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  • CP / Convention Citoyenne pour le Climat : réponses aux critiques sur l’écocide, la modification de la Constitution et le passage en référendum

    Communiqué de presse 

    Jeudi 9 juillet 2020 

    La Convention Citoyenne a voté le 21 juin dernier 150 propositions qu’elle a rendues publiques pour accélérer la lutte contre le réchauffement climatique, et certaines ouvrent la voie vers un véritable changement de paradigme. C’est notamment le cas des propositions de reconnaissance du crime d’écocide et de modification de la Constitution. Ces deux propositions font cependant l’objet de vives critiques. Face à ces réactions, Notre Affaire à Tous publie, ce jeudi 9 juillet, un argumentaire juridique pour défendre ces propositions et rappeler pourquoi elles sont nécessaires. Notre Affaire à Tous en appelle aussi à la responsabilité du gouvernement afin de faire avancer communément l’amélioration et l’adoption de ces textes sans pour autant en dénaturer l’esprit.

     “Imprécision”, “difficulté à prouver l’élément intentionnel du crime d’écocide”, “risque de populisme pénal”, “risque de redondance avec la Charte de l’environnement”, “risque de placer l’environnement au-dessus des autres valeurs”…  autant de critiques que Notre Affaire à Tous estime en grande partie injustifiées. Si ces critiques  ont au moins le mérite de nourrir le débat et de mettre en lumière des mesures emblématiques, elles demeurent néanmoins contestables juridiquement, parfois contre-productives et quelquefois davantage liées à un enjeu politique que juridique. 

    Cependant, les juristes de Notre Affaire à Tous n’en sont pas totalement insensibles et reconnaissent la nécessité d’élaborer les dispositifs les plus clairs et efficaces possible afin de réellement renforcer la protection de la nature et du vivant. Notre Affaire à Tous est décidée à faire adopter ces textes sans en dénaturer leur portée!

    Concernant l’intégration de l’écocide dans notre code pénal ainsi que la reconnaissance des limites planétaires, si la France agit et adopte une telle législation, un précédent absolument pionnier sera posé en matière de protection de la nature. A l’image de l’abolition de l’esclavage et de la reconnaissance des droits humains, Notre Affaire à Tous considère qu’il est temps d’intégrer ces nouvelles valeurs fondamentales communes dans notre droit positif. L’expérience de la Convention citoyenne pour le climat l’a démontré : les citoyens français sont prêts à voter en faveur de l’incrimination de l’écocide afin de mettre hors la loi les comportements destructeurs de notre environnement. 

    Ensuite, modifier l’article 1er de la Constitution tel que la Convention citoyenne le propose permettrait d’inscrire l’obligation d’agir pour la préservation de la biodiversité et la lutte contre les changements climatiques aux côtés des principes fondateurs de la République. Le choix des mots est important, et comme le Conseil d’Etat l’a indiqué dans un précédent avis du 29 mai 2019, lorsque le gouvernement avait encore pour intention de modifier lui-même cet article : “l’affirmation d’un principe d’action imposerait une obligation d’agir à l’Etat, au niveau national ou international, comme aux pouvoirs publics territoriaux. Il serait susceptible d’avoir des conséquences très lourdes et en partie imprévisibles sur leur responsabilité, notamment en cas d’inaction.” Au regard de la crise environnementale, nier la nécessité d’introduire une véritable obligation d’agir nous apparaît scandaleuse. L’Etat n’a d’autre choix que de répondre avec force et vigueur contre la destruction de notre maison commune. 

    Pour Marie Toussaint, de Notre Affaire à Tous : “ Il est urgent de discipliner les dirigeants économiques qui portent atteinte gravement à la nature et à la sûreté de la Terre en choisissant le profit à la vie. Telle est l’intention originelle de Notre affaire à tous lorsque nous avons rédigé cette première proposition de loi sur la reconnaissance de l’écocide et des limites planétaires au sein du droit pénal et du dispositif relatif au devoir de vigilance des sociétés mères et donneuses d’ordre”.

    Pour Marine Yzquierdo, qui s’occupe du plaidoyer concernant la modification de la Constitution au sein de Notre Affaire à Tous, “même si le dialogue intervenu le 29 juin dernier entre les 150 citoyen.ne.s et le président de la République est positif, il reste à s’assurer que de telles mesures aboutiront et ne seront pas vidées de leur substance lors de leur reformulation par le comité légistique. Notre Affaire à Tous continuera à soutenir les 150 citoyen.ne.s et à se mobiliser durant les prochaines étapes pour l’adoption de ces mesures emblématiques”, annonce 

    Notre Affaire à Tous publie donc, ce jeudi 9 juillet, un document de 13 pages répondant aux principales critiques contre l’écocide, la modification de la Constitution et le passage en référendum (liste non exhaustive). 

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  • Décryptage Convention Citoyenne pour le Climat  Exemplaire

    Décryptage Convention Citoyenne pour le Climat Exemplaire

    Article co-écrit par Paul MOUGEOLLE et Marine YZQUIERDO, membres de Notre Affaire à Tous, avec la collaboration de Marie TOUSSAINT et Valérie CABANES, co-fondatrices de l’association.

    La Convention Citoyenne pour le Climat est un exemple de démocratie participative inédit et certaines des mesures proposées ouvrent la voie vers une révolution juridique. Certaines de ces propositions telles que la reconnaissance du crime d’écocide et la modification de l’article 1er de la Constitution font pourtant l’objet de vives critiques. La proposition de soumettre ces deux mesures à référendum engendre également une levée de boucliers.

    Notre Affaire à Tous (NAAT), qui est à l’origine de ces deux propositions (aux côtés de Wild Legal pour l’écocide, et de la FNH au départ puis de Climates, le REFEDD et WARN en ce qui concerne la modification de l’article 1er de la Constitution), souhaite répondre à ces différentes critiques. Si elles ont au moins le mérite de nourrir le débat et de mettre en lumière des mesures emblématiques, ces critiques demeurent néanmoins contestables juridiquement, parfois contre-productives et quelquefois davantage liées à un enjeu politique que juridique. 

    Notre Affaire à Tous souhaite rappeler que l’objectif de ces propositions vise simplement à renforcer la protection de l’environnement, de la nature et du vivant, au-delà de tout débat idéologique.

    Si la France agit et adopte une législation efficace en matière d’écocide, un précédent important et absolument pionnier sera posé en matière de protection de la nature. A l’image de l’abolition de l’esclavage, il est temps de prendre nos responsabilités et d’intégrer nos nouvelles valeurs fondamentales communes dans notre droit pénal. L’expérience de la Convention Citoyenne pour le Climat l’a démontré : les citoyens français sont prêts à voter en faveur de l’incrimination de l’écocide afin de mettre hors la loi les comportements destructeurs de notre environnement. Montrons l’exemple à l’échelle de la France afin que l’humanité toute entière nous suive et protège la Terre et ses limites planétaires!

    A la suite des échanges intervenus le 29 juin entre les 150 citoyen.ne.s et le président de la République, ce dernier s’est dit prêt à intégrer l’écocide dans le droit français en revoyant toutefois la rédaction actuelle, et s’est montré favorable à une modification de l’article 1er de la Constitution, rejetant cependant la révision du préambule. Notre Affaire à Tous se réjouit de tels propos et considère également que “le temps est venu de faire, d’agir”, à condition de conserver l’esprit initial des textes lors du travail de réécriture. Voici donc nos réponses aux principales critiques (liste non exhaustive).

    1. Sur la reconnaissance du crime d’écocide

    Pour rappel, la Convention Citoyenne pour le Climat propose de :

    u003culu003e
    u003cli style=u0022font-weight: 400;u0022u003ereconnaître et définir le crime d’écocide comme “u003ciu003etoute action ayant causé un dommage écologique grave en participant au dépassement manifeste et non négligeable des limites planétaires, commise en connaissance des conséquences qui allaient en résulter et qui ne pouvaient être ignorées”u003c/iu003e;u003c/liu003e
    u003cli style=u0022font-weight: 400;u0022u003ereconnaître et définir le délit d’imprudence caractérisé d’écocide comme suit: “u003ciu003eConstitue un délit d’imprudence caractérisé d’écocide, toute violation d’une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou un règlement ayant causé un dommage écologique grave en participant au dépassement manifeste et non négligeable des limites planétairesu003c/iu003e”;u003c/liu003e
    u003cli style=u0022font-weight: 400;u0022u003eobliger les multinationales à publier un plan de vigilance en prenant en compte la problématique des limites planétaires à des fins de prévention: Ainsi, “u003ciu003el’absence de mesures adéquates et raisonnables relatives à l’identification et la prévention de la destruction grave d’un écosystème ou du dépassement manifeste et non négligeable des limites planétairesu003c/iu003e” constituerait une violation de la loi sur le devoir de vigilance ainsi qu’un délit d’imprudence d’écocide si celui-ci était caractérisé;u003c/liu003e
    u003cli style=u0022font-weight: 400;u0022u003ecréer une Haute autorité des limites planétaires afin de promouvoir et  garantir la mise en œuvre de cette législation.u003c/liu003e
    u003c/ulu003e

    Les principales critiques entendues

    “L’intention de nuire est difficile à établir.”

    Notre Affaire à Tous : La proposition de loi sur l’écocide ne prévoit pas la nécessité de prouver l’intention de nuire mais seulement la “connaissance” des conséquences des actes incriminés. C’est bien là toute la spécificité de notre définition du crime d’écocide, qui est d’avoir choisi le principe de la connaissance d’une haute probabilité d’atteinte à la sûreté à la planète, plutôt que celui de l’intention. En effet, le changement climatique et l’érosion de la biodiversité conduisent la planète vers un état auquel nul n’est préparé : il met en danger nombre d’écosystèmes, la survie de nombreuses espèces animales et végétales et les conditions de vie de l’humanité. L’objectif du crime d’écocide doit être de répondre à la crise écologique et climatique en cours en permettant de poser un cadre normatif de ce qui est tolérable pour préserver un écosystème terrestre habitable pour le plus grand nombre. 

    Nous sommes conscients des importants débats de fond que cela soulève au regard du principe fondamental de notre code pénal selon lequel “ll n’y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre.” Cela reviendrait à reconnaître un crime (le crime d’écocide) de nature non intentionnelle, comme cela était le cas avant 1994. 

    Notre Affaire à Tous est donc disposée à affiner la définition du crime d’écocide pour caractériser les dommages écologiques graves causés de manière intentionnelle et constituant un crime, sans pour autant devoir reconnaître une intention de nuire, si et seulement si le délit d’imprudence d’écocide est maintenu dans le dispositif et que l’esprit initial du texte est préservé. Ce délit d’imprudence permettra effectivement de garantir l’efficacité de l’incrimination ainsi que sa fonction dissuasive (voir notre deuxième réponse ci-dessous). 

    Ensuite, intégrer le concept des limites planétaires au dispositif relatif au devoir de vigilance des multinationales permettra de renforcer considérablement la fonction préventive de la protection extra-territoriale de l’environnement (voir notre troisième réponse ci-dessous).  

    “Il faut prouver l’élément intentionnel alors que beaucoup de dégâts causés à l’environnement sont le résultat d’une négligence.”

    Notre Affaire à Tous : L’élément intentionnel n’a pas besoin d’être démontré dès lors que serait caractérisé le délit d’imprudence, faute non-intentionnelle que les 150 citoyens proposent de reconnaître et de définir pour compléter le dispositif. Caractériser le délit d’imprudence ne nécessiterait donc pas de démontrer une intention de provoquer un écocide ou le franchissement des limites planétaires, mais seulement la prévisibilité du dommage ainsi qu’un manquement à une obligation de prudence préétablie par la loi, telle que l’obligation générale de vigilance environnementale découlant de la Charte de l’environnement (décision n° 2011-116 QPC du 8 avril 2011 du Conseil constitutionnel).

    “L’écocide ne satisferait pas à l’exigence de précision de la loi pénale. Pour envoyer quelqu’un en prison, il faut une incrimination précise. C’est le principe de légalité et de clarté.”

    Notre Affaire à Tous En premier lieu, il est important de clarifier un certain malentendu à cet égard. Notre proposition initiale, reprise par les 150 citoyens de la Convention, avait défini directement dans la loi les limites planétaires ainsi que les seuils respectifs. Le comité légistique de la Convention Citoyenne a par la suite demandé aux 150 citoyens de synthétiser leur proposition, les obligeant ainsi à enlever les seuils chiffrés relatifs aux limites planétaires. C’est ce même comité légistique qui vient par la suite  critiquer son absence de précision !

    En second lieu, les limites planétaires font l’objet d’une définition scientifique assez précise (voir les travaux de l’équipe internationale de 28 scientifiques dirigée par Johan Röckstrom et Will Stefen, publiés en 2009 et réactualisés en 2015).  Ce concept de limites planétaires est d’ailleurs utilisé à plusieurs reprises au niveaux européen et français. Ainsi, l’Agence Européenne de l’Environnement a publié le 17 avril dernier un rapport sur le respect/irrespect par l’Europe des limites planétaires. Ensuite, le concept de limites planétaires a récemment été utilisé  par le gouvernement français dans son rapport sur l’état de l’environnement en France, publié par le Ministère de la transition écologique et solidaire (MTES) le 24 octobre 2019, qui indique que six des neuf limites planétaires sont déjà dépassées. Dans ce rapport, le concept des limites planétaires a été décliné au territoire de la France. 

    En outre, la notion des limites planétaires figure déjà dans la loi, à l’article L110-1-1 du code de l’environnement (modifié par la Loi n°2020-105 du 10 février 2020 – art. 2) qui dispose que “ La transition vers une économie circulaire vise à atteindre une empreinte écologique neutre dans le cadre du respect des limites planétaires et à dépasser le modèle économique linéaire […]”.

    Avant cela, dans son discours devant la communauté internationale lors de la COP23 de Bonn en 2017, le président de la République a lui-même évoqué le franchissement du “seuil de l’irréversible” et le risque que les équilibres de la planète ne se rompent. Cet effet de seuils doit être inscrit dans le droit afin de permettre aux institutions de notre État de cadrer les activités qui menacent ces équilibres planétaires.

    Il convient à présent d’investir dans la mise en oeuvre d’outils permettant de surveiller l’évolution des limites planétaires et de les  adapter à l’action des entreprises, dans la continuité de l’initiative prise par l’Oréal, qui souhaite “transformer [son] activité et l’inscrire dans les limites planétaires.”

    En troisième lieu, le reproche de l’imprécision est à relativiser au regard des autres incriminations  déjà reconnues par le droit pénal français, peu précises dans leur formulation également. Ainsi en va-t-il par exemple du crime contre l’humanité, inscrit à l’article 212-1 du code pénal, qui dispose au 11° que “Les autres actes inhumains de caractère analogue causant intentionnellement de grandes souffrances ou des atteintes graves à l’intégrité physique ou psychique.” De même, le code de l’environnement réprime le déversement de “substances quelconques” dans l’eau.

    Le droit de l’environnement a d’ailleurs ceci de particulier qu’il permet une pollution dans une certaine mesure : tel pourcentage de particules fines dans l’air, de dioxyde de soufre dans l’eau, de monoxyde de carbone dans les bâtiments, etc. Sont ainsi établies des “valeurs limites” à ne pas dépasser. Les limites planétaires sont parfaitement en ligne avec cet esprit, sauf qu’elles sont établies à l’échelle globale. Ces valeurs posent alors certaines questions juridiques liées à la causalité : à partir de quand la contribution d’un certain acteur devient est-elle illégale ? Nous avons choisi de caractériser l’illégalité de la contribution lorsqu’elle participe manifestement et de manière non négligeable aux limites planétaires (voir aussi la réponse question ci-dessous sur le fait de pouvoir poursuivre des individus pour écocide). 

    Si le caractère global des limites planétaires constituait un obstacle rédhibitoire aux yeux de certains juristes, Notre Affaire à Tous se dit prête à revoir la définition du dispositif pénal de l’écocide afin d’en dissocier le concept des limites planétaires. Notre Affaire à Tous considère toutefois que le concept des limites planétaires a tout intérêt à être intégré dans le droit, afin de renforcer sa fonction préventive et globale. 

    L’inscription dans la loi de l’écocide et des limites planétaires et la création d’une Haute Autorité permettrait d’investir dans ces instruments scientifiques, de créer et mobiliser les données disponibles, enfin de promouvoir le respect des limites planétaires comme outil de gouvernance au niveau global.

    “Pourquoi défendre la création d’une Haute autorité des limites planétaires alors que les agences de l’environnement crient déjà famine ?”

    Notre Affaire à Tous : De telles critiques, qui rejoignent celles faites sur la faiblesse de l’application de la législation environnementale déjà existante, revêtent un enjeu politique une fois de plus. Si on s’en tient à ces critiques, le manque de moyens disponibles devrait justifier la non reconnaissance d’un nouveau crime environnemental, pour lequel les moyens ne seraient pas accessibles pour sa mise en oeuvre.

    Il est certain que la criminalité environnementale fait l’objet d’un manque d’investissement et de priorisation politique, et ce depuis le début. Tous les experts le soulignent : manque de moyens pour détecter les infractions, absence de traitement des infractions repérées, classement sans suite pour la plupart et, lorsqu’elles sont traitées, ces infractions environnementales donnent plus souvent lieu à une remise de peine comparé à la moyenne, tandis que les amendes sont toujours très faibles par rapport aux enjeux. Quant à la coopération internationale en matière de lutte contre la criminalité environnementale, elle est balbutiante, et des réseaux structurés ne sont mis en place au niveau européen que depuis deux ans.

    C’est une raison de plus pour reconnaître l’écocide. Hisser les atteintes à l’environnement à ce niveau de l’échelle pénale entraînerait un besoin d’investissement accru dans le traitement de la criminalité environnementale et pourrait ainsi bénéficier, par ruissellement, à l’ensemble des infractions en la matière. 

    Nous sommes bien conscients que la reconnaissance du crime d’écocide implique un changement de paradigme avec une approche systémique qui révolutionnerait le droit de l’environnement, dans lequel la Haute Autorité aurait par exemple un rôle de vigie des limites planétaires  des lois et permettrait de veiller à adopter des politiques publiques cohérentes en prenant en compte les effets écosystémiques des limites planétaires .

    “L’empreinte carbone d’un français moyen est d’environ 11 tonnes d’équivalent CO2 par an, bien au-dessus de ce que la planète est capable d’absorber. Est-ce à dire que nous pourrions tous être condamnés ?”

    Notre Affaire à Tous : Il s’agit là d’un faux débat. Au regard du libellé de notre proposition, pour que l’écocide soit caractérisé, il faudrait un acte ou un comportement contribuant en un dépassement “manifeste et non négligeable.” Donc un particulier ou une petite entreprise dont l’empreinte carbone serait excessive ne rentrerait pas dans le champ d’application de l’incrimination. Le but est de viser les personnes ayant du pouvoir, une influence sur le cours des événements telles que les multinationales qui agissent en connaissance des conséquences de leurs activités, décisions et choix d’investissements. C’est notamment  le cas avec l’obtention de permis de polluer, comme les permis d’exploitation minière entraînant largement un dépassement du quota des émissions de gaz à effet de serre. Il s’agit donc de poser un cadre contraignant pour diriger les investissements industriels rapidement vers des énergies propres, qui permettrait de faire respecter la loi et les engagements internationaux de la France qui visent à protéger l’environnement, décarboner l’économie, etc., tout en donnant un pouvoir aux présidents et directeurs généraux vis-à-vis de leurs actionnaires.

    Cet encadrement des activités des multinationales est nécessaire lorsqu’on sait que plus de 70 % des émissions de gaz à effet de serre émaneraient indirectement de seulement 100 entreprises (selon un rapport de l’ONG internationale Carbon Disclosure Project), avec en première lignes les producteurs d’énergies fossiles (charbon, gaz et pétrole). Ces entreprises ont une responsabilité morale et juridique particulière en matière de transition énergétique. Elles doivent mettre toutes les mesures en oeuvre afin de contribuer à l’accès universel à une énergie propre. Jusqu’ici, elles ne le font pas. Plus grave même, bien souvent elles s’y opposent. En effet, les compagnies pétrolières ont par exemple minimisé pendant des années les risques liés au changement climatique alors qu’elles avaient parfaitement connaissance des dangers, grâce à des études menées en interne. Récemment, elle ont même dépensé plus de 250 millions d’euros depuis 2010 en lobbying auprès de l’Union européenne afin de mettre en place une stratégie de pression pour faire échec aux actions en faveur du climat.Il est temps que ce comportement cesse et qu’il devienne pénalement répréhensible. Une telle législation sur l’écocide permettra de contribuer à faire cesser l’impunité en matière de protection du climat et des autres limites planétaires.

    “Le risque de “populisme pénal”. La société de consommation engendre de forts impacts environnementaux. On veut donc modifier cette société de consommation via le droit pénal ?”

    Notre Affaire à Tous : Nous ne recherchons pas à faire peser la responsabilité d’une certaine destruction environnementale collective sur certains acteurs en particuliers, simplement pour rechercher un bouc-émissaire. Cependant, les temps sont graves. La nature à l’échelle locale et l’écosystème global de notre planète sont gravement en périls. Leurs dérèglements menacent autant notre existence que celle du vivant en général. De nombreuses fautes ont par ailleurs été commises : les exemples de politiques et d’entreprises qui ignorent la science et le respect de nos besoins les plus élémentaires sont légions. Il est dès lors selon nous absolument nécessaire d’introduire dans notre droit pénal un dispositif fort et efficace entraînant un changement de paradigme. Des sanctions réellement dissuasives participeront grandement à ce changement de mentalité. La France, en adoptant une législation sur l’écocide serait pionnière en la matière et entraînerait avec certitude ses voisins européens ainsi que la communauté internationale dans son sillage.

    Le but de l’écocide n’est pas de reporter la sanction pénale sur des habitudes de consommation et des comportements individuels spécifiques tels que l’achat de biens matériels ou l’utilisation de produits à usage unique ou polluant. S’il est essentiel de devoir adopter un mode de consommation plus résilient, sobre et local, la transformation de notre mode de consommation passe au préalable par la responsabilisation de la production primaire. Le plaidoyer en faveur de l’écocide entend prévenir, réprimer et sanctionner les structures à l’origine d’un “dommage écologique grave” à travers leurs actions, comme par exemple une déforestation massive et illégale ou le déversement de déchets nucléaires en haute mer ou de produits hautement toxiques dans des rivières. 

    2. Sur la modification de la Constitution

    Pour rappel, la Convention Citoyenne pour le Climat propose:

    u003cul id=u0022block-a42d67dc-df85-4a9f-be02-73aff251f4c4u0022 class=u0022block-editor-rich-text__editable block-editor-block-list__block wp-block is-selected rich-textu0022 tabindex=u00220u0022 role=u0022groupu0022 contenteditable=u0022trueu0022 aria-multiline=u0022trueu0022 aria-label=u0022Bloc : Listeu0022 data-block=u0022a42d67dc-df85-4a9f-be02-73aff251f4c4u0022 data-type=u0022core/listu0022 data-title=u0022Listeu0022u003e
    u003cliu003ed’ajouter dans le préambule que “u003cemu003eLa conciliation des droits, libertés et principes qui en résultent ne saurait compromettre la préservation de l’environnement, patrimoine commun de l’humanitéu003c/emu003e;u003c/liu003e
    u003cliu003ed’ajouter à l’article premier que “u003cemu003ela République garantit la préservation de la biodiversité, de l’environnement et lutte contre le dérèglement climatiqueu003c/emu003e”;u003c/liu003e
    u003cliu003ede créer un Défenseur de l’environnement, à l’image du Défenseur des droits. u003c/liu003e
    u003c/ulu003e

    Les principales critiques entendues

    2.1. Concernant le préambule

    “Cette phrase revient à préciser que le social et l’économie « ne saurait compromettre » la préservation de l’environnement. Or, une conception bien plus positive et enthousiasmante du développement durable consiste à défendre l’idée que la protection de l’environnement est une [chance] – et non une contrainte – pour le développement social et économique.”

    Notre Affaire à Tous : Cet ajout dans le préambule rejoint un important arrêt rendu par le Conseil constitutionnel le 31 janvier dernier (décision n° 2019-823 QPC du 31 janvier 2020) qui a reconnu que la protection de l’environnement, « patrimoine commun des êtres humains, constitue un objectif de valeur constitutionnelle » qui peut justifier une “atteinte” à la liberté d’entreprendre. Cette décision, qui constitue une avancée majeure pour la protection de l’environnement, montre bien que la liberté d’entreprendre, et donc les intérêts économiques, ne peuvent pas toujours primer sur la protection de l’environnement.

    Au regard de la crise écologique sans précédent que nous traversons, nous appelons même à aller plus loin et à un renversement des normes, en affirmant que le droit de l’environnement doit primer sur les intérêts économiques, et non l’inverse. Nous parlons ici des intérêts économiques, et non de l’ensemble des droits et libertés visés dans le préambule, en particulier les droits humains.

    Ensuite, une telle révision aurait pu constituer une première étape vers la reconnaissance des droits de la nature, tout comme la proposition de créer un défenseur de l’environnement (à l’image de l’ombudsman), afin de reconnaître l’interdépendance des humains avec le reste du vivant. Nous n’allons pas jusqu’à affirmer, comme l’ont laissé penser certains commentaires, que les droits de la nature doivent primer sur les droits humains, mais qu’il existe une interdépendance, et non une hiérarchie,  entre les deux.

    Dans un contexte de “verdissement” des constitutions dans le monde et même de constitutionnalisation des droits de la nature (comme en Equateur), cet ajout dans le préambule aurait été bienvenu.

    2.2. Concernant l’article 1er

    “La proposition de modifier l’article 1er de la Constitution est, pour l’essentiel, une reprise d’une proposition défendue par le Gouvernement depuis 2018.”

    Notre Affaire à Tous : Certes, un projet de réforme constitutionnelle avait été annoncé  par le gouvernement en juillet 2017, qui visait à inscrire “l’impératif de lutte contre le changement climatique à l’article 34, qui définit le domaine de la loi”. Cette démarche de l’insertion de la lutte climatique dans l’article 34 a été critiquée de manière unanime et a été qualifiée de “greenwashing constitutionnel” par les associations. C’est pourquoi nous avons proposé de modifier l’article 1er de la Constitution et lancé l’Appel pour une Constitution Écologique en avril 2018 (voir notre proposition de loi initiale).  

    En juillet 2018, les députés ont réussi à voter le texte suivant: “La République agit pour la préservation de l’environnement et de la diversité biologique et contre les changements climatiques.” Mais les débats ont sans cesse été interrompus (affaire Benalla, Grand Débat,…) et la réforme a finalement été reportée sine die. C’est donc une bonne chose que cette modification de l’article 1er de la Constitution soit maintenant portée par la Convention Citoyenne pour avoir une chance d’aboutir. A cet égard, il est important de rappeler que la Convention Citoyenne propose le verbe “garantit” alors que le gouvernement proposait le verbe “favorise” sans son dernier projet de loi constitutionnelle du 29 août 2019, c’est bien là la grande différence! “Garantir” est bien plus contraignant que “favoriser”. 

    Comme le Conseil d’Etat l’a indiqué dans un précédent avis du 29 mai 2019, lorsque le gouvernement avait encore pour intention de modifier lui-même cet article de la Constitution: “l’affirmation d’un principe d’action imposerait une obligation d’agir à l’Etat, au niveau national ou international, comme aux pouvoirs publics territoriaux. Il serait susceptible d’avoir des conséquences très lourdes et en partie imprévisibles sur leur responsabilité, notamment en cas d’inaction.” Au regard de la crise environnementale, nier la nécessité d’introduire une véritable obligation d’agir nous apparaît scandaleuse. L’Etat n’a d’autre choix que de répondre avec force et vigueur contre la destruction de notre maison commune. 

    “La protection de l’environnement est déjà inscrite au sein du bloc de constitutionnalité grâce à la Charte de l’environnement (loi constitutionnelle du 1er mars 2005) et d’une rédaction d’une qualité nettement supérieure à ce que propose le rapport qui sera soumis à la Convention citoyenne pour le climat.”

    Notre Affaire à Tous : La Charte de l’environnement est un bon instrument mais elle est présente des lacunes pour plusieurs raisons. Premièrement, il n’y a pas de référence explicite au climat dans la Charte. Deuxièmement, les dispositions de la Charte n’instituent pas toutes un droit ou une liberté, et par conséquent ne permettent pas toujours la saisine du Conseil par le biai d’une question prioritaire de constitutionnalité. C’est notamment le cas des sept premiers alinéas qui précèdent l’article premier. Troisièmement, très peu de jurisprudences constitutionnelles abordent vraiment la lutte contre les changements climatiques et il n’y a donc pas d’enseignements sur la pertinence de la Charte dans la lutte climatique pour le moment. Enfin, la Charte est un bon instrument avec une grande force d’interprétation de ses principes, à condition toutefois d’en avoir une interprétation ambitieuse par les juges.

    Tout repose donc sur l’interprétation des juges, et avoir l’inscription de la lutte contre le dérèglement climatique, en plus de la préservation de la biodiversité et de l’environnement, à l’article 1er de la Constitution, ne ferait plus aucun doute et réduirait la marge d’interprétation de certains juges qui n’oseraient pas faire une interprétation poussée de la Charte de l’environnement.

    “Il serait préférable de réfléchir à la manière de mieux faire appliquer et respecter la Charte de l’environnement plutôt que de prendre le risque, au mieux d’une redondance des mêmes notions au sein du bloc de constitutionnalité, au pire d’un affaiblissement de la Charte de l’environnement.”

    Notre Affaire à Tous :  Il s’agit d’inscrire de manière univoque la lutte contre le dérèglement climatique qui ne figure nulle part dans la Charte, laissant ainsi un grand pouvoir d’interprétation aux juges.

    “Le rapport abandonne la proposition d’inscription du principe de non régression au sein du bloc de constitutionnalité qui aurait pourtant pu être débattue.”

    Notre Affaire à Tous : C’est en effet un aspect que nous regrettons. Il faut néanmoins garder en tête que le comité légistique de la Convention Citoyenne a tenté de réduire la portée des propositions des 150 citoyens en les “lissant” autant que possible de manière à écarter certaines formulations.

    “Plus grave, cette proposition de révision comporte un risque sérieux de régression du droit de l’environnement. Ainsi, elle propose d’extraire les notions de « biodiversité » et « climat » de celle d’environnement qui, jusqu’à présent, les comprenait.”

    Notre Affaire à Tous La proposition inclut les 3 notions biodiversité, environnement et dérèglement climatique. En quoi cela risque t-il de créer une régression du droit de l’environnement qui est déjà en nette régression? Il n’a pas fallu attendre cette critique pour constater un affaiblissement du droit de l’environnement. Beaucoup de mesures gouvernementales sont prises qui, sous couvert de “simplification” du droit, font régresser de nombreuses dispositions environnementales. 

    On peut notamment citer le projet de loi ASAP, qui consacre “le fait accompli” en permettant aux préfets d’autoriser des travaux de construction industrielle en anticipant sur la délivrance de l’autorisation environnementale nécessaire (à la condition que le permis de construire ait été délivré et l’enquête publique réalisée), ou encore qui prévoit que l’avis donné par l’autorité environnementale ne pourra plus être réactualisé en fonction de l’évolution du dossier. Figurent aussi les atteintes à la participation du public avec le pouvoir confié aux préfets de dispenser d’enquête publique, au profit d’une simple consultation électronique, les projets ne nécessitant pas d’évaluation environnementale. De telles mesures constituent manifestement une régression, voire une “destruction” (selon les experts) du droit de l’environnement. 

    De même, le décret du 8 avril 2020 généralise le droit des préfets à déroger à de nombreuses normes réglementaires, notamment en matière environnementale. Un tel dispositif permettrait notamment l’accélération des dispositifs procéduraux dans l’implantation de projets destructeurs de l’environnement. Ce décret a d’ailleurs été attaqué devant le Conseil d’Etat par plusieurs associations, dont Notre Affaire à Tous.

    Affirmer que cette proposition de modification de la Constitution constitue un “risque sérieux de régression du droit de l’environnement” paraît donc totalement absurde et de mauvaise foi au regard des mesures précitées voulues par le Gouvernement.

    3. Sur la possibilité de soumettre ces deux propositions à référendum

    Les critiques portent sur la mise en oeuvre de l’article 11 de la Constitution pour l’adoption de la proposition de loi sur l’écocide et sur  l’article 89 de la Constitution pour la révision de la Constitution.

    Les principales critiques entendues

    “Un référendum ne peut porter sur la législation pénale. La matière pénale est exclue de l’article 11 de la Constitution, comme de nombreux constitutionnalistes l’ont dores et déjà souligné. Il n’est donc pas possible d’organiser un référendum sur l’écocide en l’état actuel de la rédaction de l’article 11 de la Constitution. Il faudrait considérablement maltraiter l’interprétation de l’article 11 pour considérer un référendum sur l’écocide.”

    Notre Affaire à Tous : Pour rappel, l’article 11 prévoit que le référendum ne peut porter que sur certaines matières : « (…) tout projet de loi portant sur l’organisation des pouvoirs publics, sur des réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation et aux services publics qui y concourent, ou tendant à autoriser la ratification d’un traité qui, sans être contraire à la Constitution, aurait des incidences sur le fonctionnement des institutions.”

    S’il est vrai que l’article 11 ne mentionne pas la loi pénale, il ne l’interdit pas non plus. La proposition de la Convention Citoyenne porte par ailleurs sur une modification du code de l’environnement et non du code pénal. En outre, l’environnement a déjà été une manière d’élargir l’interprétation des règles et traités en matière pénale. Ainsi, à travers son arrêt “Commission v. Conseil” du 13 septembre 2005, la Cour de Justice des Communautés Européennes (aujourd’hui CJUE) avait donné raison à la Commission et élargi les compétences de l’Union Européenne à l’harmonisation de la législation pénale entre les Etats-Membres. Une décision qui sera ensuite validée par le Traité de Lisbonne, qui donne compétence pénale à l’Union Européenne. Ainsi, l’environnement, qui apparaît comme un nouveau défi pour le droit, a régulièrement été une source de modification et d’amélioration du droit et des jurisprudences ; situation qui pourrait se répéter ici.

    On en revient donc à un enjeu politique, car de l’interprétation des juges constitutionnels dépendra la validité juridique de la proposition de la Convention Citoyenne. Comme la science, le droit est le reflet de nos sociétés. Raison pour laquelle l’état de nécessité ou encore le préjudice écologique ont été “découverts” et appliqués en premier par des juges, alors que ces notions n’étaient pas encore consacrées par la loi.

    “L’article 89 précise qu’un référendum [portant sur la révision de la Constitution] ne peut être engagé sans l’accord des deux assemblées : Assemblée nationale et Sénat. Pour être précis, un référendum a déjà été organisé sur le fondement de l’article 11 et non de l’article 89 pour réviser la Constitution. En 1962, le général de Gaulle a en effet soumis à référendum, sur le fondement de l’article 11 de la Constitution, un projet de révision de l’article 6 de la Constitution afin de prévoir l’élection du Président de la République au suffrage universel direct. Toutefois, ce choix a suscité une très vive controverse et n’a été possible qu’en raison de circonstances historiques très particulières. Il est peu probable que l’actuel président de la République procède ainsi”

    Notre Affaire à Tous : Le président de la République aura le choix de la procédure en décidant soit de soumettre la révision à référendum, soit de faire approuver la révision par un vote parlementaire pour aboutir à un texte identique par les deux assemblées, nécessitant de la part du président de la République de convaincre les parlementaires. On en revient à nouveau à un choix politique.

    Enfin, de manière générale, un référendum portant sur ces questions serait l’occasion d’un large débat sur les liens entre le contrat social et le contrat naturel et le moyen de construire ensemble un chemin commun vers la transition écologique.

    Nos ressources

    Notes

    1- Définitions alternatives retenues par le comité légistique :

    • Constitue un crime d’écocide, toute action généralisée ou systématique ayant causé un dommage écologique grave consistant en un dépassement manifeste et non négligeable d’au moins une des limites planétaires [définies à l’article L XXX du code de l’environnement] et dont l’auteur savait ou aurait dû savoir qu’il existait une haute probabilité de ce dépassement.” 
    • Constitue un crime d’écocide, toute action généralisée ou systématique ayant causé un dommage écologique étendu et durable à l’environnement naturel consistant en une grave dégradation des éléments ou des fonctions des écosystèmes ou en une grave altération des qualités essentielles des sols, de l’eau ou de l’air commise alors que son auteur savait ou aurait dû en savoir les effets.”

    2- Définition alternatives retenues par le comité légistique :

    • “Art. 522-2 – Constitue un délit d’imprudence d’écocide, toute violation d’une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi, le règlement ou une convention internationale ayant causé directement ou indirectement un dommage écologique grave consistant en un dépassement manifeste des limites planétaires [au sens de l’article L.XXX du code de l’environnement], s’il est établi que l’auteur des faits n’a pas accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait.”
    • “Art. 522-2 – Constitue un délit d’imprudence d’écocide, toute violation d’une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi, le règlement ou une convention internationale ayant causé directement ou indirectement un dommage étendu et durable à l’environnement naturel consistant en une grave dégradation des éléments ou des fonctions des écosystèmes ou en une grave altération des qualités essentielles des sols, de l’eau ou de l’air s’il est établi que l’auteur des faits n’a pas accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait ». 

    3- La proposition alternative du comité légistique consiste à regrouper le délit d’imprudence d’écocide avec le délit de manque de devoir de vigilance des multinationales. Le comité légistique confère par ailleurs à la Haute Autorité des Limites Planétaires la tâche d’accompagner “les entreprises tenues d’élaborer un plan de vigilance au sens de l’article L.225-102-4 du code de commerce afin de les aider à évaluer la compatibilité de leur plan à la protection des limites planétaires.” Le devoir de vigilance des multinationales en matière d’écocide n’a donc pas été supprimé à travers la proposition alternative du comité légistique. Il aurait été toutefois préférable de prévoir l’obligation pour les multinationales de concevoir un plan de vigilance conforme aux limites planétaires et d’assigner à la Haute Autorité la tâche de contrôler le respect de cette obligation.

    4- L’idée initiale, inspirée du mouvement End Ecocide on Earth, est en effet de reconnaître l’écocide au même niveau que les crimes internationaux (crime de génocide, crimes contre l’humanité, crimes de guerre et crime d’agression) en modifiant le Statut de Rome instituant la Cour Pénale Internationale.

    5- Depuis 1994 et l’entrée en vigueur du code pénal français, seuls les délits et les infractions peuvent être non intentionnels.

    6- Selon une jurisprudence constante de la Cour de cassation, la seule constatation de la violation en connaissance de cause d’une prescription légale ou réglementaire implique de la part de son auteur l’intention coupable exigée par l’article 121-3, alinéa 1er, du code pénal.

    7- En effet, au regard de l’alinéa 2 de l’art. 121-3 du code pénal, « lorsque la loi le prévoit, il y a délit en cas d’imprudence, de négligence ou de mise en danger délibérée de la personne d’autrui. »

    8- Voir notamment l’interviwew d’Alexandra Palt, directrice générale de la Responsabilité sociétale et environnementale (RSE) et membre du Comex de L’Oréal: https://www.novethic.fr/actualite/entreprise-responsable/isr-rse/alexandra-palt-directrice-generale-de-la-responsabilite-societale-et-environnementale-l-oreal-doit-evoluer-dans-les-limites-planetaires-148713.html

    9- Afin d’envisager, en droit national, la poursuite des atteintes aux communs planétaires ou à un système écologique de la Terre, il conviendra de prévoir la possibilité d’appréhender les actes commis sur le territoire national comme le prévoient les articles 113-2 à 113-5 du Code pénal ainsi que les infractions commises hors du territoire de la République (articles 113-6 à 113-14 code pénal). Dans le cas d’un recours, le juge pourra ainsi disposer d’un outil d’appréciation indispensable pour ordonner les mesures qui s’imposent. Un tel cadre ouvrirait la voie à une justice préventive climatique, environnementale et sanitaire.

    10- Il s’agira ici de prendre en compte différents éléments tels que la personnalité de l’auteur, la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait.

    11- Cette révision du préambule de la Constitution a depuis été rejetée par le président de la République. 

     

  • CP / Convention citoyenne pour le climat : Plus de 60 collectifs demandent à Emmanuel Macron le moratoire promis sur les infrastructures commerciales en périphérie

    Communiqué de presse – 6 juillet 2020

    Plus de 60 collectifs locaux d’habitants de toute la France mobilisés contre des projets de zones commerciales ou entrepôts de e-commerce ont adressé ce matin une lettre ouverte au Président de la République. Une semaine après son allocution à la Convention Citoyenne pour le Climat au cours de laquelle il s’est déclaré favorable à un moratoire sur les équipements commerciaux, les citoyens exigent l’application immédiate et sans restriction de la promesse présidentielle d’instaurer cette mesure. Décryptage. 

    Il y a une semaine, les 150 citoyens de la Convention Citoyenne pour le Climat ont formulé un jugement univoque au sujet des infrastructures commerciales : « Il est nécessaire de prendre immédiatement des mesures coercitives pour stopper les aménagements de zones commerciales périurbaines très consommatrices d’espace ». 

    En France ce sont plus d’une cinquantaine d’infrastructures commerciales en gestation qui sont concernées. Rapidement après l’allocution du Président de la République, plus de 60 collectifs citoyens mobilisés face à ces infrastructures sur leur territoire ont décidé de porter une voix commune et nationale pour préserver des emplois de proximités, protéger la biodiversité et limiter les émissions de gaz à effet de serre et l’artificialisation des sols dans leur localité.

    Ces citoyens et citoyennes qui ont en commun de se battre tous les jours pour mettre fin à ces projets se sont unis afin d’obtenir dans les plus brefs délais la mise en place d’un moratoire ambitieux et cohérent. 

    Alors que le Président de la République a manifesté fortement son soutien à cette mesure lors de son allocution du 29 juin, les citoyens craignent qu’elle ne soit édulcorée par le Gouvernement puis par le Parlement lors du dépôt du projet de loi destiné à traduire les propositions des 150 à la fin de l’été. En effet, l’allocution du Président de la République manque de clarté, source d’inquiétude pour de nombreux collectifs. Alors que 26 000 emplois des commerces non alimentaires et de proximité seront détruits en 2020, des dizaines de milliers supplémentaires sont menacés par les projets en gestation. 

    Le discours d’Emmanuel Macron n’aborde pas explicitement le cas des entrepôts de e-commerce qui se multiplient sur le territoire à l’image des 12 projets de plateformes logistiques qu’Amazon et Alibaba s’apprêtent à construire en France. Ces entrepôts aggravent également l’artificialisation des sols, font exploser les produits importés et l’empreinte carbone de la France, et détruisent des dizaines de milliers d’emplois dans la grande distribution et les commerces de proximité. 

    Les signataires de la lettre ouverte insistent également sur le fait d’inclure les surfaces commerciales et entrepôts e-commerce qui s’implantent sur des sols déjà artificialisés. En effet, certains projets sont des transformation de bâtiments existants en équipements commerciaux. Exclure cette dimension du moratoire ne permettrait pas de limiter efficacement les destructions d’emplois et les émissions de gaz à effet de serre. Les signataires rappellent enfin que de nombreux projets sont avancés et qu’une dizaine d’entre eux pourraient être autorisés dans les prochaines semaines, tels que l’entrepôt Amazon à Belfort, ou voir leur travaux entamés, telle que l’extension du centre commercial Rosny 2. 

    Ces collectifs craignent que d’ici à ce que la mesure soit adoptée, l’Etat valide les projets en cours d’étude. Si c’était le cas, la portée du moratoire serait très limitée, et de nombreux projets verraient finalement le jour malgré l’adoption cette mesure. Ils demandent par conséquent que soient gelées les autorisations environnementales délivrées par l’Etat dès maintenant et jusqu’à ce que la mesure soit votée. 

    Pour que la mesure annoncé par le Président demeure fidèle au travail des citoyens, les collectifs le répètent : Malgré le manque de précision de l’intervention du Président au sujet du moratoire, si la mesure reste fidèle au travail des citoyens, le moratoire devra intégrer les entrepôts de e-commerce, les transformations de bâtiments en équipements commerciaux et les procédures en cours gelés.

    C’est en tout cas, ce que les citoyens de la convention avaient entendus inclure dans cette mesure. En attendant la concrétisation de la promesse présidentielle des rassemblements vont être organisés devant les différentes préfectures de France à partir d’aujourd’hui et pendant les jours et semaines à venir jusqu’à obtenir le gel des autorisations par l’Etat et un moratoire ambitieux.

    Contacts presse

    • Les Amis de la Terre – Alma Dufour : 0667923689
    • Notre Affaire à Tous – Chloe Gerbier : 0646435509
  • Décryptage à la veille d’une décision historique : Quelle application du droit de l’environnement face aux politiques routières ?

    Par Justine BALNUS, Eléonore DORLHAC, Chloé GERBIER, Hélène GUIBERT et Edgar PRIOUR-MARTIN, membres du groupe « Recours Locaux » de Notre Affaire à Tous.

    A la veille d’une décision historique (1) sur la responsabilité de l’Etat en matière de mesures relatives à la qualité de l’air, Notre Affaire à Tous apporte un éclairage sur les enjeux environnementaux des politiques routières en France.

    La France dispose du réseau routier le plus dense en Europe. Malheureusement, cela ne l’empêche pas de continuer d’investir massivement dans des projets d’envergure, tels que le Grand Contournement Ouest de Strasbourg (GCO), dont le coût total est estimé à près de 600 millions d’euros (financés par l’exploitation du tronçon construit par le concessionnaire)

    Pourtant, le Parlement a fixé des objectifs ambitieux dans la mise en oeuvre des politiques de mobilité sur le territoire, que ce soit en matière de qualité de l’air ou de préservation de la biodiversité. Les stratégies nationales se multiplient à cet effet ; mais sans parvenir à se concrétiser.

    La diversité des acteurs publics responsables (Etat et collectivités territoriales), l’encadrement normatif insuffisant et la priorité donnée par le juge aux objectifs économiques ne permettent pas de se rapprocher des objectifs évoqués.

    Alors, la lutte se poursuit : on ne compte plus le nombre des collectifs d’habitants se formant à l’encontre des projets routiers, soucieux de la protection de l’environnement, des deniers publics, ou tout simplement de leur santé. Notre Affaire à Tous soutient actuellement deux d’entre eux dans leurs démarches.

    1. Revue historique et enjeux du patrimoine routier français

    A qui appartiennent les routes françaises ?

    Parce qu’elle fait intervenir de nombreux acteurs publics, l’extension du réseau routier français manque de coordination et ses effets cumulés sont mal connus.

    Historiquement, la France dispose d’un patrimoine routier extrêmement important : 1 104 000 kilomètres de routes composent ce réseau, soit une densité de 16 464 kilomètres par million d’habitants, de loin la plus importante d’Europe (2) :

    Ce réseau gigantesque est principalement composé des voies départementales (34,3 %) et communales (63,8 %). Ce sont ces dernières qui portent l’expansion inexorable du réseau : alors que la longueur du réseau routier national a augmenté de 12 % entre 1998 et 2018, celle des voies communales a augmenté de 19,8 %, soit 114 665 km de voies communales de plus.

    Or la construction extensive de ces voies communales est, par définition, portée par les communes (et, désormais, les intercommunalités lorsqu’elles sont compétentes). Bien entendu, ces projets coûteux font presque toujours l’objet d’un cofinancement avec les départements et/ou l’État ; mais les décisions sont prises au niveau communal ou intercommunal.

    L’artificialisation des sols causée par l’extension du réseau routier passe donc par des centaines de projets de taille modeste, décidés au niveau local par les collectivités propriétaires (3). Il s’agit notamment de voies de contournement de centre-bourg. 

    Quels enjeux entourent les projets routiers ?

    • L’artificialisation des sols

    L’artificialisation des sols correspond à un « changement d’état effectif d’une surface agricole, forestière ou naturelle vers des surfaces artificialisées, c’est-à-dire les tissus urbains, les zones industrielles et commerciales, les infrastructures de transport et leurs dépendances, les mines et carrières à ciel ouvert, les décharges et chantiers, les espaces verts urbains (espaces végétalisés inclus dans le tissu urbain), et des équipements sportifs et de loisirs y compris des golfs » (4).

    Parce qu’elle entraîne des conséquences sur la nature (perte de ressources en sol pour l’usage agricole et pour les espaces naturels, imperméabilisation des sols entraînant une vulnérabilité aux inondations, impact sur la biodiversité), l’artificialisation des sols constitue un enjeu majeur de débat public et de préoccupations politiques. 

    Alors qu’en moyenne, les pays de l’Union Européenne comptent 4,3 % de terres artificialisées en 2012, la France en comptait 6,9 % en 1992, et 9,3 % en 2015 (5).

    • La pollution atmosphérique

    Premier sujet de préoccupation environnementale des français, la pollution de l’air est liée aux phénomènes naturels (érosion des sols, éruptions volcaniques…) et aux activités humaines (transports, industries, production énergétique, agriculture). En 2016, le transport routier a représenté une part importante de la pollution de l’air, de l’ordre de 15% des émissions moyennes métropolitaines de particules fines PM2.5. 

    Or, la pollution atmosphérique entraîne des conséquences importantes sur la santé humaine et sur le climat.

    En effet, la pollution de l’air joue un rôle majeur sur le développement de maladies chroniques (cancers, pathologies cardiovasculaires et respiratoires). Ces maladies sont susceptibles de se développer après plusieurs années d’exposition aux particules, même à de faibles niveaux de concentration. 

    D’autres effets sont de plus en plus mis en évidence notamment sur la reproduction, le risque de naissance prématurée, les atteintes du développement neurologique de l’enfant, la démence chez les personnes âgées…

    Santé Publique France (ANSP) estime que la pollution par les particules fines (PM2,5, de taille inférieure à 2,5 micromètres) émises par les activités humaines est à l’origine chaque année, en France continentale, d’au moins 48 000 décès prématurés par an, ce qui correspond à 9 % de la mortalité en France et à une perte d’espérance de vie à 30 ans pouvant dépasser 2 ans (6).

    S’agissant des effets sur le climat, la pollution de l’air joue également un rôle majeur. Les neiges, pluies, brouillards deviennent acides sous l’effet des polluants. En conséquence, les écosystèmes sont altérés, les lacs et les cours d’eau sont acidifiés. Par ailleurs, cela change les propriétés des sols et menace ainsi la faune et la flore. 

    Enfin, la pollution de l’air contribue à accroître l’effet de serre et par conséquent le réchauffement climatique (7).

    2. Objectifs politiques et législatifs autour des mobilités

    Quel avenir pour les mobilités individuelles ?

    Déjà en 2017, on pouvait constater que « le secteur des transports est aujourd’hui le premier contributeur aux émissions de gaz à effet de serre, à hauteur d’un tiers, et le seul secteur dont les émissions ont recommencé à augmenter. Le modèle d’équipement du pays reposant sur les infrastructures [routières] et le moteur thermique ne répond plus aux besoins d’aujourd’hui » (8).

    En 2020, la Convention citoyenne pour le climat fait le même constat et formule onze recommandations afin de favoriser les mobilités durables, notamment en diminuant le besoin en déplacements motorisés et leur distance, et en augmentant la part des modes de transport moins énergivores.

    La France, mauvaise élève

    La pression normative existant sur les mobilités relève principalement de la législation concernant la qualité de l’air, comme nous avons pu le souligner. 

    La France fait office de mauvaise élève dans ce domaine. En avril 2015, la Commission européenne a rendu à ce sujet un avis motivé relatif à la qualité de l’air, invitant la France à respecter la législation de l’Union Européenne. Cet avis concerne directement le manquement au respect des valeurs limites de pollution de l’atmosphère par les particules de taille inférieure à 10 μm (PM10) et les oxydes d’azote 20 (NOx). Face à une réaction trop modérée de la France la Cour de justice de l’Union européenne a été saisie le 11 octobre 2018 au sujet du dépassement des limitations en oxydes d’azote.   

    De son côté le Conseil d’État a, dans une décision du 12 juillet 2017, « enjoint au Premier ministre et au ministre chargé de l’environnement de prendre toutes les mesures nécessaires pour que soit élaboré et mis en œuvre, pour [douze zones urbaines], un plan relatif à la qualité de l’air permettant de ramener les concentrations en dioxyde d’azote et en particules fines PM10 sous les valeurs limites fixées par l’article R. 221-1 du code de l’environnement dans le délai le plus court possible et de le transmettre à la Commission européenne avant le 31 mars 2018 ». 

    La Cour des comptes européenne signale pour sa part que « les normes établies dans la directive [2008/50/CE] sont trop peu contraignantes au regard des effets avérés de la pollution atmosphérique sur la santé » (9).

    Malgré ces avertissements, dans un arrêt du 24 octobre 2019, la France a été condamnée par la Cour de justice de l’Union européenne pour non-respect de la directive 2008/50/CE relative à la qualité de l’air ambiant, et plus spécifiquement pour « dépassement de manière systématique et persistant » des valeurs limites de concentration pour le dioxyde d’azote (NO2) ; alors même que le respect de cette directive ne serait pas suffisant selon la Cour européenne des comptes !

    Des stratégies nationales favorables à la mobilité durable

    La France n’a donc pas d’autre choix que de faire évoluer sa législation en matière de pollution de l’air. C’est dans cette optique que la loi d’orientation des mobilités (LOM) est adoptée en décembre 2019. Celle-ci entend « Accélérer la transition énergétique, la diminution des émissions de gaz à effet de serre et la lutte contre la pollution et la congestion routière, en favorisant le rééquilibrage modal au profit des déplacements opérés par les modes individuels, collectifs et de transport de marchandises les moins polluants, tels que le mode ferroviaire, le mode fluvial, les transports en commun ou les modes actifs, en intensifiant l’utilisation partagée des modes de transport individuel et en facilitant les déplacements multimodaux ».

    La LOM procède d’une stratégie globale visant à diminuer les déplacements automobiles en investissant massivement (13,4 milliards) d’ici 2022 dans les mobilités avec une part s’élevant aux trois quarts pour le ferroviaire.

    De la même façon, plusieurs stratégies nationales voient le jour, telles que la stratégie nationale bas-carbone (SNBC), ou l’objectif affiché de « zéro artificialisation nette » (10). Mais ces objectifs ambitieux paraissent en opposition avec la multiplication des axes routiers.

    Dès lors il convient de s’interroger sur la transcription de tels objectifs. En effet, la multiplication des axes routiers que nous avons évoquée s’inscrit en opposition avec la ligne stratégique de la France.

    3. L’encadrement normatif des projets routiers

    Une stratégie nationale pour des règlementations locales : une différence d’échelle problématique

    L’Autorité environnementale souligne un axe de réponse à ces incohérences : « Ce cercle vertueux se heurte à des questions d’échelle. À l’évidence, l’échelle d’un projet ponctuel est rarement la seule pertinente pour procéder à cette évaluation. Inversement, le niveau national ou européen ne constitue pas non plus le seul bon niveau, car il ne tient pas assez compte des besoins locaux et régionaux de mobilité » (11).

    Ce problème d’échelle est essentiel en ce qui concerne les projets routiers, qui sont majoritairement conçus et mis en œuvre à l’échelle des collectivités. La problématique est donc celle de la transposition d’objectifs peu contraignants à l’échelle des projets. 

    L’Autorité environnementale estime ainsi que « la prise en compte des enjeux environnementaux, notamment les objectifs de la France en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre ou encore la réduction des risques sanitaires environnementaux, n’est pas placée à un niveau suffisant dans la construction d’infrastructures routières ».

    Mais la problématique peut aussi se lire dans le sens inverse, aucun objectif de zéro artificialisation ne peut être concrétisé si les collectivités ne se l’approprient pas. 

    En effet, le respect de ces objectifs apparaît comme étant piloté à l’échelle nationale et chacun semble s’attendre à ce que leur résultat advienne de lui-même, alors que ce n’est qu’en l’appliquant à l’échelle des collectivités qu’il a une chance de se concrétiser. 

    Mais, « Les moyens des collectivités pour élaborer leurs plans et les concrétiser sont limités et il existe des inégalités territoriales en termes de ressources financières, humaines, d’expertise ou de tissu économique. Les contraintes peuvent être d’ordre budgétaire mais aussi émaner des priorités d’arbitrages au sein des collectivités. Ceci a des implications sur l’élaboration des plans mais également sur leur suivi et leur évaluation. De même, cela limite la capacité des collectivités à coordonner les ambitions et actions aux échelles nationale, régionale et locale ». 

    Ainsi, nous retrouvons l’écueil classique dans la mise en place des politiques environnementales, que l’on rencontre également dans le domaine des plans Écophytos, ou dans le traitement des passoires énergétiques. Une politique environnementale ambitieuse mais malheureusement, dénuée des moyens nécessaires pour atteindre les objectifs fixés. 

    La reconnaissance par le juge de l’utilité publique des projets routiers

    Au delà du trafic routier, la construction, la présence et l’entretien des infrastructures routières consomment des ressources naturelles, impactent les milieux naturels et rejettent des émissions dans l’air. Il est donc intéressant d’analyser la jurisprudence en matière de construction d’infrastructures routières.

    Une route traverse nécessairement des terrains privés (notamment agricoles), par conséquent ces projets conduisent  à un certain nombre d’expropriations. Pour autoriser celles-ci, le projet en cause doit être déclaré d’utilité publique, soit par arrêté préfectoral, soit par décret ministériel, en fonction de l’importance du projet. 

    Le juge administratif opère un contrôle des déclarations d’utilité publique (DUP) d’après la théorie jurisprudentielle du « bilan coûts/avantages », selon laquelle une opération ne peut légalement être déclarée d’utilité publique que si les atteintes à la propriété privée, le coût financier et éventuellement les inconvénients d’ordre social ou l’atteinte à d’autres intérêts publics qu’elle comporte ne sont pas excessifs par rapport à l’intérêt qu’elle présente (Conseil d’État, Ass., 28 mai 1971, n° 78825, « Ville Nouvelle Est »). 

    Le coût du projet pour la collectivité, l’environnement et la sécurité des passagers sont les trois éléments clés d’appréciation du bilan coûts/avantages d’une DUP concernant un projet de construction d’infrastructure routière. Mais, on peut noter une part de subjectivité du juge sur l’effet de contre-balance des inconvénients, notamment environnementaux, par rapport au coût économique et/ou la sécurité des usagers. De ce constat résulte une timidité du juge à annuler les DUP concernant de grands projets d’infrastructure routière. 

    Pour rappel, un tel projet doit faire l’objet d’une enquête publique et d’une étude d’impact avant d’être déclaré d’utilité publique. Or il ressort de la jurisprudence du Conseil d’État qu’une étude d’impact sera considérée comme illégale si ses « inexactitudes, omissions ou insuffisances […] ont pu avoir pour effet de nuire à l’information complète de la population ou si elles ont été de nature à exercer une influence sur la décision de l’autorité administrative » (12).

    De plus, on peut relever que l’impact environnemental n’est que lapidairement invoqué et semble secondaire compte tenu des avantages résultant du coût pour la collectivité, d’une baisse des nuisances liées au bruit et à la pollution, et de la sécurité routière des usagers. A titre d’exemple le Conseil d’État considère que les inconvénients environnementaux tels que l’impact sur les sols agricoles et les paysages, l’augmentation des nuisances sonores dans certains endroits et l’émission des gaz à effet de serre due à la circulation à vitesse élevée ne retire pas au projet son caractère d’utilité publique compte tenu de la part réduite de financement public (grâce au régime de la concession) et des mesures prises afin de réduire les effets dommageables pour l’environnement (13). 

    L’impact financier pour les collectivités publiques est donc souvent un élément décisif permettant au juge administratif de prononcer l’annulation ou pas d’un arrêté ou d’un décret de déclaration d’utilité publique. Ainsi, le décret portant déclaration d’utilité publique de la LGV Poitiers-Limoges a été annulé pour des motifs tenant au financement du projet, mais pas pour ses effets sur l’environnement (14). En effet, l’évaluation de la rentabilité économique et sociale du projet est inférieure au niveau habituellement retenu par le Gouvernement pour apprécier si une opération peut être regardée comme utile, en principe, pour la collectivité. L’étude d’impact est aussi critiquée car elle ne contient aucune information précise relative au mode de financement et à la répartition envisagés pour ce projet. 

    Même s’il est déjà arrivé que le Conseil d’État annule une DUP lorsque le projet multiplie les atteintes à l’environnement (15), celles-ci sont tout de même mieux prises en compte par les juges du fond. A titre d‘exemple, dans une décision de la Cour administrative d’appel de Nancy (16), le juge a considéré que compte tenu des inconvénients d’ordre financier, environnemental et patrimonial qu’elle comporte, la réalisation d’une autoroute ne présente pas le caractère d’utilité publique. La Cour administrative d’appel de Versailles a également annulé le projet de création d’une infrastructure de liaison pour des motifs environnementaux (17). 

    Cependant, cela ne signifie pas pour autant que ces juridictions minorent les considérations économiques. Ainsi la Cour administrative d’appel de Lyon a annulé l’arrêté déclarant d’utilité publique le projet d’aménager une voie communale sur une distance de 980 mètres en considérant que, « sans qu’il y ait lieu de rechercher si les atteintes à la propriété privée seraient excessives, le coût du projet doit tant au regard du trafic attendu que de la capacité financière de la commune, être regardé à lui seul comme excessif au regard du faible intérêt de l’opération, et comme de nature à lui retirer son caractère d’utilité publique » (18). 

    En conclusion, il ressort de la jurisprudence administrative qu’il est difficile d’obtenir l’annulation d’un arrêté ou d’un décret de déclaration d’utilité publique. Et même lorsque le juge prononce une telle annulation, celui-ci retient rarement des motifs uniquement environnementaux. 

    4. Le monde d’après : mode d’emploi

    Appliquer effectivement le droit de l’environnement

    On peut regretter que le juge administratif ne se soit pas saisi plus vigoureusement des enjeux environnementaux. Pourtant, force est de constater que la conception des projets routiers se fait largement sans prendre en compte l’environnement. 

    C’est le constat que dresse l’Autorité environnementale dans une note consacrée aux projets d’infrastructure routière en 2019. Saisie des plus importants dossiers impliquant des aménagements routiers, elle relève « pour la plupart, malgré des améliorations récentes, des lacunes significatives persistantes », tant en ce qui concerne la qualité des études d’impact que la prise en compte de l’environnement par les projets (19). 

    Ce constat d’insuffisance concerne notamment les études de trafic (qui fondent la justification du projet), ainsi que la quasi-absence de propositions « de mesures d’évitement, de réduction ou de compensation des émissions de gaz à effet de serre, malgré les engagements pris par la France d’atteindre la neutralité carbone à l’horizon de 2050 et en dépit du constat récent que les émissions du secteur des transports se remettent à augmenter ». 

    L’Autorité se rend bien compte que « la prise en compte de l’environnement intervient de fait après les choix les plus structurants ». Elle relève que la recherche de variantes au projet permettant d’éclairer ce choix devrait prendre en compte « l’ensemble des modes de déplacement possibles pour satisfaire les besoins de mobilité, au lieu de reposer sur des options relevant du seul mode routier », alors même que « le respect du principe de participation du public à la décision se fonde en grande partie sur la qualité de la présentation des variantes et des hypothèses d’utilisation de l’infrastructure à l’avenir » (20).

    Bien que la France soit signataire de l’Accord de Paris, et qu’elle vise la neutralité carbone en 2050 après l’adoption de son Plan Climat en 2017, l’Autorité environnementale relève que les maîtres d’ouvrage des projets routiers « n’intègrent pas véritablement cette orientation ».  Dans les projets de modification d’infrastructure, ceux-ci « arguent ainsi de l’absence d’effet de l’infrastructure sur le trafic […] pour justifier la neutralité de l’infrastructure en matière d’émissions de gaz à effet de serre ». Certains projets vont même jusqu’à suggérer « que ces émissions de gaz à effet de serre seraient en diminution, du fait de l’amélioration de la fluidité d’un trafic sous l’hypothèse postulée mais quasiment jamais démontrée que celui-ci n’augmenterait pas ».

    A en croire certains maîtres d’ouvrage, construire des routes n’augmenterait donc pas le trafic. Ceux-ci considèrent que « la baisse des émissions de gaz à effet de serre relève implicitement de la seule responsabilité des autres parties prenantes, et notamment des constructeurs automobiles », alors que la neutralité carbone nécessite « les efforts de tous, y compris des gestionnaires et constructeurs d’infrastructure ainsi que des planificateurs de la mobilité […] ce qui suppose, au préalable, une impulsion volontariste et exemplaire à l’échelle du réseau national […] et du réseau concédé par l’Etat et au stade de prise des décisions d’aménagement des infrastructures ». 

    En fait, même les suppléments d’émissions de gaz à effet de serre et de consommation d’énergie liées aux fonctionnalités mêmes des projets ne sont pas évalués […], « ce qui semble anachronique et est contraire aux dispositions du code de l’environnement relatifs à l’évaluation environnementale des projets d’infrastructure de transport », ce qui importe lorsque l’on sait que « La phase de construction de l’infrastructure est également source d’émissions de [gaz à effet de serre], parfois à un niveau important (ouvrages souterrains, grands remblais nécessitant des liants à la chaux…). Le maître d’ouvrage n’indique que très rarement quelles mesures il prend pour limiter ces émissions liées aux travaux » (21).

    Réduire notre dépendance à la route

    La dépendance aux travaux routiers dépend directement de notre dépendance aux déplacements automobiles. Il est toutefois possible d’agir dans une certaine mesure pour s’en émanciper. Cela passe principalement par le recours accru aux modes de transport alternatif :  transports collectifs,  fret ferroviaire et fluvial, covoiturage et pour les petits déplacements, vélo,  trottinette, marche à pied.

    Les enjeux de la mobilité alternative sont multiples : le gain de temps dans les embouteillages, la baisse des budgets des ménages sur les déplacements individuels, diminution de la pollution de l’air. 

    De nombreuses pistes afin de jouer sur ces facteurs ont d’ores et déjà vu le jour. La gratuité des transports en commun dans la collectivité de Grande Synthe en est un exemple criant. Des plaidoyers concernant des restrictions publicitaires sur les véhicules les plus polluants (SUV), un développement de l’intermodalité accru (Vélo-Train) ainsi que la suggestion par la Convention Citoyenne pour le Climat de plafonner la vitesse autoroutière à 110/km sont autant de proposition visant à réduire notre attachement aux mobilités individuelles et carbonées. 

    Si ces alternatives sont envisagées, et poussées par des politiques publiques ambitieuses, les projets actuels n’en paraîtront que moins légitimes et deviendront injustifiables.

    Lutter contre les projets en cours

    • Quelles luttes ont lieu contre ces projets ? Pour quels résultats ?

    Autour de ces projets routiers, des collectifs d’habitants se forment la plupart du temps. Les arguments échangés sont souvent les mêmes : l’objectif d’améliorer le cadre de vie des habitants et l’attractivité du territoire affiché par la collectivité s’oppose à tous les inconvénients présentés par le nouveau tracé, que ce soit en termes d’intérêts particuliers (expropriation, déplacement des nuisances…) ou d’intérêt général (coût, artificialisation des sols, coupure des continuités écologiques…).

    La mobilisation des habitants est souvent décisive dans la (non-)réalisation de ces projets. Les exemples sont nombreux (22). Parfois, elle permet de provoquer un référendum local (un outil toujours à la disposition des maires), voire de repousser ou d’empêcher la réalisation des travaux.

    Aujourd’hui, il existe plus d’une trentaine de projets routiers en cours en France (23). La carte des luttes en cours contre ces projets est à retrouver sur Reporterre.

    Fin 2019, Notre Affaire à tous a été saisie par deux associations concernant la construction de nouvelles routes départementales dans le Cantal (15) et dans le Nord (59). Ces associations mettent en cause l’intérêt à construire ces routes dans un contexte de crise environnementale. Les initiateurs locaux des projets mettent en avant la fluidité routière aux fins d’attractivité économique de ces territoires, mais plusieurs voix s’élèvent et contestent leur mise en oeuvre.

    Le contournement du village d’Ussel (500 habitants), dont l’activité économique perdure encore grâce au passage des routiers, empiéterait sur une zone Natura 2000 pour un gain de temps d’une minute sur le trajet entre Aurillac et l’autoroute A 75 pour rejoindre Clermont-Ferrand ou Montpellier d’un côté ou de l’autre… L’absurdité du projet avait déjà été dénoncée par Charlie Hebdo dans un article paru le 13 mars 2019.

    A l’autre bout de la France, les habitants de Maubeuge portent la même croix. Si l’utilité du projet reste encore à démontrer, le contournement nord de Maubeuge viendrait cette fois s’installer sur une zone humide, remarquable par sa biodiversité. 

    Autre point commun de ces deux luttes : l’absence d’écoute et de remise en question des projets par les élus départementaux, convaincus que la bétonisation des territoires encore préservés viendrait booster l’activité économique. Tant pis pour l’environnement ! 

    Entre le « Make the planet great again » et les projets routiers qui fourmillent sur le territoire français, difficile de s’y retrouver. Il conviendrait de mettre un terme à cette dissonance cognitive, en appliquant des outils aussi ambitieux que les annonces politiques.

    Notes

    1. Le 3 juillet 2020, le Conseil d’Etat va rendre sa décision sur le recours formé en octobre 2018, par 77 requérants pour dénoncer l’inertie du gouvernement à prendre des mesures relatives à la qualité de l’air. 
    2. Datalab, Chiffres clés du transport, Édition 2020
    3. En France, 34967 communes sont regroupées au sein de 1253 établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre, dont 975 sont compétents en matière de voirie
    4. Définition de l’artificialisation  des sols de l’Observatoire des espaces naturels, agricoles et forestiers (OENAF), adaptée de CORINE Land Cover, source statistique d’analyse des changements d’affectation des sols européens
    5. Site du Gouvernement, Artificialisation des sols
    6.  « Qualité de l’air : Sources de pollution et effets sur la santé », Ministère des Solidarités et de la Santé, publié le 26 décembre 2018, mis à jour le 20 mai 2019
    7. « La pollution : des effets néfastes pour l’environnement et la santé », MtaTerre, mis à jour en janvier 2019
    8. Conclusions des assises de la mobilité du 13 décembre 2017 
    9. « Pollution de l’air : notre santé n’est toujours pas suffisamment protégée », Cour des comptes européenne, Rapport spécial n° FR- 2018-23, 11 septembre 2018 
    10. Pour atteindre cet objectif en 2030, il conviendrait à la fois de réduire de 70 % l’artificialisation brute des sols, et de renaturer 5500 hectares par an, selon France Stratégie (voir hyperlien).
    11. Note de l’Autorité environnementale sur les projets d’infrastructures de transport routières, n°2019-N-06, 23 janvier 2019 , pages 26-27 
    12. Conseil d’État, 10 juillet 2019 n° 423751 ; Conseil d’État, 30 janvier 2020, n° 419837
    13. Conseil d’État, 10 juillet 2019, n° 423751, précité
    14.  Conseil d’État, 15 avril 2016, n° 387475
    15. Voir par exemple : Conseil d’État, 10 juillet 2006, n° 288108, Association interdépartementale et intercommunale pour la protection du lac de Sainte-Croix les lacs et sites du Verdon
    16. Cour administrative d’appel de Nancy, 4 mai 2020, n° 18NC02252
    17. Cour administrative d’appel de Versailles, 23 janvier 2020, n° 17VE02091-17VE02109
    18. Cour administrative d’appel de Lyon, 30 novembre 2006, n° 03LY00749
    19. Note de l’Autorité environnementale sur les projets d’infrastructures de transport routières, page 3 
    20. Ibid. pages 4 et 15
    21. Ibid., page 17
    22. On peut citer par exemple les mobilisations autour de Porto Vecchio, Hèches, Les Sables d’Olonne, Lespares, parmi tant d’autres. 
    23. A titre d’exemples, on peut citer : « Grand contournement ouest » autoroutier, dit GCO à Strasbourg (Bas-Rhin); « Nouvelle route du littoral » à La Réunion ; 2×2 Beaupréau – St Pierre à Beaupréau-en-Mauges ; Avenue du Parisis à Deuil-la-Barre (Val-d’Oise) ; Barreau de raccordement à Charleville-Mézières (Ardennes) ; Construction d’un pont sur la Loire à Mardié (Loiret) ; Construction du pont d’Achères à Achères (Yvelines) etc…
  • Numéro 7 de la newsletter des affaires climatiques – Libertés fondamentales, protection de la santé et crise environnementale

    Pour le septième numéro de la newsletter des affaires climatiques, Notre Affaire à Tous se concentre sur la protection de la santé et des libertés fondamentales face à la crise environnementale !  

    Cette newsletter fait notamment un focus sur la protection de la santé et de l’environnement dans la jurisprudence du Conseil Constitutionnel, sur l’objectif à valeur constitutionnelle de protection de la santé et de l’environnement dans la jurisprudence du Conseil Constitutionnel et sur l’environnement et la santé dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme. Nous vous proposons également un panorama des affaires climatiques internationales de ces derniers mois (Massachussetts v. ExxonMobil, High Court of New Zealand, Smith v. Fonterra Co-Operative Group limited, Greenpeace Pologne c. PGE GiEK) et quelques affaires environnementales

    L’ambition de cette newsletter ? Donner les moyens à toutes et tous de comprendre les enjeux de telles actions en justice face à l’urgence climatique ! Abonnez-vous pour recevoir, chaque mois, les actualités et informations sur ces affaires qui font avancer, partout dans le monde,nos droits et ceux de la nature face aux dégradations environnementales et climatiques : le combat qui se joue dans les tribunaux est bien celui de la défense des pollués face aux pollueurs, nouvel enjeu du XXIe siècle.

    Focus santé et environnement

    Protection de la santé et l’environnement – Conseil Constitutionnel

    La constitutionnalisation de la santé et de l’environnement n’ont pas débuté à la même période. Il est aisé de donner une explication à cette situation : si la santé a toujours été une préoccupation des sociétés humaines, la question de la protection de l’environnement est une notion tout à fait moderne, qui n’a rencontré de véritable écho politique seulement dans les dernières décennies. Les deux notions sont, pourtant, indéniablement liées. Si, aujourd’hui, l’être humain s’intéresse à la protection de l’environnement, c’est d’abord pour protéger sa santé. 

    L’OVC de protection de la santé et de l’environnement

    La Loi sur la communication audiovisuelle du Conseil Constitutionnel a introduit la notion d’objectif à valeur constitutionnelle (OVC) en 1982. Dans un premier temps, le Conseil Constitutionnel y entendait « la sauvegarde de l’ordre public, le respect de la liberté d’autrui et la préservation du caractère pluraliste des courants d’expression socio-culturels ». Plusieurs décisions sont venues préciser le contenu, augmenter le champ ou exposer les conséquences de cette notion. L’octroi de ce statut a pour fondement le fait de mettre en œuvre des principes issus du bloc de constitutionnalité. Les OVC ne créent pas de droits mais constituent des buts à atteindre. Ils se traduisent par une obligation de moyen. Ce sont de précieux outils pour le législateur afin de justifier des dérogations limitées à des exigences constitutionnelles et surtout de les concilier entre elles.

    Environnement et santé dans la jurisprudence de la CEDH

    La Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales ne contient aucune référence implicite ou explicite à l’environnement. Cela s’explique par le fait que la Convention a été signée par les Etats membres du Conseil de l’Europe en 1950, bien avant l’émergence de préoccupations environnementales sur la scène internationale. Si par la suite, plusieurs initiatives ont tenté de faire adopter un Protocole additionnel, consacrant le droit de vivre dans un environnement sain, rattaché à la Convention, ces dernières se sont toutes heurtées à la frilosité des organes politiques du Conseil de l’Europe. 

    Nonobstant l’absence d’un droit à l’environnement, à la faveur d’une approche évolutive tenant compte des évolutions de la société, le juge de Strasbourg a développé une jurisprudence en matière environnementale reposant principalement, mais pas uniquement, sur le nexus santé et environnement. Cette jurisprudence consacre une protection par ricochet d’un droit à l’environnement lorsque la dégradation de l’environnement peut compromettre l’exercice des droits garantis par la Convention. 

    Affaires climatiques internationales

    The Commonwealth of Massachussetts v. ExxonMobil Corporation

    En parallèle de l’action menée par l’État de New York, l’État du Massachusetts, par l’intermédiaire de sa procureure générale Maura Healey, a également intenté une action en justice contre ExxonMobil Corporation devant la Cour de son État, le 24 octobre 2019. A la différence du contentieux entre Exxon et l’État de New York, qui reposait uniquement sur la fraude en matière financière, Maura Healey a accusé le géant pétrolier d’avoir trompé les consommateurs du Massachusetts, en plus des investisseurs, sur les risques posés par son activité sur le changement climatique. 

    Exxon a riposté en demandant à ce que l’affaire soit jugée par un tribunal de droit fédéral, qui lui aurait été plus favorable. Lors d’une audience du 17 mars 2020, la Cour fédérale du Massachusetts a rejeté cette demande au motif que l’action repose sur des atteintes à la protection des consommateurs et des investisseurs du Massachusetts et non pas sur une action en réparation des dommages climatiques causés par Exxon, qui serait une question de droit fédéral. L’affaire va donc être jugée devant un juge de l’État du Massachusetts.

    Smith v. Fonterra co-operative Group Limited – New Zealand

    Michael John Smith, activiste climatique et descendant maori, a intenté un recours contre sept entreprises parmi les plus gros émetteurs de gaz à effet de serre de Nouvelle-Zélande. Il ne demande pas réparation des préjudices subis mais plutôt la reconnaissance d’une responsabilité des défendeurs en tant que contributeurs au changement climatique et l’injonction de réduire leurs émissions jusqu’à la neutralité carbone à l’horizon 2030. 

    M. Smith a saisi la Haute Cour de Nouvelle-Zélande car il estime que les entreprises défenderesses, par leurs activités, contribuent au dérèglement climatique et mettent par là même en péril ses intérêts et ceux de sa communauté, principalement en raison de la montée des eaux et de l’érosion côtière induites par celui-ci. Le requérant affirme en effet que les conséquences du changement climatique se concrétiseront pour lui notamment par la perte de productivité et de valeur économique des terres, ainsi que par la perte matérielle de certaines d’entre elles, entraînant la disparition de sites culturels et spirituels. Lire la fiche d’arrêt >

    Greenpeace Pologne v. PGE GIEK – 11 mars 2020

    Devant le tribunal régional de Varsovie, Greenpeace Pologne a, le 11 mars 2020, déposé un recours contre la filiale GiEK de la plus grande entreprise publique Polska Grupa Energetyczna chargée de la majorité de la production d’électricité en Pologne. Avec une production essentiellement fondée sur l’exploitation du charbon, la Pologne se situe parmi les plus gros émetteurs de carbone de l’Union européenne. La requérante exige de la filiale la réduction de ses émissions de gaz à effet de serre.

    A cette fin, en se fondant sur la loi polonaise sur la protection de l’environnement, Greenpeace demande la cessation de tout nouvel investissement dans les combustibles fossiles et la prise de mesures nécessaires afin de parvenir aux émissions zéro de ses centrales à charbon existantes d’ici 2030. Le contexte national peut être pris en compte dans le suivi de cette affaire. En effet, c’est la troisième fois que l’entreprise publique est traduite en justice pour des faits et sur des fondements juridiques similaires. Le climat particulièrement hostile à l’égard de l’indépendance de la justice polonaise doit également être pris en compte. Lire la fiche d’arrêt > 

    Affaires et actualités environnementales

    Contentieux des arrêtés anti-glyphosate

    Alors que l’autorisation européenne du glyphosate a fait l’objet d’une prolongation jusqu’en 2020, le calendrier d’une éventuelle interdiction anticipée d’utilisation en France demeure incertain. Dans ce cadre, des élus locaux sont intervenus afin d’interdire l’épandage sur le territoire de la commune. Les huit décisions examinées ici concernent huit communes du département de la Seine-Saint-Denis. Si l’issue en est variable en raison des spécificités des arrêtés concernés, le tribunal laisse pour autant ouverte la possibilité d’une telle action si tant est que des circonstances locales particulières soient établies. Néanmoins, il convient de noter que depuis l’adoption des arrêtés, des mesures de police spéciale ont été prises en vue de protéger les populations par le biais du décret N°2019-1500 et de l’arrêté du 27 décembre 2019. Ainsi, de telles mesures de police spéciale pourraient désormais remettre en cause la capacité d’intervention des élus.

    Société Paris Clichy et autres, Conseil d’Etat

    La loi, expression de la volonté générale, a pendant longtemps était au-dessus de toute question de responsabilité. Toutefois, un État de droit tolère difficilement l’existence de telles situations d’irresponsabilité. Un régime de responsabilité de l’Etat du fait des lois s’est donc construit peu à peu. La décision d’Assemblée du 24 décembre 2019 Société Paris Clichy et autres du Conseil d’État, a apporté une pierre à cet édifice. Une première étape avait été franchie avec l’arrêt La Fleurette du Conseil d’État, rendu le 14 janvier 1938.

    Les juges du Palais Royal avaient alors consacré un régime juridique de responsabilité sans faute de l’Etat, sur le fondement de l’égalité des citoyens devant les charges publiques. Ce régime a pour but d’assurer la réparation de préjudices nés de l’adoption d’une loi sous deux conditions : la loi en cause ne doit pas avoir exclu la possibilité d’une indemnisation et le préjudice dont il est demandé réparation ne doit pas pouvoir être considéré comme une charge incombant normalement aux intéressés.

    Tribunal administratif de Lille, société SFR

    Le 3 février 2020, dans une ordonnance n° 2000255, le juge des référés du tribunal administratif de Lille a considéré, sur la base de l’article R.2152-7 du code de la commande publique, que dans le cadre d’une procédure adaptée, et pour choisir l’offre économiquement la plus avantageuse, un critère reposant sur la prise en compte de l’impact écologique des processus internes du candidat, lorsque cette prise en compte est rendue objectivement nécessaire par l’objet du marché et la nature des prestations à réaliser, n’a pas d’effet discriminatoire. Une procédure de passation de marché public a été engagée par un groupement d’intérêt public (GIP) pour la location, l’installation et la maintenance de matériel de téléphonie et d’accès à internet. L’un des sous critères d’évaluation des offres étant rattaché aux « moyens apportés à l’impact écologique de la structure dans ses procédures ». La société SFR a vu son offre refusée et a introduit une demande de référé précontractuel devant le tribunal administratif de Lille.

    Etat des lieux de la criminalité environnementale

    L’European Environmental Bureau a publié son rapport sur l’état de la lutte contre la criminalité environnementale. Le rapport est essentiellement destiné aux autorités nationales et européennes chargées de la mise en œuvre des mesures et sanctions contre ces infractions, régies par la Directive UE 2008/99 sur la protection de l’environnement par le droit pénal.

    D’après le PNUE et INTERPOL, la criminalité environnementale est la quatrième entreprise illégale la plus lucrative au monde. Dans le cadre du Green Deal, la Commission Européenne affirmait l’impératif de renforcer la mise en œuvre de la législation environnementale et de l’assortir de sanctions effectives, dissuasives et proportionnées en cas de non-respect, comme le prévoit la Directive sur la criminalité environnementale. Cette directive fait actuellement l’objet d’une évaluation par la Commission Européenne, dont le but est d’estimer dans quelle mesure les règles européennes contribuent à lutter de manière effective contre la criminalité environnementale.

  • CP / Affaire du Siècle : 16 mois plus tard, l’Etat nie tout en bloc, tandis que deux autres ONG ajoutent des arguments au dossier

    Communiqué de presse – Vendredi 26 juin 2020


    Près de seize mois après le début de l’instruction, l’État répond enfin aux arguments déposés contre lui par Notre Affaire à Tous, la Fondation Nicolas Hulot, Greenpeace France et Oxfam France, dans le cadre de l’Affaire du Siècle. Dans son mémoire en défense, composé de 18 pages, l’État rejette les arguments présentés par les organisations co-requérantes et nie en bloc les carences pointées par l’Affaire du Siècle, alors qu’elles avaient été confirmées par le Haut conseil pour le climat. Cette réponse intervient alors que deux autres organisations – la Fondation Abbé Pierre et la Fédération Nationale d’Agriculture Biologique – versent au tribunal leurs arguments en appui à l’Affaire du Siècle. 

    L’État rejette tout manquement à ses obligations

    Alors que 76% des français·e·s considèrent légitime que l’État soit contraint par la justice à agir pour respecter les objectifs de l’Accord de Paris (1), le gouvernement demande au juge de rejeter la requête de l’Affaire du Siècle.  Dans sa réponse :

    • Il temporise sur ses objectifs fixés y compris pour 2020, faisant valoir que la période pour les atteindre n’est pas encore écoulée.
    • Il réfute toute responsabilité dans le changement climatique, écrivant, d’une part, que la France n’est qu’un pays parmi d’autres, et, d’autre part, que les français·e·s, par leurs comportements individuels, les collectivités territoriales et les entreprises aussi en sont responsables. Il omet par là de mentionner son rôle de régulateur et d’investisseur.
    • Il omet le lien entre changement climatique et atteinte aux droits humains protégés par la CEDH (droit à la vie et droit au respect de la vie privée et familiale) et conteste l’existence d’une obligation générale de lutte contre le changement climatique.
    • Il liste des mesures politiques récentes, dont il ne démontre pas les effets sur la réduction d’émissions de gaz à effet de serre dans la période applicable au recours (jusqu’à mars 2019). Certaines ont d’ailleurs été adoptées après le dépôt du recours.

    Les avocats de l’Affaire du Siècle produiront au cours des prochaines semaines un “mémoire en réplique” en réponse aux arguments de l’Etat.

     Pour les organisations co-requérantes : 

    “Le gouvernement ne semble pas enclin à saisir les opportunités qui se présentent à lui pour rectifier la trajectoire de son inaction, dans un contexte qui appelle pourtant à agir, comme en témoignent certaines mesures fortes votées le week-end dernier par la Convention citoyenne pour le climat, mesures pour la plupart réclamées par les organisations de la société civile depuis des années ”. 

    Le débat actuel sur le nouveau projet de loi de finances rectificative (PLFR3) est une nouvelle manifestation de l’inconséquence de l’État. En effet, à ce jour, il n’a demandé aucune contrepartie sociale ni environnementale ferme aux entreprises qu’il a soutenues dans la crise (aérien, automobile). Ce, malgré les recommandations très claires des experts du Haut Conseil pour le climat. Dans le PLFR3, les aides aux collectivités territoriales, qui portent pourtant 70% de l’investissement public, restent insuffisantes et exemptes de conditions écologiques ou sociales. 

    De nouveaux éléments apportés au dossier par deux autres organisations

    Les quatre co-requérantes sont désormais soutenues par deux autres organisations qui ajoutent des éléments supplémentaires permettant de démontrer l’inaction climatique de l’État : la Fédération Nationale d’Agriculture Biologique sur les politiques publiques pour la conversion et le maintien des exploitations agricoles en bio et la Fondation Abbé Pierre sur le logement. 

    Pour la Fondation Nationale d’Agriculture Biologique :

    « Alors que les scientifiques s’accordent à dire que l’agriculture biologique répond à la fois aux enjeux environnementaux et à la sécurité alimentaire, l’État, lui, ne se donne pas les moyens de la développer et d’atteindre ses objectifs. Tant que les fonds publics continueront de soutenir un modèle agricole climaticide, la transition écologique restera un effet d’annonce ». 

    Pour la Fondation Abbé Pierre : 

    « Le changement climatique a des conséquences directes sur les conditions d’habitat de la population, tandis que les logements non rénovés gaspillent de l’énergie. Il est urgent d’investir massivement dans la rénovation énergétique globale des bâtiments et de placer la protection des habitants contre les risques sociaux et environnementaux au coeur des politiques du logement, d’urbanisme et d’aménagement ».

    Contacts presse

    • Fondation Nicolas Hulot : Paula Torrente – 07 87 50 74 90 – p.torrente@fnh.org
    • Greenpeace France : Kim Dallet – 06 33 58 39 46 – kim.dallet@greenpeace.org
    • Notre Affaire à Tous : Cécilia Rinaudo – 06 86 41 71 81 – cecilia@notreaffaireatous.org
    • Oxfam France : Noélie Coudurier – 06 17 34 85 68 – ncoudurier@oxfamfrance.org
    • Fondation Abbé Pierre : Anne Lambert de Cursay – 06 23 25 93 79 – alambertdecursay@fap.fr
    • Fédération Nationale d’Agriculture Biologique : William Lambert – 06 03 90 11 19 – lambertcommunication@gmail.com 

    Notes

    1. Selon un sondage BVA réalisé pour Greenpeace en juin 2020

    Une initiative menée par :

  • 23 juin 2020 – L’Europe face au changement climatique


    Les impacts du changement climatique se font sentir sur l’ensemble de la planète. Après avoir passé un an à documenter principalement les impacts sur le territoire français, nous changeons d’échelle. Dans ce 11e numéro de IMPACTS – La revue de presse des inégalités climatiques, notre regard se tourne vers l’Europe.

    Comme sur le territoire français, les populations européennes sont et seront affectées par les conséquences du dérèglement planétaire et notamment les plus vulnérables : les plus pauvres, les plus vulnérables socio-économiquement, les femmes, les personnes âgées, les minorités ethniques…

    Pour combattre les inégalités sociales climatiques et environnementales, il nous faut les connaître. C’est le sens de cette revue de presse élaborée par les bénévoles de Notre Affaire à Tous, qui revient chaque mois sur les #IMPACTS différenciés du changement climatique, sur nos vies, nos droits et ceux de la nature

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    D’après un rapport du Copernicus Climate Change Service (C3S) sorti en 2020, le continent européen se réchauffe plus vite que d’autres régions du globe puisque l’Europe a gagné 2°C en 2019 par rapport à l’ère préindustrielle, alors que la hausse moyenne des températures s’élève à 1,1°C à l’échelle mondiale. Début 2020, l’Agence européenne de l’environnement dévoilait des cartes des conséquences du changement climatique sur les populations et territoires européens. Ces cartes font un état des lieux des phénomènes climatiques qui se manifestent ou vont se manifester dans les prochaines années et décennies, selon plusieurs scénarios : “si de gros efforts sont réalisés sur le plan environnemental ou, à l’inverse, si rien n’est fait”.

    Quels impacts apparaissent le plus en Europe ? Une récurrence des sécheresses et des vagues de chaleur est à noter, mais aussi des inondations et incendies plus fréquents et une vulnérabilité particulière de certaines zones face à la montée du niveau de la mer. Toutes les cartes de l’agence européenne de l’environnement sont à retrouver ici.

    Territorialement, les conséquences à l’heure actuelle sont déjà multiples : l’Europe du Nord devient de plus en plus humide et les inondations hivernales risquent de devenir monnaie courante, l’Europe centrale et méridionale est confrontée à une recrudescence des vagues de chaleur, le bassin méditerranéen devient de plus en plus sec, ce qui le rend encore plus vulnérable aux sécheresses et aux incendies et les zones urbaines, où vivent aujourd’hui 4 Européens sur 5, sont exposées aux vagues de chaleur, aux inondations et à la montée du niveau de la mer, alors qu’elles sont généralement peu préparées pour s’adapter au changement climatique. Pour en savoir plus, La Dépêche a plus particulièrement fait un focus sur les données récoltées en France. Aujourd’hui, selon le climatologue Jean Jouzel, 5% des Européens sont actuellement concernés par les évènements liés au changement climatique. Un chiffre qui va considérablement augmenter d’ici 2100 : “ce qui est exceptionnel aujourd’hui sera la norme en Europe avec des événements encore plus ravageurs et nombreux« . Par exemple, les incendies pourront plus facilement se déclencher dans des zones qui nous semblent aujourd’hui peu enclines à recevoir de telles catastrophes naturelles comme le Centre ou l’Ouest, en plus du Sud de la France qui restera une région particulièrement à risque. Si nous admettons que le planète se réchauffera à hauteur de 3°C, 2 Européen-nes sur 3 seront touché-es par des événements climatiques extrêmes, c’est-à-dire 350 millions de personnes, selon Giovanni Forzieri, expert scientifique à la Commission européenne.

    Les canicules sont de plus en plus fréquentes sur le territoire européen. La canicule emblématique de 2003 a tué 70 000 Européen-nes, dont 20 000 en France. L’absence de préparation et d’anticipation des pouvoirs publics à cette vague de chaleur exceptionnelle qui a fait monter les températures jusqu’à 47,4°C au Portugal, ont aggravé les conséquences d’un tel épisode caniculaire. D’après le rapport sur l’Etat du Climat Européen 2019, 11 des 12 années les plus chaudes ont été enregistrées après 2000. “2019 a aussi battu des records de durée d’ensoleillement en Europe, avec son plus haut niveau depuis 1983”. Ces phénomènes poseront nécessairement des menaces pour les populations. Les personnes les plus vulnérables, comme les enfants et les personnes âgées, souffriront le plus. Certains secteurs d’activités seront aussi plus durement touchées comme l’agriculture, le tourisme et le secteur énergétique. Les populations urbaines feront aussi certainement face à des difficultés liées à la ressource en eau et d’autres ressources essentielles.

    Les agriculteurs souffrent des sécheresses à répétition. C’est le cas de Maurice Feschet, plaignant français de l’action en justice People’s Climate Case, contre le manque d’ambition climatique de l’Union Européenne. La famille Feschet vit dans la Drôme, dans un village où elle exploite une production de lavande depuis trois générations.

    A cause des impacts du changement climatique, la production est devenue ingérable, incertaine et non viable. Dans la région, les sécheresses ont considérablement augmenté depuis les années 1960, et selon les graphiques d’augmentation des températures, il y a une nette tendance au réchauffement d’environ + 0,5 ° C / décennie depuis 1950. Les changements de saison ont sévèrement affecté la culture de la lavande. Les températures élevées en janvier ou février, lorsque les plantes commencent à pousser, suivies d’une période de gel plus tard dans l’année, tuent les plantes. Les lavandes qui ont été en culture pendant 23 ans peuvent maintenant être déracinées à l’âge de 4 ans avec seulement 2,5 ans de culture. “44% en 6 ans : cela représente nos pertes réelles de récoltes en Provence à cause des impacts du changement climatique qui nous frappent de plus en plus durement”. La famille Feschet appelle l’UE à écouter ses citoyen-nes et appliquer les mesures nécessaires afin de les protéger. A l’instar de la famille Feschet, de nombreux agriculteurs et agricultrices souffrent déjà des effets du changement climatique. En septembre 2019, l’Agence européenne de l’environnement publiait un rapport alarmant sur le secteur agricole européen face au changement climatique, indiquant que les rendements des cultures et de l’élevage allaient très probablement chuter. Les producteurs de blé, maïs ou encore de betterave vont connaître des impacts directs sur leurs revenus, puisque 50% des rendements liés à ces cultures pourraient chuter. En 2019 en Slovénie, la production de pommes a chuté de 85% suite à un hiver très froid et une sécheresse prolongée pendant l’été. Les zones d’Europe centrale et d’Europe du Sud seront particulièrement touchés par ces pertes agricoles.

    A l’est de l’Europe, dans les Carpates roumaines, vit la famille Vlad. Cette famille d’éleveurs vivant à 700 mètres d’altitude risque de perdre la ferme familiale et le bétail en raison de la hausse des températures, des sécheresses et du manque d’eau dans leur région. À cause de la hausse des températures et des vagues de chaleur, l’herbe ne pousse plus et la famille doit élever son bétail à des altitudes plus élevées, où l’air est plus frais et où l’humidité maintient les pâturages. La Roumanie a d’ailleurs fait face à une sécheresse grave cet hiver

    Au contraire, dans le Nord de l’Europe, le réchauffement devrait être plutôt favorable pour l’agriculture où de nouvelles cultures vont se développer. La Belgique, les Pays-Bas et le Danemark peuvent par exemple produire du vin, chose inespérée il y a encore quelques années, “mais ces évolutions récentes dans les régions du nord ne permettront pas de compenser les effets négatifs du réchauffement climatique dans le sud, prévient l’Agence européenne de l’Environnement”.
    Favorable pour l’agriculture du Nord de l’Europe mais défavorable pour le dernier peuple autochtone du continent. Les Samis sont un peuple autochtone d’Europe du Nord. La culture Sami est centrée autour des rennes. Ce qui est en jeu avec le changement climatique, c’est non seulement la survie des rennes, mais l’ensemble de la culture Sami. Les données montrent que presque l’ensemble des hivers depuis 1989 ont été plus chauds que la moyenne des hivers du XXe siècle. Les projections montrent que le changement climatique va continuer dans les régions polaires dans des proportions bien plus élevées que dans le reste du monde. Les hivers de plus en plus chauds et les températures fluctuantes causent des dégâts matériels importants (à cause du gel), mais pas seulement : la fonte de la neige puis le regel forment des couches de glaces impénétrables piégeant la nourriture principale des rennes, le lichen, sous une épaisse couche de glace, en plus de causer nombre de maladies.

    Sanna Vannar, la présidente de l’association de jeunesse Sáminuorra affirme que si leur activité d’élevage de rennes se perd, alors la culture Sami sera aussi perdue. “Beaucoup de jeunes Sami veulent rester dans leurs familles et continuer l’élevage de rennes, mais ils ne peuvent plus y voir un avenir. C’est principalement dû au changement climatique“. En savoir plus sur le quotidien des jeunes Saamis.

    Si le réchauffement climatique provoquera des records de chaleur, il entraînera également des épisodes de froid polaire en France et en Europe. Les météorologues soulignent que le fameux gulf stream, qui sépare habituellement les masses d’air froid de l’Arctique et du Pôle Nord de l’air plus chaud de l’hémisphère nord, est perturbé par le changement climatique et est de moins en moins étanche. « Lors de l’hiver 2018, la température au Pôle Nord, sur lequel était entrée une masse d’air chaud, avait ainsi été plus élevée qu’en Europe. L’air chaud arrivé sur l’Arctique avait en effet repoussé l’air froid vers le Sud« .


    Les vagues de chaleur s’accompagnent aussi régulièrement de périodes de sécheresse menaçant de nombreux secteurs. Selon la Commission européenne, dans une grande partie de l’Europe, les précipitations moins fréquentes en été et les températures grimpantes amèneront de plus en plus de sécheresses. Dans la région méditerranéenne, la saison propice aux feux de forêt sera dès lors de plus en plus longue et les aires à risques plus larges. C’est en été 2018 que la Suède a connu ses records historiques de sécheresse, qui se sont accompagnés d’importants feux de forêts. Ces incendies ont mené à la mise en place de la plus grande opération de protection civile européenne en matière de lutte contre les incendies forestiers. D’après certaines études scientifiques, une augmentation du climat de 2°C par rapport à l’ère pré-industrielle multiplierait par au moins 2 les risques d’incendie à l’échelle européenne. Si les pays nordiques étaient encore relativement épargnés par l’augmentation de tels risques, les projections prévoient une augmentation générale de ces risques sur l’ensemble du continent pour le 21e siècle. Suède, Laponie, Grèce… A première vue, ces régions ne semblent pas faire face aux mêmes problématiques climatiques. Pourtant, les incendies de juillet 2018 ont ravagé des hectares de forêt aussi bien dans le Nord que dans le Sud de l’Europe. En Suède, ce sont 18 700 hectares qui ont été “emportés par des feux entre les mois de janvier et juillet 2018, contre une moyenne de 454 hectares entre 2008 et 2017, soit une hausse de… 4 000 %« . Le pays n’était pas préparé à de tels événements extrêmes. En 2017, le Portugal a été ravagé par les feux de forêts. La famille Carvalho fait partie de ces familles dont l’occupation de plantation et de gestion des forêts est et sera affectée par la hausse des températures, ainsi que la multiplication et l’intensification des feux de forêts. Au centre du Portugal, le père et le fils de la famille Carvalho possèdent des terres boisées. Leur mise en oeuvre de pratiques de gestion forestière durable remplaçant les pins et les eucalyptus par des espèces locales (comme les chênes et les châtaigniers), est menacée. Le centre du Portugal subit de plus en plus une hausse des vagues de chaleur et des sécheresses, du fait du changement climatique. Des taux de mortalité supérieurs à la moyenne ont été signalés par les médias et par le gouvernement en raison des vagues de chaleur dans le pays, tandis que la combinaison de conditions climatiques plus chaudes et plus sèches a considérablement augmenté le risque d’incendie et la demande en eau dans le secteur agricole.

    En 2017, la famille Carvalho a perdu ses trois plantations de chênes durant les feux de forêt, raconte Armando Carvalho : “Le 15 Octobre 2017, la sécheresse, la vague de chaleur ont provoqué un feu d’une violence exceptionnelle qui a affecté la propriété et les biens de ma famille”.


    En juin 2016, la France et l’Allemagne ont subi une période de fortes pluies battant tous les records statistiques établis dans plusieurs régions. Ce phénomène naturel a eu pour conséquence le déplacement de près de 182 000 personnes en France, pour un coût supérieur à 1,4 milliard d’euros. La Seine s’est par exemple élevé de plus de 6 mètres. En Allemagne, la frontière autrichienne a été particulièrement impactée par ces pluies diluviennes qui ont fait plusieurs morts, après que l’eau ait atteint les toitures des maisons. En 2017, une étude autrichienne menée dans 38 pays européens entre 1960 et 2010 montrait que “les crues interviennent désormais plusieurs semaines plus tôt que dans les années 1960-1970, à cause de la fonte plus précoce des neiges ou de la plus grande humidité des sols”. Les crues vont aussi devenir beaucoup plus fréquentes. Selon une étude publiée en 2014 dans Nature, dès 2050, des crues exceptionnelles se produiront tous les 10 ans en Europe. Aujourd’hui, la fréquence de telles crues est moindre puisqu’elles se produisent tous les 16 ans. Une augmentation qui aurait de grandes conséquences sur les coûts de prévention et de réparation de ces catastrophes qui s’élèveraient à 23 milliards d’euros, contre 5 milliards entre 2000 et 2012. Pourtant, les scientifiques considèrent que seul un tiers de l’augmentation de ces coûts viendrait du changement climatique. “Les deux tiers restants viendraient de la démographie galopante et des besoins de loger les habitants, y compris en construisant des bâtiments dans des zones inondables”. Dans la région de la Savonie du Nord en Finlande, l’augmentation de la quantité de précipitations se traduit par une baisse de la fertilité des sols. L’augmentation du taux d’humidité des sols engendre effectivement des problèmes de compaction des sols : la compression du sol entrave la circulation de l’eau et de l’air dans la terre. L’humidité accrue est aussi responsable de maladies qui viennent frapper les cultures, dont découle une baisse des rendements agricoles. D’ici à 2100, environ 3,5 millions d’Européen-nes subiront des inondations régulières.

    Selon l’Agence européenne de l’environnement, le volume des glaciers des Alpes a diminué de moitié depuis 1900. Certaines projections estiment qu’en 2100, 84 à 90% de leur volume actuel aura disparu. Cela s’explique surtout par l’augmentation de la température, mais aussi par la diminution des chutes de neige estivales. En Norvège, les projections envisagent une disparition complète de tous les petits glaciers d’ici 2100 et une réduction globale du volume des glaciers d’un tiers, même avec des scénarios de faible quantité d’émission de CO2. Des études estiment qu’entre 1980 et 2015, les chutes de neige en juin auraient diminué de 76% sur l’ensemble de continent européen. La masse de neige aurait quant à elle diminué de 30% sur la même période. Ces phénomènes impactent beaucoup le cycle de l’eau puisque la fonte des glaces contribue fortement au flux des rivières.

    En Italie, la famille Elter vit dans un petit village dans le Parc national de Grand Paradiso dans les Alpes italiennes. Ils vivent de la vente d’aliments biologiques locaux et de la gestion d’un petit hôtel Bed & Breakfast entièrement dépendant du tourisme et en particulier des opportunités d’escalade de glaciers dans la région. Les revenus de la famille ne sont pas seulement menacés par la fonte des glaciers, mais aussi par d’importants changements de température. Le père de la famille, Giorgio Elter, ingénieur forestier, a observé que les plantes traditionnelles à ces altitudes – supérieures à 1500m – ne fleurissent plus ou fleurissent beaucoup trop tôt, en raison de la hausse des températures.


    L’augmentation du niveau de la mer est aussi un phénomène qui touche de nombreux Européen-nes. Les Recktenwald font partie de ces personnes. Cette famille allemande vit sur une île de la mer du Nord, Langeoog, depuis quatre générations. Ils y ont construit un complexe hôtel-restaurant. Le restaurant étant situé sur une dune et l’hôtel derrière cette dernière, le complexe est gravement menacé par la montée des eaux.

    La dune n’est pas protégée par une digue et est menacée par la montée des eaux et les tempêtes. A Langeoog, l’eau potable provient d’une nappe phréatique menacée par l’infiltration d’eau salée. Face à cela, la famille s’est engagée dans l’action juridique du People’s Climate Case en 2018 non seulement pour la préservation des droits de leur famille mais aussi pour l’avenir des citoyen-nes du monde entier. Car “ce qu’il se passe ici sur notre île et dans le Nord de l’Allemagne se passe partout dans le monde”. Découvrez le reportage de France 24 “Une île en danger à cause du réchauffement climatique en Allemagne”. Et les Recktenwald sont loin d’être les seuls affectés par la montée du niveau de la mer. D’ici 2050, 300 millions de personnes seront menacées par ce phénomène. En Europe, les régions les plus impactées sont le nord de la Belgique, les Pays-Bas et le Nord-Ouest de l’Allemagne. Une étude parue dans Nature Communications confirme la sensibilité de la région flamande. Une carte interactive de Climate Central indique quelles terres seront en dessous du niveau des inondations annuelles en 2050. L’évolution des données scientifiques sur l’altitude indique que les menaces mondiales liées à l’élévation du niveau de la mer et aux inondations côtières sont bien plus importantes qu’on ne le pensait. Les coûts d’un tel changement climatique sont bien réels : selon une étude parue dans la revue Nature Climate Change, “les dommages prévisibles des inondations côtières en Europe sont estimés à 1,25 milliard d’euros par an”.
     La montée du niveau de la mer en Europe implique de considérer la question des migrations climatiques. Les îles Halligen, dans la mer des Wadden, au large du Danemark et de l’Allemagne se situent à très basse altitude. Les habitant-es sont habitués aux inondations de leurs prés plusieurs fois par an, mais “les digues traditionnelles pourraient bien se révéler obsolètes face à l’intensité grandissante des tempêtes marines. Les quelques 350 Halliguiens pourraient devenir d’ici 50 ans, les premiers réfugiés climatiques d’Europe”. Selon la Commission européenne, environ un tiers des Européen-nes vit à moins de 50km d’un littoral. Les littoraux européens génèrent également plus de 30% du PIB de l’Union Européenne. La montée du niveau des océans serait donc dévastateur à la fois pour les populations particulièrement dépendantes de ceux-ci, les infrastructures, les entreprises et la biodiversité. Pour en savoir plus sur les familles du People’s Climate Case et les familles impactées par le changement climatique, vous pouvez visionner ce documentaire de ZDF (en anglais), sur le site internet de Notre Affaire à Tous ou sur le site dédié à cette action en justice (en anglais).

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  • CP / Convention Citoyenne pour le Climat : une révolution juridique est en cours !

    Communiqué de presse – Jeudi 18 juin 2020

    Alors que les 150 citoyen·nes de la Convention Citoyenne pour le Climat se réunissent ce week-end pour valider leurs propositions concrètes à soumettre au gouvernement, des mesures ont déjà été rendues publiques ce jeudi 18 juin. Parmi elles, l’amendement de l’article 1er de la Constitution pour que la France devienne une République écologique, la reconnaissance d’un crime d’écocide et la création d’une Haute Autorité aux limites planétaires. Ces trois mesures permettraient de reconnaître que l’avenir de nos sociétés est conditionné par le respect des grands équilibres écologiques de notre maison commune. Les citoyen·nes nous invitent à une révolution juridique à la hauteur des enjeux de notre siècle.
     
    La Convention Citoyenne pour le Climat, constituée en octobre 2019, est une initiative décidée par le Président de la République en réponse au grand débat national et proposée par le collectif Démocratie Ouverte et le collectif des Gilets Citoyens, suite à la crise des “gilets jaunes” et au retentissement de l’Affaire du Siècle (1).

    Modification de l’article 1er de la Constitution

    Les citoyen·nes de la Convention Citoyenne pour le Climat ont été convaincu·es de la nécessité d’amender son article 1er. Iels veulent ajouter à l’article premier que « la République garantit la préservation de la biodiversité, de l’environnement et lutte contre le dérèglement climatique ». Iels proposent en outre de créer un Défenseur de l’environnement, à l’image du Défenseur des droits.
     
    Cela résonne comme en écho au puissant plaidoyer mené depuis plus de deux ans par le Collectif “Notre Constitution Ecologique” (2), qui demande en outre la reconnaissance des limites planétaires et le principe de non-régression à l’article 1er de la Constitution. Cette proposition complète du Collectif a pour objectif de s’assurer que l’activité humaine ne menace pas l’habitabilité de la Terre sur le long-terme et les conditions d’existence des sociétés présentes et à venir, en s’appuyant sur les recommandations du Stockholm Resilience Center (3) à l’origine de l’étude sur ces effets de seuil à ne pas franchir. Lors de son audition devant l’escouade de la Constitution Citoyenne pour le Climat le 11 janvier dernier, Valérie Cabanes, Présidente d’Honneur de Notre Affaire à Tous, a bien tenté de les en convaincre.
     
    Notre Affaire à Tous se réjouit donc de cette avancée mais regrette que les limites planétaires et le principe de non-régression n’aient pas été repris dans la proposition de modification de la Constitution de la Convention Citoyenne pour le Climat.

    Crime d’écocide et Haute Autorité aux limites planétaires

    Parmi les mesures de la Convention Citoyenne pour le Climat figure également la reconnaissance de l’écocide (4). Iels proposent une loi pénalisant le crime d’écocide, compris comme « toute action ayant causé un dommage écologique grave en participant au dépassement manifeste et non négligeable des limites planétaires », ainsi que la création d’une Haute Autorité des limites planétaires pour en garantir la mise en œuvre.
     
    Cette ambition est portée de longue date par plusieurs associations. À l’automne 2019, une proposition de loi, co-rédigée par Valérie Cabanes, Paul Mougeolle de Notre Affaire à Tous et Marine Calmet de Wild Legal, avait été préparée dans le cadre d’un travail de réflexion parlementaire transpartisan. Soumise aux citoyen·nes de la Convention Citoyenne pour le Climat sous forme de contribution, Valérie Cabanes a ensuite été invitée devant le groupe “Se nourrir” qui porte aujourd’hui cette proposition.

    Pour Marine Calmet de Wild Legal, “le soutien des citoyens à la création d’une Haute Autorité pour les limites planétaires ayant des missions d’information, d’expertise et d’alerte afin de veiller au respect des limites planétaires est un message fort en faveur d’une nouvelle gouvernance pour la protection de notre planète.

    Pour Valérie Cabanes, Présidente d’honneur de Notre Affaire à Tous : « La pénalisation de l’écocide a réussi à convaincre la majorité des citoyen·nes de la Convention Citoyenne pour le Climat, sensibilisés par sa portée systémique. La mesure votée est conforme à nos espérances : nous nous en réjouissons ». 

    Il reste à savoir si ces mesures seront soumises à référendum ou proposées comme projets de loi au Parlement. Les deux perspectives pourront permettre aux citoyen·nes ou à leurs représentant·es élu·es d’en débattre. 55 député·es ont d’ores et déjà annoncé par courrier aux citoyens de la Convention soutenir leur travail et se disent prêt·es à prendre la suite… pour le concrétiser par la voie législative. Parmi ces députés, de nombreux parlementaires s’étaient assis·es autour d’une table avec nous à l’automne dernier pour avancer sur le crime d’écocide. Il est heureux que les citoyens aient pu entre temps prendre toute leur place dans cette révolution juridique, consolidant par là nos effort communs.
     
    Cependant, concernant la réforme de la Constitution, le passage par référendum est plus compliqué : l’initiative de la révision de la Constitution appartient concurremment au Président de la République sur proposition du Premier Ministre et aux membres du Parlement. Cette révision doit être votée par les deux assemblée en termes identiques avant d’être définitivement approuvée par référendum. Le chemin à parcourir est encore long !

    Contact presse

    • Valérie Cabanes : 06 89 85 28 70
    • Cécilia Rinaudo, Notre Affaire à Tous : 06 86 41 71 81
    • Marine Calmet, Wild Legal (sur la Haute autorité aux limites planétaires) : 06 89 24 03 99‬

    Notes

    (1) Portée par Notre Affaire à Tous, Greenpeace France, Oxfam France et la Fondation Nicolat Hulot
     
    (2) Regroupant Notre Affaire à Tous, CliMates, le REFEDD et WARN qui ont lancé l’Appel pour une Constitution Écologique.
     
    (3) Ces recommandations servent d’outils de suivi des objectifs de développement durable depuis 2012 par le Groupe de haut niveau de l’ONU sur la viabilité du développement mondial, depuis 2011 par la Commission européenne pour sa feuille de route vers une Europe efficace dans l’utilisation des ressources, et même par le Ministère de la Transition écologique français dans son Rapport sur l’état de l’Environnement.
     
    (4) Le crime d’écocide est défini comme toute action ayant causé un dommage écologique grave en participant au dépassement manifeste et non négligeable des limites planétaires, commise en connaissance des conséquences qui allaient en résulter et qui ne pouvaient être ignorées. La loi proposée définit aussi comme délit d’imprudence caractérisé d’écocide, toute violation d’une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou un règlement ayant causé un dommage écologique grave en participant au dépassement manifeste et non négligeable des limites planétaires. Enfin, elle reconnaît que l’absence de mesures adéquates et raisonnables relatives à l’identification et la prévention de la destruction grave d’un écosystème ou du dépassement manifeste et non négligeable des limites planétaires, est contraire au devoir de vigilance prévu à l’article L. 225-102-4 du code de commerce.

  • CP / Un recours contre le SCoT de Caen Métropole pour empêcher l’allongement de la piste de l’aéroport de Caen-Carpiquet

    Communiqué de presse – 12 juin 2020

    Ce vendredi 12 juin, l’association ACAPACC (Association Contre l’Allongement de la Piste Caen-Carpiquet), accompagnée par Notre Affaire à Tous, dépose un recours en annulation du Schéma de Cohérence Territorial (SCoT) de Caen Métropole. Le SCoT de Caen Métropole prévoit d’ores et déjà le projet d’allongement de la piste de l’aéroport de Caen-Carpiquet, alors même que ce projet n’a pas encore fait l’objet d’une étude d’impact aboutie et que les émissions ou nuisances qu’il entraînerait n’ont pas été mesurées. Le projet d’allongement de la piste de l’aéroport de Caen-Carpiquet fait partie de la dizaine de projets qui, en France, prévoient l’intensification du trafic aérien sur différents aéroports.

    Le schéma de cohérence, approuvé par délibération par le Comité syndical du pôle métropolitain Caen Normandie Métropole, définit les grandes lignes de l’utilisation des sols sur le territoire, mais aussi l’ambition de Caen Métropole vis à vis du développement durable de ses espaces.
     
    Or, bien que ce schéma plaide pour les mobilités douces pour une baisse des gaz à effet de serre, prône la préservation des terres agricoles, il prévoit aussi l’allongement de la piste de l’aéroport de Caen Carpiquet qui se fera, justement au détriment de terres agricoles.
     
    Bien sur, seul l’impact positif présumé de ce projet (emploi, développement du territoire) est mis en avant dans ce document d’urbanisme. Or ses effets négatifs seraient nombreux : artificialisation des terres, augmentation importante des émissions de CO2 pollution de l’air, nuisances sonores, trafic routier…
     
    Alors qu’un recours gracieux a été déposé le 19 décembre 2019 contre ce schéma d’aménagement, l’association passe aujourd’hui au contentieux pour contraindre les pouvoirs publics à intégrer sérieusement les objectifs de sobriété et de lutte contre le réchauffement climatique dans les documents prescrivant l’aménagement du territoire.
     
    Les outils d’échelle nationale tels que la Stratégie Nationale Bas Carbone, ou l’objectif de zéro artificialisation nette, se doivent d’être déclinés à l’échelle des territoires, sans cela ils resteront lettre morte et ne seront d’aucune aide dans la lutte contre le changement climatique et pour la protection de l’environnement.
     
    Au titre de l’article L101-2 du code de l’urbanisme il revient aux collectivités de lutter, à l’échelle de leur territoire, contre les nuisances sonores, l’artificialisation des terres et le changement climatique. En planifiant l’augmentation du trafic aérien le comité ignore ces missions essentielles.
     
    Les associations exigent donc que ce projet ne fasse en aucun cas partie intégrante des documents d’urbanisme tant qu’il n’a pas été soumis à une étude d’impact rigoureuse et à l’information du public.

    Pour Chloé Gerbier, juriste de l’association Notre Affaire à Tous : “L’échelle locale se doit d’être le relais des politiques nationales en terme de lutte contre le changement climatique. La SNBC, l’objectif de zéro artificialisation nette des sols, sont l’outil des collectivités territoriales dans leur lutte contre le changement climatique”

    Pour Christian Delabie membre co-président membre de l’association ACAPACC : “Notre recours gracieux a été vécu comme une manoeuvre électoraliste, dans le cadre des municipales, par des élus de la majorité de Caen métropole. En saisissant le Tribunal administratif, nous montrons notre détermination à nous faire entendre au-delà de ces élections.”

    Pour Danielle Bouffard, membre du Conseil d’Administration : “La lutte pour sauver le climat doit être menée sur tous les fronts et ne pas souffrir d’exception. Le projet de L’allongement de la piste de l’aéroport de Caen Carpiquet est hautement symbolique de ce point de vue. Projet de dimension modeste, ramené au plan national, il est en totale contradiction avec les objectifs nationaux et internationaux pour lutter contre la dégradation de l’environnement et du climat.”

    Contacts presse

    • Gerbier Chloé (NAAT) : 0646435509
    • Gourdeau Pascal (ACAPACC) : 0768235525

    Annexes

    Annexe 1 : Carte du niveau de bruit sur le territoire de Caen Métropole

    Annexe 2 : Extrait de l’évaluation environnementale du SCoT page 64

    Annexe 3 : Extrait de l’avis de l’Etat sur le SCoT en mai 2019, disponible au recueil des avis

  • CP / Notre Affaire à Tous et Sherpa demandent à l’Autorité des Marchés Financiers de vérifier la sincérité des informations financières de Total en matière de risques climatiques

    Jeudi 28 mai 2020

    A la veille de l’assemblée générale de Total, ce jeudi 28 mai 2020, Notre Affaire à Tous et Sherpa signalent à l’Autorité des Marchés Financiers (AMF) de potentielles contradictions, inexactitudes et omissions dans les documents financiers et les récentes communications publiques de l’entreprise pétrolière en matière de risques climatiques. Les associations considèrent que le Groupe fonde sa communication financière sur des hypothèses incertaines ne rendant pas compte de manière suffisamment prudente des risques financiers liés à la dépendance de son modèle économique aux hydrocarbures, ni des risques d’une possible dépréciation très forte de ses actifs. Le régulateur pourra être amené à vérifier la sincérité des informations financières divulguées par Total en matière de risques climatiques. 

    Le 28 janvier 2020, Total a été assignée en justice par nos organisations et une dizaine de collectivités territoriales sur le fondement de la loi sur le devoir de vigilance et de l’article 1252 du code civil. La transition énergétique défaillante de Total ne permet pas d’enrayer le réchauffement climatique et contribue ainsi aux risques d’atteintes graves et irréversibles à nos droits fondamentaux. Aux côtés des dommages environnementaux et sociaux, le changement climatique implique également des risques financiers importants pour les entreprises, en particulier pour celles du secteur des énergies fossiles. Pour réaliser les objectifs de l’Accord de Paris, des baisses conséquentes de la production mondiale de pétrole et de gaz sont nécessaires selon les différents rapports du Groupe Intergouvernemental d’Experts sur le Climat (GIEC) et de l’Agence Internationale de l’Énergie (AIE). 

    L’organisation Carbon Tracker Initiative (CTI) estime à ce titre que 20 à 70% des investissements de Total sont incohérents avec les scénarios de limitation de la température en dessous de 2°C (1)Ce risque financier fait désormais l’objet d’inquiétude de la part de certains actionnaires de Total. Un groupement de onze investisseurs qui déposé une résolution actionnariale le 15 avril dernier relatif au climat indique être “soucieux du risque de dépréciation des actifs (« stranded assets ») de Total, dont la valorisation et le modèle économique dépendent fortement des réserves d’énergie fossile dont elle gère l’exploitation.” (2) De fait, en 2018, 95% des investissements du Groupe le sont vers le secteur des hydrocarbures (3). En 2030, seulement 20% des investissements devraient être dédiés à l’électricité bas-carbone (4). 

    Pour Notre Affaire à Tous : “L’effondrement du cours du pétrole lié au covid-19 révèle au grand jour la toxicité de la dépendance aux hydrocarbures et précipite l’entreprise au bord du gouffre. Un manque à gagner important est à noter à court-terme (5), et en raison de la décarbonisation du secteur des transports qui s’accélère, il est probable que le prix du pétrole ne revienne plus jamais aux niveaux antérieurs. L’entreprise ne pourrait donc plus générer les revenus nécessaires pour effectuer sa propre transformation. Or, ce risque n’est détaillé nul part publiquement”.

     Plus particulièrement, nos organisations signalent à l’AMF les points suivants :

    • Total s’appuie sur des projections du prix du pétrole excessivement optimistes afin de justifier un risque limité de dépréciation de ses actifs pétroliers.
    • Total n’indique aucune information relative à la cohérence de ses investissements avec des scénarios de décarbonisation comme le fait le Carbon Tracker Initiative.
    • Les récentes annonces de Total (6) selon lesquelles l’entreprise dispose d’une ambition prétendument “en ligne avec les objectifs de l’accord de Paris” sont contestées par de nombreux analystes et seraient donc susceptibles d’induire en erreur les investisseurs dès lors qu’elle ne mettrait pas fin au risque d’actif échoué.
    • Nous nous interrogeons enfin sur les perspectives de versement de dividendes dans un monde où le prix du baril est très inférieur aux objectifs annoncés par Total et alors qu’une grande parties des compagnies pétrolières ont décidé de réduire leur distribution (7).

    Pour Sherpa, “le modèle économique de Total est de toute évidence exposé aux politiques de lutte contre le changement climatique en cours et à venir. L’entreprise doit aujourd’hui être transparente sur la réalité de sa stratégie et sur les risques qu’elle représente pour ses investisseurs. Il revient notamment à l’AMF, qui s’est récemment renforcée en matière de contrôle des risques financiers liés au changement climatique, de vérifier la sincérité de ces informations et, en cas de manquement, de sanctionner l’entreprise”. 

    Contacts presse :

    • Seattle Avocats – François de Cambiaire – 06 87 93 62 05 et Sébastien Mabile – 06 62 65 35 19
    • Notre Affaire à Tous – Cécilia Rinaudo cecilia.rinaudo@notreaffaireatous.org – 06 86 41 71 81
    • Sherpa – Lucie Chatelain lucie.chatelain@asso-sherpa.org 06 47 11 65 06

    Notes : 

    (1) Voir les études suivantes du CTI : « 2 degrees of separation”, 2018 ; « Breaking the Habit », 2019. 

    (2)  Voir communiqué de presse des investisseurs propos de la résolution actionnariale : https://isr.meeschaert.com/wp-content/uploads/sites/20/2020/04/CP-depot-de-resolution-Total-FINAL.pdf 

    (3) Total, DDR 2018, p. 68.

    (4) Étant précisé que le terme “électricité bas-carbone” n’exclut pas la génération d’électricité à partir du gaz, une énergie fossile fortement émettrice en méthane ; v. Déclaration conjointe de Total S.A. et des représentants d’investisseurs membres de la coalition Climate Action 100+, 5 mai 2020, p. 4.

    (5) Selon les Echos, au premier trimestre, le résultat net ajusté de Total a baissé de 35%, à 1,8 milliard de dollars : https://www.lesechos.fr/industrie-services/energie-environnement/coronavirus-total-se-serre-encore-plus-la-ceinture-1200471

    (6) https://www.total.com/fr/medias/actualite/total-se-dote-dune-nouvelle-ambition-climat-pour-atteindre-la-neutralite-carbone

    (7) Selon un récent article publié antérieurement à la crise du coronavirus, Total et d’autres compagnies pétrolières verseraient même tous les ans des dividendes à leurs actionnaires dépassant leur trésorerie disponible pour éviter un désinvestissement. la décision de Total de maintenir sa distribution de dividendes apparaît d’autant plus problématique que ses concurrents semblent avoir pris acte de la crise économique et climatique : Shell a ainsi divisé ses dividendes par trois