Communiqué de presse – Mercredi 30 avril 2025, le premier colloque sur les droits de la Nature s’est tenu à l’Assemblée nationale et a accueilli près de 250 personnes. Organisé à l’initiative du député Charles Fournier, sous le haut patronage de la présidente de l’Assemblée nationale Yaël Braun-Pivet, cet événement a marqué une étape importante dans le débat démocratique autour de la reconnaissance de droits à des entités naturelles.
Des collectifs venus de Corse, du bassin ligérien, du fleuve Lez, des juristes, des élus, des voix venues de Pologne, d’Allemagne et d’Espagne ont pris la parole et montré qu’un cheminement vers la reconnaissance juridique de la nature est en cours grâce aux territoires qui se mobilisent.
Cet événement s’est conclu par trois actions majeures visant à tracer un chemin concret vers une reconnaissance des droits de la nature dans la législation française :
La remise officielle de propositions citoyennes de “lois à venir” aux députés Charles Fournier, Lisa Belluco et Chantal Jourdan. Ces propositions de lois ont été rédigées sous la direction de Camille de Toledo avec les contributions du Conseil des témoins et des chercheurs et chercheuses associés au projet Vers une internationale des rivières. Ces propositions de lois citoyennes vont à présent être étudiées par les députés et serviront à des discussions parlementaires au cours des mois à venir.
Une demande formelle de création d’une mission d’information parlementaire, afin d’examiner les conditions d’intégration des droits de la Nature dans le droit français.
L’annonce de la création d’un Cercle des juristes sur les droits de la Nature, initié par Marine Yzquierdo, regroupant universitaires, chercheurs, avocats et juristes d’ONG. Ce think tank de juristes à pour objet de réfléchir aux modalités juridiques concrètes de reconnaissance des droits de la Nature et d’instaurer un dialogue avec la société civile et les pouvoirs publics.
Ce colloque témoigne d’une volonté partagée, citoyenne et politique, de dessiner un “scénario de bifurcation” avec les droits de la nature, pour faire évoluer notre cadre juridique afin de mieux prendre en compte les enjeux écologiques du XXIe siècle.
Après des années de blocages procéduraux, les débats sur le fond contre le géant de la grande distribution Casino peuvent enfin débuter. Une excellente nouvelle pour la coalition, qui pourra désormais s’atteler à parler des sujets principaux de cette affaire : le respect des droits humains et la lutte contre la déforestation. A cette occasion, l’Instituto Centro de Vida (ICV) dévoile les résultats d’une nouvelle étude, la première à estimer l’ampleur de la déforestation du groupe Casino au Brésil entre 2018 et 2023. Pendant ces six années, ce sont jusqu’à 526 459 hectares d’écosystèmes qui auraient été détruits en lien avec la viande bovine vendue par le groupe français.
L’Institut Centro de Vida
Fondé en 1991, l’Instituto Centro de Vida (ICV) est une organisation de la société civile brésilienne avec une grande expérience dans l’étude des impacts socio-environnementaux des chaînes d’approvisionnement en viande bovine et en soja. Fort de leur solide expertise technique, l’ICV a souhaité soutenir le travail des 11 organisations de la coalition en estimant la superficie de la déforestation liée à la quantité de viande bovine vendue par le groupe Casino au Brésil. Ce travail minutieux est d’autant plus essentiel que les informations sur l’approvisionnement en viande bovine des distributeurs sont souvent insuffisantes et manquent de transparence.
Le rapport
Pour la première fois, grâce à ce nouveau rapport, nous disposons d’une estimation totale de la superficie des écosystèmes naturels détruits en lien avec les activités du groupe Casino au Brésil entre 2018 et 2023. L’ICV estime ainsi, dans son rapport, que jusqu’à 526 459 hectares d’écosystèmes naturels ont été perdus sur cette période, du fait des volumes de viande de bœuf vendus par le groupe.
Cette période d’analyse couvre les six années pendant lesquelles le groupe Casino était tenu de respecter la loi sur au devoir de vigilance concernant les activités de ses filiales Grupo Pão de Açúcar (GPA) et Assaí. Cette étude constitue un élément clé pour la coalition permettant d’évaluer l’étendue de l’impact de Casino et le montant des réparations demandées par les organisations brésiliennes et colombiennes.
La méthodologie
Pour élaborer cette étude, l’ICV s’est appuyé sur l’analyse de méthodologies précédemment utilisées pour estimer la responsabilité de la grande distribution dans la déforestation. Parmi ces méthodologies figure celle publiée par Envol Vert en 2020 dans son rapport Casino, (éco)responsable de la déforestation, qui a servi de base à notre assignation en justice. Ce nouveau travail confirme les ordres de grandeur qui avaient déjà été estimés.
Cette méthodologie est dite conservatrice, puisque la déforestation est uniquement prise en compte d’une année sur l’autre, sans effet de cumul. Ainsi, d’autres choix méthodologiques auraient pu aboutir à des estimations bien plus importantes.
Pour parfaire son travail, l’ICV a également présenté sa méthodologie de calcul à un groupe de six experts. Sélectionnés en raison de leurs expériences sur la durabilité et la traçabilité au sein des chaînes d’approvisionnement en viande bovine, leurs recommandations ont permis d’affiner la méthode de calcul proposée.
Le manque de transparence
Ce travail d’estimation par la société civile est nécessaire face au manque de transparence des acteurs de la filière bovine. Face au problème de la déforestation qui est systémique et repose sur des chaînes d’approvisionnement complexes, nous considérons qu’il est de la responsabilité des grands acteurs, dont les distributeurs et le groupe Casino, de mettre en œuvre les moyens nécessaires pour l’endiguer. C’est pourquoi une analyse globale de l’empreinte déforestation du groupe Casino, au regard des volumes de viande bovine vendus dans ses magasins, nous apparaît indispensable.
Tableau avec résultats finaux
Les estimations des destructions d’écosystèmes – forêts, savanes et autres types de végétation – résultant des approvisionnements en viande bovine du groupe Casino entre 2018 et 2023 sont résumées dans le tableau ci-dessous. Il distingue ces destructions selon différents biomes, et est disponible en page 28 du rapport réalisé par l’Instituto Centro de Vida.
Communiqué de presse – Une coalition de huit ONG a déposé aujourd’hui une plainte formelle auprès de la Médiatrice européenne, condamnant le caractère non démocratique, opaque et précipité du processus par lequel la Commission européenne a élaboré la proposition Omnibus.
La proposition Omnibus cherche à édulcorer de manière significative les lois européennes clés sur le développement durable qui ont été récemment adoptées, y compris la Directive sur les rapports d’entreprise sur le développement durable (CSRD), la Directive sur le devoir de diligence en matière de développement durable (CSDDD) et le Règlement de l’UE sur la taxonomie.
Les ONG déplorent que le processus menant à cette proposition ait été profondément défectueux, permettant à un petit groupe d’intérêts industriels de prendre le contrôle et de faire pression pour la déréglementation de lois clés sur le développement durable.
ClientEarth, Anti-Slavery International, Clean Clothes Campaign, European Coalition for Corporate Justice, Friends of the Earth Europe, Global Witness, Notre Affaire À Tous et Tranport & Environnement déclarent :
« Nous contestons le démantèlement précipité par la Commission de trois piliers clés du Green Deal – y compris des lois destinées à améliorer les impacts environnementaux et humains du commerce mondial – un processus qui ignore complètement les droits humains et de la nature.”
« La proposition Omnibus a été élaborée sans aucune consultation publique, en écartant la société civile, en l’absence de preuves ou d’évaluations de l’impact environnemental et social, et en se concentrant principalement sur les intérêts étroits de l’industrie. Cette décision irréfléchie n’affaiblit pas seulement les règles de durabilité, mais nuit également à la confiance du public dans les fondements démocratiques de l’UE ».
Plus précisément, les ONG accusent la Commission :
De ne pas avoir correctement rassemblé de preuves en soutien de sa proposition ni évalué les impacts environnementaux et sociaux de la modification de ces lois conçues pour protéger les citoyens dans l’UE et au-delà;
De ne pas avoir évalué si sa proposition s’aligne sur l’objectif de neutralité climatique de l’UE – en violation de ses obligations en vertu de la loi européenne sur le climat.
En plus d’être en contradiction avec les valeurs démocratiques fondamentales et les objectifs environnementaux de l’UE, les ONG avertissent que l’Omnibus pourrait également compromettre la stabilité économique de l’UE et les objectifs de compétitivité qu’il est censé contribuer à atteindre.
« Cette soi-disant simplification n’améliore en rien la compétitivité, la Commission européenne ignore à la fois les preuves et la science”, ajoute la coalition.
« Des lois fortes sur le développement durable, telles que la CSRD et la CSDDD, sont essentielles à l’avantage concurrentiel de l’UE sur un marché mondial où les consommateurs et les investisseurs exigent de plus en plus des actions responsables de la part des entreprises. Nous avons constaté à maintes reprises que les vagues promesses des entreprises n’entraînent pas le changement dont nous avons besoin. L’affaiblissement des exigences en matière d’environnement et de droits humains est un pas dans la mauvaise direction.”
Les ONG appellent le Parlement européen et le Conseil à rejeter la proposition Omnibus.
Au cours des derniers mois, les ONG, les syndicats et les entreprises se sont activement opposés à la proposition « Omnibus » de la Commission européenne. Plusieurs entreprises ont demandé à la Commission de maintenir les règles actuelles en place. Les entreprises ont décrit l’investissement et la compétitivité comme étant « fondés sur la certitude politique et la prévisibilité juridique ».
En février 2025, les juristes de ClientEarth ont critiqué la proposition qui affaiblit considérablement la responsabilité des entreprises en limitant la diligence raisonnable aux partenaires commerciaux directs et en diluant les obligations relatives aux plans de transition climatique. La proposition a également été critiquée pour l’affaiblissement des mesures prises par les entreprises pour lutter contre l’esclavage moderne dans les chaînes d’approvisionnement mondiales. En réponse à la proposition Omnibus, plus de 362 organisations de la société civile ont envoyé une déclaration commune exhortant le Parlement européen et le Conseil à rejeter les amendements proposés, soulignant qu’ils affaiblissent les engagements en matière de responsabilité des entreprises et réduisent les garanties en matière de droits humains et de protection de l’environnement. Malgré ces inquiétudes, la Commission a poursuivi sa proposition, qui est actuellement examinée par le Parlement européen et le Conseil. En mars, le Conseil a accepté la proposition de retarder la mise en œuvre de la CSDDD, et le 3 avril 2025, le Parlement européen a fait de même, accordant aux législateurs un délai supplémentaire pour renégocier le texte.
Nos associations et syndicats, membres du Forum citoyen pour la justice économique (FCJE), plaident depuis de nombreuses années pour l’adoption de législations ambitieuses pour responsabiliser les acteurs économiques, et pour mettre fin aux atteintes aux droits humains et à l’environnement commises dans les chaînes de valeur des entreprises multinationales.
La France a été pionnière en la matière avec l’adoption en 2017 de la loi sur le devoir de vigilance des sociétés-mères et entreprises donneuses d’ordre. Ce mouvement a permis l’adoption récente de la directive européenne sur le devoir de vigilance en matière de durabilité du 13 juin 2024 (Corporate Sustainability Due Diligence Directive, ou CSDDD, en anglais), qui impose aux grandes entreprises qui opèrent en Europe de prévenir et de mettre fin aux atteintes aux droits humains et à l’environnement qui résultent de leurs activités dans le monde entier.
Cependant, avant même que cette dernière ait été transposée en droit interne, la Commission européenne propose de la modifier au travers d’une législation dite « Omnibus I » qui, sous couvert de simplification, remet en question des principes clés du devoir de vigilance. Cette proposition s’inscrit dans un contexte de dérégulation massive, risquant de favoriser le dumping social et environnemental.
Nos organisations appellent le gouvernement français et les eurodéputé·es à s’opposer à ce retour en arrière et à préserver l’ambition du devoir de vigilance européen. Ce dernier est aujourd’hui plus nécessaire que jamais, dans un contexte de réduction de l’espace civique et d’attaques aux droits fondamentaux et à l’environnement.
L’article 8 de la CSDDD impose aux entreprises concernées de prendre des mesures appropriées pour identifier les atteintes potentielles et réelles aux droits humains et à l’environnement qui résultent de leurs activités, des activités de leurs filiales, et des activités de certains partenaires commerciaux dans leur chaîne d’activités. Il suit une approche dite « fondée sur les risques » : les entreprises doivent identifier les domaines où les risques sont les plus susceptibles de se produire ou d’être les plus graves, et évaluer les activités de leurs filiales et partenaires commerciaux à cette aune.
C’est sur le fondement de cette identification que les entreprises sont, ensuite, tenues de prendre des mesures adaptées pour prévenir ou faire cesser ces atteintes, en vertu des articles 10 et 11.
Les changements proposés par l’Omnibus
D’abord, la proposition Omnibus limite cette évaluation aux partenaires directs de l’entreprise, en prévoyant deux exceptions : (i) si l’entreprise dispose d’informations « plausibles » quant à des atteintes survenant au niveau d’un partenaire indirect ou (ii) si la nature indirecte de la relation résulte d’un arrangement artificiel.
Ensuite, à l’heure de choisir un partenaire direct, elle maintient l’obligation pour l’entreprise de prendre en considération « toute information disponible » concernant ses partenaires indirects, ainsi que l’obligation de s’assurer que ses partenaires directs prévoient certaines exigences dans leurs contrats avec leurs propres partenaires commerciaux.
Enfin, la proposition Omnibus vient étendre la clause d’harmonisation maximale prévue à l’article 4 à cet article relatif à l’identification des atteintes.
Pourquoi c’est problématique ?
Ces modifications – visiblement inspirées par la législation allemande – complexifient l’exercice d’identification des risques. Elles restreignent le périmètre du devoir de vigilance des entreprises : au lieu de concentrer leurs efforts là où les risques sont les plus importants, l’Omnibus leur imposerait d’évaluer uniquement les activités de leurs partenaires directs, sauf information « plausible » autre.
Elles auraient pour effet :
d’ignorer, dans la mise en place des mesures de vigilance, les violations les plus graves et les plus fréquentes aux droits humains et à l’environnement, qui ont souvent lieu plus loin dans la chaîne d’approvisionnement (voir exemple des batteries ci-contre) ;
de remplacer une obligation d’identification proactive des risques, pesant sur chaque entreprise, à une obligation à géométrie variable soumise au concept flou d’ « information plausible » et à l’aléa des enquêtes des médias ou de la société civile ;
d’inciter les entreprises à ne pas évaluer leur chaîne de valeur, de peur de disposer d’informations plausibles qui les obligeraient à mettre en place des mesures appropriées pour prévenir ces risques et mettre fin aux atteintes ;
d’interdire – du fait de la clause d’harmonisation maximale étendue – aux États membres de se mettre en conformité avec les Principes directeurs des Nations Unies et des Lignes directrices de l’OCDE, qui prévoient une approche pragmatique fondée sur les risques sur toute la chaîne de valeur. De nombreux acteurs économiques indiquent eux-mêmes utiliser cette approche depuis plus d’une décennie.
de rendre la directive inefficace, en permettant par exemple aux entreprises de s’approvisionner indirectement auprès d’entreprises qui ne respectent pas les droits des travailleurs, notamment ceux définis par les conventions de l’OIT
Chaînes d’approvisionnement complexes et violations des droits humains : l’exemple des batteries
Plusieurs enquêtes menées par Amnesty International ont démontré que l’extraction de métaux qui se retrouvent dans les batteries lithium-ion des véhicules électriques ou les unités de stockage d’énergie renouvelable d’entreprises opérant sur le marché européen portent atteinte aux droits des communautés locales et des peuples autochtones.
Ainsi, dans les provinces de Zambales et Palawan aux Philippines, la déforestation et les dommages environnementaux liés aux activités d’extraction du nickel portent atteinte aux droits des populations autochtones et des communautés rurales à un environnement propre, sain et durable, à l’eau et à la santé et met en danger leurs moyens de subsistance.
L’expansion de projets miniers industriels d’extraction de cuivre et de cobalt autour de la ville de Kolwezi en RDC a causé des expulsions forcées de communautés et de familles de leurs maisons et de leurs terres agricoles.
L’exploitation du cobalt à Bou Azzer au Maroc a conduit à la répression des travailleurs et à des pollutions importantes mettant en péril leur santé et celles des populations de la région.
Nos recommandations
L’approche fondée sur les risques prévue par la directive pour l’identification des atteintes doit être maintenue, et l’harmonisation maximale prévue par l’article 4 de la directive – en soi déjà problématique – ne doit pas être étendue.
La consultation des parties prenantes
L’article 13 de la CSDDD oblige les entreprises à consulter leurs parties prenantes, définies à l’article 3.1(n), à différentes étapes du devoir de vigilance. Cette obligation est essentielle pour que les mesures adoptées et mises en œuvre soient réellement appropriées : en l’absence d’association des parties prenantes, ces mesures sont vouées à être superficielles, déconnectées des risques liés aux activités de l’entreprise et, surtout, inadaptées pour prévenir et faire cesser effectivement les violations.
Les changements proposés par l’Omnibus
L’Omnibus propose de restreindre la définition des parties prenantes, en excluant notamment les associations de défense de l’environnement, les entités dont les intérêts pourraient être affectés (ce qui pouvait potentiellement comprendre les associations de défense des droits humains), les institutions nationales de défense des droits humains ou de l’environnement, et les consommateurs. Seuls seraient concernés les syndicats, les personnes et communautés directement affectées par les activités de l’entreprise, ou leurs représentants.
De plus, les entreprises ne seraient tenues que de consulter les parties prenantes «pertinentes», sans que cette notion soit définie.
Par ailleurs, les entreprises ne seraient plus tenues de consulter les parties prenantes à l’heure de décider de suspendre ou de mettre fin à une relation commerciale au titre du désengagement responsable prévu par les articles 10 et 11 de la CSDDD ou d’élaborer des indicateurs de suivi pour s’assurer de l’efficacité des mesures de vigilance au titre de son article 15.
Pourquoi c’est problématique ?
La définition des parties prenantes retenue par l’OCDE comprend à la fois les détenteurs de droits directement affectés ou susceptibles de l’être, et les parties prenantes dites concernées (ONG, INDH, organisations communautaires, etc.).
Restreindre la définition des parties prenantes pourrait avoir pour effet :
d’exclure de la consultation les intérêts de personnes, de peuples ou de communautés qui, du fait de leur vulnérabilité, de leur manque de ressources ou des risques de représailles auxquels ils sont exposés, ne sont pas en mesure de participer directement à des consultations avec l’entreprise. Ce peut être le cas, par exemple, de travailleur·ses dans des pays où la liberté syndicale est faible ou inexistante du fait de l’absence d’organisations syndicales indépendantes, de travailleur·se·s migrant·e·s, ou de personnes ou communautés affectées dans les zones de conflits, qui ne peuvent souvent pas s’engager en toute sécurité sans l’appui d’organisations de la société civile et des institutions de droits humains.
d’exclure de l’objet de la consultation les dommages environnementaux ou les dommages sur la santé qui s’étendent sur des années et dont les impacts cumulatifs et les préjudices à long terme sont surveillés principalement par les associations locales ou internationales ;
d’exclure des organisations qui, du fait de leur indépendance, de leur expertise et/ou de leur représentativité, sont des interlocuteurs légitimes et utiles pour l’identification des risques et l’élaboration des mesures de vigilance adaptées ;
du fait de ces lacunes, de ne pas identifier, prévenir ou répondre à des risques importants, ce qui est de nature à accroître les risques contentieux.
Par ailleurs, la consultation des parties prenantes est une partie essentielle du mécanisme dit de « désengagement responsable » auquel renvoient les articles 10 et 11 de la CSDDD. Avant de suspendre ou de mettre fin à une relation commerciale, ces articles exigent en effet que l’entreprise évalue « si l’on peut raisonnablement s’attendre à ce que les incidences négatives de cette action soient manifestement plus graves que l’incidence négative qu’il n’a pas été possible de prévenir ou qui n’a pas pu être atténuée de manière adéquate ». Comme le montrent les études sur le désengagement dans le secteur du charbon, ou sur l’effet sur les travailleurs de la pandémie de Covid-19, cette évaluation ne peut avoir lieu sans consulter les parties prenantes affectées par ces décisions.
En restreignant la définition des parties prenantes, l’Omnibus compromet ainsi l’efficacité du processus d’engagement, sans aucun avantage en termes de simplification pour les entreprises.
Nos recommandations
Il est nécessaire de maintenir une définition large des parties prenantes, incluant les ONG, les organisations communautaires, et les institutions nationales des droits de l’homme, et de veiller à ce que l’engagement des parties prenantes soit central tout au long du processus du devoir de vigilance. La définition et le rôle des parties prenantes tels que prévus dans la CSDDD doivent donc être rétablis.
La responsabilité civile
L’article 29.1 de la CSDDD oblige les États membres à prévoir dans leur droit national que la responsabilité civile des entreprises puisse être engagée, dans certaines conditions, en cas de dommages causés à des personnes physiques ou morales du fait d’un manquement aux obligations prévues par les articles 10 et 11. Plusieurs dispositions sont également prévues pour répondre aux différents obstacles auxquels les demandeurs font face (délais de prescription, absence d’actions en représentation, coûts de la procédure, accès à la preuve, etc.).
Enfin, l’article 29.7 précise que les dispositions transposant cet article devront s’appliquer de manière impérative dans les cas où les règles de conflit de lois auraient autrement désigné la loi d’un État tiers à l’Union européenne.
Les changements proposés par l’Omnibus
Le texte de l’Omnibus propose de supprimer l’article 29.1 de la CSDDD. Ces modifications sont cependant ambiguës : d’un côté, les nouvelles dispositions semblent suggérer que l’obligation pour les États membres de permettre l’accès à la réparation intégrale pour les victimes demeure, faisant cependant dépendre les modalités de ce régime de réparation du droit national ; d’un autre côté, l’obligation de prévoir un régime de responsabilité civile en droit national n’apparaît pas explicitement.
Par ailleurs, l’article 29.7 est supprimé. Il est précisé que cela n’empêche pas les États membres de prévoir que les dispositions venant transposer la directive seront des lois de police au sens de l’article 16 du Règlement Rome II.
Pourquoi c’est problématique ?
L’Omnibus s’attaque ici à l’un des piliers du devoir de vigilance : la responsabilité civile en cas de manquement, qui devait permettre aux personnes affectées d’obtenir réparation devant les juridictions nationales. En l’absence de régime de responsabilité civile adapté, les dommages ne seront pas réparés ou seront à la charge des É tats et in fine des personnes affectées.
Les modifications proposées par l’Omnibus risquent d’avoir pour effet :
de créer des régimes de responsabilité civile disparates dans chacun des États membres en cas de manquement, voire d’exclure toute responsabilité civile dans certains États (comme actuellement dans la loi allemande sur le devoir de vigilance).
de priver les personnes affectées d’accès à la réparation, en fonction de l’État membre dans lequel l’entreprise qui a causé le dommage en manquant à son devoir de vigilance est domiciliée.
de complexifier les actions en responsabilité civile en créant une incertitude sur la loi qui sera applicable, la solution pouvant par ailleurs varier d’un État membre à un autre.
Nos recommandations
L’article 29.1 doit être rétabli dans sa version initiale. A défaut, il devra clarifier que les Etats membres ont l’obligation de prévoir dans leur droit national qu’un manquement aux obligations prévues par la directive engage la responsabilité civile de l’entreprise défaillante.
En tout état de cause, l’article 29.7 doit être rétabli, pour permettre l’application des dispositions issues de la CSDDD en cas d’action en responsabilité engagée contre des entreprises défaillantes aux fins d’obtenir la réparation de dommages survenus à l’étranger.
Le plan de transition climatique
La directive sur le devoir de vigilance vient en complément des textes déjà adoptés dans le cadre de la stratégie finance durable de la Commission européenne qui doit permettre à l’ensemble des acteurs économiques et financiers d’être pleinement inclus dans les efforts nécessaires pour la transition écologique. La CSDDD a ainsi pour objectif d’aligner les grands acteurs de l’économie sur les objectifs de limitation du réchauffement climatique fixés par la loi climat européenne. (Règlement (UE) 2021/1119).
L’article 1.1(c) de la CSDDD établit cet objectif d’alignement du modèle économique et de la stratégie des entreprises sur une trajectoire de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) compatible avec l’Accord de Paris, et l’article 22.1 pose la définition et le contenu prescriptif du plan de transition. Les plans de transition doivent être adoptés par les entreprises concernées et mis en œuvre.
Les changements proposés par l’Omnibus
La proposition Omnibus semble revenir sur cette obligation de mise en œuvre des plans de transition. La mention de la mise en oeuvre des plans de transition (« put into effect ») est supprimée à l’article 1.1(c) et à l’article 22.1 à la faveur de l’ajout d’une notion ambiguë juridiquement (« implementing actions ») dans le contenu du plan.
Pourquoi c’est problématique ?
L’un des arguments avancés pour supprimer ou modifier ces dispositions est l’alignement nécessaire avec la directive CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive) et l’exigence de sécurité juridique. Le Vice-président exécutif Stéphane Séjourné déclarait ainsi en décembre dernier, en parlant de la CSRD et de la CSDDD, que « la multiplication des plans de transition prévus crée une bureaucratie intenable ». Or il n’y a pas de double exigence de reporting : l’article 22 de la CSDDD prévoit en effet que, dans le cas où l’entreprise concernée a déjà publié un plan de transition au titre de la CSRD, elle n’est pas tenue d’adopter un nouveau plan. Il s’agit en outre, dans l’esprit du devoir de vigilance, d’une obligation de comportement qui ne saurait se limiter à une simple obligation de reporting. L’exigence de mise en œuvre du plan publié, qui est une obligation de moyens, est à cet égard centrale.
En ce sens, la suppression des termes « put into effect » dans l’article 22 envoie un message contradictoire. Il existe un risque que les entreprises se contentent d’adopter un plan purement cosmétique, de communiquer sur leurs ambitions climatiques et d’afficher des objectifs en la matière sans aucune garantie d’effectivité, ouvrant la voie au greenwashing.
L’absence d’effectivité des plans de transition reviendrait à se priver d’un outil essentiel pour atteindre les objectifs climatiques que l’Union européenne s’est elle-même fixés pour endosser sa responsabilité historique dans le dérèglement climatique.
Alors que les années 2023 et 2024 ont connu des chaleurs historiques et des événements climatiques extrêmes dépassant temporairement le seuil de 1,5°C, il est urgent d’accélérer les efforts en matière de réduction des émissions de GES, et non de déréguler l’activité des entreprises les plus polluantes.
L’ajout de la mention « y compris par des actions de mise en œuvre » (« including through implementing actions ») semble s’appliquer au contenu du plan de transition et ne permet pas de lever l’ambiguïté liée à la suppression des termes « mise en oeuvre ».
Nos recommandations
Les termes « put into effect » qui figurent dans l’article 22 de la CSDDD relatif aux plans de transition doivent être rétablis.
Les services financiers
Le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne ont tenu des positions diamétralement opposées lors de la négociation de la Directive sur le devoir de vigilance : alors que le Conseil de l’Union européenne cherchait à exclure les services financiers de l’obligation générale de vigilance créée par la CSDDD, le Parlement européen entendait réguler ces activités.
La position du Parlement, partagée par les Nations Unies et l’OCDE, visait à ne pas créer de dérogation pour les acteurs financiers (gestionnaires d’actifs, banques et assureurs principalement), afin que ces derniers exercent leur devoir de vigilance quant aux activités des entreprises qu’elles financent, ou dans lesquelles elles investissent. Cette inclusion des services financiers dans le périmètre du devoir de vigilance aurait d’ailleurs permis un meilleur alignement de la finance sur les objectifs climatiques de l’Union européenne.
Les négociations de la CSDDD se sont conclues par le compromis – décevant – de l’article 36.1. Cet article oblige la Commission européenne à étudier en profondeur une possible inclusion future des services financiers dans la CSDDD. Cette étude doit aboutir, d’ici le 26 juillet 2026, à la publication d’un rapport de la Commission, accompagné d’une éventuelle proposition législative.
Les changements proposés par l’Omnibus
L’Omnibus en discussion propose de supprimer cette étude, et donc la potentielle inclusion des services financiers dans le champ d’application de l’obligation générale de vigilance introduite par la CSDDD.
Pourquoi c’est problématique ?
En abandonnant la possibilité d’étendre, à terme, le devoir de vigilance européen aux services financiers, l’Union européenne se prive de la possibilité de responsabiliser des acteurs financiers dont l’influence sur l’économie – et donc sur les atteintes qui en découlent – n’est plus à démontrer.
Les acteurs financiers seraient donc uniquement redevables de leurs activités « au même titre que les autres secteurs », c’est-à-dire sur la production, le transport ou le stockage de leur marchandise. Seraient donc exclus les prêts, obligations, garanties, activités de conseil, de gestion d’actifs et les nombreux autres services financiers permettant certaines activités économiques préjudiciables pour l’environnement et les droits humains.
Cette vision, qui serait entérinée par l’Omnibus, revient à exclure la quasi-totalité des activités des acteurs financiers du périmètre du devoir de vigilance européen, alors même que les banques françaises sont soumises à une loi sur le devoir de vigilance n’effectuant pas de distinction sectorielle.
Cette position est par ailleurs difficilement tenable au regard des cadres internationaux, comme les Principes directeurs des Nations Unies et de l’OCDE, ou les principes de l’Équateur s’appliquant aux acteurs financiers.
Enfin, ce faisant, l’Union européenne se priverait d’actionner un levier fondamental permettant d’orienter les flux financiers vers les activités et/ou les entreprises les moins dommageables pour l’environnement et les droits humains.
Nos recommandations
L’article 36.1 doit être rétabli dans sa version initiale. Il n’y a pas de raison objective de supprimer l’étude préliminaire qui viendrait, sans même permettre une inclusion explicite des services financiers, informer le débat à ce sujet.
Communiqué de presse, Paris, 8 avril 2025 – 14 personnes sinistrées climatiques et associations, dont les organisations de l’Affaire du Siècle, lancent aujourd’hui une action en justice inédite contre l’État français. Elles l’accusent de manquer à son obligation de protéger tous·tes les citoyen·nes face aux conséquences du changement climatique.
L’Affaire du Siècle, les demandeur·euses du recours.
La France vulnérable et toujours sans stratégie d’adaptation efficace
En France, les effets du changement climatique sont déjà là : près de 2 personnes sur 3 sont fortement exposées aux risques climatiques (1), un quart de la population vit en zone inondable (2), et la moitié des maisons individuelles sont menacées de se fissurer à cause du phénomène de retrait-gonflement des argiles (3). Pourtant, le Plan national d’adaptation au changement climatique (PNACC-3), dévoilé par le gouvernement en mars 2025, est largement insuffisant. Sans financement dédié (4), sans cadre contraignant, et sans suivi rigoureux, ce plan manque de mesures concrètes en matière de prévention et de gestion des risques, ne prend pas en compte les inégalités sociales et territoriales face aux conséquences du changement climatique et ne garantit donc pas la protection de toute la population face aux impacts inévitables et croissants du dérèglement climatique.
Les sinistré·es climatiques au cœur d’un recours inédit dans l’UE
Pour la première fois dans un pays de l’Union européenne, des citoyen·nes directement touché·es par les impacts du changement climatique attaquent leur État sur les enjeux d’adaptation.
Ce recours inédit est porté par des personnes sinistrées de toute la France qui font face à différents problèmes induits directement par le changement climatique : maisons fissurées à cause du retrait-gonflement des argiles, problèmes d’accès à l’eau, canicules, inondations, pertes agricoles. Certain·es des sinistré·es cumulent les inégalités face aux impacts du changement climatique et sont d’autant plus impacté·es car en situation de handicap, atteint·es de maladies chroniques ou encore issu·es de quartiers populaires, de territoires ultra-marins ou des communautés des gens du voyage. Ces personnes, leurs associations et les organisations de l’Affaire du Siècle, ont décidé d’agir en engageant une action en justice contre l’Etat français qui ne les protège pas suffisamment contre ces risques climatiques, pour l’obliger à agir.
« À chaque fois qu’il pleut, c’est l’angoisse ! Puisque rien n’a changé, on se dit qu’on va à nouveau revivre ce cauchemar… » témoigne Jérôme Sergent, dont la ferme située à Rumilly dans le Pas-de-Calais, a été inondée huit fois en quatre mois entre novembre 2023 et mars 2024.
« Être pauvre à Mayotte, ce n’est pas seulement vivre sous le seuil de pauvreté comme 77 % de la population, c’est aussi travailler dur pour avoir les moyens d’acheter de l’eau potable… mais c’est surtout souffrir de la soif, parce que les rayons sont vides et que nos robinets sont à secs » témoigne Racha Mousdikoudine, qui a subi de nombreuses coupures d’eau potable à Mayotte.
Les expériences concrètes des sinistré·es révèlent de nombreuses atteintes aux droits fondamentaux : droit à la vie, droit à la santé, droit au logement. Les demandeur·euses exigent que l’État soit contraint à adopter des mesures concrètes et ambitieuses de prévention et de protection et que celles-ci prennent en compte les vulnérabilités de certaines catégories de la population (personnes précaires, atteintes de maladie ou de handicap, personnes marginalisées à cause de leur genre, de leur origine, de leur classe sociale ou de leur âge) et de certains territoires comme les territoires ultra-marins ou les quartiers populaires, fortement négligés dans les stratégies d’adaptation.
Les demandeur·euses portent la voix de celles et ceux qui subissent au quotidien les conséquences du changement climatique et revendiquent leur droit à vivre dans un pays qui protège la vie, la santé, la sécurité et le bien-être de ses habitant·es. Alors que l’urgence climatique impose des actions fortes, ce recours rappelle une vérité fondamentale : l’État a le devoir de protéger ses citoyen·nes. S’il ne prend pas les mesures nécessaires, il engage sa responsabilité devant la justice.
Les bases juridiques du recours déposé devant le Conseil d’État
Portée devant le Conseil d’État, cette action en justice ne vise pas à obtenir d’indemnisations personnelles pour les sinistré·es mais à obliger l’Etat à renforcer ses politiques d’adaptation et à prendre des mesures concrètes et efficaces pour protéger et soutenir toute la population face aux risques climatiques. Elle repose sur un recours pour excès de pouvoir qui permet de contester la légalité d’un acte administratif, en l’occurrence le PNACC-3, jugé insuffisant.
Le recours s’appuie notamment sur l’obligation générale d’adaptation au changement climatique à la charge de l’État, déduite des textes constitutionnels, en particulier la Charte de l’environnement, et confortée par le droit international, le droit du Conseil de l’Europe et le droit européen. Il fait la démonstration détaillée des lacunes du PNACC-3 et des politiques sectorielles associées, notamment en matière de gestion des inondations, de lutte contre les effets du phénomène de retrait-gonflement des argiles, de sécurisation de l’accès à l’eau, de protection contre les vagues de chaleur ou encore des pertes agricoles.
Les étapes du recours : Le recours se déroule en plusieurs étapes et commence dès maintenant avec une demande préalable adressée à l’État, dans laquelle il est demandé au gouvernement de réviser le 3e Plan national d’adaptation au changement climatique (PNACC-3) et d’adopter tout un ensemble de mesures destinées à assurer, ou renforcer, l’adaptation de la France au changement climatique. Cette étape est essentielle : elle lui donne l’occasion d’agir et de protéger les citoyen.nes. Le Conseil d’Etat sera saisi à l’expiration du délai légal de deux mois, sauf en cas de réponses positives aux demandes des sinistré·es et des associations, ce dont il est permis de douter.
La demande préalable de 161 pages détaillant les obligations de l’Etat et les insuffisances des politiques d’adaptation, est consultable ici.
Liste des 14 personnes et associations demandeuses : Jean-Jacques Bartholome, Salma Chaoui, Marie Le Mélédo, Jean-Raoul Plaussu-Monteil, Jérôme Sergent, Association Nationale des Gens du Voyage Citoyens (représentée par William Acker), Association Urgence Maisons Fissurées (représentée par Mohamed Benyahia), Ghett’up (représentée par Rania Daki), Locataires Ensemble (représentée par Salim Poussin), MIRAMAP (représenté par Evelyne Boulongne et Florent Sebban), Mayotte A Soif (représentée par Racha Mousdikoudine), Notre Affaire à Tous, Greenpeace France, Oxfam France.
Les organisations de l’Affaire du Siècle – Notre Affaire à Tous, Greenpeace France et Oxfam France – sont parties prenantes du recours et apportent aux sinistré·es un accompagnement juridique, leurs expertises ainsi qu’une visibilisation importante de leurs témoignages et enjeux.
Communiqué de presse, 26 mars 2025 – À l’initiative de Charles Fournier, député d’Indre-et-Loire, la représentation nationale se met à l’heure des droits de la nature mercredi 30 avril prochain de 14h à 18h30. Un événement auquel s’associe Notre Affaire à Tous.
En écho avec la journée prévue du 12 juin 2024, annulée à la suite de la dissolution, et dans le sillage d’un grand nombre d’initiatives citoyennes venues des territoires de France, le député Charles Fournier vous invite à l’Assemblée nationale pour une après-midi de discussions et de travail autour d’un tournant majeur : celui des droits de la nature.
Organisée sous le haut patronage de la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, cet évènement présentera des voix françaises et européennes qui plaident pour la reconnaissance, sur le territoire de la République française, de droits à des entités naturelles.
Des collectifs de Corse, du bassin ligérien, de la rivière le Lez, des juristes, des responsables de politiques publiques, des élus de collectivités territoriales, des voix venues de Pologne, d’Allemagne et d’Espagne, des scientifiques… toutes et tous ensemble se mettront à l’écoute des besoins, des valeurs et des droits des entités naturelles.
Fidèle à son combat pour les droits de la nature, Notre Affaire à Tous s’associe à cet événement.
Pour vous inscrire à l’après-midi en présentiel, à l’Assemblée nationale :
La loi d’orientation pour la souveraineté alimentaire et le renouvellement des générations en agriculture, qui remet en cause un grand nombre de garanties environnementales, a été adoptée rapidement par le Parlement avant le début du salon de l’agriculture. Le Conseil constitutionnel a été saisi avant sa promulgation par les députés écologistes et insoumis. Notre affaire à tous a déposé une contribution extérieure pour appuyer et compléter leurs arguments.
Décision
Par une décision n° 2025-876 DC du 20 mars 2025, le Conseil constitutionnel a censuré 18 articles soit près d’un tiers de la loi.
11 articles ont été considérés comme des cavaliers législatifs ou ont méconnu la règle de l’entonnoir ;
7 articles étaient contraires, pour des motifs de fond, à la Constitution.
Précisions
Si le projet de loi d’orientation agricole avait été pensé pour répondre aux demandes des agriculteurs en crise, une partie de la loi qui est sortie des couloirs du Parlement visait à affaiblir les protections environnementales relatives à l’agriculture et à la biodiversité. Le juge constitutionnel a heureusement permis de limiter une telle dérive sur un certain nombre de points.
Les articles censurés sur le fond
Il a notamment censuré, au sein de l’article 1er, l’alinéa qui empêchait le pouvoir réglementaire d’aller au-delà des règles européennes dans le domaine de l’agriculture. Le Conseil constitutionnel considère, qu’en vertu de l’article 37 de la Constitution, le gouvernement dispose de compétences propres dont il ne peut être privées, par le pouvoir législatif, au profit de l’Union européenne. Cette interprétation inédite du principe de séparation des pouvoirs permet de censurer cet alinéa et de laisser une liberté au pouvoir réglementaire afin de protéger plus fortement certains intérêts.
L’article 2, qui introduisait le principe de non-régression de la souveraineté alimentaire, est censuré en ce qu’il méconnaît l’objectif à valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi et le principe de séparation des pouvoirs. Cette censure est bienvenue puisque ce principe aurait pu être opposé au principe de non-régression de la protection de l’environnement dès lors qu’il était défini comme la protection du potentiel agricole de la Nation ne pouvant faire l’objet que d’une amélioration constante. Le Conseil constitutionnel décide que cet article est susceptible de faire obstacle à l’exercice du pouvoir réglementaire en ce qu’une évaluation systématique des textes qui pourraient avoir une incidence, même lointaine, sur l’agriculture ou la pêche aurait dû être effectuée.
Le juge constitutionnel a également censuré l’article 31 qui instaurait une présomption de non-intentionnalité, lorsque l’exploitant exécute une obligation légale, réglementaire ou administrative, concernant l’atteinte aux espèces protégées et à leurs habitats naturels rendant beaucoup plus simple de ne pas être condamné pour ce délit. Cet article est contraire au principe de légalité des délits et des peines dès lors qu’il faisait dépendre le champ d’application de la loi pénale d’une décision administrative.
L’article 35, qui introduisait une présomption de bonne foi de l’exploitant, obligeait à prioriser les procédures alternatives aux poursuites pénales et permettait à l’exploitant de ne pas être sanctionné si le manquement reposait sur une norme en contradiction avec une autre norme, a aussi été déclaré contraire à la Constitution. Pour les juges, cet article était, en partie, dépourvu de portée normative et inintelligible.
Enfin, l’article 48, qui excluait les piscicultures, c’est-à-dire l’élevage de poissons en bassin artificiel, du régime de protection IOTA, méconnaît les articles 1 et 3 de la Charte de l’environnement. Cette nomenclature permet, selon le Conseil constitutionnel, d’empêcher certaines atteintes à l’environnement et sa suppression pour ce type d’activités n’est pas remplacée par un autre moyen de protéger l’eau et les milieux aquatiques ce qui met en péril l’environnement.
Les cavaliers législatifs
La censure de certains articles de la loi d’orientation agricole, sur le fondement de l’article 45 de la Constitution, permet d’empêcher des atteintes graves à l’environnement.
En effet, l’article 33 déclarait les travaux forestiers, notamment les travaux d’exploitation incluant la récolte des bois destinés aux filières industrielles et énergétiques, comme d’une part, indispensable à la préservation des écosystèmes et, d’autre part, des activités d’intérêt général sécurisées juridiquement tout au long de l’année. Le Conseil constitutionnel a expliqué qu’il ne présentait aucun lien avec le projet de loi déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale.
Un autre cavalier législatif important à relever est l’article 42 de la loi qui excluait du décompte du zéro artificialisation nette les bâtiments agricoles et vidait en partie de sa substance cet objectif important pour l’atténuation au changement climatique et l’adaptation à celui-ci.
La non-censure de certaines menaces
Bien que la décision du Conseil constitutionnel a permis de protéger certaines garanties environnementales que le Parlement essayait de supprimer, certains articles déclarés conformes à la Constitution demeurent des menaces pour la préservation de l’environnement.
Le juge constitutionnel n’a censuré que partiellement l’article 1er de la loi. Il n’a pas déclaré contraire à la Constitution le fait que la protection, la valorisation et le développement de l’agriculture et de la pêche étaient d’intérêt général majeur et constituaient des intérêts fondamentaux de la Nation. D’après lui, cette partie de l’article 1er constitue une loi de programmation qui détermine les objectifs de l’action de l’Etat. Il ne peut donc pas se substituer au pouvoir du Parlement et se prononcer sur l’opportunité des objectifs que le législateur assigne à l’action de l’Etat. Toutefois, cet article pourrait avoir des conséquences réelles sur l’environnement si l’interprétation qui lui est donnée inclut toute la chaîne de valeur des produits agricoles comme l’installation d’usines agroalimentaires.
Le Conseil constitutionnel valide également le principe “pas d’interdiction sans solution” institué par l’alinéa 14 du 1er article de la loi qui empêche les autorités d’interdire des produits phytosanitaires autorisés par l’Union européenne s’il n’existe pas de solution pour les remplacer. Aussi, même si des études scientifiques établissent la dangerosité d’un ces produits, les autorités françaises ne pourront en prendre acte et devront attendre que l’Union européenne l’interdise. D’après le Conseil constitutionnel, cette disposition est programmatique et n’est pas contraire au droit de vivre dans un environnement sain. Il est cependant possible d’espérer une déclaration d’inconventionnalité de cet article dès lors que l’article 71 du règlement n° 1107/2009 du 21 octobre 2009 oblige chaque Etat-membre à tirer les conséquences de la dangerosité avérée d’une substance active en l’interdisant dans l’attente d’une action à l’échelle européenne.
La différence de traitement permise par l’article 32 est justifiée, selon les juges, au regard de la nature de l’activité d’élevage et des variations qu’elle peut connaître. Les exploitants d’élevage sont donc davantage susceptibles de franchir les seuils d’application du régime de déclaration ou d’enregistrement des ICPE. Ainsi, le fait que l’amende soit 100 fois moins élevée (450 euros à la place de 45 000 euros) que pour les autres industriels lors d’un dépassement des seuils de maximum 15%, ne viole pas le principe d’égalité. Le Conseil constitutionnel explique qu’il ne voit pas le lien entre le montant très faible de l’amende et un manquement à l’article 1er ou 3 de la Charte de l’environnement. Pourtant, il paraît évident qu’une amende très faible n’est pas dissuasive pour les exploitants d’élevage ce qui affaiblit le régime protecteur qui découle de la nomenclature des ICPE.
Enfin, le Conseil constitutionnel valide la facilitation de la modification du régime de déclaration ou d’autorisation des retenues collinaires ce qui rendrait, à terme, la mise en place de méga-bassines plus simple.
Aussi, si la décision du Conseil constitutionnel permet d’éviter une grande partie des dangers initiaux de la loi d’orientation agricole, il faudra rester vigilant sur les conséquences de certains des articles validés rue de Montpensier.
Les riverains des installations industrielles et les associations de protection de l’environnement sont-elles des personnes concernées par la procédure de référé pénal environnemental ? La Cour de cassation apporte une réponse négative dans son arrêt du 18 mars 2025 (pourvoi n° 24-81.339).
Selon la haute juridiction judiciaire, les riverains affectés par les émissions de PFAS et les associations qui les soutiennent ne sauraient être qualifiées de “personne concernée” au sens de l’alinéa 5 de l’article L. 216-13 du Code de l’environnement. Par conséquent, elles ne peuvent pas interjeter appel de l’ordonnance du Juge des libertés et de la détention (JLD) refusant de prononcer des mesures pour mettre un terme aux infractions à la législation des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE). La procédure de référé pénal environnemental est donc la chose du Ministère public et du mis en cause, au détriment des victimes, personnes réellement concernées.
Celles-ci sont pourtant à l’origine de l’ouverture de la procédure.
En l’espèce, aux mois de mai et juillet 2023, quarante-sept riverain.e.s, soutenu.e.s par onze associations, représentés par le cabinet Kaizen Avocat, ont demandé au Procureur de la République de Lyon d’adresser une requête au JLD. Leur objectif était alors d’obtenir “toute mesure utile” (1) de nature à faire cesser les infractions aux obligations de l’industriel en matière d’installations classées. Il était notamment reproché à l’exploitant de ne pas limiter la quantité de PFAS rejetés dans ses effluents aqueux. Au mois d’octobre 2023, le Procureur a accédé à cette demande et a saisi le JLD, comme le prévoit le Code de l’environnement.
Après avoir écarté les questions prioritaires de constitutionnalité (2) soulevées par l’industriel, le JLD a, par ordonnance du 16 novembre 2023, rejeté les demandes du Procureur. Les motifs de la décision indiquent que “les mesures utiles permettant de mettre un terme à la pollution, et à tout le moins d’en limiter les effets” ont été “prises par le préfet dans” plusieurs arrêtés publiés en 2022 et 2023. Partant, le JLD conclut que “le non-respect des prescriptions relatives” aux installations classées “n’était donc pas ou plus caractérisé” au jour de la requête du Procureur.
En application de l’alinéa 5 de l’article précité, le collectif de victimes et d’associations à l’origine de la procédure a interjeté appel. L’article en question dispose que “la personne concernée ou le Procureur de la République peut faire appel de la décision du juge des libertés et de la détention dans les dix jours suivant la notification ou la signification de la décision.”
Le 11 janvier 2024, la chambre de l’instruction de la Cour d’Appel de Lyon a toutefois jugé l’appel des riverains et associations irrecevable. L’arrêt retient ainsi “qu’il est évident que les personnes physiques et les personnes morales concernées”, au sens de l’alinéa 5, sont “les personnes soupçonnées de ne pas respecter les prescriptions” relatives aux installations classées pour la protection de l’environnement. En d’autres termes, seul l’exploitant industriel serait à même de contester la décision du JLD, à l’exclusion des autres parties de la procédure.
Cette interprétation n’a toutefois rien d’évident. C’est pourquoi le collectif à l’initiative de la procédure, ainsi que l’Avocat général, se sont pourvus en cassation.
Les riverains et associations ont, en premier lieu, soutenu que la rédaction de l’article L. 216-13 du Code de l’environnement reflète la volonté du législateur de faciliter l’intervention des associations dans la procédure de référé pénal environnemental.
Depuis sa création en 1992, le référé pénal environnemental permet aux associations de protection de l’environnement de saisir le Procureur de la République des manquements des installations industrielles. Cette procédure a, par la suite, fait l’objet de réformes (3) qui ont étendu son champ d’application, sans que la participation des associations ne soit remise en cause. Et pour cause, la ratio legis de cette procédure est de permettre aux associations et aux victimes d’agir lorsque l’autorité compétente fait défaut. Les riverains et riveraines jouent tout autant ce rôle de sentinelle. Comme le note la doctrine, “les victimes d’atteintes à l’environnement ne manqueront ainsi pas dorénavant de solliciter du JLD – ou au juge d’instruction – la prise des mesures conservatoires que le préfet se serait abstenu ou aurait refusé de prendre” (4).
Si les associations et les personnes vivant à proximité des installations industrielles jouent un tel rôle dans le déclenchement de la procédure, pourquoi le législateur aurait-il souhaité les priver du droit d’appel ? L’économie de l’article L. 216-13 se trouverait alors bouleversée et il serait difficilement compréhensible que l’interprétation de ce texte retire d’une main ce que le législateur a donné de l’autre.
Le collectif à l’origine de la procédure soutient, d’ailleurs, que le législateur utilise des termes différents, à l’intérieur même de la rédaction de l’article L. 216-13 du code de l’environnement, pour désigner l’exploitant industriel et les autres parties. Ainsi l’alinéa 3 de l’article précité fait-il référence à la personne “intéressée”, et non pas “concernée”, pour désigner le responsable d’exploitation. Dans son réquisitoire devant la Cour d’appel, le Procureur Général de Lyon avait, d’ailleurs, souligné cette subtilité rédactionnelle pour conclure à la recevabilité de l’appel.
La Cour de cassation ne s’est toutefois pas adonnée à une analyse sémantique de l’article précité, ni à fournir une cohérence d’ensemble à l’article L. 216-13. Elle se contente de rejeter sèchement le pourvoi en rappelant que “pour déclarer irrecevable l’appel formé par les demandeurs, l’arrêt attaqué énonce que la personne concernée, titulaire du droit de relever appel de la décision du juge des libertés et de la détention en matière de référé environnemental, ne peut être que la personne soupçonnée de ne pas respecter les prescriptions imposées par les dispositions visées par l’article L. 216-13 du code de l’environnement”.
A l’instar de son arrêt en date du 14 janvier 2025 (5), la Cour de cassation restreint l’accès à la procédure aux riverains et associations en leur refusant la qualité de parties. Elle donne ainsi davantage de poids à l’aspect pénal de la procédure de référé, plutôt qu’à son caractère environnemental. Cet arbitrage du Quai de l’Horloge est regrettable à double titre. En premier lieu, en ce qu’il prive la procédure de sa visée préventive. En second lieu, en ce qu’il entretient un trouble sur la régime de la procédure de référé pénal environnement, à rebours des dernières avancées jurisprudentielles.
Le référé pénal environnemental vise avant tout à ce qu’il soit mis un terme rapidement aux manquements constatés, dans un objectif de prévention des atteintes à l’environnement ou de leur aggravation. Comme le souligne certains auteurs, l’intérêt principal de cette procédure réside dans “l’édiction rapide de mesures de nature à faire cesser l’atteinte en cours” (6). Dans ces conditions, “l’absence de droit d’initiative des victimes semble injustifiée” (7), l’objectif de cessation des atteintes à l’environnement semblant davantage relever des intérêts civils, de surcroît lorsqu’une association agréée de protection de l’environnement est à l’origine de la procédure.
En déniant la qualité de personne concernée aux acteurs à l’origine du référé pénal environnemental, la Cour de cassation vide de sa substance la visée préventive de l’article L. 216-13 du Code de l’environnement et amoindri le rôle de vigie conféré à la société civile dans cette procédure. L’inertie initiale des services préfectoraux en charge de la police de l’environnement ne sera, in fine, que transférée aux services des Parquets. Ces derniers manquent déjà de moyens et, souvent, de connaissances spécifiques en matière environnementale (8). Atteindre les objectifs de célérité et d’efficacité de la procédure de référé pénal environnemental semblent, dans ces conditions, relever davantage du vœu pieu que de la réalité économique des Tribunaux.
Le récent arrêt de la Cour de cassation contribue, par ailleurs, à entretenir le trouble au sujet du régime procédural et des objectifs du référé pénal environnemental. Alors que plusieurs décisions avaient clairement distingué cette procédure des règles classiques de la procédure pénale, la Haute juridiction signe ici une décision contraire.
La procédure de référé pénal environnemental n’a pas pour objectif de rechercher la responsabilité pénale de l’auteur des manquements. En effet, la Cour de cassation elle-même a jugé que la procédure de référé pénal environnemental “ne subordonne pas à la caractérisation d’une faute de la personne concernée de nature à engager sa responsabilité pénale le prononcé par le JLD, lors d’une enquête pénale, de mesures conservatoires” (Crim, 28 janvier 2020, n°19-80.091).
Le Conseil Constitutionnel (9) a également pris soin de distinguer, d’une part, la procédure de référé pénal environnemental s’inscrivant dans une enquête pénale et, d’autre part, la procédure de référé pénal environnemental autonome de toute investigation pouvant mettre en cause la responsabilité du contrevenant. Ce n’est que dans le premier cas de figure que l’audition de la personne à l’origine des manquements constatés doit être avisée de son droit de garder le silence (10). Les principes directeurs du procès pénal n’ont donc, par principe, pas à s’appliquer à la procédure de référé pénal environnemental (11).
En appliquant à la procédure de référé pénal environnemental les règles classiques de l’appel des jugements sur la culpabilité des personnes poursuivies pénalement, la Cour de cassation entretient le trouble sur le régime de cette action, en contradiction avec la visée préventive de la procédure prévue à l’article L. 213-16 du Code de l’environnement.
La seule œuvre de clarté offerte par la Cour est la démonstration, s’il en était encore besoin, de l’inadaptation de la procédure pénale pour répondre aux préoccupations et besoins des victimes de pollutions industrielles. Privées de recours devant la juridiction répressive, elles pourraient, à l’image de l’action de masse (12) en réparation des préjudices liés aux PFAS annoncée au mois de février, se tourner vers le juge civil pour obtenir d’urgence une mesure conservatoire ou de remise en état sur le fondement de l’article 835 du CPC.
Désormais, seule une réécriture de l’article L 213-16 du Code de l’environnement semble à même de concrétiser les objectifs initiaux de la procédure de référé-pénal environnemental. En sus de l’inclusion de cet article au sein des dispositions communes du Code de l’environnement (13), des précisions doivent nécessairement être apportées pour que les victimes et associations soient reconnues comme parties intégrantes de la procédure.
En premier lieu, la réforme devra explicitement consacrer le droit d’appel de ces acteurs qui, comme il a été souligné, sont à l’origine de la procédure. En second lieu, l’inertie procédurale ne doit pas se transmettre des services préfectoraux au Parquet. A l’instar de la possibilité reconnue aux victimes de déposer plainte avec constitution de partie civile auprès du Juge d’instruction passé un certain délai après la saisine du Procureur (14), une réelle initiative procédurale doit être reconnue aux victimes et associations. Celles-ci, passé un délai nécessairement court en raison de l’urgence de la situation, doivent pouvoir saisir directement le JLD de leurs demandes en cas d’absence d’action du Ministère public.
La Cour de cassation avait l’opportunité de reconnaître pleinement le rôle des associations et riverains dans la justice environnementale. Les mesures demandées étaient étudiées, scientifiquement validées et utiles à tout un territoire affecté par une pollution extrêmement grave aux polluants éternels. La Cour aura finalement préféré maintenir à distance la société civile. Les personnes concernées apprécieront.
Notes
(1) Article L216-13
(2) Celles-ci portaient, notamment, sur les pouvoirs du JLD, le respect des droits de la défense et de la présomption d’innocence.
(3) Notamment par la Loi n° 95-101 du 2 février 1995 relative au renforcement de la protection de l’environnement, l’Ordonnance n°2012-34 du 11 janvier 2012 portant simplification, réforme et harmonisation des dispositions de police administrative et de police judiciaire du code de l’environnement, la Loi n°2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, l’Ordonnance n°2017-80 du 26 janvier 2017 relative à l’autorisation environnementale, la Loi n°2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets.
(4) Benoît DENIS, Valérie SAINTAMAN, « La préservation de l’environnement opérée par le Juge des Libertés et de la détention au moyen de l’article L. 216-13 du Code de l’environnement », Energie – Environnement – Infrastructures n°5, Mai 2020, comm. 14.
(5) Crim, 14 janvier 2025, n°23-85.490 : “les moyens doivent être écartés, le premier étant inopérant, faute pour l’association d’avoir la qualité de partie.”
(6) Sébastien Bécue et Marc Pitti-Ferrandi, “Le référé pénal environnemental, une procédure juridique non identifiée ?”, Dalloz, AJ Pénal 2024, p.252.
(7) Bécue et Pitti-Ferandi op cit.
(8) Voir en ce sens le rapport de la Cour de cassation “Le traitement pénal du contentieux de l’environnement”, qui en 2022 soulignait déjà que: “le manque de temps et de moyens sont souvent avancés pour expliquer le faible investissement des magistrats, notamment du parquet, dans le traitement des contentieux de l’environnement. Il est permis de penser que le manque de connaissances en la matière est un facteur aggravant de cet état de fait” (page 19).
(9) Cons.const., 15 novembre 2024,n° 2024-1111 QPC.
(10) Pour une application par la jurisprudence, voir Crim, 28 janvier 2025, n°24-81.410.
(11) Inès Souid, “Référé pénal environnemental : l’application des principes directeurs du procès pénal en question”, Dalloz actualité 18 février 2025.
(13) Bien que son champ d’application soit large, l’article L 213-16 du Code de l’environnement figure pour l’heure au sein du livre II relatif aux milieux physiques, et non pas au livre premier relatif aux dispositions communes.
(14) L’article 85 du Code de procédure pénale ouvre cette faculté aux victimes passé un délai de trois mois après la saisine du Procureur.
Notre Affaire à Tous publie sa cinquième édition du Benchmark de la vigilance climatique des multinationales qui passe au crible les mesures de vigilance climatique de 26 grandes entreprises françaises (1) emblématiques issues de secteurs d’activités fortement émetteurs. Les objectifs visés par ces entreprises ne permettraient de réduire leurs émissions que de 12% en 2030, loin des 50% requis par l’Accord de Paris. L’association souligne l’extrême importance de maintenir les obligations prévues dans la CSRD et CSDDD telles que votées par la précédente mandature et exhorte le Parlement européen et les Etats membres à rejeter massivement les propositions catastrophiques de la loi Omnibus présentée le 26 février par la Commission Européenne.
Alors que la Commission Européenne a dévoilé son projet de loi Omnibus le 26 février, actant un recul historique concernant les normes environnementales et sociales en Europe qui vise à faire respecter par les multinationales les droits humains et prévenir les atteintes à l’environnement (CSRD, CSDDD, taxonomie), l’édition 2025 du rapport de Notre Affaire à Tous dresse un constat clair : l’autorégulation est un échec et sans normes contraignantes dont l’application est contrôlée, les entreprises ne seront pas au rendez-vous de la transition.
En France la loi sur le devoir de vigilance oblige les entreprises à identifier les risques d’atteinte aux droits humains et à l’environnement et à prendre des mesures propres à éviter la survenance de ces risques. Néanmoins, faute d’autorité de contrôle et de volonté politique des gouvernements successifs d’Emmanuel Macron, la loi n’est toujours pas réellement mise en œuvre, notamment en matière climatique, alors que son respect repose exclusivement sur la mobilisation des ONG et de la société civile.
Pourtant, les émissions des scopes 1, 2 et 3 des 26 entreprises multinationales françaises étudiées s’élèvent à 2 577 MtCO2eq, ce qui signifie qu’ellesont le pouvoir – à elles seules – d’agir sur 4,51 % des émissions mondiales de GES (2). Ces chiffres démontrent la pertinence ainsi que la nécessité de réglementer les multinationales en matière climatique.
Cette cinquième édition du Benchmark montre que les entreprises ne s’estiment pas tenues de faire leur part pour limiter le réchauffement à 1,5°C. Les objectifs climatiques affichés par les entreprises analysées permettraient de réduire leurs émissions d’à peine plus de 12% d’ici 2030. La réalisation de ces objectifs n’est ni conforme au 50% (3) requis, ni garantie à ce stade par des mesures concrètes correspondantes.
Et pour cause, si pratiquement toutes les entreprises intègrent l’enjeu climatique à leur plan de vigilance (à l’exception de Veolia et Casino), beaucoup d’entre elles tentent encore de limiter leur responsabilité individuelle :
en renvoyant à la responsabilité collective et au caractère global du réchauffement climatique. C’est le cas de TotalEnergies qui identifie le changement climatique comme « un risque global pour la planète qui est le résultat d’actions humaines diverses dont la consommation d’énergie », sans reconnaître qu’il revient à l’entreprise de cesser le développement de nouveaux projets pétroliers et gaziers et d’effectuer urgemment une transition énergétique vers le bas carbone, y compris pour changer l’offre en énergies, influencer la demande et faire baisser ses propres émissions indirectes.
en refusant d’adopter des mesures de vigilance qui s’imposent sur les émissions de scope 3 alors qu’elles sont prépondérantes pour la plupart des entreprises. C’est le cas de Renault qui ne reconnaît pas, au sein de son plan de vigilance, que ses émissions de scope 3 (liées à l’utilisation de ses véhicules) contribuent à l’aggravation du réchauffement climatique et ne met toujours pas en place de mesures de décarbonation alignées avec l’objectif 1,5 °C de l’Accord de Paris.
en prétextant un besoin de subventions publiques pour effectuer la transition alors que certaines entreprises réalisent des profits colossaux, comme l’a démontré un récent rapport (4). C’est le cas d’ArcelorMittal dont le plan de décarbonation repose sur des mesures encore incertaines techniquement et trop dépendantes de subventions publiques, alors que l’entreprise réalise chaque année des profits importants. Un argument qui semble fallacieux si l’on considère que, malgré des aides publiques, ArcelorMittal a annoncé fin novembre 2024 suspendre le projet de décarbonation de son site de Dunkerque, à l’origine de 3% des émissions de CO2 en France (5).
ou encore en laissant entendre dans leurs plans de vigilance que de meilleures réglementations étatiques sont nécessaires, alors qu’elles engrangent des profits importants, disposent de la capacité d’agir plus fortement dès aujourd’hui … et s’opposent dès qu’elles en ont l’occasion aux réglementations, telles que la CSRD ou la CSDDD.
L’ensemble de ces exemples démontre l’absolue nécessité d’imposer au plus vite des règles claires aux entreprises pour les contraindre à intégrer les enjeux climatiques dans leurs stratégies. Sans un changement de cap fort et immédiat des entreprises, elles continueront à aggraver la crise climatique au lieu de contribuer à la résoudre.
Pour en savoir plus, nous vous invitons à un webinaire de présentation le mercredi 12 mars à 19h : lien d’inscription
(1) EDF, ENGIE, TotalEnergies, AXA, BNP Paribas, Crédit Agricole, Natixis, Société Générale, Air Liquide, ArcelorMittal, Bolloré, Schneider Electric, Veolia, Aéroports de Paris, Airbus, Air France – KLM, Michelin, Renault, Stellantis-PSA, Bouygues, Eiffage, Vinci, Auchan, Carrefour, Casino, Danone.
(2) PNUE, Emissions Gap Report 2024, 15e éd. Avec une marge d’incertitude due à l’absence de transparence de certaines entreprises, en particulier les acteurs financiers – voir le graphique page 14
(3) Constitue la valeur minimale à atteindre pour être aligné sur 1,5°C selon le groupe d’experts de l’ONU « HLEG » sur les engagements climatiques des entreprises.
Article rédigé par Adeline Paradeise, juriste droit de l’environnement de Notre Affaire à Tous
Les jugements ont été rendus suite à une analyse approfondie des impacts socio-économiques des deux projets autoroutiers. De nombreux moyens d’illégalité ont été soulevés par les associations. Le tribunal a choisi de se concentrer sur l’analyse des conséquences socio-économiques positives du projet, dont la faiblesse a suffi à annuler l’ensemble du projet sans nécessiter l’analyse des autres moyens.
Le tribunal a rappelé qu’un projet affectant des espèces protégées ne peut bénéficier d’une dérogation à leur protection que s’il remplit trois conditions cumulatives prévues à l’article L.411-2 du code de l’environnement :
Le projet « répond, par sa nature et compte tenu des intérêts économiques et sociaux en jeu, à une raison impérative d’intérêt public majeur »,
Il n’existe pas d’autre solution satisfaisante,
« Cette dérogation ne nuit pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle. »
Les magistrats ont vérifié si la première condition était remplie, rappelant de façon pédagogique que l’intérêt public en question doit être « d’une importance telle qu’il puisse être mis en balance avec l’objectif de conservation des habitats naturels, de la faune et de la flore sauvage ». Les préfets justifiaient la dérogation par une amélioration supposée de la sécurité publique et de la situation socio-économique des territoires desservis. Le tribunal a analysé en profondeur ces motifs.
Concernant les motifs sociaux, la juridiction qui a analysé des chiffres plus récents que ceux, très anciens, fournis par les préfectures, note que le bassin de Castres-Mazamet n’est pas en situation de décrochage démographique, bénéficie de nombreux services et équipements de qualité (centre hospitalier, formations universitaires…). La juridiction relève également que beaucoup d’actifs travaillant dans le bassin de vie de Castres y résident. Elle relève également que les hypothèses de fréquentation du tronçon qui serait le plus utilisé, alors même qu’elles ont été qualifiées d’optimistes par l’autorité de régulation des transports, sont « très en deçà des seuils justifiant la construction d’une autoroute 2×2 voies ». De plus, le prix élevé du péage autoroutier « est de nature à relativiser les estimations de fréquentation issues de l’étude de trafic ».
Concernant les motifs économiques, le tribunal a relevé que le taux d’activité des zones desservies n’est pas significativement différent des autres bassins d’activité comparables. Selon lui, une liaison autoroutière peut participer au confortement du développement économique et à l’attractivité d’un territoire, mais ici cela doit être relativisé car d’une part « une telle liaison ne constitue pas un facteur suffisant de développement économique, et, d’autre part, […] le coût élevé du péage de la future liaison autoroutière sera de nature à en minorer significativement l’intérêt pour les opérateurs économiques. »
Concernant la sécurité publique, le tribunal a jugé que l’accidentalité sur la RN 126, qui établit actuellement la liaison qui fait l’objet du projet autoroutier, n’est pas plus importante que sur d’autres routes comparables. De plus, le projet risque même d’augmenter l’accidentalité sur l’actuelle RN 126 qui serait modifiée.
Pour ces raisons, le tribunal a jugé qu’il n’existe pas de raison impérative d’intérêt public majeur, annulant ainsi les autorisations environnementales des projets.
Impact immédiat : Les travaux sont illégaux et doivent être arrêtés.
Et la suite ? L’État a annoncé faire appel, la Cour administrative d’appel de Toulouse sera saisie du dossier.
Si ces décisions sont confirmées, les associations pourront demander la remise en état des lieux. Bien que certaines atteintes à l’environnement mettront du temps à être réparées, d’autres pourront l’être plus rapidement et beaucoup sont évités par l’arrêt des travaux.
Cette situation doit nous interroger sur les carences du référé suspension, qui n’a pas permis de suspendre de tels travaux alors même qu’un doute sérieux sur leur légalité existe. Rappelons qu’il n’est normalement pas nécessaire de prouver l’illégalité de l’acte administratif attaqué, mais “seulement” l’existence d’un doute sérieux sur sa légalité.
Les annulations prononcées sont protectrices de l’environnement et des terres arables. La politique du fait accompli, qui met en danger les finances des entreprises et de l’État en plus d’atteindre à l’environnement, doit cesser. Atosca connaissait très bien les risques juridiques qui étaient liés à ces autorisations et a choisi de commencer les travaux malgré tout. Cette entreprise doit donc supporter les conséquences financières des risques qu’elle a pris dans l’espoir d’augmenter ses profits voir peut-être, et ce serait plus inquiétant encore, que les juges hésiteraient plus à dire le droit face à des travaux déjà bien avancés.
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