself shows a very majoritarian thinking. You know, trying to do like a reverse discrimination that if you colonized us with a certain perspective or approach, we’re going to reverse the power hierarchy. So I don’t think we have found the particular terminologies to reflect this complexity yet, whether it should be “Global South” or “majority world” or “periphery”. 

    But I think as far as including localized narratives and knowledge within the LGBTQ and climate activism, in the Global North or the South, we need to have localizing vernacular language-based climate justice narratives. So even if you see global organizations or even local and national organizations, they are mainly dealing with the dominant language. For example, if an Assamese queer civil society organization approaches the climate justice perspective they would still frame their ideas and their advocacy in the dominant language, which is Assamese – and most probably English – but these are the 2 dominant languages of the state. These are not the only languages, we have hundreds and thousands of languages within a few 1000 kilometers so I think to really localize climate justice impacts on queer populations and even for women and young girls, what we really need to do is to make the entire queer and climate advocacy toolkits, and implementation guides, and scholarly literature very much localized and embedded in vernacular languages. And that is something that is also missing at the global level in the sense that when you are talking about voluntary national reviews and.sustainable development goals and “not leaving anyone behind” – what we’re really doing pushing the ostracization as we’re not having an audit or we are not conducting vernacular language based voluntary national reviews. If they are all dominant language based, the language becomes an issue.

    To say that Global North and Global South have completely juxtaposed to each other is also correct. Wendy Harcourt talks about how there are “margins within the centre” and periphery within the Global North. The Global North is also not a homogeneous entity itself. Because there are margins, we can create solidarity from the margins in Global South to the margins and periphery in the Global North. We also have power dominant and hierarchical places within the Global South who try to completely suppress the voices of the periphery in our countries. I think creating solidarity from the periphery in the Global South to the periphery in the Global North is what we’re really looking at when we’re talking about climate justice solidarities from queer population across the spectrum.

    🔑 Points clés en français :
    • L’utilisation des termes Nord Global et Sud Global est souvent juxtaposée, reflète certes les dynamiques de pouvoir, mais imposant également un aspect dualitaire; ou binaire* du monde. Des termes alternatifs tels que « monde majoritaire » ou « périphérie » sont aussi utilisés, mais posent également problème, car ils peuvent perpétuer une pensée majoritaire ou inverser les hiérarchies de pouvoir. Vani considère que la terminologie reflétant la réelle complexité du sens derrière ces termes reste encore à être identifiée.
    • Pour inclure les récits et les connaissances localisé·es dans les mouvements LGBTQIA+ et climatiques, il est crucial de développer des récits de justice climatique basés sur les langues vernaculaires. Actuellement, la plupart des organisations mondiales et locales travaillent principalement avec les langues dominantes, négligeant la multitude de langues au sein d’une région. Pour véritablement aborder les impacts de la justice climatique sur les populations queer, ainsi que sur les femmes et les jeunes filles, il est nécessaire de créer des outils, des guides de mise en œuvre et une littérature savante localisées dans les langues vernaculaires. Cet aspect de localisation fait également défaut au niveau mondial, où les approches basées sur les langues dominantes entravent l’inclusion et laissent certaines populations de côté.
    • Il est important de reconnaître que le Nord global et le Sud global ne sont pas des entités homogènes. Vani fait référence au travail de Wendy Harcourt et souligne la présence de « marges au sein du Centre » et de Périphéries au sein du Nord Global lui-même. Une solidarité peut être développée des marges du Sud Global aux marges et aux Périphéries du Nord Global. Il est crucial de reconnaître l’existence de dynamiques de pouvoir et de hiérarchies également au sein du Sud Global, où les voix de la périphérie sont souvent réprimées. La création d’une solidarité à travers l’ensemble du spectre des populations queer est un aspect clé de l’activisme pour la justice climatique.

    Conclusion

    Les questions climatiques et écologiques prennent encore aujourd’hui trop peu en compte les vécus des personnes LGBTQIA+, les problématiques spécifiques auxquelles iels font face et les discriminations qu’iels subissent, ce qui crée un véritable angle mort dans l’étude des impacts des changements climatiques et des pollutions sur ces personnes. Par conséquent, les politiques climatiques et écologiques ainsi que les aides post-catastrophes renforcent les inégalités et les discriminations existantes. Pour une transition écologique juste, il est urgent de tenir compte des multiples discriminations, dont celles envers les personnes LGBTQIA+, qui sont particulièrement vulnérables face aux risques climatiques et environnementaux, comme nous l’avons vu dans ce hors-série. 

    Plusieurs pistes d’actions sont possibles pour rendre les politiques publiques plus inclusives, par exemple : 

    • Développer la collecte de données et les recherches sur les conséquences du réchauffement climatique pour les communautés LGBTQIA+ pour pouvoir mieux répondre aux besoins de ces dernier·ères.
    • Faire évoluer les pratiques de reconnaissance du statut de réfugié·e et repenser l’accueil des personnes LGBTQIA+, notamment les pratiques de l’OFPRA et de la CNDA concernant les preuves de persécutions liées à l’orientation sexuelle et à l’identité de genre, afin de permettre un meilleur accès au statut de réfugié·es pour les personnes LGBTQIA+ qui font face à des discriminations et des violences du fait de leur orientation sexuelle et/ou de leur genre suite à des événements climatiques extrêmes ou autre et qui ont du fuir de ce fait.
    • Améliorer l’information et la participation des personnes LGBTQIA+ dans les processus décisionnaires face aux changements climatiques et aux problématiques environnementales.
    • Renforcer les plans santé-environnement et les élargir en y incluant les impacts inégaux du réchauffement climatique sur certaines parties de la population, dont les personnes LGBTQIA+.

    Ces évolutions impliquent également une plus grande inclusion et reconnaissance des activistes climat mettant en avant les problématiques LGBTQIA+. Inclure les militant·es écologiques LGBTQIA+ dans les mouvements environnementaux tant dans les pays du Nord que du Sud Global est extrêmement important car iels lient souvent intrinsèquement et concrètement lutte pour la justice environnementale et sociale. Cela pourrait être utile aux mouvements écologistes actuels qui revendiquent de plus en plus, pour l’instant plutôt dans leurs discours, agir pour une transition écologique socialement juste. Prendre en compte les difficultés spécifiques auxquelles sont confrontées les personnes LGBTQIA+ face aux conséquences du réchauffement climatique permettrait également aux mouvements écologistes de proposer des alternatives au système actuel plus inclusives. Cependant, cela suppose que ces difficultés soient rendues visibles et connues au sein des milieux militants, et plus globalement, de parvenir à sortir de récits hétéronormés, souvent binaires, de notions jamais remises en question car considérées comme “naturelles” alors qu’elles relèvent d’une construction sociale. Un travail de documentation et de sensibilisation serait ainsi à effectuer dans les mouvements écologistes. Une première piste pourrait être de davantage mettre en avant les militant·es écologistes LGBTQIA+ encore trop peu visibles, notamment en Europe. En particulier, donner et écouter la voix des militant·es des pays du Sud Global constituerait un enrichissement formidable pour les luttes écologiques et sociales, afin d’élargir notre vision du monde, prendre conscience des multiples situations et expériences de vie, rendre visible les nombreuses inégalités qui se renforcent mutuellement et ainsi pouvoir imaginer des solutions plus inclusives et pertinentes.

    Lexique

    Asexuel·e : Personne qui ressent peu ou pas de désir sexuel.

    Binaire : Le terme fait référence aux deux identités de genre qui ont longtemps été les seules reconnues dans nos sociétés occidentales (homme et femme). Ce s’oppose au terme non-binaire qui inclut l’ensemble des identités de genre (transsexuel, intersexe, etc). 

    Bisexuel·e : Personne qui éprouve une attirance pour les deux genres binaires, homme et femme.

    Cisgenre : Personne dont le sexe et le genre attribués à la naissance correspondent à son identité de genre.

    Dysphorie de genre : Angoisse et souffrance liées à l’assignation d’une identité de genre qui ne correspond pas à celle à laquelle la personne s’identifie.

    Fluide : Personne dont l’identité de genre et/ou l’orientation sexuelle varie au fil du temps.

    Gay : Homme qui éprouve une attirance sexuelle ou romantique pour d’autres hommes.

    Hétérosexualité : Dans une structuration binaire (homme / femme), le fait d’être attiré par des personnes de sexes opposés.

    Homosexualité : A l’inverse de l’hétérosexualité, il s’agit, dans le cadre d’une structuration de genres binaires (homme / femme) d’être attiré par des personnes du même sexe.

    Homophobie : Comportement ou discours haineux / méprisant à l’encontre des personnes homosexuelles, et plus généralement à l’encontre des personnes LGBTQIA+.

    Intersexe : Personne née avec des caractéristiques sexuelles (chromosomes, hormones, anatomie) qui ne correspondent pas à la définition binaire des sexes.

    Lesbienne : Femme éprouvant une attirance sexuelle ou romantique pour d’autres femmes.

    LGBTQIA+ : Acronyme pour Lesbienne, Gay, Bisexuel·le, Transgenre, Queer, Intersexe, Asexuel·le et toute autre orientation sexuelle.

    Nord Global et Sud Global / Centre et Périphérie : Les notions de Nord Global (i.e. Global North en anglais) et Sud Global (i.e. Global South en anglais) ne reposent pas sur la position géographique des pays qu’elles qualifient. 

    • Le Nord Global désigne les pays, certes principalement situés dans l’hémisphère nord, qui ont historiquement été identifiés comme « l’Occident » ou « le premier monde » en raison des dynamiques de pouvoir géopolitiques dont ces régions bénéficient. Cette dominance s’exerce à travers le prisme du système capitaliste néo-libéral; et s’exprime avec une richesse relative, des technologies avancées, un passé d’empire colonial, le tout souvent associé à un contexte hégémonique. 
    • Quant au terme “Sud global”, on lui attribue plusieurs définitions. Le Sud Global a traditionnellement été utilisé pour désigner les nations dites du “tiers monde”, “sous-développées” ou “économiquement défavorisées”. Ces pays ont historiquement été colonisés par les pays du Nord (en particulier par les pays européens). Le terme “Sud Global” est également utilisé pour décrire les populations qui sont négativement affectées par la mondialisation capitaliste. Bien que l’utilisation du terme “Sud Global” soit devenue commune dans les cercles académiques, et de part son aspect “essentialiste”, elle est souvent critiquée et décrite comme confuse, inexacte et possiblement offensante en fonction du contexte. 

    Pour ces raisons, les chercheurs représentés par ce terme l’emploient en juxtaposition avec d’autres concepts tels que “la Périphérie” (en opposition au “Centre”) qui fait référence à la théorie de la dépendance économique, ou le “monde majoritaire” (“majority world” en anglais) qui met en lumière la grande majorité démographique représentée par ces pays. 

    Pansexuel·e : Personne éprouvant une attirance sexuelle pour tous les genres, binaires ou non-binaires.

    Queer : Issu de l’anglais signifiant « bizarre », le mot queer a d’abord été utilisé comme une insulte avant d’être repris par les personnes LGBTQ+ pour revendiquer leurs différences. Le terme désigne désormais toute personne ne se reconnaissant pas dans la vision binaire de genre (homme / femme) et d’orientation sexuelle (hétéro / homo).

    Transgenre : Personne ne s’identifiant pas au genre qui lui a été assigné à la naissance.

    Notes

    1.  En 1977, elles participaient à la première Marche des fiertés : « On était encore les anormaux » (francetvinfo.fr)
    2.  Féminisme à travers ses mouvements et combats dans l’Histoire – Oxfam France
    3.  Pride Month: What is it and what are its global origins? | World Economic Forum (weforum.org)
    4.  Orientation sexuelle et identité de genre (banquemondiale.org)
    5. Voir à ce sujetLGBT People and Housing Affordability, Discrimination, and Homelessness – Williams Institute (ucla.edu)
    6.  Rapport annuel de la Fondation Abbé Pierre L’état du mal-logement en France 2023 (p. 53-54)
    7. Voir Santé Publique France :Le logement, déterminant majeur de la santé des populations. Le dossier de La Santé en action, n° 457, septembre 2021. (santepubliquefrance.fr) et Le mal-logement, déterminant sous-estimé de la santé. (santepubliquefrance.fr) Rapport Fondation Abbé Pierre Le logement est une question de santé publique
    8.  Le logement, déterminant majeur de la santé des populations. Le dossier de La Santé en action, n° 457, septembre 2021. (santepubliquefrance.fr)
    9.  Voir par exemple le dossier Climat et santé du Haut Conseil de la Santé Publique, l’article scientifique “Health effects of climate change: an overview of systematic reviews” et la note de la Coalition canadienne pour la recherche en santé mondiale “Climate change and chronic conditions : linkages and gaps
    10. Voir différents articles de presse : Le Monde, “La santé des LGBT, un tabou médical” et Libération, “Le grand malaise des LGBTI face au monde de la santé
    11.  Queering Environmental Justice: Unequal Environmental Health Burden on the LGBTQ+ Community | AJPH | Vol. 112 Issue 1 (aphapublications.org)
    12. Queering Environmental Justice: Unequal Environmental Health Burden on the LGBTQ+ Community | AJPH | Vol. 112 Issue 1 (aphapublications.org)
    13. Sexuality and Natural Disaster: Challenges of LGBT Communities Facing Hurricane Katrina by Bonnie Haskell :: SSRN
    14.  Queering disasters: on the need to account for LGBTI experiences in natural disaster contexts – CORE Reader
    15.  Problems and possibilities on the margins: LGBT experiences in the 2011 Queensland floods: Gender, Place & Culture: Vol 24, No 1 (tandfonline.com)
    16.  Queering disasters: on the need to account for LGBTI experiences in natural disaster contexts: Gender, Place & Culture: Vol 21, No 7 (tandfonline.com)
    17.  D’ici à 2050, le changement climatique risque de contraindre 216 millions de personnes à migrer à l’intérieur de leur pays (banquemondiale.org)
    18.  Voir par exemple concernant les personnes trans : Migrer et être trans, la double peine. – ÉCARTS D’IDENTITÉ (ecarts-identite.org)
    19.  Voir le communiqué de presse du Haut Commissariat des Nations Unies aux droits de l’Homme (UNHCR) en 2022 : Les personnes LGBT déplacées de force sont confrontées à des défis majeurs dans leur recherche d’un refuge
    20.  Voir le communiqué de presse de Filippo Grandi (UNHCR) en 2021 : Déclaration du chef du HCR Filippo Grandi à l’occasion de la Journée internationale contre l’homophobie et la transphobie
    21.  Selon le UNHCR, 70% des réfugiés sont accueillis dans un pays voisin : Aperçu statistique
  • HORS SERIE IMPACTS – Retraites, climat, même combat ?

    HORS SERIE IMPACTS – Retraites, climat, même combat ?

    A l’occasion du 1er mai, NAAT met en lumière les liens entre les enjeux climatiques et la défense d’un système de retraites plus juste. 

    “Pas de retraités sur une planète brûlée”. Ce slogan a résonné ces derniers mois lors des manifestations contre la réforme des retraites. Le sujet est porté par différentes associations environnementales et par des militant·e·s écologistes. Ils et elles mettent en avant que l’urgence n’est pas de réformer les retraites mais d’agir pour limiter le changement climatique. Car pour celles et ceux qui auront 60 ans dans 30, 40 ou 50 ans, la problématique risque de ne pas être celle de partir à la retraite mais celle de survivre dans un monde invivable. Il s’agit avant tout d’une question de priorisation : si on ne se préoccupe pas de la question climatique, il risque de ne pas y avoir de retraite du tout. Mais au-delà de l’argument de l’urgence, d’autres éléments lient la question des retraites à celle du climat et de l’environnement. Les deux sujets qui pourraient sembler d’un premier abord sans rapport sont en fait connectés. 

    En ce 1er mai 2023 qui n’est pas seulement la fête du travail mais une nouvelle journée de mobilisation contre la réforme des retraites porté par Emmanuel Macron, nous revenons sur les principaux enjeux autour des retraites et du climat.

    I. L’impact du dérèglement climatique sur le travail : la question des conditions de travail et de la pénibilité

    Le dérèglement climatique a un impact sur tous les aspects de notre vie, y compris sur le travail. Les conséquences du réchauffement climatique modifient grandement nos conditions de travail et la pénibilité de certains métiers. L’exemple le plus étudié est celui des vagues de chaleur. Leur conséquences pour les travailleur·euse·s ont fait l’objet d’un rapport de l’Organisation Internationale du Travail (OIT) en 2019. Selon ce rapport, la chaleur diminue la productivité dès que la température atteint les 24-26°C. Lorsqu’il fait 33-34°C, un·e travailleur·euse opérant à une intensité physique moyenne perd 50% de sa capacité de travail. 

    Mais c’est surtout la santé et la sécurité des personnes qui sont en jeu. L’exposition à la chaleur peut entraîner pour les travailleur·euse·s des crampes et des malaises, des coups de chaleur et des déshydratations pouvant aller jusqu’à provoquer la mort de la personne. La chaleur et le déficit de récupération lié aux températures élevées la nuit amènent une diminution de l’attention et de la vigilance et un risque plus important d’accidents. Ils aggravent également les tensions au travail, jouent sur l’humeur des personnes, sur leur tolérance vis-à-vis de collègues ou du public. Si les horaires de travail sont décalés pour s’adapter aux fortes chaleurs, cela peut interférer avec la vie privée des personnes et leurs obligations personnelles (garde d’enfant, rendez-vous, etc), ce qui ajoute à la fatigue mentale. Tous les travailleur·euse·s sont concerné·e·s (notamment du fait de la chaleur dans certains bureaux ou d’usines et de l’absence de récupération durant la nuit). D’autres éléments sont également à prendre en compte comme la plus forte volatilité de substances chimiques du fait de la chaleur (pouvant créer des risques d’inflammabilité ou d’inhalation par les personnes), ou comme le port de vêtements de protection empêchant l’évaporation de la sueur. Les personnes travaillant en extérieur dans des métiers physiques comme le BTP, les transports et l’agriculture sont particulièrement concernées. En France au cours de l’été 2022, au moins 7 personnes sont décédées dans des accidents du travail directement imputable à la chaleur, la majorité d’entre elles travaillant dans le BTP et l’agriculture. 

    Les vagues de chaleur ont également un impact par ricochet sur d’autres secteurs comme ceux de la santé et de l’aide à la personne. En plus de subir les conditions décrites précédemment, les travailleur·euse·s dont le métier est de soigner et d’accompagner les malades et vulnérables (enfants, personnes âgées, personnes en situation de handicap, etc) se retrouvent en première ligne face aux impacts de la chaleur. Leur charge de travail augmente.

    Au-delà des vagues de chaleur, de nombreuses autres problématiques émergent. Par exemple, l’augmentation des températures moyennes amènent l’arrivée de nouvelles espèces animales et végétales sur le territoire français. Cela entraîne des risques en matière de zoonoses pour les personnes travaillant avec les animaux (vivants ou morts), en matière d’introduction de nouveaux allergènes (en particulier via les pollens) et de nouveaux agents biologiques pour les métiers de l’environnement, de l’agriculture, du transport mais aussi de la gestion des déchets. Un autre exemple réside dans la modification de la fréquence et de l’intensité des aléas climatiques. Au-delà de l’annulation d’événements et de la diminution du tourisme dans certaines zones, ces aléas créent des risques et des conditions de travail plus difficiles pour les secours et les professionnels de la remise en état des réseaux (électricité, infrastructures routières, etc).  Dans un rapport publié en 2018, l’ANSES indique qu’ “à l’exception des risques liés au bruit et aux rayonnements artificiels, tous les risques professionnels sont et seront affectés par le changement climatique et les modifications environnementales”. Tout cela est clairement perçu par les travailleur·euse·s puisque 70% des répondants à une une enquête du Conseil Economique, Social et Environnemental (CESE) publiée le 14 février 2023 considèrent que le dérèglement climatique et plus généralement la dégradation de l’environnement peut affecter la santé des salarié·e·s et des agent·e·s.

    Ces conditions de travail rendues plus difficiles et pénibles détériorent la santé des personnes. Si tous et toutes sont impacté·e·s, les actifs et actives seniors le sont plus particulièrement. L’avancée en âge augmente les problèmes de santé (maladies chroniques, usures liées aux activités professionnelles répétées au fil des années, etc). Actuellement, selon l’Observatoire de la mutualité française, dans un rapport sur la santé au travail publié en février 2023, “le vieillissement de la population des salariés et le développement des pathologies chroniques qui l’accompagne se traduisent par une augmentation de la morbidité et de la durée des arrêts de travail avec l’âge. En 2017 (dernière donnée disponible), l’accentuation est très nette chez les plus de 60 ans (+ 24 jours d’arrêt maladie en moyenne, par rapport à la classe d’âge inférieure)”. Les travailleur·euse·s seniors ne seront plus toujours en capacité de continuer à exercer leur activité professionnelle dans un environnement aux risques et à la pénibilité augmentés par le réchauffement climatique. Dans son rapport de 2019 concernant les vagues de chaleur, l’OIT insiste sur le fait que les travailleur·euse·s âgé·e·s ont une résistance physiologique plus faible à des niveaux élevés de chaleur” et explique que “pour les femmes comme pour les hommes, le vieillissement entraîne des changements dans la régulation de la température corporelle. De plus, les personnes de plus de 50 ans risquent davantage de souffrir de maladies cardio-vasculaires.” Pour l’OIT, “ces facteurs doivent être pris en compte dans la conception des mesures d’adaptation.

    Enfin, soulignons que les personnes les plus concernées par les effets négatifs de la réforme des retraites sont aussi celles qui sont le plus touchées par les conséquences du dérèglement climatique. Il s’agit des personnes exerçant les métiers les plus précaires, les métiers les plus difficiles physiquement et souvent les moins bien payés. On peut penser par exemple aux livreurs à vélo, aux plongeurs dans les cuisines, aux saisonniers agricoles, etc. Or, du fait de leur situation économique, ces personnes n’ont bien souvent pas d’autre choix que d’aller travailler malgré les conditions pouvant être dangereuses pour leur santé. Par ailleurs, cette réforme des retraites accroît les inégalités de genre. Actuellement, les femmes ont, selon la DREES, une pension de retraite de droit direct inférieure de 40% à celle des hommes. Cela est lié à des carrières souvent plus hachées car elles ont généralement la tâche de s’occuper des enfants et occupent des métiers moins rémunérateurs. Elles sont pourtant concernées par la dégradation des conditions de travail et l’augmentation de la pénibilité liées au changement climatique, du fait des vagues de chaleur mais aussi de leur surreprésentation dans certains secteurs comme les “métiers du care”. Ces actifs et actives font donc face à un véritable cumul des vulnérabilités et des risques, créant un cocktail qui impacte fortement leur fin de carrière ainsi que leur retraite. 

    II. La question du financement des retraites : un enjeu pour la transition écologique

    En parallèle, la réforme des retraites portée par Emmanuel Macron et le gouvernement d’Elisabeth Borne favorise la financiarisation des retraites. Actuellement, en plus de recevoir une pension de retraite via le financement par répartition, les personnes peuvent – si elles le souhaitent – augmenter les sommes perçues à leur retraite par des dispositifs complémentaires correspondant à une épargne par capitalisation constituée auprès d’investisseurs et d’assureurs. Par le recul de l’âge de départ et la possible diminution des pensions, la réforme pousse les personnes à épargner pour assurer un complément à leur retraite ou pouvoir partir de façon anticipée, malgré une décote. En France, plus de 6 millions de personnes possédaient un plan épargne retraite en 2022. Cependant, là encore, la question des inégalités émerge. Ce type d’épargne n’est pas accessible à tous. Les personnes les plus pauvres n’ont pas forcément les moyens d’épargner ou préfèrent opter pour des produits financiers leur permettant de retirer l’argent immédiatement en cas de besoin. 

    De surcroît, la financiarisation rend les montants des retraites dépendant des marchés financiers. Or ceux-ci sont particulièrement vulnérables face au dérèglement climatique et à ses conséquences. Les aléas climatiques extrêmes peuvent avoir des impacts sur les cours boursiers et les assurances du jour au lendemain. En 2018, le think tank Asset Owners Disclosure Project estimait qu’il y avait “près de 10 mille milliards de dollars d’actifs non protégés contre les crises économiques qui seront causées par le réchauffement climatique”. Compter sur la retraite par capitalisation, c’est donc mettre en danger les pensions de millions de personnes et prendre le risque d’une paupérisation des retraités. Ce même think tank s’inquiétait de l’absence de prise en compte du changement climatique par les grands fonds de pension pourtant censés agir sur le long terme en gérant l’épargne salariale sur plusieurs dizaines d’années avant que les personnes prennent leur retraite. Devant cette absence de préparation et de mesures concrètes d’adaptation, le Forum Économique Mondial, dans son rapport “Global Risk Report 2020”, souligne : “les fonds de pension risquent d’être confrontés à des déficits catastrophiques en raison de la consolidation et de la transition des industries”.

    La capitalisation est également problématique si elle permet de continuer de financer des projets et activités particulièrement émetteurs en gaz à effet de serre, ce qui est actuellement le cas. Nombre d’acteurs financiers continuent d’investir dans les énergies fossiles avec l’argent déposé par les épargnants. Certains acteurs majeurs dans l’épargne des retraites, français et européens comme Swiss Life ou mondiaux comme Blackrock, n’ont d’ailleurs pris aucun engagement concernant la sortie du charbon ou du pétrole, voire sont même accusés de faire obstacle à la transition écologique. Ils participent de ce fait à la crise climatique et environnementale.

    III. Emploi, âge de la retraite, nombre de trimestres cotisés… Travailler moins et mieux pour limiter les émissions de gaz à effet de serre

    Le consensus scientifique est clair : les changements climatiques en cours sont d’origine anthropique. Les activités humaines et les émissions de gaz à effet de serre qui en découlent sont la cause principale du réchauffement climatique par rapport à l’ère pré-industrielle et des importantes dégradations de l’environnement, y compris l’effondrement de la biodiversité. La solution mise en avant par les scientifiques, en accord avec les gouvernements qui participent à l’élaboration des rapports à destination des gouvernants, est la transformation systémique de notre société. Cela passe par repenser nos modes de production et de travail – et donc aussi nos retraites. 

    La première problématique est celle liée à l’absence actuelle de mesures concrètes suffisantes concernant la limitation du réchauffement climatique et une transition écologique juste. De nombreuses organisations alertent : en l’absence d’adaptation au changement climatique, de très nombreux emplois seront purement et simplement supprimés. Or, sans emploi, les personnes auront des difficultés à cotiser le nombre de trimestres nécessaires pour partir à la retraite à taux plein ou n’auront pas eu suffisamment de revenus au cours de leur carrière pour assurer une pension de retraite suffisante pour vivre dignement. 

    A l’inverse, s’engager dans la lutte contre le réchauffement climatique et une transition juste permettra la création d’emplois, notamment d’emplois dits “verts”, et de limiter la perte d’emplois. Cela correspond aussi aux aspirations des salarié·e·s puisqu’une récente étude de l’Unédic montre que 8 actifs sur 10 souhaitent que leur travail soit en adéquation avec la lutte contre le changement climatique.

    Au-delà de faire évoluer nos modes de production et le travail qui les accompagne vers des pratiques plus respectueuses de l’environnement et du climat – et donc de travailler mieux, il s’agit aussi de diminuer nos activités et notre temps de travail – travailler moins pour produire moins. Les recherches sont encore peu nombreuses sur ce sujet mais celles qui existent concluent majoritairement à une baisse de l’empreinte écologique et des émissions de gaz à effet de serre lorsque le temps de travail diminue. Plusieurs facteurs sont mis en avant : la diminution du temps de travail permettrait de diminuer la consommation d’électricité, de limiter les déplacements (trajets domicile – travail), de changer les manières de consommer (cuisiner plutôt que consommer des plats ultra-transformés par exemple), d’améliorer la santé, etc. Si cela s’applique au temps de travail hebdomadaire, cela est également valable à l’échelle d’une carrière. Dans un rapport publié en décembre dernier, l’OIT présentait la retraite anticipée comme l’une des solutions pour une transition juste. 

    Climat et travail, un lien encore sous-estimé

    La question climatique apparaît comme un véritable angle mort de la réforme des retraites. Il est pourtant essentiel de repenser le travail et la retraite dans une optique de limitation du dérèglement climatique et d’adaptation aux impacts de ces changements. La question des retraites qui est par essence un enjeu de long terme ne peut plus aujourd’hui être pensée en dehors des problématiques climatiques et environnementales. Au contraire, elle doit non seulement les prendre en compte mais faire partie des stratégies étudiées pour lutter contre le réchauffement climatique, assurer une transition écologique juste et renforcer l’adaptabilité de notre société. 

    Pour aller plus loin !

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    (Re)lisez le n°16 de notre revue IMPACT sur le travail et le changement climatique !

  • IMPACTS HORS SÉRIE – La relance du nucléaire en France se fait-elle dans le respect de la démocratie environnementale ?

    Sur demande du gouvernement en 2019, le Réseau de Transport d’électricité (RTE) a publié fin 2021 plusieurs scénarios de mix de production permettant d’atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050, « Futurs énergétiques 2050 »[1]. Six scénarios de mix de production ont été proposés dont trois sans relance du nucléaire et trois avec.

    Lors d’un discours à Belfort le 10 février 2022[2], le président de la République Emmanuel Macron a annoncé la trajectoire souhaitée pour la France : l’accélération du développement des énergies renouvelables, mais aussi la construction de six nouveaux réacteurs de type EPR2[3] et l’étude de huits EPR2 additionnels. Les annonces du président rappellent deux scénarios de référence présentés dans « Futurs énergétiques 2050 » : l’un dit « N2 » impliquant la construction de nouveaux réacteurs, l’autre dit N03 prévoyant en plus le prolongement de l’utilisation des centrales nucléaires existantes. Ont donc été mises en avant les hypothèses maximalistes de réindustrialisation.

    Cette relance du nucléaire annoncée par le président a commencé à se matérialiser par un projet de loi relatif à l’accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites nucléaires existants et au fonctionnement des installations existantes présenté (« Projet de loi d’accélération du nucléaire ») en conseil des ministres le 2 novembre 2022, votée par le Sénat le 24 janvier 2023 et par l’Assemblée nationale le 21 mars 2023.

    En parallèle, la loi d’accélération des énergies renouvelables a été promulguée le 10 mars 2023.

    Il est à noter qu’une loi de programmation énergie et climat doit être votée cette année. Elle doit fixer les priorités d’action de la politique climatique et énergétique nationale en tenant compte de l’objectif européen de réduction des émissions nettes de gaz à effet de serre de -55% d’ici 2030[4].

    Dans un tel contexte, quel(s) rôle(s) ont les citoyen-ne-s et quels sont leurs droits ?

    La charte de l’environnement donne valeur constitutionnelle au principe de la participation du public et au droit à l’information depuis 2005[5]. Cela s’est traduit par la mise en place de deux procédures dans le code de l’environnement :

    • En amont des plans ou projets : création des procédures de débat public ou de concertation préalable[7] afin d’associer le public à l’élaboration des projets, à un stade où toutes les options sont encore ouvertes, permettant ainsi de questionner l’opportunité du projet.
      • Les procédures de débat public et de concertation préalables sont encadrées par la Commission nationale du débat public[8] (CNDP) qui à l’obligation d’être saisie pour certains projets, ou la faculté de l’être pour d’autres projets.
    • en aval, au stade de l’approbation du plan ou de l’autorisation du projet ont été mises en place des procédures d’enquête publique[9], de participation du public par voie électronique[10] ainsi qu’un dispositif de participation du public hors procédures particulières[11]. Cette consultation porte sur un dossier finalisé, juste avant la délivrance d’une autorisation ou approbation. La procédure appliquée dépend de la nature et de la taille du projet.

    C’est dans ce cadre que le gouvernement a lancé le 20 octobre 2022 une concertation nationale sur le « Système énergétique de demain ». En parallèle, EDF et RTE ont saisi la CNDP afin d’organiser un débat sur les nouveaux réacteurs nucléaires et notamment le projet Penly, visant à agrandir ce site nucléaire en Normandie. Ce débat a eu lieu entre le 27 octobre 2022 et le 27 février 2023.

    Au cœur de ce grand chantier controversé, autant les conditions dans lesquelles la loi est élaborée (I) que les dispositions qu’elle prévoit (II), interrogent quant à la place donnée aux droits garantis par la Constitution, que sont le droit à l’information et le principe de participation du public.

    I. L’élaboration de la loi au regard de la démocratie environnementale

    Outre le contenu du projet de loi d’accélération du nucléaire qui va directement impacter l’information et la participation du public, les modalités d’élaboration de la loi sont critiquables à plusieurs égards :

    • Le rapport législatif de la commission des affaires économiques[12] constate que le gouvernement a légiféré dans le désordre. Afin de prendre en compte les retours des débats publics sur le Système énergétique de demain et le nucléaire, il aurait fallu soumettre en premier au Parlement le projet de loi de programmation énergie et climat, puis le projet de loi d’accélération du nucléaire et le projet de loi d’accélération des énergies renouvelables.
    • Le rapport reconnaît que le gouvernement a légiféré dans la précipitation. Le Sénat a été informé mi-décembre de l’examen du projet de loi nucléaire pour début janvier et de la tenue de la commission mixte paritaire sur le projet de loi des énergies renouvelables pour fin janvier.
    • Le même rapport indique que le gouvernement a omis les consultations en cours : le projet de loi a été discuté au Parlement quand bien même les débats organisés par la CNDP sur ces sujets n’étaient pas clos. La CNDP déplore elle-même cette précipitation, le rapport la cite : « l’existence même de ce projet de loi nucléaire et la publicité qui lui est donnée, alors que son utilité directe paraît faible, laisse à penser que de toute façon les consultations ne servent à rien, ce qui n’est pas un très bon signal donné pour les consultations à venir. »
    • Enfin, le projet de loi omet des questions cruciales telles que l’actualisation de la  planification énergétique et celle relative aux moyens financiers et humains nécessaires. Les retards cumulés sur l’EPR de Flamanville tiendraient plus aux difficultés d’ingénierie et de conception qu’aux procédures d’autorisations administratives. Le rapport précité cite la CNDP sur le projet : « Il [le projet de loi] paraît surtout très peu utile : le retour d’expérience de Flamanville ne fait apparaître à aucun moment les procédures comme élément déterminant du délai de réalisation du projet. La réalisation des études d’ingénierie est beaucoup plus déterminante, et les procédures sont menées en parallèle à la conduite de ces études, de fait en temps masqué. » Cette remarque a été soulevée avant même que soient  dernièrement détectées de nouvelles fissures[13] sur des conduites du système d’injection de sécurité.

    II. Les simplifications administratives prévues dans la loi et les conséquences sur la participation et l’information du public.

    L’un des éléments clés du projet de loi est la suppression de l’objectif de réduire à 50 % la part de l’énergie nucléaire dans le mix électrique à horizon 2035, ainsi que le plafond de 63,2 gigawatts de capacité totale de production nucléaire autorisée. La ministre de la transition énergétique a expliqué qu’elle ne veut «ni plafond ni plancher» sur le sujet.

    Le projet de loi prévoit une simplification des démarches administratives pour la délivrance des autorisations. Les dispositions votées concernant donc principalement les collectivités et les riverains des projets : les procédures d’urbanisme, d’autorisation environnementale et par conséquent la participation du public sont directement impactées. C’est pourquoi l’absence de prise en compte du débat public -qui s’est terminée le 27 février alors que la loi était déjà débattue dès début janvier- est inquiétante au regard de la démocratie environnementale. Le projet de loi prévoit notamment les dispositions suivantes.

    Simplification des documents d’urbanisme aux mains de l’État.

    Le projet simplifie la mise en compatibilité des documents d’urbanisme. La qualification de projet d’intérêt général devra être prononcée par décret en Conseil d’État, à la place d’un arrêté préfectoral ou d’un décret dans le droit existant. L’État pourra engager directement, et sans délai, la modification du document d’urbanisme local. Un examen conjoint étant prévu entre l’État et les collectivités, le rapporteur a souhaité renforcer la participation des collectivités en proposant un amendement leur donnant la possibilité de faire parvenir des observations à l’État. Cette étape aurait permis de mieux identifier dès l’amont les éventuels problèmes et suggestions relevés par les acteurs de terrain, mais l’amendement a été supprimé.

    Dispense d’autorisation au titre du code de l’urbanisme

    Afin de faire émerger de nouveaux réacteurs nucléaires, plusieurs autorisations doivent être délivrées par l’administration : 

    • l’autorisation de création d’une installation nucléaire de base;
    • l’autorisation environnementale qui assure la prévention des dangers et des risques pour l’environnement (eaux, milieux et habitats, sols, arbres), délivrée par décret du ministre chargé de l’environnement;
    • l’autorisation d’urbanisme comprenant le permis de construire, le permis d’aménager ou la déclaration préalable selon les éléments à construire du projet;
    • la déclaration d’utilité publique afin de justifier l’utilité publique d’un projet pour pouvoir conduire des expropriations et pour que des procédures dérogatoires puissent être mises en œuvre (notamment la mise en compatibilité des documents d’urbanisme locaux).

    Le projet de loi vise à dispenser le projet de l’autorisation d’urbanisme. Il prévoit d’unifier les procédures existantes à cet effet au sein de la procédure d’autorisation environnementale. La conformité de ces projets aux règles d’urbanisme sera vérifiée à l’occasion de la demande d’autorisation environnementale ou de la demande d’autorisation de création du réacteur. Cette dispense correspond à une dispense de permis de construire et de permis de démolir. 

    Par conséquent, cette mesure entraînerait une réduction des interlocuteurs et personnes habilitées à accéder aux éléments précis des dossiers[14] et donc limiterait les risques de fuites d’informations sensibles. Cette mesure permettrait une évolution du projet au fil de l’eau sans avoir à solliciter à chaque étape un permis modificatif. Cela permettrait également de réduire l’aléa contentieux puisque les recours devant le Conseil d’État seraient possibles uniquement sur l’autorisation environnementale et l’autorisation de création. Enfin, l’objectif principal (et objet de la loi) est un gain de temps. Celui-ci est relativiser : comme l’a noté le Conseil d’État[15], même en l’absence de permis de construire, les autres autorisations devront être recueillies: ce gain de temps ne pourrait être atteint qu’après un renforcement de l’action des administrations centrales et des services déconcentrés intervenant dans le cadre de l’autorisation environnementale[16]. 

    Dérogations : loi littoral et concession d’utilisation du domaine public maritime

    Les projets nucléaires pourront s’affranchir des restrictions de construction liées à la loi littoral. De plus, par dérogation aux dispositions de l’article L. 2124-2 du code général de la propriété des personnes publiques, les concessions d’utilisation du domaine public maritime demandées pour la construction et l’exploitation de nouveaux réacteurs implantés en façade maritime pourront être octroyées à l’issue d’une enquête publique mais sans obtention préalable d’une déclaration d’utilité publique. Il sera possible de porter atteinte à l’état naturel du rivage de la mer, notamment par endiguement, assèchement, enrochement ou remblaiement, pour la construction de nouveaux réacteurs nucléaires à proximité ou à l’intérieur du périmètre des installations existantes.

    Le projet de loi permet d’appliquer la procédure d’expropriation avec prise de possession immédiate prévue par le code de l’expropriation pour cause d’utilité publique.

    En outre, et sans avoir attendu la fin du débat public, un « Conseil de politique nucléaire » réuni par Emmanuel Macron avait, le 3 février dernier, acté la fusion de l’Institut de radioprotection et sûreté nucléaire (IRSN), chargé de surveillance de la radioactivité dans l’environnement et appui technique des pouvoirs publics en matière de risque nucléaire et radiologique, avec de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), le gendarme des centrales. Cette décision a aussitôt suscité l’opposition des personnels, de parlementaires et de spécialistes qui y voient une perte d’indépendance, de compétence et de capacité d’expression des experts[17]. Le 15 mars, l’Assemblée nationale a alors rejeté en première lecture cette réforme en votant pour préserver « l’organisation duale » actuelle. Le sujet reste néanmoins d’actualité et il ne peut encore être écarté une future fusion de ces deux autorités.

    Le Sénat a voté en faveur du projet de loi d’accélération du nucléaire le 24 janvier, tandis que l’Assemblée nationale a voté en faveur le 21 mars. Le texte doit encore être amendé en commission mixte paritaire le 4 mai prochain, puis soumis à un second vote parlementaire. 

    Notes

    [1] Voir ici : https://rte-futursenergetiques2050.com/ 

    [2] Voir ici : https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2022/02/10/reprendre-en-main-notre-destin-energetique 

    [3] European Pressurized Reactor = Réacteur pressurisé européen, devenu Evolutionary Power Reactor. Il s’agit d’un réacteur de “génération III+” d’une puissance électrique d’environ 1670 MW.

    [4] Introduite par la loi du 8 novembre 2019 relative à l’énergie et au climat, il s’agit d’une loi de programmation quinquennale devant être actualisée tous les 5 ans. Ses grands axes seront déclinés à travers la Stratégie nationale bas-carbone (SNBC) et la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE). La LPEC, la SNBC et laPPE émanent de la stratégie française pour l’énergie et le climat (SFEC)

    [5] Article 7 de la Charte de l’environnement : « Toute personne a le droit, dans les conditions et les limites définies par la loi, d’accéder aux informations relatives à l’environnement détenues par les autorités publiques et de participer à l’élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement. »

    [6]Articles L.121-8 et suivants du code de l’environnement

    [7] Articles L.121-15-1 et suivants du code de l’environnement

    [8] Créée en 1995 par la loi Barnier relative au renforcement de la protection de l’environnement. Il s’agit d’une autorité administrative indépendante.

    [9] Articles L.123-2 et suivants du code de l’environnement

    [10] Article L.123-19 du code de l’environnement

    [11] Articles L.123-19-1 et suivants du code de l’environnement

    [12]  Rapport n° 236 (2022-2023) de M. Daniel GREMILLET, fait au nom de la commission des affaires économiques, déposé le 11 janvier 2023, https://www.senat.fr/rap/l22-236/l22-236.html

    [13] Des contrôles « ont permis de détecter la présence de fissures de fatigue thermique », sur des conduites d’urgence « considérées comme sensibles à la corrosion sous contrainte » dans le réacteur 2 de la centrale nucléaire de Penly (Seine-Maritime) et le réacteur 3 de la centrale de Cattenom (Moselle), selon une note de l’ASN. En outre, l’ASN a jugé que “ Cet événement n’a pas eu de conséquence sur le personnel ni sur l’environnement. Néanmoins, il affecte la fonction de sûreté liée au refroidissement du réacteur. En raison de ses conséquences potentielles et de l’augmentation de probabilité d’une rupture, l’ASN le classe au niveau 2 de l’échelle INES en ce qui concerne le réacteur 1 de la centrale nucléaire de Penly et au niveau 1 pour les autres réacteurs concernés.”

    [14] L’article L.421-5 du code de l’urbanisme prévoit déjà une dispense de formalités pour certains projets “du fait qu’ils nécessitent le secret pour des raisons de sûreté ou que la préservation de leur confidentialité est nécessaire pour la sauvegarde des intérêts de la défense nationale.”

    [15] Avis du Conseil d’Etat sur un projet de loi visant à accélérer la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites nucléaires existants, 2 novembre 2022

    [16]  La Cour des comptes a souligné dans un rapport que les services déconcentrés de l’urbanisme ont porté la majorité des suppressions de poste au cours des dernières décennies (voir « Les effectifs de l’administration territoriale de l’État », Cour des comptes, 31 mai 2022)

    [17]  Voir https://www.irsn.fr/actualites/motion-cor-lirsn-contre-demantelement-programme-linstitut ; https://www.irsn.fr/savoir-comprendre/environnement/quel-est-role-lirsn

  • IMPACTS HORS SÉRIE – 22 mars 2023 – Sécheresse en France en plein hiver

    En début d’année, la France métropolitaine a battu son record de nombre de jours sans pluie : 32 jours, du jamais vu depuis le début des enregistrements en 1959. Si quelques gouttes ont pu tomber ici ou là, le cumul quotidien des précipitations a été inférieur à 1 mm, et ce en plein hiver – période essentielle où les nappes phréatiques se remplissent et où la neige s’accumule en montagne. Le mois de février 2023 a été le mois le plus sec jamais enregistré avec un déficit de précipitation d’environ 50%. La situation est également préoccupante dans les territoires ultra-marins, par exemple en Guadeloupe où le déficit de précipitations est de -30% depuis décembre 2022. Les prévisions pour l’été 2023 concernant la sécheresse sont inquiétantes. Les réserves en eau qui avaient permis aux territoires français de traverser la sécheresse de 2022 ne sont pas constituées pour faire face à un été chaud et sec.

    Pourquoi une telle sécheresse ? Est-ce dû au réchauffement climatique ? Quelles conséquences actuelles et à venir ? 

    Pour le 22 mars, journée mondiale de l’eau, nous vous proposons quelques éléments de réponse dans ce nouvel hors-série de notre revue IMPACT.

    Quelle sécheresse en France actuellement ?

    La sécheresse est un épisode de manque d’eau créant un déséquilibre hydrologique. La France est actuellement touchée par trois types de sécheresse : 

    • la sécheresse météorologique qui provient d’un déficit de précipitations sur une période donnée ;
    • la sécheresse agricole lorsque le déficit de précipitations créé un déficit hydrique des sols mesuré par le taux d’humidité à 1 mètre de profondeur ;
    • la sécheresse hydrologique qui est atteinte quand les niveaux des nappes phréatiques et des cours d’eau sont trop bas.

    Selon le Bureau des Recherches Géologiques et Minières (BRGM), le niveau des nappes phréatiques au 1er mars 2023 est anormalement bas, avec 80% des nappes à des niveaux modérément bas à très bas. 

    Le saviez-vous ?

    Au 16 mars 2023, sept départements français (Ain, Alpes-Maritime, Ardèche, Bouches-du-Rhône, Drôme, Guadeloupe, Isère, Pyrénées-Orientales, Var) en alerte sécheresse ont déjà pris des mesures de restriction d’eau.

    Cette situation est due à une année 2022 et un début 2023 particulièrement chauds et secs selon MétéoFrance

    Près de -25% de précipitations sur l’ensemble de la France métropolitaine en 2022, l’année dernière a été la plus chaude jamais enregistrée. La sécheresse de 2022 avait déjà coûté 2 à 3 milliards d’euros aux assureurs et 76 millions d’euros à l’État au titre des indemnisations agricoles. L’année 2022 faisait elle-même suite à d’autres étés très secs successifs depuis 2018.

    Ces phénomènes de sécheresses à répétition et sévères sont une conséquence du changement climatique comme expliqué par le GIEC dans le résumé final de son sixième rapport en trois volets sorti ce lundi  20 mars 2023.En effet, le changement climatique entraîne un changement des saisons, une réduction de la période hivernale avec un réchauffement important des étés. Or, la chaleur renforce l’évaporation de l’eau. Des chercheurs du CNRS ont prouvé pour l’été 2022 l’impact du changement climatique d’origine humaine sur la circulation atmosphérique et sur la sécheresse. Mais d’autres facteurs aggravent la sécheresse. Avec la bétonisation, l’urbanisation et l’agriculture conventionnelle qui a fortement dégradé les sols, l’eau s’infiltre beaucoup moins dans les sols, ce qui a tendance à empêcher le rechargement des nappes phréatiques.

    Les conséquences de la sécheresse sont importantes. Nous en avions déjà décrit certains dans un précédent hors-série consacré au bilan de l’été 2022.

    L’accès à l’eau des personnes : un enjeu majeur

    Sans eau, l’humain meurt. Le droit à l’eau – sans être consacré par la constitution française – est reconnu par l’article L210-1 du Code de l’environnement. Or, la sécheresse a des conséquences importantes sur l’accès à l’eau des personnes. Elle impacte tant la quantité d’eau disponible que sa qualité (développement de bactéries, concentration de composés, etc). 

    En Outre-mer, notamment en Guadeloupe, les services d’eau potable procède à des coupures face au manque de ressource. En métropole, de nombreuses communes connaissent chaque année leur “Jour Zéro”, le jour où il n’y a plus d’eau au robinet. Plus de 700 communes ont connu des difficultés d’approvisionnement en eau en 2022 et 550 ont dû ravitailler leurs concitoyens par camion-citerne.

    Au-delà de l’accessibilité physique de l’eau, le problème de l’accessibilité financière se pose. La sécheresse participe à faire monter le prix de l’eau. Or, en 2017, on estimait que 3% de la population française était déjà en situation de précarité hydrique (c’est-à-dire que le poids de l’eau dans leur budget est égal ou supérieur à 10% de leur budget total).

    L’accès à l’eau est révélateur d’importantes inégalités : 

    • inégalités territoriales, entre les territoires qui ont suffisamment d’eau et ceux qui en manquent
    • inégalités sociales, entre les ménages aisés qui ont plus facilement accès à la ressource et les ménages les plus pauvres. (Outre le revenu, d’autres facteurs renforcent ces inégalités, notamment le manque de représentativité politique, les limites de l’accès à l’information et de la participation à la décision publique). 

    Cet été 2022, le manque d’eau dans des villages du sud a montré les tensions et les inégalités que pouvait générer la sécheresse.

    La sécheresse a des conséquences pour les végétaux et les animaux

    L’eau est indispensable à la survie de nombreux végétaux sur le territoire français qui ne sont pas adaptés à des milieux très secs. Pour les plantes, la sécheresse entraîne un manque d’eau qui a un impact sur leur croissance et peut entraîner leur mort. La période de récupération des végétaux suite à une sécheresse peut être très longue, elle est en moyenne de 6 mois au niveau mondial. Les conséquences pour la flore sont donc durables dans le temps.

    Pour le monde animal, la sécheresse a également des conséquences importantes. Les animaux aquatiques sont particulièrement touchés par les bas niveaux des cours d’eau qui fragmentent leur milieu voire amènent son assèchement complet, ce qui entraîne la mort de nombreux individus. Mais toute la faune est concernée avec des difficultés pour boire et s’hydrater, mais aussi une transformation de leur habitat (diminution de la transpiration des arbres en forêt, baisse de la qualité de l’eau, diminution des végétaux disponibles pour l’alimentation, incendies, etc) qui créent une surmortalité importante. Prenons l’exemple des oiseaux qui sont en pleine période de nidification et particulièrement vulnérables à la déshydratation. 

    Bien sûr, totalement dépendant de son environnement pour sa survie, l’humain souffre par effet de rétroaction des impacts de la sécheresse sur la faune et la flore.

    La sécheresse a un impact direct sur les activités agricoles, cultures et élevages.

    En 2022, la sécheresse avait fait chuter de 54% les rendements de maïs non irrigués et cette année 2023 pourrait être encore pire. Les arbres fruitiers souffrent déjà de la sécheresse hivernale en ce début 2023 et ils ne vont pas pouvoir mobiliser suffisamment d’eau pour leur croissance et la production de fruits. La vigne est également impactée par la sécheresse des sols dans de nombreux départements, par exemple en Côte d’Or. Les conséquences se font aussi sentir pour l’élevage en jouant sur la disponibilité du fourrage et l’hydratation des animaux. Si la sécheresse actuelle se poursuit en mars et avril, il risque de ne pas y avoir assez de fourrage pour nourrir les animaux. Cet épisode précoce de sécheresse est d’autant plus inquiétant qu’il fait suite à un été 2022 qui avait fortement impacté le secteur agricole (manque d’herbe, récoltes détruites, trésorerie dégradée, baisses de revenus, licenciements dans un secteur soumis déjà à de fortes disparités sociales).

    Les ressources agricoles constituent notre alimentation. Les difficultés de production alimentaire à cause de la sécheresse vont réduire les stocks disponibles mais risquent également de faire augmenter les prix de certains produits alimentaires.

    De multiples impacts sur la santé

    La santé des personnes est également à risque face à la sécheresse. Il y a les conséquences immédiates les plus évidentes : déshydratation, problème d’hygiène lié au manque d’eau ou encore risques de dénutrition et malnutrition induits par les conséquences de la sécheresse sur l’alimentation. Mais d’autres conséquences moins connues existent sur notre santé. Peu d’études ont été faites en France, mais dans d’autres pays des chercheurs ont démontré que la sécheresse pouvait : 

    • causer ou aggraver des maladies respiratoires (concentration en poussières et en particules fines dans l’air), 
    • amener le développement de certains pathogènes (notamment les norovirus), favoriser les maladies vectorielles en particulier celles diffusées par les moustiques, 
    • augmenter les risques d’exposition à des contaminants (concentration de composés dans l’eau, mais aussi application de pesticides qui par temps sec ont plus de chance de se répandre dans une zone non ciblée et de s’accumuler),
    • ou encore favoriser les problèmes de santé mentale et le stress face au manque d’eau.

    Des conséquences aussi sur le logement

    Au-delà des limitations des permis de construire pour des maisons neuves du fait du manque d’eau dans certaines communes, la sécheresse joue également sur le phénomène de retrait et gonflement des argiles qui vient fragiliser les bâtiments. Le manque d’eau amène une perte de volume des argiles entraînant leur retrait et l’affaissement des sols où se trouvent les fondations et les dallages des bâtiments. Les sinistres liés à l’impact de la sécheresse sur les bâtiments ont été multipliés par quatre en 5 ans et touchent désormais des régions jusque-là épargnées comme l’Est de la France. Selon un rapport du ministère de la Transition Écologique publié en 2021, plus de 10 millions de maisons individuelles sont menacées et le phénomène pourrait s’aggraver jusqu’à concerner une maison sur deux en France métropolitaine.

    Quelles solutions ?

    Un Plan national sur l’eau devrait être annoncé dans les jours qui viennent dans le même format que le plan de sobriété énergétique de cet hiver. Selon les premières informations, ce plan, auquel on peut reprocher sa verticalité et l’absence d’adaptation à chaque territoire, insisterait sur la remise aux normes du réseau soumis à d’importantes fuites et sur l’effort des citoyen·ne·s pour une sobriété hydrique. 

    Face à l’annonce de ce plan, deux enjeux méritent notre attention :

    • Face aux sécheresses, attention aux bonnes solutions. Les politiques publiques trop souvent encore financent des maladaptations au détriment de solutions d’intérêt général. Par exemple, de nombreux agriculteurs se tournent vers la création de retenues d’eaux immenses pouvant aller jusqu’à couvrir la surface de 250 piscines olympiques. Ces retenues représentent des chantiers d’aménagement coûteux de plusieurs millions d’euros à 70% financés par l’État, mais celles-ci vont puiser encore plus dans les nappes phréatiques, captent dans le bassin versant déjà soumis à de fortes baisses de débit de l’eau et amènent d’importantes pertes du fait de l’évaporation. 
    • Nous ne sommes pas tou·te·s égaux face à la ressource en eau. Une réflexion collective est nécessaire pour réduire de façon intelligente et solidaire notre consommation d’eau en priorisant les usages de façon juste et équitable. L’eau est l’affaire de tou·te·s ! À cet égard, consacrer notre droit d’accès à une eau potable dans la Constitution pourrait être un bouclier juridique pour les citoyen·ne·s des générations présentes et futures.

    POUR EN SAVOIR PLUS

  • IMPACTS – La revue des inégalités climatiques

    IMPACTS – La revue des inégalités climatiques

    La revue de presse des inégalités climatiques

    La newsletter IMPACTS revient sur les inégalités climatiques afin de mettre en lumière les conséquences du dérèglement du climat sur les territoires et populations français-es. Impacts sociaux, économiques, territoriaux, etc… Le réchauffement climatique aggrave les inégalités. Nous voulons les montrer pour mieux les combattre ! 

    Nous sommes convaincu-es que la réalité des inégalités socio-environnementales a un potentiel de mobilisation fort :  ce sujet permet de prendre conscience de l’urgence climatique, qui porte dès maintenant atteinte aux conditions de vie.

  • IMPACTS HORS SÉRIE – Bilan de l’été 2022 en France

    Plusieurs journaux sont revenus sur le climat de l’année 2022 et sur l’été particulièrement hors-normes que nous avons connus. Cela était-il prévisible ? Oui, le GIEC alerte depuis les années 90 sur les conséquences du changement climatique.

    Quels impacts ces évènements climatiques extrêmes ont eu concrètement en France ? C’est cette question qui a intéressé le groupe de travail inégalités climatiques qui suit au sein de sa revue IMPACTS les impacts différenciés du changement climatique sur la population et le territoire français. Nous avons eu à cœur de dresser une synthèse à partir des nombreuses données chiffrées qui sont remontées ces dernières semaines afin de dresser un premier bilan de l’été 2022 et de vous le partager.

    Cette synthèse montre que les impacts concernent tout le territoire français et perdurent dans le temps. Ainsi, en décembre, 20 départements étaient encore en alerte sécheresse. Ce bilan fait également apparaître que si toute la France a souffert des évènements climatiques extrêmes survenus pendant l’été, des parties de la population et des territoires ont été plus touché.e.s que d’autres dessinant des vulnérabilités différenciées qui nous permettent de mieux comprendre comment le changement climatique s’ancre en France. Elle met en évidence que des politiques d’adaptation sont à prendre dès maintenant pour limiter et anticiper ces impacts et protéger en priorité les territoires et les populations les plus impactées par le changement climatique pour des raisons d’équité.

    Sommaire

    I. Retour sur les évènements climatiques extrêmes de l’été 2022 en France
    II. Bilan humain de l’été 2022
    III. Les impacts sur les sols et la biodiversité
    IV. Pertes et dommages : les sinistres pour les particuliers
    V. Autres pertes et dommages : les impacts importants sur l’agriculture et
    l’alimentation

    I. Retour sur les évènements climatiques extrêmes de l’été 2022 en France

    Cet été a été marqué par : 

    3 vagues de chaleur intenses.
    • 33 jours de canicule.

    2022 est le deuxième été le plus chaud enregistré après 2003, juste avant celui de 2018 et le mois de juin a été le plus chaud jamais enregistré (maximale à 36,2°C).
    Cet été se classe parmi les 10 étés les plus secs sur la période 1959-2022. Cette sécheresse n’est pas un événement isolé, l’été 2019 et l’été 2020 avaient déjà été particulièrement secs.

    Les orages ont été exceptionnellement nombreux et ont souvent
    été accompagnés de chutes de grêle dévastatrices ou de rafales
    de vent dépassant les 200 km/ heure ou de pluie diluvienne.

    Les orages ont occasionné 23 000 coupures d’électricité, et
    100 communes ont été ravitaillées en eau potable à cause du
    manque d’eau.

    • De très nombreux incendies, dont les feux de Gironde.
    • En France, les feux de l’été sont jusqu’à plus de 7 fois plus importants
    que la moyenne des 15 dernières années.

    Tous les départements français ont été en alerte sécheresse, 57 départements étaient en crise, une vingtaine étaient encore en alerte en décembre.
    • Des ruptures de glacier se sont produits dans les Pyrénées et les Alpes.

    Le saviez-vous ?

    Strasbourg a connu 50 jours de chaleur consécutifs (plus de 25 °C) et Marseille 113 jours de chaleur consécutifs à partir du 9 mai. La température de la mer Méditerranée était de 4 à 5 degrés au-dessus des températures normales, c’est cette hausse des températures qui explique en partie la violence des orages survenus en Corse à la fin de l’été.

    Quels impacts ont eu ces évènements au-delà de leur caractère hors-normes ?

    II. Bilan humain de l’été 2022

    Ces événements ont d’abord eu de graves conséquences sur la vie de nombreuses personnes.

    Le chiffre le plus impressionnant est le nombre de décès suite aux trois vagues de chaleur qui auraient entraîné 10 420 décès supplémentaires entre le 1ᵉʳ juin et le 15 septembre 2022.

    Autre chiffre révélateur de la vulnérabilité des travailleurs en extérieur, 7 personnes auraient été victimes d’accidents du travail mortels liés à la chaleur d’après la Direction générale du travail.

    Suite aux orages et incendies, 7 personnes ont péri dans les orages et incendies, 49personnes ont été blessées, dont de nombreux pompiers, et au moins 45 000 personnes ont été évacuées. (Ces derniers chiffres ont été récoltés en réalisant une veille de plusieurs médias sur tout l’été.

    Enfin, les recours aux soins aux urgences ont été multipliés par deux créant un effet d’engorgement dans les hôpitaux déjà fragilisés par les vagues successives de covid qui ont continué durant l’été.

    Qui a été le plus touché ?

    Les personnes les plus touchées ont été : les pompiers, les touristes, les travailleurs en extérieur et les personnes âgées de plus de 75 ans qui représentent 80 % des mort.e.s des vagues de chaleur.
    Les régions : Bretagne (+ 19,9 %), Grand Est (+ 25,7 %) et Île-de-France (+ 20,8 %) ont les
    excès de mortalité relatifs les plus importants
    Source : https://reporterre.net/Canicule-et-Covid-ont-cause-10-000-morts-en-plus

    III. Les impacts sur les sols et la biodiversité

    Le bilan des incendies

    L’impact le plus saisissant sur les paysages et les écosystèmes est celui laissé par les incendies qui ont été 7 fois plus importants en France que la moyenne des 15 dernières années. Cette augmentation du nombre d’incendies a touché tous les pays d’Europe.

    En plus des vies touchées par les feux de l’été, c’est 61 289 hectares qui ont brûlé, soit 6 fois la taille du département de Paris.

    Par ailleurs, des moyens considérables ont été déployés pour éteindre ces incendies. Le coût de chaque intervention s’élèverait d’après Le Parisien à un chiffre compris entre 750 000 à un million d’euros.

    En juillet 2022, ce sont 3 000 hommes qui ont été mobilisés, 2 000 au plus près du feu et 1000 pour gérer le déroulement des interventions. En termes de matériel, c’est 350 engins de lutte et 200 en appui qui ont été mobilisés, soit un coût global à plus de 100 millions d’euros. En plus de leur coût sur le terrain, l’indemnisation des véhicules défaillants représente un coût
    considérable. À titre d’exemple, les gros camions peuvent coûter jusqu’à 300 000 euros et 50 000 euros pour les 4×4.

    Enfin et surtout, ces interventions ont de lourds impacts en terme de santé, car elles sont génératrices de stress intense comme ont pu l’indiquer les équipes de soin qui suivent les sapeurs-pompiers à la presse.

    Impacts sur les forêts

    Les peuplements forestiers ont été fortement impactés par la sécheresse. De nombreux témoignages ont rapporté l’état dégradé de la végétation qui affichait des couleurs d’automne en plein été.

    Les forêts ont été touchées aussi par les épisodes de grêle du début de l’été durant lesquels de nombreux arbres ont été blessés sur des dizaines voire des centaines d’hectares. Les plus forts dégâts en forêt se sont produits dans les régions de : Bourgogne-Franche-Comté, la Nouvelle-Aquitaine (Dordogne, Gironde, Landes, Deux-Sèvres, Vienne et Creuse), le Centre
    (Loir-et-Cher, Indre, Maine-et Loire) et l’Allier.

    Impacts sur la faune

    Malgré le manque de données chiffrées dont nous disposons pour le moment, la LPO, le CNRS, ou encore Eau de France, ont signalé les vulnérabilités qu’occasionnaient la sécheresse mais aussi les intempéries sur la population animale

    Outre l’impact important de la sécheresse sur le bétail, les chercheur.se.s ont souligné que les milieux aquatiques ont été fortement perturbés par les vagues de canicules qui ont occasionné de faibles étiages ou des assecs, une hausse de la température de l’eau, une baisse de la quantité d’oxygène, et favorisé l’apparition de micro-algues. De nombreux sauvetages de poissons ont ainsi été effectués partout en France et de nombreuses populations de poissons sont mortes, par exemple dans la Loire ou au nord de Pau, sur le lac de Serre-Castets.

    Les chercheur.se.s ont rapporté que les oiseaux, vulnérables à la déshydratation, ont souffert plus particulièrement des intempéries de juin ou du manque d’eau lié à la sécheresse.

    Enfin, les incendies en Bretagne et en Gironde, ont tué ou privé de leur habitat de nombreux animaux sauvages : des insectes, des amphibiens, des reptiles et des mammifères.

    Impacts sur les glaciers

    L’enneigement historiquement bas dans les Écrins cet hiver et les fortes chaleurs persistantes, dès le printemps, ont eu des conséquences sur plusieurs glaciers des Hautes-Alpes, notamment pour le plus vaste glacier des Écrins, le glacier Blanc, dont la fonte a été exceptionnelle. D’autres glaciers sont en danger : les glaciers d’Ailefroide, de la Momie, des Violettes et du Pelvoux.

    IV. Pertes et dommages : les sinistres pour les particuliers

    Le terme « perte et dommage » est utilisé par les Nations Unies pour désigner les dommages causés par le changement climatique. Comme le résume le Réseau Action Climat, les pertes et dommages peuvent être de nature économique et non économique. Ils peuvent être la conséquence de phénomènes météorologiques extrêmes tels que des ouragans violents, ou de phénomènes à occurrence lente comme la montée du niveau des mers. Les populations les plus vulnérables des pays en développement, pourtant les moins responsables du changement climatique, sont les plus durement touchées et ont le moins de moyens pour faire face à ces impacts.

    En 2022, en France, la sécheresse et les intempéries ont causé des millions de sinistres pour un coût total estimé entre 6 et 7 milliards d’euros.

    Les orages de grêle survenus entre le 18 juin et le 4 juillet ont coûté 2,4 milliards d’euros:
    ▪ 624 000 sinistres au total.
    ▪ 267 000 habitations sinistrées.
    ▪ 337 000 automobiles endommagés.
    ▪ 16 000 biens professionnels sinistrés.
    ▪ 4 000 biens agricoles frappés.

    La sécheresse a provoqué de nombreux phénomènes de retrait-gonflement des sols argileux provoquant de nombreuses fissures dans les maisons pour un coût entre 1,9 et 2,8 milliards d’euros.

    Le phénomène de retrait-gonflement des sols argileux :Les terrains argileux superficiels peuvent varier en volume à la suite d’une modification de leur teneur en eau. Ils se rétractent lors des périodes de sécheresse et gonflent au retour des pluies. L’augmentation des sécheresses et des épisodes de pluie violents lié au changement climatique accélère ce type de phénomène.

    Ces chiffres sont à prendre en compte aussi dans le temps long car au total, entre 1990 et 2020, la sécheresse a coûté, selon les assureurs, 14 milliards d’euros

    Entre 2020 et 2050, la sécheresse pourrait coûter sans politique d’adaptation urgente et sérieuse au changement climatique 43 milliards d’euros. Ce sont 10 millions de maisons individuelles françaises concernées à cause notamment du phénomène de retrait-gonflement des sols argileux. 

    V. Autres pertes et dommages : les impacts importants sur l’agriculture et l’alimentation

    Le secteur français le plus fortement impacté par les évènements climatiques extrêmes a été l’agriculture, et donc conséquemment les agriculteur.ice.s mais aussi notre alimentation.

    Concrètement, qu’est-ce que cela signifie pour les agriculteurs ?

    • des récoltes détruites, 
    • une trésorerie dégradée, 
    • une baisse de revenu qui se fait ressentir sur l’année, 
    • des licenciements dans un secteur soumis déjà à de fortes disparités sociales.

    Pour notre alimentation, cela signifie une baisse de production agricole. Ainsi, l’été 2022 a été marqué par une forte baisse de : 

    – production de maïs, -17,1% par rapport à la moyenne 2017-2021, ce qui veut dire que c’est la plus faible récolte de maïs depuis 1990.

    – production d’herbe, – 33 % par rapport à la période de référence (1989-2018). C’est la production la plus faible depuis 2003.

    Ces baisses de rendement peuvent avoir d’autres impacts sur une chaîne d’approvisionnement déjà soumise à une forte tension depuis la guerre en Ukraine, et sur d’autres produits réalisés à partir de maïs. 

    À titre d’exemple, une partie de la production mondiale de maïs est utilisée en alimentation animale mais aussi par les productions industrielles d’éthanol et d’amidon. Les firmes agro-alimentaires utilisent de plus en plus l’amidon du maïs comme substitut du sucre. C’est le cas pour la confiserie, la chocolaterie, la pâtisserie, la biscuiterie, la fabrication de confitures, de conserves de fruits, de crèmes glacées, d’entremets, de plats cuisinés… Le maïs est aussi largement utilisé pour la fabrication de la bière, en complément du malt, ainsi que pour produire du whisky (bourbon).

    Comme le soulignait le Ministère de l’Agriculture, d’autres effets décalés de la sécheresse pourraient se manifester dans les mois à venir, par exemple une baisse de la production laitière ou une décapitalisation du cheptel. 

    Enfin, de nombreux labels alimentaires (AOP, IGP) n’ont pas été en mesure de respecter le cahier des charges annuel faute d’herbe suffisante dans les pâturages ou à cause du manque d’eau  : abondance, reblochon, Munster, fourme d’Ambert, bleu d’Auvergne, beurre Charentes-Poitou, beurre des Charentes, beurre des Deux-Sèvres, IGP Agneau du Quercy, les labels flageolet vert et lingot du Nord. 

    Qui a été le plus touché dans le secteur agro-alimentaire? 

    Les cultures les plus touchées ont été l’arboriculture, les vignes. Les bêtes ont fortement souffert du manque d’herbe. Les maraîchages conventionnels et agroécologiques ont été également durement touchés à l’ouest et dans le sud de la France.
    Pour exemple le plus symbolique, 11 départements victimes de la sécheresse ont été indemnisés au titre des calamités agricoles : l’Ardèche, l’Aveyron, le Cantal, la Drôme, la Loire, la Haute-Loire, le Lot, la Lozère, le Puy-de-Dôme, le Rhône et le Tarn. L’indemnisation prévisionnelle pour ces départements s’élève à 76,3 millions d’euros.

    Mais la sécheresse n’a pas  eu que des impacts sur l’agriculture, elle a eu aussi de forts impacts sur d’autres secteurs économiques :

    – le tourisme, notamment dans les Hautes Alpes et les Alpes de Haute Provence, en Corse et en Gironde. Dans le bassin d’Arcachon, le tourisme aurait enregistré une baisse de chiffre d’affaires de 10 à 50%

    des secteurs essentiels comme le transport fluvial ont été menacés, notamment sur le Rhin qui connaissait son plus faible niveau depuis 15 ans.

    Conclusion

    Ce premier bilan des impacts de l’été 2022 sur la France met en relief des vulnérabilités.

    Pour les personnes :

    – les personnes âgées de plus de 75 ans 

    les travailleurs en extérieur : secteur touristique, construction, pisciculture, agriculture

    –  les pompiers

    En terme de territoires : 

    –  les zones littorales, en particulier la côte ouest et la côté méditerranéenne, marquées par les gros orages de l’été, les incendies et des périodes de canicule très longues ;

    – les zones fluviales du Rhin, de la Loire et du Rhône fortement impactées par la sécheresse ;

    – les départements du sud de la France marqués par de graves problèmes de sécheresse et d’approvisionnement en eau ;

    – des villes comme Nantes ou Saint-Malo qui ont failli manquer d’eau potable ;

    – la région Grand Est, qui compte le plus fort taux de surmortalité lié aux canicules (+ 25,7 %) ;

    – les massifs forestiers exposés aux risques d’incendie, comme on l’a vu en Gironde ;

    – les zones montagneuses soumises à des risques de fonte comme on l’a vu avec le glacier blanc dans les Écrins ;

    – les zones de plateaux, comme la Cantal, la Drôme, le Quercy, sensibles aux sécheresses ;

    – et les zones argileuses exposées au risque de retrait-gonflement des sols argileux.

    D’autres vulnérabilités existantes ont moins été relayées par la presse : les jeunes enfants, les femmes enceintes, les habitant.e.s des centres villes exposés au phénomène de fournaise urbaine en temps de canicule. D’autres personnes ont souffert aussi pendant l’été, notamment les personnes détenu.e.s dans les prisons françaises souvent condamnées pour leur surpopulation carcérale et leurs conditions indignes de détention. 

    Quatre ans après le lancement de l’Affaire du Siècle, et la condamnation de l’État en 2021 par la justice, ce bilan montre que les catastrophes climatiques sont amplifiées par l’inaction de l’État et le manque d’adaptation des territoires français au changement climatique.

    Il montre aussi l’importance de mieux connaître les impacts du changement climatique pour penser et agir collectivement dans un souci d’efficacité et de justice dès aujourd’hui.

    Pour en savoir plus…

    Si vous voulez mieux connaître les inégalités climatiques et environnementales, ou rejoindre le groupe inégalités climatiques pour porter plus fort ce combat, vous pouvez nous écrire ou consulter notre rapport sur les inégalités climatiques et environnementales :  

    Et les combats en justice menés par Notre Affaire à tous

  • Inégalités climatiques et environnementales

    Inégalités climatiques et environnementales

    Présentation

    Les inégalités socio-environnementales sont un sujet encore peu investi en France, le dérèglement climatique étant perçu comme une menace globale et uniforme. Pourtant, selon l’âge, le sexe, et le statut social des individus, qui comprend leurs ressources économiques, culturelles et sociales, la vulnérabilité des individus face aux risques du dérèglement climatique est fortement différenciée. Nous pensons que la notion d’inégalité environnementale et climatique est au cœur de la lutte contre le changement climatique. 

    Depuis sa création en 2015, Notre Affaire à Tous s’est intéressée aux multiples victimes françaises du dérèglement climatique : agriculteurs, apiculteurs, pêcheurs, aquaculteurs, viticulteurs … C’est pour mettre en avant cette diversité des situations et pour développer un accompagnement et une protection face aux conséquences du dérèglement climatique que nous avons mis en place cette action.

    Nous sommes déterminé-es à accompagner et protéger les individus face aux conséquences du dérèglement climatique. Celui-ci nous amènera tous et toutes à subir un préjudice, qu’il soit écologique, moral, physique ou encore économique. Mais des inégalités se font déjà ressentir, selon les individus et entre les territoires, les vulnérabilités existantes s’en trouvant exacerbées. Pour mieux défendre notre cause, nous unissons les forces de la recherche et la sphère universitaire à celle de la sphère associative et de la mobilisation sociale.

    Pour en savoir plus, écoutez ce webinaire dans lequel Clothilde Baudouin de Notre Affaire à Tous, Rémi Saintagne de ATD Quart Monde France et Valentin Prelat du CRID reviennent sur les impacts différenciés du dérèglement climatique.

    Nos objectifs

    • Favoriser l’accès à la justice environnementale pour la société civile au niveau local et sensibiliser à la justice climatique
    • Documenter et sensibiliser aux impacts du changement climatique et les inégalités liées pour permettre une prise en compte réelle des risques climatiques pour la population
    • Présenter des portraits de français-es impacté-es par le changement climatique, à travers la mise en valeur des témoins par les biais journalistique et/ou universitaire
    • Rechercher les différents préjudices subis par les populations face au changement climatique et accompagner des citoyen-nes dans des recours sur fondements climatiques et faire reconnaître les préjudices
    • Favoriser une dynamique européenne autour des impacts du changement climatique et obtenir, à terme, une prise en compte réelle et adaptée des risques climatiques pour la population

    Comment ?

    Nous avons noué des relations avec des étudiant-es, des chercheurs et des spécialistes pour développer le contenu informatif disponible sur les inégalités climatiques et environnementales : nous réalisons des enquêtes, partons sur le terrain, recueillons et analysons des données…

    Pour favoriser le dialogue et diffuser l’information, le groupe est également en lien avec des journalistes et possède sa propre newsletter documentant les #IMPACTS inégalitaires de la triple-crise environnementale. Dans cette même optique de recherche-action, nous produisons des rapports thématiques étoffés pour documenter des situations d’inégalités climatiques et environnementales spécifiques. Nous mettons notre expertise juridique au service de la construction de plaidoyers collectifs, aux côtés des acteurs de terrain et des communautés premières concernées, et de réflexions prospectives pour intégrer ces enjeux aux argumentaires des contentieux stratégiques.

    Nous sommes convaincu-es que la réalité des inégalités socio-environnementales a un potentiel de mobilisation fort : ce sujet permet de prendre conscience de l’urgence climatique, qui porte dès maintenant atteinte aux conditions de vie et aux droits humains fondamentaux.

    Nos Actions

    IMPACTS – La revue des inégalités climatiques

    La newsletter IMPACTS revient sur les impacts inégalitaires de la crise environnementale afin de mettre en lumière les conséquences du dérèglement du climat sur les territoires et populations français-es. Impacts sociaux, économiques, territoriaux, etc… Le réchauffement climatique aggrave les inégalités. Nous voulons les montrer pour mieux les combattre !

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    Soif de justice dans les Outre-mer : agir contre les discriminations d’accès à l’eau potable

    Aux côtés de collectifs ultramarins, Notre affaire à tous se mobilise pour visibiliser les problématiques d’accès à l’eau potable et expliciter le ressort de la discrimination environnementale à leurs origines.

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    Prisons et risque climatique

    Notre Affaire à Tous met en lumière les risques climatiques et environnementaux auxquels font face les prisons françaises et alerte sur l’urgence d’adaptation du milieu et des politiques carcérales.

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    Crise climatique et droits humains

    Avec un plaidoyer porté au cœur des institutions protégeant des droits humains, Notre Affaire à Tous s’engage à documenter les impacts de la crise climatique et à renforcer les obligations des Etats et des acteurs privés.

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    Le rapport « Un Climat d’inégalités »

    Nous publions le rapport “Un climat d’inégalités : Les impacts inégaux du dérèglement climatique en France”, pour mettre en lumière un phénomène alors trop peu documenté : les inégalités climatiques sur le territoire français. Quatorze citoyen·ne·s témoignent des impacts directs du dérèglement climatique sur leurs conditions de vie quotidienne.

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    Une enquête inédite sur les vécus climatiques

    L’enquête « Vivre les fournaises urbaines » est le fruit d’une alliance unique et essentielle entre Notre Affaire à Tous, l’Université Lyon 2 et l’UMR Triangle pour penser de nouveaux milieux et territoires de vie plus écologiques. Cette enquête se concentre sur les vécus climatiques et les engagements écologiques dans 5 grandes villes du sud de la France, soulignant une fois de plus l’urgence à agir.

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    Le People’s Climate Case

    De mai 2018 à mars 2021,Notre Affaire à Tous a accompagné Maurice Feschet, le plaignant français du People’s Climate Case. Cette action en justice avait pour objectif de rehausser l’ambition climatique insuffisante des institutions de l’Union européenne et ainsi de protéger les droits fondamentaux à la vie, à la santé, au travail et à la propriété des familles plaignantes. Elles demandaient que des mesures efficaces pour lutter contre le changement climatique soient prises.

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    Portraits de témoins du changement climatique

    Entre 2018 et 2019, Notre Affaire à Tous a travaillé avec le JIEC – Journalistes d’Investigation sur l’Écologie et le Climat. Issu-es de cinq médias. Ils et elles se sont rassemblé-es pour dresser des portraits de témoins du changement climatique en France. Pour compléter ce travail, Notre Affaire à Tous a également lancé deux appels à témoignages sur les impacts du dérèglement climatique en France.

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    Nos ressources


    Nos autres actions

  • IMPACTS n°20 – 30 novembre 2022 – Les mobilités

    Le transport est l’activité qui contribue le plus aux émissions de gaz à effet de serre de la France. En 2019, il représente 31 % des émissions françaises de GES, et ces émissions sont en augmentation depuis les années 90 (+9 %). Ce sont les voitures des particuliers qui sont les principaux émetteurs, devant les poids lourds, les avions ou les bateaux D’après Géoconfluences, la mobilité désigne “un changement de lieu accompli par une personne (…) et rassemble à la fois un ensemble de valeurs sociales; une série de conditions géographiques; un dispositif technologique et son arsenal de techniques et d’acteurs (…). Chaque acteur dispose, du fait de ses compétences et de son insertion spatiale, d’un capital de mobilité (…). La circulation des personnes est à la source de processus d’échange et de diffusion (valeurs, idées, technologies, etc.), moteurs essentiels du développement de l’humanité.” Ce concept éminemment politique est devenu, au fil de l’histoire, un droit pour les citoyens : l’article 13 de la Déclaration universelle des droits de l’homme dispose que toute personne a le droit de circuler librement ; la loi d’orientation des transports intérieurs (LOTI) de 1982 affirme un droit au transport devant permettre de se déplacer “dans des conditions raisonnables d’accès, de qualité et de prix ainsi que de coût pour la collectivité”; enfin, la loi d’orientation des mobilités de 2019 se fixe pour objectif la mise en place de transports du quotidien à la fois plus faciles, moins coûteux et plus propres. En effet, si la mobilité doit être repensée pour répondre à l’urgence climatique, elle doit aussi prendre en compte l’urgence sociale. D’une part, sur le volet financier : en 2021, 13,3 millions de personnes sont en situation de précarité mobilité en France. La crise des gilets jaunes avait fait émerger cette problématique dans l’espace public, la crise de l’énergie depuis la guerre en Ukraine la remet à l’ordre du jour. D’autre part, sur le volet sanitaire : rappelons que la pollution atmosphérique est associée à 7 millions de décès prématurés dans le monde par an, en particulier dans les zones les plus précaires. S’intéresser à la mobilité, c’est donc à la fois constater son caractère polluant et inégalitaire et s’interroger sur son avenir.

    Sommaire

    La mobilité aujourd’hui : accélératrice de précarité et polluante 

    Focus : le concept de “précarité mobilité”. Entretien avec Pierre Marion, assistant parlementaire de la députée européenne Leïla Chaibi (LFI), juin 2022.

    – Les politiques publiques de la mobilité : un investissement technologique au détriment des enjeux sociaux et écologiques

    La mobilité aujourd’hui : accélératrice de précarité et polluante

    ­­La révolution industrielle a bouleversé la mobilité en Europe : à partir des années 1820, le chemin de fer et les transports urbains changent notre rapport au temps et à l’espace. Le réseau ferroviaire s’étend sur le continent pour permettre d’abord un échange accru des marchandises, puis le voyage. Aujourd’hui, la mobilité en France est centrée autour de la voiture, ce qui a des conséquences multiples et désastreuses .­

    Focus : le concept de “précarité mobilité”

    ­­Le Fonds social pour le climat a été proposé par la Commission européenne en juillet 2021. L’objectif était de permettre aux ménages vulnérables de faire face à l’augmentation du prix de l’énergie provoqué par l’extension du marché carbone aux transports routiers et aux bâtiments (notamment en versant des aides). En avril 2021, Leïla Chaibi propose d’inscrire dans la législation européenne le concept de “précarité mobilité” en lui donnant la définition suivante :
    “Une personne est considérée comme étant en situation de précarité mobilité quand : elle a des difficultés à se déplacer pour subvenir à ses besoins essentiels et/ou que les déplacements grèvent une bonne partie de son budget.” Entretien réalisé avec Pierre Marion, assistant parlementaire de la députée européenne Leïla Chaibi (LFI), juin 2022.­

    Les politiques publiques de la mobilité : un investissement technologique au détriment des enjeux sociaux et écologiques

    Les politiques publiques, loin de faire de l’enjeu social et écologique une priorité, creusent les inégalités en octroyant des alternatives aux CSP+. Citons entre autres : la politique ferroviaire axée sur les lignes à grande vitesse alors que le réseau intermédiaire et les petites lignes se réduisent; ou l’interdiction de la vente de voitures thermiques neuves d’ici à 2035, sauf pour les voitures de luxe. Dans le même temps, la réduction à la pompe ne fait que renforcer la dépendance aux énergies fossiles. Au lieu de proposer des modes de déplacement coûteux et polluants, les politiques publiques pourraient repenser le rapport à la mobilité.

    Pour aller plus loin !

  • Dérèglement climatique : quel impact sur vos droits ?

    Dérèglement climatique : quel impact sur vos droits ?

    Le dérèglement climatique a des conséquences dévastatrices sur les conditions de vie de millions de personnes, particulièrement les plus vulnérables. Recentrer le discours sur les droits humains peut obliger les gouvernements et les entreprises à faire le lien entre préoccupations environnementales et justice sociale.

    Nous sommes tous.tes concerné.es. En répondant à ces 5 questions simples, nous espérons vous donner un aperçu de l’impact du dérèglement climatique sur vos droits fondamentaux.

    Ce test respecte le RGPD : vos réponses sont anonymes et ne sont ni utilisées ni conservées.

  • IMPACTS n°19 – Précarité énergétique 

    “Les inégalités de logement et de précarité énergétique aggravent les inégalités sociales. Résoudre ce problème, c’est résoudre des problèmes d’ordre climatique et d’ordre social.” Danyel Dubreuil

    Ce 19ème numéro d’IMPACTS est consacré à la précarité énergétique et à ses impacts sur la population dans un contexte d’augmentation sans précédent des prix de l’énergie que vient aggraver la guerre en Ukraine. Pour parler de ce sujet urgent qui croise des enjeux sociaux et climatiques, IMPACTS a rencontré Aline To Lulala, en grand témoin de la précarité énergétique, et Danyel Dubreuil, coordinateur du collectif Rénovons engagé en faveur de la rénovation énergétique.

    Aline Lo Tulala, grand témoin

    Copyright Héloïse Philippe

    “Aline, pouvez-vous vous présenter ?

    Aline Lo Tulala, militante contre les passoires thermiques au sein de l’Alliance citoyenne 93 et actuellement suppléante de Bastien Lachaud, député sur Aubervilliers et Pantin et membre de l’Union populaire. En même temps, je suis aide-soignante de fonction et je travaille dans le secteur social.

    Comment définiriez-vous une personne en situation de précarité énergétique ?

    C’est une personne qui vit dans un logement souvent très mal isolé. Comme c’est très mal isolé, cette personne a beau chauffer, il fait trop chaud l’été et trop froid l’hiver, et les factures d’électricité ne cessent d’augmenter et deviennent très chères.
     


    Entretien avec Danyel Dubreuil, coordinateur de l’initiative Rénovons

    L’initiative Rénovons, alliance de 40 organisations mobilisées sur la précarité énergétique et la rénovation du bâti français, a proposé un bouclier énergie à l’hiver 2021 pour une politique efficace de lutte contre la précarité énergétique et de rénovation énergétique des bâtiments. Cette alliance regroupe entre autres la Fondation Abbé Pierre, le Secours Catholique, SoliHa, le CLER – Réseau pour la transition énergétique, le Réseau action climat.

    En France, combien de personnes sont-elles touchées par la précarité énergétique ?

    Tu as plusieurs chiffres qui peuvent servir d’indicateurs. La plupart des gens qui ont peu de ressources sont en précarité énergétique car c’est un rapport de consommation d’énergie sur le revenu. La barre est fixée à 8% pour les consommations de chauffage et d’eau chaude…
     

    Que peut-on retenir du bouclier tarifaire mis en place par le gouvernement cet hiver ?

    Les mesures 2021 ont annulé la hausse des prix de l’énergie pour les ménages concernés. La facture des ménages a augmenté de 100 euros et le chèque supplémentaire était de 100 euros, ce qui fait que les ménages n’ont quasiment rien gagné, ils sont dans la même situation qu’avant. Ils sont protégés de la hausse des prix mais la hausse continue avec des effets de rattrapage à venir, décalés dans le temps. Sur l’assiette dont on dispose, tout le monde n’a pas besoin d’être protégé de la hausse des prix. La hausse des prix est surtout pertinente pour ceux qui ont un usage immodéré de l’énergie, que ce soit en termes de carburant ou d’énergie consommée dans le logement. Pour eux, l’énergie n’est pas assez chère, c’est à dire que le poids de l’énergie dans leur budget est faible. Le taux d’effort énergétique de l’ensemble des français est de 4% environ. 8% pour les ménages en précarité énergétique, c’est déjà le double. Et ça ne concerne que les dépenses d’énergie liées au logement. 
     


    Les catastrophes naturelles, les personnes déplacées et les inégalités climatiques : le cas de la tempête Alex dans la vallée de la Roya

    Entre 1988 et 2017 les intempéries sont à l’origine de 1121 décès par an et représentent un coût de 2,2 milliards de dollars de pertes estimées sur le territoire français. Selon le GIEC, la France métropolitaine a connu un réchauffement d’environ +1,4°C depuis 1900, une valeur plus élevée que la moyenne mondiale estimée à +0,9°C entre 1901 et 2012. La France figure parmi les pays d’Europe les plus vulnérables au dérèglement climatique.

    Le 2 octobre 2020, le département des Alpes-Maritimes a été placé en vigilance rouge « pluie-inondation ». Les cumuls de pluie sur place ont atteint en quelques heures 450 à 500 mm dans l’arrière-pays et plus de 560 millions de tonnes d’eau sur le département, soit l’équivalent de 190 000 piscines olympiques. A l’issue de cet épisode, 55 communes des Alpes-Maritimes ont été reconnues en état de catastrophe naturelle. La Fédération française de l’assurance a recensé 14 000 déclarations de sinistres enregistrées pour un coût des dommages assurés atteignant 210 millions d’euros. Le coût final de la tempête Alex se répartit entre les dégâts causés aux habitations (72 %), aux biens professionnels et agricoles (25 %) et aux automobiles (3 %). Dans la vallée de la Roya, on recense 4 ponts détruits et 40km de voiries endommagées. Ces dommages s’accompagnent de traumatismes psychologiques pour les personnes sinistrées. Au lendemain de cette catastrophe naturelle exceptionnelle, de nombreuses questions se posent : comment reconstruire la vallée ? Où reconstruire les maisons détruites ? A l’avenir, comment prévenir de tels phénomènes climatiques, de potentielles crues similaires ? 

    Les dégâts de la tempête Alex dans la vallée de la Roya interrogent l’efficacité et l’adéquation de l’actuel régime d’indemnisation des victimes de catastrophes naturelles « CatNat » (I). Par ailleurs, les catastrophes naturelles, sources d’une augmentation des facteurs de paupérisation et de vulnérabilités nécessitent de questionner le rôle des acteurs publics dans l’adaptation et dans la prévention des catastrophes naturelles (II). 


    Synthèse sur la précarité énergétique

    Alors que les ménages français les plus énergivores consomment 6 à 9 fois plus que les plus économes, une partie croissante de la population française, à cause de la hausse des prix de l’énergie, souffre de précarité énergétique, c’est-à-dire éprouve une difficulté à disposer de la fourniture d’énergie nécessaire à la satisfaction de ses besoins premiers. En 2020, 14% des ménages disaient avoir souffert du froid, en 2021, ils étaient 20%.  Sur les 13 millions de personnes touchées, 40% estiment que c’est à cause d’une mauvaise isolation de leur logement, et 36% à cause de raisons financières. C’est pour dénoncer cette situation que les associations ont lancé le 10 novembre 2021 la journée de précarité énergétique.

    Concrètement, la précarité énergétique a des impacts forts sur les populations touchées, leur santé, les logements, le climat  et elle représente un coût pour la collectivité. La précarité énergétique aggrave fortement les inégalités sociales, et les passoires énergétiques, ces habitations très mal isolées et très énergivores classées F ou G sur les diagnostics de performance énergétique, sont particulièrement émettrices de CO2.

    Plusieurs enjeux urgents se trouvent donc au cœur de ce problème :

    – Celui de la rénovation massive des passoires énergétiques : pour protéger les ménages, améliorer l’efficacité énergétique des logements, et réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES).
    – Celui de la réduction des inégalités sociales puisque ce sont aujourd’hui les ménages les plus modestes qui, proportionnellement à leurs revenus, consacrent la plus grosse part de leur budget à l’énergie.

    Malgré des mesures d’urgence prises en 2022 pour faire face à la flambée des prix de l’énergie, peu d’avancées ont été faites sur le terrain des politiques publiques pour protéger les ménages et rénover le bâti français.

    Sous l’angle des inégalités climatiques et environnementales, plusieurs questions se posent donc : Quel impact la précarité énergétique a-t-elle sur les populations ? Quelles populations sont les plus touchées ? Est-ce que le dérèglement climatique peut renforcer les vulnérabilités existantes ? Quelles solutions peuvent atténuer ces impacts ?

    I. La précarité énergétique, une réalité qui touche toujours plus de ménages en France et en Europe

    II. Précarité énergétique : vers une augmentation dans les années à venir ?

    III. Quelles solutions pour réduire la précarité énergétique et anticiper les effets du dérèglement climatique ?

    Conclusion

    Une réduction des consommations d’énergie est nécessaire pour faire face à la hausse des prix de l’énergie, aux risques d’approvisionnement et à l’enjeu climatique. Malheureusement, aujourd’hui en France, ce sont les besoins de base des ménages les plus vulnérables qui sont les plus menacés.
    Est-il socialement acceptable que 20% de la population ait du mal chaque année à disposer de l’énergie nécessaire pour couvrir ses besoins premiers en France ? Ce laisser-faire a non seulement des conséquences sociales et sanitaires importantes (10 milliards par an selon France Stratégies), notamment sur les enfants qui grandissent dans des foyers en précarité énergétique, et il ne permet pas de réguler les comportements qui sont en excès de consommation d’énergie, ni de régler la question des logements les plus émetteurs de CO2.

    Pour allez plus loin

    France Stratégies

    ONPE

    Fondation Abbé Pierre

    Rénovons

    Insulate Britain

    Précarité énergie