Communiqué, Paris, le 11 juillet 2024 – Dans un rapport inédit, Notre Affaire à Tous met en lumière les risques climatiques et environnementaux auxquels font face les prisons françaises et alerte sur l’urgence d’adaptation du milieu et des politiques carcérales.
Sur la base de données publiques (Ministère de la Justice, CGLPL, OIP, site Géorisques, Météo France, etc.), Notre Affaire à Tous a évalué la vulnérabilité des prisons françaises en fonction de 9 risques climatiques et environnementaux, ainsi que 8 aspects récurrents du système pénitentiaire français actuel que nous avons retenus comme facteurs aggravants, car renforçant la vulnérabilité des personnes face aux conséquences des événements climatiques extrêmes et des pollutions. Les risques ont été évalués pour l’ensemble des 188 établissements pénitentiaires de France, hexagonale et d’Outre-Mer ouverts en décembre 2023 au plus tard.
Le changement climatique redessine une carte des prisons en fonction de leur exposition aux risques climatiques qui doit nous alerter.
Aucune des 188 prisons françaises n’échappe aux risques climatiques et environnementaux. Les prisons du sud de la France, notamment les DISP Marseille et Toulouse, sont les plus impactées.
100% des prisons sont concernées par le risque de canicule.
1 établissement sur 2 est en zone à risque de retrait et gonflement des argiles.
Près d’1 établissement sur 3 est exposé aux tempêtes et cyclones.
Plus d’1 établissement sur 4 est concerné par le risque d’inondation.
7 établissements sur 10 sont situés sur des sols potentiellement pollués.
1 établissement sur 10 est situé à proximité d’un site classé ICPE.
Près d’1 établissement sur 4 est situé à proximité d’un aéroport, d’une voie ferrée, et/ou d’un axe routier important.
15 prisons cumulent les 8 facteurs aggravants.
Malgré cette indéniable vulnérabilité, l’enjeu de l’adaptation des conditions de vie et de travail dans les lieux de privation de liberté à l’aune de la crise écologique n’est ni sérieusement documenté, ni véritablement abordé. Il ne fait l’objet d’aucune politique publique et ne semble pas être pris en compte dans les programmes de construction et de rénovation des prisons.
L’Etat a pourtant la charge et le devoir de protéger l’ensemble de ses administré·es.
Les personnes détenues sont particulièrement vulnérables en raison de leur exposition aux risques climatiques et environnementaux, de leur privation de liberté, de leur dépendance aux autorités pour assurer leur sécurité, des conditions actuelles de détention très souvent indignes, enfin de leur accès à un environnement sain fortement contrôlé et limité du fait de leur enfermement dans un environnement extrêmement minéral. La France ayant d’ores et déjà été condamnée à multiples reprises par la CEDH concernant les conditions de détention, et les effets du changement climatique impactant déjà les 76 000 personnes détenues (au 1er janvier 2024) et le personnel pénitentiaire, il est urgent d’adapter le système carcéral français.
Recommandations
Quelle que soit la trajectoire de hausse des températures qui se dessine, l’enfermement massif doit être revu à l’aune des conséquences du changement climatique car il n’est ni compatible avec le respect des droits humains, ni compatible avec la nécessaire adaptation de notre société.
Depuis trois décennies, les gouvernements successifs choisissent de répondre à la surpopulation carcérale en dédiant une partie considérable du budget de la Justice à l’augmentation du nombre de places dans les établissements pénitentiaires. Plusieurs rapports pointent pourtant l’incapacité de ces programmes de construction à répondre au problème chronique de la surpopulation carcérale, qui restera donc un facteur aggravant des conséquences du changement climatique tant pour les détenu⋅es que pour le personnel pénitentiaire. De plus, les nouveaux bâtiments construits ne prennent pas ou très peu en compte les besoins d’adaptation au changement climatique, en particulier de par leur localisation.
Face à ces constats, Notre Affaire à Tous formule 17 pistes d’actions pour une adaptation urgente et efficace des prisons françaises aux risques climatiques, en adéquation avec les préconisations généralement portées par les institutions et organisations qui s’intéressent aux conditions de détention.
Le rapport complet est disponible sur le lien suivant :
Dans la lignée de ses précédents travaux sur les impacts du changement climatique et les inégalités qu’ils aggravent ou génèrent, Notre Affaire à Tous propose une synthèse de son futur rapport inédit sur les risques climatiques et environnementaux auxquels sont exposées les prisons françaises.
Le changement climatique impacte tous les pans de la société, y compris le milieu carcéral
Sur la base de données publiques (Ministère de la Justice, CGLPL, OIP, site Géorisques, Météo France, etc.) nous avons évalué neuf risques climatiques et environnementaux auxquels les prisons sont exposées, ainsi que huit aspects récurrents du système pénitentiaire français actuel que nous avons retenus comme facteurs aggravants, car renforçant la vulnérabilité des personnes face aux conséquences des événements climatiques extrêmes et des pollutions.
Quelle que soit la trajectoire de hausse des températures qui se dessine, l’enfermement massif, à l’aune du changement climatique, n’est pas compatible avec la nécessité de mettre en œuvre rapidement des politiques d’adaptation réellement efficaces et respectueuses des droits humains. Nous formulons de nombreuses recommandations destinées à répondre aux enjeux climatiques et environnementaux auxquels font face les prisons.
Retrouvez dès maintenant notre rapport et sa synthèse :
Communiqué, Paris, 2 juillet 2024 – Le 29 juin 2023, dans le cadre de Justice pour le Vivant, le tribunal administratif de Paris condamnait le gouvernement à prendre, avant le 30 juin 2024, toutes les mesures nécessaires pour réduire l’usage des pesticides en France et protéger les eaux souterraines du pays. La juridiction reconnaissait également le préjudice écologique résultant des pesticides et l’existence de failles significatives dans l’évaluation de leurs risques avant autorisation. Depuis sa condamnation, le gouvernement refuse ouvertement d’exécuter la décision de justice et n’a fait que reculer. Quel que soit le résultat du second tour des élections législatives, les ONG continueront leur action en justice pour veiller à ce que le prochain gouvernement agisse pour enrayer l’effondrement de la biodiversité.
Le 29 juin 2023, dans un jugement historique, le Tribunal administratif de Paris reconnaissait, pour la première fois, l’existence d’une contamination généralisée de l’environnement par les pesticides, causant un effondrement de la biodiversité. Constatant également des failles dans les procédures d’évaluation et d’autorisation de mise sur le marché des pesticides, le tribunal condamnait le gouvernement à, d’ici au 30 juin 2024 :
Prendre toutes les mesures utiles pour respecter les objectifs de réduction des pesticides prévus par les plans Ecophyto ;
Protéger réellement , comme la loi l’oblige déjà, les eaux souterraines du territoire français des effets des pesticides et de leurs résidus
Si le gouvernement a fait appel de ce jugement, tout comme les cinq ONG qui cherchent à l’obliger à combler les failles de l’évaluation des risques, la condamnation doit être appliquée et l’État est donc tenu d’agir. Pendant les 12 mois qui ont suivi l’annonce de ce jugement, le gouvernement n’a pourtant rien fait, ni pour se plier au jugement, ni pour agir contre le préjudice écologique qui touche les citoyens français, pourtant reconnus.
« Depuis sa condamnation pour sa mauvaise gestion des pesticides il y a un an, le gouvernement n’a proposé que renoncement sur renoncement. En changeant l’indicateur principal du plan Ecophyto 2030, il abandonne les ambitions de réduction des plans précédents qu’il a pourtant été condamné à respecter. Sur la question de l’eau, il n’a rien fait non plus, alors que la pollution des eaux souterraines aux pesticides a des conséquences tant sur les écosystèmes que sur les collectivités » dénoncent les associations, qui se réservent la possibilité de saisir le tribunal pour demander l’exécution du jugement.
Le changement d’indicateur prévu par le plan Ecophyto 2030 – du NODU à HRI1 – ne pourra pas servir à mesurer de diminution réelle de l’usage des pesticides. Il a pour seul objectif de permettre au gouvernement d’afficher un respect de ses engagements, sans entraîner de baisse effective, et sans enrayer l’effondrement de la biodiversité.
Bien qu’il n’ait pas été expressément condamné à le faire, le gouvernement aurait aussi pu combler les failles de l’évaluation des risques des pesticides, identifiées par les autorités compétentes et reconnues par le Tribunal – qui a également reconnu un lien de causalité directe avec le préjudice écologique. Il est de la responsabilité de l’État d’agir sur ce point comme le souligne un récent arrêt (C-308/22) de la Cour de Justice de l’Union européenne, selon lequel l’État ne peut se contenter d’une évaluation des risques qui ne tient pas compte « des données scientifiques disponibles les plus fiables ainsi que des résultats les plus récents de la recherche internationale ». La coalition Justice pour le vivant estime qu’il est temps que l’Etat remette la science au cœur de l’évaluation des risques des pesticides.
« Le nombre d’insectes volants a chuté de près de 80% en 30 ans, pendant que la quantité d’oiseaux des champs a baissé de 60% en Europe. Alors qu’il est urgent d’agir et qu’il a toutes les clés en main pour le faire, le gouvernement a choisi de reculer, et de privilégier les profits de l’agro-industrie au détriment du plus grand nombre. Une transition vers un modèle agroécologique ne se fera pas sans changements politiques profonds et un abandon de l’usage massif de pesticides. » expliquent les associations. « Quels que soient les résultats du 2nd tour des élections législatives, les ONG de Justice pour le Vivant continueront leur action en justice pour obliger l’État à prendre ses responsabilités et agir contre l’effondrement de la biodiversité. »
Rigal, S et al. (2023). Farmland practices are driving bird populations decline across Europe. PNAS, 120(21), e2216573120.https://doi.org/10.1073/pnas.2216573120
Communiqué de Notre Affaire à Tous, Bien vivre à Pierre-Bénite et PFAS contre terre, 20 juin 2024 – Jeudi 20 juin 2024, le tribunal administratif de Lyon a suspendu l’arrêté préfectoral laissant DAIKIN CHEMICALS FRANCE étendre son activité sur le site d’Oullins-Pierre-Bénite, suite à la demande de Bien vivre à Pierre-Bénite avec les contributions du collectif PFAS contre terre et de Notre Affaire à Tous, ainsi que de la commune d’Oullins-Pierre-Bénite. Le juge a reconnu que le projet d’extension aurait dû être soumis à autorisation, et donc à évaluation environnementale, car il présente des dangers.
L’arrêté préfectoral permettait à l’industriel d’exploiter une nouvelle unité de production et de stockage de produits chimiques, sans être soumise à une évaluation environnementale. Les produits concernés seraient le bisphénol A fluoré et l’hexafluoropropylène (HPF), deux PFAS, alors que DAIKIN CHEMICALS FRANCE se situe dans la “zone la plus polluée (aux PFAS) de France” (Le Monde). Véritable danger pour la santé, les polluants éternels sont à l’origine de cancers, problèmes liés à la thyroïdes, infertilité…
Depuis l’émission Vert de Rage révélant la contamination aux PFAS du sud de Lyon, citoyen.nes, associations, syndicats et politiques se mobilisent pour l’interdiction des PFAS et pour établir les responsabilités dans la pollution du sud de Lyon.
Citation de Jean Paul Massonnat, membre de Bien vivre à Pierre-Bénite : “Ce jugement fera date, il montre enfin que les gens atteints par cette pollution peuvent passer avant les intérêts industriels. Rien ne doit être négligé pour protéger la santé des humains et leur environnement. Voilà déjà un grand pas.”
Citation de Camille Panisset, secrétaire de Notre Affaire à Tous – Lyon : “Nous sommes soulagés que le juge reconnaisse le danger que représente cette extension et demande la suspension de l’arrêté. La santé environnementale doit primer par rapport à la productivité. Le droit de l’environnement n’est pas optionnel, la préfecture et les industriels sont encore tenus de s’y conformer. »
Le collectif PFAS contre terre apporte son soutien à cette action en justice, par une pétition : ”PFAS contre terre se réjouit de la décision du tribunal administratif de Lyon, qui va dans le sens de l’application du principe de précaution. Les études d’impact devront se montrer à la hauteur des enjeux pour la santé des riverains et des employés travaillant sur les sites industriels d’Arkema et de Daikin. C’est un premier pas pour le respect des populations empoisonnées.”
Bien vivre à Pierre-Bénite, PFAS contre terre et Notre Affaire à Tous restent mobilisés et vigilants quant à l’activité des industries produisant des PFAS et continueront à saisir le juge dès que la santé des riverains est compromise et le vivant menacé.
Les associations saluent le diagnostic sévère et sans appel posé sur la stratégie climaticide de TotalEnergies ; elles regrettent cependant le manque d’ambition de la plupart des 33 recommandations du rapport, notamment en termes de mesures contraignantes pour obliger le groupe à respecter les objectifs fixés par l’Accord de Paris.
Au cours des six derniers mois, les expertes et experts ainsi que les scientifiques auditionnés ont démontré que la stratégie d’expansion fossile de TotalEnergies était un accélérateur de la crise climatique et une menace pour les droits humains, en pointant du doigt sa volonté d’augmenter sa production d’hydrocarbures et de renforcer notamment ses activités dans le gaz naturel liquéfié. D’autres ont également mis en lumière le manque de transparence concernant le lobbying exercé par le groupe sur les responsables politiques, et la porosité des liens entre les dirigeants de TotalEnergies et la machine étatique, voire le soutien de la diplomatie française à sa stratégie internationale. A l’inverse, Patrick Pouyanné et les autres responsables de la major pétrolière auditionnés ont défendu coûte que coûte la stratégie “climatique” et les pratiques actuelles du groupe, sans aucune volonté de changement malgré leurs impacts dramatiques. L’intervention de Bruno Le Maire a témoigné d’un manque patent de volonté politique de réguler cette multinationale pour l’engager concrètement dans la sortie progressive des énergies fossiles.
Pour nos associations, ce rapport a le mérite d’ouvrir le débat au sein d’une des instances démocratiques clefs du pays sur l’impérieuse nécessité d’une reprise en main par l’État de son rôle de régulateur des multinationales, et en particulier du secteur des énergies fossiles. Il n’était pas gagné d’avance que ce rapport soit adopté au vu des fractures au sein de la commission d’enquête, et il est donc le fruit de difficiles compromis. Dès lors, les associations soulignent l’intérêt de certaines recommandations concrètes, comme l’arrêt des importations de GNL russe aux niveaux français et européen, ainsi que des mesures affirmant le besoin de plus de transparence ou de plus de régulation par l’Etat pour permettre la sortie des énergies fossiles. Mais elles déplorent que la majorité sénatoriale de droite se soit efforcée de diminuer le niveau d’ambition des recommandations du rapport et ait choisi de faire l’impasse sur des enjeux majeurs comme la question de la taxation des superprofits de la major pétro-gazière.
Pour Edina Ifticène, chargée de campagne Énergies fossiles à Greenpeace France : “Deux visions opposées se dégagent des auditions et des travaux de la commission d’enquête. D’une part, l’industrie et ses soutiens politiques qui balayent d’un revers de main la responsabilité de TotalEnergies dans la crise climatique, d’autre part, celles et ceux qui alertent sur les risques de plus en plus tangibles que cette logique fait peser sur notre avenir et rappellent l’État à son devoir de protection de l’intérêt général. La solution ne peut pas être de se défausser sur les seuls citoyennes et citoyens, qui payent l’énergie au prix fort, en leur intimant de réduire leur consommation. L’État doit instaurer des contraintes politiques fortes obligeant l’industrie fossile à réduire son empreinte carbone et à payer pour les dommages déjà causés. En cette période d’instabilité politique, ce clivage rappelle qu’il est essentiel d’avoir une nouvelle majorité politique volontaire sur cette question.”
Pour Justine Ripoll, responsable de campagnes pour Notre Affaire à Tous : “L’État français faillit à ses obligations en ne régulant pas la trajectoire climatique de TotalEnergies. Dans les années 90, le lobbying et la désinformation de la major nous ont collectivement fait perdre des décennies précieuses pour prévenir l’aggravation du dérèglement climatique. Nous avons aujourd’hui un constat démocratique sans appel et des solutions sur la table pour corriger cette erreur historique et protéger enfin les générations futures.”
Pour Soraya Fettih, chargée de campagnes France pour 350.org : “Fruit d’un long travail de mobilisation de la société civile française, la commission d’enquête sénatoriale sur TotalEnergies a conclu ses travaux mais nous laisse sur notre faim. Si elle reconnaît la nécessité pour l’État de faire preuve de plus de vigilance sur les activités de l’entreprise, elle reste bien trop timide dans ses recommandations sur le rôle régulateur de l’État pour imposer une vraie transition énergétique juste et compatible avec l’urgence climatique. Si la Commission suggère, à raison, de faire contribuer les entreprises fossiles au Fonds pertes et dommages, elle ne va pas jusqu’à proposer la taxation de leurs super profits indécents qui pourrait permettre de lutter aussi contre la précarité énergétique dont souffre un·e Français·e sur cinq. C’est une occasion manquée de prendre le gouvernement au mot, la France co-pilotant une initiative internationale sur la taxation pour générer des revenus pour le climat et le développement. Elle pourrait montrer l’exemple en s’attaquant dès maintenant aux profits de l’industrie fossile. Il est grand temps que nos dirigeants mettent fin à cette impunité.”
Pour Gaïa Febvre, responsable des politiques internationales Réseau Action Climat France : “Le gouvernement français doit faire preuve de cohérence. Il ne peut pas prôner la fin des énergies fossiles lors des sommets internationaux comme les COP et, en même temps, fermer les yeux sur les actions de TotalEnergies. Lors de la COP28, la France, comme tous les autres pays, s’est engagée à sortir des énergies fossiles. Aujourd’hui, pour espérer rester crédibles, les paroles doivent être suivies d’actes. Il est urgent de contraindre TotalEnergies à respecter l’Accord de Paris. Fermons le robinet des énergies fossiles pour éviter les coûts des pertes et dommages liés au changement climatique et aux efforts d’adaptation. Nous avons pris assez de retard et nous devons agir maintenant pour garantir un avenir vivable.”
Pour Juliette Renaud, coordinatrice des Amis de la Terre France : “La multiplicité des auditions tenues lors de cette commission d’enquête a permis de mettre en lumière non seulement l’étendue des conséquences néfastes des activités de Total, mais aussi la faiblesse de l’État dans sa volonté de réguler cette multinationale. Les solutions existent pourtant et, au-delà des constats, nous regrettons que les recommandations du rapport ne soient pas plus ambitieuses, notamment pour mettre fin à la diplomatie économique en soutien à Total et au lobbying débridé de cette entreprise. De même, alors que le rapport contient une recommandation sur l’arrêt des projets d’hydrocarbures en Azerbaïdjan, les preuves et témoignages sur les violations des droits humains liées au projet EACOP en Ouganda semblent avoir laissé de marbre les sénateurs conservateurs, aveuglés par leur complaisance avec la multinationale. Néanmoins, certaines préconisations sont plus concrètes et doivent être maintenant suivies d’actes : alors que la commission d’enquête recommande d’inclure le GNL russe aux produits énergétiques sous sanctions européennes, l’État doit sortir de son silence et prendre position pour le paquet de sanctions négocié en ce moment même à Bruxelles. Ces sanctions doivent couvrir les importations et les opérations de transbordement qui permettent à la Russie d’exporter plus de GNL à travers le monde.”
Pour Lucie Pinson, directrice de Reclaim Finance : “Si la commission a souligné le rôle central de la finance dans les orientations du secteur énergétique, les sénateurs sont globalement passés à côté du sujet. Hormis quelques recommandations bienvenues concernant la gouvernance des entreprises, ils s’en tiennent à des formulations qui révèlent la démission du politique face à l’urgence de la réorientation des flux financiers. Ils auraient par exemple dû rebondir sur les récentes annonces de BNP Paribas et du Crédit Agricole, qui se sont engagés à ne plus soutenir les obligations conventionnelles pour le secteur pétro-gazier, en imposant cette mesure à tous les acteurs financiers français, au lieu de seulement les inciter à aller plus loin en matière de décarbonation des portefeuilles. Les autres recommandations sont du même acabit, faisant apparaître au mieux un soutien timoré à des mesures en discussion au niveau européen et international, comme la mise en place de taux différenciés. L’ensemble des mesures est très loin de l’ampleur des normes requises pour éviter un emballement du climat et une crise économique et financière majeure.”
Communiqué de presse, Paris, 18 juin – Dans le contentieux climatique engagé par 6 associations et 15 collectivités territoriales contre TotalEnergies, la cour d’appel de Paris a jugé l’action judiciaire recevable. La Cour met fin à une controverse procédurale qui risquait de priver d’effectivité la loi sur le devoir de vigilance et ouvre la voie à l’examen judiciaire du fond de l’affaire. Excepté pour la ville de Paris, la Cour juge toutefois l’action des collectivités territoriales irrecevables.
En janvier 2020, une coalition d’associations et de collectivités territoriales (1) a assigné TotalEnergies en justice, rejointe depuis par les collectivités de Paris, New-York, Poitiers et Amnesty International France. L’objectif est de contraindre la compagnie pétrolière à prendre les mesures nécessaires pour s’aligner avec l’objectif 1,5°C de l’Accord de Paris, conformément à la loi relative au devoir de vigilance.
Le 6 juillet 2023, le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris a déclaré l’action judiciaire irrecevable selon une interprétation contestée et inquiétante de la loi sur le devoir de vigilance. La coalition s’est tournée vers la cour d’appel.
Pour la coalition, la décision de ce jour ouvre la voie au premier procès climatique contre une multinationale en France. Après plusieurs années de procédure, la multinationale va désormais devoir justifier du respect de ses obligations en matière climatique.
Vers un jugement au fond sur le devoir de vigilance
Le tribunal judiciaire avait considéré que TotalEnergies n’avait pas régulièrement été mise en demeure, au motif que les demandes formulées dans l’assignation n’étaient pas strictement identiques à celles du courrier de mise en demeure envoyé à la multinationale.
La cour d’appel a au contraire estimé que TotalEnergies avait été suffisamment avertie avant d’être assignée. Elle a considéré que les demandes présentées au juge devaient se rattacher par un lien suffisant avec celles figurant dans la mise en demeure, s’agissant des risques d’atteintes visés. La Cour a également reconnu qu’il revenait au juge de contrôler le respect par une entreprise de ses obligations au titre de son devoir de vigilance et de porter une appréciation sur les mesures demandées.
Cette décision vient mettre fin à une interprétation restrictive de la loi qui, à rebours de l’objectif poursuivi par le législateur de faciliter l’accès à la justice pour les victimes de violations de droits humains et d’atteintes à l’environnement, offrait un échappatoire aux entreprises.
Les décisions dans les affaires EDF/Mexique et Suez/Chili ont également été rendues par la cour d’appel. La Cour a jugé l’action recevable dans l’affaire EDF/Mexique, le juge estimant que l’assignation et la mise en demeure pouvaient viser des plans de vigilance différents. En revanche, la Cour a jugé irrecevable l’action des associations dans l’affaire Suez/Chili.
La Cour a également jugé que les demandes au titre de la prévention du préjudice écologique étaient recevables. Contrairement à ce que soutenait le juge de la mise en état, l’action peut se fonder à la fois sur le devoir de vigilance et sur le préjudice écologique. La cour ouvre ainsi la voie à un débat sur les mesures devant être adoptées par TotalEnergies pour réduire ses émissions de gaz à effet de serre impactant le climat.
Un accès restreint pour les collectivités
Si la ville de Paris s’est vue reconnaître un intérêt à intervenir (2), la Cour a cependant jugé irrecevable l’action des autres collectivités territoriales. Celles-ci n’auraient pas suffisamment démontré l’existence d’une atteinte ou d’un retentissement particulier du réchauffement climatique sur leur territoire. Ainsi, la Cour opère une restriction du droit d’agir en matière climatique même si elle ne ferme pas totalement la porte à l’action des collectivités territoriales.
La coalition examinera comment les collectivités territoriales jugées irrecevables pourront continuer à s’impliquer dans ce procès historique qu’elles ont participé à construire.
Signataires : Notre Affaire à Tous, Sherpa, France Nature Environnement, ZEA, Amnesty International France et les villes de Paris, Arcueil, Bègles, Bize-Minervois, Correns, Grenoble, La Possession, Mouans-Sartoux, Nanterre, Sevran, Vitry-le-François
Notes
Les trois décisions concernant les affaires : EDF/Mexique, Suez/Chili et TotalEnergies/Changement climatique seront analysées lors d’un webinaire organisé par les trois coalitions le mardi 9 juillet de 18h à 19h30. Inscriptions sur : https://bit.ly/3Xqxig4
(1) Sherpa, Amnesty International France, France Nature Environnement, Notre Affaire à Tous, ZEA, les Eco Maires et les villes de Paris, New York, Arcueil, Bayonne, Bègles, Bize-Minervois, Centre Val de Loire, Correns, Est-Ensemble Grand Paris, Grenoble, La Possession, Mouans-Sartoux, Nanterre, Sevran et Vitry-le-François.
(2) La ville de Paris a rejoint l’action en justice en septembre 2022 en tant qu’intervenante volontaire, ce qui lui permet de soutenir les prétentions des demanderesses sans formuler de demandes propres.
Les conséquences des changements climatiques sont déjà visibles. Notre Affaire à Tous met régulièrement en avant les différences d’impacts et les inégalités qui y sont liées, tant au niveau international que national. Si nous sommes toutes et tous concernées par le réchauffement climatique, nous ne sommes pas tous responsables au même niveau ni n’avons les mêmes moyens (financiers mais aussi sociaux, juridiques, etc.) pour nous protéger de ces conséquences ou nous adapter. Ces questions sont anciennes et de plus en plus abordées et documentées, notamment au niveau international. On parle de pertes et préjudices (loss and damages), c’est-à-dire les conséquences du changement climatique qui ne peuvent être évitées ce qui amène la question des réparations des préjudices subis (perte de revenus à cause d’une inondation ou d’une vague de chaleur) et celles des compensations pour les pertes qui ne peuvent pas toujours être évaluées en termes économiques (vies humaines ou non, perte d’une culture, etc.). Cependant, si ces problématiques sont bien présentes dans les discussions, leur prise en compte effective et leur intégration dans des plans d’action concrets sont encore trop lentes et limitées.
Dans ce numéro d’IMPACTS, dans le cadre d’une clinique Notre Affaire à Tous et des étudiant.e.s de Sciences Po Toulouse (Manon MERLE & Léo RICHER) font un point détaillé sur la question des pertes et préjudices en retraçant notamment son évolution dans le régime climatique.
La lente consécration des pertes et préjudices comme troisième pilier du régime climatique international : retour sur l’historique de la mise à l’agenda 1. Années 1990 : La lutte des PEID pour la reconnaissance de leur particulière vulnérabilité aux effets résiduels des changements climatiques 2. Premières apparitions de l’expression « loss and damage » dans la soft law : de la COP de Bali en 2007 à la création du Mécanisme international de Varsovie en 2013 3. La consécration des pertes et préjudices comme troisième pilier de l’action climatique internationale avec l’Accord de Paris de 2015 4. L’application concrète de ce troisième pilier : la création du Fonds pour les pertes et préjudices à la COP 27
Compenser les pertes et préjudices ? 1. Le refus de la responsabilité et le choix de la solidarité internationale 2. Dans le cadre de la CCNUCC, une évolution laborieuse du traitement financier des pertes et préjudices depuis la COP 21 3. Le Fonds pour les pertes et préjudices 4. Compenser les pertes non-économiques
La préparation de Mayotte aux changements climatiques et les pertes et préjudices 1. Un habitat fragile face aux évènements climatiques extrêmes 2. La crise de l’eau de 2023 : une crise révélatrice d’une mal-adaptation 3. Les pertes et préjudices auxquelles Mayotte fait ou fera face
La Convention Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques (CCNUCC) adoptée en 1992 à l’issue du Sommet de la Terre de Rio, constitue le socle du régime international de la lutte contre les changements climatiques. Ce régime est complété par deux autres traités, à savoir le Protocole de Kyoto (1997) et l’Accord de Paris (2015). Sur la base du premier rapport du Groupe intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) paru en 1990, les Nations Unies reconnaissent au sein de la CCNUCC un principe devenu notoire, celui des responsabilités communes mais différenciées des parties à la convention dans la contribution aux changements climatiques. En conséquence, il appartient « aux pays développés parties d’être à l’avant-garde de la lutte contre les changements climatiques et leurs effets néfastes » (Article 3 de la CCNUCC).
L’action climatique a d’abord été concentrée sur une stratégie d’atténuation des changements climatiques, c’est-à-dire de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES), fondée sur l’idée que les effets des changements climatiques pouvaient être évités. Puis, l’échec des politiques d’atténuation, et de l’existence future d’effets inévitables des changements climatiques, font prendre acte aux Etats parties à la CCNUCC de la nécessité de se préparer face à ces effets néfastes. L’adaptation devient alors le second pilier du régime climatique international au côté de l’atténuation. Il est définitivement entériné en 2010 avec la création du Cadre de l’adaptation de Cancún.
En parallèle, est discuté au sein des négociations internationales la reconnaissance d’effets résiduels des changements climatiques, c’est-à-dire d’effets qui se produisent et se produiront en dépit de la mise en place de politiques d’atténuation et d’adaptation, aussi conceptualisés sous le vocable de « pertes et préjudices ». Ces effets résiduels peuvent être les conséquences d’événements climatiques extrêmes (ouragans, typhons, submersions, etc.) comme de phénomènes climatiques à évolution lente (montée du niveau des mers, salinisation des sols, etc.). Pour comprendre rapidement et concrètement ce que sont ces pertes et préjudices, il est courant de les distinguer en deux catégories : d’une part, les pertes et préjudices économiques (destruction d’infrastructures, pertes de revenus, etc.) et d’autre part les pertes et préjudices non-économiques (perte de souveraineté, perte d’identité culturelle, etc.), donc difficilement évaluables en termes monétaires. Nous reviendrons sur la construction de cette définition au cours de l’article.
L’identification et la compensation des pertes et préjudices devient le troisième pilier du régime climatique international en 2015 avec l’adoption de l’Accord de Paris. Or, si l’établissement de ce troisième pilier est le plus récent, et que la décision de mettre en place un Fonds dédié au traitement des pertes et préjudices n’est intervenu qu’à l’issue de la COP 27 (et qu’il n’est pas encore opérationnel), des débats, concernant la reconnaissance de dommages inévitables futurs et la mise en place de mécanismes d’assurance pour y faire face, animent les négociations internationales dès le Sommet de la Terre de Rio de 1992. Ces questions, portées par des Etats particulièrement vulnérables aux effets des changements climatiques, s’accompagnent au départ d’une demande d’implémentation de mécanismes assurantiels, auxquels seraient soumis à participation les Etats développés, opérant par là la reconnaissance de leur responsabilité juridique.
Les pertes et préjudices se présentent donc clairement comme une illustration des inégalités climatiques : certaines régions sont particulièrement exposées aux conséquences des changements climatiques. Comme l’ont souligné Marianne Moliner-Dubost et Sabine Lavorel (2024), les pays en développement supportent de manière disproportionnée ces pertes et préjudices. Tout d’abord, ces pays sont plus fréquemment touchés par des événements climatiques extrêmes et leur capacité à y faire face est entravée par leur faible revenu. Qui plus est, une injustice climatique encore plus flagrante réside dans le fait que les pays les plus touchés et les plus vulnérables aux pertes et préjudices sont souvent ceux qui émettent le moins de gaz à effet de serre. En effet, le sixième rapport du GIEC révèle que les contributions historiques des émissions de CO2 varient considérablement en fonction des régions. D’une part, il apparaît qu’historiquement les pays développés représentent près de 45% des émissions de CO2 entre 1850 et 2019. D’autre part, le GIEC souligne que :
« Les pays les moins avancés (PMA) et les petits États insulaires en développement (PEID) ont des émissions par habitant beaucoup plus faibles (1,7 tCO2-eq et 4,6 tCO2-eq respectivement) que la moyenne mondiale (6,9 tCO2-eq) […]. Les 10% de ménages présentant les émissions par habitant les plus élevées contribuent à hauteur de 34 à 45% des émissions de GES des ménages basées sur la consommation à l’échelle mondiale, tandis que les 50% les moins riches contribuent à hauteur de 13 à 15% » (GIEC, AR6, GTIII: 5).
Le problème étant que les territoires faiblement responsables des changements climatiques sont plus durement frappées par leurs conséquences. A ce titre, une étude datant de 2022 révèle que 97% des victimes d’événements météorologiques extrêmes depuis 1991 résidaient dans des pays en développement, ce qui représente en moyenne 189 millions de personnes chaque année. De plus, cette étude indique également qu’entre 2021 et 2022, les pays en développement auraient subi environ 119 événements climatiques extrêmes. En outre, rien que durant la première moitié de 2022, six entreprises du secteur des combustibles fossiles auraient généré suffisamment de bénéfices pour compenser tous les dommages subis par ces pays, tout en dégageant 70 milliards de dollars de profits supplémentaires.
Partant, l’objectif de cet article est d’abord de faire une synthèse de l’histoire de la reconnaissance des pertes et préjudices au sein du régime climatique international ainsi qu’une présentation du traitement de ces effets résiduels et des limites de l’action internationale en la matière. Puis, il s’attache à appliquer le concept de pertes et préjudices, consacré en droit international, aux Outre-mer français, compte tenu de leur particulière vulnérabilité aux effets des changements climatiques, en développant particulièrement le cas du département de Mayotte.
Partie 1 – Pertes et préjudices : compenser les inégalités climatiques au niveau international
La « science de l’attribution » : les preuves de sur-risques de survenue de pertes et préjudices dues aux changements climatiques anthropiques
Pour attribuer les pertes et préjudices au changement climatique, encore faut-il prouver le lien de causalité, ce qui ne va pas de soi puisqu’il existe une pluralité de facteurs de risque. Par ailleurs, il existe aujourd’hui de nombreuses études et méthodes d’attribution des aléas climatiques aux émissions anthropiques de gaz à effet de serre. Les derniers rapports du GIEC soulignent le rôle important joué par les émissions de gaz à effet de serre dans la hausse globale des températures à l’échelle du monde depuis la période préindustrielle.
La « science de l’attribution » permet en effet de mettre en avant les sur-risques de survenue de phénomènes en raison du changement climatique. A ce propos, certains événements à évolution lente, tels que la hausse globale des températures, l’élévation du niveau de la mer ou encore la fonte des glaces, sont facilement imputables à la hausse des émissions anthropiques. En 2016, une étude a démontré qu’il y avait 95% de probabilité que la moitié des inondations auxquelles les États-Unis ont été confrontés soient attribuables aux changements climatiques d’origine humaine (Strauss, 2016). De même, la probabilité d’attribution des pluies et inondations qui ont frappé la France en 2016 a été estimée à 90% plus probable en raison du changement climatique (McSwenney et Pidcock, 2016).
Par ailleurs, d’autres aléas climatiques sont plus difficilement attribuables aux changements climatiques : c’est le cas notamment de la salinisation des sols, de la perte de la biodiversité, ainsi que des événements extrêmes (vagues de chaleur, sécheresse, inondations) (European Capacity Building Initiative, 2018: 21). Pour ce qui est des événements extrêmes, le GIEC affirme par ailleurs que les émissions anthropiques entraînent vraisemblablement une augmentation de leur fréquence et de leur intensité.
Une des limites de cette science de l’attribution repose sur le fait que les pays développés ont davantage de moyens et de données de qualité pour la mettre en œuvre par rapport aux pays en développement.
Le territoire français est pluriel et s’étend sur trois océans, avec les territoires d’Outre-mer disséminés à travers l’océan Atlantique, Indien et Pacifique. Dès lors, il faut se garder de l’imaginaire géographique unique de la France qui n’est souvent représentée qu’à travers son territoire européen (Ferdinand, 2018). Malcom Ferdinand souligne en effet l’exclusion symbolique des territoires d’Outre-mer de la France dans le récit géographique national, à l’instar des JT météo qui ne mentionnent que le territoire hexagonal. Pour comprendre la relation de la France au changement climatique, il est donc nécessaire de l’aborder au prisme de ses territoires d’Outre-mer.
Le changement climatique n’épargne aucun territoire, et la France – dans toute sa diversité – ne fait pas exception. D’après le dernier rapport du Haut conseil pour le climat (septembre 2023), la température globale en France aurait augmenté de 1,9°C (moyenne sur la dernière décennie : de 2013 à 2022) par rapport à la période préindustrielle (1850-1900). Pour comparaison, le niveau de réchauffement à l’échelle du monde est de l’ordre de + 1,15°C sur cette même période. Plusieurs événements météorologiques extrêmes ont frappé la France en 2022 : perte de 5 km3 de volume pour l’ensemble des glaciers alpins, baisse d’environ 20% de la production hydroélectrique, baisse des rendements agricoles (à hauteur d’environ 10 à 30% pour certaines filières), une baisse des précipitations de 25% par rapport la période 1991-2020. Le changement climatique a donc d’importantes conséquences sur les écosystèmes, la santé humaine, les infrastructures et les activités économiques en France. Le GIEC le constate dans son sixième rapport, le changement climatique rend plus probables et fréquentes les vagues de chaleur, les pénuries d’eau, la diminution du rendement agricole et les inondations.
Par ailleurs, nous l’avons vu, les conséquences du changement climatique diffèrent en fonction des territoires, certains étant bien plus vulnérables que d’autres. Appliqués au cas français, les territoires les plus vulnérables au changement climatique sont indéniablement les Outre-mer (Réseau Action Climat, 2022).
Mayotte fait partie des quatre îles de l’archipel des Comores qui se situe au Nord-Est de Madagascar. Cet archipel était sous protectorat français de 1848 à 1974, date à laquelle un référendum quant à son indépendance est organisé par la France. Parmi les quatre îles, seule la population de Mayotte vote contre l’indépendance. Un second référendum est organisé en 1976 uniquement à Mayotte, confirmant la volonté des Mahorais de rester rattachée à la France, tandis que le reste de l’archipel des Comores devient indépendant. En 2011, à la suite d’un référendum organisé en 2009, Mayotte devient département et région d’Outre-mer (DROM).
Mayotte constitue de loin le département et la région la plus pauvre de France, avec 77,3% de la population mahoraise vivant en dessous du seuil de pauvreté en 2018 alors que le taux de pauvreté en France hexagonale est de 14,8% (Insee, Revenus et patrimoine des ménages, 2021). Surtout, l’intensité de la pauvreté, c’est-à-dire l’écart relatif entre le niveau de vie médian de la population pauvre et le seuil de pauvreté rapporté au seuil de pauvreté, est de 87,3%, ce qui montre la très grande pauvreté des ménages mahorais. Le taux de chômage de l’île s’élevait à 34 % de la population active en 2022, faisant de Mayotte la région présentant le plus haut taux en France, mais également en Europe.
Par ailleurs, de part son histoire liée au Comores, Mayotte a connu une forte immigration comorienne depuis 1976. Alors qu’en 1976, l’île comptait 45 000 habitants, elle en compte environ 131 000 en 1997. En 1995, le gouvernement français met en place une procédure de visa pour les Comoriens souhaitant venir à Mayotte, alors que jusque-là il y avait un régime de libre circulation entre l’île française et le reste de l’archipel. Dès lors, il y a eu une forte immigration clandestine. Aujourd’hui, selon l’Insee, la population de Mayotte est estimée à 321 000 personnes, avec un taux de croissance démographique de 3,8% par an entre 2012 et 2017. Néanmoins, beaucoup de Mahorais critiquent le recensement de l’Insee et estiment que ce nombre est largement sous-estimé en raison de l’immigration illégale mal comptabilisée. Dans un rapport de 2022, la Cour des Comptes rapporte que « la plupart des interlocuteurs s’accordent sur le chiffre de 350 000, voire 400 000 habitants ». Et il n’est pas rare de voir des chiffres encore plus haut mentionnés par des personnes lorsqu’elles sont interrogées par la presse. Lors d’un entretien mené avec Nicolas Salvador, secrétaire de l’association Mayotte à soif, celui-ci parle de 600 000 personnes.
La mise à l’agenda international des pertes et préjudices a donc été le fait des pays les plus vulnérables, pour la plupart insulaires, qui ont alerté sur leur vulnérabilité particulière face au risque de montée du niveau de la mer, menaçant à la fois leur intégrité territoriale et politique. L’Alliance des petits Etats insulaires en développement (AOSIS) s’est rapidement constituée pour porter la voix de ces Etats sur la scène internationale.
Dès lors, la définition des pertes et préjudices s’est progressivement construite depuis 1992 au fil des Conférences des Parties à la CCNUCC et notamment avec la mise en place du mécanisme international de Varsovie relatif aux pertes et préjudices en 2013. Bien qu’il ne semble pas y avoir de définition officielle, il est commun de définir les pertes et préjudices comme les effets résiduels des changements climatiques qui se produisent et se produiront en dépit de la mise en place de politiques d’atténuation et d’adaptation : ces dommages peuvent être la conséquence d’événements météorologiques extrêmes comme de phénomènes climatiques à évolution lente et se distinguent notamment selon leur caractère économique ou non.
L’accord de Paris de 2015 a marqué une étape significative dans l’inscription des pertes et préjudices à l’agenda politique, en établissant ces derniers comme le troisième pilier de l’action climatique internationale, aux côtés de l’atténuation et de l’adaptation. Ainsi, l’action climatique doit reposer sur ces trois piliers pour traiter à la fois des causes et des conséquences des changements climatiques, pour ne s’attaquer pas seulement aux responsables mais pour se concentrer également sur ses victimes.
Par ailleurs, force est de constater que le régime climatique international ne repose nullement sur un principe de responsabilité. En effet, les pays développés, qui ont une responsabilité historique dans les émissions anthropiques de gaz à effet de serre à l’origine des changements climatiques, ont toujours lutté pour que ne soit pas reconnu leur responsabilité juridique. Ainsi, le régime climatique international repose davantage sur une logique de solidarité internationale. Par conséquent, bien que la décision de créer un Fonds pour les pertes et préjudices à la COP 27 constitue un pas significatif vers la voie de la compensation de ces dommages résiduels, elle ne traduit pas une volonté de réparation : en droit, la réparation sous-entendrait la reconnaissance d’une responsabilité dans le préjudice.
Par ailleurs, un autre point de tension limitant des politiques de compensation réside dans le fait qu’une partie non-négligeable des pertes et préjudices n’est pas évaluable en termes monétaires. En effet, c’est le cas des pertes non économiques, telles que la souveraineté politique et l’identité culturelle, qui ne sont pas commensurables. Compenser de telles pertes sous-entendrait la possibilité de trouver un bien substituable. Or, la particularité de ces biens est qu’ils ne sont pas substituables à d’autres, alors qu’ils sont déjà menacés par les effets des changements climatiques.
Les rapports du GIEC n’ont cessé de réaffirmer la responsabilité des activités humaines dans les changements climatiques : « Il est sans équivoque que l’influence humaine a réchauffé l’atmosphère, les océans et les continents » (GIEC, AR6, GTI). Par ailleurs, l’influence humaine n’a pas eu le même poids de part et d’autre du globe : certaines régions du monde sont en effet nettement plus responsables des émissions historiques de GES. L’injustice réside ainsi dans le fait que la part des émissions passées et présentes de certaines régions du monde est faible alors qu’elles subissent frontalement et très concrètement les effets des changements climatiques. A l’échelle du monde, il s’agit des pays en développement en général et des petits États insulaires en développement plus spécifiquement. A l’échelle de la France, il s’agit principalement des Outre-mer, qui pour la plupart (à l’exception de la Guyane) sont insulaires. En effet, les études montrent que les Outre-mer sont responsables de seulement 5,4% des émissions de GES en 2019 alors qu’ils sont directement victimes des conséquences des changements climatiques, sources de pertes et préjudices : leur caractère insulaire les expose à des risques accrus liés à la montée du niveau de la mer ; leurs économies, fortement dépendantes des secteurs du tourisme et de l’agriculture, sont fragilisées par les impacts du changement climatique ; ils sont également plus exposés aux événements climatiques extrêmes, ce qui entraîne des conséquences économiques et sociales graves, alors qu’ils disposent de peu de ressources pour y faire face, etc.
Le cas de Mayotte est particulièrement criant : il s’agit d’un département français depuis 2011, le plus pauvre de tous, avec près de 80% de la population vivant sous le seuil de pauvreté, contre environ 15% pour la France hexagonale. Mayotte subit par ailleurs de plein fouet les conséquences du changement climatique : la moitié des habitations étant construites en tôle, l’île est particulièrement vulnérable aux événements météorologiques extrêmes ; les sécheresses, devenues plus fréquentes et intenses, contribuent à l’importante crise de l’eau dont Mayotte est victime depuis des années ; en outre, l’état de la barrière de corail, cruciale pour l’équilibre de l’écosystème, est préoccupant à Mayotte. Par conséquent, Mayotte subit des préjudices financiers et moraux dus aux changements climatiques.
Ainsi, cet article s’est attaché à mettre en lumière dans quelles mesures les pertes et préjudices constituent une illustration manifeste des injustices résultant des changements climatiques dus aux émissions anthropiques de gaz à effet de serre à l’échelle du monde.
Communiqué de Notre Affaire à Tous, Bien vivre à Pierre-Bénite et PFAS contre terre, 3 juin 2024, 4 juin 2024 – Vendredi 31 mai 2024, Bien vivre à Pierre-Bénite avec les contributions du collectif PFAS contre terre et de Notre Affaire à Tous, dépose un recours contentieux à l’encontre de l’arrêté préfectoral du 1er février 2024 laissant DAIKIN CHEMICALS FRANCE étendre son activité sur le site d’Oullins-Pierre-Bénite. La suspension immédiate, pour défaut d’étude d’impact, est également demandée. Il est irresponsable de laisser cet industriel producteur de PFAS augmenter sa production alors qu’il se situe dans la zone la plus contaminée de France par les “polluants éternels” (Le Monde).
L’arrêté préfectoral contesté (n° DDPP-DREAL 2024-19) prend acte de l’extension et adopte des prescriptions complémentaires accordées à la société Daikin concernant l’exploitation d’une nouvelle unité de production et stockage de produits chimiques. L’arrêté autorise ainsi des rejets supplémentaires de substances chimiques dans l’air et accorde à l’industriel un délai de 36 mois pour proposer un plan de substitution, et non directement la substitution des produits PFAS. Il prévoit également l’impossibilité technico-économique à cette substitution. La journaliste Emilie Rosso (France 3 région AURA), avait révélé le 3 avril 2024 dernier que les produits concernés seraient le bisphénol A fluoré et l’hexafluoropropylène (HPF), deux PFAS.
Cette extension fait suite à la relocalisation de l’activité de DAIKIN depuis les Pays-Bas, due à une plus forte réglementation dans ce pays. Il est également nécessaire que la France et l’Europe se dotent d’une réglementation plus exigeante pour protéger les citoyen.nes et donner la priorité à la santé environnementale.
Depuis l’émission Vert de Rage révélant la contamination aux PFAS du sud de Lyon, citoyen.nes, associations, syndicats et politiques se mobilisent pour l’interdiction des PFAS et pour établir les responsabilités dans la pollution du sud de Lyon. Le 30 mai dernier, le Sénat a adopté la proposition de loi interdisant l’utilisation de PFAS dès 2026 pour les textiles d’habillement (2030 pour les autres textiles), les produits de fart et les cosmétiques. Les polluants éternels sont à l’origine de graves problèmes pour la santé : cancers, problèmes liés à la thyroïdes, infertilité… Il est donc incompréhensible qu’au moment où la société demande l’interdiction des PFAS, DAIKIN en augmente ses rejets dans l’air.
Citation de Jean Paul Massonnat, membre de Bien vivre à Pierre-Bénite : « L’association Bien vivre à Pierre-Bénite a décidé d’attaquer en justice un arrêté qui ne met pas toutes les chances du côté de la population. Après 2 ans de découverte du scandale de la contamination par les PFAS, il est grand temps que les organismes ou les personnes chargés de nous protéger remplissent efficacement leur mission, et rétablissent une confiance qu’ils n’auraient jamais dû perdre. Difficile d’imaginer qu’un industriel agrandisse de 1400m² son unité de production sans inconvénient ? Nous sommes privés d’une enquête environnementale qui aurait permis de lever le voile sur des activités maintenues volontairement dans l’obscurité. Nous, riverains, exigeons de la transparence.”
Citation de Camille Panisset, secrétaire de Notre Affaire à Tous – Lyon : “Pour les riverains mobilisés depuis deux ans contre la pollution aux PFAS, l’extension de l’activité de DAIKIN prouve une nouvelle fois l’irresponsabilité des industriels et la complaisance de la Préfecture face à l’augmentation des rejets de PFAS nocifs pour leur santé et le vivant en général. La situation lyonnaise est en total décalage avec la prise de conscience nationale du scandale des PFAS, au moment même où le législateur s’en saisit. ”
Le collectif PFAS contre terre apporte son soutien à cette action en justice, par une pétition : “Cette nouvelle unité de production est un véritable scandale dans le scandale car rendue opérationnelle par l’État dans le mépris total des populations riveraines contaminées. La préfecture affirme que « cette unité ne conduit pas à des rejets [de molécules PFAS] dans l’eau » alors que ce sont les rejets aériens qui sont dénoncés s’agissant de Daikin. Est-ce cela le « crime industriel facilité par l’État ? ».
Initiative citoyenne, Bien vivre à Pierre-Bénite, PFAS contre terre et Notre Affaire à Tous sont mobilisés au nom du principe de précaution pour annuler cet arrêté préfectoral incompréhensible qui fait monter d’un cran la mobilisation et la colère des riverains. La demande de suspension sera examinée par le Tribunal administratif de Lyon le 17 juin prochain.
Quelques mois avant le dixième anniversaire de l’association, nous sommes heureuses et heureux de vous présenter notre vingtième numéro de la newsletter des affaires climatiques et environnementales. La première newsletter, publiée en mai 2019, portait sur les victoires de la justice climatique. Ces premiers opus étaient uniquement accès autour du contentieux climatique. Puis, nous avons élargi notre champ de travail à l’ensemble des contentieux environnementaux, comme le fait Notre Affaire à Tous, tout en restant orientés vers les contentieux systémiques. Aujourd’hui, dans ce vingtième numéro, nous souhaitions revenir sur l’évolution des contentieux climatiques, durant ces cinq dernières années et sur les perspectives qu’ils ouvrent. En outre, comme à l’accoutumée, vous retrouverez un panorama des dernières décisions de contentieux climatiques et environnementaux, en France et à travers le monde.
Très bonne lecture et merci d’être toujours aussi nombreux et nombreuses à lire ce courrier ! Et si vous souhaitez, vous aussi, vous investir dans la rédaction des prochains numéros, c’est par ici.
Sandy Cassan-Barnel, co-référente du groupe de travail veille-international
Focus : Point sur les procès climatiques à travers le monde
Alors que la crise climatique continue de s’aggraver et que les gouvernements du monde entier peinent souvent à adopter des mesures adéquates, les tribunaux s’imposent comme des arènes clés pour contester l’inaction et exiger des actions concrètes en faveur du climat. Le dernier rapport sur les tendances mondiales en matière de contentieux climatiques, publié en juin 2023 par la London School of Economics, a répertorié 2341 cas (tous défendeurs confondus), dont les deux tiers ont été initiés depuis 2015, année de la signature de l’Accord de Paris sur le climat.
Il relève par ailleurs que seulement 24 juridictions étaient représentées dans le rapport en 2017, contre 39 en 2020 et 65 en 2023. Ce dernier rapport du PNUE et du Sabin Center met en évidence la véritable internationalisation des contentieux climatiques ; ces contentieux dont « le scope ne cesse de s’étendre » offrent ainsi « une voie possible pour s’attaquer aux réponses inadéquates des gouvernements et du le secteur privé à la crise climatique ».
Cette augmentation notable des litiges climatiques souligne l’urgence croissante de la situation.
La Cour suprême de Nouvelle-Zélande a rendu, le 7 février 2024, une importante décision ouvrant la voie à un procès en responsabilité civile contre les sept sociétés néo-zélandaises les plus émettrices de gaz à effet de serre en raison des dommages causés par leurs émissions de gaz à effet de serre.
Le 22 décembre 2023, le tribunal administratif s’est prononcé sur la question de savoir si le Gouvernement français avait correctement exécuté la décision du 14 octobre 2021 dans lequel le tribunal sanctionnait l’Etat français pour manquement à ses obligations en matière de lutte contre le changement climatique.
Prononcés dans les affaires de Grande Chambre concernant le changement climatique à la Cour Européenne des Droits de l’Homme
Le 9 avril 2024, la Grande Chambre de la Cour européenne des droits de l’homme a statué sur trois affaires climatiques : Verein KlimaSeniorinnen Schweiz et autres c. Suisse [GC], Duarte Agostinho et autres c. Portugal et 32 autres, et Carême c. France. Si elle a jugé les deux dernières irrecevables, la Cour a rendu une décision de fond concernant l’affaire portée par l’association KlimaSeniorinnen. Marquant un tournant historique en matière de justice climatique, la Cour a conclu à une violation des articles 6 et 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme par la Suisse. Ainsi, la Cour reconnaît le droit des individus d’être protégés par l’État contre les effets du changement climatique.
La publicité de Lufthansa interdite pour greenwashing par l’autorité britannique de régulation de la publicité
En mars 2023, Lufthansa, compagnie aérienne allemande, se fait épingler pour greenwashing par l’Advertising Standards Authority (ci-après ASA), l’agence chargée de la régulation de l’industrie de la publicité au Royaume-Uni. Celle-ci estime qu’une affiche publicitaire pour la compagnie a pour conséquence de donner une image trompeuse de l’impact sur l’environnement des activités conduites par Lufthansa. Les mesures prises par Lufthansa ne sont pas cohérentes avec l’impression que donne la publicité.
Le Tribunal international sur le droit de la mer a rendu un avis historique sur les obligations des États au regard des effets du changement climatique sur les milieux marins
Le 21 mai 2024, le Tribunal international sur le droit de la mer a rendu un avis reconnaissant et explicitant les obligations des États, individuelles et collectives, de prévenir, réduire et maîtriser les émissions de gaz à effet de serre et leur impact sur les milieux marins. Même si ce ne sont que des obligations de moyens qui obligent les États, le Tribunal insiste sur le niveau élevé de diligence requise et l’obligation des États de faire respecter les lois et règlements applicables par les entreprises. Il souligne l’obligation d’assistance, notamment financière, aux États en développement et indique que l’obligation de protection des milieux marins comprend notamment des mesures de restauration des écosystèmes.
Le Conseil d’État ordonne l’enfouissement des déchets toxiques sur le site de Stocamine
Par une ordonnance du 16 février 2024, le Conseil d’Etat juge urgent de procéder aux travaux d’enfouissement de produits dangereux, non radioactifs, sur la commune de Wittelsheim en Alsace. Les juges du Palais-Royal annulent alors l’ordonnance du juge des référés du Tribunal administratif de Strasbourg et rejettent la demande présentée par l’association Alsace Nature visant à la suspension de l’arrêté préfectoral autorisant l’enfouissement pour une durée illimitée.
Rapport de la Cour de cassation sur le traitement pénal du contentieux de l’environnement
A l’occasion de l’ouverture du cycle de formation sur le droit pénal de l’environnement dispensée par le parquet général, Monsieur François Molins, procureur général près de la Cour de cassation, a proposé de constituer un groupe de travail pluridisciplinaire afin de faire le point sur l’état actuel du contentieux pénal de l’environnement. Le rapport commence par dresser l’état du contentieux en constatant notamment un phénomène de la dépénalisation du droit de l’environnement.
Le groupe rappelle quelques évolutions récentes en matière de droit pénal de l’environnement, mais conclut que les réponses judiciaires ne sont pas satisfaisantes en raison de leur manque de réactivité et de fermeté.
Le recours d’un groupe de 145 Camerounais contre les agissements du groupe Bolloré
Un groupe de 145 citoyens Camerounais souhaitent contraindre la société Bolloré à fournir des documents censés établir ses liens avec la Société camerounaise de palmeraies (Socapalm), qu’ils accusent d’attenter à leurs droits. En effet, ils accusent notamment ces deux sociétés, à travers leur activité de plantation de palmeraies, de détruire leur environnement, et de les priver de leurs ressources. C’est pour ces raisons qu’ils font appel de la première décision du Tribunal de Nanterre qui a jugé leurs demandes irrecevables.
Thomas c. EPA recours contre les permis délivrés par l’Agence de protection de l’environnement guyanaise (EPA) à Esso Exploration
Le 21 mai 2020, Troy Thomas, scientifique guyanais, a saisi la Cour suprême de Guyane, d’un recours contre les permis délivrés par l’Agence de protection de l’environnement guyanaise (EPA) à Esso Exploration pour exploration pétrolière violaient les dispositions de la loi sur la protection de l’environnement (Environmental Protection Act). M. Thomas à notamment déclaré que ces permis exposaient la Guyane et le reste du monde “à des préjudices graves, voire irréparables, et aux conséquences néfastes du changement climatique”. Le 7 octobre 2020, la Cour suprême de Guyane a rendu une ordonnance de consentement acceptant un accord entre M. Thomas, l’EPA et Esso.
Recours contre le permis de forage du champ gazier de Barossa, en Australie, pour non consultation des populations autochtones
Dennis Tipakalippa, juriste et principal propriétaire traditionnel Munupi, poursuit Santos, une entreprise pétrolière australienne, et le gouvernement fédéral australien en raison de l’approbation des plans de forage du champ gazier de Barossa. En effet, le 21 septembre 2022, M. Tipakalippa déclare que le permis environnemental de forage délivré par l’Autorité nationale de gestion de la sécurité et de l’environnement pour le pétrole offshore (NOPSEMA) à Santos était illégitime, puisque celui-ci ne l’avait pas consulté lui ou le clan Munupi. En conséquence, la Cour fédérale australienne à décidé d’annuler le permis. L’appel de Santos sera rejeté.
Décision du Conseil d’Etat relative aux soulèvements de la Terre
Suite à de violents affrontements entre des militants des Soulèvements de la Terre et des gendarmes à Sainte-Soline, le ministre de l’intérieur Gérald Darmanin a décidé de dissoudre le collectif écologiste le 21 juin 2023. Il reproche notamment à ce dernier d’appeler et de participer à des violences envers les forces de l’ordre. Le 9 novembre 2023, les Soulèvements de la Terre demandent l’annulation de cette décision au Conseil d’État.
Communiqué de presse, 21 mai 2024 – Face au maintien d’une politique environnementale inadaptée et à la décision inquiétante du Tribunal administratif de Paris de ne pas utiliser tous les leviers à sa disposition pour évaluer la trajectoire climatique de la France, les organisations de l’Affaire du Siècle (Notre Affaire À Tous, Greenpeace France, Oxfam France) avaient annoncé leur pourvoi en cassation il y a quelques semaines. Aujourd’hui, elles déposent leur mémoire complémentaire au Conseil d’Etat.
En décembre 2023, le Tribunal administratif de Paris a statué que l’État avait respecté le jugement de 2021, car le surplus d’émissions de gaz à effet de serre a été compensé, bien qu’avec un an de retard. En choisissant d’adopter une vision simpliste du jugement de 2021, le tribunal se refuse à prendre en compte de nombreux paramètres pourtant déterminants dans l’évaluation des engagements climatiques de l’Etat. C’est la raison pour laquelle les organisations de l’Affaire du Siècle demandent au Conseil d’Etat de réexaminer l’exécution de la condamnation de 2021 à la lumière de ces paramètres – en cohérence avec les constats de la condamnation renouvelée de l’Etat en mai 2023.
Tout d’abord, le Tribunal administratif de Paris n’a pas pris en compte l’origine des baisses récentes d’émissions ayant permis de compenser le retard pris entre 2015 et 2018. Or, rien qu’en 2021 et 2022, ces baisses étaient dues à 74% à des facteurs conjoncturels (1). L’Etat avait été jugé comme responsable du préjudice, c’est donc bien à lui de le réparer et il ne devrait pas pouvoir profiter de facteurs extérieurs, comme la crise du Covid ou l’inflation, pour atteindre cet objectif. C’est la responsabilité de l’Etat dans la réparation qui devrait être jugée et non pas la réparation elle-même.
Le jugement de 2021 ordonnait également à l’Etat de prendre des mesures pour prévenir l’aggravation dudit préjudice. Pourtant, dans sa décision de décembre 2023, le tribunal a refusé de prendre en compte l’absence de mesures structurelles pour prévenir et compenser la diminution considérable de la capacité d’absorption des puits de carbone ces dernières années, qui s’est traduite depuis la condamnation de 2021 par une aggravation du préjudice écologique.
Pour finir, les Ministères n’ont pas eu à prouver avec certitude que les mesures prises vont permettre à la France de respecter les objectifs climatiques fixés. D’après les organisations de l’Affaire du Siècle, le tribunal aurait dû exiger ces preuves et ne pas fonder son jugement sur une “tendance” avancée par l’Etat. Ces preuves sont d’autant plus nécessaires que les données environnementales semblent indiquer que sans l’effet des facteurs conjoncturels, les émissions vont de nouveau augmenter et que le préjudice écologique tendra à s’aggraver dans le futur.
Une jurisprudence dangereuse pour l’avenir de la justice climatique
Ce pourvoi en cassation est important car la décision du Tribunal administratif de Paris représente une jurisprudence inquiétante. Pour Jean-François Julliard, directeur de Greenpeace France, “elle laisse penser qu’une transition climatique non-planifiée est une solution suffisante à la crise environnementale. Elle permet à l’Etat de profiter d’événements conjoncturels, comme une météo clémente, un conflit armé ou une crise économique majeure, pour ne pas avoir à rehausser son ambition climatique et ne pas mener de politiques publiques plus fortes”.
De plus, comme le rappelle Cécile Duflot, directrice générale d’Oxfam France, “le manque de mesures structurantes et ambitieuses de l’Etat condamne la France à subir les conséquences du changement climatique, et ce de manière plus violente pour les populations déjà précaires”
Les organisations estiment que le Tribunal administratif de Paris ne s’est pas laissé le temps et les moyens de bien examiner l’exécution du jugement de 2021 et qu’elles n’ont donc pas eu le droit à un procès équitable.
Les tribunaux ont le pouvoir de faire agir les décideurs politiques
Depuis plus de dix ans, plusieurs recours juridiques ont montré dans le monde entier que la justice était un des leviers pour faire face à la crise climatique. Le dernier en date est la victoire historique de l’association suisse Aînées pour la protection du climat devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme. En condamnant la Suisse pour inaction climatique, la Cour Européenne des Droits de l’Homme reconnaît que le changement climatique constitue une menace pour les droits fondamentaux des citoyens et citoyennes. “Cette décision est un signal fort envoyé aux Etats mais également aux juridictions nationales. Nous demandons à la justice française qu’elle se montre à la hauteur des enjeux démocratiques et des attentes des citoyens et citoyennes, comme elle l’avait fait en 2021”, conclut Jérémie Suissa, délégué général de Notre Affaire à Tous.
Notre Affaire à Tous : Justine Ripoll – justine.ripoll@notreaffaireatous.org
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