Catégorie : Actualités

  • Tribune collective : Pour un droit à respirer, partout en France

    Nous lançons à Lyon le quatrième recours demandant l’annulation d’un plan local sur la pollution de l’air en moins d’un an, et il n’est pas une exception : la faiblesse des plans locaux de l’État sur la qualité de l’air est systémique et persistante. Cette tribune nationale, publiée sur Le Monde à l’occasion de la Journée Mondiale de la Santé, unit des voix qui exigent de l’État qu’il se donne enfin les moyens de protéger la santé de ses citoyen.ne.s tout en intégrant réellement le paramètre de la justice sociale.

    La pollution de l’air : un danger mortel invisible…

    En France, la pollution de l’air est responsable de plus de 40 000 décès prématurés par an, dont plus de 4 300 dans la région Auvergne-Rhône-Alpes (Santé Publique France). En 2021, une étude coordonnée par l’université Harvard a même réévalué le nombre de décès prématurés en France à près de 100 000. Au-delà de cet état de fait, les études se multiplient pour montrer le  lien entre la pollution de l’air et différentes maladies : asthme, maladies cardiovasculaires et pulmonaires, cancers, maladies du foie, ou d’autres maladies du type Alzheimer ou Parkinson. La pollution de l’air est ainsi avant tout une question de santé publique. 

    C’est également un enjeu de justice sociale. De fait, les personnes les plus vulnérables sont celles qui sont le plus exposées aux pollutions. Dans l’agglomération lyonnaise par exemple, les personnes vivant à proximité des grands axes routiers ou autour de la Vallée de la chimie, dont les revenus sont en moyenne plus faibles (Insee), sont aussi celles qui souffrent le plus de la pollution de l’air.Ces impacts ont un coût, sanitaire et socio-économique, estimé à près de 100 milliards d’euros par an en France (Sénat).

    …En décalage avec l’inaction de l’Etat

    Ce constat est alarmant, mais le plus inquiétant est le décalage entre les enjeux soulevés par la pollution de l’air et les mesures pour le moins insuffisantes engagées par l’Etat et ses services.

    En octobre 2022, le Conseil d’Etat condamnait à nouveau l’Etat pour son inaction en matière de pollution de l’air, et plus précisément pour son non-respect des normes européennes, notamment dans l’agglomération lyonnaise. L’Etat ne fait toujours pas assez pour protéger ses citoyen·ne·s et leur offrir un air sain, conformément à l’obligation édictée par la loi sur l’air de 1996. En septembre 2022, le Conseil d’Etat reconnaissait aussi le droit de tou·te·s à vivre dans un environnement sain comme liberté fondamentale.

    Pourtant, l’Etat possède plusieurs leviers d’action pour limiter la pollution de l’air, dont les Plans de Protection de l’Atmosphère (PPA), mis en place par les préfectures pour les agglomérations de plus de 250 000 habitants. A Lyon, la deuxième version du PPA (PPA-2) avait été reconnue en 2019 comme insuffisante par le tribunal administratif. En novembre 2022, la nouvelle version du PPA (PPA-3) a été adoptée. Ce nouveau plan aurait pu être l’occasion pour l’Etat de réhausser ses ambitions contre la pollution de l’air, mais il demeure insuffisant et incohérent. En effet, peu d’objectifs sont chiffrés, les calendriers de mise en œuvre des mesures sont trop peu ambitieux et rarement précisés, et il est déjà certain que les moyens alloués par l’Etat seront insuffisants pour mettre en œuvre la totalité des mesures du PPA…

    Pour toutes ces raisons, et parce que protéger la santé de tou·te·s ainsi que l’environnement devrait être la priorité de l’Etat, plusieurs associations et habitant·e·s de l’agglomération lyonnaise ont décidé de demander l’annulation du PPA-3 lyonnais, afin de faire reconnaître son insuffisance et d’en obtenir une version plus ambitieuse.

    Cette problématique du PPA lyonnais n’est pas spécifique à l’agglomération : la faiblesse des plans locaux de qualité de l’air est systémique et persistante, et doit être dénoncée partout. Depuis plusieurs mois, d’autres PPA sont remis en question ailleurs : par les Amis de la Terre Marseille pour l’agglomération marseillaise, par le Collectif Citoyen 06 pour l’agglomération niçoise, par la Mairie de Grenoble pour l’agglomération grenobloise.

    Nous, scientifiques, représentant·e·s de la société civile, avocat·e·s, politiques, citoyen·ne·s, appelons à des plans locaux de lutte contre la pollution de l’air réellement protecteurs. Nous demandons à ce que la pollution de l’air soit désormais considérée comme un enjeu prioritaire de santé publique et de lutte contre les inégalités sociales et environnementales. Nous exigeons un droit à respirer !

    #pourundroitarespirer

    Premiers signataires

    Clément Drognat, Coordinateur de La Rue est à Nous – Lyon

    Emma Feyeux, Présidente de Notre Affaire à Tous – Lyon

    Florian Brunet, Directeur de France Nature Environnement – Rhône

    Jérémie Suissa, Directeur Général de Notre Affaire à Tous

    Nadine Lauverjat, Directrice Générale de Générations Futures

    Tony Renucci, Directeur Général de Respire

    Soutenue par :

    Adrian Saint-Pol, Porte-parole de Greenpeace Lyon

    Airy Chrétien, Fondateur du Collectif Citoyen 06 – Nice

    Alicia Pillot, Fondatrice de PEPS’L

    Anne Souyris, Maire adjointe de Paris sur la santé publique et environnementale, la lutte contre les pollutions, et la réduction des risques

    Charles de Lacombe, Porte-parole d’Alternatiba ANV Rhône

    Claire Dulière, Coordinatrice plaidoyer de Zéro Déchet Lyon

    Dan Lert, Maire adjoint de Paris en charge de la transition écologique, de l’eau et de l’énergie

    David Belliard, Maire adjoint à Paris en charge de la transformation de l’espace public, des transports, des mobilités, du code de la rue et de la voirie

    Éric Piolle, Maire de Grenoble 

    Frédérique Bienvenue, Co-présidente de La Ville à Vélo – Lyon Métropole

    Gabriel Amard, Député de la sixième circonscription du Rhône

    Hélène Leleu, Avocate au Barreau de Lyon

    Isabelle Michallet, Maîtresse de conférences, Université Jean Moulin Lyon 3

    Louise Tschanz, Avocate au Barreau de Lyon

    Marie Pochon, Députée de la troisième circonscription de la Drôme

    Marie-Charlotte Garin, Députée de la troisième circonscription du Rhône

    Sandrine Berterreix, Anthony Delcambre, Marie Guirguis et Orianne Moulinier, Alliance Santé Planétaire

    Sylvain Delavergne, Coordinateur de Clean Cities Campaign France 

    Thomas Bourdrel, Coordinateur de Strasbourg Respire

    Thomas Dossus, Sénateur du Rhône

  • CP / Le Parlement européen plaide pour la reconnaissance du crime d’écocide dans le droit européen

    Le mercredi 29 mars 2023

    Le Parlement vient de rendre son rapport sur la révision de la Directive sur la criminalité environnementale. De manière unanime, il requiert des Etats membres la reconnaissance et la condamnation des crimes les plus graves commis contre l’environnement, les écocides.

    Il s’agit d’une première victoire pour les militant.e.s et associations qui se battent depuis plus de 50 ans pour reconnaître le crime d’écocide au niveau international. La position du Parlement européen est claire et adoptée à l’unanimité : les Etats membres doivent inscrire l’écocide dans leur système juridique. 

    Notre Affaire à Tous, qui milite depuis sa création pour la reconnaissance du crime d’écocide à l’échelle internationale et nationale, se réjouit de cette avancée au niveau européen. Une avancée rendue possible grâce notamment à l’eurodéputée Marie Toussaint, co-fondatrice de Notre Affaire à Tous, qui coordonne l’Ecocide Alliance, une alliance internationale de parlementaires pour la reconnaissance de l’écocide.

    Le préambule du rapport dispose ainsi que “lorsqu’un délit environnemental cause des dommages graves et étendus ou durables ou irréversibles à la qualité de l’air, à la qualité du sol ou à la qualité de l’eau, ou à la biodiversité, aux services et fonctions des écosystèmes, aux animaux ou aux plantes, il devrait être considéré comme un crime d’une gravité particulière, et sanctionné comme tel conformément aux systèmes juridiques des États membres, couvrant l’écocide, pour lequel les Nations unies travaillent actuellement à l’élaboration d’une définition internationale officielle.”

    Cette définition reprend celle du panel d’experts international mis en place en 2021 sous l’égide de la fondation Stop Ecocide, qui avait proposé une définition similaire de l’écocide afin de modifier le Statut de Rome. L’écocide est ainsi entendu comme un crime environnemental “grave” et “étendu ou durable ou irréversible”.

    Alors que la criminalité environnementale est devenue la troisième activité la plus lucrative derrière le trafic de stupéfiants et la contrefaçon, et que des centaines de défenseurs de l’environnement sont assassinés dans le monde chaque année, les crimes les plus graves commis contre l’environnement restent impunis. On peut citer notamment les catastrophes de Bhopal et du Deepwater Horizon, ou encore le scandale sanitaire et environnemental du Chlordécone aux Antilles.

    C’est un grand pas que vient de franchir le Parlement européen en vue de la reconnaissance des crimes les plus graves contre l’environnement. L’environnement est en train de devenir une nouvelle valeur fondamentale digne d’être protégée par le droit pénal .” indique Marine Yzquierdo, avocate et administratrice de Notre Affaire À Tous.  

    Avec l’extension de la liste des crimes environnementaux, dont la référence à l’écocide, le renforcement des peines et l’amélioration de la coopération transfrontalière, la proposition du Parlement européen permet de s’attaquer sérieusement à la “dépénalisation de fait” de la protection de l’environnement.”, ajoute Théophile Keïta, également avocat et administrateur de Notre Affaire à Tous.

    Il reste néanmoins à franchir une dernière étape, le “Trilogue” : cette phase de négociation entre le Parlement européen, la Commission européenne et le Conseil européen (réunissant les représentants des gouvernements) doit permettre de trouver un accord sur un texte final. 

    L’avis du gouvernement français, qui avait refusé de reconnaître le crime d’écocide comme le préconisait la Convention Citoyenne pour le Climat (pour le réduire à un simple “délit d’écocide” vidé de sa substance), aura un poids important dans ces négociations institutionnelles. D’ailleurs, conformément à la loi climat et résilience issue des travaux de la Convention citoyenne pour le climat, la France s’est engagée à mettre en place les actions nécessaires pour reconnaître le crime d’écocide au niveau international.

    Si la position du Parlement européen était retenue en Trilogue, cela pourrait faciliter ensuite la reconnaissance de l’écocide au niveau international, les Etats de l’Union européenne représentant 40% des Etats parties à la Cour pénale internationale.

    Contacts presse

    Marine Yzquierdo

    marine.yzquierdo@notreaffaireatous.org


    Théophile Keita

    theophile.keita@notreaffaireatous.org

  • IMPACTS HORS SÉRIE – 22 mars 2023 – Sécheresse en France en plein hiver

    En début d’année, la France métropolitaine a battu son record de nombre de jours sans pluie : 32 jours, du jamais vu depuis le début des enregistrements en 1959. Si quelques gouttes ont pu tomber ici ou là, le cumul quotidien des précipitations a été inférieur à 1 mm, et ce en plein hiver – période essentielle où les nappes phréatiques se remplissent et où la neige s’accumule en montagne. Le mois de février 2023 a été le mois le plus sec jamais enregistré avec un déficit de précipitation d’environ 50%. La situation est également préoccupante dans les territoires ultra-marins, par exemple en Guadeloupe où le déficit de précipitations est de -30% depuis décembre 2022. Les prévisions pour l’été 2023 concernant la sécheresse sont inquiétantes. Les réserves en eau qui avaient permis aux territoires français de traverser la sécheresse de 2022 ne sont pas constituées pour faire face à un été chaud et sec.

    Pourquoi une telle sécheresse ? Est-ce dû au réchauffement climatique ? Quelles conséquences actuelles et à venir ? 

    Pour le 22 mars, journée mondiale de l’eau, nous vous proposons quelques éléments de réponse dans ce nouvel hors-série de notre revue IMPACT.

    Quelle sécheresse en France actuellement ?

    La sécheresse est un épisode de manque d’eau créant un déséquilibre hydrologique. La France est actuellement touchée par trois types de sécheresse : 

    • la sécheresse météorologique qui provient d’un déficit de précipitations sur une période donnée ;
    • la sécheresse agricole lorsque le déficit de précipitations créé un déficit hydrique des sols mesuré par le taux d’humidité à 1 mètre de profondeur ;
    • la sécheresse hydrologique qui est atteinte quand les niveaux des nappes phréatiques et des cours d’eau sont trop bas.

    Selon le Bureau des Recherches Géologiques et Minières (BRGM), le niveau des nappes phréatiques au 1er mars 2023 est anormalement bas, avec 80% des nappes à des niveaux modérément bas à très bas. 

    Le saviez-vous ?

    Au 16 mars 2023, sept départements français (Ain, Alpes-Maritime, Ardèche, Bouches-du-Rhône, Drôme, Guadeloupe, Isère, Pyrénées-Orientales, Var) en alerte sécheresse ont déjà pris des mesures de restriction d’eau.

    Cette situation est due à une année 2022 et un début 2023 particulièrement chauds et secs selon MétéoFrance

    Près de -25% de précipitations sur l’ensemble de la France métropolitaine en 2022, l’année dernière a été la plus chaude jamais enregistrée. La sécheresse de 2022 avait déjà coûté 2 à 3 milliards d’euros aux assureurs et 76 millions d’euros à l’État au titre des indemnisations agricoles. L’année 2022 faisait elle-même suite à d’autres étés très secs successifs depuis 2018.

    Ces phénomènes de sécheresses à répétition et sévères sont une conséquence du changement climatique comme expliqué par le GIEC dans le résumé final de son sixième rapport en trois volets sorti ce lundi  20 mars 2023.En effet, le changement climatique entraîne un changement des saisons, une réduction de la période hivernale avec un réchauffement important des étés. Or, la chaleur renforce l’évaporation de l’eau. Des chercheurs du CNRS ont prouvé pour l’été 2022 l’impact du changement climatique d’origine humaine sur la circulation atmosphérique et sur la sécheresse. Mais d’autres facteurs aggravent la sécheresse. Avec la bétonisation, l’urbanisation et l’agriculture conventionnelle qui a fortement dégradé les sols, l’eau s’infiltre beaucoup moins dans les sols, ce qui a tendance à empêcher le rechargement des nappes phréatiques.

    Les conséquences de la sécheresse sont importantes. Nous en avions déjà décrit certains dans un précédent hors-série consacré au bilan de l’été 2022.

    L’accès à l’eau des personnes : un enjeu majeur

    Sans eau, l’humain meurt. Le droit à l’eau – sans être consacré par la constitution française – est reconnu par l’article L210-1 du Code de l’environnement. Or, la sécheresse a des conséquences importantes sur l’accès à l’eau des personnes. Elle impacte tant la quantité d’eau disponible que sa qualité (développement de bactéries, concentration de composés, etc). 

    En Outre-mer, notamment en Guadeloupe, les services d’eau potable procède à des coupures face au manque de ressource. En métropole, de nombreuses communes connaissent chaque année leur “Jour Zéro”, le jour où il n’y a plus d’eau au robinet. Plus de 700 communes ont connu des difficultés d’approvisionnement en eau en 2022 et 550 ont dû ravitailler leurs concitoyens par camion-citerne.

    Au-delà de l’accessibilité physique de l’eau, le problème de l’accessibilité financière se pose. La sécheresse participe à faire monter le prix de l’eau. Or, en 2017, on estimait que 3% de la population française était déjà en situation de précarité hydrique (c’est-à-dire que le poids de l’eau dans leur budget est égal ou supérieur à 10% de leur budget total).

    L’accès à l’eau est révélateur d’importantes inégalités : 

    • inégalités territoriales, entre les territoires qui ont suffisamment d’eau et ceux qui en manquent
    • inégalités sociales, entre les ménages aisés qui ont plus facilement accès à la ressource et les ménages les plus pauvres. (Outre le revenu, d’autres facteurs renforcent ces inégalités, notamment le manque de représentativité politique, les limites de l’accès à l’information et de la participation à la décision publique). 

    Cet été 2022, le manque d’eau dans des villages du sud a montré les tensions et les inégalités que pouvait générer la sécheresse.

    La sécheresse a des conséquences pour les végétaux et les animaux

    L’eau est indispensable à la survie de nombreux végétaux sur le territoire français qui ne sont pas adaptés à des milieux très secs. Pour les plantes, la sécheresse entraîne un manque d’eau qui a un impact sur leur croissance et peut entraîner leur mort. La période de récupération des végétaux suite à une sécheresse peut être très longue, elle est en moyenne de 6 mois au niveau mondial. Les conséquences pour la flore sont donc durables dans le temps.

    Pour le monde animal, la sécheresse a également des conséquences importantes. Les animaux aquatiques sont particulièrement touchés par les bas niveaux des cours d’eau qui fragmentent leur milieu voire amènent son assèchement complet, ce qui entraîne la mort de nombreux individus. Mais toute la faune est concernée avec des difficultés pour boire et s’hydrater, mais aussi une transformation de leur habitat (diminution de la transpiration des arbres en forêt, baisse de la qualité de l’eau, diminution des végétaux disponibles pour l’alimentation, incendies, etc) qui créent une surmortalité importante. Prenons l’exemple des oiseaux qui sont en pleine période de nidification et particulièrement vulnérables à la déshydratation. 

    Bien sûr, totalement dépendant de son environnement pour sa survie, l’humain souffre par effet de rétroaction des impacts de la sécheresse sur la faune et la flore.

    La sécheresse a un impact direct sur les activités agricoles, cultures et élevages.

    En 2022, la sécheresse avait fait chuter de 54% les rendements de maïs non irrigués et cette année 2023 pourrait être encore pire. Les arbres fruitiers souffrent déjà de la sécheresse hivernale en ce début 2023 et ils ne vont pas pouvoir mobiliser suffisamment d’eau pour leur croissance et la production de fruits. La vigne est également impactée par la sécheresse des sols dans de nombreux départements, par exemple en Côte d’Or. Les conséquences se font aussi sentir pour l’élevage en jouant sur la disponibilité du fourrage et l’hydratation des animaux. Si la sécheresse actuelle se poursuit en mars et avril, il risque de ne pas y avoir assez de fourrage pour nourrir les animaux. Cet épisode précoce de sécheresse est d’autant plus inquiétant qu’il fait suite à un été 2022 qui avait fortement impacté le secteur agricole (manque d’herbe, récoltes détruites, trésorerie dégradée, baisses de revenus, licenciements dans un secteur soumis déjà à de fortes disparités sociales).

    Les ressources agricoles constituent notre alimentation. Les difficultés de production alimentaire à cause de la sécheresse vont réduire les stocks disponibles mais risquent également de faire augmenter les prix de certains produits alimentaires.

    De multiples impacts sur la santé

    La santé des personnes est également à risque face à la sécheresse. Il y a les conséquences immédiates les plus évidentes : déshydratation, problème d’hygiène lié au manque d’eau ou encore risques de dénutrition et malnutrition induits par les conséquences de la sécheresse sur l’alimentation. Mais d’autres conséquences moins connues existent sur notre santé. Peu d’études ont été faites en France, mais dans d’autres pays des chercheurs ont démontré que la sécheresse pouvait : 

    • causer ou aggraver des maladies respiratoires (concentration en poussières et en particules fines dans l’air), 
    • amener le développement de certains pathogènes (notamment les norovirus), favoriser les maladies vectorielles en particulier celles diffusées par les moustiques, 
    • augmenter les risques d’exposition à des contaminants (concentration de composés dans l’eau, mais aussi application de pesticides qui par temps sec ont plus de chance de se répandre dans une zone non ciblée et de s’accumuler),
    • ou encore favoriser les problèmes de santé mentale et le stress face au manque d’eau.

    Des conséquences aussi sur le logement

    Au-delà des limitations des permis de construire pour des maisons neuves du fait du manque d’eau dans certaines communes, la sécheresse joue également sur le phénomène de retrait et gonflement des argiles qui vient fragiliser les bâtiments. Le manque d’eau amène une perte de volume des argiles entraînant leur retrait et l’affaissement des sols où se trouvent les fondations et les dallages des bâtiments. Les sinistres liés à l’impact de la sécheresse sur les bâtiments ont été multipliés par quatre en 5 ans et touchent désormais des régions jusque-là épargnées comme l’Est de la France. Selon un rapport du ministère de la Transition Écologique publié en 2021, plus de 10 millions de maisons individuelles sont menacées et le phénomène pourrait s’aggraver jusqu’à concerner une maison sur deux en France métropolitaine.

    Quelles solutions ?

    Un Plan national sur l’eau devrait être annoncé dans les jours qui viennent dans le même format que le plan de sobriété énergétique de cet hiver. Selon les premières informations, ce plan, auquel on peut reprocher sa verticalité et l’absence d’adaptation à chaque territoire, insisterait sur la remise aux normes du réseau soumis à d’importantes fuites et sur l’effort des citoyen·ne·s pour une sobriété hydrique. 

    Face à l’annonce de ce plan, deux enjeux méritent notre attention :

    • Face aux sécheresses, attention aux bonnes solutions. Les politiques publiques trop souvent encore financent des maladaptations au détriment de solutions d’intérêt général. Par exemple, de nombreux agriculteurs se tournent vers la création de retenues d’eaux immenses pouvant aller jusqu’à couvrir la surface de 250 piscines olympiques. Ces retenues représentent des chantiers d’aménagement coûteux de plusieurs millions d’euros à 70% financés par l’État, mais celles-ci vont puiser encore plus dans les nappes phréatiques, captent dans le bassin versant déjà soumis à de fortes baisses de débit de l’eau et amènent d’importantes pertes du fait de l’évaporation. 
    • Nous ne sommes pas tou·te·s égaux face à la ressource en eau. Une réflexion collective est nécessaire pour réduire de façon intelligente et solidaire notre consommation d’eau en priorisant les usages de façon juste et équitable. L’eau est l’affaire de tou·te·s ! À cet égard, consacrer notre droit d’accès à une eau potable dans la Constitution pourrait être un bouclier juridique pour les citoyen·ne·s des générations présentes et futures.

    POUR EN SAVOIR PLUS

  • CP/ Proposition de loi sur l’artificialisation des sols :  Vers l’abandon de l’objectif Zéro Artificialisation Nette (ZAN)

    La Plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) estime qu’environ 1 million d’espèces sont aujourd’hui menacées d’extinction. Dans un tel contexte, il est impératif d’assurer la sauvegarde de la richesse écosystémique de notre territoire. En moyenne 27 000 hectares sont artificialisés annuellement en France, avec comme principaux responsables la construction de logements neufs et l’industrie(1). Face à ce constat, la loi Climat et Résilience de 2021 a imposé l’atteinte d’un taux d’artificialisation nette des sols d’ici 2050(2).

    Concrètement, la loi impose , d’ici à 2031, une réduction de moitié du rythme d’artificialisation d’espaces naturels, agricoles et forestiers (ENAF) observé au cours des dix années précédant le 24 août 2021. Pour assurer une mise en œuvre adaptée et effective de cet objectif, la loi a désigné l’échelon régional comme étant au cœur de sa déclinaison.  Ce sont les outils d’urbanisme infrarégionaux et locaux qui devront assurer la coordination de l’objectif ZAN au niveau régional.

    Les ONG environnementalistes, dont Notre Affaire À Tous, considèrent que ce dispositif est indispensable pour limiter la destruction de la biodiversité en France et de tous les services qu’elle rend, et soutiennent une mise en œuvre rationnelle . Il ne s’agit pas de s’opposer au développement territorial, mais de mettre en place un développement équilibré qui prenne également en compte la protection de  l’environnement, et la nécessité de construire des territoires résilients qui permettront d’atténuer les effets de la chute de la biodiversité.

    Les collectivités territoriales, de leur côté, sont soumises à de nombreuses contraintes d’ordre économique et social, outre les enjeux environnementaux. L’objectif ZAN, tel que défini par la loi et précisé par deux décrets d’application du 29 avril 2022, a suscité de nombreuses inquiétudes pour les élu.e.s. Ils.elles dénoncent notamment une recentralisation rigide en matière d’aménagements, tant en faveur de la protection de l’environnement que pour la réindustrialisation du pays. 

    Les collectivités territoriales sont au cœur de l’atteinte de l’objectif ZAN, puisque ce sont elles qui devront effectuer un compromis sociétal entre développement économique, atteinte des objectifs de logements sociaux, maintien d’espaces naturels, agricoles et forestiers. Face à la nécessité de préciser l’articulation entre l’atteinte de l’objectif ZAN et la prise en compte de ces enjeux, le Sénat a introduit une proposition de loi, le 14 décembre 2022, visant à faciliter la mise en œuvre des objectifs ZAN au cœur des territoires. L’examen en séance entamé depuis le 14 mars ne présage rien de rassurant quant aux amendements du texte actuellement discutés.

    Une proposition de loi mettant en péril l’objectif ZAN

    La territorialisation nécessaire de l’objectif ZAN

    Les dispositifs législatifs des vingt dernières années n’ont pas abouti à mettre en œuvre une réduction de la consommation d’espaces naturels, agricoles, et forestiers. En effet, ceux-ci fixaient des objectifs qui étaient insuffisamment opposables au niveau local. Ainsi les dispositifs sont devenus des objectifs généraux qui ne se sont pas appliqués  sur le terrain, et l’artificialisation des sols a pu s’intensifier.

    Par conséquent, il est indispensable que l’objectif ZAN soit le plus opposable possible, et soit territorialisé à petite échelle.

    La loi Climat et résilience prévoit ainsi d’accorder à la région, et notamment à travers le Schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (SRADDET), d’importantes prérogatives en matière d’orientations d’aménagement pour une gestion économe des sols. Pour en assurer l’effectivité, elle impose un rapport de compatibilité avec les autres documents de planification tels que les Schémas de cohérence territorial (SCOT) ou Plans locaux d’urbanisme (PLU) non soumis à un SCOT, vis-à-vis des objectifs fixés par le SRADDET. Désormais, ces documents locaux d’urbanisme ne pourront contredire ces objectifs.

    Toutefois, la proposition de loi sénatoriale prévoit de revenir sur cette évolution et d’imposer à la place un simple rapport de prise en compte, qui signifie que les documents d’urbanisme locaux ne doivent pas s’éloigner des orientations fondamentales de la norme supérieure, le SRADDET, mais pourront y déroger en justifiant de l’intérêt d’une opération particulière. Cette évolution correspondrait finalement à transformer une obligation en en simple recommandation, ce qui, en somme,  reviendrait à  un abandon de l’objectif ZAN.

    Cette dérogation s’inscrit dans une série de dérogations envisagées par le législateur afin d’alléger le poids des contraintes pesant sur les collectivités territoriales pour atteindre l’objectif ZAN. 

    Une série de dérogations excessives conduisant à une dénaturation du dispositif Zéro Artificialisation Nette

    La proposition des sénateurs souhaite approfondir la prise en compte des spécificités des territoires dans la mise en œuvre de l’objectif ZAN. Cette opération est délicate puisqu’elle induit le risque  de rendre inopérant cet objectif à travers des dérogations qui, cumulées,  annihilerait l’effort de réduction de l’artificialisation. Plusieurs points suscitent l’inquiétude des associations environnementales :

    1/ Au vu des inquiétudes soulevées par les collectivités territoriales rurales, les sénateurs ont inclu une garantie rurale offrant la possibilité aux communes et EPCI de prévoir une “surface minimale de développement communal” de 1 hectare.

    Ce plancher minimum de 1 hectare est trop élevé compte tenu du nombre de communes rurales concernées par cette garantie, comme l’a relevé la vice Présidente de la région Nouvelle Aquitaine l’a évoqué lors de son audition du 14 février 2023 au Sénat. Il s’agirait plutôt de mettre en place une garantie rurale évaluée, adaptée et plus restrictive afin d’encourager et de faciliter la continuité de l’effort de sobriété foncière.(3).

    2/ Les sénateurs souhaitent aussi répondre aux difficultés subies par les communes et EPCI littoraux face aux recul du trait de côte rendant de nombreuses parcelles inutilisables. Le texte prévoit également que, dans les communes littorales, “les surfaces artificialisées rendues impropre à l’usage en raison de l’érosion côtière [soient] considérées comme ayant fait l’objet d’une renaturation”. De surcroît,  les opérations de relocalisation ne seraient pas comptabilisées comme de l’artificialisation. Néanmoins un amendement propose que les terres délaissées fassent l’objet d’une réelle renaturation afin de garder la cohérence de stratégie de lutte contre l’artificialisation des sols, nous attendons donc beaucoup du vote à venir sur cet amendement.

    Il est indéniable que les collectivités territoriales subissant la réduction progressive de leur territoire à cause du phénomène d’érosion côtière doivent absolument être accompagnées, notamment au regard de l’atteinte de l’objectif ZAN. La réalisation de cet objectif est, nous le rappelons, indispensable pour enrayer la perte dramatique de la biodiversité et faire face aux effets déjà ressentis du changement climatique.

    Ainsi, l’enjeu est double : soutenir financièrement les travaux de renaturation et désimperméabilisation des terres perdues, et repenser l’aménagement des territoires dans le cadre de la relocalisation. La proposition de loi doit prendre en compte ces enjeux, sous peine d’accélérer le rythme d’artificialisation sur le littoral et faillir à l’objectif ZAN.

    3/ La territorialisation de l’objectif ZAN soulève la problématique de la prise en compte des projets d’ampleur ou d’intérêt national. Dans un souci d’équité entre les territoires, la proposition de loi prévoit que les projets d’intérêt national majeur ne soient pas intégrés et fassent l’objet d’une comptabilisation séparée afin de ne pas pénaliser les seuls territoires qui les accueillent.

    Cette justification est compréhensible, mais il est impératif que ces projets soient limitativement énumérés, et non présumés comme étant d’intérêt national majeur comme le prévoit le texte. Or, l’enveloppe nationale prévue est beaucoup trop large car y inclut beaucoup de types de projets, qui se revendiqueront tous d’intérêt national majeur pour échapper à la comptabilisation régionale, À plus forte raison, les amendements votés élargissent d’autant plus le périmètre de cette enveloppe nationale, par exemple avec les projets industriels « représentant un intérêt pour la souveraineté économique nationale ou européenne », ou les projets internationaux, nationaux, interrégionaux. En somme, l’intérêt économique prend encore plus de place dans la mise en concurrence entre  développement économique et protection de l’environnement, et relève désormais d’un intérêt national majeur (nouvelle notion juridique) alors que l’effondrement de la biodiversité est déjà alarmant.

    En outre, la comptabilisation de cette enveloppe isolée est très floue, et l’on se demande comment l’objectif ZAN va être respecté en instaurant une trajectoire parallèle aux régions, qui comprend autant de projets structurants et consommateurs de terres. Cela est à mettre en relation avec la garantie rurale, qui aurait en soi pu être souhaitable si les projets d’ampleur étaient  comptabilisés strictement. 

    En somme, cette proposition de loi souhaite introduire un ensemble de régimes dérogatoires, qui certes prennent en compte les spécificités des territoires, mais pour autant complexifient et mettent grandement à mal la mise en œuvre du ZAN. L’accentuation de la territorialisation de cet objectif doit se faire sans pour autant dénaturer le dispositif prévu par la loi Climat et Résilience. 

    La complexification de la notion même d’artificialisation

    Outre des critères excessifs incompatibles avec l’objectif ZAN, la proposition de loi appauvrit également la notion de zones non-artificialisée. Elle propose de considérer comme non artificialisées les surfaces végétalisées à usage résidentiel, secondaire ou tertiaire (tels que les parcs urbains, les jardins privés etc…). Dans le cas où elles seraient finalement artificialisées, au sens de recouverte par du bâti ou une couche minérale, cette artificialisation ne serait pas comptabilisée dans l’objectif ZAN.

    La définition des surfaces non-artificialisées est déterminante dans l’atteinte de l’objectif ZAN, et cette disposition en est l’illustration. Si aujourd’hui les surfaces végétalisées à usage résidentiel, secondaire ou tertiaire participent au maintien du cadre de vie, notamment au sein des îlots de chaleur, elles n’ont cependant pas de comparaison avec d’autres types de surface qui sont plus fournies écologiquement et ont des fonctionnalités plus riches pour la biodiversité. 

    Reconnaître ce type de surface comme étant non-artificialisé, c’est ouvrir la porte à des opérations de renaturation considérées comme suffisantes (4), malgré la faible valeur écologique d’une pelouse, à titre d’exemple. La notion de renaturation devient alors dénuée de sens, et le concept même d’artificialisation nette se retrouve vidé de sa substance.

    Quand bien même cette disposition ait pour objectif de conserver ces espaces naturels au sein des villes dans le contexte de la densification, le code de l’urbanisme (5) garantit d’ores et déjà que tout ouverture à l’urbanisation d’ENAF (espaces naturels, agricoles, et forestiers) a soit justifiée par une étude de densification des zones déjà urbanisées. Le zonage PLU, le contrat ORE, sont des outils permettant également une protection de ces espaces.

    Ainsi cette disposition est injustifiée, mais permet de relever la faiblesse de la dualité de la définition de l’artificialisation dans la loi Climat et Résilience : tous les ENAF n’ont pas la même valeur écologique, et il conviendrait de les distinguer en fonction de ces données (une pelouse n’est pas aussi riche en biodiversité, qu’un bois).

    Les lacunes de la proposition de loi s’agissant de la renaturation des sols

    La renaturation est reléguée à la fin de la proposition de loi, dont les rédacteurs auraient dû saisir l’opportunité pour affiner la définition du processus de renaturation. Cette dernière constitue une solution de repli imparfaite en cas d’artificialisation, puisqu’il est difficile, voire illusoire, de considérer que renaturer un autre espace peut compenser la perte d’un sol aux fonctionnalités écologiques importantes et pérennisées. 

    L’enjeu est d’éviter que des mesures de renaturation soient considérées valides sans qu’il soit scientifiquement établi que ce processus permette une restauration équivalente à la biodiversité détruite par l’artificialisation entreprise. 

    Le bon état écologique des sols s’envisage sur le long terme, contrairement à la vision court-termiste du processus de renaturation en compensation de l’artificialisation. L’absence d’artificialisation d’un sol qui remplit des fonctionnalités écologiques est plus important pour la biodiversité et le climat que l’amélioration d’un sol, qui apportera moins à ces enjeux.

    Des mesures provisoires permettant dès maintenant la poursuite de l’objectif ZAN

    Malgré un certain nombre de dispositions risquant de porter atteinte à l’essence même de l’objectif ZAN, il est important de saluer une initiative permettant aux collectivités territoriales d’amorcer, dès à présent, la poursuite de cet objectif.

    En effet, le texte propose d’instaurer un droit de préemption sur les biens et les droits immobiliers contribuant à la préservation de la nature en ville, ou présentant un potentiel fort en matière de renaturation ou de recyclage foncier.

    Ce dispositif doterait les communes ou les EPCI de la possibilité de se substituer à l’acquéreur d’un bien ou d’un terrain au titre de la lutte contre l’artificialisation d’espaces naturels. L’application de ce droit de préemption est soumise au classement en zone de préemption de la zone concernée, ce au sein du document d’urbanisme en vigueur (SCOT, PLU ou carte communale). 

    En l’attente de l’intégration dans les documents d’urbanisme des dispositifs d’atteinte de l’objectif ZAN, la proposition de loi prévoit la possibilité pour les communes ou les EPCI de surseoir à statuer sur les demandes d’urbanisme qui sembleraient aller à l’encontre de la lutte contre l’artificialisation des sols.

    Ces prérogatives permettraient de doter les collectivités territoriales de prérogatives permettant une meilleure prise en compte des enjeux de l’artificialisation à une  échelle locale. Ces mesures ont pour avantage de pallier  l’inquiétude des collectivités de perte de leurs prérogatives à cause du dispositif ZAN, sans pour autant dénaturer cet objectif.

    Notes :

    (1) :  France Stratégie, “Objectif « Zéro artificialisation nette » : quels leviers pour protéger les sols ?”, Juillet 2019

    (2) :  L’artificialisation nette désigne le solde entre l’artificialisation et la renaturation

    (3) : https://videos.senat.fr/video.3259630_63e9771eba13e.zero-artificialisation-nette—auditions?timecode=12087000

    (4) :  La loi climat et résilience définit elle-même la notion : « La renaturation d’un sol, ou désartificialisation, consiste en des actions ou des opérations de restauration ou d’amélioration de la fonctionnalité d’un sol, ayant pour effet de transformer un sol artificialisé en un sol non artificialisé. » (article L. 101-2-1 du code de l’urbanisme)

    (5) :  Art. L. 151-5, 2°, code de l’urbanisme : “Il ne peut prévoir l’ouverture à l’urbanisation d’espaces naturels, agricoles ou forestiers que s’il est justifié, au moyen d’une étude de densification des zones déjà urbanisées, que la capacité d’aménager et de construire est déjà mobilisée dans les espaces urbanisés. Pour ce faire, il tient compte de la capacité à mobiliser effectivement les locaux vacants, les friches et les espaces déjà urbanisés pendant la durée comprise entre l’élaboration, la révision ou la modification du plan local d’urbanisme et l’analyse prévue à l’article L. 153-27.”

  • Justice pour le vivant : l’agrochimie défend le système d’autorisation des pesticides aux côtés de l’État

    Paris, le 13 mars 2023. Les associations POLLINIS, Notre Affaire à Tous, ANPER TOS, ASPAS et Biodiversité sous nos pieds ont transmis au Tribunal administratif de Paris leur mémoire en réponse aux arguments du lobby de l’agrochimie qui cherche à maintenir le système actuel d’homologation des pesticides, responsable de l’effondrement sans précédent de la biodiversité.

    Phyteis, le lobby représentant en France les plus grandes entreprises de l’agrochimie (Bayer, Syngenta, BASF…) a déposé le 10 février un mémoire en intervention dans le recours historique « Justice pour le Vivant ». Cette demande, soumise moins de deux heures avant la clôture programmée de l’instruction, est venue in extremis appuyer la défense de l’État, attaqué par 5 ONG environnementales pour son inaction face à l’effondrement de la biodiversité. 

    Alors que l’on constate un déclin de 76 % à 82 % des insectes volants au cours des 27 dernières années en Europe[1], une diminution de 57 % des oiseaux communs des milieux agricoles depuis 1980[2] ainsi qu’une contamination importante de l’eau et l’air par les pesticides[3], les arguments mobilisés par le lobby de l’agrochimie ignorent le consensus scientifique sur la responsabilité des pesticides dans cet effondrement. 

    Dans son mémoire d’une cinquantaine de pages, Phyteis tente également d’empêcher la tenue du procès Justice pour le Vivant en utilisant diverses techniques dilatoires. Le lobby consacre ainsi plus d’une dizaine de page à contester la recevabilité du recours, faisant valoir toute une série d’arguments infondés, parmi lesquels :

    • la remise en cause de la compétence du Tribunal administratif en matière de préjudice écologique, questionnant ce faisant la décision prise par ce même tribunal dans l’Affaire du Siècle.
    • La contestation en question de la participation au procès de 3 des associations requérantes: ANPER TOS, l’ASPAS et Biodiversité sous nos pieds.

    Sur le volet scientifique, le lobby ignore la majorité des centaines d’études citées par les associations qui montrent les effets néfastes des pesticides sur la biodiversité, ainsi que les lacunes avérées du schéma d’évaluation des risques mises en évidence par les ONG dans leurs précédents mémoires, et largement reconnues par la littérature scientifique et par les autorités sanitaires française et européenne elles-mêmes[4].

    Il écarte ainsi des pans entiers du rapport INRAE-IFREMER (2022), pourtant le résultat d’une expertise collective de plusieurs années des instituts de recherche publics les plus reconnus en agronomie et connaissance des océans sur l’impact des produits phytopharmaceutiques sur la biodiversité et les services écosystémiques.

    Tandis que le représentant des firmes de l’agrochimie accuse de « biais » certaines études scientifiques citées par les 5 ONG, il essaie d’orienter le tribunal vers des études « non-biaisées » selon eux, telle que celle de Tänzler et al. 2022, qui a en réalité été commissionnée et écrite par des scientifiques employés par Bayer (soit Bayer AG, Crop Science, Allemagne, soit Bayer CropScience, Etats-Unis).

    Autre exemple, Phyteis affirme que l’ensemble de données disponibles dans la littérature scientifique des dix dernières années est d’ores et déjà mobilisée dans le cadre de l’évaluation des risques liés aux pesticides En réalité, la science indépendante est notoirement peu prise en compte, comme le souligne le rapport de l’INRAE-Ifremer: « Les fondements scientifiques mobilisés dans le cadre réglementaire ignorent en partie les connaissances scientifiques disponibles dans le champ académique ». 

    Certaines des procédures d’évaluation européennes actuelles datent de 2002 et n’ont pas fait l’objet depuis des mises à jour indispensables au regard des dernières connaissances scientifiques et des exigences de la réglementation. Ainsi, depuis l’adoption du règlement européen sur les pesticides de 2009, aucun nouveau document pour l’évaluation des risques pour les insectes auxiliaires et pour les abeilles n’a vu le jour. Les risques pour les amphibiens et les reptiles ne font toujours l’objet d’aucune évaluation. 

    « Il est inutile d’avoir l’une des règlementations les plus protectrices au monde en matière d’évaluation des pesticides si celle-ci n’est pas appliquée. C’est cette distorsion insupportable entre les objectifs législatifs et la réalité de protocoles sur la base desquels ont été autorisées les substances les plus toxiques pour l’environnement et la santé humaine (néonicotinoïdes, S-méthalochlore, etc.) qui nous a poussé à agir. L’intervention de Phyteis pour défendre l’inaction de l’Etat ne fait que renforcer nos convictions et notre détermination.  », rappellent les 5 associations.

    Contacts presse

    POLLINIS : Cécile Barbière, Directrice de la communication

    cecileb@pollinis.org

    Notre Affaire à Tous : Justine Ripoll, Responsable de campagnes.

    justine.ripoll@notreaffaireatous.org

    ANPER-TOS : Elisabeth Laporte, Juriste.

    juridique@anper-tos.fr

    Biodiversité Sous Nos Pieds  : Dorian Guinard, membre du pôle juridique de BSNP

    daguinard@yahoo.fr

    ASPAS : Cécilia Rinaudo, Responsable Développement et Communication

    cecilia.rinaudo@aspas-nature.org

    Notes

    [1]  Cour des comptes, Le soutien à l’agriculture biologique, Rapport public thématique, juin 2022, p. 203

    [2]  Birdlife International, Etat des Populations d’Oiseaux dans le Monde, 2022

    [3] Cf. par ex. LeMonde, Pesticides : de l’eau potable non conforme pour 20 % des Français, 21 septembre 2022 ; Enquêtes d’actu, L’eau du robinet polluée par les herbicides, 24 novembre 2022 ; France 3 Régions, Pesticides dans l’air. Air Breizh dévoile son bilan : 26 pesticides détectés dont 8 interdits d’utilisation, 27 novembre 2022.

    [4] Notamment, s’agissant de l’évaluation des risques pour les abeilles : EFSA, Scientific Opinion on the science behind the development of a risk assessment of Plant Protection Products on bees (Apis mellifera, Bombus spp. And solitary bees), 2012 ; EFSA, Guidance on the risk assessment of plant protection products on bees (Apis mellifera, Bombus spp. and solitary bees), 2013 ;  EFSA, Outcome of the pesticides peer review meeting on general recurring issues in ecotoxicology, 2015 ; Anses, Avis relatif à l’évolution de la méthodologie d’évaluation du risque vis-à-vis des abeilles domestiques et des insectes pollinisateurs sauvages dans le cadre des dossiers de demande d’autorisation de mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques, Saisine n° 2019-SA-0097, 5 juillet 2019 ; Topping et al., 2020.

  • Le One Forest Summit c’est notre affaire à tous ! (3/3)

    par Hilème KOMBILA (Avocate-Présidente de NAAT-Lyon)

    Le One Forest Summit : un rendez-vous crucial pour le droit des forêts tropicales

    Le One Forest Summit s’est achevé hier soir et le Président français Emmanuel Macron reprend l’avion pour continuer sa tournée en Afrique.

    Les six chefs d’États présents à cette rencontre internationale sur la conservation des forêts tropicales, la protection du climat et la biodiversité ont adopté un document baptisé “Plan de Libreville” qui contient une mesure phare: la création d’un fonds doté d’une enveloppe de 100 millions d’euros “pour les pays qui souhaitent accélérer leur stratégie de protection des réserves vitales de carbone et de biodiversité dans le cadre des partenariats” dont 50 millions seront mis sur la table par la France, a déclaré Emmanuel Macron. 

    Le but affiché par le ministère de la Transition écologique français, était au départ de préserver les trois grands bassins forestiers tropicaux de la planète : la forêt amazonienne, le bassin du Congo et les forêts d’Asie du Sud-Est, qui jouent un rôle incontournable dans la régulation du climat et abritent une biodiversité inestimable. Selon le gouvernement, ce sommet avait pour but de concrétiser les orientations internationales relatives à l’urgence climatique et environnementale. 

    Autrement dit, il s’agit de mettre en œuvre les grandes ambitions de la dernière COP15 sur la biodiversité qui a eu lieu à Montréal en 2022. A l’époque, un accord prévoyant la mise sous protection de 30% des terres et 30% des mers de la planète d’ici 2030 avait été entériné. Le plan de Libreville s’inspire également des principales résolutions de la COP27. Les pays présents se sont engagés à stopper la déforestation comme solution efficace dans la lutte contre le changement climatique

    Comme le souligne le militant écologiste gabonais Marc Ona Essangui, président de l’association Brainforest, on comprend que cette rencontre ne se distingue pas mais s’inscrit dans la droite ligne des COP. Il estime à ce titre que la question de la préservation des forêts tropicales pour le climat “est devenue un gros business et ce business climatique profite à certains lobbies”. 

    Source : https://www.radiofrance.fr/franceinter/a-quoi-sert-ou-pas-le-one-forest-summit-qui-se-tient-mercredi-et-jeudi-au-gabon-7067195

    Nous pourrions dire beaucoup de choses sur ce rendez-vous politique, mais l’idée est aujourd’hui d’apporter un éclairage sur le droit de l’environnement et la justice climatique qui résulte de cet événement. Entre marchandage du bois et des fruits de la forêt et inclusion des populations et de leurs droits, quel est le bilan du premier One Forest Summit?

    Photographie libre de droits.

    La préservation des forêts tropicales comme objet d’échanges en droit des affaires

    Lors de ce rendez-vous, l’objectif principal pour les États du Bassin du Congo comme le Gabon était de montrer au monde qu’ils étaient des terres fertiles à l’investissement économique et financier dit “vert”. Le développement des capacités d’investissement dont les pays forestiers du Sud ont besoin doit ainsi permettre de rétribuer, de manière juste et équitable, le « service » rendu à la planète par la préservation de la forêt.

    Cet objectif, dont la réalisation passe notamment par la vente de crédits carbone, est soumis à une contrainte supplémentaire sur la production locale depuis que l’Union européenne (UE) a banni l’importation de produits issus de la déforestation. 

    En décembre dernier, les institutions européennes sont parvenues à un accord final pour interdire la vente sur le territoire de produits issus de la déforestation. Le texte s’attaque à la dégradation des forêts primaires, peu nombreuses en Europe, mais également des forêts naturelles. En revanche, le Parlement n’a pas obtenu l’extension aux terres boisées pour protéger d’autres zones naturelles. Le Cerrado brésilien attendra donc le réexamen du texte dans un an, et la les savanes africaines et autres terres humides, celui qui interviendra deux ans.

    Ce contexte explique le fait que deux leviers ont été discutés lors du sommet pour assurer la préservation des forêts tropicales, au moyen du droit économique: la transaction des services et la traçabilité des produits. 

    Concernant la traçabilité des produits, l’UE a donc exclu l’importation de produits issus de la déforestation. La charge de la preuve revient à l’exportateur qui doit démontrer que des produits tels que le cacao, l’huile de palme, le soja, le café, le bois, le caoutchouc et certains produits dérivés comme le chocolat ou les meubles ne sont pas issus de la déforestation. Sans cette preuve, ils seront bannis du marché européen. 

    La mise en place de ce mécanisme de traçabilité est louable car l’Europe est le deuxième importateur de déforestation au monde, juste derrière la Chine. Toutefois, on peut regretter que le maïs n’ait pas été inclus malgré la pression parlementaire. Il pourrait l’être dans le cadre d’une clause de révision d’ici à deux ans. La même réserve doit être émise pour le secteur financier qui est aussi exclu de l’accord.

    Le Parlement avait pourtant plaidé pour que la règle s’applique aussi aux banques et institutions financières européennes. Le but était d’éviter une différence de traitement entre une entreprise qui ne peut pas acheter un produit issu de la déforestation et une banque qui peut financer des projets responsables de déforestation. 

    Malheureusement, aucun des Etats membres n’a soutenu cette proposition. Même si elle sera à nouveau examinée dans deux ans, il est dérangeant de constater que le secteur financier échappe à l’effort indispensable à la préservation des forêts tropicales.

    Sur le papier, l’avancée est donc notable mais mitigée face à l’urgence climatique et environnementale.  Greenpeace Europe a ainsi estimé nécessaire l’élargissement du champ d’action de l’Europe « dans les années à venir, pour protéger la nature dans son ensemble, pas seulement les forêts, et empêcher les entreprises qui détruisent la nature non seulement d’accéder au marché de l’UE, mais aussi d’obtenir des prêts des banques européennes « .

    En pratique, les entreprises souhaitant faire entrer ces produits sur le marché vont devoir présenter un certificat au moment de franchir une frontière européenne. Ce certificat précise d’où vient la matière première qui a servi à la conception de leurs produits à l’aide des coordonnées GPS de l’exploitation incluses. Les candidats au marché européen devront par exemple indiquer la parcelle précise de terre où le cacao a été cultivé en fournissant des images satellitaires.

    Cette géolocalisation des parcelles pose toutefois quelques difficultés. Par exemple, concernant le cacao justement, les plantations se trouvent souvent en dessous d’autres espèces d’arbres et une photographie satellite ne permet pas réellement d’attester de l’âge de la plantation. En effet, qu’elle soit ancienne ou récente, la plantation de cacao peut tout simplement ne pas apparaître sur une photo satellite quand elle se trouve dans la forêt primaire. A ce titre, le One Forest Summit a été l’occasion de passer en revue de nombreux outils issus des nouvelles technologies susceptibles d’aider au contrôle de la traçabilité ou au renforcement de la productivité. 

    En effet, s’il faut pouvoir garantir au consommateur européen des produits non-issus de la déforestation, il faut aussi permettre aux producteurs locaux d’obtenir une rémunération suffisante. 

    Pour rester sur l’exemple du cacao, si on demande à des producteurs, souvent âgés, de ne plus déforester, cela implique de renforcer les capacités de rendement et de productivité. Cela suppose de former et d’attirer les nouvelles générations tout en innovant pour augmenter le rendement des vieux cacaoyers. L’exigence européenne se traduit donc par une adaptation des pratiques agricoles, économiques et sociales. 

    L’idée devrait être d’accompagner cette transition. Le changement de paradigme implique parfois de modifier le comportement d’un cultivateur qui a toujours eu l’habitude de déforester et replanter dans une terre plus fertile pour avoir un rendement lui permettant de vivre dignement. Cela demande de l’investissement, de la sensibilisation, de la formation, des technologies, etc.

    Mais de temps nous manquons… Le calendrier de la mise en application des normes européennes est donc contraint. Les entreprises ont un an après l’entrée en vigueur du règlement européen, prévue début 2024, pour prouver que leurs matières premières n’ont pas été cultivées sur des terres déboisées après 2020. Ce délai est de deux ans pour les plus petites entreprises. Le degré de vérification variera en fonction du risque « élevé, standard ou faible » du pays d’origine. La non-conformité peut entraîner des amendes allant jusqu’à 4 % du chiffre d’affaires européen de l’entreprise concernée. Cette sanction sera harmonisée dans toute l’Europe.

    En plus de l’adaptation économique et sociale des producteurs, les autorités de contrôle vont devoir sérieusement renforcer leurs effectifs et lutter contre la corruption parfois endémique dans certains États.  On le voit, la préservation des forêts tropicales demande une action qui ne peut être homogène face à la pluralité et la complexité des enjeux. 

    Comme l’indique le CIRAD dans son engagement pour la préservation des forêts “L’aménagement des territoires forestiers nécessite de prendre en compte les particularités de chaque contexte et de comprendre l’articulation spécifique des différents enjeux et parties prenantes. Outre cette nécessaire contextualisation, chaque écosystème forestier s’analyse à plusieurs échelles, allant de l’arbre au territoire, dont chacun présente des caractéristiques et des finalités différentes. C’est donc bien une analyse contextuelle et multi-échelle qu’il est nécessaire de porter sur chacun des territoires forestiers afin d’en saisir les fonctionnements, et d’en organiser la gouvernance, entre États, territoires et communautés, entre acteurs publics et privés”.

    Ainsi, en plus de la traçabilité des produits, il faut penser l’aménagement des forêts de façon contextualisée et multi-échelle. Cette idée se retrouve quand on se penche sur le deuxième levier du droit des affaires de la forêt tropicale: la tarification des services. 

    L’un des objectifs du One Forest Summit est d’avancer pour trouver des financements pérennes du service rendu par les pays qui préservent leur forêt tropicale.  

    L’une des principales pistes sur laquelle les experts financiers ont travaillé est l’instauration de « crédits carbone ou de biodiversité », qui permettent de rémunérer les pays pour les efforts entrepris pour protéger la forêt. Il s’agit d’un mécanisme qui permet à un État d’émettre ses propres crédits pour les vendre à des Etats ou à des entreprises qui cherchent à compenser une partie de leurs émissions de CO2. Par exemple, selon les autorités gabonaises, la forêt du Gabon capte environ 100 millions de tonnes de CO2 par an.

    Certaines ONG comme Canopée, alertent sur le manque d’intégrité des marchés volontaires du carbone. Myrto Tilianaki, chargée de plaidoyer climat au CCFD-Terre Solidaire est également très critique sur ce marché car, selon lui, ces projets surestiment la quantité de carbone séquestrée. Récemment, une longue enquête du Guardian et Die Zeit a laissé entendre que la quasi-totalité des crédits carbone liés à des projets de reforestation certifiés n’avaient pas d’impact positif réel sur le climat. 

    Les acquéreurs volontaires de crédits carbone sont donc rares, comme le note Philippe Zaouati, rapporteur du groupe de travail « Finance » dans le cadre du sommet. Le marché carbone volontaire, sur lequel les entreprises achètent des crédits vendus par les Etats, est une plateforme très contestée. “Il manque de qualité et d’intégrité, il est très fragmenté, avec des standards nombreux, compliqués à comprendre”. 

    Si on entend que l’application  de standards éthiques demande un effort au monde financier, il ajoute qu’il y a “des besoins financiers d’un côté, des investisseurs potentiels de l’autre, et au milieu un marché qui a du mal à s’organiser pour faire se connecter acheteurs et vendeurs”. Le problème n’est donc pas celui de l’existence potentielle d’un marché mais celui de la mise en place de standards véritablement éthiques qui supportent les échanges marchands. Le marché est potentiel car le produit financier n’est pas certifié conforme aux exigences de l’échange.

    Source : https://www.lesechos.fr/monde/enjeux-internationaux/sommet-sur-les-forets-tropicales-les-credits-carbone-au-coeur-des-debats-1911370

    Pour faire face à ces critiques, des “crédits prémium” ont été imaginés, notamment par le Fonds pour l’environnement mondial (FEM). Il s’agit de valoriser des crédits carbone de meilleure qualité et plus chers qui prendraient par exemple davantage en compte les questions de biodiversité et sociales. D’autres experts ont aussi plaidé pour des outils comme les « certificats de biodiversité » qui pourraient être utiles dans des pays où il est difficile de mesurer les quantités de carbone.

    Finalement, le “Plan de Libreville” prévoit un mécanisme qui répond au « modèle défaillant » du marché carbone par la mise en place d’un fond. Ce fond financera un mécanisme de rémunération des pays exemplaires dans la conservation des forêts et la sauvegarde de leurs stocks de carbone et de biodiversité, via les fameux certificats biodiversité. Ces certificats pourront être échangés avec des États souverains ou avec le secteur privé « au titre de contribution à la protection de la nature », a précisé Emmanuel Macron. 

    Comme l’indique le directeur général de l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri), Sébastien Treyer, tout cela “ne pourra se faire sans des politiques publiques fortes de conservation” dans les États forestiers.  (Source: https://lesechos-congobrazza.com)

    La question reste en suspens des modalités d’évaluation du degré d’exemplarité environnementale… En attendant, ces outils du droit des affaires et les politiques de conservation qui les accompagnent ne seront pas efficaces si elles ne s’accompagnent pas de politiques de justice sociale.

    La préservation des forêts tropicales, comme sujet de politiques sociales inclusives

    Pour le militant gabonais Marc Ona Essangui, ce sommet n’est pas assez « inclusif ». Il constate “que dans leur brochette d’invités, personne n’a osé préparer ce sommet avec toutes les composantes de la société gabonaise qui ont une expertise sur les questions forestières. Comme dans tous les autres sommets on fait venir des amis, des dirigeants, pour la communication et pour faire beau ». Il précise à juste titre qu’on “ne peut pas parler d’exploitation forestière sans intégrer le problème du conflit homme-faune par exemple. Pour plus d’inclusivité, j’aurais aimé que toutes ces personnes qui vivent ces phénomènes au quotidien montent à la tribune pour en parler. »

    Source:https://www.radiofrance.fr/franceinter/a-quoi-sert-ou-pas-le-one-forest-summit-qui-se-tient-mercredi-et-jeudi-au-gabon-7067195 

    Ce militant de la cause environnementale est bien placé pour parler du défaut d’inclusion du sommet, car il est lui-même président d’une association, Brainforest, qui a mis en place différents projets d’inclusion des femmes dans le processus participatif de gouvernance de l’exploitation forestière. Comme Brainforest, de nombreuses initiatives de la société civile gabonaise se sont déjà emparées du sujet de la valorisation de l’action des femmes afin de préserver l’environnement (Gabon écologie, Réseau gabonais pour le développement durable).

    Nous parlons de l’inclusion des femmes car lors de la 4ème Conférence Mondiale sur les Femmes qui a eu lieu à Beijing, il a été souligné que “Les politiques en faveur du développement durable qui ne font pas intervenir la femme au même titre que les hommes ne sauraient être couronnées de succès à long terme […]. Tant que la contribution des femmes à la gestion de l’environnement ne sera pas reconnue et encouragée, l’objectif du développement durable continuera de se dérober

    Pour illustrer ce propos, prenons l’exemple des femmes gabonaises. Ancestralement, dans les villages, les femmes sont responsables de la production, la transformation et la commercialisation agricole et forestière. Leur contribution à la production vivrière est aujourd’hui estimée à plus de 60%. 

    Les femmes détiennent des connaissances, innovations et pratiques/techniques traditionnelles (CIPT) de conservation des semences. Leur expertise de la biodiversité recouvre les variétés sauvages aussi bien que les espèces domestiquées. Elles connaissent la valeur et l’utilisation des plantes au service de l’alimentation, la santé, l’économie et contribuent également à la conservation des ressources phyto-génétiques.

    Toutefois, en milieu rural, cette activité peut dégrader l’environnement. Pour subvenir aux besoins de leurs familles, les femmes font de l’agriculture itinérante sur abattis-brûlis depuis les temps les plus anciens. Elles utilisent des combustibles, des engrais et pesticides, leurs maris abattent des arbres fruitiers pour la cueillette des produits forestiers non ligneux. Ces pratiques, plus modernes, contribuent à la déforestation qui touche presque la moitié des provinces du pays.

    Ces effets nocifs sur la forêt et la vie des personnes ne sauraient faire des femmes des coupables. Ils découlent de leurs obligations productives et reproductives en matière de médecine traditionnelle, de culture vivrière, de collecte de produits forestiers, de bois et d’eau pour la nourriture, la boisson ou l’hygiène. 

    En raison de cette situation très pragmatique, comme l’indique dans un entretien au JDD, le directeur de l’Agence Français de Développement: « il est bon que les dynamiques en cours sur les biens communs globaux comme les forêts puissent continuer à être débattues par les premiers acteurs concernés », notamment les populations locales et en particulier les femmes [NDLR]. 

    Source:https://www.radiofrance.fr/franceinter/a-quoi-sert-ou-pas-le-one-forest-summit-qui-se-tient-mercredi-et-jeudi-au-gabon-7067195 

    A ce titre, la position du CIRAD dans son engagement pour la préservation des forêts tropicales est éclairante: “La plupart des forêts tropicales font l’objet d’usages multiples, constituent des ressources économiques et sociales à fortes valeurs et sont au cœur d’enjeux de préservation de biens publics mondiaux. Outre qu’elles sont des hotspots de biodiversité et de stockage de carbone, elles représentent la moitié des forêts de la planète. Y cohabitent des processus naturels de long terme et des activités répondant à des besoins immédiats. Ainsi, la question de leur valorisation et d’un développement en faveur des populations locales est centrale et complexe. Face à des territoires finis, il est indispensable de penser un aménagement inclusif assurant la coexistence des populations, des activités et des usages”.

    Cette idée d’inclusion des populations locales, notamment autochtones et féminines, se retrouve dans la “Feuille de route de Brazzaville : pour une foresterie participative plus efficace dans le contexte de l’agenda 2030 en Afrique centrale (FAO)” qui indique dans son préambule que:

    “Les avantages sociaux, économiques et environnementaux pouvant dériver de la foresterie participative ne font l’objet d’aucun doute. Les populations autochtones et les communautés locales, lorsqu’elles ont des droits suffisants sur les ressources forestières locales, peuvent s’organiser de manière autonome et développer des institutions locales pour réguler l’utilisation des ressources naturelles et les gérer durablement. Ce mode de gestion forestière a des retombées directes sur la santé de la forêt et le bien-être des personnes qui en dépendent pour leur subsistance. Il est évident qu’il contribue ainsi aux objectifs de développement au niveau national, ainsi qu’aux objectifs globaux en matière de changement climatique et aux Objectifs de développement durable (ODD) des Nations Unies. En Afrique centrale, la foresterie participative ne parvient pas encore à atteindre ses objectifs”.

    Source et approfondissements : https://www.fao.org/3/CA2324FR/ca2324fr.pdf

    Cette gestion forestière inclusive et participative se met en place sur le terrain. Par exemple au Gabon: https://www.brainforest-gabon.org/actualites/?id=355. Sur le sujet de l’inclusion et de la participation, aucun engagement politique fort, c’est à dire concret et contraignant, n’est prévu dans le “Plan de Libreville”. A défaut d’exiger l’application effective en droit interne des règles internationales déjà existantes, ce Plan pose l’idée de conciliation entre protection exigeante de la forêt et intérêt économique direct, essentiellement tourné vers les populations locales qui vivent autour des forêts. 

    On aurait préféré une obligation de résultats en la matière. Sur la question du développement, les chefs d’entreprises, réunis dans un One Forest Business Forum ont lancé l’initiative de créer dix millions d’emplois dans les activités liées à la gestion durable des forêts d’ici 2030. Là encore, rien n’indique qu’il s’agisse d’autre chose qu’une annonce ou une simple obligation de moyens. 

    Si l’initiative est louable, on a du mal à savoir si les populations locales et autochtones vont bel et bien bénéficier économiquement du service rendu par la préservation de la forêt. Vont-ils aussi goûter à la manne issue des crédits carbone? L’avenir le dira. 

    Pour le moment, sur le terrain gabonais, on peut constater que les éléments fondamentaux de la protection de l’environnement tels que la gestion des déchets ne sont pas effectifs. En effet, en marge des grands hôtels de luxe et du palais présidentiel où avait lieu le sommet, des décharges à ciel ouvert se retrouvent à tous les coins de rue. Le manque de sensibilisation de la population et des autorités est ici symptomatique de l’effort à faire si on souhaite réellement protéger la forêt tropicale. 

    Pour Marc Ona Essangui, le Gabon n’est pas un modèle de conservation comme il le prétend, notamment concernant l’attribution des permis forestiers. “Quand on regarde le taux d’attribution de ces permis, on constate qu’il est très élevé et plus de 80% du territoire est attribué à l’exploitation forestière. Ajoutez à cela les permis miniers et pétroliers, il n’y a plus d’espace pour la préservation. ». 

    Source:https://www.radiofrance.fr/franceinter/a-quoi-sert-ou-pas-le-one-forest-summit-qui-se-tient-mercredi-et-jeudi-au-gabon-7067195 

    L’exemplarité du bilan carbone des États pose ici question. Si certains éléments institutionnels, tels que des autorités de contrôle indépendantes et impartiales, font défaut, comment évaluer le bilan carbone d’un Etat? Sans rentrer dans la démonstration de l’ineffectivité de la règle de droit en l’absence d’État de droit, rappelons simplement que le libéralisme économique n’existe que grâce à la garantie des libertés fondamentales les plus élémentaires. 

    L’éthique environnementale de l’économie ne peut exister sans une éthique sociale et humaniste. Dans la partie 2 de nos réflexions sur le One Forest Summit, nous avions ainsi vu que la question de la préservation de la forêt ne peut se passer d’une réflexion sur le système juridique et la place laissée aux peuples dans la gouvernance. 

    Comme l’indique le CIRAD dans son engagement pour la préservation des forêts tropicales “ Les forêts tropicales constituent à la fois des systèmes biologiques, des écosystèmes et des systèmes sociotechniques dans lesquels cohabitent des processus physiologiques et écologiques, des logiques économiques et des dynamiques sociales. La dégradation constatée de ces systèmes et l’accroissement des menaces qui pèsent sur eux révèle un défaut de gouvernance, et l’incapacité d’articuler ces différentes dynamiques et systèmes. Face aux défis posés par la préservation de biens publics globaux (climat, biodiversité, santé) pour laquelle les forêts tropicales jouent un rôle central, l’émergence de formes de gouvernance territorialisée, d’une gestion en biens communs est indispensable. À l’aune de normes globales, les États, les communautés concernées, le secteur privé et un ensemble d’acteurs des territoires doivent contribuer à mettre en place ces nouvelles formes de gouvernance, de façon intersectorielle et engagée. Cette piste de biens communs gouvernés, territorialisés, a été explorée et mise en œuvre de longue date dans d’autres domaines (la préservation et le partage des ressources en eau par exemple, avec l’avènement d’agences de bassin, de schémas d’aménagement, d’organisations locales d’usagers, d’arènes de négociation, etc.). La réflexion mérite d’être engagée par sous-bassin forestier, zone d’exploitation, bassin de collecte et d’usage, etc.”

    La Déclaration universelle des droits de l’humanité indique que la nature est un patrimoine ayant une valeur intrinsèque et un objet essentiel pour les êtres humains qui doivent transmettre ce patrimoine. Concernant les forêts tropicales, le One Forest Summit illustre le fait que l’éthique environnementale entre dans le champ économique. Elle suggère que la répartition des ressources et leur accès sont indissociables des impacts environnementaux résultant de certains usages irréfléchis de ces ressources. Toutefois, la possibilité d’accéder ou non à certaines ressources (quantité et qualité) conditionne la dynamique de développement et donc influence le niveau de bien-être des générations présentes et futures. C’est pourquoi, cette éthique environnementale du droit des affaires doit, pour être légitime, s’accompagner d’une éthique humaniste visant nécessairement le renforcement et un renouvellement de l’Etat de droit. 

    Le Président français a émis l’idée que le One Forest Summit devienne une rencontre annuelle, dans un pays africain ou sur un autre continent afin d’évaluer l’application du Plan de Libreville. 

    La protection équitable de la forêt tropicale est illusoire sans garantie effective d’un droit national de l’environnement et sans une réflexion approfondie sur la reconnaissance de la forêt comme sujet de droits compatibles avec ceux des peuples. Espérons que le prochain One Forest Summit abordera ces sujets avec les populations concernées. 

  • Le One Forest Summit c’est notre affaire à tous ! (2/3)

    Écrit par Hilème KOMBILA (Avocate-Présidente de NAAT-Lyon)

    Un rendez-vous manqué pour les droits des peuples autochtones

    C’est à Libreville qu’a été lancé hier le One Forest Summit, sommet de haut niveau sur la protection des forêts tropicales. A l’origine, il était prévu de réunir les représentants des trois principaux bassins forestiers de la planète, mais ce menu a été “allégé” par les organisateurs. 

    C’est au palais présidentiel qu’a eu lieu la rencontre entre les chefs d’État pour la seconde journée du sommet. Toutefois, cette rencontre gouvernementale est marquée par trois absences de taille. Les présidents de la RDC, Félix Tshisekedi, et du Brésil, Luiz Inácio Lula da Silva ne sont pas présents alors que leurs deux pays possèdent le plus de forêts tropicales au monde. L’autre absent est évidemment le peuple qui n’est pas convié à la table des négociations, mais pourra suivre des conférences diffusées sur une chaîne nationale, s’il dispose d’une télévision.   

    Trois axes principaux sont abordés lors des deux journées du sommet et concentrent la réflexion des décideurs politiques. D’abord le manque de connaissance scientifique sur les forêts tropicales. L’idée est de financer des programmes scientifiques qui permettront d’établir des marqueurs et des modélisations de la forêt pour voir son évolution face aux changements climatiques. Ensuite, il s’agit de réfléchir à la mise en place d’une chaîne de valeur durable pour pouvoir vendre plus cher les produits responsables issus des arbres tels que le bois ou le cacao. Enfin et surtout, la question de la rémunération de la protection des forêts tropicales est posée. 

    Combien rapporte et coûte le fait de préserver sa forêt primaire, 3, 5 ou 50 dollars la tonne de CO2? Nous le saurons peut-être à l’issue des débats… En attendant la fin du marchandage, on peut s’interroger sur le choix de la valeur économique et financière de la forêt tropicale comme levier pour assurer sa protection. 

    Le risque d’une préservation de la forêt équatoriale au prix de la valeur humaine

    La quantité de valeur matérielle générée par les produits et services rendus par la forêt doit-elle prévaloir sur la qualité de la valeur humaine? 

    Cette question se pose, notamment quand on voit, parmi d’éminentes personnalités conviées au One Forest Summit,  la présence du WWF comme organisateur de plusieurs événements. En effet, cette organisation est au cœur d’une affaire qui a conduit ses détracteurs à en faire l’exemple d’un “colonialisme vert ». 

    Comme l’indique le journal Le Monde, en janvier 2017, l’ONG Survival International avait porté plainte auprès de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) contre le WWF pour complicité d’abus contre des Pygmées au Cameroun. En avril 2020, l’Union européenne (UE) a décidé de suspendre une partie de ses financements au Fonds mondial pour la nature (WWF), en raison de manquements au respect des droits humains dans le projet de création de l’aire protégée de Messok Dja, au Congo-Brazzaville. 

    Comme le précise le journal : “Cette région abrite de vastes étendues de forêts quasi intactes qui se prolongent au Cameroun et au Gabon, constituant un des derniers sanctuaires pour les éléphants de forêts et les grands singes. A ce titre, elle mobilise depuis longtemps, à travers le projet Tridom, l’attention et l’argent des grands bailleurs de fonds engagés dans la protection des écosystèmes d’Afrique centrale. Une mosaïque d’aires protégées, dont certaines chevauchent les frontières, sanctuarise plusieurs dizaines de milliers de kilomètres carrés. De grandes ONG internationales, à l’instar du WWF, en assurent la gestion en appui aux gouvernements locaux, dont les moyens humains et financiers s’avèrent insuffisants pour faire face à la pression du braconnage de l’ivoire et de la viande de brousse” (source : Le Monde).

    Peuple de chasseurs-cueilleurs, les Pygmées vivent dans les forêts tropicales du bassin du fleuve Congo depuis les temps les plus anciens. Il sont porteurs d’un savoir inestimable relatif aux ressources forestières et à la biodiversité. Ils connaissent les secrets des plantes médicinales qu’ils partagent avec les ethnies locales, en échange de leur protection, depuis des générations. Au Gabon, par exemple, on raconte qu’ils ont ainsi transmis l’Iboga aux Grands Maîtres du Bwiti, permettant ainsi l’initiation et la guérison de milliers de personnes. 

    Le rapport de l’ONG Survival International recensait plus de 200 cas de violations des droits de l’homme, dans trois pays du bassin du Congo, à l’encontre de deux tribus autochtones pygmées: les Baka et les Bayaka. Des gardes forestiers financés par le Fonds mondial pour la nature avaient été accusés de violations des droits de l’homme “systématiques et généralisées” envers les pygmées au Cameroun, en République démocratique du Congo et en Centrafrique. Selon l’ONG, à l’époque des faits, les Pygmées sont “illégalement expulsés de leurs terres ancestrales au nom de la conservation de l’environnement (…) Alors qu’ils chassent à l’intérieur et à l’extérieur de ces zones pour nourrir leurs familles, les Baka et les Bayaka sont accusés de braconnage. Avec leurs voisins, ils font face à toutes sortes de harcèlements, sont frappés, torturés et tués » (source AFP septembre 2017).

    En août 2019, des représentants des Baka avaient expliqué à la Commission européenne que depuis de nombreuses années, les écogardes financés par le WWF leur interdisaient de chasser pour nourrir leurs familles ou d’entrer dans la forêt. Les limites du parc auraient ainsi été instaurées sans le consentement préalable des peuples autochtones. Une plainte a également été déposée auprès du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) par six communautés Baka.

    Pourtant, le projet de parc tel qu’il fut pensé en 2017 impliquait “la conservation et la gestion participative de l’aire protégée de Messok Dja et de sa périphérie”.  Cette gestion “participative” implique le “consentement libre, informé et préalable” des populations pygmées, comme l’indique le contrat liant l’UE et le WWF.

    Malheureusement, la référence formelle à une règle issue de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones n’est pas suffisante pour garantir l’effectivité de leurs droits fondamentaux. La lutte contre la spoliation de terres ou de ressources naturelles doit passer par le contrôle d’une entité indépendante et impartiale. Dans notre cas, suite aux allégations de mauvais traitements, l’UE a mandaté sur le terrain l’Observatoire congolais des droits de l’homme (OCDH) qui a reconnu “des failles” dans le processus de consultation. Du côté du PNUD, qui finançait aussi le projet, les conclusions de l’audit mené par le bureau indépendant chargé du respect des normes sociales et environnementales confirment un ”manque de compréhension” des modalités indispensables à un processus de consentement préalable.

    Le recours à la coutume traditionnelle pour fonder l’exploitation des ressources naturelles participe à un processus de reconnaissance d’un peuple « constituant » ou autonome au sein de l’État. L’accord contractuel est le prétexte à l’expression de rites et de mythes qui font exister le peuple autour d’une identité commune. Par exemple, en 2002 en Nouvelle-Calédonie, les Kanaks, partagés entre l’opposition et le soutien à l’ouverture d’une mine de nickel, se tournèrent vers une procédure coutumière pour aboutir à une position commune de toutes les tribus. L’opposition à la mine fut décidée par un comité Rhéébu Nùù à l’issue de la procédure du « chemin de paille ». Alors que les autorités compétentes étaient favorables au projet, les Kanaks plantèrent à l’emplacement de la future mine un bois tabou, équivalent kanak du moratoire. 

    La cérémonie du bois tabou s’achèvera en 2005 par la rédaction d’une véritable déclaration des droits ayant une nature constituante. La Déclaration solennelle du peuple autochtone kanak, présentée au 1er Congrès mondial des autochtones francophones en 2006, affirme le droit des autochtones mélanésiens sur l’espace et le patrimoine naturel de Kanaky-Nouvelle-Calédonie. En 2008, un pacte pour un développement durable du Grand Sud succède à une période d’affrontements entre la tribu et la direction de l’usine de Goro. En 2014, la multinationale chargée de la mine fut considérée comme responsable d’une fuite d’acide dans la baie de Prony. Cette catastrophe écologique a renouvelé la réflexion sur les impacts environnementaux de l’exploitation minière. La protection de l’environnement, et en particulier la lutte contre le changement climatique, peuvent donc être appréhendées par le biais des droits de l’homme, et notamment ceux liés à la tradition coutumière des peuples autochtones. 

    L’utilisation de la coutume et de la tradition, afin de résoudre un conflit en matière d’exploitation des ressources naturelles, se retrouve au niveau des instances internationales compétentes en matière de propriété intellectuelle. Par exemple, l’Office européen des brevets (OEB) peut remettre en cause les pratiques de développement et de valorisation des innovations obtenues grâce à la coopération des populations autochtones et locales et l’utilisation de leurs savoirs. Selon l’OEB, les inventeurs doivent découvrir une invention nouvelle et faire preuve d’une activité inventive suffisante étant donné les connaissances autochtones à leur disposition. 

    A propos des Pygmées du Gabon, nous pourrions rentrer dans le débat du partage des ressources de la forêt tropicale au profit des peuples autochtones. Ce débat pourrait conduire à s’interroger, par exemple, sur le partage des richesses issues de la propriété intellectuelle de l’Ibogaïne, molécule développée en laboratoire, alors que l’Iboga ou “bois sacré” a été déclaré patrimoine national face à la recrudescence des trafics. 

    Mais ce qui nous intéresse aujourd’hui se trouve dans un ailleurs à la monétisation des ressources forestières : la valeur humaine. 

    Dans le cas des Pygmées, il aurait sans doute été pertinent de systématiser les discussions coutumières et les évaluations préventives afin d’éviter le drame du parc de Messok Djale. Cet exemple tragique de violation des droits fondamentaux au profit de la valorisation de la forêt équatoriale doit permettre de comprendre l’importance non seulement des droits proclamés mais aussi celle de l’élaboration de la norme, des voies de recours, des autorités de contrôle et de la sanction. Les droits d’une personne ou d’un peuple n’existent pas réellement sans des règles et des institutions qui en assurent l’effectivité. 

    Espérons que la valorisation économique et financière de la forêt équatoriale, sans penser et assurer le respect des droits fondamentaux, ne conduira pas à la dévalorisation de l’humain… 

    L’espoir fait vivre notamment quand on apprend que les éco-gardes du Gabon ont entamé hier une grève illimitée. Acteurs incontournables dans la protection et la gestion des parcs nationaux, ils demandent une revalorisation des salaires et de moyens pour assurer leurs missions. Pendant que l’enjeu du One Forest Summit est justement la préservation de la vie sur terre, l’absence de représentation des Pygmées du bassin du Congo ou de prise en compte des droits économiques et sociaux des éco-gardes gabonais est malheureusement symptomatique. Dans la course au verdissement de l’économie et de la finance mondiale, le manque de considération des droits fondamentaux des peuples dans le débat est problématique. 

    Hasard de calendrier, difficultés logistiques ou volonté politique de se dissocier du “business summit” préélectoral, l’absence de Luiz Inácio Lula da Silva est regrettable. Sa présence ou celle des représentants des peuples autochtones brésiliens, notamment ceux de l’Amazonie, plus grand bassin forestier de la planète, aurait permis d’illustrer l’importance de la prise en compte des peuples autochtones dans la démarche de valorisation de la forêt. 

    Le Brésil a par exemple adopté le 20 mai 2015 une loi mettant en œuvre le Protocole de Nagoya signé en 2010 dans le cadre de la Convention sur la diversité biologique. Ce texte présente les conditions d’accès aux ressources génétiques ainsi que les modalités de partage des avantages applicables à l’ensemble des parties opérant sur le territoire brésilien. L’idée est de garantir la protection des ressources et des savoirs traditionnels grâce à un système juridique sui generis qui permet d’assurer la reconnaissance et le renforcement des normes de droit coutumier. Le droit qui réglemente l’accès aux ressources génétiques et savoirs traditionnels, prend directement en compte les peuples. Quand l’accès sollicité concerne des ressources et savoirs de ces derniers, il est subordonné à deux conditions. D’abord, un accord du Conseil de gestion du patrimoine génétique (CGEN) et des communautés autochtones est nécessaire. Ensuite, en cas de perspective commerciale, un contrat doit être conclu avec elles, afin d’organiser la répartition des bénéfices.

    De tels mécanismes pourraient inspirer les décideurs au niveau du bassin forestier du Congo, notamment dans une perspective d’internationalisation de la démarche de préservation des forêts tropicales. Il nous semble donc important de combler les lacunes du One Forest Summit et de prendre appui sur l’exemple brésilien afin de comprendre l’importance de la vision des peuples autochtones dans le débat relatif à cette préservation. 

    Le défi de la garantie et de l’effectivité du droit des peuples autochtones à travers l’exemple brésilien

    Rappelons que le plus grand bassin forestier de la planète se trouve en Amazonie. En effet, cette forêt tropicale repose sur le bassin hydrographique de l’Amazonas d’une superficie d’environ 5 846 100 km². Le fleuve Amazonas, le plus grand et le plus étendu au monde, compte ainsi plus de 1100 affluents. 

    Source https://journals.openedition.org/confins/12568?lang=pt

    Comme l’indique Priscila Fischer, “pour vous donner une idée, c’est environ 140 km de plus que le Nil en longueur, une différence qui équivaut à la distance entre Paris et Reims ”. Cette journaliste et productrice brésilienne, spécialiste des peuples autochtones considère que “l’Amazonie attire l’attention internationale pour sa grandeur, mais au Brésil, nous avons également d’autres biomes tropicaux également touchés ou dans une situation pire que l’Amazonie. Et dans ces biomes vivent aussi des peuples autochtones”.

    Elle explique qu’au Brésil, il existe six biomes : Amazone, Caatinga, Forêt Atlantique, Pantanal, Pampa et Cerrado. Les peuples autochtones sont présents dans chacun d’eux et pâtissent pareillement du “processus de dévastation et de destruction encouragé par l’action de développement de l’Etat, des entreprises et la cupidité des agriculteurs, des bûcherons ou des mineurs”.

    En quelques chiffres, elle nous indique que le biome amazonien est le plus grand biome du Brésil, avec une superficie de 4 196 943 km2 soit 49,29% du territoire national. Il couvre les États d’Amazonas, Roraima, Amapá, Pará, Rondônia, Acre, Mato Grosso et Maranhão. Il compte plus de 2 500 espèces d’arbres et 30 000 espèces de végétaux. Plus de 180  peuples autochtones vivent en Amazonie, en plus d’environ une centaine de groupes isolés.

    Aujourd’hui, 305 peuples autochtones vivent au Brésil, avec un population de près de 900 000 personnes, qui parlent 274 langues différentes. Sur les 1 113 terres autochtones reconnues, en cours de reconnaissance par l’État brésilien ou revendiquées par les collectivités, jusqu’en décembre 2016, seulement 398, soit 35,75% voyaient leurs démarches de reconnaissance administrative aboutir, c’est-à-dire qu’ils avaient été enregistrés par le syndicat. Selon Priscila Fischer, cette situation n’a pas beaucoup changé jusqu’en 2022.

    Pourquoi un tel retard alors qu’il existe une reconnaissance du droits des peuples autochtones en droit international?

    Les droits des peuples autochtones furent, pour la première fois, consacrés dans la convention de l’Organisation Internationale du Travail (OIT) n° 107 de 1957 relative aux populations aborigènes et tribales [1], révisée et devenue en 1989 la convention n° 169 relative aux peuples indigènes et tribaux [2]. Les deux textes sont centrés sur les questions de non-discrimination et d’autodétermination des droits territoriaux [3]. La préoccupation culturelle n’apparaît que dans le second. Les parties s’engagent à respecter l’importance spéciale que revêt pour la culture et les valeurs spirituelles le lien à la terre. 

    17 ans plus tard, le 29 juin 2006, le Conseil des droits de l’homme adopte la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones » qui sera entérinée par l’Assemblée générale de l’ONU [4]. Cette reconnaissance internationale était en germe dès 1993 dans la Déclaration de Mataatua issue de la conférence sur les droits de propriété intellectuelle et culturelle des peuples autochtones [5] et en 1994 dans le projet de Déclaration sur les droits des peuples autochtones[6]. Toutefois, c’est la Déclaration de 2007 qui établit les droits individuels et collectifs des peuples autochtones, notamment ceux ayant trait à la culture. Il est intéressant de constater que la culture a permis aux droits des peuples autochtones d’être reconnus au niveau international au point de devenir un moyen de protection de leur environnement[7]. 

    La Convention 169 de l’OIT prévoit la protection religieuse et toutes ses valeurs, des peuples des minorités culturelles et raciales. L’article 8 de la Déclaration des Nations Unies sur le droit des peuples autochtones dispose quant à lui que  :

    1- Les peuples et les personnes autochtones ont le droit de ne pas subir l’assimilation forcée ou la destruction de leur culture.

    2- Les Etats mettent en place des mécanismes efficaces de prévention et d’indemnisation :

    1. tout acte qui a pour objet ou pour effet de priver les peuples autochtones de leur intégrité en tant que peuples différents ou de leurs valeurs culturelles ou de leur identité ethnique ;

    2. tout acte ayant pour objet ou conséquence de les priver de leurs terres, territoires ou ressources ;

    3. toute forme de transfert forcé de population ayant pour objet ou conséquence la violation ou la privation de l’un quelconque de ses droits 

    Au niveau national, sur la base d’une lecture combinée de la Déclaration des Nations Unies,  de la Constitution Fédérale Brésilienne (articles 215 et 231) et du décret d’application de la Convention 169 (décret nº 5.051 du 19.04.2004), Priscila Fisher constate que:

    “La liste de droits imposés par les règles nationales a une triple nature juridique. Le premier caractère qui se vérifie est indemnitaire, réparateur et compensatoire. C’est-à-dire que l’État établi dans cette partie de l’Amérique (le Brésil) a assumé le fardeau ou la dette pour les dommages causés aux êtres humains par ces différentes cultures d’origine lorsqu’il s’est établi ici. Il serait inutile d’énumérer les dégâts, mais il faut dire et rappeler que les plus grands dégâts subis ont été l’esclavage, l’extermination de plus de 1 000 peuples de cultures différentes (langues, savoirs et savoirs différents) et l’assimilation imposante de la culture anthropophage qui impliquait ces différents êtres humains. La deuxième nature juridique que l’on peut voir dans les droits de ces êtres humains issus des cultures d’origine est celle de la différence culturelle, c’est-à-dire que ces droits sont exposés en raison de cette différence culturelle. Ce sont des peuples qui ont des connaissances diverses allant de la cosmologie à l’ethno-médecine et, par conséquent, ces droits sont nés de la différenciation culturelle. La troisième nature de ces droits est celle d’origine, c’est-à-dire qui est née avant. Ce droit est antérieur à l’État qui s’est installé ici [dans cette partie de l’Amérique]”.

    Avec un cadre juridique si développé sur le plan externe et interne, seul un défaut institutionnel semble pouvoir freiner la reconnaissance effective du droit des peuples autochtones au Brésil. En effet, seule une volonté politique forte permet d’asseoir les outils de protection des droits fondamentaux au niveau national. 

    A ce titre, comme l’indique le Professeur Fidèle Kombila-Ibouanga, concernant le contrôle du respect des droits de l’homme dans les Etats africains subsahariens : 

    “il ne faut pas faire de fétichisme et considérer que seul le droit international est en mesure de tout régler, car même si les droits de l’homme sont devenus une des composantes importante des relations internationales contemporaines le droit international est secondaire au plan de la protection interne. Le respect des droits de l’homme passe par le respect du droit national”[8]. 

    Au Brésil, menacé par l’orpaillage illégal et la déforestation, le peuple Yanomami pourrait par exemple tout simplement disparaître sans l’intervention assumée du président Lula afin de garantir l’application du droit national. Comme l’indique Jean-Francis Poulet, “Comme tous les territoires amazoniens, celui des Yamonami sort détruit des années Bolsonaro. Contre l’orpaillage illégal qui meurtrit la nature et les peuples autochtones, le gouvernement de Lula agit enfin, mais la tâche demeure immense. (…) Avec Lula l’espoir renaît”.

    Cuiaba,MT,Brazil – Abril 19, 2013: Portrait of a Brazilian indigenous man while watching other tribes perform sports during the celebration of the indigenous day.

    Cet anthropologue et traducteur indique que “le nouveau gouvernement semble avoir pris la mesure de la gravité de la situation. Une opération de grande envergure a été initiée pour apporter une assistance sanitaire et expulser les orpailleurs. L’armée a désormais l’autorisation d’abattre les avions d’orpailleurs qui survolent le territoire Yanomami. C’est un changement radical de politique qui semble porter ses fruits puisqu’ils ont commencé à quitter en masse la région. Il reste encore à s’assurer de ne pas simplement déplacer le problème vers d’autres territoires protégés. On le voit, la tâche est immense”.

    Lire cet article.

    Le silence des peuples autochtones africains et américains est le reflet de l’absence de rencontre entre deux conceptions du monde et de la nature.

    La première qualifie la nature d’objet au service des êtres humains. Selon cette perspective anthropocentrique, la nature est une marchandise soumise aux échanges et la société organise le droit de propriété au sein de l’ordre juridique. La seconde conception est celle d’une nature conçue comme un sujet. Cette perspective éco-centrique fait de la Terre un ensemble vivant qui a une valeur en elle-même, indépendamment de toute utilité pour l’homme. Cette seconde conception se retrouve dans les civilisations ancestrales d’Amérique, d’Afrique, d’Asie ou d’Océanie. 

    Entre ces deux orientations, une tension fondamentale est à l’œuvre entre deux mondes qui cohabitent sur une planète en sursis. D’un côté, le monde occidental, exploitant les matières premières au service de la croissance économique, appuyé par une société de consommation dans un système néolibéral. De l’autre côté, le monde des peuples anciennement colonisés et autochtones, pourvoyeurs de ressources naturelles par le biais d’États peu soumis au droit, au détriment de leur héritage culturel et de l’environnement. 

    La domination d’un monde sur l’autre a entraîné une négation de la conception éco-centrique de la nature au profit de la perspective anthropocentrique. Or, concevoir la nature comme sujet implique une dimension religieuse pour les peuples concernés. En réifiant la nature et en détruisant l’environnement, la prédation économique et financière porte donc en elle une forme d’ethnocide qui accompagne l’écocide. L’anéantissement culturel interagit avec le préjudice écologique. 

    Les peuples autochtones veillent mieux que quiconque à la préservation de leur environnement, car il est à leurs yeux sacré. Il y a une ‘relation particulière, profondément spirituelle, que les populations autochtones ont avec la terre, élément fondamental de leur existence et substrat de toutes leurs croyances”[9]. La valeur humaine de la Terre et des forêts tropicales est supérieure à sa valeur matérielle. Ce n’est qu’en écoutant les Yanomami, les Baka ou les Bayaka, et en protégeant activement leurs droits, que les organisations de protection de la nature ou les gouvernements pourront prévenir et guérir les blessures liées à la démarche de valorisation économique et financière des forêts tropicales. 

    Notes

    [1] Convention C 107 de l’OIT, entrée en vigueur le 2 juin 1959, concernant la protection et l’intégration des populations aborigènes et autres populations tribales et semi-tribales dans les pays indépendants.

    [2] Convention C169 de l’OIT, entrée en vigueur le 5 sept. 1991, concernant les peuples indigènes et tribaux dans les pays indépendants.

    [3]  Sur la reconnaissance des autochtones en tant que sujets de droit international, et l’émergence d’un droit distinct du droit des minorités, N. ROULAND, Le droit des minorités et des peuples autochtones : PU, 1996, spéc. p. 348 et 391.

    [4] Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones,2 oct. 2007, A/RES/61/295. Elle a été adoptée par l’Assemblée générale à une majorité de 144 États avec notamment 4 votes contre (Australie, Canada, États-Unis et Nouvelle Zélande).

    [5] 1ère Conférence internationale sur les droits de propriété intellectuelle et culturelle des peuples autochtones, Whakatane du 12 au 18 juin 1993 Aotearoa, New Zealand.

    [6] Projet de déclaration sur les droits des peuples autochtones de 1994, E/CN.4/SUB.2/1994/2/Add.1(1994).

    [7] G. FILOCHE, Ethno-développement, développement durable et droit en Amazonie, Bruylant, Bruxelles, 2007, 650 p.

    [8]   Le contrôle du respect des droits de l’homme dans les Etats africains subsahariens, Presses de l’UCAC, p. 12

    [9]  C’est ainsi que dès 1986, dans un rapport remis à l’ONU, Martinez Cobo affirmait qu’il est essentiel de connaître et de comprendre cette relation culturelle et religieuse à la terre.

  • CP / Jugement dans l’affaire Tilenga/EACOP concernant les activités  de TotalEnergies en Ouganda et Tanzanie : Notre Affaire à Tous, impliquée dans d’autres contentieux relatifs au devoir de vigilance, déplore cette décision mais demeure confiante sur les chances de succès de ses actions climatiques

    1er MARS 2023, PARIS – Le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris a émis un jugement ce mardi 28 février dans une affaire fondée sur la loi sur le devoir de vigilance (NB: les “référés” désignent des procédures accélérées permettant au juge de se saisir de situations d’urgence). Saisi au sujet des risques et atteintes aux droits humains et à l’environnement en Ouganda et Tanzanie liés aux projets pétroliers “Tilenga” et “EACOP” de TotalEnergies, le juge de l’“urgence » a débouté les associations françaises et ougandaises de leurs demandes.

    Notre Affaire à Tous (NAAT) n’est pas impliquée dans ce dossier mais regrette cette décision et affirme son soutien aux associations requérantes et aux communautés affectées en Ouganda et en Tanzanie. Les projets climaticides EACOP et Tilenga remettent dangereusement en cause la faisabilité collective d’atteindre l’objectif de l’Accord de Paris de limiter le réchauffement climatique à 1,5°C, introduisent des risques écologiques significatifs de marée noire ou autre pour l’environnement local (en particulier l’aire naturelle protégée Murchison Falls, où les forages pétroliers auront lieu) et causent des expropriations des populations locales dont les conditions sont largement contestées par les associations requérantes, dont les Amis de la Terre France. 

    Le tribunal judiciaire de Paris a estimé que le dossier est trop complexe pour être traité dans le cadre d’une procédure d’urgence. Par conséquent, il ne s’est pas prononcé sur le fond, concédant que l’affaire “doit faire l’objet d’un examen en profondeur […] excédant les pouvoirs du juge des référés.” Il faut bien comprendre que ce jugement est dénué de toute autorité de la chose jugée au principal, c’est-à-dire que le juge du fond peut toujours rendre un jugement différent, qui prévaudra auquel cas.  

    De plus, certaines interprétations de la loi relative au devoir de vigilance semblent a priori contestables. En particulier, le tribunal a jugé les demandes des associations irrecevables pour le motif procédural suivant : les griefs et demandes formulés dans la lettre de mise en demeure (ci-après “MED”, il s’agit d’un courrier préalable obligatoire avant l’introduction d’une action en justice sur le fondement de la loi relative au devoir de vigilance) diffèrent trop de ceux soulevés dans les dernières plaidoiries écrites et orales. Les Amis de la Terre et les autres associations parties au litige contestent cette décision dans leur communiqué de presse en expliquant « qu’elles n’ont fait que préciser et consolider leur argumentaire » et renvoient pour se justifier à leur MED [1]. N’ayant pu prendre connaissance de l’ensemble des pièces du dossier, NAAT s’inquiète malgré tout de cette interprétation, qui, si elle devait être confirmée, pourrait entraver les exigences fondamentales de cette loi, à savoir les obligations continues d’identification et de prévention des risques d’atteintes graves aux droits humains et à l’environnement. Paul Mougeolle, juriste à NAAT ajoute : “une fois qu’un contentieux est lancé, il semble absurde de ne pas pouvoir actualiser les demandes en fonction de l’évolution de la situation, si l’entreprise ne remédie toujours pas aux allégations principales indiquées dans la MED. L’hypothèse contraire entraînerait une remise en cause fondamentale du rôle du juge, chargé du contrôle de l’application de la loi.”

    Quoi qu’il en soit, ce jugement ne préjuge en rien des autres affaires relatives au devoir de vigilance, en particulier celles ayant trait à la “vigilance climatique” lancées par NAAT. Les contentieux climatiques en France (Affaire du Siècle, Grande-Synthe, procédures dans lesquelles NAAT est partie) et à l’étranger aboutissent de plus en plus sur des victoires, tant à l’encontre des Etats (Pays-Bas, Allemagne, Irlande, Grande-Bretagne, Belgique, même aux USA dans une certaine mesure dans l’affaire Massachussetts v. EPA), que des entreprises (affaire Shell aux Pays-Bas). 

    Au-delà de ce contexte judiciaire favorable, un rapport d’un groupe d’experts de l’ONU de 2022 expose les mesures que les entreprises doivent mettre en œuvre en matière climatique, tirant les conséquences des rapports scientifiques produits par le GIEC depuis de nombreuses années sur les risques graves associés aux énergies fossiles. Brice Laniyan, juriste chargé de contentieux et de plaidoyer pour NAAT, conclut que : “Nous restons persuadés que ces éléments renforcent le bien-fondé de notre interprétation du devoir de vigilance en matière climatique et que le jugement en référé rendu le 28 février par le Tribunal judiciaire dans l’affaire Tilenga/EACOP ne remet pas en cause nos chances de succès”.  

    Contact presse

    Notre Affaire à Tous : Brice Laniyan, Juriste chargé de contentieux et de plaidoyer  en charge de la responsabilité climatique des multinationales, brice.laniyan@notreaffaireatous.org.

    Notes

    [1] Les associations requérantes rappellent que “les pièces du dossier sont nombreuses et proportionnées aux enjeux, et répondent aux besoins d’actualisations liés à la longueur de la procédure, considérablement rallongée par la bataille procédurale engagée par Total en 2019”.

  • Le One Forest Summit c’est notre affaire à tous ! (1/3)

    Écrit par Hilème KOMBILA (Avocate-Présidente de NAAT-Lyon)

    Aujourd’hui et demain se tient au Gabon le One Forest Summit, annoncé comme le grand forum mondial consacré à la préservation des forêts tropicales. 

    A l’occasion de ce sommet consacré aux enjeux forestiers, Notre Affaire à Tous fait le point sur les enjeux relatifs à la justice climatique qui entourent cet événement. À l’instar des dernières avancées sur les « pertes et préjudices » en matière climatique, l’un des enjeux actuel est d’obtenir de la part des pays « du Nord » des engagements financiers pour contribuer à la préservation des forêts tropicales. Malheureusement, la définition des « parties prenantes » admises à la table des négociations semble comme souvent trop restrictive et écarte en particulier les communautés locales. 

    Un rendez-vous mondial pour la sauvegarde des forêts tropicales

    L’organisation du One Forest Summit au Gabon

    Berceau de l’humanité, l’Afrique trouve en son cœur équatorial un poumon indispensable à la vie sur terre : le bassin du Congo. Au sein de ce bassin forestier, le Gabon contribue à l’effort mondial en matière d’environnement et de lutte contre le réchauffement climatique. Son territoire est recouvert à 88 % par la forêt équatoriale, deuxième puits de carbone de la planète. 

    Photo de forêt tropicale libre de droits.

    Le Gabon a consacré 11% de son territoire à la création de 13 parcs nationaux. Ce “Gabon Vert” est un pilier du Plan Stratégique Gabon Emergent qui décrit les grandes orientations macroéconomiques du pays à l’horizon 2025. Les autorités gabonaises mettent en avant de nombreuses politiques qui ont pour objet la protection de la forêt, de l’océan et de la biodiversité. Toutefois, ce discours peut apparaître comme une stratégie visant à masquer les carences relatives au traitement des atteintes à l’environnement et plus largement celles de l’Etat de droit. 

    A ce titre, le scandal “Perenco” fait figure d’illustration des difficultés franco-gabonaises à sortir de la “France-Afrique”. Malgré la volonté affichée des dirigeants, certains freins semblent les empêcher de lutter efficacement contre les préjudices écologiques subis par la forêt équatoriale, en raison de l’activité de certaines multinationales.  

    Poursuivie en France pour ses atteintes au droit de l’environnement en République démocratique du Congo (RDC), Perenco est une société pétrolière détenue par l’une des familles les plus fortunées de France. Spécialisée dans l’optimisation des puits de pétrole précédemment exploités, elle devient incontournable en Afrique via ses filiales. 

    Dans le cadre des “Perenco files” dévoilés par le média Disclose, la ministre française de la Transition énergétique est éclaboussée par cette affaire. La ministre a en effet omis de déclarer des liens de sa famille proche avec la société française, basée sur des fonds domiciliés en partie dans des paradis fiscaux, dans sa déclaration d’intérêts à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP).

    Pour en savoir plus lire l’article des Echos.

    L’association Sherpa et les Amis de la Terre France, soutenues par l’ONG Environmental Investigation Agency (EIA-US), ont engagé une procédure afin d’obtenir réparation pour préjudice écologique commis en RDC. 

    « Il s’agit du premier contentieux visant à engager la responsabilité d’une entreprise française pour obtenir réparation de préjudices écologiques survenus à l’étranger », souligne Sherpa.

    Pour en savoir plus sur le recours, consulter le site de Sherpa :

    Dans ce contexte, le lanceur d’alerte sur les activités néfastes de Perenco au Gabon, Bernard Christian Rekoula, dénonce une opération de greenwashing quand on lui demande son avis sur l’organisation du One Forest Summit au Gabon.

    Lire cet article du Point pour approfondir ce sujet.

    Pendant ce temps, surfant sur la vague de la vente de crédits carbone générés par la préservation de sa forêt, le Gabon opère sa transition, dans la perspective d’un épuisement annoncé des ressources pétrolières. Ce “verdissement” de l’économie gabonaise devrait servir de modèle dans la sous-région puisque le président gabonais Ali Bongo Ondimba a été désigné samedi 25 février 2023 à la tête de la Communauté économique des États d’Afrique centrale (CEEAC).

    Organisé avant les élections présidentielles gabonaises, sources inévitables de “perturbations”, le One Forest Summit est une vitrine pour le Gabon mais aussi pour l’Alliance des trois Bassins

    Les États porteurs des trois plus importants bassins forestiers au monde, dont le Brésil, l’Indonésie et le Congo RDC ont, à l’automne dernier en marge du G20 à Bali, officiellement conclu un partenariat pour la préservation de leurs forêts. Après dix ans de pourparlers autour d’ une alliance trilatérale, ce partenariat vise principalement à faire pression sur les pays dits riches pour qu’ils financent la conservation des forêts tropicales.

    Bien conscient de cette réalité économique et de cet agenda politique, à la même période, c’est à Charm el-Cheikh lors de la COP 27, à l’occasion du sommet One Planet sur les réserves vitales de carbone et de biodiversité, que fut actée l’organisation du One Forest Summit à Libreville. Ce rendez-vous apparaît donc comme un défi, en attendant la prochaine rencontre de l’Alliance des trois Bassins, l’été prochain au Congo Brazzaville. Il est crucial sur le plan géopolitique et incontournable pour l’avenir de l’humanité.

    La justice climatique et les forêts tropicales

    Les forêts tropicales sont un maillon essentiel à l’équilibre climatique. Elles concentrent plus du quart du stock de carbone terrestre et 60 % du stock de carbone forestier. Elles jouent donc un rôle décisif dans l’atténuation et l’adaptation aux changements globaux. 

    Les types de forêts (source CIRAD Note sur l’engagement pour la préservation des forêts tropicales)

    Les forêts couvrent environ 4 milliards d’hectares soit un tiers des terres émergées et hébergent 80 % de la biodiversité terrestre. Réserve inestimable en la matière, les forêts tropicales représentent à elles seules la moitié des forêts mondiales et abritent la moitié des espèces terrestres de plantes et d’animaux.

    Forêt tropicales (source CIRAD Note sur l’engagement pour la préservation des forêts tropicales)

    80% de ces forêts tropicales se concentrent autour des trois bassins forestiers que sont l’Amazonie, le bassin du Congo, et le bassin du Bornéo-Mékong. Ils concentrent les deux tiers de la biodiversité terrestre.

    Source RFI Afrique: infographie sur les trois bassins forestiers de la planète.

    Les forêts tropicales assurent la subsistance d’au moins 1,6 milliard de personnes au niveau local et participent à la séquestration du carbone pour l’ensemble de l’humanité.

    Pourtant indispensables à la vie sur terre, les forêts tropicales sont en danger. Elles sont menacées par la déforestation et la dégradation forestière engendrées par les activités humaines. Elles sont aussi confrontées à des défis liés au changement climatique tels que l’évolution rapide des températures et de la pluviométrie qui impliquent l’adaptation des communautés végétales et animales. 

    Dans un contexte de changement global et d’érosion de la biodiversité, de nombreuses questions relatives à la justice climatique se posent concernant les forêts tropicales.

    Comme l’indique le CIRAD :

    Des menaces majeures pèsent sur leurs fonctionnalités à la fois sociales, économiques et écologiques. Les décideurs et les gestionnaires sont confrontés à de nombreux défis relatifs à l’évolution de leur fonctionnement, de leurs usages, des services qu’elles rendent. Ils doivent aussi faire face aux risques accrus auxquels elles sont confrontées. Répondre à ces défis nécessite de sortir des logiques de rente pour des politiques d’aménagement du territoire et de gestion des ressources en faveur à la fois des populations et du bien commun”.

    Le CIRAD, acteur majeur de la recherche relative à l’agroforesterie, a identifié six problématiques qui entourent la lutte contre la déforestation et la dégradation des écosystèmes forestiers :

    • La conversion des forêts tropicales en terres agricoles, en pâturages ou encore en plantations industrielles exige une transition agricole capable de proposer des systèmes agraires alternatifs capables de se maintenir sur des zones déjà déforestées ou s’étendre sur des terres dégradées.
    • L’exploitation forestière pose conjointement la question de la gestion durable des espaces forestiers et celle de leur protection en tant que biens publics.
    • Les dynamiques démographiques et socio-économiques font des activités de subsistance (agriculture, bois énergie etc.) l’une des principales causes de la déforestation dans de nombreux territoires, et des usages de la forêt une problématique centrale.
    • Dans cette droite ligne et en écho aux problématiques internationales, la question de l’alimentation et de la durabilité des systèmes alimentaires est un enjeu majeur pour les populations des régions forestières.
    • Des enjeux sociaux comme la reconnaissance des droits des peuples autochtones ou encore d’égalité et d’équité aussi bien entre les populations qu’entre les pays eux-mêmes se posent.
    • Enfin, un enjeu de santé (au sens de One Health) doit être pris en compte, avec le rôle essentiel des écosystèmes forestiers dans la prévention et la lutte contre l’émergence de nouvelles maladies.

    Comme l’indique Jean-Baptiste Cheneval, responsable du pôle plaidoyer du CIRAD, l’objectif des acteurs concernés doit être de “garantir un continuum entre préservation, exploitation et valorisation, afin d’assurer la durabilité des forêts tropicales”.

    La sauvegarde des forêts tropicales, pour être juste, suppose donc de trouver un équilibre entre préservation, exploitation et valorisation, tant au niveau local qu’à l’échelle globale. Le rôle du droit est ici primordial tant il gouverne les questions de prise de décision, de structure de gouvernance, de contrôle des usages ou encore d’arbitrage des conflits. 

    C’est pour discuter de tout celà que les chefs d’État et de gouvernement se réunissent au Gabon à l’occasion du One Forest Summit (voir le programme). 

    Ces responsables politiques ont choisi de s’entourer de représentants de la société civile et de la communauté scientifique triés sur le volet. Malheureusement les représentants des peuples, à commencer par les parlementaires, ne semblent pas conviés à la table des négociations.

    Cet oubli des peuples doit être mis en perspective avec les 3 axes qui déterminent la feuille de route des négociations: 

    • La progression des connaissances et la promotion de la coopération scientifique sur les écosystèmes forestiers;
    • La promotion de chaînes de valeur durables dans le secteur forestier;
    • Le développement de sources de financement innovantes notamment en explorant les solutions de conservation de la biodiversité fondées sur le marché.

    L’enjeu des débats est donc le suivant: l’exploitation économique et la valorisation financière de la préservation, scientifiquement pensée, des forêts tropicales. Il s’agit d’utiliser le système économique et financier international afin de faire contribuer les pays dits riches à la sauvegarde des forêts par les pays dits pauvres. 

    Même si la dimension culturelle est représentée sous l’égide de l’UNESCO, on peut s’interroger sur la prise en compte des droits fondamentaux dans le cadre de cette feuille de route. L’ambition des organisateurs ne les a malheureusement pas conduit à mettre en avant le droit des peuples autochtones ou celui de la forêt si chère à leur cœur.  

  • CP/ Déjà visée pour ses soutiens financiers au secteur des énergies fossiles, BNP Paribas de nouveau devant la justice française pour son financement d’activités liées à la déforestation

    27 FÉVRIER, PARIS – L’ONG brésilienne Comissão Pastoral da Terra (CPT) et l’association française Notre Affaire À Tous ont déposé une plainte devant le tribunal judiciaire de Paris contre BNP Paribas pour avoir fourni des services financiers à Marfrig, l’un des plus grands producteurs de viande bovine au monde. Les fournisseurs de Marfrig se sont livrés à une déforestation illégale et grave de l’Amazonie, à l’accaparement de terres dans des territoires autochtones protégés et au travail forcé dans des élevages de bétail. Cette action en justice intervient quelques jours après que la BNP ait été assignée en justice pour répondre de son soutien financier à des entreprises développant  de nouveaux projets pétroliers et gaziers. 

    Les associations reprochent à BNP Paribas d’avoir violé la loi française sur le devoir de vigilance qui impose aux multinationales basées en France d’établir un plan qui « comporte des mesures de vigilance raisonnable propres à identifier les risques et à prévenir les atteintes graves envers les droits humains et les libertés fondamentales, la santé et la sécurité des personnes ainsi que l’environnement, résultant des activités de la société et de celles des sociétés qu’elle contrôle » en France et à l’étranger.

    Pour Jérémie Suissa, Délégué général de Notre Affaire à Tous : « Malgré ses engagements et ses communications, BNP Paribas ne cherche pas à lutter efficacement contre la déforestation de l’Amazonie. Les preuves accumulées sur le soutien de BNP à Marfrig et le manque de vigilance de Marfrig vis-à-vis de ses fournisseurs révèlent l’insuffisance des mesures prises par la BNP. On ne peut pas fermer les yeux sur la déforestation et le travail forcé et se prétendre acteur du changement et  de la neutralité carbone. La déforestation sur le territoire brésilien est un enjeu d’envergure planétaire : la préservation de l’Amazonie est d’une importance capitale pour notre trajectoire climatique collective et le Brésil reste le premier exportateur mondial de viande bovine”.

    Pour Xavier Plassat, chargé de campagne contre le travail esclave à la CPT : « Pour continuer à générer d’énormes revenus grâce au travail forcé que les militants, les médias et les groupes autochtones ont mis en lumière ces dernières années, Marfrig a réagi en faisant pression pour interdire l’accès aux informations sur ses chaînes d’approvisionnement et en refusant de contrôler les fournisseurs indirects qui commettent des abus.  Une vigilance raisonnable ne devrait pas permettre à la BNP de tolérer une telle situation ! C’est la raison pour laquelle nous nous adressons aux tribunaux français : pour nous assurer que la loi est suffisamment forte pour que ces grandes entreprises ne puissent pas faire de greenwashing pour se soustraire à de graves allégations d’actes répréhensibles. »

    Pour Merel van der Mark de Rainforest Action Network : « Le secteur de la viande bovine est le principal moteur de la déforestation en Amazonie et il fait également partie des principales sources d’émissions de méthane, un gaz à effet de serre très puissant qui aggrave  le changement climatique. Les requérantes considèrent que le plan de devoir de vigilance de la BNP ne fournit pas de garanties assez fortes pour empêcher la déforestation et les violations des droits de l’homme. »

    Selon une analyse réalisée par le Center for Climate Crime Analysis (CCCA), organisme à but non lucratif, portant sur deux usines de conditionnement de viande exploitées par Marfrig entre 2009 et 2020, les exploitations des fournisseurs auraient été responsables de plus de 120 000 hectares de déforestation illégale dans la forêt amazonienne et la savane du Cerrado voisine au cours de cette période. L’année dernière, des scientifiques ont découvert que certaines parties de la forêt amazonienne émettent désormais plus de dioxyde de carbone qu’elle n’est capable d’en absorber, la plupart des émissions étant causées par des incendies, souvent déclenchés délibérément pour défricher des terres destinées à la production de bœuf et de soja.

    Il s’est également avéré que Marfrig s’est directement et indirectement approvisionné en bétail auprès d’éleveurs qui élevaient illégalement des bovins sur des territoires autochtones. Il s’agit notamment d’exploitations situées sur le territoire autochtone d’Apyterewa dans l’État du Pará – l’une des terres autochtones les plus déboisées ces dernières années – et sur le territoire autochtone de Manoki dans l’État du Mato Grosso.

    L’industrie bovine brésilienne est également connue pour ses pratiques de travail forcé. L’Organisation internationale du travail estime qu’elle est responsable de 62 % du travail forcé dans le pays. L’ONG Walk Free a publié en 2018 un index mondial qui estime que 369 000 individus sont victimes de travail forcé au Brésil.

    Contacts Presse :

    Notre Affaire à Tous : Brice Laniyan, Juriste chargé de contentieux et de plaidoyer, brice.laniyan@notreaffaireatous.org.

    Comissao Pastoral da Terra (Commission Pastorale de la Terre) : Fr. Xavier Plassat, Coordinateur de la campagne nationale de la CPT, “Ouvre l’œil pour ne pas devenir un esclave ! », comunicacao@cptnacional.org.br