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  • Justice Pour Le Vivant : Nouvelle victoire historique pour la biodiversité – L’État condamné à réformer ses protocoles d’évaluation et d’autorisation des pesticides ! 

    Communiqué de presse, Paris, le 3 septembre 2025C’est une véritable révolution dans la lutte contre les pesticides : le 3 septembre 2025, la Cour administrative d’appel (CAA) de Paris a enjoint à l’État de réformer ses protocoles d’évaluation et d’autorisation des pesticides, jugés défaillants, afin de les aligner sur les connaissances scientifiques actuelles. Dans le cadre du dossier Justice pour le Vivant (JPLV), porté depuis 2022 par Notre Affaire à Tous, POLLINIS, Biodiversité sous nos pieds, ANPER-TOS et l’ASPAS, la CAA confirme la condamnation de l’État français pour sa responsabilité dans l’effondrement de la biodiversité. Dans un contexte marqué par l’adoption de la loi Duplomb, et ce malgré une mobilisation citoyenne massive, cette décision consacre une victoire majeure de la science et de toutes celles et ceux – victimes, associations et collectifs – qui alertent depuis des années sur la dangerosité des pesticides. Inédite à l’échelle européenne, elle pourrait désormais ouvrir la voie à des actions similaires dans d’autres pays membres de l’Union.

    Crédit photo : Philippe Besnard

    Deux ans après la première condamnation de l’État, le 29 juin 2023, pour sa responsabilité dans la contamination massive des écosystèmes par les pesticides, la cour administrative d’appel de Paris reconnaît à nouveau la « contamination généralisée, diffuse, chronique et durable des eaux et des sols par les produits phytopharmaceutiques ». 

    Suivant les conclusions de la rapporteure publique, la cour ordonne à l’État d’actualiser les protocoles d’évaluation et d’autorisation des pesticides insuffisamment protecteurs du vivant, ainsi que de revoir les autorisations de mise sur le marché (AMM) actuellement en vigueur d’ici 24 mois, et pour lesquelles la méthodologie d’évaluation n’aurait pas été conforme aux exigences notamment du principe de précaution. Principe qui « impose aux États membres de procéder à « une évaluation globale fondée sur les données scientifiques disponibles les plus fiables ainsi que les résultats les plus récents de la recherche internationale ». » (§29 p.14) Elle enjoint également à l’Etat d’établir dans les six mois prochains un calendrier de révision des AMM concernées

    Concrètement, la cour reconnaît des failles dans la procédure d’évaluation et d’autorisation de mise sur le marché conduite par l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) sous la responsabilité de l’État. Reconnaissant un lien de causalité direct entre les insuffisances de l’évaluation des risques et le déclin de la biodiversité, elle considère qu’il est établi qu’une actualisation des procédures à l’aune des connaissances scientifiques les plus récentes permettrait de réduire les impacts sur l’environnement des pesticides. 

    Pour les associations requérantes, cette décision est plus qu’historique : “C’est une véritable révolution juridique et scientifique ! Dans un contexte d’attaques constantes contre l’environnement, et alors que le Parlement vient de voter la mortifère loi Duplomb, la justice réaffirme son rôle de contre-pouvoir en mettant un coup d’arrêt à la politique désastreuse de nos décideurs en la matière. C’est une décision qui va tout changer : dans les pratiques agricoles, les politiques publiques, et la façon dont l’État considère enfin la santé et l’environnement. Elle est le fruit d’un combat de longue haleine, porté par des scientifiques, des associations, des citoyens et citoyennes mobilisé·e·s partout en France — une véritable victoire collective qui s’inscrit dans un large mouvement militant. Le gouvernement doit désormais tout mettre en œuvre pour respecter cette décision de justice. Il en va de la sauvegarde de la biodiversité, de la santé publique, mais aussi du principe même d’État de droit.”

    Nous appelons l’État, désormais condamné à deux reprises, à ne pas se pourvoir en cassation et à respecter enfin cette décision de justice. S’il décidait malgré tout de poursuivre la procédure, ce serait malheureusement l’ultime preuve que l’État est prêt à tout pour continuer à protéger les intérêts des industriels de l’agrochimie, malgré leurs impacts désastreux sur l’ensemble du vivant. Ce choix irait une fois de plus à l’encontre de l’intérêt général et de la volonté largement exprimée par les citoyen·ne·s, qui attendent une politique réellement ambitieuse de réduction de l’usage des pesticides les plus dangereux.

    Nous nous tenons à la disposition du gouvernement afin de l’accompagner dans la mise en œuvre de cette décision de justice. Des premières mesures concrètes peuvent être immédiatement déployées, notamment : 

    • Actualiser les procédures d’évaluation des risques des pesticides en les mettant en conformité avec les protocoles scientifiques de l’EFSA de 2013 ;
    • Renforcer l’indépendance de l’Anses en lui confiant davantage de moyens humains et financiers ;
    • Réévaluer les autorisations de mise sur le marché des fongicides SDHI et des insecticides et herbicides dont les dangers pour la biodiversité et l’humain sont documentés.

    Contacts presse

    Notre Affaire à Tous – Emilien Capdepon, chargé de campagnes : 
    emilien.capdepon@notreaffaireatous.org

    POLLINIS – Hélène Angot, chargée de communication :
    helenea@pollinis.org

    Biodiversité sous nos pieds – Dorian Guinard, porte parole :
    biodiversitesousnospieds@gmail.com

  • Notre Affaire à Tous. Les stratégies contentieuses d’une requérante au service de la justice environnementale

    Article rédigé par :
    Christel Cournil* – Professeure des universités en droit public ; Membre du laboratoire LASSP, Sciences Po Toulouse, Université Toulouse Capitole ; Membre du projet ANR Proclimex.
    Brice Laniyan – Docteur en droit public à l’université Panthéon-Sorbonne (Paris 1) (ISJPS-UMR 8103) ; Juriste chez Notre Affaire à Tous.

    Note : Reproduction strictement non commerciale, exceptionnelle autorisée à titre gracieux.
    Christel Cournil, Brice Laniyan. « Notre Affaire à Tous. Les stratégies contentieuses d’une requérante au service de la justice environnementale », Revue du Droit Public, n°2, 30 juin 2025, page 31. Accessible ici : https://www.labase-lextenso.fr/revue/RDP/2025/2

    Depuis une trentaine d’années en France, les ONG environnementales ont intégré le recours au droit dans leurs stratégies d’action, professionnalisant leurs pratiques jusqu’à faire de la justice une arène politique. L’association Notre Affaire à Tous incarne cette dynamique en développant des contentieux stratégiques pour influencer l’évolution du droit en faveur de la justice climatique. Par ses actions diverses, elle vise à contraindre l’État à respecter ses obligations écologiques, à stopper des projets « climaticides » et à lutter contre les inégalités socio-environnementales.

    L’arme contentieuse n’a pas toujours figuré au répertoire d’actions collectives [1] des organisations non gouvernementales de protection de l’environnement (ONGE) qui ont longtemps privilégié le plaidoyer par le truchement d’actions de terrain aussi singulières que médiatiques. Depuis une trentaine d’années, les ONGE ont affiné leurs stratégies [2] en développant de nouvelles capacités d’action [3] telles que la sensibilisation du politique à la science, mais aussi des capacités d’influence dans la construction, la mise en œuvre ou le renforcement du droit de l’environnement [4] à la fois par la protestation, la persuasion, la pression et l’expertise constructive. Leurs répertoires d’action se sont enrichis en se professionnalisant [5] toujours plus, notamment face au défi de l’urgence climatique.

    En France, les associations de défense de l’environnement ont bien compris la force de « l’arme du droit » [6], celle-ci devenant une énième corde à leur arc. En se diversifiant [7], leurs répertoires d’action collective se sont progressivement juridicisés et judiciarisés. Certaines ONGE ont mis en place des actions particulièrement sophistiquées en recourant au droit – moyen de contestation comme les autres. Ces associations agissent par le biais de trois fenêtres. D’abord, lors de la phase pré-normative, elles participent souvent à alerter sur un enjeu singulier et peuvent alors édifier un discours sur les besoins de droits (nouveaux droits ou modifications du droit). Ensuite, dans la phase clef de l’élaboration [8] de la norme, elles exercent une influence « discursive » en cherchant à insérer des concepts, des mots dans les textes au sein des négociations internationales [9] par la diplomatie « des couloirs » lors des COP ou lors des phases de session et débats parlementaires nationaux [10] en impactant la fabrique du droit. Enfin, en aval, les ONGE n’hésitent plus à saisir le juge pour s’assurer de l’application de la norme juridique. Aujourd’hui, « la justice comme arène » [11] est bien ancrée dans la panoplie des répertoires juridiques. Suivant le modèle popularisé par l’Affaire du Siècle et l’affaire Grande-Synthe, de nouvelles actions contentieuses « en carence structurelle » [12] sont régulièrement portées à l’appréciation des juridictions administratives sur des thématiques diverses : développement des énergies renouvelables [13], déserts médicaux [14], contrôle au faciès [15], mal-logement [16], manque de « haltes soins addictions » (ou « salles de shoot ») [17]… Et indiscutablement la construction de recours dit « stratégiques » [18] est progressivement devenue une forme de participation politique dans la cité pour certaines ONGE dont la benjamine Notre Affaire à Tous [19].

    Créée en 2015, Notre Affaire à Tous est une association de protection de l’environnement qui utilise le droit comme un levier stratégique pour protéger le vivant et lutter contre la triple crise environnementale (climat-biodiversité-pollution). L’association est née d’un vide dans le paysage associatif français. Aucune association de protection de l’environnement ou de défense des droits de l’Homme ne s’était encore donnée comme raison d’être la défense de la justice climatique [20] dans sa dimension juridictionnelle. C’est pour combler ce manque, et surtout pour tenter « d’importer » en France le contentieux gagné aux Pays-Bas par la fondation Urgenda, que Marie Toussaint [21] et d’autres jeunes juristes et avocats ont créé cette structure singulière qu’est Notre Affaire à Tous. L’intention première de l’association était d’influencer la fabrique du droit en tentant d’orienter les cadres normatifs en vue d’obtenir des résultats probants pour renforcer la lutte climatique et ainsi contenir les effets délétères des changements climatiques. Et grâce à ses actions, en 10 ans d’existence, « l’activisme légal et juridictionnel » est devenu particulièrement intense en matière de justice climatique.

    L’association a toutefois considérablement diversifié son répertoire d’actions juridiques depuis sa création avec des activités de contentieux et de plaidoyers menées tant au niveau local, national, européen et international ; des contributions extérieures devant le Conseil constitutionnel, des amicus curiae devant la Cour européenne des droits de l’Homme, des soumissions auprès des comités onusiens, une soumission lors de l’examen périodique universel du Conseil des droits de l’Homme, un benchmark de la vigilance climatique, la mise en place d’un programme d’éducation et de sensibilisation juri- dique à travers des procès simulés… Néanmoins, l’« ADN » de Notre Affaire à Tous reste la conception de « contentieux stratégiques ». Ainsi nommés et systématisés par la doctrine anglo-saxonne, fruit d’une stratégie plurielle de plaidoyer – politique, éthique, sociale et juridique –, ce type d’actions désigne les cas dans lesquels un requérant engage une action en justice avec une ambition dépassant le cadre strict du litige. Bien que l’objet premier du contentieux soit la défense de son intérêt personnel, son objectif secondaire est de favoriser une évolution politico-juridique. Cela peut se traduire par la reconnaissance d’une illégalité, d’une réparation ou, plus largement, par l’obtention d’une nouvelle interprétation du droit, susceptible de profiter à tous [22]. Dès lors, l’avantage différentiel de l’association s’exprime, avant tout, dans l’identification et l’usage des fondements juridiques et des voies de droit qui seront les plus à même de susciter, par voie jurisprudentielle, la production d’un droit plus protecteur du vivant. Notre Affaire à Tous cherche à repousser les frontières du droit et à poser les premiers précédents juridiques. L’association est devenue, suivant l’expression de Marc Galanter, un « utilisateur fréquent du droit » [23] (repeat players) [24] qui a su développer un savoir-faire dans la conception de recours stratégiques en matière climatique et environnementale.

    Nous reviendrons essentiellement sur les intentions stratégiques de l’association à porter la cause climatique et environnementale devant le juge administratif en tant que requérante de plus en plus aguerrie. L’objet de cette contribution est de proposer une systématisation des principaux objectifs contentieux portés devant le juge administratif par l’association, et ici présentés en quatre directions « tactiques ». L’association a choisi de faire préciser par le juge les obligations de com- portement de l’État en matière de lutte climatique et de biodiversité (I), de mettre fin à certains projets locaux inutiles, climaticides ou polluants (II), d’engager la sortie fossile par la diversification contentieuse (III) et, enfin, de promouvoir la lutte contre les pollutions massives locales et les inégalités socio-environnementales (IV).

    I. Faire préciser les obligations de comportements étatiques en matière environnementale par le contentieux systémique

    L’un des moyens de porter un plaidoyer puissant sur la justice climatique a été de contester le manque d’ambition des États devant les juges. C’est la voie que l’association Notre Affaire à Tous a choisi de prendre en France avec L’Affaire du siècle, s’inscrivant ainsi dans une tendance contentieuse mondiale [25]. En effet, la reconnaissance de la « justiciabilité » des questions climatiques impulsée par la célèbre affaire Urgenda a provoqué un effet d’entraînement avec l’émergence d’environ une centaine d’actions dirigées contre des pouvoirs publics [26] dans le monde.

    Dans ce type de contentieux, les juges considèrent que la prise de décision en matière climatique relève en principe du pouvoir politique, lequel détient une légitimité électorale et bénéficie d’une marge d’appréciation variable dans la définition des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) ainsi que dans le choix des moyens concrets pour les atteindre [27]. Comme le rappelle la Cour européenne des droits de l’Homme dans Klimaseniorinnen, cette sphère d’action du pouvoir politique doit cependant s’exprimer dans les limites de l’État de droit [28], lesquelles sont souvent définies ou précisées par voie jurisprudentielle. En redéfinissant les relations normatives entre les différents pouvoirs dans le cadre de ces litiges, le juge s’affirme comme un acteur stratégique qui – disposant de son propre agenda – est susceptible de répondre aux exigences de justice climatique et sociale exprimées par la société civile. Le juge et le procès deviennent les moyens par lesquels la société civile s’intègre à la gouvernance climatique, contestant ainsi les politiques d’un gouvernement ou les décisions stratégiques d’une entreprise. C’est dans cette perspective stratégique [29] que Notre Affaire à Tous, accompagnée de trois autres associations (la Fondation pour la Nature et l’Homme, Greenpeace France et Oxfam France), a saisi en 2019 le tribunal administratif (TA) de Paris en initiant L’Affaire du siècle [30].

    L’ambition politico-juridique des associations requérantes était de faire reconnaître l’insuffisance des actions de l’État en matière climatique et d’obtenir du juge qu’il lui enjoigne de prendre toutes mesures utiles pour réduire les émissions de GES à un niveau compatible avec le maintien du réchauffement planétaire en deçà de l’objectif de température fixé par l’accord de Paris. L’ambition contentieuse du recours était de trouver un fondement juridique contraignant à l’action de l’État en matière de lutte climatique et « climatiser » la responsabilité administrative [31]. Il s’agissait de faire imputer à l’État le dommage lié au surplus fautif d’émissions de GES consécutif au dépassement du premier budget-carbone couvrant la période 2015-2018 et de le considérer à l’origine d’un préjudice objectif causé à l’environnement et d’un préjudice moral causé aux associations. Pour ce faire, Notre Affaire à Tous et les autres associations de l’Affaire du siècle ont développé une double stratégie contentieuse en intervenant dans un autre contentieux climatique – concomitant et très similaire – mené devant le Conseil d’État par la ville de Grande-Synthe et son ancien maire Damien Carême (affaire Grande- Synthe [32]). L’objectif pour les associations étant de dupliquer dans un recours pour excès de pouvoir l’argumentaire juridique relatif à la reconnaissance d’une obligation étatique de comportement en matière de lutte climatique.

    Rendu moins de trois mois après le premier arrêt Grande-Synthe du Conseil d’État reconnaissant implicitement une obligation contraignant à l’action de l’État en matière de lutte climatique, le premier jugement de l’Affaire du siècle avant- dire droit du 3 février 2021 [33] du TA de Paris a fait nettement avancer l’idée de justice climatique défendue par Notre Affaire à Tous. Le tribunal y consacre explicitement une obligation générale de lutte contre le changement climatique [34]. Celle-ci permettant aussi au juge de constater l’existence d’un dommage environnemental [35] résultant du surplus d’émissions de GES autorisé par la loi qu’il impute à l’inaction de l’État. Le jugement reconnaît alors une faute de l’État et indemnise le préjudice moral des associations à hauteur d’un euro. Il admet de surcroît la recevabilité des demandes en indemnisation du préjudice écologique tout en précisant pour la première fois, devant le juge administratif, les conditions dans lesquelles il pourra être invoqué et réparé, ouvrant ainsi la voie à de nouvelles actions. Si le tribunal refuse néanmoins l’indemnisation financière d’un euro symbolique, la stratégie contentieuse des associations requérantes consistait à utiliser cette demande d’indemnisation du préjudice écologique comme le moyen d’obtenir une injonction réparatrice. L’idée était donc de réparer et de faire cesser le préjudice écologique par l’obtention de « mesures supplémentaires », dans l’esprit de l’article 1252 du Code civil [36].

    Le second jugement du 14 octobre 2021 [37] imposa un calendrier d’exécution aux ministres compétents pour prendre, avant le 31 décembre 2022, toutes les mesures utiles de nature à réparer le préjudice écologique et à prévenir l’aggravation des dommages au titre du surplus fautif de 15 Mt CO2eq. Non contentes des actions étatiques initiées dans le laps laissé par le juge, telles des vigies de l’action gouvernementale, les associations ont engagé un nouveau contentieux inédit : celui du suivi de l’exécution de l’action climatique. Toutefois, par un jugement du 22 décembre 2023 [38], le juge de l’exécution du TA de Paris a refusé de prononcer les mesures d’exécution supplémentaires demandées par les requérantes, alors même que la réparation du préjudice restant n’a pas été jugée complète avec un reliquat compris entre 3 et 5 Mt CO2eq. La quantification du préjudice écologique demeure une opération difficile qui a été enfermée dans l’approche arithmétique choisie par le tribunal en 2021 et de laquelle il ne peut sortir dans son office limité du suivi de l’exécution. C’est désormais la cour d’appel de Paris (après le refus de compétence du Conseil d’État en décembre 2024 [39]) qui tranchera les ultimes demandes des associations, notamment leur demande d’astreintes d’un montant total d’1 milliard et 102,5 millions d’euros correspondant au coût social du carbone. C’est au prix d’une longue bataille juridique de plus de six années que la coalition de l’Affaire du Siècle est parvenue à faire constater l’inaction climatique par un juge, a contribué à la « climatisation » du droit de la responsabilité administrative et à faire « pression » sur l’État pour que celui-ci mette son pouvoir de réglementation au service de la cause climatique.

    Forte de cette expérience résultant de savoir-faire de juristes et experts [40] dans ce contentieux climatique complexe, l’association Notre Affaire à Tous a très vite capitalisé [41] cet acquis en reprenant, avec quatre autres organisations (Pollinis, Association nationale pour la protection des eaux et rivières (ANPER-TOS), Association pour la protection des animaux sauvages (ASPAS) et Biodiversité sous nos pieds), les mêmes lignes stratégiques pour engager la première action en justice au monde en carence fautive contre un État pour son inaction face à l’effondrement de la biodiversité (L’Affaire justice pour le Vivant [42]). L’objectif est semblable : faire reconnaître une obligation de comportement en matière de protection du vivant, l’existence d’un préjudice écologique résultant d’une contamination généralisée de l’eau, des sols et de l’air par les pesticides et la faute de l’État. Les associations ont ici aussi obtenu gain de cause [43] puisque le TA de Paris reconnaît des lacunes dans les procédures d’évaluation et d’autorisation de mise sur le marché des pesticides, mises en évidence par les associations, et considère que ces manquements relèvent de la responsabilité de l’État. Il établit un lien de causalité direct entre les insuffisances dans l’évaluation des risques et le déclin de la biodiversité. Et concernant l’injonction, le tribunal impose à l’État un délai pour mettre en œuvre toutes les mesures nécessaires afin de respecter les objectifs de réduction des pesticides fixés par les plans Ecophyto. Non satisfaites sur leurs demandes tendant à revoir les méthodologies d’évaluation des risques liés aux pesticides, contrairement à ce que préconisait d’ailleurs la rapporteure publique, les associations ont fait appel en 2024 et s’engageront sans aucun doute dans un nouveau contentieux du suivi de l’exécution du jugement inédit de 2023.

    II. Mettre fin aux projets locaux « climaticides », inutiles ou polluants

    Partout dans le monde, la contestation de projets d’ouvrages publics ou privés ayant un impact important sur la soutenabilité du système climatique s’est peu à peu développée, attestant d’une diversification des procès climatiques. La construction d’un oléoduc [44] entre le Canada et les États-Unis, l’extension d’un aéroport en Autriche [45] ou au Royaume-Uni [46], l’ouverture de mines de charbon à ciel ouvert en Nouvelle-Galles du Sud en Australie [47] ou encore d’une centrale thermique à charbon à Lephalale en Afrique du Sud [48] ont été portées à l’appréciation de juges nationaux. Cette tendance à contester les projets dits « climaticides » va sans doute s’intensifier dans les prochaines années, y compris en France ; ce qui n’a pas échappé à l’association Notre Affaire à Tous qui en a fait un axe stratégique.

    Dans un premier temps, Notre Affaire à Tous s’est s’associée à d’autres organisations non gouvernementales et « influenceurs » [49] pour lancer un projet citoyen intitulé SuperLocal [50], qui a eu pour fonction de mettre en réseau des luttes locales contre toutes sortes de projets polluants en France [51]. Si cette campagne a été médiatique et a développé une forme singulière de mobilisations sociales et environnementales en fédérant des collectifs de riverains, elle a ensuite permis à Notre Affaire à Tous d’identifier des projets locaux permettant d’être contestés devant le juge administratif sur la base d’un argumentaire défendant la soutenabilité du système climatique. Il s’agit pour elle de porter l’attention du juge sur la nécessité pour les autorités locales d’adopter une « lecture climatique » des décisions locales d’urbanisme et d’amener ces dernières à une progressive « climatisation du droit de l’urbanisme » dans les différents documents territoriaux (schéma de cohérence territoriale (SCOT), plan local d’urbanisme, permis de construire, etc.). De surcroît, l’ambition est d’inciter les porteurs de projets à réaliser des études d’impacts plus four- nies intégrant pleinement les impacts négatifs au regard d’une des neuf limites planétaires. Dès lors, aux côtés de l’Association contre l’allongement de la piste de l’aéroport Caen-Carpiquet, Notre Affaire à Tous a déposé en 2019 un recours gracieux et un recours pour excès de pouvoir afin d’annuler le SCOT de Caen métropole permettant l’extension du site. De la même façon, l’association a soutenu [52] un recours contre un projet d’agrandissement du centre commercial ou est venue en appui d’un recours visant au retrait d’un permis de construire sur un projet local (projet Tropicalia). En mai 2020, 14 associations déposaient, aux côtés de Notre Affaire à Tous, un recours demandant l’annulation du SCOT de Roissy définissant l’aménagement du territoire de Roissy Pays de France qui visait à la fois l’urbanisation du Triangle de Gonesse et l’aménagement d’un terminal 4 à l’aéroport de Paris-Charles de Gaulle. En 2021, le gouvernement demandait au groupe ADP d’abandonner ce projet d’extension et de lui en présenter un nouveau, plus cohérent avec les objectifs de lutte climatique et de protection de l’environnement.

    Plus récemment, à propos du projet d’autoroute A69 et à l’initiative du collectif La Voie Est Libre, l’association Notre Affaire à Tous et 13 autres associations sont intervenues devant le TA de Toulouse dans ce dossier sensible, initié en mai 2023. Elles souhaitaient appuyer un argumentaire sur les enjeux de démocratie environnementale dans la procédure d’autorisation de ce type de grands projets d’infrastructures. Les associations estimaient que les travaux de la liaison autoroutière Castres-Toulouse avaient débuté en l’absence d’études sérieuses par l’État et d’alternatives routières et ferroviaires mettant à mal tout le processus décisionnel. Sur le fond du dossier, alors que le rapporteur public s’était prononcé en faveur de l’annulation totale de l’autorisation environnementale du projet et a confirmé l’absence de raison impérative d’intérêt public majeur (RIIPM), le TA de Toulouse [53] a (chose rare) rouvert l’instruction du dossier sur un fait « nouveau » mentionné par l’État dans sa note en délibéré. L’État a immédiatement fait appel de cette décision tout en obtenant de la cour administrative d’appel de Toulouse [54], l’autorisation de reprendre les travaux en attendant l’issue de cette action en justice. Ce dossier est loin d’être clos et atteste surtout d’une stratégie de contestation contentieuse collective qui cible localement les projets inutiles, climaticides ou polluants ou encore, dernièrement, les décrets qui encouragent le détricotage du droit de l’environnement, connu aussi sous le nom de « greenbackslash réglementaire ». En ce sens, Notre Affaire à Tous et l’association Zero Waste France ont initié un triple recours gracieux et contentieux [55] demandant notamment l’annulation des décrets d’application de la loi relative à l’Industrie verte ; des décrets publiés [56] entre les deux tours des législatives. Les associations estimant que le principe du pollueur-payeur et le principe de non-régression sont mis à mal et que la protection des espèces sera fragilisée avec l’introduction de la possibilité de reconnaître de manière anticipée l’existence d’une RIIPM de dérogation à la réglementation sur les espèces protégées. Récemment, Notre Affaire à Tous a réalisé une intervention volontaire dans le cadre d’une demande de question prioritaire de constitutionnalité (QPC) présentée lors d’un recours pour excès de pouvoir introduit par l’association Préservons la forêt des Colettes à l’encontre du décret du 5 juillet 2024 [57] qualifiant d’intérêt national majeur le projet d’extraction et de transformation de lithium par la société Imérys dans l’Allier. La QPC a été transmise avec succès par le Conseil d’État [58] au Conseil constitutionnel pour juger de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l’article L. 411-2-1 du Code de l’environnement (RIIPM). Toutefois, dans sa décision du 5 mars 2025 [59], ce dernier n’a reconnu aucune inconstitutionnalité.

    III. Engager la « sortie fossile » par la diversification contentieuse

    Face à l’inertie des États sur la « sortie fossile », la lenteur et les vicissitudes de la coopération internationale, les engagements volontaires insuffisants et non respectés des entreprises les plus émettrices, notamment les Carbon majors, des ONGE ont choisi – non sans difficulté – des voies secondaires en convoquant les juges nationaux pour responsabiliser certains acteurs privés systémiques. L’objectif avoué de ces actions stratégiques est de contraindre les entreprises les plus émettrices à réorienter leurs stratégies d’entreprises vers la décarbonation de l’économie et la sortie des énergies fossiles. Il est attendu de ces acteurs privés systémiques qu’ils fassent leur part dans la mise en œuvre de l’Accord de Paris et contribuent au maintien de l’augmentation de la température moyenne à 1,5 °C. Pour les ONGE, cela passe par la reconnaissance par voie jurisprudentielle d’obligations de comportement en direction des acteurs privés ; des obligations de comportement directement inspirées de celles appliquées à l’État dans les contentieux du type L’Affaire du siècle et l’affaire Grande-Synthe. Participant à cette dynamique contentieuse naissante en Europe, Notre Affaire à Tous s’est alors tournée vers le juge judiciaire. En s’appuyant notamment sur la loi du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance et l’article 1252 du Code civil, l’association a assigné TotalEnergies [60] et la banque BNP Paribas [61] pour manquement à leur devoir de vigilance climatique, avec l’ambition que ces deux multinationales cessent de participer au développement de nouvelles capacités de pétrole et de gaz. Notre Affaire à Tous souhaite ainsi défendre une « ligne de crête » stratégique essentielle : celle d’étendre les obligations pesant sur les États en direction d’acteurs économiques [62]. Le but est de faire jouer l’effet horizontal des droits fondamentaux dans les contentieux climatiques visant les acteurs non étatiques. Il s’agit de surcroît de capitaliser et étendre les acquis des décisions rendues par le juge administratif devant le juge judiciaire.

    D’autres types de contentieux [63] visant à l’opérationnalisation de la « sortie fossile » émergent devant le juge administratif avec pour ambition d’annuler ou de revoir à la baisse toutes nouvelles exploitations de combustibles fossiles jugées « climaticides ». Le Conseil d’État a réalisé une interprétation décisive qui a inscrit clairement l’amorce de la « sortie fossile » dans le cas de délivrance de nouveaux permis de recherche d’hydrocarbures depuis la loi Hulot. La société d’extraction pétrolière European Gas Limited – qui s’était vu refuser en 2017 un permis exclusif de recherches d’hydrocarbures liquides ou gazeux dits « permis Bleue Lorraine Nord » par la ministre de l’Environnement – a entamé un long contentieux [64] qu’elle vient de perdre. Le Conseil d’État a confirmé [65] que l’Administration pouvait refuser un permis de recherche d’hydrocarbures et cette interprétation a entraîné des conséquences sur une des dernières demandes de forage déposées en France, notamment celle sur la commune de La Teste-de-Buch par la société canadienne Vermillion Energy qui s’est vue refuser par le Préfet de Gironde le 6 juin 2025, la possibilité de creuser huit nouveaux puits pétroliers sur son site du Cazeaux. Dans ce contexte, Notre Affaire à Tous a souhaité intervenir dans un contentieux en cours devant le juge administratif visant justement à l’extension d’un forage pétrolier. En janvier 2024, la préfecture de Seine-et-Marne avait accordé à la compagnie pétrolière Bridge Énergies l’autorisation de forer deux nouveaux puits de pétrole à Nonville. La régie municipale Eau de Paris et la Ville de Paris ont alerté du risque de pollution des nappes phréatiques par des hydrocarbures. Opposées au projet, elles ont déposé un recours visant à annuler le décret autorisant ces nouveaux puits. Notre Affaire à Tous et plusieurs ONGE (Les Amis de la Terre France, France Nature Environnement Île-de-France et Seine-et-Marne, Reclaim Finance et le Réseau Action Climat) ont usé, ici encore, de la procédure de l’intervention volontaire en soutien de ce recours. La stratégie contentieuse étant d’apporter au juge des fondements juridiques complémentaires permettant de dénoncer l’argument de la captation des émissions de carbone avancé par Bridge Energies pour vanter la prétendue neutralité carbone de son projet ; technologie jugée par le collectif ONGE comme non-maîtrisée et très coûteuse. Notre Affaire à Tous a souhaité mobiliser un argumentaire inédit mettant en lumière l’impact que ce nouveau projet pétrolier a et aura dans le temps long sur les générations futures. La Cour européenne de Strasbourg [66], la Cour constitutionnelle allemande [67], le juge administratif [68] comme le Conseil constitutionnel [69] commençant à y être sensibles dans de récentes décisions. De surcroît, l’idée des associations est de défendre in fine que l’interdiction de tout nouveau forage découle de l’obligation étatique de lutte climatique [70] (ici l’obligation de garantir la « sortie fossile ») qui pèse sur l’État français au nom de ces engagements internationaux et du respect des droits de l’Homme, y compris dans une lecture intergénérationnelle. L’État devant faire sa juste part (fair share) [71] de la lutte climatique en interdisant sur son territoire tout « projet climaticide ».

    IV. Promouvoir la lutte contre les pollutions massives locales et les inégalités socio-environnementales

    À l’aide d’un riche maillage associatif et de riverains impactés par des pollutions diffuses, Notre Affaire à Tous a diversifié sa stratégie d’activisme juridictionnel. Les contentieux liés aux per- et polyfluoroalkylées (PFAS) sont symptomatiques de cette évolution. L’enquête journalistique du Forever Pollution Project identifiait en 2024 plus de 900 sites pollués par les PFAS en France [72]. Cette contamination d’ampleur – que la chercheuse Lieselot Bisschop n’hésite pas à qualifier de « crime industriel facilité par l’État » (state-facilitated corporate crime) [73] – s’explique par les insuffisances du régime légal encadrant ces substances qui repose sur une approche fragmentée traitant chaque molécule de manière isolée et continuellement en décalage des avancées scientifiques. La pollution du sud de la métropole lyonnaise et de sa zone industrielle a donné lieu à un contentieux inédit de santé environnementale prénommé l’affaire Vallée de la chimie [74], initié notamment par Notre Affaire à Tous et son groupe local de Lyon en 2023. La procédure du « référé pénal environnemental » prévue à l’article L. 216-13 du Code de l’environnement a d’abord été choisie et testée, sans résultat probant devant le juge judiciaire. L’association s’est ensuite constituée partie civile aux côtés de 6 autres associations et 34 victimes dans la procédure pénale. Puis, à la suite de l’autorisation d’une nouvelle unité de production de la société Daikin par les autorités préfectorales en février 2024, Notre Affaire à Tous est intervenue cette fois dans la procédure initiée par l’association Bien-Vivre-à-Pierre-Bénite et le collectif d’habitant·e·s PFAS contre Terre devant le juge administratif, en appuyant l’argumentaire du référé-suspension de l’arrêté contesté. Si le TA de Lyon a émis un jugement favorable aux riverains conta- minés qui a conduit à la suspension de l’activité de Daikin en juin 2024, le juge des référés a précisé que l’extension autorisée étant substantielle, il y avait lieu de la soumettre à autorisation environnementale et donc à une évaluation environnementale. La publication d’un nouvel arrêté préfectoral complémentaire en octobre 2024 a néanmoins acté la reprise de l’extension de l’activité de Daikin [75]. Enfin, l’étape prochaine est d’impulser une dynamique contentieuse collective (action collective) pour les « victimes de masse » en tentant d’obtenir réparation des préjudices des riverains du Site de Pierre-Bénite, du plus gros hot spot français de contamination de PFAS [76]. Si l’activisme juridictionnel en matière de PFAS n’a pas encore apporté de résultats performatifs sur le plan du contentieux administratif et judiciaire, la médiatisation de ces actions a suscité une prise de conscience du grand public, mais surtout de l’exécutif (Plan d’action ministériel sur les PFAS 2023-2027) et du travail parlementaire [77]. 

    Enfin, l’un des plus récents axes stratégiques de Notre Affaire à Tous consiste à lutter contre les inégalités socio-environnementales encore invisibilisées en France à la différence d’autres pays, dont les États-Unis qui ont construit une justice environnementale à travers une série de procès menés par/pour des minorités raciales ou des populations précaires impactées par des graves pollutions [78]. C’est donc par le détour de la défense de l’accès à l’eau des Mahorais qu’une action contentieuse a été initiée en 2023, par Notre Affaire à Tous, l’association Mayotte a soif ainsi que 15 victimes mahoraises, sous la forme d’un référé-liberté et sur la base d’un argumentaire périphérique, néanmoins inédit de « discrimination environnementale » [79]. Le TA de Mayotte [80] puis le Conseil d’État [81] n’y ont toutefois pas été réceptifs ; ce dernier ayant rejeté en décembre 2023 la requête des associations qui demandaient au préfet de Mayotte de déclencher le plan ORSEC « eau potable » et de mettre en place un plan d’urgence sanitaire pour faire face à la crise de l’eau, estimant ainsi que les mesures prises par l’État étaient suffisantes pour répondre à la situation. Sur cette même question, l’action de Notre Affaire à Tous se déploie désormais à l’international avec une « plainte » déposée auprès de rapporteurs spéciaux dans le cadre des procédures spéciales du Conseil des droits de l’Homme. Dans cette même dynamique socio-environnementale, l’association Notre Affaire à Tous, au sein du collectif L’Affaire du Siècle et aux côtés de sinistrés [82], a déposé tout récemment un recours pour excès de pouvoir devant le Conseil d’État. Ce recours vise à dénoncer la carence structurelle des pouvoirs publics dans la planification de l’adaptation au changement climatique, notamment à travers le troisième Plan national d’adaptation au changement climatique (PNACC-3). Les requérants, directement touchés par des inégalités sociales, environnementales et territoriales, subissent des situations dramatiques : refus d’indemnisation de la part des assureurs, conditions de vie insalubres dans des logements devenus inhabitables lors des vagues de chaleur, ou encore dégradations liées au retrait-gonflement des argiles (RGA) ou aux inondations. Ce recours stratégique revêt une portée systémique. Il entend faire reconnaître le manquement des autorités à leur obligation d’adaptation au changement climatique, fondée à la fois sur le droit climatique et les droits fondamentaux, et demande en conséquence la correction du dispositif existant.

    Conclusion

    La diversité des répertoires d’action juridique de la requérante Notre Affaire à Tous témoigne d’une forte capacité d’initiatives contentieuses et débouche sur des succès comme des échecs illustrant un apprentissage continu qui stimule en retour son activisme juridictionnel. Sur le fond, la forte politisation des argumentaires juridiques mobilisés dessine plusieurs « lignes de crêtes » défendues dans ces actions contentieuses aux véhicules procéduraux variés (recours indemnitaire, recours pour excès de pouvoir, intervention volontaire, référé liberté, référé pénal environnemental, assignation, etc.). L’association semble ainsi œuvrer – à sa manière – à amorcer en France un « contentieux de la juste transition » socio-écologique déjà identifié et théorisé [83] ailleurs dans le monde.

    Notes

    *NDA : L’autrice précise son implication dans l’association depuis 2017 ; elle y est administratrice depuis 2019.

    [1] Au sens de Charles Tilly qui a théorisé sur le répertoire d’action collective dans le cadre des mobilisations contestataires.

    [2] N. Berny, Défendre la cause de l’environnement. Une approche organisationnelle, 2019, PU Rennes, Res Publica.

    [3]  J.-F. Morin et A. Orsini, Politique internationale de l’environnement, 2015, Presses de Sciences Po.

    [4]  S. Lavallée, « Les organisations non gouvernementales, catalyseurs et vigiles de la protection internationale de l’environnement ? », in É. Canal-Forgues (dir.), Démocratie et diplomatie environnementales – Acteurs et processus en droit international, 2015, Pedone, p. 65 à 94.

    [5] S. Ollitrault, « Les ONG, des outsiders centraux des négociations climatiques ? », Revue internationale et stratégique 2018, vol. 109, n° 1, p. 135 à 143.

    [6] L. Israël, L’arme du droit, 2020, Presses de Sciences Po.

    [7] S. Ollitrault, Militer pour la planète : sociologie des écologistes, 2008, PU Rennes.

    [8] J.Olivier, « Les nouveaux acteurs du droit de l’environnement. Le rôle de l’UICN dans l’élaboration du droit de l’environnement », RJE 2005, n° 3, p. 274 à 296.

    [9] M. Betsill et E. Corell, « NGO influence in international environmental negotiations : a framework for analysis », Global environmental politics 2001, vol. 1, n° 4, p. 65 à 85.

    [10] R. Léost et M. Piederrière, « La contribution de France Nature Environnement à l’élaboration de la loi Grenelle 2 », RJE 2010, vol. 5, n° spécial, p. 13. V. RAC, travail sur le projet de la loi française Climat résilience, 2021 ; RAC, « Le climatomètre », sur le suivi parlementaire : https://climatometre.org/ 

    [11] L. Israël, L’arme du droit, 2020, Presses Sciences Po, p. 73.

    [12] A. Goin et L. Cadin, « Le juge ne peut pas tout », AJDA 2023, p. 2105.

    [13] CE, 6 nov. 2024, n° 471039, Sté Éolise : Lebon.

    [14] « L’UFC-Que Choisir attaque l’État pour inaction : déserts médicaux », Le Monde, 21 nov. 2023.

    [15] CE, 11 oct. 2023, n° 454836, Amnesty International France et a. : Lebon.

    [16] « L’État attaqué en justice pour non-respect des lois sur l’hébergement des sans-abris et le logement opposable », Le Monde, 13 févr. 2025. 

    [17]  « Salles de shoot : l’État attaqué en justice pour son “inaction” concernant l’avenir du dispositif », Le Monde, 14 avr. 2025.

    [18] C. Cournil et A. S. Denolle (dir.), Le droit : une arme au service du vivant ? Plaidoyers et contentieux stratégiques, 2024, Pedone. 

    [19] Pour une présentation plus complète de l’association, v. C. Cournil, « Notre affaire à tous et l’arme du droit. Le combat d’une ONG pour la justice climatique », in V. de Boillet et a. (dir.), Environnement, climat. Principes, droits et justiciabilité, 2024, Helbing Lichtenhahn Verlag, p. 171 à 197.

    [20] L. Laigle, « Justice climatique et mobilisations environnementales », VertigO, mars 2019, vol. 19, n° 1, https://doi.org/10.4000/vertigo.24107

    [21] Marie Toussaint est militante écologiste, juriste de l’environnement et, depuis mai 2019, députée européenne sur la liste Europe Écologie Les Verts.

    [22] V. Lefebve, « Le “contentieux stratégique” entre logiques instrumentale et émancipatrice. Réflexions à partir de quelques évolutions jurisprudentielles récentes dans le domaine de la lutte contre la pauvreté », Working Paper 2019, cité in J. Ringelheim et V. Van Der Plancke, « Contentieux stratégique et mobilisations judiciaires. L’action en justice comme forme de participation politique ? », in A. Bailleux et M. Messiaen (dir.), À qui profite le droit ? Le droit, marchandise et bien commun, 2020, Anthemis, p. 193 à 220.

    [23] Cette traduction est de Diane Roman, La cause des droits, 2022, Dalloz.

    [24] M. Galanter, « Why the “Haves” Come Out Ahead : Speculations on the Limits of Legal Changes », Law and Society Review 1974, 9 (1), p. 95 à 160 (trad. « Pourquoi c’est toujours les mêmes qui s’en sortent bien ? : réflexions sur les limites de la transformation par le droit », Droit et société 2013/3, n° 85, p. 575 à 640).

    [25] C. Cournil et L. Varison (dir.), Les procès climatiques : du national à l’international, 2018, Pedone ; C. Cournil, Les grandes affaires climatiques, Confluence des droits, 2020, DICE.

    [26] 81 actions dirigées contre des pouvoirs publics en 2022. J. Setzer et C. Higham, « Global Trends in Climate Change Litigation : 2023 Snapshot », Grantham Research Institute 2023, p. 3, n° 5. V. aussi C. Higham, J. Setzer et E. Bradeen, « Challenging government responses to climate change through framework litigation », Grantham Research Institute 2022, p. 16.

    [27] CEDH, 9 avr. 2024, n° 53600/20, VereinKlimaseniorinnen Schweiz et a. c/ Suisse, § 543.

    [28] CEDH, 9 avr. 2024, n° 53600/20, § 412.

    [29] B. Laniyan, « Perspective et méthodologie de Notre Affaire À Tous dans l’élaboration de recours climatiques stratégiques », in C. Cournil et A.-S. Denolle (dir.), Le droit : une arme au service du vivant ? Plaidoyers et contentieux stratégiques, 2024, Pedone, p. 221 à 240.

    [30] C. Cournil et M. Fleury, « De “l’Affaire du siècle” au “casse du siècle” ? », La Revue des droits de l’Homme, actualités Droits-Libertés, mis en ligne le 7 févr. 2021.

    [31] C. Cournil et M. Fleury, « De “l’Affaire du siècle” au “casse du siècle” ? », La Revue des droits de l’Homme, actualités Droits-Libertés, https://doi.org/10.4000/ revdh.11141, mis en ligne le 7 févr. 2021.

    [32] CE, 19 nov. 2020, n° 427301, Cne Grande-Synthe : Lebon, p. 406 – CE, 1er juill. 2021, n° 427301, Cne Grande-Synthe : Lebon, p. 201, concl. S. Hoynck – CE, 10 mai 2023, n° 467982, Cne Grande-Synthe et a. : H. Delzangles, « Le premier “recours climatique” en France : une affaire à suivre ! », AJDA 2021, p. 217 ; R. Radiguet, « Objectif de réduction des émissions de gaz… à effet normatif ? », JCP A 2020, 2337 ; C. Huglo, « L’obligation climatique en France et l’affaire de Grande-Synthe », EEI mars 2021, n° 3, dossier 12.

    [33] TA de Paris, 3 févr. 2021, nos 1904967, 1904968, 1904972 et 1904976, Assoc. Oxfam France et a.

    [34] C. Cournil et M. Fleury, « De “l’Affaire du siècle” au “casse du siècle” ? », La Revue des droits de l’Homme, actualités Droits-Libertés, https://doi.org/10.4000/ revdh.11141, mis en ligne le 7 févr. 2021.

    [35] Cons. 16.

    [36] « Indépendamment de la réparation du préjudice écologique, le juge, saisi d’une demande en ce sens par une personne mentionnée à l’article 1248, peut prescrire les mesures raisonnables propres à prévenir ou faire cesser le dommage ».

    [37] TA de Paris, 14 oct. 2021, nos 1904967, 1904968, 1904972 et 1904976, Assoc. Oxfam France et a.

    [38] TA de Paris, 22 déc. 2023, n° 2321828/4-1, Assoc. Oxfam France et a.

    [39] CE, 13 déc. 2024, n° 492030.

    [40] C. Cournil, « Experts et expertises au sein des procès climatiques : objectiver, prouver, convaincre », in C. Cournil (dir.), Expertises et argumentaires juridiques. Contribution à l’étude des procès climatiques, Confluence des droits, Aix-en- Provence, 2024, DICE, p. 107 à 130, en ligne : https://books.openedition.org/ dice/17372.

    [41] A.-S. Denolle, « Le recours “biodiversité – Justice pour le Vivant”, prolonger les premiers contentieux climatiques français », in C. Cournil (dir.), Expertises et argumentaires juridiques. Contribution à l’étude des procès climatiques, Confluence des droits, Aix-en-Provence, 2024, DICE, p. 269 à 283.

    [42] https://lext.so/m6_p72.

    [43] TA Paris, 29 juin 2023, n° 2200534/4-1, Notre Affaire À Tous, Pollinis, Assoc. Biodiversité sous nos pieds, ANPER-TOS et ASPAS.

    [44] Indigenous Environmental Network c/ US Department of State, 2018-2019.

    [45] TA fédéral autrichien, 2 févr. 2017, n° W109 2000179-1/291E, Vienna-Schwechat Airport Expansion. C. const. autrichienne, 29 juin 2017, nos E 875/2017-32 et E 886/2017-31, Vienna Schwechat Airport expansion.

    [46] CA Angleterre, 27 févr. 2020, n° C1/2019/1053 (rejet de l’agrandissement de l’aéroport de London-Heathrow).

    [47] T. des affaires foncières et environnementales de l’État de Nouvelle-Galles du Sud, 8 févr. 2019, Gloucester Resources Limited c/ Minister for Planning (rejet de l’autorisation d’exploitation d’une mine de charbon).

    [48] High Court of South Africa, 8 mars 2017, n° 65662/16, Earthlife Africa Johannesburg c/ Ministre des affaires environnementales et a.

    [49] Le mouvement et la chaîne YouTube Partager C’est Sympa.

    [50] Campagne Superlocal : https://lext.so/u9bm0A.

    [51] Extensions d’aéroports, nouveaux centres commerciaux, fermes usines, autoroutes, complexes touristiques, fermetures de petites lignes de train et de services publics, etc.

    [52] Soutien au recours porté par les associations Alternatiba Rosny, Bondy Écologie, Le Sens de l’Humus, Murs à Pêches-Map et le MNLE 93 Nord Est Parisien contre le projet d’extension du centre commercial Rosny 2 en mars 2020.

    [53] TA Toulouse, 27 févr. 2025, nos 2303544, 2304976 et 2305322.

    [54] CAA Toulouse, 4e ch., 28 mai 2025, n° 25TL00597 – CAA Toulouse, 4e ch., 28 mai 2025, n° 25TL00642 – CAA Toulouse, 4e ch., 28 mai 2025, n° 25TL00653.

    [55] Recours déposé le 7 janvier 2024.

    [56] D. n° 2024-708, 5 juill. 2024 – D. n° 2024-742, 6 juill. 2024 – D. n° 2024-704, 5 juill. 2024.

    [57] D. n° 2024-740, 5 juill. 2024.

    [58] CE, 9 déc. 2024, n° 497567.

    [59] Cons. const., QPC, 5 mars 2025, n° 2024-1126.

    [60] L’affaire TotalEnergies-Climat : TJ Paris, 6 juill. 2023, n° 22/03403 – CA Paris, 5-12, 18 juin 2024, n° 23/14348 – CA Paris, 18 juin 2024, n° 21/22319 – CA Paris, 18 juin 2024, n° 23/10583 : Dalloz actualité, 1er juill. 2024, obs. A.-M. Ilcheva ; Dalloz actualité, 21 juin 2024, obs. A. Stevignon et B. Laniyan.

    [61] Trois associations (Notre Affaire À Tous, Les Amis de la Terre France et Oxfam France) ont mis en demeure, le 26 octobre 2022, puis assigné, le 23 février 2023, le groupe BNP Paribas devant le tribunal judiciaire de Paris sur le fondement de la loi relative au devoir de vigilance et d’autres dispositions du Code civil (l’af- faire BNP). Ce recours a, par ailleurs, inspiré une nouvelle action aux Pays-Bas où Milieudefensie a mis en demeure la Banque ING de se conformer à son devoir de diligence climatique. B. Laniyan, « La mise en demeure de la Banque ING par Milieudefensie, prémisse d’un nouveau contentieux climatique », La Revue des droits de l’Homme, actualités Droits-Libertés, 2 avr. 2024.

    [62] Ce type de contentieux climatique contre les entreprises, notamment le plus emblématique d’entre eux opposant l’ONGE Milieudefensie à Shell, a directement inspiré la création de l’article 22 de la directive relative au devoir de vigilance dite directive CS3D. Cette disposition impose aux entreprises – atteignant certains seuils – de publier et mettre en œuvre un plan de transition climatique qui organise l’alignement de leur modèle d’affaires sur l’objectif 1,5 °C fixé par l’accord de Paris.

    [63] C. Cournil, « La sortie fossile : la voie juridictionnelle », RJE n° 1, 2025, p. 107-122.

    [64] TA de Strasbourg, 22 juill. 2020, n° 1703642 – CAA Nancy, 29 déc. 2022, n° 20NC02931 – CE, 24 juill. 2024, n° 471780.

    [65] CE, 18 déc. 2019, n° 421004, cons. 6.

    [66] CEDH, 9 avr. 2024, n° 53600/20, VereinKlimaseniorinnen Schweiz et a. c/ Suisse, § 419.

    [67] C. const. allemande, 24 mars 2021, nos 1 BvR 2656/18, 1 BvR 78/20 et 1 BvR 96/20, pt 193.

    [68] CE, 5e-6e ch. réunies, 2 août 2023, n° 467370, Assoc. Meuse nature environnement et a. – CE, 3e-8e ch. réunies, 3 oct. 2024, n° 494941.

    [69] Cons. const., DC, 12 août 2022, n° 2022-843 – Cons. const., QPC, 27 oct. 2023, n° 2023-1066, Assoc. Meuse nature environnement et a. : H. Avvenire, « Environnement et droit des générations futures. Don’t look up », RDP juin 2024, n° RDP200d6.

    [70] Intervention volontaire dans l’instance n° 2404456, Mémoire complémentaire du 18 novembre et 20 décembre 2024. V. TA Melun, 30 janv. 2025, n° 2404456, § 37.

    [71] Sur cette question, v. European Scientific Advisory Board on Climate Change, « Scientific advice for the determination of an EU-wide 2040 climate target and a greenhouse gas budget for 2030-2050 », 15 juin 2023, https://lext.so/K6c8_S.

    [72] https://foreverpollution.eu/

    [73] « Révélations sur la contamination massive de l’Europe par les PFAS, ces polluants éternels », Le Monde, févr. 2023 : https://lext.so/0jA1-E.

    [74] A. Clerc, « L’utilisation du référé pénal environnemental dans la Vallée de la chimie », in C. Cournil et A.-S. Denolle (dir.), Le droit : une arme au service du vivant ? Plaidoyers et contentieux stratégiques, 2024, Pedone, p. 109 à 124.

    [75] TA Lyon, 13 sept. 2024, n° 2407723. Le juge des référés a rejeté la demande de suspension de l’arrêté de la préfète du Rhône du 14 mai 2024 qui a imposé des prescriptions complémentaires à l’exploitant à la suite de l’installation.

    [76] Cabinet Kaizen avocat, assoc. Notre Affaire à Tous et PFAS contre Terre, communiqué de presse, 3 févr. 2025, à Oullins-Pierre-Bénite. V. le site de l’action collective : https://lext.so/a4dOeH ; Guide d’information citoyen, « Toutes et tous impacté·e·s par les PFAS : ensemble pour obtenir réparation de nos préjudices », janv. 2025, p. 21.

    [77] Prop. L. n° 161, visant à protéger la population des risques liés aux PFAS, et la récente loi du 27 février 2025 visant à protéger la population des risques liés aux substances perfluoroalkylées et polyfluoroalkylées (PFAS).

    [78] V. les travaux du juriste américain Robert Bullard et notamment son ouvrage Dumping in Dixie : Race, Class, and Environmental Quality.

    [79] Cette idée est défendue dans un récent rapport de Notre Affaire à Tous, « Soif de justice : Agir contre les discriminations environnementales d’accès à l’eau potable dans les territoires dits d’Outre-mer », juin 2025, 92 p.

    [80] TA Mayotte, 25 nov. 2023, n° 2304427.

    [81] CE, 26 déc. 2023, n° 489993.

    [82] V., en ce sens, le détail de l’action : https://lext.so/q0ReB9.

    [83] A. Savaresi, J. Setzer, S. Bookman et a., « Conceptualizing just transition litigation », Nat Sustain 2024, n° 7, p. 1379 à 1384.

  • Loi Duplomb : Générations Futures, Notre Affaire à Tous, POLLINIS, la Ligue des Droits de l’Homme, Terre de Liens, CIWF France, le CCFD-Terre Solidaire, Greenpeace France, la Fondation pour la Nature et l’Homme, la Fondation 30 Millions d’Amis, Réseau CIVAM et Biodiversité sous nos pieds déposent une contribution commune devant le Conseil constitutionnel.

    Communiqué de presse – Alors que la mobilisation citoyenne contre la loi Duplomb atteint une ampleur inédite — la pétition a déjà recueilli près de deux millions de signatures en un temps record (lien ci-dessous) —, les associations décident de multiplier les efforts en déposant une contribution auprès du Conseil constitutionnel pour soutenir les saisines des parlementaires et faire censurer plus de la moitié de la loi.

    La pétition alerte sur le fait que la « loi Duplomb est une aberration scientifique, éthique, environnementale et sanitaire ». En effet, cette loi contient de nombreuses dispositions dangereuses : atteintes aux principes fondamentaux de protection de l’environnement, contournement des procédures démocratiques, affaiblissement du rôle des collectivités territoriales, verrouillage des voies de recours, ou encore normes impossibles à appliquer en élevage plein air.

    Face à ces atteintes multiples aux droits fondamentaux, à la santé publique et à la protection de l’environnement, les associations appellent le Conseil constitutionnel à faire respecter la Constitution et à censurer les dispositions inconstitutionnelles de la loi Duplomb. Par leur contribution commune, elles réaffirment l’importance d’un cadre juridique rigoureux et démocratique, indispensable pour garantir un avenir sain et durable pour tou.te.s.

    Les associations reviennent donc article par article sur les mesures les plus problématiques du texte, ainsi que sur les vices de procédure qui accompagnent son adoption. 

    Concernant l’inconstitutionnalité de la procédure d’adoption : 

    La loi Duplomb a été adoptée au mépris des principes de clarté et de sincérité du débat parlementaire, par un détournement de la motion de rejet préalable ayant empêché tout examen d’amendement dès la première lecture. Cette manœuvre, sans fondement constitutionnel, viole le droit d’amendement garanti par l’article 44 de la Constitution et justifie une censure par le Conseil constitutionnel.

    Article 1

    L’article premier de la loi est inconstitutionnel car il supprime l’encadrement obligatoire et indépendant du conseil sur l’utilisation des pesticides. En rendant ce conseil facultatif et possible par des vendeurs de ces produits, la loi favorise les conflits d’intérêts, affaiblit la formation des agriculteurs et augmente les risques pour la santé humaine et l’environnement. Elle viole ainsi plusieurs articles de la Charte de l’environnement – qui a valeur constitutionnelle -,notamment son article 8 relatif à l’éducation et la formation à l’environnement et l’objectif constitutionnel de protection de la santé.

    Article 2

    L’article 2 de la loi est inconstitutionnel car il permet des dérogations illimitées à l’interdiction des néonicotinoïdes, malgré leur forte toxicité pour la biodiversité et la santé humaine. Contrairement à une précédente décision du Conseil constitutionnel, cette dérogation n’est ni limitée dans le temps, ni restreinte à certaines cultures ou substances. Elle repose sur une définition biaisée des alternatives, axée uniquement sur les coûts pour l’agriculteur, au détriment de la santé publique et de l’environnement, violant ainsi les articles 1er, 2, 3, 5 et 6 de la Charte de l’environnement. En outre, elle ne prévoit aucune participation du public, en contradiction avec l’article 7 de cette Charte. 

    Article 3

    L’article 3 autorise le gouvernement à relever par décret les seuils des ICPE d’élevage en affirmant que cela ne constitue pas une atteinte au principe de non-régression. L’article 3 prévoit également une dérogation pour les projets d’élevage bovin, porcin ou avicole soumis à autorisation environnementale en permettant de remplacer les réunions publiques obligatoires par de simples permanences, réduisant ainsi la transparence et la participation du public. Cet article est ainsi inconstitutionnel en ce qu’il constitue une : 

    • Atteinte à la participation du public (article 7 de la Charte) : remplacer les réunions publiques par des permanences limite le débat et rend les réponses du porteur de projet facultatives.

    Violation du principe d’égalité (article 6 DDHC) : la dérogation ne concerne que certains élevages sans justification objective. Méconnaissance des articles 1 et 2 de la Charte de l’environnement : la loi relève les seuils sans prévoir de mesures de compensation en cas d’atteinte grave à l’environnement.

    Atteinte au principe de non-régression, corollaire des principes à valeur constitutionnelle garantis par la Charte de l’Environnement

    Article 5

    L’article 5, en présumant d’office que les ouvrages agricoles de stockage, aussi appelés méga-bassines, et prélèvement d’eau dans les zones en déficit hydrique sont d’intérêt général majeur (IGM) et justifiés par une raison impérative d’intérêt public majeur (RIIPM), porte une atteinte disproportionnée au droit à un recours juridictionnel effectif et aux principes de précaution et de gestion durable de l’eau. Cette présomption empêche une appréciation au cas par cas nécessaire pour équilibrer protection de l’environnement et besoins agricoles, alors que la jurisprudence européenne impose une analyse fine et stricte avant toute dérogation. De plus, ces infrastructures, souvent de grande taille, favorisent un modèle agricole consommateur d’eau et nuisible à la biodiversité, sans garantir d’alternatives durables ni limiter les impacts, ce qui justifie leur inconstitutionnalité.

    Article 6

    L’article 6 impose aux inspecteurs de l’environnement de transmettre leurs procès-verbaux d’infraction au procureur de la République « par la voie hiérarchique », et non plus directement. Cette exigence permet à une autorité administrative de contrôler, modifier ou bloquer la transmission d’actes relevant de la police judiciaire. Elle porte atteinte au principe de séparation des pouvoirs, à l’indépendance de l’autorité judiciaire et à l’objectif constitutionnel de recherche des auteurs d’infractions.

    Pour les associations « la loi Duplomb fragilise gravement la protection de l’environnement et la santé publique au profit d’une minorité d’acteurs, dont l’agrochimie, en bafouant les principes démocratiques et constitutionnels, le tout sans répondre aux attentes d’une majorité des agriculteurs et des citoyens.  Face à cette loi dangereuse qui multiplie les atteintes aux droits fondamentaux et vise sans complexe à l’industrialisation de l’agriculture et de l’élevage au mépris des humains et des animaux, nous avons déposé une contribution commune devant le Conseil constitutionnel pour faire censurer plus de la moitié du texte. Notre action vise ainsi à rétablir la vérité juridique et scientifique, et à défendre l’intérêt général. »

    Lien vers la pétition 

    Contacts presse

    Notre Affaire à Tous 
    Emilien Capdepon, Chargé de campagnes 
    emilien.capdepon@notreaffaireatous.org

    POLLINIS
    Hélène Angot, Chargée de communication
    helenea@pollinis.org

    Générations Futures 
    Yoann Coulmont, Chargé de plaidoyer
    plaidoyer@generations-futures.fr

    Terre de Liens
    Clara Courdeau, Attachée de presse
    c.courdeau@terredeliens.org

    LDH (Ligue des droits de l’Homme)
    Clotilde Julien
    presse@ldh-france.org

    CIWF France
    Agathe Gignoux, Responsable Plaidoyer
    agathe.gignoux@ciwf.fr

    Fondation 30 Millions d’Amis
    Lorène Jacquet, Responsable Campagnes et Plaidoyer
    Campagnes.plaidoyer@30millionsdamis.fr

    CCFD-Terre Solidaire
    Sophie Rebours, Responsable relations média 
    s.rebours@ccfd-terresolidaire.org

    Fondation pour la Nature et l’Homme
    Thomas Uthayakumar, Directeur des programmes et du plaidoyer
    t.uthayakumar@fnh.org

    Réseau CIVAM
    Marika Dumeunier, Coordinatrice Agroécologie

  • La Cour Internationale de Justice prend ses responsabilités et rappelle très clairement à tous les Etats du monde leurs obligations en matière climatique

    La Cour Internationale de Justice prend ses responsabilités et rappelle très clairement à tous les Etats du monde leurs obligations en matière climatique

    Réactive presse La Cour internationale de Justice (CIJ) vient de rendre son avis consultatif très attendu concernant les obligations juridiques des États en matière de changement climatique. Saisie par l’Assemblée générale des Nations Unies, suite à la mobilisation de pays insulaires particulièrement impactés et de jeunes, la Cour devait répondre à deux questions suivantes : quelles sont les obligations des États, en vertu du droit international, face à la crise climatique ? Quelles sont les conséquences juridiques en cas de manquement ?

    A l’unanimité, la Cour confirme des standards d’obligations élevés pour tous les Etats de faire leur part dans la lutte contre le changement climatique et que ces obligations doivent être guidées par des valeurs de justice et d’équité, notamment en prenant en compte les responsabilités et capacités différenciées des Etats. Elle appelle également les Etats à réguler les acteurs privés très émetteurs. 

    Les principaux éléments de l’avis rendu sont : 

    • 1.5°C. La Cour constate que les conséquences graves et profondes du changement climatique impactent les écosystèmes et les êtres humains. Au vu de la menace urgente et existentielle que fait peser la crise climatique, chaque degré compte et l’objectif de maintenir le réchauffement climatique à 1.5°C fait consensus. 
    • Des obligations plus larges que celles de l’Accord de Paris. Les obligations des Etats ne se limitent pas aux engagements de l’Accord de Paris ou autres traités spécifiques au changement climatique, mais découlent de très nombreux traités internationaux et du droit international coutumier. 
    • Tous les pays du monde sont concernés. Les Etats qui ne sont pas parties aux conventions tels que l’Accord de Paris ont la charge de la preuve de démontrer qu’ils se conforment au droit international général et aux obligations climatiques. Ils ne sont pas dispensés d’obligations, ni prémunis des conséquences juridiques en cas de manquements. 
    • L’inaction climatique est une violation des droits humains. Le droit international relatif aux droits humains s’applique à la lutte contre la crise climatique. La Cour Internationale de Justice reconnaît également le droit à un environnement sain, y compris pour les générations futures. 
    • Types d’obligations. Les Etats ont des obligations d’atténuation des émissions pour maintenir le réchauffement climatique à 1.5°C, en mettant en place des règles et mesures appropriées pour réduire rapidement et considérablement les émissions de GES, mais aussi d’adaptation au changement climatique et de coopération. Les principes qui doivent guider ces obligations sont ceux de la responsabilité commune mais différenciée, le principe de précaution, la diligence raisonnable, l’équité et l’équité intergénérationnelle. 
    • Responsabilité commune mais différenciée. Tous les Etats doivent faire leur part dans la lutte contre le changement climatique, mais la part des efforts de chaque État dépend de sa responsabilité historique (émissions passées), et de sa capacité, matérielle et financière, actuelle à réduire ses émissions. 
    • Obligation de coopération. Le devoir qu’ont les Etat de coopérer est intrinsèquement lié au devoir de prévenir les dommages significatifs, car les efforts que les États déploient pourraient ne pas être effectifs sans coopération (assistance financière, transfert de technologies, renforcement de capacité etc.). 
    • Sortie des énergies fossiles. Le fait pour les États de ne pas prendre les mesures appropriées, notamment en matière de production et de consommation de combustibles fossiles, d’octroi de licences d’exploration de combustibles fossiles ou de subventions, peut constituer un fait illicite.
    • Obligation de régulation des multinationales. Les Etats ont le devoir de réglementer les acteurs privés. 
    • COP 30. Les décisions des COP sont des éléments d’interprétation complétant les obligations existantes. La coopération financière entre les Etats et les obligations de réparation et de compensation financière (fonds pertes et préjudices) ont également été reconnus par la Cour.

    Un avis qui s’applique aux tribunaux du monde entier. Bien que l’avis de la Cour soit consultatif et pose les bases du cadre juridique international, il est pertinent pour toutes les juridictions nationales qui pourront rendre des décisions de justice contraignantes. 

    Contacts presse

    Jérémie Suissa, Délégué général : direction@notreaffaireatous.org

    Justine Ripoll, Responsable de campagnes : justine.ripoll@notreaffaireatous.org

    Anne Stevignon, Juriste Contentieux Multinationales : anne.stevignon@notreaffaireatous.org

  • Le droit international face à l’urgence climatique : le point sur ce que les États ont soutenu devant la Cour internationale de Justice

    Le 23 juillet 2025, la Cour internationale de Justice (CIJ) rendra un avis consultatif très attendu sur les obligations juridiques des États en matière de changement climatique. Saisie par l’Assemblée générale des Nations Unies, la Cour devra répondre à deux questions déterminantes : quelles sont les obligations des États, en vertu du droit international, face à la crise climatique ? Quelles sont les conséquences juridiques en cas de manquement ?

    Bien que non contraignant, cet avis consultatif constitue une interprétation faisant autorité du droit international. Intervenant après la publication de l’avis consultatif historique de la Cour interaméricaine des droits de l’homme (CIADH) sur l’urgence climatique et les droits humains le 3 juillet dernier, il pourrait redéfinir les contours du régime international applicable au climat, notamment en matière de prévention des dommages, de droits humains, de responsabilité étatique, et de coopération.

    Le processus de l’adoption de l’avis consultatif a déjà marqué l’histoire de la CIJ : 91 États ont déposé des mémoires écrits, et 97 ont pris part aux audiences orales. Ce rapport en synthétise les principales lignes de clivage et met en lumière les positions clefs portées par les États devant la Cour.

    1. Les obligations des États en vertu du droit international en matière climatique

    Les contributions des États sur la question des obligations juridiques se structurent principalement autour de cinq grands axes : le droit applicable (A), les droits humains (B), le principe de prévention (C), le principe des responsabilités communes mais différenciées (D), et les obligations des États à l’égard des acteurs privés (E).

    Quatre de ces thématiques ont concentré l’essentiel des développements : les droits humains ont fait l’objet du plus grand nombre d’arguments (87), suivis par les discussions sur le droit applicable (77), puis sur le principe de prévention et le principe des responsabilités communes mais différenciées (58). Cette hiérarchie reflète une dynamique argumentative forte en faveur d’une interprétation intégrée et interdisciplinaire du droit international applicable en matière climatique — croisant normes environnementales, obligations de prévention et droits fondamentaux.

    Thématiques les plus évoquées dans les contributions étatiques s’agissant des obligations des États en matière climatique :

    1. Les normes applicables aux obligations des États en matière climatique

    Un nombre très substantiel d’États (46) ont soutenu que les obligations climatiques des États s’ancrent dans un corpus juridique international bien plus large que le seul régime conventionnel (CCNUCC, Protocole de Kyoto, Accord de Paris). Selon eux, ces obligations trouvent également leur source dans le droit international coutumier, le droit international de l’environnement, le droit international des droits de l’homme, le droit de la mer, le droit des conflits armés, ou encore le droit international relatif aux catastrophes. Plusieurs États — Mexique, Micronésie, Gambie notamment — ont également soutenu que les obligations découlant des traités climatiques existent, ou doivent être interprétées comme existant, en harmonie avec d’autres sphères du droit international. D’autres — le Chili, le Costa Rica, la France, le Guatemala et la Gambie — ont explicitement réfuté l’idée que les instruments climatiques sont une lex specialis, affirmant que ceux-ci doivent être interprétés de manière compatible avec les engagements juridiques internationaux existants. De manière convergente, la Barbade, le Burkina Faso, les Palaos, la République démocratique du Congo, la Gambie, le Soudan et l’Uruguay ont affirmé que les traités climatiques ne sauraient supplanter ni écarter les autres normes internationales applicables.

    Cette position majoritaire s’inscrit dans la continuité de l’avis consultatif de la Cour interaméricaine des droits de l’homme (CIADH) du 3 juillet dernier, qui affirme non seulement l’unité du droit international applicable aux enjeux climatiques, mais surtout la reconnaissance de normes impératives (jus cogens) protégeant l’environnement, au fondement des obligations des États [1]. 

    À l’inverse, un groupe minoritaire de 19 États a défendu une lecture étroite des obligations climatiques, cantonnées au régime conventionnel. L’Afrique du Sud, le Brésil, les États-Unis, la France, la Nouvelle-Zélande, le Pakistan et Singapour ont ainsi soutenu que les obligations des États en matière de changement climatique relèvent essentiellement des traités climatiques existants. Certains États sont allés encore plus loin, en allant jusqu’à qualifier les traités climatiques existants de lex specialis, excluant par là même toute application parallèle d’autres normes juridiques internationales. C’est notamment la position de l’Arabie saoudite, de la Russie, de la Chine, de l’Inde, de l’Iran, du Koweït, du Japon et du Royaume-Uni. Enfin, d’autres États comme l’Allemagne, l’Australie, le Canada et la Corée du Sud ont présenté un argument distinct mais similaire, estimant que d’autres sources du droit international (par exemple, le droit international des droits de l’homme) doivent être interprétées à la lumière des obligations établies par le régime conventionnel climatique.

    1. La protection des droits humains 

    La question de la protection des droits humains face à la crise climatique a occupé une place centrale dans de nombreuses contributions étatiques et est un enjeu majeur de l’avis à venir de la CIJ, dont le rôle premier n’est pas la protection des droits humains. Dix États l’ont ainsi appelée à reconnaître la pertinence du droit à un environnement sain, la Slovénie estimant que ce droit constitue une condition préalable à la jouissance des autres droits humains – comme l’a  d’ailleurs rappelé la CIADH le 3 juillet dernier. La CIADH a en outre consacré le droit autonome à un climat sain, découlant du droit à un environnement sain [2]. 

    Les États n’ont toutefois pas été unanimes dans leurs contributions : l’Arabie saoudite a jugé le droit à un environnement sain “non pertinent”, tandis que les États-Unis et la Russie ont soutenu qu’il n’est actuellement pas consacré par le droit international.

    En outre, certains petits États insulaires en développement (PEID), tels que le Vanuatu, les Fidji et Tuvalu, ont souligné l’importance de protéger leur droit à l’autodétermination face à une élévation extrême du niveau de la mer. La Roumanie est allée plus loin, affirmant que ces PEID ont non seulement le droit, mais aussi l’obligation positive, d’agir pour préserver leur existence en tant qu’États.

    Le Vanuatu et les Îles Cook ont quant à eux estimé que les interdictions de discrimination raciale et de genre sont applicables dans le contexte du changement climatique. L’Albanie a adopté une approche plus large, demandant à la Cour de déterminer les obligations des États à travers cette perspective intersectionnelle.

    Dix États ont estimé que les obligations des États en matière de droits humains dans le contexte du changement climatique s’appliquent extraterritorialement, tandis que cinq États (dont la Corée du Sud, les États-Unis et la Russie), ont considéré que ces obligations ne s’étendent qu’aux individus se trouvant sur le territoire de l’État ou relevant de sa juridiction. D’autres États ont tenté de définir des critères d’applicabilité extraterritoriale. L’Albanie a soutenu que l’application extraterritoriale ne peut avoir lieu que sous deux conditions : (i) il doit exister un lien de causalité clair entre la violation alléguée et l’acte ou l’omission de l’État, et (ii) la conduite en cause a eu un impact direct et prévisible sur les droits humains d’un individu. Certains ont également argumenté que les droits humains ne peuvent s’appliquer extraterritorialement que dans des circonstances exceptionnelles, telles que s’agissant du jus cogens (le Canada), en matière de discrimination raciale (les Îles Cook), pour le droit à l’autodétermination (la Micronésie) ou encore pour le droit à l’eau (la Namibie).

    Enfin, seize États ont soutenu que les droits des générations futures doivent être reconnus et protégés au moyen d’obligations incombant aux États, notamment au titre de l’Accord de Paris. Le Pérou a ainsi estimé que le respect de l’équité intergénérationnelle exige que les États entreprennent des mesures d’adaptation et d’atténuation tandis que la France a plaidé pour la prise en compte de ce principe dans la détermination des contributions déterminées au niveau national (CDN).

    Comme souligné par la CIADH dans son avis consultatif du 3 juillet [3], le principe d’équité intergénérationnelle est déjà pris en compte par diverses institutions et tribunaux internationaux, dont la Cour internationale de justice [4], le Tribunal international du droit de la mer [5], la Cour européenne des droits de l’homme [6], en sus des tribunaux nationaux. À ce titre, la CIADH a précisé que le droit à un climat sain doit bénéficier aux générations futures [7].

    La protection des générations futures ne semble néanmoins toujours pas faire consensus, l’Allemagne et la Russie ayant affirmé que les actes ou omissions commis à l’encontre de « personnes abstraites » futures ne pouvaient constituer des violations des traités relatifs aux droits humains applicables. 

    1. Le principe de prévention et les obligations de due diligence 

    Trois axes de débat principaux se sont dégagés quant à la portée et à la nature juridique du principe de prévention qui impose aux États l’obligation d’éviter de causer des dommages environnementaux. Ce principe est reconnu comme l’une des pierres angulaires du droit international de l’environnement.

    Premièrement, la question de l’extension du principe aux dommages transfrontières causés par les émissions anthropiques de gaz à effet de serre (GES) — c’est-à-dire au-delà des seuls États voisins — a suscité des positions contrastées. Vingt-deux États ont plaidé en faveur d’une interprétation élargie, incluant les effets globaux des émissions, indépendamment de la proximité géographique entre États. À l’inverse, certains États — notamment l’Arabie saoudite, l’Australie, le Canada, les pays nordiques et le Royaume-Uni — ont soutenu que le principe de prévention ne saurait s’appliquer aux émissions de GES ni, plus largement, à la problématique du changement climatique. Une telle approche s’inscrit en porte-à-faux avec l’avis rendu par la Cour interaméricaine des droits de l’homme le 3 juillet 2025 : elle a en effet considéré que, bien que le principe de prévention ait été historiquement formulé dans le cadre des relations interétatiques, les obligations qu’il implique sont analogues à celles découlant du devoir général de prévenir les violations des droits de l’homme. Dès lors, un État est tenu d’adopter des mesures préventives tant à l’égard des activités susceptibles de porter atteinte aux droits humains que de celles comportant un risque environnemental au-delà de son territoire [8].

    Deuxièmement, plusieurs divergences sont apparues quant à l’applicabilité temporelle du principe de prévention. La Micronésie et Nauru ont plaidé pour une application du principe aux émissions historiques de GES, considérant qu’il ne saurait être limité aux seules émissions récentes. La France, pour sa part, a proposé une approche plus nuancée, invitant la Cour à déterminer à partir de quelle date une obligation juridique de prévention est apparue. Selon elle, une telle analyse implique : (i) d’identifier le moment où le droit international a évolué d’un devoir de prévention circonscrit aux dommages transfrontières entre États voisins vers une obligation à portée globale ; et (ii) de déterminer la période à partir de laquelle les États ont eu une connaissance suffisante du caractère dommageable des émissions de GES.

    Troisièmement, la nature de l’obligation découlant du principe de prévention a été discutée. Alors que la Barbade a défendu l’existence d’une obligation de résultat, les Émirats arabes unis et le Japon ont, au contraire, soutenu qu’il s’agissait d’une obligation de comportement de moyens.

    S’est également posée la question du niveau de “due diligence” requise dans la mise en œuvre de cette obligation de prévention. Trois États — les Bahamas, le Costa Rica et les Philippines — ont soutenu que les États doivent faire preuve de diligence raisonnable dans la réduction de leurs émissions de GES, par l’adoption de mesures proactives proportionnées à leurs capacités et fondées sur les meilleures connaissances scientifiques disponibles, notamment celles du GIEC. Le Mexique a précisé cette analyse en identifiant quatre critères interdépendants permettant d’apprécier le respect de cette diligence : (i) l’élaboration et la mise en œuvre des contributions déterminées au niveau national (CDN) ; (ii) la prise en compte des pertes et préjudices ; (iii) l’allocation de ressources financières ; et (iv) le transfert de technologies ainsi que le renforcement des capacités. Les Seychelles ont, pour leur part, souligné qu’une diligence suffisante implique une mise en œuvre effective des CDN avec une ambition croissante, tandis que la Gambie a mis l’accent sur la nécessité de réaliser des évaluations d’impact environnemental.

    Enfin, sept États — dont la France — ont plaidé pour une due diligence renforcée. Antigua-et-Barbuda a proposé que des exigences de diligence accrues soient imposées aux grands émetteurs historiques, tandis que la Suisse a limité une telle exigence renforcée aux principaux émetteurs actuels. Cette approche a été critiquée par les États-Unis, qui ont contesté toute base juridique permettant d’imposer des obligations différenciées en matière de diligence entre États.

    1. Le principe des responsabilités communes mais différenciées

    Conformément au principe des responsabilités communes mais différenciées (common but differentiated responsibilities – CBDR), lié à l’équité intergénérationnelle, il est attendu des États qu’ils assurent une répartition équitable des charges liées à l’action climatique et aux impacts climatiques, en tenant compte de leur contribution historique aux causes du changement climatique et de leurs capacités respectives [9].

    Ce principe a été au cœur de débats, tout comme il l’avait été en amont de la publication de l’avis consultatif de la CIADH, aussi bien s’agissant de sa définition que de sa portée. Seize États ont affirmé que les États développés — ceux disposant de ressources plus importantes et portant historiquement une responsabilité disproportionnée dans les émissions mondiales de GES — sont tenus de prendre l’initiative dans la lutte contre le changement climatique, notamment par le biais du renforcement des capacités, de l’assistance financière et/ou du transfert de technologies. Certains États, comme la Roumanie, ont toutefois considéré que la responsabilité historique ne devait pas être prise en compte pour définir les obligations juridiques des États au titre du principe CBDR. De même, la distinction entre État développé et État en développement a été débattu, la République démocratique du Congo, les Bahamas et les Émirats arabes unis estimant que la Cour devait prendre en compte les capacités évolutives des économies émergentes, bien que classées à ce jour comme « États en développement ». Nauru a en outre demandé à la CIJ de tenir compte des vulnérabilités géographiques des pays enclavés et montagneux. 

    L’appréciation de la portée du principe CBDR n’a pas fait l’unanimité : alors que l’Équateur a soutenu qu’il impose une obligation de diligence aux États, les contraignant à prendre toutes les mesures nécessaires pour réduire les émissions de GES de manière proportionnée à leurs contributions historiques, le Canada a affirmé que le CBDR ne crée pas d’obligations juridiques pour les États. Des divergences d’opinion peuvent également être notées quant aux obligations concernées par le principe : certains ont pu avancer qu’il devait éclairer l’interprétation des obligations liées au climat en général tandis que d’autres ont cherché à le cantonner à l’Accord de Paris, voire à minimiser son importance au sein de l’Accord (il ne constituerait pas un principe global selon les États-Unis).  

    Les États étaient également divisés sur l’existence d’une obligation de financement en vertu du droit international. Alors que le Costa Rica et le Kenya ont soutenu que les États ont une obligation juridique de fournir une compensation pour les pertes et préjudices liés au changement climatique, l’Allemagne a affirmé que cette compensation devrait rester purement volontaire.

    1. La responsabilité des acteurs privés

    Plusieurs contributions ont porté sur les obligations des États à l’égard des acteurs privés dans la lutte contre le changement climatique. Comme l’a rappelé la CIADH le 3 juillet dernier, “il ne fait aucun doute que les entreprises sont appelées à jouer un rôle fondamental dans la lutte contre l’urgence climatique” et sont tenues de le faire [10]. Les instances internationales sont unanimes à ce propos : ce ne sont pas seulement les États, sujets de droit naturels du droit international public, mais également les entreprises qui ont des “obligations et responsabilités en ce qui concerne le changement climatique et ses impacts […] sur les droits humains” [11].

    Onze États ont ainsi affirmé leur obligation de réglementer la conduite des acteurs privés relevant de leur juridiction afin de prévenir les dommages, certains mentionnant plus spécifiquement une obligation de réglementer la conduite des acteurs privés générant des émissions de GES ou portant atteinte aux droits humains. 

    Des arguments ont également été avancés concernant l’importance de prévoir des cadres juridiques contraignants dans le contexte de la régulation des activités des acteurs privés opérant sur le territoire d’un État (Serbie), ainsi que la nécessité de garantir l’exercice d’une diligence raisonnable — en particulier concernant les impacts environnementaux négatifs — tout au long des chaînes d’approvisionnement des acteurs privés (Namibie).

    1. Les conséquences juridiques 

    La seconde question posée à la CIJ concernant les conséquences juridiques en cas de manquement aux obligations a suscité de nombreuses discussions sur le cadre juridique de applicable, avec pas moins de 54 contributions sur le sujet (A), ainsi que sur les enjeux de causalité, d’attribution et de responsabilité historique et collective, sur lesquels 29 argumentaires ont été formulés (B), suivies par l’enjeu de la réparation des dommages climatiques (21) (C), et, enfin, de la cessation et de la non-répétition des manquements (3) (D).

    Thématiques les plus évoquées dans les contributions étatiques s’agissant des conséquences juridiques en cas de manquement aux obligations :

    1. Le cadre juridique applicable

    Les États ont été divisés sur le cadre juridique de référence applicable pour déterminer les conséquences juridiques d’une violation de leurs obligations climatiques. 

    De nombreux États (43) ont affirmé que le droit international général de la responsabilité des États s’applique en cas de manquement. L’Arabie saoudite, le Canada, la Chine, la France, le Japon, la Nouvelle-Zélande et le Royaume-Uni ont au contraire soutenu que les conséquences juridiques doivent être plus strictement déduites des mécanismes de conformité prévus par le régime conventionnel climatique. Enfin, l’Afrique du Sud et l’Espagne ont plaidé pour un examen au cas par cas de la question des conséquences juridiques.

    1. Les enjeux de causalité, d’attribution et de responsabilité historique et collective

    Les enjeux de la causalité se sont avérés aussi centraux que controversés. L’Australie, l’Espagne, les États-Unis, le Koweït et le Timor-Leste ont affirmé que la réparation des préjudices liés au changement climatique nécessite l’établissement d’un lien de causalité clair entre les émissions de GES et le dommage en question, tandis que la France a soutenu que les critères de causalité doivent être définis au cas par cas. Les pays nordiques sont allés plus loin, affirmant que la causalité ne peut être traitée de manière abstraite. En réponse, l’Albanie, Antigua-et-Barbuda, les Bahamas, le Belize, le Guatemala et la Zambie ont soutenu que l’engagement de la responsabilité pour obtenir réparation ne devait pas être exclu par les difficultés à établir la causalité. Leur position s’inscrit dans la lignée de l’avis de la CIADH du 3 juillet, qui a souligné la possibilité de présumer un lien de causalité entre les émissions de GES et la dégradation du système climatique, ainsi que celui existant entre cette dégradation et les risques qu’elle engendre sur les systèmes naturels et les populations [12].

    La question de l’attribution d’un dommage climatique à un ou plusieurs États a également fait l’objet de débats. Si la Russie a soutenu que cela est impossible, le Chili, le Costa Rica, le Ghana et les Samoa ont affirmé qu’une telle attribution peut être établie sur la base d’un consensus scientifique reconnu.

    Enfin, des divergences de positionnement peuvent être constatées s’agissant du caractère individuel ou collectif de la responsabilité étatique. Six États (Micronésie, République démocratique du Congo, Samoa, Comores, Vietnam et Zambie) ont affirmé que le droit international coutumier fournit un cadre pour traiter à la fois la responsabilité collective et individuelle. Allant dans ce sens, Nauru et le Népal ont suggéré que la nature composite de la responsabilité des États en matière climatique signifie que les États développés ont un devoir collectif de compenser les dommages causés par leurs émissions historiques.

    La Russie et le Japon se sont opposés à ce point de vue, soutenant qu’il ne fallait accorder qu’une considération limitée — voire aucune — aux émissions historiques dans la détermination de la responsabilité étatique. L’Australie a quant à elle soutenu que le droit de la responsabilité des États ne reconnaît pas de responsabilité collective pour les dommages climatiques.

    1. La réparation des dommages climatiques

    Dix États ont avancé que la réparation des dommages climatiques peut notamment être assurée en contribuant aux fonds de lutte contre le changement climatique, en offrant des ressources financières pour soutenir les efforts d’adaptation, d’atténuation et de relocalisation, en soutenant la recherche scientifique régionale, en garantissant le maintien du statut d’État pour les États touchés, en procédant à des transferts technologiques et en utilisant des mécanismes de réparation innovants tels que l’allègement et l’annulation de la dette, ainsi que les échanges dette-climat. 

    L’Égypte, l’Équateur, la Jamaïque et Sainte-Lucie ont quant à eux soutenu que le caractère discrétionnaire des mécanismes de pertes et dommages (Loss and Damage) dans le cadre de la CCNUCC ne peut se substituer à une réparation intégrale, y compris à une indemnisation, en vertu du droit international. Cette position fait échos à celle de la CIADH qui a, d’une part, affirmé que la responsabilité internationale engendrée par la violation du droit à un climat sain entraîne l’obligation de réparer intégralement le dommage causé [13], et, d’autre part, a averti que, compte tenu de l’ampleur des impacts prévus, le Fonds Loss and Damage mis en place dans le contexte de la COP27 nécessiterait “des ressources extraordinairement élevées pour remplir sa fonction” [14].

    Enfin, les Fidji et la Micronésie se sont déclarées favorables à une différenciation des réparations entre les réparations dues aux États, en particulier aux PEID, les réparations dues aux peuples, y compris les peuples autochtones, et les réparations dues aux individus, y compris les détenteurs de droits des générations actuelles et futures.

    1. La cessation et la non-répétition des manquements

    Trois États ont élaboré sur les obligations de cessation et de non-répétition s’inscrivant dans le cadre du droit de la responsabilité des États. Les Fidji ont estimé que la cessation exige une réduction immédiate des émissions de GES ainsi que le démantèlement des structures systémiques alimentant de telles émissions, tandis que le Ghana a soutenu que les États doivent cesser et s’abstenir d’adopter des lois, politiques et pratiques qui soutiennent les émissions de GES, en particulier la production d’énergies fossiles. Afin de garantir la non-répétition, le Vanuatu a affirmé que les États doivent engager des réformes politiques, réglementaires et législatives et empêcher les acteurs non étatiques relevant de leur juridiction, y compris les entreprises, de causer de nouveaux dommages climatiques.

    La CIADH a rappelé à ce titre qu’il est “du devoir de l’État de surveiller et de contrôler, au minimum, la prospection, l’extraction, le transport et le traitement des combustibles fossiles, la fabrication de ciment, les activités agro-industrielles” [15].

    Notes et références :

    [1] CIADH, Urgence climatique et droits humains, avis consultatif OC-23/17, 3 juillet 2025,  §  290 et 291 et suiv. sur le caractère jus cogens de l’obligation de ne pas causer des dommages irréversibles au climat et à l’environnement.

    [2] CIADH, avis consultatif OC-23/17, 3 juillet 2025, § 300 et suiv. La Cour affiche la volonté de “doter l’ordre juridique interaméricain d’un fondement propre, qui permette de délimiter clairement les obligations spécifiques des États face à la crise climatique et d’exiger leur respect de manière autonome par rapport aux autres devoirs liés à la protection de l’environnement”.

    [3] CIADH, avis consultatif OC-23/17, 3 juillet 2025, § 305.

    [4] CIJ, Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, Avis consultatif du 8 juillet 1996, § 29.

    [5] TIDM, Changement climatique et droit international, Avis consultatif du 21 mai 2024, § 166.

    [6] CEDH, Verein KlimaSeniorinnen Schweiz et autres c. Suisse, n° 53600/20, 9 avril 2024, § 410-420.

    [7] CIADH, avis consultatif OC-23/17, 3 juillet 2025, § 311 : “bien que le droit international des droits humains reconnaisse à toute personne des droits inaliénables, son fondement éthique et normatif transcende les habitants de la planète dans le présent et s’étend également à l’humanité en tant que communauté morale et juridique qui perdure dans le temps”.

    [8] CIADH, avis consultatif OC-23/17, 3 juillet 2025, § 276.

    [9] CIADH, avis consultatif OC-23/17, 3 juillet 2025, § 310.

    [10] CIADH, avis consultatif OC-23/17, 3 juillet 2025, § 345.

    [11] CIADH, avis consultatif OC-23/17, 3 juillet 2025, § 346 ; Working Group on the issue of human rights and transnational corporations and other business enterprises, « Information Note on Climate Change and the Guiding Principles on Business and Human Rights, 2023 », p. 5.

    [12] CIADH, avis consultatif OC-23/17, 3 juillet 2025, § 553.

    [13] CIADH, avis consultatif OC-23/17, 3 juillet 2025, § 303.

    [14] CIADH, avis consultatif OC-23/17, 3 juillet 2025, § 201.

    [15] CIADH, avis consultatif OC-23/17, 3 juillet 2025, § 353.

  • Abandon du projet Montagne d’or : la France devant un tribunal arbitral international

    Communiqué de presse Le vendredi 4 juillet 2025, trois organisations de la société civile (le Collectif des Premières Nations, l’Organisation des Nations Autochtones de Guyane et Guyane Nature Environnement) ont déposé des observations en qualité d’Amicus Curiae après du tribunal arbitral international siégeant dans le cadre du différend entre deux holdings financières russes et la France (1).

    L’État français est attaqué par deux investisseurs russes dans le cadre d’une procédure confidentielle de règlement des différends entre investisseurs et Etats (RDIE ou ISDS en anglais), dans le cadre du méga-projet minier « Montagne d’Or » en Guyane. Plus de 4,5 milliards de dollars de compensations seraient réclamés par les investisseurs au titre de manquement allégués aux obligations de l’État français concernant leurs droits d’exploiter de l’or et d’autres ressources dans la zone. Cette procédure constitue le premier véritable cas majeur d’arbitrage d’investissement contre la France (2).

    Cette procédure, initiée en 2021, sur le fondement du traité bilatéral d’investissement France-Russie de 1989, intervient à la suite du retrait du soutien du Gouvernement français à ce projet, jugé en 2019 par le Conseil de défense écologique incompatible avec les exigences environnementales fixées par l’exécutif. Le projet Montagne d’Or, mine à ciel ouvert, avait fait l’objet de campagnes de mobilisation importantes
    aux niveaux local et national en raison des impacts massifs attendus sur les droits humains et sur l’environnement.

    Les demandeurs sont deux sociétés de droit russe, Severgroup LLC et KN Holding LLC, propriétaires de l’entreprise Nordgold, qui est elle-même actionnaire à hauteur de 55 % de la Compagnie de la Montagne d’Or, créée en juillet 2016 pour porter le projet minier (3).

    Le non-renouvellement des concessions avait fait l’objet d’un contentieux national porté par la Compagnie de la Montagne d’Or. Après une décision du Conseil Constitutionnel de 2022 et du Conseil d’État de 2023, la Cour administrative d’appel de Bordeaux a finalement confirmé en novembre 2024 la légalité du refus opposé par l’administration aux demandes de la société Compagnie minière Montagne d’Or de prolongation de ses deux concessions.

    Cette procédure d’arbitrage international pourrait conduire l’État français à devoir verser une indemnisation aux investisseurs alors que l’abandon du projet était justifié par de graves atteintes à l’environnement et aux droits humains, des risques industriels et environnementaux (cyanure, explosifs…), ainsi que par l’opposition locale des habitants et des organisations de la société civile.

    « Cette affaire intervient dans un contexte de tensions croissantes entre obligations de protection des investissements étrangers et impératifs de préservation environnementale pointées du doigt à la fois par le GIEC et l’IPBES. Elle questionne la capacité des États à redéfinir leurs priorités en matière de transition écologique face aux engagements contractés dans le cadre des traités d’investissement. » – Mathilde Dupré, codirectrice de l’Institut Veblen.

    Pour Jérémie Suissa, délégué général de Notre Affaire à Tous, « cette affaire illustre la nécessité de poser des limites d’intérêt général aux droits des investisseurs privés : le fait que deux États aient signé un accord bilatéral ne peut pas prévaloir sur l’intérêt général mondial. Face aux enjeux actuels, les exigences vitales de protection de l’environnement doivent être mises en balance avec les intérêts économiques privés. »

    « On est face à un cas inédit de mauvaise foi des investisseurs russes qui ont acquis une société dans un contexte très défavorable car elle ne pouvait légalement obtenir la prolongation de ses concessions, puisqu’elle multipliait les exploitations illégales et manquait à son obligation de réhabilitation des sites miniers (dont 500 ha sont encore à ce jour non réhabilités). Les holdings russes tentent leur dernier coup de poker auprès du tribunal arbitral pour faire indemniser leurs mauvais investissements par l’État français. On est donc en train de demander un effort aux contribuables français alors que, massivement, les citoyens s’y étaient opposés en raison de la grave atteinte à leur droit à un environnement sain sur un territoire où l’État se désinvestit déjà tout particulièrement. Alors que le territoire guyanais abrite 50% de la biodiversité française et qu’il ne reçoit que peu de crédits dédiés à la préservation de l’environnement, il serait outrageant que l’État, qui tentait de préserver un corridor écologique de la plus grande Réserve Biologique Intégrale de France, doive indemniser ces investisseurs. » Nolwenn Rocca, de Guyane Nature Environnement

    Contacts presse

    • CPN : collectif.premieresnations@gmail.com
    • ONAG : onag.2010@gmail.com
    • Institut Veblen, Mathilde Dupré, codirectrice : dupre@veblen-institute.org
    • GNE, Nolwenn Rocca, Coordination@federation-gne.fr
    • Notre Affaire à Tous, Adeline Paradeise, juriste : adeline.paradeise@notreaffaireatous.org

    Note aux rédactions

    (1) Cet arbitrage se déroule sous l’égide de la Cour permanente d’arbitrage (CPA) à La Haye suivant le règlement d’arbitrage de la Commission des Nations Unies pour le droit commercial international (CNUDCI) de 1976 (affaire CPA n° 2022-13). Le tribunal est composé de trois arbitres internationaux: Prof. Dr. Klaus Sachs, Mme Anne K. Hoffman et Prof. Brigitte Stern.
    Le montant des compensations réclamées a été aussi évoqué dans la question écrite de la députée Aurélie Trouvé.
    https://questions.assemblee-nationale.fr/q16/16-2177QE.htm
    La Cour permanente d’arbitrage a annoncé en mars 2025, que le tribunal d’arbitrage – dans l’affaire KN Holding LLC & Severgroup LLC c. la République française – pourrait recevoir des observations d’amicus curiae, invitant les tiers qui seraient intéressés à soumettre une demande d’autorisation de dépôt d’amicus curiae d’ici le 10 avril 2025.

    Au moins deux demandes ont été déposées en ce sens : l’une par le Collectif des Premières Nations, l’Organisation des Nations Autochtones de Guyane, WWF France et l’Institut Veblen, assistés par le cabinet Baldon Avocats (Clémentine Baldon et Nikos Braoudakis) et l’autre par Guyane Nature Environnement et Notre Affaire à tous, assistées par les avocats Charlotte Matthews, Ugo Birchen, Maria Dziumak et Sébastien Mabile.

    Le tribunal a rejeté les demandes d’intervention du WWF France, de l’Institut Veblen pour les réformes économiques et de Notre affaire à tous, sans donner de justification.


    (2) Les deux autres seuls cas connus antérieurs d’arbitrage contre la France (Serter c. France, 2013 concernant les droits de propriété de la conception de coques de navires et Encavis et autres c. France, 2022 concernant la révision des tarifs de rachat de l’électricité photovoltaïque) ont été interrompus. Un nouveau cas a été enregistré début juin 2025 sur le fondement du traité entre l’Arménie et la France. Il oppose S. Karapetyan, homme d’affaires russo-arménien propriétaire de l’un des plus grands conglomérats industriels et de construction de Russie – le groupe Tashir – à la France, suite à la saisie de ses biens immobiliers pour des soupçons de blanchiment.


    (3) Alexey Mordashov, oligarque russe placé sous sanctions européennes depuis 2022, contrôle Severgroup LLC et KN Holding LLC et détient, par ce biais, une participation majoritaire dans Nordgold.

  • Devoir de vigilance européen : au Conseil, la stratégie du pire.

    Les représentant·e·s des États membres de l’Union européenne ont adopté hier soir la position du Conseil sur l’Omnibus I – proposé en février dernier par la Commission. Loin d’être un compromis entre simplification et maintien d’une régulation effective des entreprises, cette position vide dramatiquement de son sens l’objet du devoir de vigilance européen (CSDDD) : prévenir et réparer les atteintes aux droits humains et à l’environnement commises par les multinationales. Cet accord, qui établit la position du Conseil pour les futures négociations avec le Parlement européen, confirme le « business as usual » promu par les lobbies économiques et l’extrême droite, avec la complicité de certains États membres, dont la France.

    Alors que de nombreux acteurs (société civile, syndicats, entreprises, économistes, Banque centrale européenne) avaient alerté sur les conséquences délétères de l’Omnibus I, le Conseil de l’Union européenne a décidé de se murer dans une vision erronée de la simplification de la vie des entreprises. 

    • Décidant d’aller au-delà de la proposition déjà moins-disante de la Commission européenne, le Conseil propose de relever les seuils d’application du devoir de vigilance européen. Reprenant l’argumentaire de la France, le Conseil voudrait que ce dernier ne s’applique qu’aux sociétés de plus de 5000 salarié·e·s et réalisant plus d’1,5 milliard d’euros de chiffre d’affaires. Le nombre de sociétés concernées s’en trouverait réduit à peau de chagrin. 
    • En proposant de limiter le devoir de vigilance aux seuls partenaires commerciaux directs (tout en prétendant suivre une « approche fondée sur les risques »), le Conseil condamne l’effectivité du dispositif : cette limitation aurait des conséquences catastrophiques sur le terrain, les violations des droits humains et les atteintes à l’environnement les plus graves ayant souvent lieu au-delà du premier rang de partenaires commerciaux.
    • La responsabilité civile, pilier fondamental du devoir de vigilance, n’est pas non plus épargnée. Très loin d’une simplification, le Conseil s’aligne sur la proposition de la Commission de ne plus harmoniser le régime de responsabilité civile, ce qui conduirait à une fragmentation des régimes juridiques selon les États membres, au détriment à la fois des victimes et des entreprises. 
    • Enfin, les États membres ont pris la liberté d’affaiblir davantage le volet climatique de la directive sur le devoir de vigilance européen. Alors que cette dernière faisait obligation aux entreprises d’adopter et de mettre en œuvre des plans de transition climatique, la position du Conseil revient nettement sur le niveau d’ambition de ces plans. Les entreprises resteraient libres de ne pas mettre en œuvre leurs engagements si les efforts demandés leur semblent déraisonnables. 

    De plus, le Conseil donne son accord pour réduire considérablement le périmètre de la directive sur le reporting de durabilité (CSRD). Cette position aboutirait à l’exclusion de milliers d’entreprises européennes de ce dispositif et favoriserait le greenwashing.

    Cette séquence renvoie à un constat tout aussi bouleversant : la politique se coupe des citoyen·ne·s et le basculement des instances européennes vers l’extrême droite se concrétise. 

    Le Conseil, une nouvelle fois, a cédé à la pression des lobbies – MEDEF, FBF et autres – qui profitent de l’instabilité actuelle pour imposer leur agenda de dérégulation. Les intérêts privés prennent le pas sur les droits fondamentaux et l’avenir de la planète. 

    Au-delà de ses impacts environnementaux et sociaux, la séquence s’inscrit dans un contexte où l’extrême droite gagne du terrain en Europe et se félicite ouvertement de cette offensive contre le Pacte vert. 

    Nos organisations dénoncent également le silence délibéré des dirigeant·e·s français·es face à l’opinion de la grande majorité des citoyen·ne·s et aux demandes des organisations de la société civile. Ni Emmanuel Macron, ni François Bayrou n’ont accepté de dialoguer à ce sujet avec la société civile.

    Face à ce panorama funeste, nos organisations appellent le Parlement européen, et tous les acteurs de la société ayant pris position contre l’Omnibus I, à s’unir pour combattre cette approche réactionnaire. 

    Contacts presse :

    Amis de la Terre France : Marcellin Jehl, Juriste et chargé de plaidoyer, marcellin.jehl@amisdelaterre.org

    CCFD-Terre Solidaire : Sophie Rebours, Responsable relations médias, s.rebours@ccfd-terresolidaire.org 

    Notre Affaire à Tous : Justine Ripoll, Responsable de campagnes, justine.ripoll@notreaffaireatous.org

    Oxfam France : Stanislas Hannoun, Responsable Justice fiscale et inégalités, shannoun@oxfamfrance.org

    Reclaim Finance : Olivier Guérin, Chargé de plaidoyer réglementation européenne, olivier@reclaimfinance.org

  • Accès à l’eau potable dans les Outre-Mer : Nous interpellons les autorités françaises ainsi que les Nations Unies sur cette grave discrimination environnementale

    Accès à l’eau potable dans les Outre-Mer : Nous interpellons les autorités françaises ainsi que les Nations Unies sur cette grave discrimination environnementale

    Traduction disponible en shimaoré (oral) en bas de page.

    Communiqué de presse, 23 juin 2025 – Les difficultés d’accès à une eau potable dans les territoires dits d’Outre-mer représentent une crise majeure, aux conséquences quotidiennes dramatiques et croissantes sur les droits humains des adultes et enfants qui y vivent. Face à cette situation alarmante, associations locales et nationales publient aujourd’hui un rapport collectif et alertent les autorités ainsi que les Nations Unies sur cette grave discrimination environnementale.

    Dans ce contexte, nous avons établi un état des lieux accablant, qui a vocation à mettre en lumière le ressort de la discrimination environnementale qui cible les territoires dits d’Outre-mer par rapport au territoire hexagonal. Les constats que nous y faisons, autour des problématiques d’accès à l’eau potable et des violations des droits fondamentaux qui en résultent, sont d’une gravité telle que nous transmettons également ce rapport au Rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit à l’eau potable. Il est important que la France soit amenée à répondre de ce scandale devant les Nations-Unies. 

    Le rapport en quelques mots :

    – Le droit international, comme le droit européen et français, reconnaît le droit humain à l’eau potable, tout comme la nécessité de – prendre en compte les difficultés particulières qui pourraient concerner certaines populations, notamment en fonction de leur lieu de vie ou de leurs revenus. Pourtant, le cadre juridique encadrant le droit à l’eau potable en France ne permet pas une telle prise en compte des réalités des territoires dits d’Outre-mer.
    – Cela emporte des conséquences extrêmement fortes dans les territoires dits d’Outre-mer, de plusieurs ordres et de différents degrés selon les territoires, mais qui concernent notamment : des difficultés techniques et infrastructurelles engendrant des coupures d’eau régulières ; des pollutions très fortes qui impactent la potabilité de l’eau ; une tarification par endroits extrêmement élevée, à mettre en regard avec le service défaillant et les difficultés économiques des territoires dits d’Outre-mer.
    Ces difficultés impactent fortement les différents droits fondamentaux – à la santé, à la vie privée et familiale, à la dignité humaine, mais aussi au logement décent ou au travail – des habitant·es dits ultramarin·es de façon générale, et des enfants encore plus intensément.
    – Ces difficultés sont de plus amenées à s’intensifier avec le changement climatique.

    Dans les Antilles, les enfants perdent 20% de jours d’école à cause du manque d’eau selon l’UNICEF. En Guyane, dans l’Ouest du pays, l’accès à l’eau n’est pas garanti, affectant disproportionnellement les populations précaires et vulnérables de cette zone enclavée. Pendant la sécheresse qui a frappé Mayotte en 2023, les Mahorais·es n’avaient accès à de l’eau au robinet qu’environ 8h tous les trois jours, et un mois après Chido, une mission parlementaire a constaté la pénurie d’eau potable affectant toute l’île. Les Guadeloupéen·nes paient l’eau la plus chère de France bien qu’elle soit régulièrement impropre à la consommation, polluée et que sa distribution soit sujette à des coupures quotidiennes qui peuvent durer plus d’un mois.

    Ces difficultés, si elles représentent un défi technique, ne sont pas une fatalité ou une coïncidence qui toucherait par hasard les territoires dits d’Outre-mer : ces situations réunissent tous les éléments constitutifs d’une discrimination environnementale indirecte résultant de l’inaction de l’État. Il est urgent que la situation des territoires dits d’Outre-mer soit comprise pour ce qu’elle est – une discrimination environnementale – pour que les actions mises en place soient suffisamment dimensionnées et aient enfin un impact positif sur le quotidien des habitant·es.

    Collectivement, nous formulons plusieurs demandes sans lesquelles il n’est pas possible d’espérer une amélioration. Elles concernent :  

    • La reconnaissance de la situation pour ce qu’elle est – une discrimination environnementale territoriale.
    • Un augmentation forte des crédits alloués par l’État, à la hauteur minimale des besoins précisément évalués pour assurer à ces territoires un accès normal à l’eau potable.
    • Une responsabilisation des acteurs impliqués et une intégration réelle des populations à la construction des politiques publiques.
    • Une construction holistique des politiques publiques déployées dans les territoires dits d’Outre-mer autour de ces objectifs de justice environnementale.

    Le sujet doit être traité proportionnellement à son ampleur : près de 3 millions de personnes en France subissent de graves problématiques pour accéder à un service public vital, l’eau potable. Ce n’est pas un problème local, c’est un sujet qui met à mal notre conception même d’égalité nationale.

    Collectifs et associations signataires, dans l’ordre alphabétique : l’ASSAUPAMAR (Martinique), le Collectif des luttes sociales et environnementales, Guyane Nature Environnement, Kimbé Rèd F.W.I. (Antilles), Lyannaj pou dépolyé Matinik, Mayotte a soif, Mayotte Nature Environnement, Notre Affaire à Tous, l’association VIVRE (Guadeloupe).

    Pour en savoir plus, retrouvez le rapport collectif faisant l’état des lieux des problématiques d’accès à l’eau dans les territoires dits d’Outre-mer et explicitant le ressort de la discrimination et les impacts sur les droits humains :

    Quelques citations :

    « Depuis 2021, suite au plaidoyer de Kimbé Rèd FWI, l’ONU a interpellé la France à de nombreuses reprises sur la crise de l’eau en Guadeloupe et la pollution au chlordécone aux Antilles, révélant des défis communs à la plupart des “Outre-mer”. Le présent rapport, fruit d’un précieux travail collectif coordonné par Notre Affaire à Tous, confirme une discrimination systémique, appelant des politiques nationales et des solutions locales adaptées. » – Sabrina Cajoly, fondatrice de Kimbé Rèd FWI.

    « Les informations que nous avons réunies démontrent de manière dramatique à quel point les territoires dits d’Outre-mer ne sont pas traités comme le reste du territoire français. Nulle part ailleurs en France on n’accepterait une telle situation. On parle ici d’accéder à de l’eau potable, la première condition de toute vie humaine, en 2025. » – Jérémie Suissa, délégué général de Notre Affaire à Tous. 

    « Pendant deux années consécutives, 2023 et 2024, nous n’avons pas été capables d’assurer l’accès à l’eau potable à l’intégralité des citoyens guyanais sur une période de l’année notamment du fait des conséquences du réchauffement climatique. Cette situation ne saurait durer davantage et il est urgent d’apporter des solutions car il s’agit d’un droit fondamental. » – Nolwenn Rocca, coordinateur de Guyane Nature Environnement.

    « Alors que le changement climatique intensifie les sécheresses, les territoires ultramarins sont en première ligne face au manque d’eau potable. Les réponses apportées doivent être à la hauteur des réalités propres à chaque territoire. » – Léna Lessard, juriste de Mayotte Nature Environnement.

    Contact presse

    Emma Feyeux, Notre Affaire à Tous : emma.feyeux@notreaffaireatous.org


    Écoutez le communiqué de presse en shimaoré, grâce à la traduction de Soidanti COMBO.

  • Associations et syndicats disent non à la vague de dérégulation environnementale et sociale

    Communiqué de presse, Paris, le 17 juin 2025 – Une vingtaine d’associations et syndicats ont mené aujourd’hui une action place de Breteuil à Paris pour dénoncer la vague de dérégulation environnementale et sociale en cours en Europe, notamment via la directive « Omnibus I » actuellement en négociation au niveau du Conseil de l’UE et du Parlement européen. Ils alertent sur la position du gouvernement français et exigent que la voix de la société civile et l’avis des Français·es soient entendus.

    © Basile Barjon / Les Amis de la Terre France

    À l’image des politiques brutales du président américain Donald Trump, la Commission européenne attaque les obligations des entreprises en matière de respect des droits humains, du climat et de l’environnement, avec sa proposition de directive « Omnibus I ». Présentée en février 2025, elle propose de revenir sur des directives phares adoptées récemment sur le devoir de vigilance des entreprises (CSDDD) et sur la publication d’informations en matière de durabilité des entreprises (CSRD).

    Face au silence opposé à leurs demandes de rendez-vous auprès de l’Elysée et de Matignon (1), une large coalition d’organisations a dénoncé aujourd’hui un scandale démocratique européen et français aux conséquences catastrophiques, à travers une mise en scène satirique de
    manifestant·e·s pro-dérégulation demandant par exemple le rétablissement du travail forcé et de la déforestation, tandis qu’une parodie d’Emmanuel Macron inaugurait la « Place de la simplification ».

    La France avait pourtant été pionnière en 2017 en adoptant sa loi sur le devoir de vigilance, saluée comme une avancée historique pour les droits humains et l’environnement. Cependant, la France retourne sa veste et tourne le dos à la société civile, aux victimes de violations de droits humains et à une partie des acteurs économiques français, en s’alignant avec les lobbys.

    Reprenant les demandes de l’extrême droite souhaitant démanteler les avancées sociales et environnementales européennes, Emmanuel Macron annonçait le 19 mai, lors du sommet Choose France, vouloir aller plus loin encore que la directive « Omnibus I » et supprimer définitivement la CSDDD (2).

    Ce revirement s’inscrit dans un élan inquiétant en France, où les normes sociales et environnementales sont attaquées sous couvert de « simplification » (3). Le gouvernement s’enfonce ainsi dans une tendance qui va à l’encontre des préoccupations des Français·es qui, sondé·e·s par OpinionWay pour Reclaim Finance et le Forum citoyen pour la justice économique début juin 2025, se sont prononcé·e·s à plus de 80 % en faveur de l’obligation pour les multinationales de respecter le climat et les droits humains, y compris parmi les sympathisant·e·s de la majorité présidentielle et LR.

    Au niveau européen, la directive « Omnibus I » est une des premières pierres posées sur la voie d’une dérégulation massive risquant de balayer les avancées du Pacte Vert (4). Les associations s’alarment d’autant plus qu’une enquête a été ouverte par la médiatrice de l’Union européenne suite à une plainte de 8 associations, condamnant le caractère non démocratique, opaque et précipité du processus de l’« Omnibus I ». La médiatrice donnera ses conclusions le 18 juin 2025.

    La Commission européenne et le gouvernement français nous emmènent donc sur une voie où tout le monde perdra : les populations du Sud global, les peuples autochtones, les travailleur·euse·s ici et là-bas, les syndicats, les citoyen·ne·s européen·ne·s, les femmes et les minorités de genre, l’environnement et le climat, les finances publiques, et les entreprises elles-mêmes.

    Le Conseil de l’UE finalise actuellement sa position et le Parlement européen démarre l’examen du texte. Il n’est pas trop tard pour que nos organisations soient entendues et pour faire cesser ces attaques contre les droits humains, l’environnement et le climat.

    Nous demandons notamment de :

    • Maintenir l’obligation de devoir de vigilance au-delà des partenaires directs des entreprises pour couvrir toute leur chaîne de valeur ;
    • Conserver la consultation de toutes les parties prenantes et veiller à ce que leur engagement soit central tout au long du processus du devoir de vigilance ;
    • Conserver la possibilité d’engager la responsabilité civile d’une entreprise en cas de manquement aux obligations prévues par la directive ;
    • Conserver l’obligation pour les entreprises de mettre en oeuvre leurs plans de transition climatique ;
    • De soutenir l’inclusion à terme des services financiers dans le devoir de vigilance européen.

    Les détails de nos recommandations sont à consulter ici

    Contact presse

    Justine Ripoll, responsable de campagnes : justine.ripoll@notreaffaireatous.org

    Notes

    (1) Certaines de nos organisations ont envoyé des courriers au Président et au Premier ministre en janvier et en avril 2025, mais n’ont pas reçu de réponse à ce jour, malgré de très nombreuses relances.

    (2) Nos organisations ont condamné l’annonce du Président Emmanuel Macron le 20 mai 2025 dans un communiqué de presse commun.

    (3) Notamment récemment à travers le projet de loi de simplification de la vie économique voté ce mardi 17 juin à l’Assemblée nationale et la proposition de loi visant à lever les contraintes du métier d’agriculteur.

    (4) Notamment le report du règlement contre la déforestation, la révision de la politique agroalimentaire, la révision du règlement concernant l’enregistrement, l’évaluation et l’autorisation des substances chimiques, etc.

  • Justice Pour Le Vivant – Nouvelle victoire : une étape de plus vers une décision historique pour la biodiversité ! 

    Communiqué de presse, Paris, le 06/06/2025 – Ce vendredi 6 juin marque un tournant dans le dossier Justice pour le Vivant (JPLV), porté par les associations Notre Affaire à Tous, POLLINIS, Biodiversité sous nos pieds, ANPER-TOS et l’ASPAS depuis 2022 : la rapporteure publique a demandé aux juges de condamner l’Etat pour sa responsabilité dans l’effondrement de la biodiversité, et point historique, recommande d’ordonner à l’Etat d’actualiser les protocoles d’évaluation des pesticides jugés défaillants.

    Crédit photo : Philippe Besnard

    Deux ans après la première condamnation de l’Etat, le 29 juin 2023, pour sa responsabilité dans la contamination massive des écosystèmes par les pesticides, la cour administrative d’appel de Paris pourrait reconnaître à nouveau l’existence du préjudice écologique que l’Etat doit réparer. 

    La rapporteure publique recommande “qu’il soit enjoint à l’Etat de mettre en œuvre une évaluation des risques sur les espèces non-cibles dans le cadre de la procédure d’autorisation de mise sur le marché (AMM)” des pesticides. Elle demande même qu’il soit procédé à l’examen des AMM problématiques actuellement en vigueur. 

    Concrètement la rapporteure reconnaît des failles dans la procédure d’évaluation et d’autorisation de mise sur le marché conduite par l’ANSES (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) sous la responsabilité de l’Etat. Reconnaissant un lien de causalité direct entre les insuffisances de l’évaluation des risques et le déclin de la biodiversité, elle considère qu’il est établi qu’une actualisation des procédures à l’aune des connaissances scientifiques les plus récentes permettrait de réduire les impacts sur l’environnement des pesticides. 

    La rapporteure refuse cependant de reconnaître le caractère contraignant des objectifs de réduction des pesticides des plans Ecophyto admettant ainsi ce que dénoncent les associations depuis longtemps : ils  relèvent davantage de la communication politique que d’une stratégie environnementale sérieuse.

    Plus inquiétant néanmoins, à rebours de la décision du tribunal administratif en 2023, la rapporteure refuse de reconnaître une faute dans l’obligation de l’Etat de protection des eaux. Les avocats des associations ont ainsi rappelé dans leurs plaidoiries que la Commission européenne (1) établit elle-même que la France ne pourra pas tenir ses objectifs de protection des eaux souterraines d’ici 2027 conformément à la Directive cadre sur l’eau. 

    A noter que contrairement à l’audience de première instance tenue il y a deux ans, le gouvernement, représenté par le Ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation s’est déplacé, sans toutefois daigner plaider son cas. Laissant une nouvelle fois Phytéis le défendre, au cours d’une plaidoirie fondée sur une stratégie du doute.

    Dans un contexte d’attaques constantes contre l’environnement, comme en témoigne notamment la proposition de loi Duplomb actuellement débattue au Parlement – qui vise entre autres à réintroduire les néonicotinoïdes et à affaiblir l’indépendance de l’ANSES – ces conclusions pourraient amener à une nouvelle décision historique et mettre un coup d’arrêt à la politique mortifère du gouvernement en la matière. 

    Nous nous dirigeons vers une victoire historique pour la biodiversité et l’ensemble du vivant ! Une décision qui pourrait tout changer : dans les pratiques agricoles, les politiques publiques, et la façon dont l’Etat considère enfin la santé et l’environnement. Elle est le fruit d’un combat de longue haleine, porté par des scientifiques, des associations, des citoyens et citoyennes mobilisé·es partout en France — une véritable victoire collective qui s’inscrit dans un large mouvement militant.”, se félicitent les associations.  

    La décision de la cour administrative d’appel sera rendue publique avant mi-juillet. 

    Note

    (1)  https://eur-lex.europa.eu/legal-content/EN/TXT/?uri=SWD%3A2025%3A15%3AFIN&qid=1738746144581

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