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  • CP / Ecocide et projet de loi climat : condamner les atteintes à la nature est urgent

    Communiqué de presse – 1 mars 2021

    La Convention citoyenne pour le climat avait demandé la reconnaissance du crime d’écocide et son inscription dans la loi française, et en avait même fait l’une de ses revendications phares, en réclamant que celle-ci soit mise au vote référendaire. Alors qu’un nombre croissant d’Etats à travers le monde demande sa reconnaissance, tout comme le Parlement européen, le gouvernement a formulé des propositions relatives au droit répressif environnemental, galvaudant le terme d’écocide au risque de se mettre en retrait de la communauté internationale et d’en affaiblir la puissance. Les mesures complémentaires proposées ont par ailleurs une efficacité plus que discutable. Notre Affaire à Tous publie aujourd’hui une analyse des dispositions prévues ainsi que des amendements et appelle le gouvernement et les parlementaires à enfin reconnaître la valeur intrinsèque de la nature en condamnant les atteintes qui lui sont portées pour ce qu’elles sont. 

    Pour faire face au dérèglement climatique en particulier et aux comportements entraînant la destruction de notre planète et le dépassement des limites planétaires en général, la Convention citoyenne avait repris la proposition de criminaliser l’écocide pour laquelle Notre Affaire à Tous se bat depuis longtemps. Le gouvernement a réduit à néant cette ambition, en détournant la définition d’écocide de celle débattue dans le débat national et international qui vise à l’inscrire parmi les crimes les plus graves portant atteinte à des valeurs universelles ; et en proposant de nouvelles incriminations environnementales rendues quasiment inopérantes au regard de leur champ d’application extrêmement restrictif. 

    A l’incrimination de l’écocide, le gouvernement a préféré proposer d’une part l’aggravation des peines applicables aux infractions sectorielles déjà prévues dans le code de l’environnement ; et d’autre part la création de nouveaux délits se caractérisant par des conditions d’application fortement restrictives et par un système incohérent de gradation des peines. On est bien loin de la promesse des Ministres de l’écologie et de la justice de brandir “le glaive de la justice face aux voyous de l’environnement”. 

    “Abus de langage” : le terme d’abus de langage fut utilisé par le CESE afin de dénoncer la faiblesse des mesures proposées par le gouvernement au sein du projet de loi pour ratrapper le retard climatique pris par la France et dénoncé par le Conseil d’Etat ainsi que le tribunal administratif de Paris dans l’Affaire du siècle. Il est tout aussi approprié ici, tant le gouvernement tente de cacher, à travers de nouvelles propositions, son refus de sanctionner les atteintes au vivant et joue avec les mots en prétendant créer des “délits de mise en danger de l’environnement et de pollution généralisée”, qui n’ont rien de général. 

    Le gouvernement fait ainsi le choix de continuer à appréhender les atteintes à la nature par la répression d’activités humaines, plutôt que par les dommages causés sur les écosystèmes. Il persiste à appréhender le vivant de manière segmentée, plutôt que d’appréhender l’interaction et les interdépendances entre les différents éléments des écosystèmes. Il s’acharne enfin à préserver le régime d’autorisation administrative qui a pourtant montré toutes ses limites : de la longueur des procédures à la permissivité des autorités administratives ; résultant en un “permis de polluer” de fait, si tant est qu’industriels et décideurs soient d’accord, et quels que soient les dommages causés. Les conditions posées par le gouvernement pour définir ce qui relève des nouvelles infractions sont par ailleurs tellement drastiques, que les modifications proposées ne couvriront qu’un nombre infime de cas. 

    A ce stade, la proposition gouvernementale réussit à peine à mettre en conformité le droit français avec le droit européen et notamment la Directive portant protection du droit pénal de l’environnement de 2008, qui sera révisée dès la fin 2021 car trop faible et inadaptée aux enjeux actuels. Notre Affaire à Tous tire la sonnette d’alarme : l’urgence environnementale requiert une condamnation forte et urgente de l’ensemble des atteintes à l’environnement, a fortiori du crime d’écocide. Les citoyen.ne.s ont fait de la préservation de l’environnement l’une de leurs priorités, il est temps que le droit s’y accorde et pénalise enfin les atteintes au vivant pour ce qu’elles sont. Face à la criminalité environnementale et à la mise en danger de la vie humaine sur Terre, le gouvernement ne brandit guère plus qu’un doigt levé. 

    Notre Affaire à Tous regrette qu’au-delà du rejet de la proposition de la Convention citoyenne sur l’écocide, ce projet de loi ne propose pas un système lisible, cohérent et proportionné de droit pénal de l’environnement. Notre Affaire à Tous déplore également qu’un véritable débat public n’ait pas émergé autour du droit répressif de l’environnement, quand les atteintes au vivant mettent en danger la sûreté de la planète et la capacité de l’humanité à habiter la Terre ; aussi bien que notre sécurité, y compris définie au sens strict : la criminalité environnementale est la quatrième source de financement des groupes armés et organisations terroristes selon Interpol.

    Pour Marie Toussaint, co-fondatrice de Notre Affaire à Tous, “Les propositions du gouvernement tapent à côté : elles ne répondent ni à l’enjeu de lutte contre le dérèglement climatique, ni à l’urgence de l’incrimination de l’écocide. Et c’est même pire : en refusant de condamner les atteintes à la nature pour ce qu’elles sont, c’est-à-dire de reconnaître les infractions autonomes d’atteinte à l’environnement, le gouvernement nie que nous dépendons du vivant et qu’il doit être sanctionné que de lui porter atteinte, et donc de nous causer préjudice.”

    Pour Théophile Keïta de Notre Affaire à Tous : “Le défaut du Projet de loi est double : les faits incriminés sont considérablement restreints, loin de la sanction d’atteintes générales à l’environnement, et la définition de l’écocide ne correspond en rien aux propositions des universitaires ou de la Convention citoyenne pour le climat. Le défi, qui n’est pas relevé ici, est de proposer des textes de droit pénal de l’environnement juridiquement efficaces, en plus d’assurer les moyens de leur mise en œuvre par la police de l’environnement et l’institution judiciaire.”

    Contacts presse :

    • Théophile Keita : theophile.keita@notreaffaireatous.org
    • Cécilia Rinaudo : cecilia.rinaudo@notreaffaireatous.org
  • Projet de loi climat et protection judiciaire de l’environnement

    ANALYSE DE NOTRE AFFAIRE À TOUS DES DISPOSITIONS DU TITRE VI DU PROJET DE LOI CLIMAT ET RÉSILIENCE VISANT À RENFORCER LA PROTECTION JUDICIAIRE DE L’ENVIRONNEMENT ET PROPOSITIONS D’AMENDEMENT

     

    Le projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets (le projet de loi climat et résilience), issu des travaux de la Convention citoyenne pour le climat,  a été publié le 10 février 2021. Le titre VI visant à renforcer la protection judiciaire de l’environnement contient les nouvelles mesures annoncées par le gouvernement depuis le 22 novembre 2020 et relatives au délit de mise en danger de l’environnement et au “délit général de pollution” annoncé, dont les dispositions ont encore évolué par rapport aux versions précédentes du projet de loi ayant fuité. 

    Notre Affaire à Tous souhaite ici apporter une analyse de ces dispositions (I) ainsi que des propositions d’amendements (II), en invitant les parlementaires à soit incriminer l’écocide comme proposé par la Convention citoyenne pour le climat, soit à retirer ce terme du projet de loi dans sa rédaction actuelle, l’écocide étant un terme trop important pour être ainsi galvaudé. Enfin, Notre Affaire à Tous souhaite rappeler la nécessité de poursuivre le travail sur les limites planétaires avec la création d’une Haute autorité pour les limites planétaires, qui figurait dans la proposition de la Convention citoyenne pour le climat (III).

    1. Analyse des dispositions

    Pour faire face au dérèglement climatique en particulier et aux comportements entraînant la destruction de la planète et le dépassement des limites planétaires en général, la Convention citoyenne avait décidé de proposer de criminaliser l’écocide, une proposition pour laquelle Notre Affaire à Tous se bat  depuis longtemps.

    Le gouvernement a réduit à néant cette ambition, en détournant la définition d’écocide de celle débattue dans le débat national et international qui vise à l’inscrire parmi les crimes les plus graves portant atteinte à des valeurs universelles ; et en proposant à sa place de nouvelles incriminations environnementales qui auraient pu être bienvenues mais sont en réalité rendues quasiment inopérantes au regard de leur champ d’application extrêmement restrictif.

    A l’incrimination de l’écocide, le gouvernement a ainsi préféré proposer d’une part l’aggravation des peines applicables aux infractions sectorielles déjà prévues dans le code de l’environnement ; et d’autre part la création de nouveaux délits se caractérisant par des conditions d’application fortement restrictives et par un système incohérent de gradation des peines.  

    Par conséquent, le gouvernement semble bien éloigné de sa promesse de brandir “le glaive de la justice face aux voyous de l’environnement”.

    a. Sur le délit de mise en danger de l’environnement (article 67)

    Premièrement, le délit de mise en danger de l’environnement annoncé par les Ministres de la justice et de la transition écologique est réduit aux infractions spécifiques déjà prévues par les articles L. 173-1 et L. 173-2 du Code de l’environnement et par l’article L. 1252-2 du Code des transports : il ne s’agit donc pas d’un délit général de mise en danger de l’environnement pourtant si nécessaire, mais de dispositions concernant un nombre restreint d’actes ne couvrant pas l’ensemble des situations dans lesquelles la nature est mise en danger. La nouvelle infraction prévue est par ailleurs inopérante, tant les conditions requises pour considérer un comportement comme dangereux pour la santé et les éléments de l’environnement sont drastiques. Si nous pouvons nous réjouir de la volonté exprimée de créer un tel délit, ses dispositions ne permettent ainsi même pas de couvrir l’ensemble des situations censées l’être au regard de la Directive /99/CE du Parlement européen et du Conseil du 19 novembre 2008 relative à la protection de l’environnement par le droit pénal.

    D’une part, le délit prévu ne concerne que:

    • le fait d’exploiter une installation, soumise à autorisation, à enregistrement, à agrément, homologation, etc. (art. L. 173-1 Code de l’environnement) ; 
    • le fait de poursuivre une telle exploitation sans se conformer à la mise en demeure de l’autorité administrative (art. L. 173-2 Code de l’environnement) ; ou 
    • le fait de « transporter par voie ferroviaire, routière ou fluviale des marchandises dangereuses dont le transport n’est pas autorisé » (art. L. 1252-5 Code des transports). 

    Un tel délit ne vise donc pas l’ensemble des comportements susceptibles de mettre l’environnement en danger.

    D’autre part, tout comme le délit de pollution généralisée dont il sera fait état ci-après, cette nouvelle infraction ne peut être caractérisée que lorsque de tels comportements ne créent un risque de dommages graves et susceptibles de durer au moins dix ans. Il en découle que ce nouveau délit ne saurait s’appliquer ni à des risques de naufrage comme celui de l’Erika, ni à des risques d’accidents industriels comme celui de Lubrizol ! 

    Nos propositions ci-après visent à créer un délit général de mise en danger de l’environnement pleinement opérationnel.

    b. Sur le pseudo délit général de pollution (article 68)

    Deuxièmement, le délit général de pollution annoncé par les ministres de la justice et de la transition écologique, a été considérablement amoindri, sectionné en trois délits autonomes spécifiques et non pas généraux : (i) un délit de pollution induit par l’activité d’installations classées selon les articles L. 173-1 et L. 173-2 du code de l’environnement, qui serait introduit à l’article L. 173-3 II ; (ii) un délit de pollution de l’air et des eaux (nouvel article L. 230-1 du Code de l’environnement) et (iii) un délit de pollution des sols (nouvel article L. 230-1 du Code de l’environnement).  

    Alors que le premier délit ne concerne qu’un nombre restreint de cas ainsi que déjà souligné plus haut, le second est limité à la violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence et sécurité prévue par la loi ou le règlement (laissant ainsi impunis les actes de négligence et d’imprudence qui structurent la criminalité environnementale), quand le troisième et dernier est limité à l’abandon et au dépôt de déchets (ne couvrant donc pas le rejet de substances polluantes provenant d’autres sources). 

    Les conditions de gravité et de durabilité de dix ans s’imposant également ici, ces trois délits seront tout aussi inopérants que le délit de mise en danger.

    En bref, parler d’un délit “général de pollution” relève d’un abus de langage : car le gouvernement ne propose pas de sanctionner les atteintes au vivant mais uniquement certains actes restreints, et se contente en réalité de proposer des sanctions plus élevées pour certaines atteintes relativement rares et difficiles à caractériser. Face à la criminalité environnementale, le gouvernement ne brandit guère plus qu’un doigt levé. Face à l’enjeu de préservation de la planète, le gouvernement se refuse encore à reconnaître la valeur intrinsèque du vivant et à condamner les atteintes à la nature pour ce qu’elles sont.

    c. Sur le délit d’écocide (article 68)

    Troisièmement, le crime d’écocide, fortement voulu par la Convention Citoyenne, est fortement dévoyé.  D’une part, ce qui aurait dû être un crime parmi les plus graves portant atteinte aux valeurs universelles est ici intégré comme un délit.  D’autre part, ce délit est présenté moins comme une infraction autonome contre les écosystèmes que comme une circonstance aggravante des deux délits spécifiques de pollution de l’air, des eaux et des sols, ainsi que de la nouvelle infraction envisagée par l’art. L. 173-3 Code de l’environnement (nouvel article L. 230-3 du Code de l’environnement). Prétextant répondre à une requête citoyenne, le gouvernement s’écarte ainsi de l’écocide tel qu’il est débattu depuis les années 70.

    Sous l’étiquette d’ « écocide », le projet de loi aggrave d’une part le délit de pollution de l’air et des eaux, lorsque les faits sont commis de manière intentionnelle (et non par violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence et de sécurité prévue par la loi ou par le règlement, et donc de manière non intentionnelle) ; et d’autre part, le projet de loi aggrave le délit de pollution des sols ainsi que les atteintes graves et durables induits par l’exploitation illégale d’une installation soumise à autorisation, lorsque ces faits sont commis « en ayant connaissance du caractère grave et durables des dommages sur la santé, la flore, la faune ou la qualité de l’air, de l’eau ou des sols, susceptibles d’être induits par les faits ». Dans l’un et l’autre cas, la peine de 5 ans d’emprisonnement est portée à dix ans d’emprisonnement ; la peine d’amende est portée d’1 million d’euros à 4,5 millions et peut être augmentée jusqu’au décuple de l’avantage tiré de la commission de l’infraction. 

    Outre que l’incohérence de ce système d’infractions, l’absence de clarté des incriminations, ainsi que la non proportionnalité des même peines prévues à la fois pour des infractions intentionnelles et non intentionnelles – déjà soulignées par le Conseil d’État dans l’avis particulièrement sévère rendu sur le projet de loi dans lequel il déclare que “Le projet de loi n’assure donc pas une répression cohérente, graduée et proportionnée des atteintes graves et durables à l’environnement selon l’existence ou non d’une intention » – un tel système d’infraction banalise la notion d’écocide en l’utilisant comme un moyen pour l’aggravation de faits de pollution qui sont déjà incriminés par d’autres infractions « communes ». Il se détache également de l’essentiel : car là aussi, le gouvernement choisit de sanctionner un nombre restreint d’actes plutôt que de réprimer les graves dommages causés à l’environnement en tant que tels.

    Il y a une raison pour laquelle nous demandons l’inscription de l’écocide parmi les crimes les plus graves condamnés par la Cour pénale internationale : il s’agit précisément de leur gravité. Or, des comportements d’une telle gravité ne peuvent figurer que parmi les comportements incriminés (et non pas en tant que délit, donc) et les plus sanctionnés, sans quoi la reconnaissance de l’écocide perd à la fois toute force symbolique, toute capacité de mobilisation de l’opinion et de la communauté internationale, et tout effet dissuasif.

    Notre Affaire à Tous souhaite ici rappeler que le terme d’écocide a un sens, et une histoire. Il vient du grec oikos, « maison », et du latin caedere, “tuer”. Cela signifie littéralement “tuer notre maison commune”, la Terre. Utilisé pour la première fois en 1970 par le biologiste Arthur Galston à l’occasion d’une conférence sur la guerre du Vietnam, le définissant comme “la destruction volontaire et permanente de l’environnement dans lequel les gens peuvent vivre d’une manière de leur choix”, le terme est repris par le Premier Ministre suédois, Olof Palme, lors de la toute première Conférence internationale sur l’environnement à Stockholm, en 1972. Voilà donc 50 ans que la communauté internationale reconnaît l’importance de cette incrimination, sans pour autant l’inscrire dans notre droit. Une dizaine d’Etats, à commencer par le Vietnam et une dizaine de pays de l’ex-URSS souhaitant condamner les essais nucléaire sur leurs territoires, l’inscrivent néanmoins dans leurs codes pénaux pendant les années 90s.

    Diverses propositions de définition et formulation ont par la suite été discutées dans le cadre du travail de la commission juridique des Nations-Unies lors de la rédaction du Statut de Rome instituant la Cour pénale internationale, dans le milieu universitaire, ou encore chez les praticiens du droit ; et discutées au plus haut niveau de l’Etat, notamment en France.

    Plus récemment, la Fondation Stop Ecocide a mis sur pied un panel international d’expert.e.s de très haut niveau afin de proposer une définition du crime d’écocide susceptible d’être inscrite au Statut de Rome en réunissant l’accord des Etats parties à la Cour pénale internationale. Ses conclusions sont attendues pour le premier semestre 2021, et doivent inspirer la rédaction choisie dans les Etats. Soulignant la date rapprochée à laquelle la proposition du groupe d’expert.e.s sera publiée, Notre affaire à tous incite les parlementaires à déposer les amendements que nous suggérons tout en gardant ouverte la possibilité de leur évolution avant la fin de l’examen du projet de loi de sorte à y intégrer les conclusions de ce panel.

    d. Remarques générales

    La manière dont le gouvernement aborde ces nouveaux délits ne nous permet par ailleurs aucunement de voir :

    • Leur lien direct avec le dérèglement climatique, sauf à observer une évolution majeure de la jurisprudence en ce qui concerne la pollution de l’air, à ce jour principalement appréhendée à travers les particules fines ;
    • Emerger une approche écosystémique, le gouvernement préférant préserver une approche segmentée de l’environnement (faune et flore, sols, eaux et air) et des délits distincts, plutôt que la formulation déjà prévue par l’article 1247 du Code civil établissant le préjudice écologique et avec une responsabilité civile pour « une atteinte non négligeable aux éléments ou aux fonctions des écosystèmes ou au bénéfices collectifs tirés par l’homme de l’environnement ». 

    Notre Affaire à Tous regrette qu’au-delà du rejet de la proposition de la Convention citoyenne sur l’écocide, un système lisible, cohérent et proportionné de droit pénal de l’environnement ne soit introduit par ce projet de loi. Notre Affaire À Tous déplore également qu’un véritable débat public n’ait pas émergé autour du droit répressif de l’environnement, alors même que les atteintes au vivant mettent en danger la sûreté de la planète et la capacité de l’humanité à habiter la Terre aussi bien que notre sécurité, y compris définie au sens strict : la criminalité environnementale est la quatrième source de financement des groupes armés et organisations terroristes selon Interpol. 

    Ce droit répressif de l’environnement devrait  consister en un système rationnel organisé autour de trois infractions caractérisées par une différente échelle de gravité : (i) une infraction de mise en danger de l’environnement, (ii) une infraction d’atteinte aux éléments de l’environnement et à l’équilibre des écosystèmes, et finalement (iii) l’écocide comme incrimination réservée aux dommages les plus graves, autrement dit aux désastres et aux catastrophes écologiques. 

    Le droit international, le droit de l’Union européenne ainsi que plusieurs systèmes nationaux vont dans cette direction. Il est temps que le droit français reconnaisse enfin la valeur intrinsèque de la nature et criminalise, à leur juste niveau, les atteintes qui lui sont portées.

    DIGEST

    • Le projet de loi détourne la notion d’écocide et restreint outre toute mesure l’incrimination des atteintes aux éléments de l’environnement. Il ne criminalise pas les atteintes portées à l’équilibre des écosystèmes.
    • Les délits de mise en danger et d’atteinte générale aux éléments de l’environnement, envisagés par le projet de loi, ne concernent qu’un nombre restreint de comportements, ainsi que de dommages ou de risques de dommages révélant un fossé abyssal entre les prétentions du gouvernement et le réel. Ils ne visent en aucun cas la protection de la nature pour son intérêt propre. Ce système de délits environnementaux est par ailleurs voué à être inopérant pour les raisons suivantes : Il vise des catégories restreintes d’auteurs (exploitants d’installations soumises à autorisation, à enregistrement, à agrément, homologation ; opérateurs de déchets).  Il n’est mobilisable qu’en situation d’irrespect des autorisations et arrêtés distribués par les autorités publiques ; niant donc la valeur intrinsèque de la nature.Il n’est applicable qu’en cas d’atteintes susceptibles de durer au moins dix ans, assez rares dans le monde réel et difficilement mesurables.Le délit de pollution de l’air et des eaux est, quant à lui, limité à la violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité et ne s’applique pas aux fautes d’imprudence et de négligence, pourtant dominantes dans le domaine. Ils s’écartent du droit international, du droit de l’UE et des réformes adoptées par d’autres pays industrialisés.
    • Il est difficile de qualifier le “délit d’écocide” finalement retenu par le gouvernement, empêtré dans ses négociations internes entre l’écologie et Bercy, tiré d’un côté par la Convention citoyenne et de l’autre par les lobbies et notamment le Medef ; si ce n’est qu’il use à la fois de termes inappropriés et recouvre un mécanisme quasi-inopérant. 

    ALERTE

    En tout état de cause, le terme d’écocide ne saurait être galvaudé ; en reconnaissant le crime d’écocide comme figurant parmi les crimes les plus graves, nous écrivons l’histoire. La proposition du gouvernement, donnant une autre définition et des contours beaucoup plus lâches à l’écocide, risque non seulement d’insulter l’histoire mais aussi de créer un dangereux précédent et ainsi affaiblir le fragile processus de définition dont cette infraction fait l’objet à l’échelle internationale. Le terme d’écocide ne doit pas figurer parmi les termes figurant dans la loi s’il ne revêt pas l’importance qui lui est donnée par la communauté internationale depuis sa première apparition et utilisation en 1970.

    2. Nos propostions

    Nous proposons deux scénarios possibles d’amendements au projet de loi climat et résilience:

    1. Un scénario d’amélioration substantielle du droit pénal de l’environnement pour relever le défi environnemental (scénario 1) ;
    2. Un scénario a minima visant à rendre opérationnelles les propositions du gouvernement, qui ne le sont aucunement à ce stade (scénario 2).

    Nous rappelons à ce titre que la question d’une meilleure réponse pénale aux infractions environnementales et celle de la création de juridictions spécialisées sont soulevées depuis de nombreuses années, et que la “dépénalisation de fait du droit de l’environnement” est une réalité. C’est précisément à ces enjeux que la loi du 24 décembre 2020 relative au Parquet européen, à la justice environnementale et à la justice pénale spécialisée a tenté de répondre sans pour autant aller au bout de l’exercice : c’est la raison d’être des, amendements que nous proposons. Nous rappelons également qu’à l’échelle européenne comme internationale, la répression des atteintes à l’environnement est un enjeu émergent, et la France en perte de vitesse vis-à-vis d’autres pays européens et occidentaux. Néanmoins, ces mesures doivent s’accompagner de moyens financiers et humains suffisants alloués à la justice environnementale, qui demeurent un point primordial afin de garantir l’effectivité des textes. 

    Scénario 1

    Vers un droit pénal de l’environnement général et autonome et l’incrimination de l’écocide

    Dans ce premier scénario, nous proposons:

    • Concernant le délit de mise en danger de l’environnement et le délit général de pollution:

    • un remplacement du critère cumulatif du caractère grave et durable, par un critère alternatif; 
    • la suppression de la définition du caractère durable exigeant une durée d’au moins 10 ans ; 
    • un élargissement de l’élément moral en incluant la négligence et l’imprudence.

    • Concernant l’écocide

    • une suppression du délit d’écocide tel que proposé par le gouvernement ; 
    • une incrimination de l’écocide avec une définition appropriée.  

    Scénario 2

    Amélioration à la marge des propositions du gouvernement afin de rendre les nouvelles incriminations pour le moins opérationnelles 

    Dans ce deuxième scénario, proposé à contre-coeur tant l’enjeu est immense et urgent, nous proposons uniquement :

    • S’agissant du délit de mise en danger de l’environnement et du délit général de pollution :

    • le remplacement du critère cumulatif du caractère grave et durable par un critère alternatif ;
    • la suppression de la définition du caractère durable exigeant une durée d’au moins 10 ans ; 
    • l’élargissement de l’élément moral en incluant la négligence et l’imprudence. 

    • S’agissant de l’écocide: 

    • la suppression du délit d’écocide tel que proposé par le gouvernement ;
    • l’incrimination de l’écocide avec une définition appropriée.    

    Rien ne serait pire que d’avoir mis en place de nouvelles infractions inefficaces, en prétendant avoir fait le nécessaire et en balayant d’un revers de la main les essentielles modifications du régime répressif français en matière d’environnement.

    Suggestions

    Poursuivre le travail sur les limites planétaires avec la création d’une Haute autorité pour les limites planétaires

    Afin de finaliser les recherches sur des outils de mesure et réglementaires relatifs aux limites planétaires, afin également de produire de la connaissance et de l’expertise dans la durée, et de fournir rapports d’évaluation et de recommandations aux pouvoirs publics et aux personnes morales de droit privé, la France doit également créer une Haute Autorité aux limites planétaires, dotée d’un budget suffisant, s’élevant pour les trois premières années à au moins 3 millions d’euros annuels. Cette Haute Autorité peut être créée par décret, préférablement en nouvelle Section 1 du chapitre II du titre III du livre Ier de la partie réglementaire du code de l’environnement. Nous formulons également une proposition d’amendement législatif.

    En complément, l’article L. 225-102-4.-I du Code de commerce pourrait être utilement modifié de la sorte, afin que le secteur privé ait lui aussi pour responsabilité d’oeuvrer au respect des limites planétaires : « Le plan comporte les mesures de vigilance raisonnable propres à identifier les risques et à prévenir les atteintes graves envers les droits humains et les libertés fondamentales, la santé et la sécurité des personnes ainsi que l’environnement et les limites planétaires, résultant des activités de la société et de celles des sociétés qu’elle contrôle au sens du II de l’article L. 233-16, directement ou indirectement, ainsi que des activités des sous-traitants ou fournisseurs avec lesquels est entretenue une relation commerciale établie, lorsque ces activités sont rattachées à cette relation.”

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    Liens utiles

  • CP / L’Affaire du Siècle dépose de nouvelles pièces dans le dossier Grande-Synthe : l’État n’en fait décidément pas assez

    Les organisations de l’Affaire du Siècle viennent de déposer de nouvelles pièces au recours de la ville de Grande-Synthe devant le Conseil d’État. Sans surprise, elles démontrent que les politiques climatiques actuelles ne permettront pas à la France d’atteindre ses objectifs à l’horizon 2030, pas plus que le projet de loi Climat et résilience présenté la semaine dernière en conseil des ministres.

    Le 19 novembre dernier, le Conseil d’État a donné trois mois au gouvernement pour « justifier que la trajectoire de réduction des émissions de gaz à effet de serre à horizon 2030 pourra être respectée » [1]. Notre Affaire à Tous, la Fondation Nicolas Hulot, Greenpeace France et Oxfam France, qui soutiennent l’action en justice de la commune de Grande-Synthe [2], ont mandaté le cabinet d’expertise indépendant Carbone 4 pour répondre à la question posée par les juges.

    La conclusion de l’étude réalisée par Carbone 4 est sans appel : « il est certain que les mesures adoptées ou envisagées par l’État, notamment dans le cadre du projet de loi Climat et résilience, ne permettront pas d’atteindre l’objectif global de réduction de 40% des émissions de GES à 2030 par rapport à 1990. » L’étude intitulée « L’État français se donne-t-il les moyens de son ambition climat ? » [3], couvre l’ensemble des secteurs d’émissions couverts par la SNBC [4], et explore en détail les mesures sur trois secteurs représentant la moitié des émissions de gaz à effet de serre de la France : le transport de personnes, le logement et l’agriculture. 

    Pour Guillaume Hannotin, l’avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation qui représente les organisations de l’Affaire du Siècle devant le Conseil d’État : « L’étude de Carbone 4 démontre de façon rigoureuse et transparente que des mesures supplémentaires sont nécessaires pour que la France respecte ses objectifs 2030, objectifs que le Conseil d’État a jugé contraignants le 19 novembre dernier. À l’heure où toutes les institutions du pays, en dernier lieu la juridiction administrative, reconnaissent l’urgence qu’il y a à agir contre le dérèglement climatique, l’on ne peut qu’être surpris par la posture du gouvernement consistant à dire que son action est suffisante. Il y a un véritable hiatus entre la perpétuelle affirmation d’objectifs ambitieux et les mesures mises en place. En réalité, la politique climatique de la France repose sur de la pensée magique. »

    Pour les organisations de l’Affaire du Siècle : « Alors que l’insuffisance du projet de loi Climat et résilience a été pointée du doigt de toutes parts [5], ces nouveaux éléments nous donnent bon espoir que, dès cet été, la justice ordonne à l’État de prendre enfin des mesures concrètes pour réduire effectivement les émissions de gaz à effet de serre et remettre la France sur le chemin tracé par l’Accord de Paris. L’été 2021 pourrait donc marquer un véritable tournant pour le climat ! »

    Le Conseil d’État a en effet annoncé qu’il rendrait sa décision à l’été. En cas de non-respect par l’État d’une éventuelle condamnation, le Conseil d’État a déjà annoncé un suivi et la possibilité d’une astreinte. [6]

    En parallèle, dans le recours de l’Affaire du Siècle, le tribunal administratif de Paris a reconnu, le 3 février dernier, la responsabilité de l’État français dans la crise climatique, l’illégalité de son inaction et la nécessité de réparer les dommages ainsi causés. Les juges ont donné à l’Affaire du Siècle et à l’État jusqu’au 6 avril pour produire de nouveaux arguments qui lui permettraient de « déterminer avec précision les mesures qui doivent être ordonnées à l’État » [7]. 

    Notes

    1. communiqué de presse et décision du Conseil d’État du 19 novembre 2020
    2. La commune de Grande-Synthe a déposé un recours au Conseil d’État en décembre 2018. L’Affaire du Siècle est intervenante volontaire dans le dossier et a déposé un premier mémoire en février 2020.
    3. L’étude de Carbone 4 « L’État français se donne-t-il les moyens de son ambition climat ? » démontre que « ces trois secteurs clés accuseront un retard important sur leurs objectifs » de réduction des émissions. Carbone 4 montre par exemple que le nombre de rénovations performantes attendues sur le parc de logements (2,7 millions) ne correspond qu’à un peu plus de la moitié de ce qu’il faudrait réaliser sur la période d’après la SNBC (4,5 millions).
    4. La SNBC est la Stratégie nationale bas carbone, feuille de route de l’État pour la réduction des émissions de gaz à effet de serre de la France, qui fixe notamment les budgets carbone annuels.
    5. Avis du CESE ; avis du Conseil d’État ; avis du Haut Conseil pour le Climat.
    6. https://www.conseil-etat.fr/actualites/actualites/pollution-de-l-air-et-gaz-a-effet-de-serre-suites-donnees-aux-decisions-de-juillet-et-novembre-2020 
    7. Communiqué de presse et décision du tribunal administratif de Paris

    Contacts presse

    Notre Affaire à Tous : Cécilia Rinaudo, 06 86 41 71 81 – cecilia@notreaffaireatous.org
    Fondation Nicolas Hulot : Paula Torrente, 07 87 50 74 90 – p.torrente@fnh.org
    Greenpeace France : Kim Dallet, 06 33 58 39 46 – kim.dallet@greenpeace.org
    Oxfam France : Marion Cosperec, 07 68 30 06 17 – mcosperec@oxfamfrance.org

  • CP / La lutte juridique s’engage contre le projet d’aménagement du site naturel du Carnet

    Le jeudi 18 février 2021, l’association MNLE 93 ainsi que des particuliers riverains soutenus par Notre Affaire À Tous déposent un recours au tribunal de Saint Nazaire visant à voir reconnue l’illégalité des larges travaux d’aménagement sur le site du Carnet. Ce “site industriel clés en main” (1) représente un réservoir de biodiversité et une zone préservée dans l’estuaire de la Loire. Les travaux de bétonnage de 100 hectares s’en trouvent largement critiqués. 

    Le 20 octobre 2020, le MNLE, l’association Notre Affaire A Tous, le collectif Stop Carnet ainsi qu’une vingtaine de particuliers ont adressé une lettre au préfet soulignant l’incomplétude du dossier d’aménagement. Dans cette lettre adressée au Préfet de la Région des Pays de la Loire, les organisations lui demandaient de bien vouloir mettre en demeure le Grand Port Maritime de Nantes Saint Nazaire de régulariser les travaux qui ont lieu sur le site du Carnet. 

    Dans un communiqué de presse, du 4 novembre 2020, le Grand Port Maritime de Saint Nazaire a prévenu qu’il retarderait d’un an les travaux sur le site, notamment pour compléter les études faunistiques et floristiques sur le site. Les associations et particuliers engagés ne peuvent que saluer le moratoire qui permettra la mise en place d’études complètes en espérant qu’elles rendent compte de la destruction massive qu’engendrerait un tel aménagement du site. Néanmoins ce moratoire déclaré par le Grand Port Maritime n’a pourtant aucune valeur juridique, et c’est afin de rendre compte de cette illégalité que le recours des requérants est essentiel.

    Les travaux sur le site du Carnet doivent en effet être considérés comme illégaux :

    D’une part, les travaux ont lieu sans déclaration de projet. Or, au titre de l’article L 126-1 du code de l’environnement, la déclaration de projet est obligatoire afin de définir le projet comme étant d’intérêt général. Bien que le projet soit dispensé de procédure au titre du code de l’urbanisme (car mené par le Grand Port), dès qu’un projet a une influence directe sur la qualité de l’environnement, celui-ci doit faire l’objet d’une déclaration de projet. Cet acte permet de prévoir les installations et travaux qui auront lieu et donc possiblement d’émettre des contestations en amont de la réalisation. 

    Pour Chloé Gerbier, juriste de l’association Notre Affaire à Tous,« l’absence de déclaration du projet du site Carnet prive les citoyens de leur droit de recours et ne permet pas de juger de l’intérêt du projet”.

    Or, ce document est introuvable et le grand port lui-même ne semble pas pouvoir répondre aux nombreuses demandes que nous avons faites.

    D’autre part, l’autorisation dérogation espèces protégées a été obtenue pour un nombre d’espèces très faible. Certaines espèces semblent donc avoir été mises de côté sans raison, alors qu’elles seront manifestement impactées par le projet et que les mesures ERC mises en place sont clairement insuffisantes. Ce sont notamment le campagnol, plusieurs chiroptères, la vipère aspic et 7 espèces d’oiseaux, qui malgré leur protection à l’échelle nationale se verront supprimés ou déplacés sans qu’aucune autorisation à ce titre n’ait été obtenue.

    Ces documents sont des pré-requis au commencement des travaux. Les travaux de biotope, prélude au bétonnage, ont donc d’ores et déjà commencé dans l’illégalité.

    Contacts presse :

    • MNLE, Jean Paul Martel : 06 70 44 61 12
    • Notre Affaire à Tous, Chloé Gerbier : 06 46 43 55 09
    • Riverain du projet, Nicolas Lahaye : 07 82 62 93 70

    Notes

    (1) Le site du Carnet est un des douze premiers sites clés en main annoncés par E. Macron lors du sommet “Choose France” en janvier 2020

  • CP / Contentieux climatique contre Total : une première victoire des associations et des collectivités

    Jeudi 11 février 2021, dans le contentieux climatique engagé contre la société Total, le Tribunal judiciaire de Nanterre a donné raison aux 5 associations et 14 collectivités territoriales demanderesses, en rejetant l’exception d’incompétence soulevée par la multinationale pétrolière qui souhaitait porter ce litige devant le tribunal de commerce.

    Le 28 janvier 2020, quatorze collectivités territoriales et 5 associations (Notre Affaire à Tous, Sherpa, Eco Maires, France Nature Environnement et ZEA) assignaient Total en justice en raison de l’insuffisance de ses engagements climatiques et de leur inadéquation avec les objectifs de l’Accord de Paris. Alors que Total porte une responsabilité particulière au regard de son empreinte carbone considérable, son plan de vigilance ne permet pas de prévenir les risques graves découlant du réchauffement climatique. Les associations et collectivités demandent au juge d’enjoindre à la multinationale de prendre les mesures propres à prévenir les risques découlant de ses activités en réduisant drastiquement ses émissions de gaz à effet de serre.

    Sans répondre sur le fond, Total a soulevé l’incompétence du Tribunal judiciaire de Nanterre et demandé à ce que le litige soit porté devant le Tribunal de commerce, juridiction d’exception composée de dirigeants d’entreprises. 

    Dans une ordonnance rendue ce jour, le juge de la mise en état rejette l’exception d’incompétence de Total et donne raison aux associations et collectivités en confirmant la compétence du tribunal judiciaire pour statuer sur leurs demandes. Le juge considère qu’elles disposent, en tant que  “non commerçants”, “d’un droit d’option, qu’elles exercent à leur convenance, entre le tribunal judiciaire, qu’elles ont valablement saisi, et le tribunal de commerce.” 

    Loin de trancher un point strictement procédural, l’ordonnance rappelle que le devoir de vigilance “relève de la responsabilité sociale de Total” et que “la lettre” des dispositions du code de commerce relatives au devoir de vigilance “commande un contrôle judiciaire”. Cette décision constitue une première victoire dans ce procès historique contre Total et contredit les  précédentes décisions rendues en référé par le Tribunal de Nanterre et la Cour d’appel de Versailles dans l’affaire concernant ses projets en Ouganda. 

    Les associations et collectivités espèrent désormais, qu’au regard de l’accélération du réchauffement climatique et de l’urgence de sortir de l’ère des fossiles, une décision du litige au fond interviendra dans les meilleurs délais.  

    Pour Me Sébastien Mabile et François de Cambiaire, avocats des associations et des collectivités, “il s’agit d’une première victoire déterminante, le juge ayant reconnu la spécificité du devoir de vigilance et son nécessaire contrôle judiciaire”.  

    Pour Paul Mougeolle de Notre Affaire à Tous, alors que le juge vient de reconnaître la part de responsabilité de l’Etat français dans la crise climatique dans “l’Affaire du Siècle”, cette décision confirme que la justice française est entièrement compétente pour contrôler cette fois-ci le comportement des entreprises les plus polluantes, telles que Total”. 

    Pour Sherpa, “Le juge reconnaît que si le devoir de vigilance a vocation à avoir un impact sur les décisions et les activités de l’entreprise, de par sa nature cette obligation touche la “Société dans son ensemble”. Alors que Total cherchait à réduire le devoir de vigilance à une question de gestion commerciale, le juge rappelle clairement l’intention du législateur.”

    Contacts presse

  • CP / Loi climat résilience : nous avons la responsabilité d’agir pour contre le renoncement climatique, social et démocratique

    Le mercredi 10 février, une semaine après que le tribunal administratif ait reconnu la responsabilité de l’Etat français dans la crise climatique, le projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets est présenté en Conseil des ministres. Résultat de la Convention Citoyenne pour le Climat la loi climat est décevante, pourtant les propositions de cet exercice démocratique exemplaire auraient dû être reprises de sorte à garantir l’atteinte des objectifs climat dans la justice sociale ; il n’en n’est rien. Au lendemain du jugement de l’Affaire du Siècle, le gouvernement ne peut se contenter de si peu pour justifier son retard dans la lutte contre le changement climatique devant les 2,3 millions de citoyens ayant signé la pétition.  

    Alors que plusieurs enquêtes ont démontré l’influence des lobbies sur ce projet de loi, il apparaît que les 149 propositions de la Convention Citoyenne pour le Climat sont dénaturées. En l’état, le projet de loi ne reprend qu’une partie des propositions de la Convention Citoyenne pour le Climat, et nombre d’entre elles sont détricotées, vidées de leur substance ou ne sont présentes qu’à titre d’incitation. Notre affaire à tous se mobilise pour améliorer ce texte et garantir l’action de la France dans la lutte contre le réchauffement climatique et l’atteinte des objectifs fixés. Hier matin, alors que Barbara Pompili terminait son intervention à la radio France Inter en fustigeant les militants écologistes taxé.e.s de “pessimisme”, plusieurs représentants politiques, d’organisations et d’associations dont Notre Affaire A Tous ont tenté de marcher jusqu’à l’Elysée afin de dénoncer le manque d’ambition et de volonté politique que reflète le projet de loi. Sur demande du préfet Lallement, nous y avons été verbalisés. 

    En effet, à bien des égards, le projet est insuffisant, les différents avis rendus le concernant ainsi que l’étude d’impact réaffirment l’impossibilité par ces mesures d’obtenir la baisse prévue de 40% des émissions de gaz à effet de serre, objectif lui-même insuffisant au regard du nouvel objectif européen de -55%.


    A ce sujet, l’étude du Boston Consulting Group commandité par le MTES affirme que « dans un scénario volontariste, on estime que l’on pourrait atteindre ~339 MtCO2e à horizon 2030, soit une réduction de 38% par rapport au niveau de 1990 (figure 3), proche de l’objectif affiché par le gouvernement » Cette estimation mise sur un changement des comportements volontaristes estimé comme « possible », bien que « cela suppose de mobiliser des moyens politiques, financiers et humains inédits. ». Plutôt qu’une validation de la stratégie du gouvernement, cette nouvelle étude, privée, souligne que les mesures prises par le gouvernement depuis 2017 ne seront à la hauteur des enjeux que si le gouvernement va plus loin que les mesures actuellement prévues. Elle souligne par ailleurs que l’atteinte de l’objectif soutenu par la France au niveau européen de 55% de réduction d’émissions pour 2030 ne sera atteignable qu’avec un “changement de paradigme”, notamment en matière de politique agricole, option que le gouvernement ne soutient pas dans la réforme actuelle de la PAC malgré les appels des militant.e.s écologistes à la réformer en profondeur. 

    Parmi les modifications substantielles aux propositions de la Convention Citoyenne :

    Plusieurs mécanismes d’amoindrissement sont à l’œuvre, et certains articles abordent des sujets clés sans pour autant concrétiser les outils juridiques permettant de les atteindre. C’est le cas des articles 2 et 3 concernant l’éducation et la sensibilisation : si ceux-ci consacrent la nécessité d’introduire l’environnement au sein de tous les enseignements et de sensibiliser aux enjeux de l’exclusion et de l’environnement, ils ne sont pas pour autant assez précis ou contraignants pour que l’on puisse avoir une idée de leurs implications, et font office d’incitation plus que d’obligations. C’est aussi le cas des nouveaux “rapports sur l’artificialisation des sols” introduits par le projet de loi ; ces rapports sont établis tous les ans par l’autorité en charge du plan local d’urbanisme et permettent d’évaluer l’artificialisation des sols sur le territoire. Pour autant, ils ne sont pas suivis de mesures contraignantes.

    Certains articles font une place telle aux exceptions qu’ils se trouvent privés d’effets. C’est le cas de l’article 37 concernant les extensions d’infrastructures aéroportuaires, dont la CCC demandait l’interdiction. La rédaction actuelle de l’article ne permet de bloquer aucun projet de notre connaissance, par exemple les extensions de Marseille, Caen et Roissy Charles de Gaulle ne seront pas concernées…Les projets qui entreraient dans cette interdiction font en fait l’objet d’une dérogation prévue dans le projet de loi, comme les aéroports de Beauvais et de Nantes Atlantique ainsi que les infrastructures des DROM. Si l’association salue l’abandon du projet de terminal 4 contre lequel elle lutte depuis près de 2 ans, annoncé ce matin, des garanties juridiques sont attendues.

    Enfin, certains articles semblent reprendre des mécanismes déjà à l’œuvre en partie, comme l’article qui impose aux documents d’urbanisme la prise en compte de l’artificialisation sur leur territoire alors qu’aujourd’hui ceux-ci doivent déjà faire état d’une gestion économe des sols… Comme attendu, c’est bien l’interprétation la plus faible des ambitions de la Convention Citoyenne pour le Climat qui est traduite dans ce document et si l’article 50 interdit la délivrance d’autorisation d’exploiter pour les structures commerciales qui entraîneraient une artificialisation de plus de 10 000m2 de sols, il n’est fait aucune mention des entrepôts commerciaux.

    A la création de nouveaux crimes, à la reconnaissance de l’écocide, le gouvernement a préféré proposer un renforcement des dispositions pénales du code de l’environnement en créant de nouveaux délits et rehaussant certaines sanctions aujourd’hui d’ores et déjà prévues. D’une part, le délit de mise en danger de l’environnement semble inopérant, tant les conditions requises pour considérer un comportement comme dangereux sont drastiques. D’autre part, le renforcement des sanctions sur les délits prévus et déjà existants ne touchera que les atteintes à l’environnement répondant aux mêmes conditions de gravité et de durabilité d’au moins dix ans. Enfin le manque de clarté souligné par le CE dans son avis le délit d’écocide prévu répond lui aussi à des conditions extrêmement restrictives, rejetant dans le rayon des délits des atteintes qui seraient manifestement extrêmement étendues.

    Pour Marie Toussaint, eurodéputée et membre du CA de Notre Affaire à Tous : « Les écocides sont définis comme de graves crimes contre la planète. Or on ne peut définir un crime, avec des conditions extrêmement restrictives, et le punir comme un délit. »

    Pour Chloé Gerbier, juriste de l’association Notre Affaire à Tous : “Le projet de loi apparaît peu ambitieux et rares sont les mesures contraignantes : il est à craindre qu’après la navette parlementaire, il ne reste rien des ambitions de la Convention Citoyenne pour le Climat.”

    Contact presse :

    • Chloé Gerbier, juriste de l’association Notre Affaire à Tous : 06 46 43 55 09
  • Extension de Roissy : les ONG demandent des garanties au Gouvernement

    Dans une déclaration massivement relayée ce matin du jeudi 11 février, la ministre de la transition écologique a annoncé au Monde “l’abandon du projet de terminal 4”. En parallèle, le Gouvernement aurait demandé au groupe ADP “de lui présenter un nouveau projet”.

    Les associations prennent acte de cette déclaration, mais s’inquiètent de l’effet d’annonce et s’interrogent sur la teneur du “nouveau projet”, ainsi que sur les garanties juridiques apportées pour qu’il n’y ait pas d’augmentation des capacités d’accueil de Roissy, alors que le Gouvernement se déclare ouvert à cette possibilité. 

    La question de l’extension des capacités de l’aéroport de Roissy reste posée, d’autant que l’article 37 de la loi Climat et Résilience limite son champ d’application aux projets nécessitant une expropriation foncière et laisse la possibilité aux aéroports de prendre en compte la compensation carbone dans leur bilan d’émissions de gaz à effet de serre.

    Nos associations avaient ainsi alerté le Gouvernement par un courrier en date du 8 février , sans réponse à ce jour. Nous demandons une réponse à ce courrier confirmant l’abandon du projet d’extension de l’aéroport de Roissy ainsi que la modification de la rédaction actuelle de l’article 37 du Projet de Loi Climat qui n’apporte pas les garanties juridiques suffisantes concernant l’extension de l’aéroport de Roissy ou de tout autre aéroport en France (une dizaine de projets en cours actuellement).

    Contacts presse : 

    • Audrey Boehly, Non au Terminal 4 – 06 77 81 49 40
    • Chloé Gerbier, Notre Affaire à Tous – 06 46 43 55 09
    • Agathe Bounfour, Responsable Transport Réseau Action Climat – 0782085677
    • Magali Rubino, Greenpeace France – 07 78 41 78 78
    • Françoise Brochot, ADVOCNAR – 06 79 51 25 60

    Signataires : Non au Terminal 4, Notre Affaire à Tous, Réseau Action Climat, Greenpeace France, ADVOCNAR, Alternatiba Paris

  • 11 février 2021 – Reprise de la revue de presse IMPACTS

    Après quelques mois d’absence, “IMPACTS – La revue de presse des inégalités climatiques” revient ! En décembre 2020, Notre Affaire à Tous sortait le rapport “Un climat d’inégalités”, un dossier inédit sur les inégalités climatiques en France ! L’objectif : mettre en lumière un phénomène encore trop peu documenté, que nous nous efforçons de documenter depuis avril 2019 dans la revue de presse IMPACTS ! 5 ans après l’Accord de Paris, deux ans après l’Affaire du Siècle et la mobilisation des gilets jaunes, les actions ambitieuses en matière de lutte contre le dérèglement climatique se font toujours attendre et l’accélération du changement climatique pèse de manière inégale sur la population française. À travers ce rapport, nous avons documenté et analysé :

    • Les populations les plus vulnérables,
    • Les territoires les plus touchés,
    • Les répercussions sociales,
    • Les secteurs économiques menacés par les changements climatiques.

    Pour préparer ce rapport, nous avons également rencontré et interrogé quatorze citoyen·ne·s qui ont témoigné des impacts directs du dérèglement climatique sur leurs conditions de vie. 

    Dans ce numéro de reprise de la revue de presse, nous vous faisons un récapitulatif des impacts climatiques de 2020.

    2020 : année de tous les (mauvais) records

    Notre rapport a été publié en 2020, une année de tous les (mauvais) records climatiques. 2020 est l’année la plus chaude jamais enregistrée après l’année 2018, et 9 des 10 années les plus chaudes appartiennent désormais au XXIᵉ siècle, la dernière décennie cumulant le top 7. Records de chaleur, records d’incendies, records d’intempéries… Tous ces indicateurs sont révélateurs de l’impact du dérèglement climatique qui ne cesse de s’intensifier. L’année 2020 n’a cependant pas été celle du record des émissions de CO2 en raison du ralentissement de l’activité humaine mondiale dans le cadre des mesures prises pour limiter la propagation de l’épidémie de Covid-19. 

    • Incendies nombreux et dévastateurs

    L’année 2020 a témoigné d’un nombre record d’incendies d’une intensité sans précédent à travers le monde. Dès janvier, l’Australie luttait déjà contre la pire saison de feux de forêts que le pays ait connu, avec un bilan tragique – plus de 11 millions d’hectares brûlés, 3 milliards d’animaux tués ou déplacés, et des millions de personnes impactées directement ou indirectement par les feux (déplacements, pollution de l’air, conséquences physiques et mentales, etc.). 

    En Sibérie arctique, des températures caniculaires ont déclenché des feux dont le bilan est estimé par certains à 20 millions d’hectares de forêt détruits, soit 20 fois plus qu’en Californie, rapporte France Info. Et pourtant, les incendies californiens ont marqué les esprits par leur ampleur inédite, avec une surface détruite de plus de 8,000 km², soit 100 fois la superficie de Paris. 

    Le Brésil, quant à lui, fait face à un nombre croissant d’incendies, notamment en Amazonie où une augmentation de 13% a été constatée au cours des neufs premiers mois de l’année 2020 – n’en déplaise au Président Jair Bolsonaro qui n’a cessé de nier l’origine et l’importance de ces feux. En effet, leur origine est cette fois essentiellement criminelle et résulte des incitations du gouvernement en place à procéder à des opérations de déforestation illégale destinées à installer des élevages illégaux de bétail. D’après Amnesty International, la déforestation a augmenté de 35% entre la période allant d’août 2019 à juillet 2020 et l’année précédente sur la même période. 

    La France a elle aussi connu des feux cet été. Ces derniers, causés par le réchauffement climatique ou d’origine criminelle, se sont déclarés en particulier dans la forêt de Chiberta et dans les Bouches-du-Rhône, à Vitrolles ou encore à Istres, comme l’évoque Reporterre

    Les catastrophes naturelles n’ont cessé de se multiplier : 2020 a été l’année des records pour de nombreux événements extrêmes (feux de forêts, tempêtes… ). Le nombre de catastrophes naturelles a doublé en 20 ans à l’échelle de la planète, selon un rapport des Nations Unies d’octobre 2020. Le principal risque pour ces prochaines années viendra majoritairement des vagues de chaleur, qui “ont augmenté de 232% depuis 1999”, alors que les catastrophes les plus importantes des dernières années étaient les tempêtes et inondations.

    Face à ces événements extrêmes, les personnes les plus pauvres sont les plus touchées : dans les pays pauvres, “seulement 4 % des pertes économiques causées par les catastrophes sont assurées, contre 60 % dans les pays riches, selon une récente étude publiée dans The Lancet”.

    Augmentation de la concentration de CO2 malgré la baisse des émissions

    Si les émissions mondiales de CO2 ont baissé de 7% en 2020 par rapport à 2019 en raison des mesures adoptées mondialement pour lutter contre la pandémie, ce record de diminution des émissions n’a pas permis de mettre un frein à l’augmentation des concentrations de CO2 dans l’atmosphère, rapporte La Relève et la Peste. Cette diminution est également à relativiser car elle est temporaire et ne provient pas de changements structurels.

    Cette baisse sans précédent des émissions mondiales s’explique avant tout par la réduction des émissions résultant des transports par rapport à 2019. Cette diminution est encore évaluée, en décembre 2020, à 10% pour le transport routier et à 40% pour le transport aérien.
    Or, la réduction ne signifie pas la stabilisation des émissions. Ainsi, malgré cette baisse des émissions, la concentration de CO2 dans l’atmosphère a augmenté de 410 à 412 parties par million, ce qui la rapproche du seuil des 450 parties par million fixé par le GIEC pour limiter l’augmentation de la température moyenne de 2°C. Cette évolution s’explique également par un puits de carbone terrestre ayant moins absorbé de CO2, notamment en raison d’incendies et de sécheresses.

    Zoom sur l’année 2020 en France

    En France, l’année a été la plus chaude jamais enregistrée à l’échelle nationale et des records de chaleur ont été atteints sur une majorité du territoire, comme en Isère où “le climat s’emballe”, en Alsace, au Pays Basque… 

    D’une part, à ces grosses vagues de chaleurs de l’été s’est ajoutée une faible pluviométrie, avec un déficit de plus de 70% en moyenne sur la totalité du territoire. En août 2020, 75 départements étaient en restriction d’eau, impactant notamment les agriculteurs, victimes de la sécheresse. L’été 2020 a été le plus sec jamais enregistré, depuis 1959, battant pour la troisième année consécutive les records de sécheresse après les étés 2018 et 2019. Pour en savoir plus sur les impacts des sécheresses sur les agriculteurs, découvrez les témoignages de Maurice Feschet et de Raphaël Baltassatdeux des quatorze témoins du rapport « Un Climat d’inégalités ». 

    De nombreuses restrictions d’eau ont eu lieu durant l’été 2020. Au 25 septembre, 183 arrêtés préfectoraux de restriction de l’usage de l’eau et de l’irrigation étaient en vigueur, concernant 78 départements. 7 autres départements étaient en situation de vigilance. Face à l’augmentation des tensions autour des usages de l’eau, l’Assemblée nationale a publié un rapport d’information en juin 2020 sur la gestion des conflits d’usage en situation de pénurie d’eau. 

    D’autre part, à l’automne, de forts et dangereux épisodes méditerranéens se sont déclarés. Ces épisodes s’intensifient et se multiplient au fil des années, notamment dans le sud de la France. En octobre année, la tempête Alex a causé d’importants dégâts et a coûté la vie à 10 personnes. 9 personnes sont toujours portées disparues dans les Alpes-Maritimes. À l’occasion du reportage de Complément d’Enquête “Des catastrophes pas si naturelles”, Notre Affaire à Tous est d’ailleurs intervenue pour parler des impacts et des inégalités climatiques en France. 

    • Phénomène des maisons fissurées

     Le phénomène de sécheresse-réhydratation des sols conduit à des mouvements de terrain et affectent les bâtiments (fissurations, décollements, affaissements…). Ces phénomènes sont peu dangereux pour les humains mais entraînent des sinistres très coûteux et des dégâts potentiellement importants pour les bâtiments. Selon la Fédération française des sociétés d’assurance (FFSA), entre 1989 et 2007, les sécheresses ont causé plus de 444 000 sinistres, pour un coût de 4,1 milliards d’euros. 

    Les habitant-es de ces maisons, les “oubliés de la canicule” s’organisent et se constituent en associations et collectifs. C’est le cas de l’Association Urgence Maisons Fissurées-Sarthe qui se bat pour la reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle et pour l’indemnisation suite aux dégâts. Dans la Sarthe en 2019, 70 communes étaient concernées. Ce phénomène s’aggrave d’année en année avec les sécheresses qui s’accumulent, touchent de nombreuses régions et menacent 4 millions de maisons, selon le Ministère de la Transition Écologique.

    Impacts inégaux du dérèglement climatique en 2020

    Les conséquences de ce climat record de l’année 2020 touchent de manière disproportionnée et inégalitaire l’ensemble de la population. Il y a eu plus de 1900 décès liés à la canicule pendant l’été 2020, selon Santé Publique France. Il s’agit de l’été le plus meurtrier dû à la canicule depuis 2004, avec une surmortalité de 18%. 

    • Les plus âgés et les plus pauvres : premiers touchés

     D’après les autorités de santé, l’été 2020 est celui qui présente l’impact sanitaire « le plus important depuis la mise en place du plan national canicule en 2004, juste devant les étés 2015, 2018 et 2019 ». Les plus de 45 ans sont les principales victimes des canicules de 2020 qui ont fait au total 1 924 morts. Au-delà de la surmortalité, ces vagues de chaleur exacerbent les inégalités sociales. Ce sont les personnes âgées et les plus isolées socialement qui en souffrent le plus. De nombreuses études post-canicule de 2003 font ce constat. Cette année-là, un grand nombre de victimes vivaient dans des “logements exigus, sans aération, ou avec une seule fenêtre”, selon Richard Keller, qui a écrit l’étude “Fatal Isolation. The devastating Paris Heat Wave of 2003”. A Paris, en 2003, habiter sous les toits multipliait le risque de mortalité par quatre. Selon une étude parue dans le bulletin épidémiologique du ministère de la santé en 2019, les vulnérabilités sont exacerbées pour les personnes de nationalité étrangère, qui sont plus exposées aux particules fines, ont moins accès aux espaces verts, aux soins et appartiennent souvent à une catégorie sociale défavorisée. 

    • Agriculteurs et éleveurs en première ligne

     L’agriculture a particulièrement souffert des conditions climatiques de cette année 2020, entraînant des baisses de rendements et des coûts importants pour les agriculteurs et éleveurs (irrigation des plantes, abreuvage des troupeaux, obligation d’achat de fourrage supplémentaire en raison de la sécheresse, etc.), allant jusqu’à menacer l’existence de certaines exploitations. Cela amène à financer et construire des solutions de captation et de stockage de l’eau, créant des tensions autour de l’usage de l’eau dans les territoires les plus touchés par les sécheresses. Pour en savoir plus, consultez le rapport de septembre 2020, “S’adapter au changement climatique” de l’ADEME qui décrit les conséquences du dérèglement climatique sur l’agriculture française. La sécheresse a également un impact sur le niveau des rivières et des cours d’eau, impactant les ressources piscicoles. Les poissons sont particulièrement victimes de la désoxygénation des eaux causée par la sécheresse et la chaleur. Ainsi la truite ne survit pas dans une eau à plus de 21°CPrès de 10 tonnes de poissons ont ainsi été retrouvés morts dans un lac du Val d’Oise. 

     Les travailleurs du BTP sont aussi plus exposés au stress thermique qui peut mener à des coups de chaleur pouvant aller jusqu’au décès. Les risques de malaises, de blessures (diminution de la vigilance), de déshydratation, et de fatigue physique et mentale sont aussi exacerbés. Au cours des deux épisodes caniculaires de l’été 2019, dix personnes sont décédées sur leur lieu de travail, dont une majorité d’hommes travaillant en extérieur. Leur métier les oblige à porter des vêtements épais et très souvent des équipements de protection qui augmentent la probabilité de stress thermique (plus faible évaporation de la sueur). La chaleur peut aussi être responsable d’une aggravation de maladies comme le diabète. Face à ces risques, la vulnérabilité des travailleurs est de plus en plus prise en compte dans les plans d’adaptation nationaux (PNACC) et par des organismes comme l’ANSES. Pourtant, il y a encore une méconnaissance des dangers liés aux coups de chaleur et à ses conséquences, à la fois pour les employeurs et les employés. Ces vulnérabilités posent des questions de justice sociale et de travail décent. 

    • Les habitant-es des villes :

     Les conséquences sont aussi plus néfastes pour les populations urbaines : “à Paris et dans la petite couronne, le risque de mourir à cause d’une chaleur exceptionnelle est 18% plus élevé dans les communes les moins arborées que dans les plus arborées”. Les aménagements et la densité des infrastructures en ville laissent peu de place à la végétation. Cette artificialisation des sols rend la ville vulnérable aux vagues de chaleurs et aux inondations. Pour en savoir plus sur les populations et territoires les plus impactés par la crise climatique, consultez le rapport « Un Climat d’inégalités » et notre article sur le sujet.

    Pour aller plus loin

    Alors que la Convention Citoyenne pour le Climat est présentée en Conseil des Ministres cette semaine, plus de 100 associations, dont Notre Affaire à Tous, ont envoyé une lettre ouverte à Emmanuel MacronAlors que les propositions des citoyen-nes devaient être retranscrites dans la loi, force est de constater que le compte n’y est pas. L’étude d’impact accompagnant le projet de loi tiré de la Convention Citoyenne reconnaît ainsi que les mesures proposées ne permettront pas, en l’état, de tenir les objectifs de baisse d’émissions de 40 % à horizon 2030. Et ce, alors que cette cible est déjà en elle-même insuffisante compte tenu du nouvel objectif de -55 % adopté en décembre dernier à l’échelle de l’Europe. Les avis du Conseil Économique, Social et Environnemental (CESE) et du Conseil National de la Transition Écologique (CNTE) confirment ces insuffisances et s’inquiètent de la faiblesse des dispositifs pour réduire les inégalités sociales.

    Ce projet de loi climat insuffisant arrive en Conseil des ministres une semaine après que l’Etat français ait été condamné pour inaction climatique par le Tribunal Administratif de Paris dans l’Affaire du Siècle. Nous demandons plus d’ambition ! La revue de presse IMPACTS revient le mois prochain sur le changement climatique et les inégalités de genre.

  • L’Etat condamné pour inaction climatique !

    L’Etat condamné pour inaction climatique !

    ON A GAGNÉ ! Plus de deux ans après la mobilisation incroyable qui a porté l’Affaire du Siècle, nous avons remporté une victoire HISTORIQUE pour le climat !

    Pour la première fois, la justice vient de reconnaître que l’inaction climatique de l’État est illégale, que c’est une faute, qui engage sa responsabilité. C’est une avancée majeure du droit français !

    Ce jugement est une victoire de la vérité : jusqu’ici, l’État niait l’insuffisance de ses politiques climatiques, en dépit de l’accumulation de preuves. Nous espérons maintenant que la justice ne se limitera pas à reconnaître la faute de l’État, mais le contraindra aussi à prendre enfin des mesures concrètes permettant a minima de respecter ses engagements climatiques ! Cette victoire, c’est grâce à vous, grâce aux 2,3 millions de personnes qui soutiennent l’Affaire du Siècle depuis 2018.

    Un immense MERCI pour votre mobilisation ! Avec ce jugement extraordinaire, dès aujourd’hui, la justice climatique prend un nouveau tournant.

    Décryptage de cette décision historique

    Dans son jugement sur l’Affaire du Siècle, le tribunal administratif de Paris reconnaît la responsabilité de l’État français dans la crise climatique et juge illégal le non-respect de ses engagements de réduction des émissions de gaz à effet de serre. L’État est également reconnu responsable de “préjudice écologique”. Nous espèrons un jugement plus historique encore au printemps : l’Etat pourrait être condamné à prendre des mesures supplémentaires sur le climat.

    Si la décision d’aujourd’hui est historique c’est pour de multiples raisons : Le juge reconnaît, au sein de la décision, l’urgence à agir et les dangers liés au changement climatique, en citant les rapports du GIEC et en mentionnant la vulnérabilité de la population française, ce que nous documentons dans notre rapport “Un climat d’inégalités”. 

    Face à l’urgence d’agir, le juge affirme ensuite que l’Etat peut être tenu pour responsable de carence dans la lutte contre le changement climatique, car il s’est lui-même engagé, par des accords internationaux, dont l’Accord de Paris, à lutter pour réduire les effets du dérèglement climatique. A cette fin, l’Etat s’est engagé à réduire les émissions de GES de la France, pour cela il a institué des budgets carbone. Or, l’État ne respecte pas ces budgets, et le juge conclut que le non-respect du budget carbone 2015-2018 ayant abouti à une révision de cet objectif est en lien avec l’aggravation du changement climatique.

    Le juge affirme donc que l’Etat, au regard de l’inaction ayant entraîné le dépassement des objectifs, doit être considéré comme responsable d’un préjudice écologique. L’action en réparation du préjudice écologique devant le juge administratif est donc ouverte par le tribunal administratif de Paris pour la première fois.

    L’action est ouverte de manière large à toutes associations ayant dans ses statuts la protection de l’environnement. L’Etat, responsable de préjudice écologique devra d’abord réparer celui-ci en nature, la somme d’un euro étant en inadéquation avec la réalité du préjudice. Si le préjudice dure toujours, le juge pourra enjoindre à l’État de respecter ses engagements et de faire cesser le préjudice. 

    Pour juger de l’actualité du préjudice, le juge donne deux mois aux ministres pour prouver que le préjudice a bien cessé.

    Quelle suite pour l’Affaire du Siècle ?

    L’État bientôt contraint par la justice à réparer les conséquences de son inaction ?

    La procédure juridique n’est pas terminée. La reconnaissance de la faute que constitue son inaction climatique était une condition indispensable pour contraindre l’État à agir. Cette première étape historique désormais franchie, la justice doit maintenant décider s’il ordonne à l’Etat de prendre des mesures supplémentaires pour réduire ses émissions de gaz à effet de serre, respecter ses engagements pour le climat et lutter contre la crise climatique ! 

    Une nouvelle audience aura lieu au printemps. D’ici là, nous allons déposer de nouveaux arguments pour démontrer que les actions prévues sont insuffisantes et que la justice doit contraindre l’Etat à lutter efficacement et concrètement contre le dérèglement climatique !

    La portée de cette décision

    La décision fera date au niveau international. Parce que ce sont des actions comme ça qui poussent les citoyens à travers le monde à se lever pour demander à la justice de protéger leurs droits fondamentaux et à imposer aux gouvernements d’agir plus vite, plus fort, pour lutter contre le changement climatique, dont les conséquences déjà désastreuses aujourd’hui le seront encore plus par la suite.

    C’est d’ailleurs comme ça qu’est née notre Affaire à Tous, suite à la première victoire d’Urgenda aux Pays-Bas. Avec l’envie de faire la même chose en France, de faire reconnaître la responsabilité de l’Etat, de le pousser à agir. Et plus largement pour que la justice fasse émerger de nouvelles responsabilités en matière climatique et environnementale, notamment pour les entreprises.

    Cette nouvelle responsabilité climatique, amorcée par la décision de ce jour, Notre Affaire à Tous et des dizaines d’autres à travers le monde, œuvrent pour la voir largement reconnue, envers les acteurs publics comme privés.

    Comment vous pouvez agir

    Partagez la vidéo de cette victoire historique avec vos proches, sur Facebook, sur Twitter, sur Instagram, envoyez-leur cet email… 

    Ensemble, aujourd’hui, nous avons remporté une victoire cruciale face à l’urgence climatique. Mais ce n’est pas fini, la mobilisation doit continuer pour obliger l’Etat à agir. 

    Merci de votre soutien !

  • PR / A historic decision in the Case of the Century: the French State is found liable for its insufficient climate action

    Press release – February 3, 2020

    In its Case of the Century decision, issued on the 3rd of February 2021, the Paris Administrative court acknowledged the French State’s responsibility in the climate crisis. It also recognised that it was illegal for the State not to respect its commitments in reducing greenhouse gas emissions. The Court recognised that climate change constitutes an « environmental damage » to which the State’s inaction has contributed » An additional decision is to come in the spring: the Court may then sentence the Government to take additional climate measures.

    The organisations bringing the Case of the Century stated, « More than two years after the start of our action, supported by 2,3 million people, this decision marks the first historic victory for climate and a major step forward in French law. This decision is also a victory for the truth: until now, the State denied its lack of action on climate change, despite accumulating evidence of the contrary (regularly exceeding carbon budgets as widely acknowledged by governmental agencies and advisory councils…). The Court recognises that the new « Climate » bill is not sufficient to reach currently fixed objectives. We very much hope that justice will not limit itself to recognising the State’s fault, but will also force it to take concrete measures to respect its climate commitments. »

    The French State’s lack of sufficient action against climate change is recognised for the first time

    The Court judged that the French State is at fault for not adopting sufficient measures to fight climate change and reduce France’s greenhouse gas emissions up to  the objectives that France set for itself. It is the first time that a French court has recognised that the State is accountable for climate inaction. With such recognition of the State’s fault, every direct climate change victim in France will be able to turn to justice to claim for damages. The State will have to face its responsibility for years of insufficient climate action.

    The State’s insufficient climate action is directly harmful to the environment

    The Court has also recognised « that the State contributed to the harm done to the environment (the « environmental damage ») by exceeding France’s annual carbon budgets ». This judgment is a first in French law in that public entities are now as liable for pure environmental damage as private entities.

    The Court likely to mandate the State to repair the consequences of its inaction

    An additional court decision in the Spring [2] could sentence the State to take additional measures to tangibly and effectively fight the climate crisis. Recognising  the State’s lack of sufficient climate action, which constitutes a fault, was a necessary condition to force the State to take action. With this first historic step taken, the Court must now decide how to put an end to the State’s illegal actions (or lack thereof), and beyond that, how to repair the harm already done by the excess of greenhouse gas emissions compared to France’s objectives.

    Note to editors

    The court has also recognised the moral prejudice caused by the government’s insufficient action to four of the co-defendants (Notre Affaire à Tous, the Nicolas Hulot Foundation, Greenpeace France,Oxfam France).

    1. An impact study led by the government itself shows that the legislation will only allow it to go half or two thirds of the way in terms of climate objectives.

    2. The court has reopened an investigation for 2 months to allow more discussion between the State and the NGOs 

    The Court could issue this decision after the State Council’s one in the Case brought by the city of Grande Synthe and supported by the Case of the Century. In the Grande Synthe’s Case, the Court asks the State to prove it can conform to its 2030 climate objectives. In the absence of satisfactory evidence brought by the State, the State Council could sentence it to take additional action. In both cases, the Case of the Century organisations will submit further evidence proving that France does not take sufficient action.

    Contacts

    Notre Affaire à Tous : Cécilia Rinaudo – 06 86 41 71 81 – cecilia@notreaffaireatous.org
    Fondation Nicolas Hulot : Paula Torrente – 07 87 50 74 90 – p.torrente@fnh.org
    Greenpeace France : Kim Dallet – 06 33 58 39 46 – kim.dallet@greenpeace.org
    Oxfam France : Elise Naccarato – 06 17 34 85 68 – enaccarato@oxfamfrance.org