Catégorie : Actualités

  • CP / Jugement historique dans l’Affaire du Siècle : l’État condamné pour inaction climatique

    Communiqué de presse – 3 février 2020

    Dans son jugement sur l’Affaire du Siècle, prononcé le 3 février 2021, le tribunal administratif de Paris reconnaît la responsabilité de l’État français dans la crise climatique et juge illégal le non-respect de ses engagements de réduction des émissions de gaz à effet de serre. L’État est également reconnu responsable de “préjudice écologique”. Les ONG requérantes dans l’Affaire du Siècle se félicitent de cette première victoire et espèrent un jugement plus historique encore au printemps : l’Etat pourrait être condamné à prendre des mesures supplémentaires sur le climat.

    Pour les organisations de l’Affaire du Siècle : “Plus de deux ans après le début de notre action, soutenue par 2,3 millions de personnes, cette décision marque une première victoire historique pour le climat et une avancée majeure du droit français. Ce jugement marque aussi une victoire de la vérité : jusqu’ici, l’État niait l’insuffisance de ses politiques climatiques, en dépit de l’accumulation de preuves (dépassement systématique des plafonds carbone, rapports du Haut Conseil pour le Climat, etc.). Alors que le nouveau projet de loi Climat de ce gouvernement est, de son propre aveu, insuffisant pour atteindre les objectifs fixés [1], nous espérons que la justice ne se limitera pas à reconnaître la faute de l’État, mais le contraindra aussi à prendre enfin des mesures concrètes permettant a minima de respecter ses engagements climatiques.”

    Pour la première fois, l’État français reconnu fautif en matière de lutte contre les changements climatiques

    La justice a tranché : l’État français commet une faute en n’adoptant pas les mesures suffisantes pour lutter contre les changements climatiques et réduire les émissions de gaz à effet de serre, conformément aux objectifs qu’il s’est lui-même fixés. C’est la première fois que la justice reconnaît que la France est responsable d’inaction climatique.

    Avec cette reconnaissance de la faute de l’État, toutes les victimes directes des changements climatiques en France pourront désormais se tourner vers la justice et s’appuyer sur ce jugement pour demander réparation des préjudices qu’elles subissent. L’État va enfin devoir assumer les conséquences de décennies d’inaction sur le climat.

    L’inaction climatique de l’État porte atteinte à l’environnement

    Le Tribunal a également reconnu le préjudice écologique, c’est-à-dire les dommages causés à l’environnement, par le dépassement par la France de ses plafonds annuels d’émissions de gaz à effet de serre. C’est une première en droit français : avec cette décision, le tribunal administratif estime qu’une personne publique, au même titre qu’une personne privée, peut être tenue responsable d’un dommage causé à l’environnement. 

    L’État bientôt contraint par la justice à réparer les conséquences de son inaction ?

    Une nouvelle décision du Tribunal au printemps [2] pourrait condamner l’État à prendre des mesures supplémentaires pour lutter concrètement et efficacement contre la crise climatique. La reconnaissance de la faute que constitue son inaction climatique était une condition indispensable pour contraindre l’État à agir. Cette première étape historique désormais franchie, la justice doit maintenant statuer sur la façon dont l’État doit s’y prendre pour mettre fin à ses actions illégales, et, au-delà, réparer les dommages causés par les gaz à effet de serre émis en trop, par rapport à ses objectifs.

    Notes aux rédactions

    Le Tribunal a également reconnu le préjudice moral causé par l’inaction de l’Etat aux quatre organisations co-requérantes (Notre Affaire à Tous, la Fondation Nicolas Hulot, Greenpeace France et Oxfam France). 

    1. Une étude d’impact réalisée par le gouvernement lui-même montre que la loi ne permettra de n’atteindre que la moitié, voire les deux tiers des objectifs

    2. Le Tribunal a rouvert l’instruction pour deux mois afin de permettre à l’Etat et aux ONG d’échanger de nouveaux arguments sur la réparation du préjudice écologique 

    Cette seconde décision pourrait intervenir après le jugement du Conseil d’État attendu dans le dossier porté par la commune de Grande-Synthe et soutenu par l’Affaire du Siècle, dans lequel il est demandé à l’État de prouver qu’il pourra se conformer à ses objectifs climat à l’horizon 2030 [3]. En l’absence de preuves satisfaisantes apportées par l’État, le Conseil d’État pourrait le condamner à prendre des mesures supplémentaires. 

    3. La décision du Conseil d’État du 19 novembre 2020 dans le dossier Grande-Synthe

  • CP / Audience de l’Affaire du Siècle au tribunal : un pas de plus vers une victoire historique pour le climat

    Communiqué de presse – 14 janvier 2021

    L’inaction climatique de la France est une faute qui engage la responsabilité de l’Etat. C’est en substance ce qu’a déclaré Amélie Fort-Besnard, la rapporteure publique [1], lors de l’audience de l’Affaire du Siècle au tribunal administratif de Paris cet après-midi.

    Plus de deux ans après le début de la procédure initiée en décembre 2018 par Notre Affaire à Tous, la Fondation Nicolas Hulot, Greenpeace France et Oxfam France, l’audience de l’Affaire du Siècle s’est déroulée aujourd’hui, marquant le premier grand procès climatique en France. La décision du tribunal est attendue sous quinze jours. 

    Pour les organisations de l’Affaire du Siècle : « si le tribunal suit les conclusions de la rapporteure publique, la responsabilité de l’Etat français dans le dérèglement climatique serait reconnue du fait de l’insuffisance de ses actions. Ce serait une avancée historique du droit français et une victoire majeure pour le climat et pour la protection de chacun et chacune face aux conséquences du dérèglement climatique. Toutes les victimes des changements climatiques pourraient alors s’appuyer sur cette jurisprudence pour faire valoir leur droit et obtenir réparation. L’Etat subirait alors une forte pression pour enfin mettre en œuvre les actions nécessaires pour limiter le réchauffement à 1,5°C. »

    La rapporteure publique estime, en effet, que l’Etat a bien commis une faute, qui engage sa responsabilité, en ne prenant pas toutes les mesures nécessaires pour respecter ses engagements sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Elle précise que c’est l’Etat lui-même qui a déterminé sa trajectoire climatique destinée à respecter ses objectifs nationaux et ses engagements internationaux sur le climat. La rapporteure publique propose au tribunal de condamner l’Etat à verser aux ONG la somme d’1 euro symbolique pour la réparation du préjudice moral causé, ce que demandaient les associations.

    L’Affaire du Siècle demande également à la justice de contraindre l’Etat à prendre des mesures supplémentaires pour le climat, pour enfin respecter ses propres engagements. Sur ce point, la rapporteure publique n’écarte pas une injonction à agir mais conseille au Tribunal de réserver sa décision pour plus tard, afin de permettre aux ONG et à l’Etat d’échanger sur la réalité de l’action climatique de l’état, et dans l’attente que le Conseil d’Etat rende sa décision dans l’affaire de Grande-Synthe [2].

    Enfin, la rapporteure publique propose au tribunal de reconnaître l’existence d’un préjudice écologique devant les juridictions administratives, alors qu’il n’était jusqu’à présent retenu que devant les instances judiciaires. Cela constituerait une avancée majeure pour le droit environnemental. Une telle décision marquerait aussi une meilleure prise en compte de la Nature en droit. La rapporteure publique suggère au Tribunal qu’une personne publique, à l’instar d’une personne privée, pourrait être tenue responsable d’un dommage causé directement à l’environnement. Elle propose enfin de retenir que le changement climatique cause un tel dommage et que l’Etat en est en partie responsable. 

    L’inadéquation de l’action de l’Etat face à la crise climatique est désormais soulignée, démontrée et pointée du doigt de toutes parts. Pourtant, le projet de loi issu de la Convention citoyenne pour le climat, qui sera débattu en mars prochain au Parlement, est, de l’aveu même de l’Etat, insuffisant pour lui permettre de respecter ses objectifs climatiques [3]. La balle est désormais dans le camp du gouvernement pour enfin revoir sa copie et prendre les mesures ambitieuses et nécessaires pour lutter contre le changement climatique.

    Notes aux rédactions

    [1] Rapporteure publique : magistrate indépendante qui propose au Tribunal une analyse complète du droit existant pour guider la décision et faire évoluer le droit si nécessaire.

    [2] L’Etat a versé au dossier, après la clôture de l’instruction, deux mémoires sur l’injonction à agir dont les avocates et avocats des ONG n’ont pas eu accès en amont de l’audience du 14 janvier. Ce délai permettra un débat contradictoire. 

    [3] Une étude d’impact réalisée par le gouvernement lui-même montre que la loi ne permettra de réaliser qu’au maximum la moitié ou les deux tiers du chemin.  

    Contacts presse :

    Notre Affaire à Tous : Cécilia Rinaudo – 06 86 41 71 81 – cecilia@notreaffaireatous.org 

    Fondation Nicolas Hulot : Paula Torrente – 07 87 50 74 90 – p.torrente@fnh.org 

    Greenpeace France : Kim Dallet – 06 33 58 39 46 – kim.dallet@greenpeace.org 

    Oxfam France : Marion Cosperec – 07 68 30 06 17 – mcosperec@oxfamfrance.org 

  • CP / L’Affaire du Siècle au Tribunal : l’Etat a rendez-vous aujourd’hui avec 2,3 millions de personnes

    Lancé il y a plus de deux ans le recours en justice contre l’inaction climatique de l’État porté par Notre Affaire à Tous, la Fondation Nicolas Hulot, Greenpeace France et Oxfam France, arrive enfin à son dénouement : son audience au tribunal administratif de Paris aura lieu aujourd’hui à 13h45. Le jugement devrait ensuite être rendu sous quinzaine.

    Télécharger les images de l’action

    Nous sommes 2,3 millions » : c’est le message inscrit ce matin sur une affiche géante de 3m sur 30m posée sur la voie Georges Pompidou, à deux pas du tribunal administratif de Paris, par des citoyen·ne·s soutenant l’Affaire du Siècle. Une action symbolique qui vise à rappeler à l’État qu’il fait face aujourd’hui aux 2,3 millions de signataires de la pétition en soutien au recours (pétition en ligne la plus signée de l’histoire en France).

    Alors que la crise climatique reste au plus haut des préoccupations des Français·es1 même avec la crise sanitaire, et que de nouveaux records de chaleur ont été battus en 2020, l’État ne cesse de repousser le passage à l’action. Les émissions de gaz à effet de serre pendant ce quinquennat ont continué de baisser deux fois trop lentement par rapport aux trajectoires prévues dans la loi. Le Haut conseil pour le climat analysait en décembre dernier que deux tiers du plan de relance n’allait pas dans le bon sens et risquait de contribuer à la hausse des émissions. Enfin, le projet de loi sur le climat faisant suite à la Convention Citoyenne, rabote ou supprime de nombreuses propositions de la Convention, si bien qu’il ne permettra pas d’atteindre l’objectif d’au moins 40% de baisse des émissions à 2030 par rapport à 1990 – et donc encore moins le nouvel objectif européen d’au moins 55% de réduction en 2030.

    Une étape décisive pour la justice climatique

    Qu’est-ce qui se joue à cette audience ? Le rapporteur public présentera ses conclusions sur le dossier juridique de l’Affaire du Siècle, c’est-à-dire la décision qu’il recommande au tribunal de prendre. Les avocat·e·s des 4 organisations requérantes rappelleront ensuite les obligations climatiques de l’État et les manquements à ses engagements. L’État pourra à son tour s’exprimer. Le Tribunal enverra ensuite l’affaire en délibéré et pourrait annoncer la date à laquelle il rendra sa décision, généralement sous quinze jours.

    Que peut obtenir l’Affaire du Siècle ?

    Les organisations de l’Affaire du Siècle sont optimistes sur le fait que le tribunal reconnaisse l’inaction climatique de l’État, c’est-à-dire la « carence fautive » que constitue le non-respect par l’État des objectifs de réduction de gaz à effet de serre inscrits dans de multiples textes de loi. Les magistrats pourraient également contraindre l’État à prendre les mesures nécessaires pour atteindre ses engagements à l’horizon 2030 et 2050.

    Enfin, nous espérons que la justice reconnaisse l’obligation générale faite à l’État de lutter contre les changements climatiques, qui découle notamment de la Charte de l’Environnement de 2004, de la Convention européenne des Droits de l’Homme. Une telle décision serait historique et inscrirait dans le droit que la lutte contre les changements climatiques est indispensable à la protection des droits fondamentaux.

    Le levier juridique joue désormais un rôle essentiel face à la crise climatique : le 19 novembre dernier, dans le cadre du dossier de Grande-Synthe2, le Conseil d’État a affirmé le caractère contraignant des objectifs climatiques inscrits dans la loi (ce qui n’était jusqu’alors pas le cas), et a donné trois mois au gouvernement pour justifier qu’il mettait bien en place toutes les mesures nécessaires pour respecter ses engagements3. Aux Pays-Bas, en décembre 2019, la Cour Suprême a confirmé l’obligation faite à l’État de réduire ses émissions de 25% par rapport aux niveaux de 1990. Le tribunal administratif de Paris pourrait ainsi s’inscrire dans la continuité de cette dynamique, et rajouter une pierre à l’édifice en ordonnant à la France d’agir dès à présent.

    Notes

    1. Les Français face au changement climatique, sondage Kantar pour Oxfam France, décembre 2020.
    2. L’Affaire du Siècle est intervenante volontaire dans le dossier.
    3. Émissions de gaz à effet de serre : le Gouvernement doit justifier sous 3 mois que la trajectoire de réduction à horizon 2030 pourra être respectée, communiqué

    Contacts presse

    Notre Affaire à Tous : Cécilia Rinaudo, 06 86 41 71 81 – cecilia@notreaffaireatous.org
    Fondation Nicolas Hulot : Paula Torrente, 07 87 50 74 90 – p.torrente@fnh.org
    Greenpeace France : Kim Dallet, 06 33 58 39 46 – kim.dallet@greenpeace.org
    Oxfam France : Marion Cosperec, 07 68 30 06 17 – mcosperec@oxfamfrance.org

  • The Case of the Century: Chronology of the legal action

    Why turn to the courts?

    State inaction is illegal! The state is obliged to respect its national, European and international commitments and to protect its citizens’ human rights. The victims of climate change are now visible. Citizens have clearly understood the widening gap between words and deeds, and that nothing is really being done today to counter the current climate crisis. 

    All means of action have been used: individual actions, citizen mobilizations, boycotts as well as non-violent resistance. But neither the big polluters nor the States have answered the citizens and scientists calls for climate action. Today, France is not keeping its commitments, even those it has set itself. 

    December 18, 2018: launch of the Case of the Century

    On 18 December 2018, Notre Affaire à Tous, in partnership with the Fondation pour la Nature et l’Homme, Greenpeace France and Oxfam France, initiated « l’Affaire du Siècle », the climate litigation case against the French State. The aim of this case is to have the judge recognise the general obligation of the French State to act in the fight against climate change, in order to protect French citizens’ rights against the dangerous impacts of climate change. The petition of support was signed by more than 2 million people in just a few weeks.

    March 14, 2019: filing of the summary request at the Administrative Court of Paris

    On February 15, 2019, the Minister of the Ecological and Solidary Transition rejected the request of NGOs Notre Affaire à Tous, Greenpeace France, Oxfam France and the Fondation Nicolas Hulot pour la Nature et l’Homme. They were seeking, on the one hand, to get compensation for the damages suffered as a result of the State’s faults in the fight against climate change and, on the other hand, to urge the State to put an end to all of its failures concerning climate issues.

    On Thursday, March 14, 2019, they filed their lawsuit tackling the State’s inaction over climate change via a « summary request » before the Administrative Court of Paris.

    May 20, 2019: Filing of the additional brief to the Court

    Following the summary request filed for the Case of the Century before the Paris Administrative Court on March 14, the lawyers of Notre Affaire à Tous, the Nicolas Hulot Foundation for Nature and Mankind, Greenpeace France and Oxfam France filed an additional brief detailing all the arguments of the climate litigation case against the French State for climate inaction. This filing officially launched the beginning of the trial period.

    June 24, 2020: The State files its reply

    Nearly sixteen months after the start of the case, the State finally responds to the arguments filed against it by Notre Affaire à Tous, the Nicolas Hulot Foundation, Greenpeace France and Oxfam France, for the Case of the Century. In its 18-page defense brief, the State rejects the arguments presented by the co-plaintiff organizations and denies the deficiencies pointed out, even though they had, in the meantime, been confirmed by the French High Council for the Climate. This response comes at a time when two other organizations – the Fondation Abbé Pierre and the Fédération Nationale d’Agriculture Biologique – are presenting their arguments in support of the Case of the Century to the court.

    September 4, 2020: The Case of the Century files its reply to the State’s arguments

    Our lawyers filed our « reply brief » (i.e. our counter-arguments) on September 4, 2020 and 100 testimonies from the « Climate Witnesses » platform launched by the Case of the Century in December 2019. 

    In the reply brief, we remind the court that the responsibility of the State is indeed engaged, by demonstrating that it failed to establish an effective legal framework, and to implement the human and financial means to ensure its respect. The State has a crucial role to play, as regulator, investor and catalyst at all levels. The Case of the Century also demonstrates that by failing to meet its targets for reducing greenhouse gas emissions, energy efficiency and renewable energies, it has itself directly contributed to the climate crisis: between 2015 and 2019, France emitted approximately 89 million tons of CO2 equivalent in excess of its targets – the equivalent of two and a half months of emissions for the entire country (at the pre-covid rate). 

    January 14, 2021: Hearing of the Case of the Century

    The hearing of the Case of the Century will take place before the Paris Administrative Court on January 14, 2021 at 1:45 pm, more than two years after the launch of this unprecedented legal action against the State’s climate inaction. 

    At the hearing on Thursday, the public rapporteur will present his conclusions, i.e., the decision he recommends the court to take. The lawyers of the Case of the Century, who have demonstrated the State’s faults, will then take the floor to recall our arguments :

    • The State has an obligation to protect us in the face of the climate crisis, yet it is far from respecting its commitments:
    • France has systematically exceeded the carbon ceilings it had set for itself;
    • The target of 23% renewable energy in 2020 is not respected;
    • The delay in the energy renovation of buildings is such that the pace should be multiplied by 10 by 2030;
    • Greenhouse gas emissions in the transport sector have fallen by only 1.5%, whereas the target was -15%!

    The State, as a defendant, is then also supposed to take the floor. It is not supposed to develop new arguments. The Court is expected to render its decision about two weeks after the hearing, at the end of January.

  • 14 janvier 2021 : L’Affaire du Siècle au Tribunal

    14 janvier 2021 : L’Affaire du Siècle au Tribunal

    Le 14 janvier 2021, plus de deux ans après le lancement de l’action en justice contre l’Etat français et le soutien de plus de 2,3 millions de personnes, l’Affaire du Siècle avait rendez-vous au tribunal pour son audience ! La décision finale devrait ensuite être rendue dans 15 jours.

    L’inaction climatique de la France est une faute qui engage la responsabilité de l’Etat” : c’est ce qu’a dit la rapporteure publique à l’audience tant attendue de l’Affaire du Siècle au Tribunal administratif de Paris, le 14 janvier ! Si le tribunal suit les conclusions de la rapporteure publique (ce qui est généralement le cas au tribunal administratif), la responsabilité de l’Etat français dans le dérèglement climatique serait reconnue du fait de l’insuffisance de ses actions ! Ce serait une avancée historique du droit français et une victoire majeure pour le climat et pour la protection de chacun et chacune face aux conséquences du dérèglement climatique.

    Les conclusions énoncées marquent une avancée juridique sans précédent. Elles s’inscrivent dans le sens de l’histoire : après la bataille pour nos droits civils et politiques, puis pour nos droits sociaux au 20e siècle, le 21e siècle est celui de la construction de nos droits climatiques et environnementaux !

    Après 5 ans d’existence, nous sommes ravi-es de voir que nos arguments sont entendus ! Au moment du lancement de l’Affaire du Siècle il y a deux ans, il s’agissait d’une action en justice inédite qui s’était fortement inspirée des victoires et combats menés dans d’autres pays : notamment celle d’Urgenda aux Pays-Bas en 2015, qui a d’ailleurs été un moteur pour la création de Notre Affaire à Tous ! 5 ans plus tard, nous nous réjouissons que la rapporteure publique s’inscrive dans la lignée ambitieuse du mouvement mondial pour la justice climatique. 

    L’outil du droit est puissant et essentiel dans la lutte contre le changement climatique. Le message est clair : les Etats doivent agir. Leur inaction n’est pas seulement dangereuse et inconsciente, elle est illégale.

    Nous devrions connaître la décision dans une quinzaine de jours mais avons bon espoir que le juge suive les conclusions de la rapporteure publique. Rendez-vous pour une décision qui sera très certainement inédite et déterminante.

    Les conclusions de la rapporteure publique

    • La rapporteure publique estime que l’Etat a bien commis une faute, qui engage sa responsabilité, en ne prenant pas toutes les mesures nécessaires pour respecter ses engagements climatiques
    • Elle précise que c’est l’Etat lui-même qui a déterminé sa trajectoire climatique destinée à respecter ses objectifs et engagements internationaux.
    • La rapporteure publique n’écarte pas une injonction à agir mais conseille au Tribunal de réserver sa décision pour plus tard, afin de permettre aux ONG et à l’Etat d’échanger sur la réalité de l’action climatique de l’Etat, et dans l’attente que le Conseil d’Etat rende sa décision dans l’affaire de Grande-Synthe.
    • Enfin, la rapporteure publique propose au tribunal de reconnaître l’existence d’un préjudice écologique devant les juridictions administratives, alors qu’il n’était jusqu’à présent retenu que devant les instances judiciaires. Cela constituerait une avancée majeure pour le droit environnemental.

    L’inadéquation de l’action de l’Etat face à la crise climatique est désormais soulignée, démontrée et pointée du doigt de toutes parts. La balle est désormais dans le camp du gouvernement pour enfin revoir sa copie et prendre les mesures ambitieuses et nécessaires pour lutter contre le changement climatique. 

    La reconnaissance de la culpabilité et de la responsabilité de l’Etat pourrait ouvrir la voie pour que d’autres citoyens demandent réparation de leurs préjudices. Les victimes des changements climatiques pourraient alors s’appuyer sur cette jurisprudence pour faire valoir leur droit et obtenir réparation. L’Etat subirait alors une forte pression pour enfin mettre en œuvre les actions nécessaires pour limiter le réchauffement à 1,5°C.

    Nous étions mobilisé-es toute la journée du 14 janvier !

    « Nous sommes 2,3 millions » : le 14 janvier à 8h30, pour rappeler à l’État qu’il répondait aux 2,3 millions de personnes qui soutiennent l’Affaire du Siècle, nous avons affiché en grand ce message juste à côté du Tribunal administratif de Paris, sur une affiche géante de 3m sur 30m ! Une action symbolique qui vise à rappeler à l’État que son inaction nous impacte toutes et tous.

    Partagez notre vidéo sur les réseaux sociaux et à vos proches : montrons à l’État que nous sommes plus mobilisé-e-s que jamais !

    « Nous sommes 2,3 millions » : pour rappeler à l’État qu’il répond aux 2,3 millions de personnes qui soutiennent l’Affaire du Siècle, nous avons affiché en grand ce message juste à côté du Tribunal administratif de Paris ! Une action symbolique qui vise à rappeler à l’État que son inaction nous impacte toutes et tous.

    Partagez cette vidéo sur les réseaux sociaux et à vos proches : montrons à l’État que nous sommes plus mobilisé-e-s que jamais pour cette étape décisive !

    Alors que la crise climatique est au plus haut des préoccupations des Français·es, que de nouveaux records de chaleur ont été battus en 2020 et que les Français-es en payent déjà les conséquences, le gouvernement ne cesse de repousser le passage à l’action.

    Le levier juridique

    Le levier juridique est en passe de tenir un rôle essentiel face à la crise climatique : le 19 novembre dernier, le Conseil d’État a affirmé le caractère contraignant des objectifs climatiques inscrits dans la loi (ce qui n’était jusqu’alors pas le cas), et a donné trois mois au gouvernement pour justifier qu’il mettait bien en place toutes les mesures nécessaires pour respecter ses engagements. Aux Pays-Bas, en décembre 2019, la Cour Suprême a confirmé l’obligation faite à l’État de réduire ses émissions de 25 % par rapport aux niveaux de 1990. Le tribunal administratif de Paris pourrait ainsi s’inscrire dans la continuité de cette dynamique. 

    Si la décision est positive, cette action en justice historique et inédite pourrait faire jurisprudence et ouvrir véritablement la voie à une justice climatique en France. Grâce à ce recours, la carence de l’État en matière de lutte contre le changement climatique pourrait être actée par un tribunal. Ce tribunal pourrait imposer à l’État un renforcement et une augmentation des mesures de lutte contre le réchauffement climatique. Cette décision s’appliquerait au niveau national et sur cette base, les citoyens pourraient en bénéficier et à leur tour faire valoir leurs droits et préjudices en lien avec le changement climatique.

  • L’Objectif à valeur constitutionnelle de protection de la santé et de l’environnement dans la jurisprudence du Conseil Constitutionnel

    Par Juliette Sardet, membre de Notre Affaire à Tous

    La décision Loi sur la communication audiovisuelle du Conseil Constitutionnel a introduit la notion d’objectif à valeur constitutionnelle (OVC) en 1982 (1). Dans un premier temps, le Conseil Constitutionnel y entendait « la sauvegarde de l’ordre public, le respect de la liberté d’autrui et la préservation du caractère pluraliste des courants d’expression socio-culturels ». Plusieurs décisions sont venues préciser le contenu, augmenter le champ ou exposer les conséquences de cette notion. L’octroi de ce statut a pour fondement le fait de mettre en œuvre des principes issus du bloc de constitutionnalité. Les OVC ne créent pas de droits mais constituent des buts à atteindre. Ils se traduisent par une obligation de moyen. Ce sont de précieux outils pour le législateur afin de justifier des dérogations limitées à des exigences constitutionnelles et surtout de les concilier entre elles.  

    Le 31 janvier 2020, dans le cadre d’un contentieux relatif à des textes interdisant la  production, le stockage et la circulation en France des produits phytopharmaceutiques contenant des substances actives non approuvées par l’Union européenne, le Conseil Constitutionnel est venu confirmer et étendre le champ des OVC. Par la décision n° 2019-823 QPC, il reconnaît pour la première fois qu’il découle de la Charte de l’environnement de 2004, non plus un « objectif d’intérêt général », mais un « objectif à valeur constitutionnelle deprotection de l’environnement, patrimoine commun des êtres humains » (cons. 4). Il réaffirme également la protection de la santé en tant qu’objectif à valeur constitutionnelle (cons. 5). 

    Ainsi, si le législateur se voit confirmer la possibilité de porter atteinte à d’autres exigences constitutionnelles au nom de la santé publique, il se voit surtout nouvellement habilité au nom de la protection de l’environnement. Cet article se limitera ainsi à traiter ces deux protections en tant que justifications à des atteintes et non en tant que droits pouvant également être violés. 

    La consécration, en tant qu’OVC, de la protection de la santé publique dans les années 1990 et de l’environnement en 2020, est le fruit d’une évolution jurisprudentielle propre à chaque enjeu (I). Si ce sceau constitutionnel peut apparaître symbolique au regard des conséquences qu’induit la qualification d’OVC, cette décision constitue une étape essentielle dans l’applicabilité des normes en matière d’environnement par le législateur et à travers de  futurs contentieux environnementaux et climatiques (II). 

    I. Mise en perspective : l’évolution de la santé publique et de la protection de l’environnement dans la jurisprudence constitutionnelle

    La position du Conseil Constitutionnel vis-à-vis de la protection de la santé et de l’environnement a évolué au fil de l’évolution d’une société de plus en plus soucieuse des enjeux sanitaires et environnementaux. Le contentieux le plus instructif est celui visant à concilier ces enjeux avec la liberté d’entreprendre – reconnue comme une liberté constitutionnelle découlant de l’article 4 de la DDHC (2). Toute limitation de la liberté d’entreprendre doit être justifiée par une exigence constitutionnelle ou un motif d’intérêt général, à condition que l’atteinte ne soit pas disproportionnée au regard de l’objectif poursuivi (3). 

    A. Reconnaissance de la santé publique en tant d’OVC

    Dès les années 1980, découlant du onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 (4), la santé publique est reconnue comme une exigence constitutionnelle justifiant des limitations par le législateur. 

    Dans un premier temps, le Conseil Constitutionnel lui accorde une « valeur constitutionnelle » dans la décision n° 93325 DC du 13 août 1993 relative à la loi de la maîtrise de l’immigration et aux conditions d’entrée, d’accueil et de séjour des étrangers en France. Afin de justifier des atteintes à la liberté d’entreprendre, la santé publique sera ensuite érigée en « principe constitutionnel » avec la décision de principe n° 90-283 DC du 8 janvier 1991 (5), rendue sur la loi relative à la lutte contre le tabagisme et l’alcoolisme. 

    Dans un second temps, alors que la santé publique fut de plus en plus mobilisée par le législateur, le Conseil Constitutionnel fut amené à qualifier la santé publique « d’objectif à valeur constitutionnelle » afin de faciliter la conciliation de ces deux exigences. Ce fut le cas des décisions relatives à l’accès aux origines personnelles (6), à la peine complémentaire obligatoire de fermeture de débit de boissons (7), au bisphénol A (8) et à l’utilisation des produits phytopharmaceutiques contenant des néonicotinoïdes (9). La légitimité et l’autorité de la protection de la santé publique se sont progressivement assises. 

    Sans qu’il apparaisse que le juge constitutionnel veuille remettre en cause cette qualification d’OVC, il s’est parfois contenté de citer cette exigence constitutionnelle sans pour autant la qualifier d’OVC. Il se limitait à évoquer « la protection de la santé », les « exigences de valeurs constitutionnelles » ou « du onzième alinéa ». Ce fut le cas dans les décisions relatives aux conditions d’exercice de certaines activités artisanales (10), au droit de consommation du tabac dans les DOM (11), à la loi de modernisation de notre système de santé (12), à la publicité en faveur des officines de pharmacie (13), à la loi de financement de la sécurité sociale pour 2020 (14) et à la loi de financement de la sécurité sociale pour 2018 (15). 

    B. Consécration tardive mais historique de la protection de l’environnement en tant qu’OVC

    La reconnaissance du caractère prioritaire de la protection de l’environnement a fait l’objet d’une évolution beaucoup plus prudente. Jusqu’à la décision de janvier 2020, la protection de l’environnement ne fut envisagée que sous l’angle d’un « objectif d’intérêt général » (OIG). Ce dernier constitue également une justification pour porter atteinte à des exigences constitutionnelles, mais ne découle pas du bloc de constitutionnalité. Dans l’équilibre entre différentes normes constitutionnelles, l’OIG pèse relativement moins qu’un OVC face à d’autres exigences constitutionnelles, telles que la liberté d’entreprendre. 

    D’une manière implicite dans un premier temps, dans la décision n° 2016-605 QPC du 17 janvier 2017, relatif à la Confédération française du commerce de gros et du commerce international, le Conseil constitutionnel a estimé que le législateur « a ainsi poursuivi un objectif d’intérêt général ». De façon explicite cette fois, dans la décision Société Schuepbach Energy LLC (16), relative aux dispositions de la loi du 13 juillet 2011 visant à interdire l’exploration et l’exploitation des mines d’hydrocarbures liquides ou gazeux par fracturation hydraulique, le juge constitutionnel estime que le législateur avait pu porter atteinte à la liberté d’entreprendre au nom d’un « but d’intérêt général de la protection de l’environnement ».

    La prudence du Conseil Constitutionnel vis-à-vis de la protection de l’environnement découle en grande partie de la position qu’il a vis-à-vis de la Charte de l’environnement. Dans la décision n° 2014-394 QPC rendue le 7 mai 2014, il avait affirmé que si les premiers alinéas de la Charte avaient valeur constitutionnelle, aucun d’eux n’instituait un droit ou une liberté que la Constitution garantit, et qu’ils ne pouvaient être invoqués à l’appui d’une QPC. La même position fut prise à travers la décision n° 2016-737 DC du 4 août 2016, à propos des dispositions relatives à la loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages de 2016. En se fondant notamment sur « l’objectif d’intérêt général de protection de l’environnement » ainsi que sur « l’objectif à valeur constitutionnelle de protection de la santé publique », il avait décidé que l’interdiction de l’utilisation des produits phytopharmaceutiques contenant un ou des substances actives de la famille des néonicotinoïdes ne portait pas atteinte de façon disproportionnée à la liberté d’entreprendre. Un même statut sera également reconnu dans la décision n° 2018-771 DC du 25 octobre 2018, relative à la soumission des biocarburants à base d’huile de palme à la taxe incitative relative à l’incorporation de biocarburants (17). 

    I. Innovations et la portée de la décision n° 2019-823 QPC

    Dans la décision du 31 janvier 2020, le Conseil Constitutionnel vient confirmer l’existence d’un OVC de santé publique à disposition du législateur. Plus encore, il est venu consacrer « la protection de l’environnement, patrimoine commun des êtres humains » en tant qu’OVC. Consécration historique semble pouvoir offrir de nouvelles perspectives en terme d’applicabilité des normes de protection de l’environnement et de contentieux environnementaux et climatiques.   

    A. Consécration audacieuse de la protection de l’environnement en tant qu’OVC

    Par cette décision, le Conseil Constitutionnel réalise un revirement de jurisprudence vis-à-vis de la valeur de la Charte de l’environnement. En se fondant sur le préambule de la Charte qui dispose que « l‘avenir et l’existence même de l’humanité sont indissociables de son milieu naturel (…) l’environnement est le patrimoine commun des êtres humains (…) la préservation de l’environnement doit être recherchée au même titre que les autres intérêts fondamentaux de la Nation (…) afin d’assurer un développement durable, les choix destinés à répondre aux besoins du présent ne doivent pas compromettre la capacité des générations futures et des autres peuples à satisfaire leurs propres besoins », il en déduit, non plus un objectif d’intérêt général, mais un objectif à valeur constitutionnelle. La protection de l’environnement fait désormais partie du bloc de constitutionnalité et constitue un objectif à la disposition du législateur afin de mettre en balance des exigences constitutionnelles, et ce, au même titre que la santé publique. 

    La seconde innovation réside également dans le champ d’application de la protection de l’environnement. En utilisant la formule « environnement, patrimoine commun des êtres humains », le juge constitutionnel offre la possibilité de prendre en compte les effets de la pollution tant en France qu’à l’étranger. Il avait implicitement pensé ce caractère extraterritorial dans la décision relative à la soumission des biocarburants à base d’huile de palme. En ne relevant pas que l’interdiction de certains produits plastiques jetables n’incluait pas l’activité d’exportation, le Conseil Constitutionnel avait donc considéré que le fait qu’une activité nuisible à l’environnement ou à la santé soit autorisée à l’étranger ne saurait, en soi, priver le législateur français de la possibilité, au nom de la protection de l’environnement ou de la santé, d’interdire aux sociétés régies par le droit français d’y participer. Le juge avait reconnu le pouvoir au législateur de promouvoir, pour ce qui relève de la zone de souveraineté française, des comportements protecteurs, quand bien même cette action positive pourrait se trouver, matériellement, provoquée par des actions nuisibles à l’environnement commises par les entreprises d’autres pays.

    B. Portée et attentes vis à vis de l’applicabilité des normes environnementales

    Si la santé dispose du statut de principe constitutionnel et d’OVC, l’obtention de la qualification d’OVC pour la protection de l’environnement peut susciter de l’espoir. Cette promotion permet de renforcer nettement la légitimité et l’autorité de l’argument de protection de l’environnement. Cette qualification, symbolique à ce stade, pourrait s’apparenter à un véritable levier pour permettre l’application effective des normes en matière de protection de l’environnement par le législateur. « Cette décision peut donner du courage au législateur : à l’argument du pragmatisme économique souvent défendu par les Ministres et la crainte de voir un amendement “retoqué” par le Conseil Constitutionnel pour violation de la liberté constitutionnelle d’entreprendre, les député.e.s pourront désormais opposer cette décision » avait commenté Marine Denis, porte-parole de l’association Notre Affaire à Tous (18).

    Finalement, beaucoup d’espoirs peuvent également être exprimés quant à son invocabilité directe par les juges dans les futurs contentieux de l’urbanisme, de la santé et de l’environnement, dont son effectivité dépendra de la volonté et de l’appréciation souveraine du juge. 

    Notes

    1.  Décision n° 82141 DC du 27 juillet 1982, Loi  sur la communication audiovisuelle, cons.5.
    2.  Décision n° 81-132 DC du 16 janvier 1982, relative aux nationalisations.
    3.  Décision n° 2000-439 DC du 16 janvier 2001, Loi relative à l’archéologie préventive. 
    4.  Préambule de la Constitution de 1946, alinéa 11 : la Nation « garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs. Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l’incapacité de travailler a le droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence » 
    5.  Décision n° 90-283 DC du 8 janvier 1991 – Loi relative à la lutte contre le tabagisme et l’alcoolisme, cons.11.
    6.  Décision n° 2012-248 QPC du 16 mai 2012, M. Mathieu E., cons. 6.
    7.  Décision n° 2015-493 QPC du 16 octobre 2015, M. Abdullah N, cons. 12.
    8.  Décision n° 2015-480 QPC du 17 septembre 2015, cons. 5 et 7.
    9.  Décision n° 2016-737 DC du 4 août 2016, paragr. 39.
    10.  Décision n° 2011-139 QPC du 24 juin 2011, Association pour le droit à l’initiative économique, cons. 8.
    11.  Décision n° 2012-290/291 QPC du 25 janvier 2013, Société Distrivit et autres, cons. 16
    12.  Décision n° 2015-727 DC du 21 janvier 2016, Loi de modernisation de notre système de santé, cons. 21.
    13.  Décision n° 2013-364 QPC du 31 janvier 2014, Coopérative GIPHAR-SOGIPHAR et autre, cons. 6 et 8.
    14.  Décision n° 2019-795 DC du 20 décembre 2019, Loi de financement de la sécurité sociale pour 2020, paragr. 49 à 52.
    15.  Décision n° 2017-756 DC du 21 décembre 2017, Loi de financement de la sécurité sociale pour 2018, paragr. 63 à 65.
    16.  Conseil constitutionnel, Décision n°2013-346, QPC du 11 octobre 2013. 
    17.  Décision n° 2019-808 QPC du 11 octobre 2019 – Société Total raffinage France, cons.8.
    18.  Notre Affaire à Tous, communiqué de presse, 31 janvier 2020, La décision du Conseil Constitutionnel crée un tournant historique pour la protection de l’environnement et la justice climatique !

     

  • Éthique environnementale et droits : réflexions autour d’une évolution de la perception du droit

    Par Xavier Idziak, membre de Notre Affaire à Tous

    Au-delà d’une rigidité souvent contestée, le droit de l’environnement s’entoure parfois de concepts et de notions plus philosophiques recherchant à répondre à des finalités spécifiques. Les éthiques environnementales proposent une vision de la perception de l’Homme au regard de son environnement, le droit considéré comme un droit de raison cherche à y répondre et à s’inscrire dans les courants des trois éthiques environnementales.

    Le droit de l’environnement invite régulièrement au travers de l’évolution des enjeux sociaux et environnementaux à repenser la place de l’Homme au sein de l’environnement. Aussi, ce droit et sa construction ont été largement influencés par des notions, concepts et principes ayant favorisé sa construction depuis les années 1960,  le droit existant auparavant ne répondant pas à la même logique (1). Ce dernier a été fortement influencé par plusieurs mouvements issus de l’éthique environnementale résultant bien souvent de courants philosophiques cherchant à percer l’armure difficilement perméable du droit. L’éthique environnementale peut être considérée comme « une réflexion philosophique qui a su associer les questions morales classiques (qu’est-ce que la valeur ? comment distinguer le bien et le mal ? le pluralisme est-il nécessaire ?) et les problèmes contemporains qui font de la nature l’objet d’un débat philosophique » (2).

    Ces courants transcrivent à la fois l’évolution des enjeux sociaux, et aussi de la perception de l’Homme à son environnement naturel (3). L’actualité juridique récente en matière de droit de la Nature (4) invite à s’interroger sur la hiérarchie Homme-environnement. Une présentation successive de ces éthiques permettra de mieux percevoir le carcan juridique entourant le droit de l’environnement et sa perception de la nature. Il sera dès lors procédé à une analyse synthétique de l’anthropocentrisme, du biocentrisme et de l’écocentrisme. Le choix du synthétique ne doit pas être apparenté à l’absence de volonté démonstrative ; elle se fait au contraire dans une volonté pédagogique visant à présenter simplement les courants de l’éthique environnementale sans prendre un parti pris. 

    Le premier des courants de l’éthique environnementale correspond à l’anthropocentrisme. Le droit de l’environnement n’échappe pas au classicisme juridique qui fait que le droit reste, en tout et pour tout, un instrument de domination de l’Humain sur ce qui l’environne (5). Le droit est dans ce contexte généralement conçu de façon à être anthropocentrique, cela signifie que l’Homme reste au cœur des préoccupations, et il n’a qu’une vision utilitariste de la nature (6). Le droit reste « binaire » (7) en incluant l’Homme d’une part et des choses d’autre part ; les Hommes sont « maîtres et possesseurs de la nature » (8). La vision anthropocentrée induit un vocable qui place dans un rapport hiérarchique l’Homme au-dessus de la nature (9). Les éléments de l’environnement sont dans cette éthique, qui reste souvent d’actualité, régis par des définitions donnant un rapport de force permettant d’utiliser librement et sans considération morale. L’environnement n’est dans ce cas perçu que comme une ressource ayant essentiellement une valeur marchande (10). La relation avec l’environnement et ses composantes existe bien, mais l’aspect mercantile et utilitariste prend le pas sur la protection de l’environnement. Si cette protection par le droit existe dans ce courant, elle ne s’organise qu’autour de l’intérêt Humain. L’environnement n’est protégé que lorsque le péril à son encontre affecte directement et durablement l’Homme (11). Pour ce faire, nous utiliserons une série d’exemples. Historiquement, les textes perçoivent l’environnement sous l’aspect d’une propriété où un droit d’usage est souvent conféré (12). Aussi, la Charte de l’environnement vectrice de lourds débats doctrinaux (13) est toujours perçue comme anthropocentrée ; l’environnement étant « le patrimoine commun des êtres humains » (14). Le professeur Fombaustier rappelle à juste titre que dans la Charte « ce n’est donc pas l’homme qui est pour l’environnement, mais bien l’environnement qui est pour l’homme » (15). À ce titre, si l’on s’en tient à réduire la nature ou l’environnement à une simple désignation de composantes, le Code de l’environnement est d’ailleurs particulièrement révélateur de cette vision. Celui-ci dénomme en effet largement l’environnement sous des composantes de ressources naturelles (16), faunistiques (17), génétiques (18) et même marines (19). Le recensement de ces éléments pourrait être opéré sur d’autres points, mais il ne convient pas au travers de ce billet de blog de développer davantage ce point. En droit international, l’environnement est reconnu comme assurant un bienfait à l’Humain. Ainsi, la très célèbre Déclaration de Stockholm de 1972 énonce en son préambule que « l’homme est à la fois créature et créateur de son environnement, qui assure sa subsistance physique et lui offre la possibilité d’un développement intellectuel, moral, social et spirituel. Dans la longue et laborieuse évolution de la race humaine sur la terre, le moment est venu où, grâce aux progrès toujours plus rapides de la science et de la technique, l’Homme a acquis le pouvoir de transformer son environnement d’innombrables manières et à une échelle sans précédent. Les deux éléments de son environnement, l’élément naturel et celui qu’il a lui-même créé, sont indispensables à son bien-être et à la pleine jouissance de ses droits fondamentaux, y compris le droit à la vie même » (20). La dimension anthropocentrée ressort particulièrement de la Convention par un intérêt qui est celui de l’Humanité (21).

    Au travers de ces exemples, il est possible de constater l’utilitarisme omniprésent de la nature en tant que ressource. La nature n’a pas de valeur intrinsèque dans le courant anthropocentrique (22). Pour autant, d’autres éthiques environnementales prennent en considération la valeur intrinsèque de l’environnement et de la nature et tendent à accorder une meilleure protection juridique. 

    Le biocentrisme, s’il n’est pas à contre-courant de l’anthropocentrisme, propose de revisiter la valeur accordée à l’environnement. Cette conception récente, issue de la philosophie, longuement défendue outre-Atlantique (23), fait preuve d’une perception intrinsèque donnant à l’environnement une fin en soi (24). La présente éthique accorde à l’ensemble des êtres vivants une considération morale (25). Le biocentrisme en rompant avec la vision Kantienne du droit, n’accorde plus uniquement une valeur à l’être humain, il considère l’Humain et l’environnement comme une multitude par le respect de la valeur intrinsèque (26). Cette éthique n’a pas fait pour autant totalement mouche au sein du droit national, elle s’intègre bien plus en droit international (27). Les exemples du droit international sont particulièrement révélateurs d’un changement de paradigme dans la recherche d’une volonté textuelle de transcrire un certain biocentrisme. La valeur intrinsèque de la diversité biologique a ainsi pu être reconnue dans la Convention sur la diversité biologique de 1992 (28). Le droit international s’est déjà saisi de la conception biocentrique en adéquation avec les changements sociaux et la perception de l’environnement. Dans ce cadre, les conventions mettent en avant la valeur intrinsèque dans leur préambule ou corps de texte (29). La valeur exprimée au sein des conventions est ainsi changeante ; l’environnement a donc été perçu d’une valeur irremplaçable (30) à une valeur intrinsèque (31) considérant de facto l’environnement pour ce qu’il est. Les conventions internationales relatives à la reconnaissance de cette valeur sont réservées à la protection des espèces et milieux de vie.  Si le biocentrisme semble trouver sa place au sein des textes nationaux (32) et internationaux (33), il faut toutefois noter le faible intérêt de la doctrine sur ce point. L’essentiel des travaux doctrinaux en la matière reste philosophique. 

    Le biocentrisme par la valeur intrinsèque qu’il donne à la nature introduit un changement de regard sur l’environnement. Pour autant, cette éthique souffre de sa condition. En effet, la protection accordée à l’environnement et à la nature, n’existe ici que par un utilitarisme toujours présent. Si une protection existe, elle s’exerce que dans la finalité de l’utilisation de cet environnement, de la nature (34). La protection est dans ce cas duale, à la fois pour l’humain et à la fois envers l’environnement, en ce qu’elle reste une source d’activité marchande ou non. La critique semble acerbe, mais le biocentrisme a le mérite d’octroyer et de percevoir l’environnement en dehors d’une ressource librement exploitable sans en percevoir les conséquences. L’application de cette éthique pose des questions relatives à l’individualisme, mais aussi quant à l’application de droits pour l’environnement et la nature (35).  

    Pour finir, cette courte étude synthétique s’intéressera à l’écocentrisme. Celui-ci perçoit l’environnement d’une façon totalement opposée à l’anthropocentrisme défini précédemment. L’opposition entre les deux éthiques repose sur l’appréciation faite de la nature. Dans l’éthique écocentrique, l’humain n’est pas le seul sujet moral (36). La valeur attribuée est bien plus globale, elle permet par celle-ci d’étendre le champ des possibles juridiques, en accordant une certaine dignité à l’environnement (37). Dans l’écocentrisme, le curseur de la valeur des membres concourant à l’environnement est déplacé, la valeur correspond à un ensemble (38). Les membres de cette approche plus globale se voient octroyer non seulement des droits, mais aussi des devoirs (39). Les détracteurs d’une vision écocentrique du droit pointent du doigt, bien souvent, la contrepartie des devoirs face aux droits accordés (40). Aussi, ces derniers considèrent souvent que l’écocentrisme n’existe peu ou prou, compte tenu de la confusion souvent opéré entre l’écocentrisme et le biocentrisme (41-42). Or, rien n‘est plus faux, l’élargissement de cette éthique par le droit se construit par l’intervention du droit international (43) qui, une fois de plus, est pionnier en matière d’éthique environnementale. La Charte mondiale de la nature en est un bon exemple, elle énonce notamment que « l’humanité fait partie de la nature et la vie dépend du fonctionnement ininterrompu des systèmes naturels qui sont la source d’énergie et de matières nutritives » (44), mais aussi que « toute forme de vie est unique et mérite d’être respectée, quelle que soit son utilité pour l’homme » (45). Les exemples en sont aujourd’hui plus nombreux (46), les juridictions étrangères relevant parfois cet écocentrisme (47). Les propositions multiples à l’extérieur  du droit national s’exportent et dépassent bien souvent le stade politique et philosophique. 

    Finalement, à l’heure de la globalisation des enjeux environnementaux, doit-on encore opposer les trois éthiques environnementales au sein du droit de l’environnement ? (48) Une conciliation syncrétique entre ces éthiques ne mériterait-elle pas d’être trouvée ? Un changement de paradigme à l’heure de l’anthropocène serait bien plus opportun qu’un débat orienté par la philosophie, le politique, au détriment de l’argument juridique de protection et de raison. Le rapport de l’Homme au-dessus de l’environnement se transforme, par le gré du juridique, à l’image de l’évolution des perceptions de la Nature (49).  

    Notes

    1.  Le droit « était pour l’essentiel attaché à la destruction de la nature » ; J. UNTERMAIER, « Le droit de l’environnement, réflexions pour un premier bilan », in Année de l’environnement, Revue du centre d’études et de recherches sur le droit de l’environnement, Université de Nice, PUF, vol. 1, 1980, p. 105. 
    2.  C. LARRĖRE,« Éthiques de l’environnement », Multitudes, n°24, 2006, p. 76. 
    3.  Pour un résumé des débats philosophiques, mais qui s’inscrivent dans le droit soit par le contrat, soit par le procès v J.-P.,PIERRON« Qu’est-ce que les relations entre droit et environnement disent de nous ? », Les cahiers de la justice, 2019, p.417.
    4.  Ici en tant que sujet de droit possédant une personnalité juridique. 
    5.  Cette tautologie relève de l’évidence, pour autant elle fait écho aux longs débats sur la définition de l’environnement dans le domaine juridique. Dans le cadre de cette présentation, la définition retenue sera celle-ci : « le droit de l’environnement peut se définir comme le droit qui s’occupe des rapports entre l’homme et la nature » ; v. A. PAPAUX,« De la nature au « milieu » : l’homme plongé dans l’environnement », Revue interdisciplinaire d’études juridiques, 2008, Vol. 60, p. 31.
    6.  J. RIVERO, Préface, in F. CABALLERO, Essai sur la notion juridique de nuisance, Thèse, LGDJ, Paris, 1981, p. VIII. 
    7.  Expression empruntée à P. BILLET, « L’animal, prétexte d’une analyse renouvelée des relations juridiques entre l’homme et l’environnement », Les cahiers de la justice, 2019, p. 695 ; « L’appréhension du monde par le droit est binaire. Banalement, mais fondamentalement binaire : d’un côté, les personnes ; de l’autre, les choses ».
    8.  R. DESCARTES, Discours de la méthode, p. 38 [En ligne], https://philosophie.cegeptr.qc.ca/wp-content/documents/Discours-de-la-m%C3%A9thode.pdf
    9.  Pour synthétiser, « Pour simplifier, on se souvient que lors d’une longue période, héritière de Bacon et Descartes, et dans une certaine mesure prolongée par Kant, une idée dominait selon laquelle l’homme, être de raison, jouissait dans le monde d’une position spécifique et partagée, l’autorisant à soumettre et à domestiquer par tous les moyens la nature » ; v. L. FONBAUSTIER, « Environnement et pacte écologique – Remarques sur la philosophie d’un nouveau « droit à » », Les cahiers du conseil constitutionnel, n° 15, 2004, p. 140.
    10.  En ce sens, il serait possible de relever l’exemple de la vente des émissions de CO2.
    11.  Pour une critique de l’anthropocentrisme, voir C. LARRÈRE, R. LARRÈRE, Du bon usage de la nature, pour une philosophie de l’environnement, France, Flammarion, 2009, 355 p.
    12.  En ce sens, nous prenons les écrits de J. FROMAGEAU, « Les principes de la Révolution française ont-ils eu un impact sur les droits d’usage de la nature ? », « pour mémoire », Actes de la journée, des officiers des eaux et forêts aux inspecteurs de l’environnement, hors-série, 2014, pp. 15-17.
    13.  Le professeur Morrand-Deviller, relève dans l’absence de débats relatifs en partie aux débats anthropocentrés, biocentrés et écocentrés ; v. J. MORAND-DEVILLER, « La Charte de l’environnement et le débat idéologique », RJE, n° spécial La Charte constitutionnelle de l’environnement., 2005 spec. p. 105.
    14.  A. VAN LANG, « Entre la chauve-souris et le pangolin ? La place du droit dans la science du « monde d’après » (le Covid-19) », Recueil Dalloz, 2020, p. 1044. 
    15.  L. FONBAUSTIER,« Environnement et pacte écologique – Remarques sur la philosophie d’un nouveau « droit à » », art. cit..
    16.  En ce sens v. Art. L. 110-1 C.env. ; « Les espaces, ressources et milieux naturels ».
    17.  Par ex. L. 141-3 C.env, L. 411-1 A C.env, ou encore R. 334-4.
    18.  L’article L. 412-4 C.env peut être utilisé à titre d’exemple.
    19.  Par ex. L. 219-1 et L. 219-5-1 C.env. 
    20.  V. A/CONF.48/14/Rev.1 p. 3 ; disponible sur https://undocs.org/fr/A/CONF.48/14/Rev.1
    21.  Le principe 5 de la Déclaration de Stockholm précise que « Les ressources non renouvelables du globe doivent être exploitées de telle façon qu’elles ne risquent pas de s’épuiser et que les avantages retirés de leur utilisation soient partagés par toute l’humanité ».
    22.  Elle ne dispose ainsi pas de valeur intrinsèque. En ce sens, v. I. DOUSSAN, « Les services écologiques un nouveau concept pour le droit de l’environnement ? », in C. CANS(dir.), La responsabilité environnementale, prévention, imputation, réparation, Actes de colloque SFDE, Dalloz Coll. Thèmes et commentaires, 2009, p. 133.
    23.  V ; C. LARRÈRE, « La valeur intrinsèque in Les philosophies de l’environnement » in Les philosophies de l’environnement, PUF, 1997, pp.18-38. 
    24.  Tout être vivant est considéré « comme l’équivalent fonctionnel d’un ensemble d’actes intentionnels, comme une « fin en soi » » ; v. LARRÈRE (C.) « Éthique et philosophie de l’environnement », p. 48-49, in A. EUZEN (et al.), Le développement durable à découvert https://books.openedition.org/editionscnrs/10590?lang=fr#:~:text=Il%20y%20a%20donc%20des,une%20%C2%AB%20fin%20en%20soi%20%C2%BB.
    25.  « Elle instrumentalise son environnement à son profit, pour elle-même, c’est une fin, qui comme telle, mérite le respect. Comme cette éthique accorde une valeur morale à chaque entité vivante, on l’a dit biocentrique » ; v. C. LARRÈRE, « Éthiques de l’environnement », art. cit., p. 82
    26.  « Le biocentrisme, quant à lui, fonde son éthique sur le respect de la valeur intrinsèque que posséderait tout être vivant en tant qu’il manifeste des buts vitaux fondamentaux » ; J. DELORD,« La sauvageté », un principe de réconciliation entre l’homme et la biosphère », Natures sciences sociétés, n° 13, 2005, p. 317.
    27.  En ce sens, la valeur intrinsèque est souvent accordée à l’animal de façon générale. 
    28.  « Conscientes de la valeur intrinsèque de la diversité biologique et de la valeur de la diversité et de ses éléments constitutifs sur les plans environnemental, génétique, social, économique, scientifique, éducatif, culturel, récréatif et esthétique » ; Convention sur la diversité Biologique, 5 juin 1992.
    29.  En ce sens, voir les exemples cités par A. MEYNIER, Réflexions sur les conceptions en droit de l’environnement, Paris, LGDJ, coll. Bibliothèque de droit de l’urbanisme et de l’environnement, tome 16, 2020, pp. 58-89. 
    30.  V. le préambule de la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction« Reconnaissant que la faune et la flore sauvages constituent de par leur beauté et leur variété un élément irremplaçable des systèmes naturels, qui doit être protégé par les générations présentes et futures ». V. aussi Convention sur la conservation des espèces migratrices appartenant En ce sens, le biocentrisme semble, pour certains auteurs, prendre forme en Colombie v. V. BERNAUD, F. CALDERON-VALENCIA, « Un exemple de constitutionnalisme vert : la Colombie », Revue française de droit constitutionnel, 2020, n° 123, spec. pp. 332-333.  à la faune sauvage, 1979.
    31.  La Convention de Berne de 1979 et la Convention sur la diversité écologique de 1992 mentionnent toutes deux la valeur intrinsèque d’une part de la flore et la faune sauvages et d’autre part de la diversité biologique.
    32.  Les textes nationaux français sont plus pauvres, dans ce cas il faut s’intéresser aux textes reconnaissants une dignité à l’animal, les textes relatifs au bien-être animal indépendamment des considérations humaines peuvent être symptomatiques d’un changement en devenir. 
    33.  En ce sens, le biocentrisme semble, pour certains auteurs, prendre forme en Colombie v. V. BERNAUD, F. CALDERON-VALENCIA, « Un exemple de constitutionnalisme vert : la Colombie », Revue française de droit constitutionnel, 2020, n° 123, spec. pp. 332-333. 
    34.  En ce sens qu’on ne peut disposer de l’environnement ou de la nature de façon arbitraire v. C. LARRÈRE, « Les éthiques environnementales », Natures Sciences Sociétés, 2010, n° 18, p. 407  ; « Reconnaître une valeur intrinsèque à chaque entité vivante, c’est admettre qu’elle existe d’une façon telle que l’on ne peut en disposer de façon arbitraire, qu’elle ne peut être à volonté remplacée par un équivalent. Cela ne conduit pas à s’interdire toute intervention dans la nature qui risquerait de tuer des êtres vivants (ce serait impossible), mais à en rendre nécessaire la justification ». 
    35.  Elle « empêcherait la vie en général, car celle-ci est avant tout faite de prédation, de parasitisme, de luttes et d’expériences parfois cruelles » ; J. DELORD, « La « sauvageté », un principe de réconciliation entre l’homme et la biosphère », art. cit..
    36.  Ibidem. 
    37.  Pour autant conférer une dignité à la Nature (en tant qu’entité ou l’environnement peut se rapprocher de la dignité octroyée aux animaux. Cependant dans le cas de l’animal, des limites sont évoquées, notamment du fait que les droits accordés dans ce cadre sont anthropocentrés, en ce qu’il existe un choix dans les animaux auxquels ils sont accordés. En ce sens v. P. BILLET, « L’animal, prétexte d’une analyse renouvelée des relations juridiques entre l’homme et l’environnement », art. cit..
    38.  « L’écocentrisme holiste, courant de pensée des éthiques environnementales, repense notre rapport éthique et politique aux non-humains dans le but d’assurer leur maintien et le nôtre » ; v. C. GUIMONT, « L’euphémisation des interdépendances entre humains et non-humains. Étude de cas à partir d’une sociologie politique écocentrée », VertigO – la revue électronique en sciences de l’environnement, [En ligne], Hors-série 32 | avril 2020, mis en ligne le 17 avril 2020, consulté le 17 juillet 2020. URL : http://journals.openedition.org/vertigo/26868.
    39.  C. LARRÈRE, « Les éthiques environnementales », op.cit., p. 408.
    40.  En ce sens, il s’agit de critiques générales contre l’octroi d’une personnalité juridique à d’autres objets juridiques ; par exemple « Si la dignité est un attribut essentiel de la personne humaine, elle n’est pas nécessairement le critère de la personne juridique. […] L’éthique écocentrée, tout en accordant une place privilégiée à l’espèce humaine, insiste sur les liens entre l’homme et son milieu naturel, lequel mériterait également d’être considéré avec une certaine dignité. La démarche est sujette à caution ; elle risque en effet d’introduire une dose de relativité dans la notion de dignité et réduit la spécificité humaine à une simple question de degré » ;M. HUNTER-HENIN, « Droit des personnes et droits de l’homme : combinaison ou confrontation ? », Revue critique de droit international privé, 2006 p.743 
    41.  Pour une critique de l’écocentrisme v. L. FERRY, Le Nouvel ordre écologique, Grasset, 1992.
    42.  D’autres relèvent que l’écocentrisme, est parfois réducteur par exemple dans le cas de la compensation écologique ; « la compensation écologique souffre d’un déficit social, humain et culturel. Focalisée sur le stock de biodiversité, elle verse trop dans l’écocentrisme. Ne tenir compte que des seules logiques écosystémiques est en effet réducteur, l’environnement ayant une dimension infiniment plus complexe. À titre d’exemple, l’implantation d’une ferme solaire peut être bénéfique du point de vue global pour la lutte contre le réchauffement climatique, mais négative au plan local, pour la biodiversité présente, les terres cultivées, les paysages… » ; v. B. GRIMONPREZ, « Réparer le vivant : éthique de la compensation », RJE, 2017, n°4, vol. 42, p. 689.
    43.  Relevé not. par Y. PETIT, « Environnement », Répertoire de droit international, janv. 2010 (act. janvier 2020), §10.
    44.  V. A/RES/37/7, 28 oct. 1982, p. 19-21.
    45.  Ibid.
    46.  V. en ce sens les décisions juridiques mentionnées par V. CABANES, Reconnaitre la valeur intrinsèque de la nature [en ligne] https://valeriecabanes.eu/reconnaitre-la-valeur-intrinseque-de-la-nature/. En ce sens Marie-Angèle Hermitte s’exprime sur le partage des territoires avec des non-humains, cela rentrerait dans des objectifs de l’Union européenne, qu’ils soient politiques ou non ; M.-A. HERMITTE, « La Nature, sujet de droit? », Annales. Histoire, Sciences Sociales, 2011, n°1, spec. pp. 173-189. 
    47.  Notamment la Cour constitutionnelle colombienne ; « L’approche écocentrique part de l’idée de base que la terre n’appartient pas à l’Homme et suppose au contraire que l’Homme est celui qui appartient à la Terre, comme toute autre espèce. Selon cette interprétation, l’espèce humaine n’est qu’un élément de plus dans une longue chaîne d’évolution qui dure depuis des milliards d’années et ne possède donc en aucun cas les autres espèces, la biodiversité ou les ressources naturelles, ainsi que le destin de la planète. Par conséquent, cette théorie conçoit la nature comme un véritable sujet de droits qui doit être reconnu par les États et exercé sous la tutelle de leurs représentants légaux, par exemple, par les communautés qui l’habitent ou qui entretiennent une relation privilégiée avec elle » ; cité par F.-L. MACIAS GOMEZ, « La nature, une personne morale : l’exemple de la Colombie », Revues des Juristes de Sciences Po, n° 18, Janvier 2020, p. 14, §44.
    48.  En ce sens, « Un intérêt général planétaire qui intègre finalement dans un même objectif approche anthropocentrée et approche écocentrée » ;C. LEPAGE, « Préface », in C. HULGO, F. PICOD, La Déclaration universelle des droits de l’Humanité, Bruylant, 2018 cité par A. ROUSSO LAVOISIER, « Le principe de solidarité écologique ou l’irruption de la science dans le droit », RJE, Vol. 44, p. 497. Le constat d’un dépassement du clivage des approches anthropocentrées et écocentrées est aussi énoncé par J. DELORD, « Du droit et de la considération morale des espèces » in : L’extinction d’espèce : Histoire d’un concept & enjeux éthiques, § 49-55 [en ligne] Disponible sur : http://books.openedition.org/mnhn/2560
    49.  Ici en tant qu’entité légalement consacrée mais aussi ressource.
  • La confrontation des droits de la nature et des droits humains

    Par Amina Medgoud, membre de Notre Affaire à Tous

    Introduction

    « Our challenge is to create a new language, even a new sense of what it is to be human. It is to transcend not only national limitations, but even our species isolation, to enter into the larger community of living species. This brings about a completely new sense of reality and value » (1)

    Reconnaître des droits à la Nature interroge notre rapport au monde. En effet, l’Homme moderne occidental, « maître et possesseur de la nature » (2) l’apprivoise et la soumet pour l’exploiter. A cet état de fait, le droit de l’environnement oppose une autre vision du rapport de l’Homme à la Nature qui permet de corriger les abus de son exploitation par des garanties et protections. En France, l’intégration de la Charte de l’environnement dans le bloc de constitutionnalité en 2004 (3) et la création du préjudice écologique dans le Code civil (4) reflètent cette « préoccupation environnementale ». Par ailleurs, la qualification juridique des biens environnementaux (5) nourrit les réflexions doctrinales. Objet extérieur aux personnes (6), les entités naturelles ne sont pas non plus des choses (7). Leur qualification semble donc changer selon la façon dont l’Homme souhaite en disposer. S’il peut exercer son droit de propriété sur certaines choses, il en va différemment lorsque ces entités sont « protégées » par le droit de l’environnement. Dans la perspective française, les « biens communs » bénéficient ainsi d’une protection disparate, non unifiée. Ils ne sont qu’une partie d’un tout, jamais envisagés en tant que détenteurs de droits liés à leur valeur intrinsèque (8).

    Pourtant, le dérèglement climatique, les catastrophes environnementales répétées, les conséquences manifestes de la surproduction et la surconsommation sont autant de signaux qui incitent à repenser cette construction juridique anthropo-centrée. Aussi, l’émergence de droits de la nature compris comme un « ensemble de règles reconnaissant et protégeant, au titre leur valeur intrinsèque, les entités naturelles et écosystèmes en tant que membres interdépendants de la communauté indivisible de la vie » (9) révèle-t-elle ce changement de paradigme. Ainsi, il ne s’agit plus de considérer la Nature comme objet mais bien comme sujet de droit autonome, au-delà de ce que permet aujourd’hui le droit de l’environnement. Cette modification radicale de notre relation au monde sape la conception jusnaturaliste du droit qui sacralise l’universalité et l’inaliénabilité des droits humains. En effet, les droits humains sont des droits naturels qui font de l’Homme le fondement et le sujet primordial de notre système de droits et de garanties des droits. Cet édifice juridique ne peut être détaché d’une certaine dimension politique et économique des rapports de l’Homme en société et dans son environnement. 

    La confrontation entre ce bloc de droits et celui des droits de la nature apparaît alors pour certains comme le résultat inéluctable d’un rééquilibrage nécessaire afin de mieux protéger l’Homme et son environnement. Pour d’autres, a contrario, elle porte en elle les germes d’une dangereuse déconstruction juridique qui pourrait aboutir à créer « des droits sans l’homme » (10).

    Si la création de droits de la nature semble induire le glissement d’un système juridique anthropo-centré au profit d’un droit bio-centré (I), ce changement de paradigme n’implique pas nécessairement une incompatibilité entre droits humains et droits de la nature (II). 

    Droits de la nature et droits humains : passage d’un droit anthropo-centré à un droit bio-centré

    Les premières mentions du droit de la nature apparaissent dans l’ouvrage de Christopher Stone en 1972, « Should trees have standing ? » (11). D’autres auteurs, à l’instar de Thomas Berry, contribuent à conceptualiser une théorie « écologique » du droit dont la portée remet en cause la légitimité de notre système juridique anthropo-centré qui assujettit la planète à l’économie (12). Cette théorie juridique se nourrit, en premier lieu, des idées de communauté et de renforcement mutuel (« mutual-enhancement ») qui fondent la Jurisprudence de la Terre (« Earth Jurisprudence ») :

    « The basic orientation of the common law tradition is toward personal rights and toward the natural world as existing for human use. There is no provision for recognition of nonhuman beings as subjects having legal rights … the naive assumption that the natural world exists solely to be possessed and used by humans for their unlimited advantage cannot be accepted … To achieve a viable human-Earth community, a new legal system must take as its primary task to articulate the conditions for the integral functioning of the Earth process, with special reference to a mutually enhancing human-Earth relationship » (13)

    En ce sens, la « communauté de la Terre » est un prérequis à l’existence humaine qui hisse la loi primordiale, « Great law », au rang des droits naturels (14). Cette idée prend corps à travers la définition de la loi primordiale que donne Cormac Cullinan, c’est-à-dire un ensemble de droits ou principes qui gouvernent le fonctionnement de l’univers (15). La Jurisprudence de la Terre assimile les droits de la nature à des droits naturels et, ce faisant, admet la diversité et l’entièreté de la nature et reconnaît sa valeur intrinsèque et immuable. Ainsi, selon Thomas Berry, la Jurisprudence de la Terre reposent sur plusieurs principes fondamentaux : la valeur intrinsèque de toutes les composantes du vivant ; la reconnaissance des caractères primordial et premier des droits de la nature ; l’indivisibilité de la nature, chaque entité du vivant appartenant à un tout interdépendant, l’Homme y compris (16).

    Cette conception renverse la théorie des droits de l’Homme. En effet, le caractère fondamental des droits de l’Homme repose sur le principe de la dignité humaine. Le préambule de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme adoptée le 10 décembre 1948 traduit cette idée : « Considérant que la reconnaissance de la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine et de leurs droits égaux et inaliénables constitue le fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde » (17). Par ailleurs, en droit français, l’article 16 du Code civil dispose : « La loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci et garantit le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie » (18). Aussi, est-ce toujours l’Homme, dans ses interactions avec autrui, avec l’État et avec son environnement, qui est au cœur du système occidental de droits et de protections mis en place depuis la fin du XVIIIème siècle. 

    La première difficulté qui découle de ce changement paradigmatique a trait à la perte de sens du caractère fondamental à tout système juridique des droits humains. C’est ainsi que la hiérarchie des droits conçue par certains auteurs aboutit à placer les droits de la nature au coeur du système des droits fondamentaux et ce, au détriment des droits de l’Homme qui deviennent « un sous-système des droits de la nature » (19). La seconde renvoie aux critiques formulées à l’encontre du système de droit bio-centré : est identifié un risque élevé de contradictions entre droits humains et droits de la nature qui pourraient engendrer le recul des premiers au profit des seconds (20). Pour nombre d’auteurs, cette difficulté s’illustre concrètement sur le terrain de la liberté individuelle : la conciliation de cette dernière avec la préservation d’entités naturelles n’est possible qu’après la limitation de cette liberté fondamentale (21). D’autres critiques tendent à démontrer le fait que la perspective bio-centrée des droits, en modifiant les rapports des Hommes à la Terre, bat en brèche les droits de propriété. Finalement, un système bio-centré exclurait de facto certains droits humains fondamentaux. 

    Pourtant, malgré les difficultés, ce changement de paradigme se traduit déjà en droit positif dans certains pays et met en évidence l’interdépendance évidente entre droits de la nature et droits humains.

    Droits de la nature et droits humains : entre autonomie et interdépendance

    À ce jour, plus de vingt pays ont reconnu des droits à la Nature. Cette reconnaissance peut être constitutionnelle, législative ou juridictionnelle. 

    La reconnaissance constitutionnelle des droits de la nature induit la prise en considération de la valeur préexistante du vivant et de la nature, comme un écho à la théorie de la jurisprudence de la Terre. La Constitution Équatorienne de 2008 (22), premier texte national à valeur contraignante, reconnaît la nature comme sujet de droits dans son article 10. L’article 71 de cette même Constitution reconnaît que « La nature, ou Pacha Mama, où la vie est reproduite et se produit, a droit au respect intégral de son existence et au maintien et à la régénération de ses cycles de vie, de sa structure, de ses fonctions et de ses processus évolutifs ». En outre, la Loi sur la Terre Mère de la Charte Bolivienne de 2010 (23) fait de la Pacha Mama un « sujet collectif d’intérêt général » et la décrit comme « une communauté indivisible ». À ce titre, des droits sont octroyés à la Pacha Mama, au premier rang desquels le « droit à la perpétuation de l’intégrité des écosystèmes et des processus naturels qui les soutiennent ». 

    D’autres pays ont reconnu, via une loi ou une jurisprudence, la personnalité juridique à des entités naturelles. À titre d’exemples, les lois Néo-zélandaises ont reconnu la personnalité juridique au Parc naturel Te Urewera en 2014, puis au fleuve Wahanganui en 2017 (24). En Inde, la Haute Cour de l’Etat Uttarakhand, par deux jugements des 20 et 30 mars 2017, reconnaît le bénéfice de la personnalité juridique à deux fleuves, le Gange et la Yamuna. Puis, dans un second jugement, aux ensembles naturels les englobant, et à deux glaciers au sein desquels ils prennent leur source (25). Ces décisions ont été depuis annulées (26). En Colombie, dans un jugement de 2016, la Cour constitutionnelle a conféré la personnalité juridique au fleuve Atrato (27). Enfin, l’octroi de la personnalité juridique à un écosystème ou entité naturelle suppose la mise en place d’un système de protection. En Inde, le Gange a ainsi été placé sous la tutelle de plusieurs personnalités dont des avocats et un président d’université. En Nouvelle-Zélande, le Fleuve Whanganui est sous la protection de la communauté maorie et d’un représentant de l’État. 

    Ce changement de paradigme s’exprime également au niveau international. C’est ainsi qu’a été instituée une journée internationale de la Terre lors de la 63e session de l’Assemblée générale des Nations Unies, qu’un document intitulé « L’avenir que nous voulons » qui mentionne les droits de la nature (28), a été préparé à l’issu de la conférence des Nations Unies sur le développement durable en 2019 ou encore que des objectifs visant à « garantir les droits de la nature » ont été inclus dans le programme de travail de l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN) 2017-2020 (29). Enfin, en 2018 et 2019, l’ONU a publié sa 10e Résolution sur l’harmonie avec la nature (30). D’autres initiatives internationales ont aussi profondément marqué le développement des droits de la Nature telle la création du Tribunal International des Droits de la Nature lors de la COP21.  Prévu par la Déclaration Universelle des Droits de la Terre mère (DUDTM) (31), il a pour mission d’enquêter et juger les violations de la DUDTM, de développer la Jurisprudence de la Terre et de promouvoir le respect des droits et devoirs de la DUDTM.

    L’effectivité de ces droits est démontrée dans certaines juridictions à l’instar de l’Équateur : les cours se sont elles-mêmes imputées la responsabilité de la mise en oeuvre des droits constitutionnellement garantis à la nature : 

    « It is an obligation to this Court as guardian of the enforcement of constitutional mandates, to materialize the will of the constituent in granting rights to nature » et d’ajouter « whereas in case of doubt about its scope, legal principles and rules shall be applied in the meaning most favorable to the protection of nature » (32)

    Pourtant, malgré les réels points d’achoppement conceptuels engendrés par la reconnaissance des droits de la nature, il est possible de transcender ces difficultés grâce à l’évidente interdépendance qui lie ces droits aux nôtres. Ainsi, la prise en compte des « générations futures » (33) permet-elle d’envisager la préservation de la nature comme condition sine qua non à la survie de l’humanité. En outre, le développement des droits bio-culturels, concept fondé par Kabir Bavikatte, a pour objectif de protéger les peuples autochtones et communautés locales puisque leurs activités et leurs existences sont intrinsèquement liées à la protection de l’environnement. Ce lien essentiel s’exprime aussi à travers la lettre de l’article 8 de la Convention sur la diversité biologique (34) qui dispose que chaque partie contractante « préserve et maintient les connaissances, innovations et pratiques des communautés autochtones  locales qui incarnent des modes de vie traditionnels présentant un intérêt pour la conservation et l’utilisation durable de la diversité biologique » (35).

    Dès lors, dans cette perspective, les droits de la nature ne remettent pas en cause les droits humains mais, au contraire, les renforcent et les protègent. La personnalisation de la nature apparaît alors comme une nécessité qui met en évidence l’interdépendance essentielle entre l’Homme et la Nature. Comme le disait Klaus Töpher, ancien directeur du Programme des Nations Unies pour l’environnement : « Human rights cannot be secured in a degraded or polluted environment » (36).  

    Notes

    1. Thomas Berry, « The Ecological Age »,dans « The Dream of the Earth  », (1982), 42
    2.  Descartes, « Discours de la Méthode », Sixième Partie
    3.  Conseil Constitutionnel, «La charte de l’environnement »
    4.  C.civ., article 1246 à 1252
    5.  C. De Klemm, G. J. Martin, M. Prieur et J. Untermaier, « Les qualifications des éléments de l’environnement », dans  « L’écologie, et la loi » , L’Harmattan, (1989), 53
    6.  W. Dross, Droit civil, « Les choses », LGDJ, (2012), no 1
    7.  C.civ, Art. 714
    8.  G. J. Martin, « Les “biens-environnements” : une approche par les catégories juridiques », RIDE (2015), 139
    9.  Droit de la nature, « Définition et principaux droits de la nature », https://droitsdelanature.com/definition-principaux-droits-de-la-nature 
    10.  Expression de Manon Altwegg-Boussac dans « Les droits de la nature, des droits sans l’homme ? Quelques observations sur des emprunts au langage du constitutionnalisme », Revue des droits de l’homme, n°17 2020
    11.  Christopher Stone, « Should trees have standing – toward legal rights for natural objects », Southern California Law Review 45 (1972), 450-501
    12.  Thomas Berry, « Legal Conditions for Earth’s Survival » dans ed. Mary Evelyn Tucker, Evening Thoughts: Reflecting on Earth as a Sacred Community, (2006), 107
    13.  Thomas Berry, « The Viable Human »,  dans The Great Work, (1999), 5-6
    14.  Ibid, 20 : « supremacy of the already existing Earth governance of the planet as a single, interconnected Community »
    15.  Cormac Cullinan, « Wild Law: A Manifesto for Earth Justice », (2003), 84
    16.  Thomas Berry, « The Origin, Differentiation and Role of Rights », 2001
    17.  ONU, « Déclaration universelle des droits de l’homme », préambule, https://www.un.org/fr/universal-declaration-human-rights/ 
    18.  C.civ, art.16
    19. Gaia presse, «Droits de la nature, un nouveau paradigme pour la protection de l’environnement », (2017), http://www.gaiapresse.ca/2017/11/les-droits-de-la-nature-un-nouveau-paradigme-pour-la-protection-de-lenvironnement/ 
    20.  Hugo Echeverria, « Rights of nature : “the Ecuadorian case”», (2017), http://esmat.tjto.jus.br/publicacoes/index.php/revista_esmat/article/view/192/178 
    21.  James L. Huffman, « Do species and nature have rights », Public law and Resources Law Review 13, (1992), 63
    22. Constitution de la république de l’Equateur, (2008), https://www.silene.ong/wp-content/uploads/2018/10/Constitucion_del_Ecuador_2008.pdf
    23.   Rio+20, « Déclaration Universelle des Droits de la Terre mère », (2012), http://rio20.net/fr/propuestas/declaration-universelle-des-droits-de-la-terre-mere/ 
    24.  Australian Earth Law Alliance,  «  New Zealand – legal rights for forests and rivers » https://www.earthlaws.org.au/what-is-earth-jurisprudence/rights-of-nature/new-zealand/ 
    25.  AFP, « Inde : le Gange doté d’une personnalité juridique », Geo, (21 mars 2017), https://www.geo.fr/environnement/inde-le-gange-dote-d-une-personnalite-juridique-172052 
    26. Thomas Saintourens, « Gange : pourquoi le fleuve sacré a-t-il été déchu de ses droits ? », Geo, (2018), https://www.geo.fr/voyage/video-pourquoi-le-gange-a-t-il-ete-dechu-de-ses-droits-188964 
    27.  Notre Affaire à Tous, « Cour constitutionnelle de Colombie, 10 novembre 2016, ​Centro de Estudios para la  Justicia Sociale “Tierra Digna”​, T-622 de 2016 » https://notreaffaireatous.org/wp-content/uploads/2019/05/Tierra-Digna.pdf 
    28.  ONU, « L’avenir que nous voulons», paragraphe 39 sur l’harmonie avec la nature
    29.  UICN, « Programme de l’UICN 2017-2020 » , https://www.iucn.org/fr/a-propos/programme 
    30.  Assemblée générale des Nations Unies, résolution 66/204, « Harmonie avec la nature », (22 décembre 2011)
    31.  Rio+20, « Déclaration Universelle des Droits de la Terre mère », (2012), http://rio20.net/fr/propuestas/declaration-universelle-des-droits-de-la-terre-mere/ 
    32. Corte Constitucional del Ecuador, Resolución No. 0567-08-RA.
    33.  La Déclaration de Rio sur la biodiversité en 1992, L’article 33 de la Constitution bolivienne
    34. ONU, « Convention sur la diversité biologique », (1992), https://www.cbd.int/doc/legal/cbd-fr.pdf 
    35.  Fabien Girard, « Communs et droits fondamentaux : la catégorie naissance des droits bioculturels », RDLF 2019, Chron. n°28, http://www.revuedlf.com/droit-fondamentaux/communs-et-droits-fondamentaux-la-categorie-naissante-des-droits-bioculturels/ 
    36.  Déclaration de Klaus Töpher lors de la 57ème session de la Commission des droits de l’Homme en 2001

     

  • L’application du « droit à un environnement sain » par la CJUE : une stratégie cohérente à amplifier

    Par James Corne, membre de Notre Affaire à Tous

    PARTIE I

    Résumé

    Cet article ne vise pas, à travers la notion indéterminée de « droit à un environnement sain », un champ du droit de l’Union, à savoir le droit environnemental de l’Union. Il n’étudiera donc ni l’ensemble, ni une partie du droit dérivé. Il comprend cette notion comme un possible principe, de valeur constitutionnelle, permettant de contrôler l’ensemble des actes des institutions et des États membres. Dans un premier temps, il est question de savoir si un tel principe existe. La réponse est loin d’être claire. Il est néanmoins possible de répondre positivement, bien qu’il faille aussitôt ajouter que sa force normative est extrêmement faible. Dans un second temps, il est question de savoir si la CJUE n’a pas cherché à mettre en œuvre une stratégie qui permettrait de dépasser les faiblesses de ce principe. Autrement dit, dans l’impossibilité de l’invoquer efficacement de façon directe, n’est-il pas possible de l’invoquer de façon indirecte ? Il est finalement question, dans l’ensemble de cet article, de la manière dont la Cour met en œuvre le droit à un environnement sain : en ne le reconnaissant pas directement comme un véritable principe de droit, mais en lui garantissant indirectement une certaine effectivité. Il s’agit donc de rechercher, au travers d’arrêts variés et disparates de la Cour, cette stratégie.

    Pour un résumé plus précis, voir les derniers alinéas, en italique, de cette introduction

    La première partie de cet article est à lire ci-dessous. Elle concerne l’absence d’un principe, doté d’une véritable force normative, en droit de l’Union garantissant un droit à un environnement sain : un droit en manque de principes. Une seconde partie paraîtra dans le prochain numéro de la newsletter des affaires climatiques de Notre Affaire à Tous, en février 2021. Elle concerne la manière dont la CJUE cherche néanmoins, de façon indirecte, à garantir l’application de ce principe sans réelle force juridique : un principe en manque de droit.

    Introduction

    L’un des objectifs de l’Union est de garantir « un niveau élevé de protection et d’amélioration de la qualité de l’environnement » (article 3, §3, TUE) (1). En outre, « les exigences de la protection de l’environnement doivent être intégrées dans la définition et la mise en œuvre des politiques et actions de l’Union, en particulier afin de promouvoir le développement durable » (article 11 TFUE) (2). La politique de protection de l’environnement de l’Union est constituée aujourd’hui d’un droit dérivé foisonnant (3).

    Afin de mettre en œuvre cette politique de protection de l’environnement, l’Union dispose d’une compétence partagée (4) avec les Etats membres (article 4, §2, e) TFUE). Le législateur, statuant conformément à la procédure législative ordinaire (5), décide « des actions à entreprendre par l’Union en vue de réaliser les objectifs visés à l’article 191 » (article 192, §2, TFUE). L’Union étant une organisation internationale, elle ne peut agir que sur le fondement d’une compétence et seulement pour mettre en œuvre les objectifs qui lui sont assignés. Concernant le domaine en cause, ces objectifs sont « la préservation, la protection et l’amélioration de la qualité de l’environnement », « la protection de la santé des personnes », « l’utilisation prudente et rationnelle des ressources naturelles » ainsi que « la promotion, sur le plan international, de mesures destinées à faire face aux problèmes régionaux ou planétaires de l’environnement, et en particulier la lutte contre le changement climatique. » La base juridique définie par l’article 192 TFUE a permis l’adoption d’instruments variés et importants, obligeant, pour ne citer que quelques exemples, les États membres à procéder à des analyses d’impact avant l’adoption de mesures pouvant affecter l’environnement (6), ou, mettant en place le réseau « Natura 2000 » (7), ou, garantissant l’accès à l’information en matière environnementale (8), ou, établissant un label écologique (9), ou, concernant la responsabilité environnementale (10) ou la réduction des émissions polluantes (11). 

    Des mesures garantissant plus indirectement la protection de l’environnement peuvent aussi être adoptées sur le fondement d’autres bases juridiques, telles que celles concernant la santé publique. Si, en principe, l’Union dispose d’une compétence d’appui (12) en matière de santé (article 6, a) TFUE), le traité prévoit certaines exceptions lui permettant d’adopter aussi dans ce domaine des actes d’harmonisation (article 4, §2, k) TFUE). Cette dérogation concerne, en particulier, les mesures dans les domaines vétérinaire et phytosanitaire ayant directement pour objectif la protection de la santé publique (article 168, §4, b) TFUE).  Sur le triple fondement des bases juridiques concernant la santé publique, l’établissement, le fonctionnement du marché intérieur (article 114 TFUE) et la politique agricole commune (article 43 TFUE), le législateur de l’UE a adopté le règlement 1107/2009 concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques. Il constitue l’instrument qui permet à des substances actives, telles que le glyphosate, d’être autorisées dans l’Union. Son prédécesseur avait permis la mise sur le marché des néonicotinoïdes et du fipronil, dont la dangerosité pour la santé des abeilles semble aujourd’hui avérée (13). 

    Cependant, cette somme d’instruments ne constitue pas, en tant que telle, un droit à un environnement sain ». Elle permet de former un champ d’étude, rassemblant un ensemble de règles disparates. Elle n’en constitue pas pour autant un droit ou un principe, entendu comme une norme  dotée à la fois d’un degré suffisant de généralité et de complétude pour pouvoir emporter par elle-même des conséquences juridiques. En outre, la somme de ces instruments semble seulement manifester la constance de la volonté politique du législateur de l’Union – aussi heureuse qu’elle puisse être. Elle n’en manifeste pas pour autant le respect d’une obligation constitutionnelle qui s’imposerait à lui. La volonté politique semble dépasser le droit. Elle apparaît alors réfractaire à un réel contrôle juridique.

    Certaines normes inscrites dans les traités semblent pouvoir garantir ce droit à un environnement sain. Par exemple, la Cour a accepté, ce qui n’était pas évident, que les objectifs qui définissent la politique que peut mettre en œuvre le législateur de l’Union, listés à l’article 191 TFUE, puissent aussi servir à juger de la légalité des actes qu’il adopte. Cependant, l’article 191 TFUE accorde une large marge d’appréciation au politique (14), privant cet article d’une grande part de son effectivité. Les traités auraient pu limiter cette marge d’appréciation en précisant cet article, voire en créant de nouvelles dispositions. Néanmoins, en 2007, lors de l’adoption du Traité de Lisbonne, l’article 191 TFUE est demeuré essentiellement identique à l’ex-article 174 TCE. De même, la clause transversale, imposant que les exigences de la protection de l’environnement doivent être intégrées dans la définition et la mise en œuvre des politiques et actions de l’Union, demeure inchangée entre l’article 6 TCE et l’article 11 TFUE. La seule nouvelle disposition est constituée par la Charte des droits fondamentaux de l’Union, qui a acquis valeur de droit primaire avec le Traité de Lisbonne (article 6, §1, TUE). Son article 37 exige qu’ un niveau élevé de protection de l’environnement et l’amélioration de sa qualité doivent être intégrés dans les politiques de l’Union et assurés conformément au principe du développement durable. » Cependant, sa valeur juridique est limitée. Enfin, la Cour n’a pas créé, de sa propre initiative, un principe suffisamment substantiel pour contraindre le politique à protéger davantage l’environnement. La faiblesse de ces règles s’illustre dans le fait que la Cour semble n’avoir encore jamais eu à constater une violation, par une institution de l’Union ou par un Etat membre, d’un des articles listés ci-dessus.

    Ni les traités, ni la Cour ne semblent avoir élaboré un véritable droit à un environnement sain. Cette proposition mérite néanmoins d’être précisée. Premièrement et ainsi qu’énoncé ci-dessus, l’objet recherché concerne l’existence d’un véritable principe juridique, c’est-à-dire d’une norme dotée d’une généralité suffisante, créatrice de droits et d’obligations, justiciable devant le juge et disposant d’une certaine effectivité. Ce principe se distingue donc d’un « droit à un environnement sain », comme synonyme de « droit de l’environnement », champ du droit étudiant un ensemble de normes plus ou moins disparates. Cette conclusion ne conduit pas à nier les louables efforts accomplis par le politique pour adopter une série d’instruments protecteurs de l’environnement. Elle se contente de remarquer l’absence d’une norme, à la fois, dotée d’une force juridique suffisante et suffisamment exigeante quant au niveau de protection de l’environnement qu’elle impose, afin de pouvoir réellement contrôler la qualité du droit dérivé. Secondement, il importe de distinguer plusieurs manières dont un tel droit pourrait être conçu. S’il est assez certain qu’il n’existe pas en droit de l’Union un véritable droit substantiel à un environnement sain, cela ne suffit pas à clore la discussion. Un tel droit peut encore exister en tant que principe d’interprétation, conduisant à choisir parmi toutes les interprétations possibles la plus protectrice de l’environnement. Il peut aussi exister en tant que source de règles procédurales, conduisant la Cour à imposer aux institutions et aux États membres des obligations exclusivement procédurales.

    Eu égard à l’absence d’un principe garantissant de façon claire « un droit à un environnement sain » et donc, à l’impossibilité de commenter son champ d’application et son régime, il faut se tourner vers la jurisprudence de la Cour. Celle-ci a pu développer une stratégie permettant précisément de surmonter la faiblesse apparente des articles 11 et 191 TFUE, et, de l’article 37 de la Charte. Il faut même, à titre d’hypothèse, supposer qu’une telle stratégie existe et qu’elle vise à mettre en œuvre le « droit à un environnement sain. » Le dilemme de cette stratégie semble être de réussir à mettre en œuvre ledit droit, sans pourtant en faire un principe doté d’une véritable force normative. En l’absence d’une telle nouvelle norme venant redéfinir la marge d’appréciation du politique, cette dernière apparaît quasiment inchangée. La principale difficulté à laquelle se heurte donc le juge semble être ce pouvoir discrétionnaire, qu’il ne souhaite pas directement réduire. Toute sa stratégie semble consister à répondre à ce dilemme.  Le juge doit amener le politique à protéger l’environnement, sans néanmoins diminuer sa marge d’appréciation. Les lignes de combat qui dessinent la stratégie de la Cour et la portée du droit à un environnement sain ne semblent donc pas être déterminées par les exigences environnementales elles-mêmes, mais par une notion qui est étrangère à l’environnement — à savoir le pouvoir discrétionnaire du politique.

    La stratégie de la Cour, pour garantir le droit à un environnement sain, comprend un plan en cinq parties. Elles reposent toutes sur un objectif de prudence et de déférence, bien qu’à des degrés variés. Les deux premières parties manifestent la plus haute prudence et déférence. Premièrement, le juge ne souhaite pas affronter directement le politique, en condamnant une mesure parce qu’elle ne protègerait pas suffisamment l’environnement, ou en lui imposant directement de protéger davantage l’environnement. La Cour a donc choisi de ne pas développer un véritable droit à un environnement sain, doté d’une réelle force juridique (§§1-6 et 9-10). La deuxième partie de la stratégie conduit le juge à refuser que ce droit permette de déroger aux normes instituées par le législateur (§§12-16), ce qui reviendrait au même que de les déclarer partiellement illégales. Dès lors, elle préfère interpréter les textes de façon conforme au droit à un environnement sain que de relever une illégalité sur son fondement. (§§7-8). Cependant, la troisième à la cinquième partie de cette stratégie permettent de nuancer cette lecture. La Cour s’autorise à affronter de façon indirecte le pouvoir discrétionnaire du politique. Elle ne lui impose directement aucun choix, mais l’encadre par des normes procédurales qui sont censées empêcher le politique d’ignorer les exigences du droit à un environnement sain. Troisièmement, elle impose au politique de respecter une rationalité procédurale, c’est-à-dire, d’une part, de respecter pleinement les procédures qui sont censées garantir le respect du droit à un environnement sain (§17) et de prendre en compte l’ensemble des données pertinentes du cas d’espèce (§18). Quatrièmement, la Cour semble chercher à étendre le champ d’application des textes de droit de l’Union qui définissent les règles encadrant la mise sur le marché de produits dangereux. Par son interprétation, elle y soumet des produits qui n’y entrent pas nécessairement (§§25-26). Cinquièmement et dernièrement, la Cour cherche à faciliter l’accès au juge national pour les associations qui estiment que le droit environnemental de l’Union est violé (§§27-28).

    Cette stratégie est-elle viable et efficace ? Au regard du seul objectif de protéger l’environnement, cette stratégie apparaît limitée. En revanche, au regard de la fragilité de la Cour, la réponse est globalement positive. Néanmoins, il peut être reproché au juge, d’une part, d’oublier parfois de son raisonnement les exigences du droit à un environnement sain (§§9 et 30) et, d’autre part, de ne pas approfondir l’approche procédurale constituée par la troisième partie du plan. La Cour pourrait se permettre de créer des normes procédurales encadrant mieux les institutions et agences qui participent à la protection du droit de l’environnement (§§21-24). La Cour n’aurait pas à enfreindre les principes directeurs de sa stratégie. Elle n’affronterait pas directement le politique, mais se limiterait à l’encadrer.

    Le droit de l’Union est donc d’abord un droit en manque d’un ou d’un ensemble de véritables principes garantissant un droit à un environnement sain (I). Peu semble donc pouvoir être obtenu du côté de la définition de ce droit. Il faut donc étudier, dans un second temps, la mise en œuvre de ce droit pourtant impossible à définir. Même si la Cour a cherché à garantir la protection de ce droit de façon indirecte, celle-ci demeure fragile. Ce droit peut donc être dit « en manque de droit », en ce que son application est fuyante et indirecte, au contraire de ce qu’une véritable norme de droit doit être (II). Il dispose d’une force normative faible et la Cour doit parfois s’affranchir d’un strict respect de la légalité afin de le mettre en œuvre.

    Un droit en manque de principes

    Le droit de l’Union manque de principes disposant d’une force normative suffisante afin de contraindre le politique à renforcer sa politique de protection de l’environnement. Pourtant, à Lisbonne, l’article 37 de la Charte, consacrant la protection de l’environnement comme un droit fondamental, a acquis le statut de droit primaire. Cela n’a néanmoins rien changé, l’article 37 n’ayant aucune portée ni aucune autonomie propre (A). Le droit à un environnement sain, qu’il est possible de dégager du droit de l’Union, apparaît très faiblement normatif. En outre, sa fragilité est renforcée, car ses exigences doivent être pondérées avec d’autres objectifs de l’Union, tels que ceux économiques (B).

    A. La faible portée de l’article 37 de la Charte

    Par l’introduction de l’article 37 de la Charte en droit de l’Union, le constituant ne semblait pas chercher à développer un véritable droit invocable. La Cour s’est conformée à cette volonté et n’a accordé aucune autonomie à cet article. Il apparaît seulement comme la répétition d’autres dispositions du traité, auxquelles il convient dès lors de se référer (1). Cependant, sur le fondement de ces dispositions, la Cour n’a soumis le politique qu’à un contrôle extrêmement souple, évitant toute confrontation frontale (2). 

    1. Un principe sans apport

    α. Une simple répétition de l’article 191 TFUE

    §1. Un principe non autonome

    Afin de dénier une pleine valeur à l’article 37 de la Charte, la Cour semble s’être alignée sur la distinction établie par le constituant entre « droits » et « principes ». Les premiers disposent d’une pleine normativité. Ils sont d’effet direct et la légalité des textes adoptés par les institutions et les États membres peut être jugée à l’aune de ceux-ci. Les seconds ne disposent pas de ces qualités. L’article 52, §5, de la Charte précise que leur invocation devant le juge n’est admise que pour l’interprétation et le contrôle de la légalité des actes qui les mettent en œuvre. La Cour a interprété de façon restrictive cette condition, estimant que ces articles ne disposaient pas d’effet direct. Ils laissent un trop large pouvoir d’appréciation aux institutions et aux États membres pour servir de fondement à un contrôle de légalité. L’arrêt Glatzel souligne ainsi que « le principe consacré à cet article n’implique pas, en revanche, que le législateur de l’Union soit tenu d’adopter telle ou telle mesure particulière » (15).

    Cette absence d’effectivité se retrouve également au niveau des États membres. Premièrement, un tel principe ne peut permettre d’apprécier la légalité d’une mesure étatique. Secondement, il ne permet pas non plus de contrôler la légalité du comportement de personnes privées. En se fondant sur un raisonnement a fortiori, la Cour a tiré implicitement l’inférence suivante : si les principes ne disposent pas d’un effet direct  vertical (16) (pour contrôler les actions et abstentions des institutions et des États membres), ils ne disposent pas non plus d’un effet direct horizontal (17).

    Une interprétation constructive de l’article 52, §5, de la Charte aurait pu permettre de renforcer le statut des principes. Ainsi, l’Avocat général Cruz Villalón proposait que la combinaison d’un principe et d’une directive le mettant en œuvre permettait d’accorder au premier, sur le fondement des précisions apportées par le second texte, une clarté, une précision et une inconditionnalité suffisantes pour acquérir un effet direct. Dans l’espèce en cause, cette solution aurait permis de pallier l’absence d’effet direct horizontal d’une directive non correctement transposée par un État membre (18). L’Avocat général estimait ainsi que les actes de droit de l’Union qui concrétisent de façon essentielle et immédiate un « principe » ont vocation à « s’intégrer au critère de validité des autres actes qui appliquent ledit ‘‘principe’’ au sens de cette disposition » (19). Cela signifie que ces normes de droit dérivé acquièrent, à la fois, une valeur de droit primaire et le statut normatif d’une disposition du traité, ce qui leur permet premièrement de contrôler la législation de l’Union et les actes nationaux et, secondement, de disposer d’un effet direct horizontal. La Cour a expressément rejeté une telle interprétation (20). L’article 37 de la Charte n’accorde donc aucun droit directement invocable (21).

    La situation de l’article 37 connaît néanmoins une situation différente de celle des autres principes. L’article 52, §2, de la Charte dispose que les droits reconnus par celle-ci et qui font l’objet de dispositions dans les traités s’exercent dans les conditions et les limites définies par ces derniers. Tel est le cas de cet article qui constitue essentiellement un renvoi à l’article 191 TFUE. Malgré un langage ambigu, la Cour semble dès lors en conclure qu’il acquiert un effet direct et une véritable force normative. Cependant, le gain ainsi acquis semble aussitôt perdu. En effet, « il s’ensuit que, dès lors que, […] l’article 3 […] n’a laissé apparaître aucun élément de nature à affecter sa validité au regard de l’article 191 TFUE, cette disposition ne laisse pas non plus apparaître d’élément de nature à affecter sa validité au regard de l’article 37 de la Charte » (22). Dès lors que les articles 191 TFUE et 37 de la Charte pourraient également fonder un contrôle de légalité et que leur contenu normatif est strictement équivalent, le juge continue à se fonder seulement sur le premier (23).

    §2 Un champ d’application limité

    Le champ d’application de l’article 37 de la Charte demeure des plus incertains. Premièrement, l’invocabilité de la Charte au niveau des États membres est limitée par son champ d’application. Il correspond strictement au champ d’application du droit de l’Union. Elle s’applique quand les États membres mettent en œuvre le droit de l’Union, en exécution d’obligations de droit primaire ou de droit dérivé. Il ne suffit pas que la mesure étatique puisse affecter indirectement une norme de droit de l’Union (24). L’article 37 de la Charte ne semble donc pouvoir payer de retour l’article 191 TFUE et offrir à ce dernier, en échange de la force normative qu’il lui prodigue, une extension de son champ d’application. Le champ d’application de l’article 191 TFUE continue donc à être limité au champ d’application du droit de l’Union.

    Une deuxième et une troisième extension auraient pu être envisageables. L’article 191 TFUE ne semble pas s’appliquer directement à l’encontre des États membres, ni à l’encontre des personnes privées. En revanche, les droits de la Charte, dotés d’effet direct, en général le peuvent. Faut-il penser que l’article 37 de la Charte puisse devenir un vecteur permettant d’élargir le champ d’application de l’article 191 TFUE ? La Cour n’a pas encore répondu à cette question. Même si une réponse positive pourrait s’intégrer assez logiquement dans sa jurisprudence actuelle sur les droits fondamentaux, il semble qu’elle ne souhaite néanmoins pas créer un véritable droit à un environnement sain doté d’une pleine force normative.

    La Cour est demeurée ambiguë sur les conséquences de l’article 191 TFUE sur les États membres. En 1994, l’arrêt Peralta apparaissait incertain sur les raisons justifiant de rejeter le moyen d’une violation de l’article 191 TFUE par un Etat membre : était-ce car cet article leur reconnaîtrait un large pouvoir d’appréciation ou bien, parce qu’il ne s’adresserait qu’aux institutions de l’Union ? (25) La solution apparaît plus claire en 2010, quand la Cour a semblé affirmer que l’ex-article 174 TCE (actuel article 191 TFUE) ne dispose pas d’un effet direct, permettant de lui reconnaître une invocabilité d’exclusion à l’encontre des normes nationales qui lui seraient contraires. L’invocabilité d’exclusion étant une des qualités intrinsèques à l’effet direct, l’absence de la première permet de supposer l’absence du second. Par une lecture a contrario, il est possible de conclure que cet article ne dispose d’aucun effet direct autonome à l’encontre des actions des Etats membres. Il peut seulement être invoqué en combinaison avec une réglementation de l’UE adoptée sur le fondement de l’ex-article 175 CE (actuel article 192 TFUE) couvrant spécifiquement l’action concernée (26). Son rôle est alors purement interprétatif. A ce jour, il semble donc qu’aucune obligation ne puisse, indépendamment du droit dérivé, être imposée aux États membres sur le fondement de l’article 191 TFUE. La doctrine a pu en conclure que cet article ne disposait pas d’un effet direct (27). A fortiori, il ne semble donc pas disposer d’un effet direct horizontal ou descendant vertical (28). La Cour a ainsi constaté que le principe du pollueur-payeur, consacré à l’article 191, § 2, « ne saurait être invoqué par les autorités compétentes en matière d’environnement pour imposer, en l’absence de fondement juridique national, des mesures de prévention et de réparation » (29).

    Cette dernière conclusion doit néanmoins être pondérée et précisée, au risque d’être fausse et imprécise. Premièrement, ainsi qu’il a déjà été énoncé, l’article 191 TFUE permet de contrôler des actes de droit dérivé adoptés par les institutions de l’Union. Il est donc doté d’un « effet direct ». La Cour semble lui reconnaître, au moins pour certaines de ses dispositions, une clarté, une précision et une inconditionnalité suffisantes pour acquérir ce statut. Les limitations qui l’entravent ne sont donc pas dues à sa qualité intrinsèque, c’est-à-dire à sa conformité aux trois critères de l’effet direct, mais à son champ d’application ratione personae. Secondement, cet article dispose d’une invocabilité indirecte d’interprétation conforme dans les Etats membres. Lorsque ces derniers mettent en œuvre les normes de droit dérivé adoptées sur le fondement de l’article 192 TFUE, « ils doivent aussi veiller à ce que les objectifs de la politique de l’Union dans le domaine de l’environnement soient atteints, conformément aux exigences de l’article 191, paragraphes 1 et 2, TFUE » (30).

    Cette dernière obligation d’interprétation conforme est extrêmement claire en ce qui concerne le principe de précaution, tel que consacré à l’article 191. Celui-ci permet d’adopter une mesure de protection sans avoir à attendre que la réalité et la gravité des risques soient pleinement démontrées (31). Premièrement, ce principe permet à un Etat membre de renforcer les exigences d’une directive concernant la protection de l’environnement. Par exemple, la législation concernant les déchets prévoit que la Commission établit les critères spécifiques qui permettent de déterminer quels déchets cessent d’être des déchets, lorsqu’ils ont subi une opération de valorisation ou de recyclage (32). Si aucun critère harmonisé n’a été défini, les États membres peuvent décider, au cas par cas, si certains déchets ont cessé d’être des déchets (33). Pareillement que la Commission, ces derniers doivent tenir compte de tout effet nocif possible de la substance ou de l’objet concerné sur l’environnement et la santé humaine (34). Ils doivent aussi veiller à ne pas faire obstacle à la réalisation des objectifs de la directive, tels que l’encouragement à la valorisation des déchets (35). Ainsi, si l’Italie souhaite refuser qu’une l’huile végétale recyclée soit utilisée en tant que combustible dans une installation de cogénération, elle doit justifier de l’existence d’un risque raisonnable pour l’environnement et la santé humaine (36). L’existence d’un certain degré d’incertitude scientifique relative aux risques environnementaux peut conduire un État membre, compte tenu du principe de précaution, à décider de ne pas faire figurer une substance sur la liste des combustibles autorisés (37).

    Secondement, le principe de précaution peut aussi limiter la marge d’appréciation d’un Etat membre. Un exemple est offert par la directive « habitats ». Cette dernière permet aux États membres, dans des conditions strictement encadrées, d’autoriser le prélèvement d’espèces protégées. Une telle dérogation ne doit pas nuire au maintien ou au rétablissement des populations d’une espèce menacée d’extinction dans un état de conservation favorable. Si l’examen des meilleures données scientifiques disponibles laisse subsister une incertitude sur le point de savoir si tel est le cas, le principe de précaution impose à l’État membre de s’abstenir d’adopter ou de mettre en œuvre une telle mesure (38).

    En l’état actuel du droit, l’article 37 de la Charte, lu à la lumière de l’article 191 TFUE, semble donc pouvoir disposer d’une faible force normative à l’encontre des États membres, limitée à l’obligation d’interprétation conforme. Il ne dispose d’aucune véritable autonomie et permet seulement à la Cour de jouer sur les marges de l’interprétation des instruments adoptés par le législateur de l’Union. L’œuvre jurisprudentielle a ainsi permis de renforcer les obligations prévues par ces instruments, en choisissant, parmi les diverses interprétations possibles, la plus protectrice de l’environnement. Elle n’a néanmoins pas encore accordé à l’article 191 TFUE, sur le fondement de l’article 37 de la Charte, une invocabilité à l’encontre des Etats membres et des personnes privées. 

    β. Un choix de politique jurisprudentielle 

    §3 Une stratégie non nécessaire

    Si la non reconnaissance d’un effet direct à l’encontre des États membres et d’un effet direct horizontal à l’encontre des personnes privées des articles 37 de la Charte et 191 TFUE devait être confirmée, cette double limitation constituerait un choix volontaire, par nature non nécessaire. La Cour a choisi de modifier le statut originel de l’article 191 TFUE. Celui-ci semble, prima facie, définir les objectifs que la politique de l’Union doit mettre en œuvre sur le fondement de la base juridique définie par l’article 192 TFUE. Il ne devrait donc permettre qu’un contrôle de la légalité limitée aux questions de compétence. Pour le reste, eu égard à la généralité des principes qui y sont invoqués, cet article aurait seulement pu servir à interpréter le droit de l’Union. La Cour en a pourtant fait la source de principes de droit de l’environnement qui peuvent généralement être invoqués à l’encontre des institutions de l’Union. Dès lors, c’est elle-même et elle seule, qui a décidé d’accorder un effet direct à l’article 191 TFUE, mais aussi de le limiter à ces seules institutions.

    L’article 191 TFUE semblait devoir, à l’origine, uniquement participer à définir les compétences de l’Union. Cette dernière est soumise au principe d’attribution, qui lui impose de n’agir que sur le fondement d’une compétence attribuée, afin d’atteindre les objectifs que les traités définissent (article 5, §2, du TUE). L’article 191, §1, énonce les objectifs de la politique environnementale de l’Union. Son paragraphe 2 précise que celle-ci « vise un niveau de protection élevé », tient « compte de la diversité des situations dans les différentes régions de l’Union » et est fondée sur divers principes, tels que le principe de précaution ou le principe du pollueur-payeur. La Cour aurait très bien pu estimer que ces deux paragraphes ne disposent que d’une justiciabilité limitée, ainsi que le supposait l’Avocat général Darmon (39) et l’un des premiers commentaires de cette disposition (40). Il aurait été possible de penser que le paragraphe 1, lu avec l’article 192 TFUE, ne concernait que les contentieux de base juridique (41). Le paragraphe 2 aurait pu être considéré trop imprécis pour disposer d’un effet direct pour imposer davantage qu’une obligation d’interprétation conforme. Il aurait alors essentiellement servi à interpréter les principes de subsidiarité et de proportionnalité, qui doivent être respectés par les institutions de l’Union quand elles exercent leurs compétences (article 5, §1 TUE). 

    Bien que la Cour ait choisi d’accorder une certaine force normative à l’article 191 TFUE (§§6 et 7), son autonomie, en particulier de son paragraphe 2, apparaît loin d’être complète. Un certain nombre d’exemples illustrent qu’il se limite encore bien souvent à une simple obligation d’interprétation conforme. Par exemple, le Tribunal a pu désigner globalement l’article 191 TFUE comme une disposition fixant les objectifs de la politique de l’environnement (42). Il a aussi pu explicitement préciser que le principe de précaution n’imposait aucune action particulière et qu’il constituait un simple principe directeur, n’imposant aucune mesure déterminée (43). Ensuite, le paragraphe 2 de cet article a pu parfois être utilisé comme simple source d’interprétation du principe de proportionnalité par les moyens des États membres (44) ou par la Cour. Cette dernière a  ainsi déclaré explicitement  que « […] le principe du pollueur-payeur apparaît comme l’expression du principe de proportionnalité […] [et qu’] il en est de même en ce qui concerne la violation du principe de correction, par priorité à la source, des atteintes à l’environnement […] » (45). L’Avocate générale Kokott a écrit que « le principe de précaution trouve surtout à s’appliquer dans le cadre de l’examen du principe de proportionnalité » (46). De même, dans le cadre du contrôle de proportionnalité et en se référant aux objectifs de l’article 191, la Cour a jugé de façon constante que l’importance des objectifs de protection de l’environnement est de nature à justifier des conséquences économiques négatives, mêmes considérables, pour certains opérateurs (47).

    La Cour ne semblait pas juridiquement contrainte à limiter le champ d’application ratione personae de l’article 191 TFUE aux institutions de l’Union. Premièrement, son article §2 ne vise pas les institutions de l’Union, mais « la politique de l’Union dans le domaine de l’environnement […]. » L’entame de cette disposition pourrait très bien être interprétée comme visant, plus généralement, le champ d’application du droit de l’Union. Dès lors que le droit de l’Union s’applique, les principes mentionnés à l’article 191 pourraient s’appliquer. Cet argument est renforcé par le constat que « le fait que certaines dispositions du traité sont formellement adressées aux États membres n’exclut pas que des droits puissent être conférés en même temps à tout particulier intéressé à l’observation des obligations ainsi définies » (48). La Cour s’est implicitement fondée sur une telle interprétation pour consacrer, dans l’arrêt Van Gend en Loos, l’effet direct du droit primaire. Des normes qui semblent formellement constituer un simple engagement interétatique peuvent aussi créer des droits que les particuliers peuvent directement invoquer à l’encontre des États membres (49). L’arrêt Defrenne poursuit plus avant cette logique, en reconnaissant l’effet direct horizontal du principe de non discrimination salariale à raison du sexe. Cette norme qui semblait, elle aussi, constituer seulement un simple engagement interétatique, a  ainsi acquis un effet direct horizontal. Il faut donc en conclure qu’il importe peu qu’une norme soit formellement adressée aux institutions de l’Union afin de savoir si les Etats membres et les particuliers en sont aussi les débiteurs. 

    §4. Une stratégie prudente

    La Cour semble essentiellement guidée par la prudence. A la différence des libertés de circulation ou du principe d’égalité à raison de l’âge ou de la religion, l’environnement ne semble pas disposer du même soutien politique de la part des États membres et du législateur de l’Union. Alors qu’elle a pu progressivement reconnaître aux premières un véritable effet direct, puis un effet direct horizontal (50), un tel processus semble impossible concernant les principes du droit de l’environnement. La thèse de K. Lenaerts et J. A. Gutierrez-Fons, au moins dans le domaine en cause, semble trouver confirmation. L’interprétation des principes par la Cour serait limitée par l’exigence de respecter les compétences du législateur et la répartition des pouvoirs (51). Elle trouvera d’autant plus confirmation par la suite, à la lumière de la faible normativité de l’article 191 TFUE. Il apparaît donc que la notion fondamentale, autour de laquelle un possible droit à un environnement sain semble se dessiner, est la notion de pouvoir discrétionnaire.

    2. L’évitement d’un contrôle frontal

    §6. Un large pouvoir d’appréciation discrétionnaire. 

    Le pouvoir d’appréciation discrétionnaire des institutions de l’Union est renforcé par la faiblesse des obligations qu’impose l’article 191 TFUE. Le législateur doit chercher à réaliser un niveau élevé de protection de l’environnement, non celui techniquement le plus élevé (52). La justification de cette interprétation de la Cour apparaît fragile. Elle découlerait de la possibilité accordée aux Etats membres de maintenir ou d’établir des mesures de protection renforcées (53), ainsi qu’en dispose l’article 193 TFUE. Cet article prévoit uniquement que les Etats membres ont la possibilité d’adopter des mesures de protection de l’environnement plus strictes que celles résultant des normes de l’Union. L’inférence, que la Cour cherche à établir, est difficile à saisir. En réalité, cette possibilité interdit uniquement que les normes de droit dérivé constituent des harmonisations maximales qui ne laissent aucune autonomie aux États membres. 

    L’arrêt Safety Hi-Tech, qui dégage pour la première fois cette limitation de la portée de l’article 191 TFUE, illustre pourtant la situation où le niveau de protection le plus élevé possible avait été adopté. L’Union avait pris des mesures pour lutter contre l’appauvrissement de la couche d’ozone. Une interdiction de principe avait été édictée à l’encontre des hydrochlorofluorocarbures (HCFC), sans qu’une exception ne leur fût accordée pour la lutte contre les incendies. En revanche, d’autres substances, qui seraient plus néfastes pour l’environnement que les HCFC, pouvaient continuer à être utilisées pour la lutte contre les incendies. La Cour constate d’abord qu’il existait du point de vue scientifique, « des solutions de rechange à l’utilisation des HCFC par l’emploi de produits moins nocifs pour la couche d’ozone, tels que l’eau, la poudre et les gaz inertes » (54). Elle note ensuite, qu’une des substances bénéficiant d’une dérogation présente « une capacité d’extinction irremplaçable, notamment pour faire face à des incendies dans des espaces réduits, avec des effets toxiques extrêmement faibles, alors que, pour avoir le même résultat, une quantité plus importante de HCFC, avec un impact toxique plus important, serait nécessaire » (55). Compte tenu de cette situation, il ne semble pas que l’introduction de cette restriction au droit à un environnement sain était en l’espèce inutile.

    Ainsi que ce qui suit doit permettre de l’illustrer, en droit de l’environnement, le pouvoir discrétionnaire emporte davantage qu’une simple modulation de l’intensité du contrôle du juge. Il peut apparaître comme une négation même de ce contrôle. L’article 191 TFUE apparaît trop programmatique et trop politique pour être facilement manié par le juge. Afin d’échapper à ces difficultés, ce dernier semble avoir cherché à procéduraliser son contrôle (§§17 et 18) ou à renforcer les normes existantes grâce à une interprétation constructive (§§ 8, 25-28). S’il ne peut être lui-même à l’origine d’une politique de l’environnement au niveau de l’Union, ni définir le cadre dans lequel celle-ci sera mise en œuvre, il peut avoir un rôle amplificateur. Si un droit à un environnement sain existe, l’effectivité de celui-ci ne se révèlerait donc pas au stade d’un contrôle frontal de la légalité.

    §7. L’évitement d’un contrôle frontal par le recours à d’autres normes

    Tout l’enseignement de l’arrêt Safety Hi-Tech ne ressort pas du paragraphe précédent (§6). Le plus important semble, en réalité, résider dans le raisonnement de la Cour. Il lui est posé trois fois une question similaire: est-ce que la distinction établie par le législateur entre plusieurs types de produit est légale ? Elle refuse quasiment de répondre à cette question sur le fondement du paragraphe 2 de l’article 191, TFUE, imposant un niveau de protection de l’environnement élevé. Eu égard à la marge d’appréciation dont jouissent les institutions de l’Union, il ne peut leur être reproché de ne pas avoir atteint le niveau le plus élevé possible de protection (§6). En revanche, la Cour accepte de répondre à cette même question sur le fondement du paragraphe 3, premier tiret, du même article. Il dispose que les politiques de l’Union sont fondées sur les données scientifiques et techniques disponibles. Il consacre le principe de diligence, qui appartient au principe plus général de bonne administration (§18). La Cour accepte alors d’étudier si, afin d’établir une telle distinction, le législateur disposait d’informations objectives lors de l’adoption de la mesure. 

    Enfin, la Cour accepte aussi de répondre à cette même question sur le fondement du principe de proportionnalité (56). Son usage de ce principe, dans cet arrêt, n’est pas très clair. D’un côté, il semble se confondre en partie avec un test du caractère cohérent et systématique de la mesure, qui relève de l’appréciation de son aptitude. En n’adoptant pas une mesure davantage protectrice, l’Union n’a-t-elle pas adopté une mesure incohérente ? D’un autre côté, il est aussi possible que ce soit la proportionnalité au sens strict qui soit concernée. Il pourrait être pertinent, au niveau de la mise en balance entre un droit économique et la protection de l’environnement, de vérifier si le législateur n’a pas été arbitraire dans son action. Si la Cour, grâce à un système de vases communicants, a donc réussi à préserver l’effectivité de son contrôle en l’espèce, il ne semble pas que le principe de diligence et le principe de proportionnalité puissent être, dans toutes les circonstances, suffisants pour se substituer à l’article 191, §2.

    De même, il importe de mentionner que l’article 191 TFUE ne semble jamais avoir permis de contrôler directement des normes réglementaires adoptées sur le fondement de normes législatives adoptées par les institutions de l’Union. La Cour semble préférer contrôler ces normes  réglementaires uniquement au regard des normes législatives qui leur servent de fondement juridique et qui sont censées être la concrétisation des objectifs fixés à l’article 191 TFUE. Le droit à un environnement sain n’a donc pas le même statut que les autres droits fondamentaux qui peuvent permettre de contrôler la légalité des normes de nature législative et de nature réglementaire.

    § 8. L’évitement d’un contrôle frontal par l’interprétation

    La Cour évite de se prononcer de façon frontale sur la légalité du droit dérivé. Dès qu’il lui est possible, elle semble chercher à interpréter ces normes de façon conforme aux exigences d’une protection élevée de l’environnement. Elle assure ainsi une pleine légalité à la norme et renforce la protection de l’environnement assurée par l’instrument contrôlé. L’arrêt Associazione Italia Nostra Onlus portait sur la dérogation instituée par l’article 3, paragraphe 3, de la directive 2001/42. Cette directive impose la réalisation d’une évaluation environnementale de tous les plans et programmes qui, au titre des articles 6 et 7 de la directive « habitats », devraient être soumis à une évaluation de leurs incidences sur l’environnement. Elle institue une exception à l’égard de ceux concernant de petites zones et des modifications mineures. Ces derniers sont soumis à une telle évaluation « que lorsque les États membres établissent qu’ils sont susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement. » La Cour rappelle d’abord que cette exception « vise ainsi à ne soustraire à l’évaluation environnementale aucun plan ou programme susceptible d’avoir des incidences notables sur l’environnement » (57). La marge d’appréciation des Etats membres est strictement limitée. Ils doivent procéder à un examen préalable pour vérifier si des incidences notables sur l’environnement sont susceptibles de se produire. Dans le cas échéant, une évaluation doit obligatoirement être poursuivie. La Cour rappelle ainsi l’interprétation extensive qu’elle a donnée de cette directive. L’importance des intérêts protégés impose que son champ d’application soit interprété d’une manière large (58). Eu égard à ces constatations, il apparaît difficile d’estimer que la directive puisse d’une quelconque façon violer l’obligation d’un niveau élevé de protection de l’environnement. Elle conclut enfin que le seul risque est que les autorités nationales, sur le fondement de cette exception, puissent éluder l’application de la directive 2001/42, n’est pas de nature à entraîner l’invalidité de l’article 3, § 3, de cette directive (59). La Cour évite de se prononcer de façon frontale sur cette dérogation. Elle n’étudie pas l’usage réel qui en est fait par les Etats membres. Elle se limite à l’interpréter de façon à la rendre pleinement conforme à un niveau élevé de protection de l’environnement.

    L’arrêt Mathieu Blaise (§23) fait suite à la prolongation de l’autorisation de la mise sur le marché du glyphosate dans l’Union. La question préjudicielle en appréciation de validité renvoyée par le juge national ne portait pas directement sur cette autorisation, mais sur le règlement fixant le cadre procédural permettant d’obtenir une telle autorisation (60). Eu égard aux défaillances qui ont pu se produire sur son fondement lors du processus décisionnel concernant le glyphosate, le règlement violait-il le principe de précaution ? La Cour relève d’abord que le législateur, lorsqu’il adopte des règles encadrant la mise sur le marché de substances ou produits dangereux, doit se conformer au principe de précaution (61). Le règlement ne doit pas seulement le mentionner, mais établir un cadre qui assure concrètement qu’il soit correctement mis en œuvre (62). En revanche, l’appréciation de la légalité du règlement ne saurait dépendre des circonstances particulières d’un cas d’espèce donné. En conséquence, le « déroulement de la procédure ayant conduit à l’approbation du glyphosate ne saurait, pris isolément, permettre d’établir l’illégalité des règles générales régissant une telle procédure » (63). Alors que l’EFSA n’a pas tenu compte des effets cumulés (§23), la Cour estime qu’ une telle évaluation ne saurait, par nature, être menée à bien de manière objective en ne tenant pas compte des effets résultant du cumul éventuel des divers composants d’un produit phytopharmaceutique » (64). Cette interprétation apparaît justifiée. L’article 2, §2 et §3, du règlement, qui fixe les conditions d’approbation d’un produit, dispose que le produit et ses résidus, compte tenu des effets cumulés et synergiques, n’ont pas d’effet nocif sur la santé humaine.

    Afin de ne pas s’affronter directement aux institutions de l’Union, la Cour vise « la prémisse sur laquelle se fonde le doute de la juridiction de renvoi » (65), qui elle-même visait la manière dont avait été autorisé le glyphosate. Le règlement apparaît dès lors légal. Le juge de l’Union, encore une fois, évite d’affronter directement le règlement législatif. Il ne vérifie pas si, concrètement, le règlement ne pouvait pas être détourné ou s’il n’encadrait pas suffisamment le pouvoir réglementaire de la Commission. Au lieu de prendre en compte ces défaillances comme prémisses de son raisonnement, la Cour préfère renforcer le cadre normatif grâce à une interprétation fondée sur l’objectif d’un niveau élevé de protection de l’environnement.

    Le premier axe de la stratégie de la Cour semble constitué par un principe de prudence. La Cour n’a pas cherché à développer un véritable droit à un environnement sain sur le fondement des articles 37 de la Charte ou 191 TFUE. Elle a en outre cherché à éviter de contrôler de façon frontale l’action des institutions de l’Union. En plus d’avoir une force normative faible, les exigences du droit à un environnement sain doivent être mises en pondération avec celles des autres objectifs de l’Union.

    B. Un droit soumis à la conciliation d’intérêts divergents

    Deux types de pondération doivent être distingués, s’exerçant à deux niveaux différents. Au niveau constitutionnel, une pondération souple s’effectue entre différentes normes ou valeurs du droit primaire (1). Le droit dérivé de l’Union ou les États membres peuvent chercher à limiter un principe en se fondant sur un autre principe ayant aussi valeur de droit primaire. En revanche, une seconde pondération est moins souple. Elle s’accomplit quand un État membre cherche à déroger,  non pas à une norme de droit primaire, mais à une norme de droit dérivé. Ces dernières prévoient les conditions, extrêmement restrictives, permettant une telle dérogation. Le droit à un environnement sain ne permet pas de les assouplir (2).

    1. Une pondération souple au niveau du contrôle constitutionnel

    Le droit à un environnement sain, quand il heurte un autre intérêt légitime de l’Union, ne semble pas prévaloir dans leur mise en balance. Il ne permet pas de remettre en cause l’équilibre souhaité par le détenteur du pouvoir discrétionnaire. En revanche, il permet de justifier la légalité d’un tel équilibre quand celui-ci est en faveur de la protection de l’environnement et limite des intérêts économiques.

    α. Une mise en balance par les institutions de l’UE

    § 9. Un principe cédant devant le pouvoir discrétionnaire

    L’arrêt Association Kokopelli (66) concernait une question en appréciation de validité de la directive législative 2002/55/CE du Conseil, concernant la commercialisation des semences de légumes, et, de la directive réglementaire 2009/145/CE de la Commission, prises en application de la première. La directive du Conseil a pour conséquence, en subordonnant la commercialisation des semences à une triple condition de distinction (67), de stabilité (68) et d’homogénéité (69), d’interdire à Kokopelli la vente des variétés de légumes « anciennes ». Les « variétés anciennes » commercialisées par cette association ont un patrimoine génétique moins uniforme que celui des variétés admises. En principe, elles auront donc plus de difficulté à remplir le critère de la distinction. Ensuite, elles peuvent évoluer différemment en fonction des conditions environnementales, ne les rendant pas stables. Enfin, les différents individus dans les populations considérées se ressemblent moins et ne sont pas aussi homogènes que les variétés admises (70). La directive de la Commission a introduit une dérogation extrêmement limitée, tant du point de vue de la nature des semences, que du cadre géographique dans lequel elle peut être mise en œuvre, que des risques qui doivent peser sur lesdites semences. Celle-ci ne concerne que les semences de races primitives et de variétés qui sont traditionnellement cultivées dans des localités et régions particulières et qui sont menacées d’érosion génétique. En outre, s’y ajoute une restriction quantitative, imposant que la production et la commercialisation annuelle de ces semences soient limitées à ce qui est nécessaire pour cultiver une surface de 10 à 40 hectares. En l’espèce, il est constant que cette dérogation est trop rigide pour permettre à Kokopelli de vendre ses semences (71). Kokopelli opposait que cette réglementation était disproportionnée et qu’elle restreignait de façon injustifiée son droit à exercer librement une activité économique. La Cour constate d’abord que la mesure est apte à atteindre son objectif et relève de ceux fixés par la politique agricole commune (PAC), à savoir permettre une productivité accrue de l’agriculture, fondée sur la fiabilité des caractéristiques desdites semences (72). Ensuite, elle est apte à assurer une réglementation harmonisée au niveau de l’Union et la libre circulation des variétés (73). Enfin, l’exception introduite par la directive de la Commission est apte à garantir la conservation des ressources génétiques des plantes (74).

       La nécessité de la mesure est ensuite appréciée au regard de l’alternative proposée par Kokopelli : une simple obligation d’étiquetage permettrait d’atteindre le même résultat, tout en étant moins restrictive. La Cour retient alors, comme seuls objectifs de la mesure, une productivité fiable et de qualité en termes de rendement (75). Le critère de la distinction permet aux agriculteurs « d’effectuer un choix leur garantissant un rendement optimal ». Les critères de la stabilité et de l’homogénéité assurent que les caractéristiques qualitatives propres d’une semence admise restent constantes au fil des années et que « les semences vendues sous un nom donné présentent toutes les mêmes caractéristiques génétiques, favorise un rendement optimal ». Sans justifier plus avant, la Cour estime que la mesure est nécessaire et qu’une obligation d’étiquetage ne constitue pas une alternative efficace, « puisqu’elle permettrait la vente et, par voie de conséquence, la mise en terre de semences potentiellement nuisibles ou ne permettant pas une production agricole optimale » (76). La Cour conclut donc que « ce faisant, le législateur de l’Union n’a pas violé le principe de proportionnalité » (77). Cette conclusion apparaît définitive.

    Le test de proportionnalité ne comprend donc aucune référence au droit à un environnement sain, ou à l’une de ses possibles déclinaisons,  telles que la biodiversité. Pourtant, la restriction dont se plaint Kokopelli peut apparaître comme une mise en balance des objectifs de la PAC avec le droit à un environnement sain, au détriment de ce dernier. La faiblesse normative de ce dernier semble donc permettre, non seulement de déroger facilement à ses exigences, mais en outre que le juge n’ait pas à contrôler expressément cette dérogation. Cette absence est d’autant plus étonnante que l’article 11 TFUE et l’article 37 de la Charte imposent de façon transversale l’obligation de garantir un niveau élevé de protection de l’environnement. Le raisonnement du juge (et cette étude s’arrête à ce niveau, non aux conclusions retenues) apparaît défaillant, d’autant plus que les risques entraînés par la perte de biodiversité sont connus (78) et que l’Avocate générale les rappelait (79).

    Les exigences liées à la protection de l’environnement apparaissent ensuite, mais de façon extrêmement limitée. La Cour constate que les deux directives prennent en compte les intérêts économiques des opérateurs, tels que Kokopelli, en ce qu’elles n’excluent pas totalement la commercialisation des « variétés anciennes. » Elle conclut, aux termes d’un raisonnement ramassé, que les restrictions auxquelles ces dernières sont soumises pour pouvoir bénéficier de ce régime dérogatoire « s’inscrivent dans le contexte de la conservation des ressources phytogénétiques » (80). Il semble falloir comprendre que la dérogation est apte et nécessaire, car elle permet de garantir la conservation de la biodiversité, sans remettre en cause l’interdiction jugée précédemment proportionnée. L’exception permet la stricte conservation de certaines semences. Il apparaît étrange de restreindre la prise en compte de l’exigence de biodiversité seulement à ce second temps de l’analyse, alors que l’essentiel de la conclusion est déjà obtenu. Logiquement, car il ne pouvait plus être question que d’une exception au principe, celle-ci ne pouvait être que restrictive.

    La Cour se distingue ainsi clairement de l’Avocate générale qui avait conclu au caractère non proportionné et donc illégal de la mesure. Elles soulignait, en particulier, qu’il « appartient en principe aux agriculteurs de décider des variétés qu’ils cultivent » (81), qu’il n’y a pas de risque avéré à ce qu’une telle autorisation produise l’éviction des semences de haute qualité (82), et que l’interdiction en cause « réduit enfin la diversité génétique dans les champs européens, étant donné que moins de variétés sont cultivées et que les populations de ces variétés présentent des différences génétiques moins importantes entre chaque individu » (83). 

      A l’aune de la problématique de la présente recherche, ce qui apparaît insatisfaisant est le raisonnement de la Cour. En l’espèce, l’exigence d’un niveau élevé de protection de l’environnement ne peut quasiment jouer aucune fonction déterminante. Elle n’entre pas vraiment en pondération avec les intérêts économiques de la PAC, à rebours de la jurisprudence traditionnelle (84). Enfin, la Cour ne répond pas à des arguments assez convaincants étudiés par son Avocate générale. Cet arrêt confirme l’existence d’une véritable stratégie de prudence de la part de la Cour. L’Avocate générale Kokott a ainsi écrit dans un article de doctrine, cinq années plus tard : « […] and perhaps the Opinion really entered too far into a heated political debate » (85).

    § 10. Un principe renforçant le pouvoir discrétionnaire

    L’arrêt Fedesa illustre la situation inverse de la précédente. Dans le cadre de la politique de la PAC, le Conseil avait interdit l’utilisation de cinq hormones par les élevages du bétail. Aux termes d’un contrôle de la proportionnalité très léger, la Cour note que la mesure est proportionnée. Premièrement, une autorisation partielle ne pourrait pas constituer une mesure viable, car elle estime qu’il serait extrêmement difficile d’opérer un contrôle de son respect. Secondement, la protection de la santé « est de nature à justifier des conséquences économiques négatives, même considérables, pour certains opérateurs » (86). Au regard du niveau de contrainte qu’est en droit d’imposer le législateur, il sera extrêmement difficile de remettre directement en cause son choix. A moins qu’il existe une réelle alternative aussi efficace et moins restrictive, celui-ci dispose d’un pouvoir discrétionnaire quasiment illimité pour mettre en œuvre les objectifs de protection de la santé et de protection de l’environnement. 

    Cette interprétation n’est pas propre au droit de l’environnement (87). Il se retrouve dans le domaine de la santé publique, dont les exigences sont connexes à celles de l’environnement, mais aussi en matière de protection du consommateur (88). Bien que cette marge apparaisse parfois liée à l’importance de l’intérêt protégé, elle apparaît d’autres fois seulement comme la simple conséquence du pouvoir discrétionnaire dont jouit l’institution (89). Cette constatation renforce encore la conclusion que le droit à un environnement sain n’a qu’un faible apport, le large pouvoir d’appréciation discrétionnaire permettant de limiter des intérêts économiques n’étant pas la conséquence de l’importance accordée à celui-ci.

    β.  Une mise en balance par les Etats membres  

    § 11. Une réelle mise en balance

    Un procès en illégitimité a souvent été effectué à l’encontre de la Cour, consistant à affirmer que, de façon arbitraire, elle appliquerait un niveau d’intensité de contrôle moindre lorsqu’est concernée une mesure de l’Union par rapport à une mesure étatique. En réalité, cette différence, bien réelle, est liée au contexte normatif différent dans lequel s’insèrent ces deux contrôles. Au contraire des Etats membres, quand l’Union adopte une mesure, celle-ci est en principe conforme à l’objectif primordial d’assurer l’établissement et le fonctionnement du marché intérieur. Au contraire, le simple fait qu’un État membre adopte une réglementation conduit à une fragmentation du marché intérieur. L’obligation de laisser librement circuler les marchandises entre les Etats membres, telle que garantie par les articles 34 à 36 TFUE, est donc infiniment plus difficile à respecter pour les États membres que pour l’Union. Il est impossible d’étudier avec précision le régime juridique qui s’attache au droit de la libre circulation (90). Il suffit de noter certains éléments du raisonnement du juge. Premièrement, les considérations environnementales peuvent permettre de restreindre une liberté fondamentale, même lorsque celle-ci est discriminatoire. Cependant, et secondement, elle ne permet pas d’anéantir le contenu essentiel du droit en cause.

    Avant qu’un titre spécifique soit consacré à l’environnement dans les traités européens, la Cour avait déjà déclaré, dans le contexte de la libre circulation, que l’environnement constituait « un des objectifs essentiels de la Communauté » (91). L’Avocat général Fennelly a noté justement qu’« il est important de souligner cette affirmation vigoureuse de la Cour qui a devancé » le constituant (92). Les politiques dans le domaine des énergies renouvelables des États membres fournissent un exemple intéressant. L’arrêt PreussenElektra concernait une obligation d’achat, imposant aux entreprises d’approvisionnement en électricité d’acheter le courant produit à partir d’énergies renouvelables dans leur zone d’approvisionnement. Cette dernière était définie dans les limites du territoire national. Une telle disposition a pour effet, au moins potentiellement, de restreindre la libre circulation de l’électricité (93), en protégeant de toute concurrence intra-communautaire celle produite en Allemagne, en rendant son achat prioritaire par rapport à toute autre source d’approvisionnement. La Cour estime tout d’abord que l’objectif de la réglementation est légitime. Elle vise à protéger l’environnement, en réduisant les émissions de gaz à effet de serre (94). Elle est conforme aux engagements internationaux de l’Union, souscrits à Kyoto le 11 décembre 1997 et à la clause d’intégration de l’ex-article 130 R TCEE (actuel article 11 TFUE). Elle est en outre nécessaire. Les particularités du marché de l’électricité rendent aussi nécessaires cette mesure, car « la nature de l’électricité est telle que, une fois admise dans le réseau de transport ou de distribution, il est difficile d’en déterminer l’origine et notamment la source d’énergie à partir de laquelle elle a été produite » (95). Il aurait dès lors été plus difficile de mettre en place et de contrôler le respect d’une telle obligation d’achat. La Cour a plus tard confirmé, sur conclusions contraires de son Avocat général, aux termes d’un contrôle serré, que la promotion des sources d’énergie renouvelables dans la production d’électricité peut justifier une limitation territoriale (96). 

    La Cour a véritablement pris au sérieux les exigences environnementales, ce qui l’a conduit à réviser, de façon implicite mais certaine, les traités. Alors que les entraves (limitation à la libre circulation) non discriminatoires peuvent être justifiées par une simple raison objective poursuivant un intérêt général, celles qui sont discriminatoires ne peuvent l’être que par un des motifs expressément visés par l’article 36 TFUE. La protection de l’environnement n’y est pas prévue. Les exceptions étant d’interprétation stricte, il est difficile de rattacher cette dernière à un des motifs listés, tels que la « protection de la santé et de la vie des personnes et des animaux » ou la « préservation des végétaux ». Dans l’arrêt PreussenElektra, la Cour avait maintenu une certaine ambiguïté. La mesure était discriminatoire, car elle s’appliquait uniquement à l’électricité produite sur le territoire national. Dans un premier temps, la protection de l’environnement était apparue comme une justification légitime et suffisante. La Cour avait, néanmoins, ensuite ajouté, de façon cursive, qu’ « il y a lieu d’observer que cette politique vise également la protection de la santé et de la vie des personnes et des animaux ainsi que la préservation des végétaux » (97). Elle n’avait cependant pas justifié le rapport direct entre la réduction des émissions de gaz à effet de serre et ces motifs.

    En 2011, la Cour a eu à connaître une mesure autrichienne prévoyant une interdiction sectorielle de la circulation des camions de plus de 7,5 tonnes transportant certaines marchandises sur un tronçon de l’autoroute A 12 dans la vallée de l’Inn. La mesure permettait de limiter la pollution due au trafic routier, ayant déjà donné lieu à un contentieux important sur le fondement de l’article 34 TFUE (98). L’interdiction était discriminatoire, car elle comprenait une dérogation pour le trafic local et régional. La Cour déclare que « l’objectif de la protection de la santé se trouve ainsi déjà, en principe, englobé dans l’objectif de protection de l’environnement » (99). Sans dire clairement qu’elle effectue une révision jurisprudentielle des traités, en pratique elle renverse l’ordre des valeurs, en subordonnant un motif écrit permettant de justifier une discrimination, à un simple motif non écrit, qui ne permet pas de justifier une discrimination. Ainsi que l’écrit l’Avocat général Bot, « la poursuite d’un objectif environnemental peut donc avoir pour conséquence soit de neutraliser le caractère discriminatoire, pourtant avéré, d’une mesure nationale, soit de dispenser purement et simplement de rechercher si la mesure est discriminatoire ou non » (100).

    § 12. Le respect du contenu essentiel du droit à la libre circulation

    La Cour a implicitement modifié les traités afin de permettre aux États membres d’exercer leur pouvoir d’appréciation discrétionnaire. Si ceux-ci souhaitent mettre en place des mesures raisonnables protégeant l’environnement, même si celles-ci sont discriminatoires, elles peuvent être justifiées. Cependant, la compréhension dont peut faire preuve la Cour pour les motifs environnementaux s’achève dès lors qu’est atteint le contenu essentiel de la liberté de circulation. La plupart des droits fondamentaux et toutes les libertés fondamentales peuvent connaître une limitation, mais ils ne peuvent jamais être complètement niés. L’exemple le plus clair est offert par un ancien arrêt, dit, bouteilles danoises. Le Danemark avait institué un système obligatoire de reprise des emballages de bières et de boissons rafraîchissantes. Afin que ce système soit viable, la commercialisation devait se faire uniquement dans des emballages susceptibles d’être réutilisés, limités à une trentaine en tout. Une agence nationale validait les contenants qui répondaient à cette condition. Elle pouvait refuser un agrément, entre autres, si un emballage d’égal volume, accessible et adapté à la même utilisation, avait déjà été agréé. Une dérogation existait pour une commercialisation de boisson limitée à 3 000 hl par producteur et par an, dont les emballages étaient néanmoins soumis à un système de consigne et reprise.

    La Cour rappelle d’abord que l’environnement permet de justifier une mesure restrictive. En ce qui concerne un gros importateur, la Cour constate seulement que cette mesure « entraînerait pour lui des frais supplémentaires importants et rendrait donc très difficile l’importation de ses produits dans le pays » (101). Elle conclut donc qu’elle ne peut pas être justifiée. La dérogation n’est pas suffisante pour renverser cette appréciation. Elle supposait en effet, pour qu’un système de consigne et de reprise existât, que les emballages fussent « rendus uniquement chez le détaillant qui a vendu les boissons » (102). Celui-ci ayant un effet extrêmement restrictif sur les échanges, alors qu’il permet une protection effective de l’environnement, il n’aurait pu être proportionné que s’il n’avait pas prévu de limitation quantitative (103).

    Cet arrêt a souvent été interprété comme l’une des plus claires utilisations en droit de l’Union du test de proportionnalité au sens strict (troisième niveau du test, après l’aptitude et la nécessité) (104). Cette interprétation semble erronée. Si l’Avocat général raisonne bien explicitement ainsi (105), ce ne semble pas être le cas de la Cour. Premièrement, cette dernière ne traite pas explicitement le test de la nécessité, qui précède le test de la proportionnalité au sens strict. L’extrait souvent cité (106) ne concerne pas l’existence d’une mesure moins restrictive et tout aussi efficace à l’interdiction principale, mais l’évaluation de la restriction particulièrement forte qui pèse sur les importateurs qui souhaitent bénéficier de la dérogation. Secondement, la proportionnalité au sens strict suppose la mise en balance de deux valeurs reconnues par l’Union. En l’espèce, la Cour ne met pas expressément en balance l’environnement et la libre circulation. Elle constate d’abord que l’interdiction principale rend très difficile les importations (pt. 17), puis ensuite confirme cette conclusion après avoir souligné l’insuffisance de la dérogation (pt. 21). Il semble donc possible de conclure que la mesure est disproportionnée, car elle ne respecte pas le contenu essentiel de la liberté restreinte – un critère qui précède les critères de l’aptitude, de la nécessité et de la proportionnalité stricto sensu.

    La Cour semble admettre la légalité d’une restriction à la libre circulation sur le fondement de l’objectif de protection de l’environnement, pour autant que celle-ci ne soit pas tout à fait annihilée. Si les États membres souhaitent maintenir une telle mesure, ils doivent dès lors proposer des alternatives efficaces et viables aux importateurs. Le contrôle est alors extrêmement intensif, ainsi que l’illustre l’arrêt susmentionné sur l’interdiction sectorielle de circulation des camions (§11). Son cadre dogmatique demeure néanmoins flou. L’Autriche constitue la principale voie transalpine de circulation des marchandises (107). Y restreindre la circulation des camions revient à élever une barrière très difficilement franchissable pour le commerce entre des Etats comme l’Italie et l’Allemagne. Même si une dérogation permet aux produits européens d’atteindre les localités autrichiennes, pris dans son ensemble, cette mesure empêche radicalement la formation d’un marché unique sans frontière. La Cour a été extrêmement stricte dans son contrôle et a estimé que les alternatives possibles n’avaient pas été suffisamment étudiées. Elle a, en conséquence, déclaré la mesure non nécessaire. Il est difficile de ne pas être critique à la lecture de l’arrêt (108), en particulier parce que le principe de diligence sur lequel la Cour se fonde pour déclarer la mesure illégale est difficilement acceptable (109/110). Ensuite, la véritable question qui semble juridiquement se poser à ce moment de l’analyse est la mise en balance de deux valeurs, l’environnement et la libre circulation. En effet, l’alternative que propose la Commission est moins protectrice que la mesure adoptée par l’Autriche. Autrement dit, la libre circulation impose-t-elle une diminution des exigences environnementales ? (111) La Cour semble échapper à cette question en utilisant le principe de diligence. Sa nature procédurale permet de ne pas prendre position sur le fond d’un problème — au moins en apparence. Il aurait certainement été préférable de retenir que le contenu essentiel du droit de libre circulation était violé.

    Ce dernier arrêt permet de confirmer que le pouvoir discrétionnaire demeure la clef de compréhension du droit à un environnement sain, en droit de l’Union. Par le développement de ce droit, la Cour a permis aux Etats membres d’exercer un pouvoir normatif important. Celui-ci est néanmoins limité par l’obligation de respecter le contenu essentiel du droit à la libre circulation. Dans le cas échéant, l’État membre doit proposer des alternatives crédibles, afin de permettre aux opérateurs économiques de continuer à exercer leur liberté de circulation. Si la question demeure trop politique, la Cour semble chercher à ne pas intervenir au fond. Si l’Autriche est une voie de transit essentielle du marché intérieur et que cela entraîne des externalités négatives pour les citoyens de l’Union qui habitent dans les zones concernées, des choix politiques s’imposent, tels que le développement du rail. La Cour a légitimement pu estimer que ces choix relevaient des institutions politiques de l’Autriche et de l’Union. Elle a donc, encore une fois, essayé d’échapper à une prise de position politique. Néanmoins, son absence de choix a pu apparaître comme un choix en faveur de la libre circulation, au détriment de la protection de l’environnement. 

    2. Une pondération contrainte par le droit dérivé

    Le droit dérivé restreint la marge d’appréciation des Etats membres. L’harmonisation suppose une discipline commune. Il ne peut donc y être dérogé que dans les conditions établies par le texte de droit dérivé. Celles-ci sont, le plus souvent, précises et rigoureuses. La Cour n’a pas cherché, par sa jurisprudence, à assouplir ces normes adoptées par les représentants des citoyens de l’Union et par les États membres. L’objectif d’un marché intérieur uni, ayant dépassé la fragmentation réglementaire, trouve alors souvent préséance sur les objectifs environnementaux. La réglementation sur les OGM offre un bon exemple de cette situation.

    § 13. L’article 114, §5 et §6, TFUE

    L’article 114, §5, TFUE permet à un État membre, après l’adoption d’une mesure d’harmonisation, d’introduire des dispositions nationales qu’il estime nécessaires. Cette dérogation est soumise à des conditions rigoureuses. Les mesures étatiques doivent être « basées sur des preuves scientifiques nouvelles relatives à la protection de l’environnement ou du milieu de travail ». Ensuite, elles doivent concerner « un problème spécifique de cet État membre » qui a surgi « après l’adoption de la mesure d’harmonisation ». Enfin, les mesures doivent être notifiées à la Commission pour approbation. Cette dernière dispose de six mois en principe, prorogeable jusqu’à six mois à raison de la complexité d’un problème donné, pour vérifier si les conditions du paragraphe 5 sont remplies (112) et si la mesure ne crée pas une entrave injustifiée (article 114, §6, TFUE). En l’absence de réponse dans ces délais, la mesure est présumée acceptée (113).

    L’Autriche a cherché à bénéficier de cette dérogation, afin d’échapper aux obligations de la directive 2001/18/CE relative à la dissémination volontaire d’organismes génétiquement modifiés dans l’environnement. Cet État a notifié à la Commission une mesure visant à prohiber la culture de semences et de plants composés d’OGM ou en contenant. Cette dernière a consulté l’EFSA sur le caractère probant des éléments scientifiques invoqués. L’avis rendu a conclu que ceux-ci ne contenaient aucune preuve scientifique nouvelle et ne concernaient pas un problème spécifique à une région autrichienne. La Commission a donc refusé le bénéfice de la dérogation. 

    Le Tribunal commence par rappeler que la charge de la preuve pèse sur l’Autriche. Il lui incombait « de démontrer, sur la base de preuves scientifiques nouvelles, que le niveau de protection de l’environnement assuré par la directive 2001/18 n’était pas acceptable compte tenu d’un problème spécifique à cet État membre et ayant surgi après l’adoption » (114) de celle-ci. En l’espèce, la petite taille des exploitations agricoles et l’importance de l’agriculture biologique ne peuvent pas constituer des éléments spécifiques au Land Oberösterreich, étant des caractéristiques communes, présentes dans tous les États membres (115). La Commission a fait siennes les conclusions de l’EFSA, ayant estimé que rien ne permettait d’établir que cette région possédait « des écosystèmes particuliers ou exceptionnels, nécessitant une évaluation des risques distincte de celles menées pour l’Autriche dans son ensemble ou pour d’autres régions similaires d’Europe » (116). Les conditions posées par l’article 114, §5, étant cumulatives, le Tribunal a jugé qu’il y avait lieu de rejeter le recours. La Cour a confirmé cet arrêt (117).

    Peu d’arrêts concernent l’application de cette clause dérogatoire. N. de Sadeleer estime que la Commission doit respecter le principe de précaution lorsqu’elle évalue le respect des conditions de cet article (118). Il se fonde, premièrement, sur le fait que le principe de précaution constitue une obligation transversale. Secondement, la Cour semble estimer que l’analyse des risques fournie par l’Etat doit être scientifiquement solide, mais non nécessairement fondée sur un consensus. Elle justifie cette position sur le fondement de « l’incertitude inhérente à l’évaluation des risques posés à la santé publique […] » (119). La Cour n’a pas pris position sur cette question dans le cadre d’un litige concernant l’application de l’article 114 TFUE. Elle a confirmé cette interprétation, tout en la précisant dans le cadre des mesures d’urgence fondées sur la réglementation OGM de l’Union.

    § 14. Les clauses de sauvegarde

    Une clause de sauvegarde permet de déroger à l’application d’un texte de droit dérivé dans des conditions précises. Certaines dispositions de la directive 2001/18 auraient pu permettre de contourner les conditions de la clause de sauvegarde qu’elle contient. La Cour a néanmoins fait une interprétation rigoureuse des dispositions en cause. L’article 26 bis, §1, de la directive prévoit que les Etats membres peuvent prendre des mesures nécessaires à assurer la coexistence des cultures, afin d’éviter la présence accidentelle d’OGM dans d’autres produits. Il semble impossible d’utiliser cette disposition pour interdire de façon absolue la mise en culture d’OGM, car il ne serait alors plus question d’assurer une coexistence entre différentes cultures. De même, la Cour a jugé qu’il est impossible d’interdire toute cultivation d’OGM en attendant l’adoption des plans régionaux devant assurer la coexistence des cultures, car cette attente « pourrait se prolonger indéfiniment dans le temps et constituer un moyen de contournement des procédures prévues » par les clauses de sauvegarde pertinentes (120).

    L’article 23 de la directive 2001/18, concernant la mise en culture d’OGM, prévoit une clause de sauvegarde assez proche, de par ses conditions, de l’article 114, §5, TFUE. La différence essentielle est que la Commission ne décide pas seule, mais est encadrée par une procédure comitologie (121). Cette disposition a, en outre, peu d’utilité, étant donné qu’elle cède le pas devant la procédure d’urgence prévue à l’article 34 du règlement 1829/2003 concernant les denrées alimentaires et les aliments pour animaux génétiquement modifiés. Tel est le cas si un OGM a d’abord été autorisé sur le fondement de la directive afin d’être mis en culture, puis a été notifié sur le fondement du règlement en tant que produit existant, afin de pouvoir être commercialisé en tant qu’aliment (122). La Cour, par une interprétation stricte de l’article 20, paragraphe 5, du règlement n° 1829/2003 (123), empêche les Etats membres de recourir à la clause de sauvegarde de la directive. Une telle dérogation ne peut donc plus être obtenue que sur le fondement de l’article 34 du règlement n° 1829/2003, assurant quasiment la même protection. 

    En principe, l’article 34 a vocation à permettre une information rapide de la Commission et des autres États membres sur l’existence d’un risque, afin de suspendre ou de modifier d’urgence une autorisation. Elle vise donc à adopter une mesure qui s’applique au niveau de tous les États membres, au contraire de la clause de sauvegarde de la directive qui concerne uniquement le seul État membre qui l’adopte. Cependant, cet article 34 renvoie aux articles 53 et 54 du règlement 178/2002 (124) pour sa mise en œuvre. L’article 54, §1, permet à un État membre d’adopter des mesures conservatoires en attendant l’existence d’une décision commune au niveau de l’Union ou l’interdiction par la Commission de maintenir cette mesure conservatoire (125). L’article 34 du règlement n° 1829/2003 exige un niveau de preuve élevé. 

    Par décision du 22 avril 1998, la Commission a autorisé la mise sur le marché du maïs MON 810. Le 11 avril 2013, le gouvernement italien a demandé à la Commission de prendre les mesures d’urgence prévues à l’article 34 visant à interdire la culture de ce maïs. Il a utilisé le bénéfice de l’article 54 du règlement 178/2002 afin d’appliquer immédiatement une mesure de sauvegarde sur son territoire. Le problème de droit concernait le niveau de preuve. Lorsque l’État membre adopte une mesure conservatoire sur le fondement de l’article 54 du règlement 178/2002, doit-il prouver que les critères établis par l’article 34 du règlement sont remplis ou peut-il se fonder seulement sur le principe de précaution, consacré à l’article 7 du règlement 178/2002 ? La Cour constate d’abord que le principe de précaution est bien applicable (126). Elle ajoute cependant immédiatement après, que « ce principe ne saurait être interprété en ce sens qu’il permet d’écarter ou de modifier, en particulier en les assouplissant, les dispositions prévues à l’article 34 du règlement n° 1829/2003 » (127). Le niveau de preuve, nettement plus élevé, de l’article 34 s’applique donc. Alors que le principe de précaution se suffit de la possibilité d’effets nocifs, l’article 34 suppose que le produit soit « de toute évidence » susceptible de présenter un risque « grave » pour la santé humaine, la santé animale ou l’environnement (128). En outre, ce risque doit être constaté sur la base d’éléments nouveaux reposant sur des données scientifiques fiables (129). Il demeure encore assez difficile d’interpréter les critères posés par la Cour. 

    Comment respecter à la fois le principe de précaution, tout en soumettant les clauses de sauvegarde à la preuve qu’un produit met « en péril de façon manifeste la santé humaine, la santé animale ou l’environnement » (130) ? Le raisonnement de la Cour repose sur une présomption de légalité. Premièrement, à moins de prouver la violation du principe de précaution par une disposition de droit dérivé, ce dernier principe ne permet pas de s’affranchir du droit existant. Secondement, l’article 34 est censé intervenir seulement après qu’une procédure d’autorisation d’un OGM a été accomplie à son terme et a conduit à autoriser ce dernier. L’Union devant respecter le principe de précaution lorsqu’elle adopte les règles établissant la procédure de mise sur le marché d’un produit (§§8 et 23), dès lors qu’un tel produit à été autorisé aux termes d’une telle procédure, il doit en principe être supposé que cette autorisation a été délivrée conformément au principe de précaution (131). La Cour semble confirmer une telle lecture (132).

    §§15-16

    La stratégie de la Cour semble donc premièrement viser à respecter le pouvoir d’appréciation discrétionnaire des institutions de l’Union en ne contrôlant pas de façon frontale celui-ci. Elle a ainsi évité d’élaborer un droit à un environnement sain doté d’une véritable force normative. De même, elle cherche à respecter le pouvoir d’appréciation des Etats membres, bien que ceux-ci ne disposent pas de la même liberté que les institutions de l’Union, étant étroitement limités par les libertés de circulation. Le second élément de sa stratégie semble être caractérisé par la volonté de ne pas permettre de déroger aux textes applicables sur le fondement d’un principe environnemental. Il constitue une conséquence du précédent. Faire respecter le droit primaire et le droit dérivé, même aux États membres, représente la seule application du pouvoir d’appréciation qu’ils ont exercé. Cependant, si la Cour ne se permet pas d’écarter l’application du droit dérivé, elle se permet de l’amplifier, par une interprétation constructive. En outre, elle impose certaines obligations procédurales aux institutions de l’Union, afin d’assurer la protection de l’environnement. Si un activisme de la Cour devait être caractérisé dans le domaine en cause, celui-ci serait indirect. Il conduirait à imposer des obligations procédurales qui participeraient seulement indirectement à la protection de l’environnement et renforceraient seulement des obligations prévues par des actes de droit dérivé.

    Article rédigé par James Corne, membre de Notre Affaire à Tous (133)

    Notes

    1.  Traité sur l’Union européenne
    2.  Traité sur le fonctionnement de l’UE
    3.  Le droit dérivé, par opposition au droit primaire qui désigne les traités sur lesquels est fondée l’UE (l’équivalent du droit constitutionnel national), désigne les normes législatives et réglementaires adoptées par les institutions.
    4.  Cela signifie que les États membres sont compétents pour adopter des normes pour autant et aussi longtemps que l’UE n’est pas intervenue en adoptant des normes de droit dérivé spécifique. Les Etats membres doivent, dans ce cas, respecter ces normes et ne peuvent donc plus intervenir.
    5.  L’UE ne peut adopter une norme législative que si elle dispose d’une compétence. La base juridique définit les objectifs que doit poursuivre l’UE pour mettre en œuvre sa compétence. Elle définit aussi la procédure (procédure législative ordinaire ou spéciale) et l’instrument (directive ou règlement) que le législateur doit utiliser.
    6.   Directive 2001/42/CE du Parlement européen et du Conseil du 27 juin 2001 relative à l’évaluation des incidences de certains plans et programmes sur l’environnement ; Directive 2011/92/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 concernant l’évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement
    7.  Directive 92/43/CEE du Conseil concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages 
    8.  Directive 2003/4/CE du Parlement européen et du Conseil du 28 janvier 2003 concernant l’accès du public à l’information en matière d’environnement et abrogeant la directive 90/313/CEE du Conseil ; Règlement (CE) n° 1367/2006 du Parlement européen et du Conseil du 6 septembre 2006 concernant l’application aux institutions et organes de la Communauté européenne des dispositions de la convention d’Aarhus sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement
    9.  Règlement (CE) n° 66/2010 du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2009 établissant le label écologique de l’UE
    10.  Directive 2004/35/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 avril 2004 sur la responsabilité environnementale en ce qui concerne la prévention et la réparation des dommages environnementaux
    11.  Directive 2003/87/CE établissant un système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre dans l’Union européenne (UE) ; Directive 2010/75/UE du Parlement européen et du Conseil du 24 novembre 2010 relative aux émissions industrielles (prévention et réduction intégrées de la pollution)  ; Directive (EU) 2016/2284 du Parlement européen et du Conseil du 14 décembre 2016 concernant la réduction des émissions nationales de certains polluants atmosphériques ; 
    12.  En présence d’une telle nature de compétence, les actes adoptés par l’UE « ne peuvent pas comporter d’harmonisation des dispositions législatives et réglementaires des États membres. » (article 2, §5, second alinéa TFUE)
    13.  Voir, par ex., S. Foucart, Et le monde devint silencieux, Seuil, 2019
    14.  Par ex. CJCE, grande chambre, 14 juillet 1998, Safety Hi-Tech Srl, aff. C-284/95, pt. 37
    15.  CJUE, 22 mai 2014, Glatzel, aff. C‑356/12, pt. 78
    16.  Une norme ne peut être invoquée devant le juge de l’Union que si elle est dotée d’une clarté, d’une précision et d’une inconditionnalité suffisante.
    17.  Désigne l’invocation, par un particulier, de l’effet direct d’une norme à l’encontre d’un autre particulier.
    18.  Un État membre qui n’a pas transposé dans les délais une directive de l’Union a violé ses obligations. S’il est débiteur des droits prévus par la directive et que ceux-ci sont suffisamment précis, des particuliers pourront exiger leur mise en œuvre immédiate. En revanche, un particulier ne peut demander à un autre particulier de respecter une directive qui n’est pas transposée, même si le délai de transposition est échu.
    19.  Conclusions sous CJUE, grande chambre, 15 janvier 2014, Association de médiation sociale, aff. C‑176/12, pt. 71
    20.  CJUE, grande chambre, 15 janvier 2014, Association de médiation sociale, aff. C‑176/12, pt. 49
    21.  Ordonnance du Tribunal, 28 septembre 2016, PAN Europe, aff. T‑600/15,  pts. 47-48
    22.  CJUE, 21 décembre 2016, Associazione Italia Nostra Onlus, aff. C‑444/15, pt. 63
    23.  CJUE, 13 mars 2019, Pologne c. Parlement européen et Conseil, aff. C-128/17, pts. 130-131
    24.  CJUE, grande chambre, 26 février 2013, Åkerberg Fransson, aff. C-617/10, pts. 16-31 ; CJUE, 6 mars 2014, Cruciano Siragusa, aff. C‑206/13, pts. 25 et 29
    25.  CJCE, 14 juillet 1994, Matteo Peralta, aff. C-379/92, pt. 57
    26.  CJUE, grande chambre, 9 mars 2010, Raffinerie Méditerranée (ERG) SpA, aff. C‑378/08, pt. 46 ; CJUE, grande chambre, 9 mars 2010, Raffinerie Méditerranée (ERG) SpA, aff. Jointes C‑379/08 et C‑380/08, pt. 39 ; CJUE, 13 juillet 2017, Túrkevei Tejtermelő Kft, aff. C-129/16, pts. 37-38
    27.  Par ex. V. Michel, « […] C-378/08, ERG SpA […] », Europe n° 5, Mai 2010, comm. 178 
    28.  C’est-à-dire, une obligation imposée par l’Etat sur un particulier.
    29.  CJUE, 4 mars 2015, Fipa Group Srl e.a., aff. C-534/13, pt. 41
    30.  Conclusions de l’Avocate générale Kokott, sous CJUE, 3 octobre 2019, Wasserleitungsverband Nördliches Burgenland e.a., aff. C-197/18, pt. 98
    31.  CJUE, grande chambre, 1er octobre 2019, Mathieu Blaise, aff. C-616/17, pt. 43
    32.  Article 6, §2, de la directive 2008/98
    33.  Article 6, §4, de la directive 2008/98
    34.  CJUE, 24 octobre 2019, Prato Nevoso Termo Energy Srl, aff. C‑212/18, pt. 34
    35.  Idem, pt. 42
    36.  La Cour précise qu’il convient, en outre, de comparer les risques que font peser la substance en cause en tant que déchet ou en tant que produit recyclé pour un autre usage. Si le bilan est positif et que les risques apparaissent raisonnables, il peut perdre son statut de déchet. En revanche, le fait que d’autres produits utilisés en tant qu’incinérateur soient plus polluants que le déchet recyclé en cause n’est pas pertinent. Idem, pts. 54-55
    37.  Idem, pts. 57-58
    38.  CJUE, 10 octobre 2019, Luonnonsuojeluyhdistys Tapiola, aff. C‑674/17, pt. 66 ; voir aussi la note 23 des conclusions de l’Avocat général Saugmandsgaard Øe sous cet arrêt.
    39.  Conclusions, au-dessus de CJCE, 31 mars 1992, Hamlin Electronics GmbH, aff. C-338/90, Rec. p. 2347, 2346, pt. 29
    40.  « Commentaire de l’Acte unique européen en matière d’environnement », Revue Juridique de l’Environnement, n°1, 1988, pp.75-90, pp. 79-80. Texte élaboré à Bonn le 19 mars 1987 par la Conseil européen du droit de l’environnement.
    41.  C’est-à-dire de compétence. 
    42.  Tribunal, 7 mars 2013, Pologne c. Commission, aff. T-370/11, pt. 109
    43.  Tribunal, 4 avril 2019, ClientEarth c. Commission, aff. T‑108/17, pt. 284 : « Or, premièrement, il y a lieu de relever que le principe de précaution, tel que prévu à l’article 191, paragraphe 2, TFUE, s’adresse à l’action de l’Union et qu’il ne peut être interprété en ce sens qu’une institution de l’Union est tenue, sur le fondement de ce principe, d’adopter une mesure précise, telle que le refus d’une autorisation envisagé par la requérante. En effet, cette disposition se borne à définir les objectifs généraux de l’Union en matière d’environnement dans la mesure où l’article 192 TFUE confie au Parlement européen et au Conseil de l’Union européenne, statuant conformément à la procédure législative ordinaire, le soin de décider de l’action à entreprendre en vue de réaliser ces objectifs. De plus, s’il est vrai que ce principe peut justifier l’adoption d’une mesure restrictive par une institution, il n’en reste pas moins qu’il ne l’impose pas. » Cette expression est très proche de celle utilisée dans l’arrêt Glatzel (§1), concernant la distinction entre les « droits » et les « principes » de la Charte.
    44.  Voir implicitement l’argumentation de la Pologne, dans CJUE, 13 mars 2019, Pologne c. Parlement européen et Conseil, aff. C‑128/17, pts. 119-148, concernant le  principe de proportionnalité lu à la lumière de l’objectif d’un développement équilibré des régions de l’Union.
    45.  CJCE, 29 avril 1999, Standley e.a. et Metson e.a., aff. C-293/97, pts. 52-53. La juridiction de renvoi demander à la Cour si une directive était légale au regard du principe de proportionnalité, celui du pollueur-payeur, ainsi que le droit fondamental de propriété des agriculteurs concernés.
    46.  Conclusions, sous CJUE, 8 juillet 2010, Afton Chemical Limited, aff. C-343/09, pt. 54 ; Voir aussi les conclusions de l’Avocate générale Sharpston, sous CJUE, grande chambre, 1er octobre 2019, Mathieu Blaise, aff. C-616/17, pt. 49
    47.  Par ex. CJCE, 13 novembre 1990, Fedesa e.a., aff. C-331/88,  Rec. pp. 4057, 4064, pt. 17 ; CJCE, 15 décembre 2005, République hellénique c. Commission, aff. C-86/03, pt. 96 ; CJCE, grande chambre, 16 décembre 2008, Société Arcelor Atlantique et Lorraine e.a., affaire C‑127/07, pt. 59
    48.  CJCE, grande chambre, 8 avril 1976, Defrenne, 43/75, Rec. p. 456, 475-476
    49.  CJCE, grande chambre, 5 février 1963, van Gend & Loos, 26/62, Rec p. 7, 23
    50.  Par exemple, CJCE, grande chambre, 22 novembre 2005, Mangold, aff. C-144/04 ; CJUE, grande chambre, 11 décembre 2007, Viking Line, aff. C‑438/05 ; CJUE, grande chambre, 22 janvier 2019, Cresco Investigation, aff. C-193/17
    51.  K. Lenaerts & J. A. Gutierrez-Fons, « The constitutional allocation of powers and general principles of EU law »,  Common Market Law Review, vol. 47, n° 6, 2010, pp. 1629-1669, sp. pp. 1649, 1662-1666
    52.  CJCE, grande chambre, 14 juillet 1998, Safety Hi-Tech Srl, aff. C-284/95, pt. 49 ; CJUE, 21 décembre 2016, Associazione Italia Nostra Onlus, aff. C‑444/15, pt. 44 ; CJUE, 13 mars 2019, Pologne c. Parlement européen et Conseil, aff. C-128/17, pt. 132
    53.  Ibidem
    54.  CJCE, grande chambre, 14 juillet 1998, Safety Hi-Tech Srl, aff. C-284/95, pt. 54
    55.  Idem, pt. 59
    56.  Pour rappel, ce principe est composé de trois tests : aptitude, nécessité et proportionnalité au sens strict ou stricto sensu.
    57.  CJUE, 21 décembre 2016, Associazione Italia Nostra Onlus, aff. C‑444/15, pt. 54
    58.  CJUE, 27 octobre 2016, Patrice D’Oultremont e.a., affaire C-290/15, pt. 40 ; CJUE, 7 juin 2018, Inter-Environnement Bruxelles e.a., Affaire C-671/16, pt. 34
    59.  CJUE, 21 décembre 2016, Associazione Italia Nostra Onlus, aff. C‑444/15, pt. 59
    60.  Règlement (CE) no 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 21 octobre 2009, concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques
    61.  CJUE, grande chambre, 1er octobre 2019, Mathieu Blaise, aff. C-616/17, pt. 42 
    62.  Idem, sp. pt. 45
    63.  Idem, pt. 49
    64.  Idem, pt. 68 
    65.  Idem, pt. 75
    66.  Par exigence de neutralité, je me permets de renvoyer à une critique de cette association, faite par des anciens employés. Le Grimm,  Nous n’irons plus pointer chez Gaïa, Édt du Bout De La Ville, 2017
    67.  Elle se distingue nettement par un ou plusieurs caractères importants de toute autre variété connue dans l’Union.
    68.  Une variété est stable si, à la suite de ses reproductions ou multiplications successives ou à la fin de chaque cycle, lorsque l’obtenteur a défini un cycle particulier de reproductions ou de multiplications, elle reste conforme à la définition de ses caractères essentiels.
    69.  Les plantes qui composent une variété sont, compte tenu des particularités du système de reproduction des plantes, semblables ou génétiquement identiques pour l’ensemble des caractères retenus à cet effet.
    70.  Conclusions de l’Avocate générale Kokott, sous CJUE, 12 juillet 2012, Association Kokopelli, aff. C‑59/11, pt. 45
    71.  Idem, pts. 99-102
    72.  CJUE, 12 juillet 2012, Association Kokopelli, aff. C‑59/11, pt. 45
    73.  Idem, pt. 47
    74.  Idem, pt. 49
    75.  Idem, pts. 54-57
    76.  Idem, pt. 60
    77.  Idem, pt. 61
    78.  Voir par exemple, M. H. Semedo, Directrice générale adjointe de la FAO, « La perte de la biodiversité compromet la capacité de l’homme à se nourrir par lui-même », LeMonde, publié le 29 mars 2019 ; J. Bélanger & D. Pilling (eds.), The State of the World’s Biodiversity for Food and Agriculture, FAO Commission on Genetic Resources for Food and Agriculture Assessments, 2019
    79.  Conclusions, pts. 2 et 84
    80.  CJUE, idem, pt. 64
    81.  Conclusions,  pt. 92
    82.  Idem, pt. 90
    83.  Idem, pt. 84
    84.  Y. Petit écrit ainsi « On ne peut qu’être sceptique face à cette affirmation quelque peu surannée, d’autant plus que laCour a su développer une jurisprudence beaucoup plus progressiste relative aux objectifs de la P.A.C., notamment dans l’affaire des hormones et à l’occasion du contentieux lié à l’embargo sur la viande bovine britannique, à la suite de la crise de la ‘‘vache folle.’’ » Il se réfère à CJCE, 23 février 1988, Royaume-Uni c. Conseil, aff. 66/86, Rec. p. 855 et à CJCE, 5 mai 1998, Royaume-Uni c. Conseil, C-180/96, Rec. p. I-2265. Y. Petit, « Arrêt « Kokopelli« : la commercialisation des semences de légumes traditionnels et la préservation de la biodiversité », Journal de droit européen 2012, nº 194 pp. 297-298
    85.  J. Kokott et Ch. Sobotta, « The Evolution of the Principle of Proportionality in EU Law-Towards an Anticipative Understanding? », in : S. Vogenauer et S. Weatherill (dir.), General Principles of Law – European and Comparative Perspectives, Hart Publishing, 2017, pp. 167-177, p. 171
    86.  CJCE, 13 novembre 1990, Fedesa e.a., aff. C-331/88,  Rec. pp. 4057, 4064, pt. 17
    87.  CJCE, 15 décembre 2005, République hellénique c. Commission, aff. C-86/03, pt. 96
    88.  CJUE, grande chambre, 23 octobre 2012, Nelson, aff. jointes C‑581/10 et C‑629/10, pt. 81
    89.  CJCE, grande chambre, 8 juin 2010, Vodafone, aff. C‑58/08, pt. 53 ; CJUE, 4 mai 2016, République de Pologne c. Parlement et Conseil, aff. C‑358/14, pt. 57
    90.  Sur cette question voir N. de Sadeleer, Environmental Law Internal Market, OUP, 2015. Voir aussi les thèses de Cl. Vial, Protection de l’environnement et libre circulation des marchandises, Bruylant, 2006 et J. Nowag, Environmental integration in competition and free-movement laws, OUP, 2016
    91.  CJCE, grande chambre, 7 février 1985, Association de défense des brûleurs d’huiles usagées (ADBHU), aff. 240/83, Rec. p. 538, 549
    92.  Conclusions, sous CJCE, 11 juillet 1996, Royal Society for the Protection of Birds, aff. C-44/95, pt. 44
    93.  La Cour qualifie l’électricité de marchandise et non de service.
    94.  CJCE, grande chambre, 13 mars 2001, PreussenElektra AG, aff. C-379/98, pt. 73
    95.  Idem, pt. 79
    96.  CJUE, grande chambre, 1er juillet 2014, Ålands Vindkraft AB, aff. C-573/12, pt. 92
    97.  CJCE, grande chambre, 13 mars 2001, PreussenElektra AG, aff. C-379/98, pt. 75
    98.  CJCE, grande chambre, 12 juin 2003, Schmidberger, aff. C-112/00 ; CJCE, grande chambre, 15 novembre 2005  Commission c. République d’Autriche, aff. C-320/03. La question de la pollution due aux camions transitant par son territoire avait fait l’objet d’un protocole lors de l’adhésion de l’Autriche en 1995. Cet État espérait qu’en 2004 les mesures de l’Union seraient suffisantes pour assurer aux populations riveraines une protection élevée. Sur cette question, voir H.-C. Ignaz Seidl-Hohenveldern, « L’Union européenne et le transit de marchandises par rail et par route à travers l’Autriche », Revue du Marché commun et de l’Union européenne, 1995, p. 380 
    99.  CJUE, grande chambre, 21 décembre 2011, Commission c. République d’Autriche, aff. C‑28/09, pt. 122
    100.  Conclusions, sous CJUE, 11 septembre 2014, Essent Belgium, aff. jointes C-204/12 à C-208/12, pt. 91. Voir aussi les conclusions de l’Avocate générale Trstenjak, sous CJUE, grande chambre, 21 décembre 2011, Commission c. République d’Autriche, aff. C‑28/09, pts. 82-91, qui, tout en acceptant la justification d’une mesure discriminatoire par un objectif de protection de l’environnement, note néanmoins qu’« il y a lieu de considérer que le caractère discriminatoire d’une mesure restreignant la libre circulation des marchandises peut être pris en compte dans le cadre de l’examen de la proportionnalité, ces mesures pouvant faire l’objet d’un examen plus strict au regard de leur nécessité et de leur adéquation en particulier. » (pt. 91)
    101.  CJCE, grande chambre, 20 septembre 1988, Commission c. Danemark, aff. 302/86, Rec. p. 4627, 4631, pt. 17
    102.  Idem, Rec. p. 4632, pt. 20
    103.  Idem, pt. 21
    104.  Par ex. J. Snell, « True Proportionality and free Movement of goods and services », European Business Law Review, vol.11, n° 1,2000, pp. 50-57, p. 53
    105.  « Toutefois, il ne nous semble pas que le Danemark doive l’emporter dans cette affaire si la Commissionne peut pas démontrer que le même degré peut être atteint par d’autres moyens spécifiques. Il doit y avoir une pondération d’intérêts entre la libre circulation des marchandises et la protection de l’environnement, même si, pour atteindre le point d’équilibre, le degré élevé de protection recherché doit être réduit. » Conclusions de l’Avocat général Slynn, publiées au-dessus de CJCE, grande chambre, 20 septembre 1988, Commission c. Danemark, aff. 302/86, Rec. p. 4627, 4625
    106.  « A cet égard, il y a lieu d’observer que, certes, le système de reprise existant pour les emballages agréés garantit un taux maximal de réutilisation, et donc une protection très sensible de l’environnement, du fait que les emballages vides peuvent être rendus chez n’importe quel détaillant de boissons, alors que les emballages non agréés, compte tenu de l’impossibilité de mettre en place pour eux aussi une organisation aussi complète, peuvent être rendus uniquement chez le détaillant qui a vendu les boissons. » (Rec. p. 4632, pt. 20)
    107.  DG MOVE  de la Commission européenne et Office fédéral des transports de la Confédération suisse, « Observation et analyse des flux de transports de marchandises transalpins — Rapport annuel 2017 », mai 2019 En 1999 : 80 millions de tonnes pour l’Autriche,  40 millions pour la France, 20 millions pour le Suisse et  en 1999. Alors que pour ces deux derniers États, les chiffres sont restés stables, en 2017, près de 140 millions de tonnes de marchandises circulaient par l’Autriche (p. 17). Il est à noter que le rail n’a quasiment pas augmenté en tonnes de marchandises transportées, alors qu’il est moins polluant (p. i).
    108.  E. Spaventa, « Drinking Away Our Sorrows? », in : F. Amtenbrink, G. Davies, D. Kochenov, J. Lindeboom (edt.), The Internal Market and the Future of European Integration – Essays in Honour of Laurence W. Gormley, Cambridge University Press, 2019, pp. 188-199, ppt. 193-196
    109.  Plus généralement sur le principe de diligence, voir ma publication à venir « L’application du principe de diligence au législateur et aux personnes privées : principe transversal ou erreur de catégorie ? — Étude sur le principe de bonne administration en droit de l’UE. »
    110.  Premièrement, la mesure alternative était moins protectrice, ce que semble masquer la Cour en s’attachant uniquement à l’obligation de diligence. La mesure alternative qui n’a pas suffisamment été étudiée ne permettait qu’ « une réduction annuelle supplémentaire de 1,1 % des émissions de dioxyde d’azote dans la zone concernée, tandis que pour l’interdiction sectorielle de circuler une réduction de 1,5 % desdites émissions est avancée. » CJUE, grande chambre, 21 décembre 2011, Commission c. République d’Autriche, aff. C‑28/09, pt. 144 Secondement, le principe de diligence s’applique normalement antérieurement à l’examen des trois tests de la proportionnalité. Au contraire, la Cour l’utilise ici au stade de la nécessité.
    111.  Ce qui relève davantage de la nécessité au sens strict.
    112.  Elle doit examiner avec soin et impartialité l’ensemble des éléments pertinents. CJCE, grande chambre, 20 mars 2003, Royaume de Danemark c. Commission, aff. C-3/00, pt. 114 ; CJCE, 6 novembre 2008, Royaume des Pays-Bas c. Commission, aff. C‑405/07 P, pts. 55s
    113.  La décision doit être adoptée et communiquée dans ce délai : Tribunal, 9 décembre 2010, Pologne c. Commission, aff. T-69/08
    114.  Tribunal, 5 octobre 2005, Land Oberösterreich et Autriche c. Commission, aff. jointes T‑366/03 et T‑235/04, pt. 64
    115.  Idem, pt. 65 et 66
    116.  Idem, pt. 65
    117.  CJCE, 13 septembre 2007, Land Oberösterreich et Autriche c. Commission, aff. jointes C‑439/05 P et C‑454/05 P. La Cour a précisé qu’un problème spécifique ne devait pas nécessairement être « unique. » Malgré l’utilisation malencontreuse de ce terme par l’EFSA et la décision de la Commission, celles-ci l’ayant utilisé comme un synonyme de spécifique, aucune erreur de droit n’est à constater.
    118.  N. de Sadeleer, Environmental Law Internal Market, OUP, 2015, p. 368
    119.  Une telle procédure prévoit que les États membres décident. La Commission décide de la décision finale si les États membres n’ont réussi à adopter aucune décision. Voir le règlement n° 182/2011 du Parlement Européen et du Conseil du 16 février 2011 établissant les règles et principes généraux relatifs aux modalités de contrôle par les États membres de l’exercice des compétences d’exécution par la Commission
    120.  CJUE, 6 septembre 2012, Pioneer Hi Bred Italia Srl c. Ministero delle Politiche agricole alimentari e forestali, aff. C-36/11, pt. 73
    121.  Une telle procédure prévoit que les États membres décident. La Commission décide de la décision finale si les États membres n’ont réussi à adopter aucune décision. Voir le règlement n° 182/2011 du Parlement Européen et du Conseil du 16 février 2011 établissant les règles et principes généraux relatifs aux modalités de contrôle par les États membres de l’exercice des compétences d’exécution par la Commission
    122.  CJUE, 8 septembre 2011, Monsanto SAS c. Ministre de l’Agriculture et de la Pêche, aff. jointes C‑58/10 à C‑68/10, pts. 43-63
    123.  Idem, pt. 59
    124.  Règlement (CE) n° 178/2002 du Parlement européen et du Conseil du 28 janvier 2002 établissant les principes généraux et les prescriptions générales de la législation alimentaire, instituant l’Autorité européenne de sécurité des aliments et fixant des procédures relatives à la sécurité des denrées alimentaires
    125.  CJUE, 13 septembre 2017, Fidenato, aff. C-111/16, pts. 31-42
    126.  Idem, pt. 48
    127.  Idem, pt. 50
    128.  Idem, pt. 50
    129.  Idem, pt. 51
    130.  Cette interprétation de la Cour est conforme à la volonté des Etats membres, lorsqu’ils ont adopté la réglementation communautaire en matière d’OGM. Néanmoins, une réserve peut être certainement émise à l’encontre du critère du « manifeste », pour les raisons énoncés. 
    131.  CJUE, 13 septembre 2017, Fidenato, aff. C-111/16, pt. 52 : « Il convient en outre de relever que, ainsi que l’a indiqué M. l’avocat général aux points 74 à 76 de ses conclusions, la différence entre le niveau de risque requis par l’article 34 du règlement n° 1829/2003, d’une part, et par l’article 7 du règlement n° 178/2002, d’autre part, doit être appréhendée compte tenu de la mise en œuvre procédurale de ces dispositions, à savoir l’application de l’article 34 du règlement n° 1829/2003 aux produits autorisés par celui-ci et de l’article 7 du règlement n° 178/2002 à l’ensemble du domaine de la législation alimentaire, y compris aux produits qui n’ont jamais été soumis à une procédure d’autorisation. »
    132.  CJUE, 13 septembre 2017, Fidenato, aff. C-111/16, pt. 52 : « Il convient en outre de relever que, ainsi que l’a indiqué M. l’avocat général aux points 74 à 76 de ses conclusions, la différence entre le niveau de risque requis par l’article 34 du règlement n° 1829/2003, d’une part, et par l’article 7 du règlement n° 178/2002, d’autre part, doit être appréhendée compte tenu de la mise en œuvre procédurale de ces dispositions, à savoir l’application de l’article 34 du règlement n° 1829/2003 aux produits autorisés par celui-ci et de l’article 7 du règlement n° 178/2002 à l’ensemble du domaine de la législation alimentaire, y compris aux produits qui n’ont jamais été soumis à une procédure d’autorisation. »
    133.  Pour toute remarque ou critique : jamescorne@gmail.com
  • La Décision FIE contre Irlande : un important précédent pour la lutte contre le changement climatique ?

    Par Pauline Greiner, membre de Notre Affaire à Tous

    Introduction

    « Cette décision mémorable reconnaît le besoin pressant de répondre à l’urgence climatique et crée un précédent à suivre pour toutes les cours dans le monde » (1). 

    C’est ainsi que David R. Boyd, Rapporteur Spécial de l’ONU sur les droits de l’Homme et l’environnement qualifie la décision rendue le 31 juillet 2020 par la Cour Suprême d’Irlande, annulant le plan national d’atténuation des émissions de gaz à effet de serre (GES) du gouvernement irlandais (2) et contraignant celui-ci à en adopter un nouveau. 

    Ce plan, adopté en 2017 en application de la loi de 2015 sur l’Action Climatique et le Développement Bas Carbone (3) (ci-après « loi de 2015 »), est censé décrire les politiques mises en œuvre par le gouvernement sur la période 2017-2022 pour atteindre son « objectif national de transition » (ONT). Le plan est contesté après sa publication par l’association de protection environnementale Friends of the Irish Environment (FIE), qui le considère insuffisant et invoque la violation de droits constitutionnels tels que le droit à la vie, ainsi que d’un droit implicite à un environnement « compatible avec la dignité humaine », reconnu par la Haute Cour irlandaise un an auparavant (4). Plusieurs fois qualifiée « d’historique » (5), la victoire de FIE dans cette affaire est vue comme extrêmement encourageante pour l’évolution du contentieux climatique dans le monde. Pourtant, la décision ne reconnaît aucune violation des droits de l’Homme résultant de l’inaction climatique de l’État et écarte l’idée de l’existence du droit à un environnement sain. 

    Si la décision de la Cour Suprême dans l’affaire FIE contre Irlande crée indéniablement un important précédent, particulièrement à l’échelle de l’Irlande (I), elle conserve néanmoins quelques limites (II).

    L’annulation de l’acte administratif : un important précédent pour l’évolution du contentieux climatique

    La « justiciabilité » de l’acte était un point très contesté par l’État en première instance : l’acte administratif que constitue l’adoption du plan par le ministre est-il examinable par le juge ? En effet, en vertu du principe de séparation des pouvoirs, qui en droit irlandais comme en droit français est un principe à valeur constitutionnelle, le juge ne peut s’immiscer dans les décisions de politiques publiques du gouvernement sous prétexte que celles-ci ne sont « pas adaptées ». En première instance, le défendeur (l’État) avait souligné que le plan d’atténuation ne créait de droits ni n’imposait d’obligations et qu’il constituait donc un simple énoncé de politique gouvernementale non susceptible d’être examiné par le juge (6). La Haute Cour avait également conclu que la marge de discrétion laissée au gouvernement par la loi de 2015 pour la mise en œuvre de ses politiques de réduction des émissions de GES ne permettait pas au juge d’estimer que le plan était insuffisant au regard de cette même loi (7). Cependant, les juges de la Cour Suprême ont adopté une autre approche. En effet, l’article 4 de la loi de 2015 énonce quelques conditions précises que doit satisfaire un plan d’atténuation pour être valable. Ainsi, le respect de ces règles relève de l’obligation légale et non de la discrétion du ministre. Les juges estiment donc que le plan est « justiciable » et peut être examiné au regard de la loi de 2015 (8).

    Ce passage de la décision est important puisque désormais, en Irlande, il sera admis que les actes du gouvernement pris conformément à la loi de 2015 sur l’action climatique sont examinables par le juge. Il convient cependant de noter que cette loi ne pose pas d’exigences quant à la forme que devront prendre les politiques climatiques mises en place. 

    Puisqu’il s’agit d’évaluer le respect d’une obligation légale et non les choix politiques du gouvernement, les juges peuvent soumettre le plan à leur examen. L’article 4 de la loi de 2015 exige que le plan fournisse des détails quant à la manière dont le gouvernement se propose d’atteindre l’ONT sur la période donnée. La Cour Suprême utilise dans son analyse le standard, habituel en common law, de la « personne raisonnable » (9) pour évaluer la compatibilité du plan avec cette exigence de détail. Pour la Cour, le plan doit permettre à « une personne raisonnable et intéressée de juger de si le plan en question est réaliste et de savoir si elle approuve les choix de politiques mises en place pour atteindre l’Objectif National de Transition » (10). Elle constate alors que le plan d’atténuation se trouve « excessivement vague ou ambitieux » par endroits (11), l’empêchant d’atteindre le niveau de spécificité requis par la loi. C’est pour cette raison que la Cour Suprême décide de l’annuler.  

    Cette décision établit un important précédent, au moins au niveau national. Un plan d’action climatique, pour être valable, doit être suffisamment transparent et détaillé, car c’est ce qui permet au public d’évaluer concrètement l’efficacité des politiques mises en place par le gouvernement et éventuellement de chercher à engager sa responsabilité. Cette décision clarifie l’obligation qu’a l’État irlandais d’atteindre un niveau satisfaisant de spécificité et de transparence dans ses futurs plans d’atténuation. Il sera désormais impossible pour le gouvernement de n’émettre que des objectifs de long-terme vagues sans détailler les mesures qui permettront de les atteindre, tout en invoquant la marge de discrétion pour éviter l’annulation de l’acte.    

    La décision FIE constitue donc une première étape importante pour l’évolution du contentieux climatique en Irlande. En revanche, contrairement à ce que les requérants avaient pu espérer, elle ne passe pas le cap de la reconnaissance de la responsabilité de l’État pour violation des droits humains. Il convient donc d’examiner les limites de cette décision, qualifiée par beaucoup « d’historique ».

    Les limites de la décision FIE contre Irlande

    Malgré l’annulation de l’acte, la Cour Suprême a refusé de reconnaître la violation des droits humains protégés par la Constitution irlandaise et la Convention européenne des droits de l’Homme (CEDH), pour des raisons d’ordre purement procédural. En ce qui concerne les droits explicitement reconnus par la Constitution, FIE invoque la violation du droit à la vie (12) et du droit à l’intégrité physique (13). La Cour a bien reconnu que puisque l’acte était ultra vires (14) et allait être annulé, la question d’une potentielle violation des droits humains par ce même acte pouvait être examinée. Cependant, le fait que l’association FIE soit une personne morale ne bénéficiant pas elle-même de ces droits l’empêche de les invoquer puisqu’elle n’a alors pas intérêt à agir, même au nom de la population au sens large. En effet, ce mode d’action (l’actio populi) n’existe pas en droit constitutionnel irlandais. 

    En décembre 2019, dans la très similaire affaire Urgenda contre Pays-Bas (15), la Cour d’appel de la Haye avait reconnu que l’État, en adoptant une politique climatique ne respectant pas les recommandations du GIEC (16), agissait illégalement en violation des articles 2 (droit à la vie) et 8 (droit au respect de la vie privée et familiale) de la CEDH, ainsi que du « devoir de protection » (17) qui en découle (18). FIE s’est aussi vu refuser sa demande de reconnaître une violation de ces mêmes droits protégés par la CEDH puisque, là encore, les juges ont considéré qu’une personne morale ne pouvait revendiquer la violation de droits dont elle ne jouit pas. Cet aspect est donc vite écarté et la Cour n’évoque pas l’existence d’un « devoir de protection » de l’État contre le changement climatique qui découlerait de la CEDH. Les requérants se sont donc heurtés à un problème purement procédural, empêchant ces questions d’être abordées.

    Si la Cour Suprême semble là avoir « fermé la porte (…) aux ONG (…) revendiquant des droits constitutionnels personnels et des droits humains » (19), elle a en revanche indiqué qu’elle pourrait examiner de futurs recours similaires, portés par des personnes physiques qui estimeraient que leur droit à la vie, à l’intégrité physique ou même à la propriété privée (20) sont menacés (21). Ce passage est extrêmement important puisqu’il ouvre la voie à des contentieux de ce type en Irlande. Il faudra donc attendre de futurs litiges pour savoir si la responsabilité de l’État irlandais peut être engagée dans le cadre d’une politique climatique entraînant la violation de droits constitutionnels. En cela, l’arrêt FIE ne représente qu’une première étape pour l’évolution du contentieux climatique en Irlande.

    Dans l’affaire FIE, il n’a jamais été retenu par les juges que l’État agissait illégalement en violation d’un devoir ou de droits humains. La Cour n’enjoint pas non plus l’État à adopter des mesures spécifiques plus ambitieuses mais seulement à se soumettre à l’exigence de détail requis par la loi. De même, cette décision a été prise dans un contexte législatif et constitutionnel spécifique à l’Irlande et ne concerne qu’un plan visant la période 2017-2022, dont la durée de vie est donc désormais de moins de deux ans. Bien qu’il ne faille pas ignorer la notion de « dialogue des juges » et reconnaître l’influence que pourrait avoir cette décision sur de futurs contentieux climatiques dans le monde, notamment sur l’exigence de transparence dans l’élaboration de politiques climatiques, elle aura tout de même une portée limitée à l’international.

    En conclusion, cette décision est retentissante pour plusieurs raisons : pour la deuxième fois seulement, un gouvernement se voit contraint de modifier son plan d’action climatique à la suite d’une décision judiciaire. À l’échelle nationale, le précédent ainsi créé est extrêmement important puisque cette décision confirme la possibilité pour les juges irlandais d’examiner la validité de tout futur plan d’atténuation au regard de la loi sur l’action climatique de 2015. De même, il est désormais clair que ces plans devront contenir un niveau de détail permettant à la population de comprendre et d’évaluer les politiques mises en place pour atteindre l’ONT. Cette décision ayant prouvé qu’il est possible de contester, avec succès, un plan d’action climatique en raison de son manque de transparence, d’autres contentieux pourraient suivre dans le monde. En cela, la décision FIE est susceptible d’avoir une influence dépassant largement les frontières de l’Irlande.

    Cependant, bien qu’elle n’en écarte pas la possibilité dans un futur contentieux plus adapté, la décision ne reconnaît aucune violation des droits de l’Homme ni aucun devoir de protection de l’État contre le changement climatique, contrairement à ce qui avait été le cas aux Pays-Bas avec l’affaire Urgenda. Elle n’enjoint pas non plus l’État à adopter une politique climatique plus ambitieuse mais simplement à adopter un plan d’atténuation plus détaillé, dans le contexte spécifique de la loi sur l’action climatique de 2015. Si cette décision est extrêmement encourageante et représente une première étape indispensable pour l’évolution du contentieux climatique en Irlande, vu de l’étranger elle est principalement une victoire symbolique et une source d’inspiration pour les contentieux en cours et à venir.  

    Notes

    1.  « This landmark decision recognizes the urgency of responding to the climate emergency and sets a precedent for courts around the world to follow », Climate Case Ireland, ‘Amidst A Climate And Biodiversity Crisis, Hope Emerges: Friends Of The Irish Environment Win Historic ‘Climate Case Ireland’ In The Irish Supreme Court’ (2020) < https://www.climatecaseireland.ie/amidst-a-climate-and-biodiversity-crisis-hope-emerges-friends-of-the-irish-environment-win-historic-climate-case-ireland-in-the-irish-supreme-court/> (consulté le 19 septembre 2020)
    2.  Department of Communications, Climate Action & Environment, National Mitigation Plan (juillet 2020) 
    3.  House of the Oireachtais, Climate Action and Low Carbon Development Act, act 46 of 2015 (10 décembre 2015) 
    4.  Haute Cour, 21 novembre 2017, Merriman v Fingal County Council; Friends of the Irish Environment Clg v Fingal County Council, IEHC 695 
    5.  Voir par exemple Green News, « ‘It was just an incredible moment’ – reactions to the historic climate case ruling », 7 août 2020 [En ligne] https://greennews.ie/climate-case-win-reactions/ (consulté le 20 septembre 2020) ; Greta Thunberg, publication sur Twitter, 31 juillet 2020 [En ligne] https://twitter.com/gretathunberg/status/1289273895816531968 (consulté le 20 septembre 2020)
    6.  Haute Cour d’Irlande, 19 septembre 2019, Friends of the Irish Environment Clg v The Government of Ireland, Ireland and the Attorney General, IEHC 747, 42
    7.  Ibid, 97, 112, 113
    8.  Cour Suprême d’Irlande, 31 juillet 2020, Friends of the Irish Environment Clg v The Government of Ireland, Ireland and the Attorney General, 205/19, 8.15
    9.  Reasonable person
    10.  Supra (n 8) 9.2 
    11.  Ibid, 6.43
    12.  Constitution de l’Irlande, article 40
    13.  Ibid
    14.  C’est-à-dire en dehors des pouvoirs du ministre ayant pris l’acte
    15.  Cour Suprême des Pays-Bas, 20 décembre 2019, The State of the Netherlands v Stichting Urgenda, 19/00135
    16.  Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’Évolution du Climat 
    17.  Duty of care
    18.  Arnaud Gossement, « [Contentieux climatique] Affaire Urgenda c. État des Pays-Bas : la décsion de la Cour Suprême des Pays-Bas est-elle historique ou symbolique ? », 26 décembre 2019 [En ligne] http://www.arnaudgossement.com/archive/2019/12/23/contentieux-climatique-decision-de-la-cour-supreme-des-pays-6200354.html (consulté le 19 septembre 2020)
    19.  Tony Lowes, ‘Why Climate Decision is Important’, The Irish Time (7 August 2020) [En ligne] http://www.arnaudgossement.com/archive/2019/12/23/contentieux-climatique-decision-de-la-cour-supreme-des-pays-6200354.html (consulté le 19 septembre 2020)
    20.  Supra (n 12) article 43
    21.  Supra (n 8) 8.17