Analyse des plans de vigilance climatique 2020 de 27 multinationales françaises

Mercredi 13 juillet, Notre Affaire à Tous publie le Benchmark 2022 de la vigilance climatique des multinationales, qui passe au crible la conformité de 27 multinationales françaises à leurs obligations légales. L’objet de cette étude est d’évaluer la mise en œuvre de la loi sur le devoir de vigilance en matière climatique. Pour ce faire, des critères de notation ont été développés afin d’évaluer l’action des multinationales.

Ces critères s’appuient sur :

  • Les bases légales instaurant une responsabilité climatique aux multinationales, notamment l’obligation de vigilance environnementale, la prévention du préjudice écologique ou la loi sur le devoir de vigilance des sociétés mères.
  • Les objectifs internationaux de l’Accord de Paris.
  • Les données scientifiques du GIEC et de l’Agence Internationale de l’Energie.

Ces critères constituent une tentative de contribution à un modèle d’évaluation de la conformité du devoir de vigilance en matière climatique.

À travers le prisme de ces critères, les différentes informations réglementées publiées par les entreprises (des “documents de références” – DDR, document rassemblant le rapport de gestion, la déclaration de performance extra-financière, le plan de vigilance, les comptes consolidés, etc.) sont analysées dans le détail afin d’identifier les nombreuses et persistantes défaillances de 27 multinationales françaises en matière de vigilance climatique. 

Le Benchmark 2022 porte sur les informations réglementées publiées en 2020 par les entreprises analysées. Notre Affaire à Tous publiera fin 2022-début 2023, son Benchmark 2023 actualisé des informations réglementées publiées par les entreprises en 2021. 

Rapport Benchmark 2022 de la vigilance climatique des multinationales

POURQUOI UN RAPPORT SUR LA VIGILANCE CLIMATIQUE DES MULTINATIONALES ?

Si les pouvoirs publics doivent jouer un rôle fondamental dans la lutte contre le réchauffement climatique, les entreprises partagent aussi cette responsabilité. Très fortement contributrices au réchauffement, les multinationales françaises doivent répondre de leurs actes et accélérer leur transition écologique. Ainsi, Notre Affaire à Tous cherche à remédier au vide juridique concernant la non-application de l’Accord de Paris aux entreprises en s’appuyant notamment sur la loi relative au devoir de vigilance.

L’objectif final de ce benchmark est de renforcer l’application de la loi sur le devoir de vigilance et de montrer son utilité en matière de lutte contre le dérèglement climatique. 

SYNTHESE DES RESULTATS

Aucune entreprise analysée n’est en mesure de démontrer sa conformité avec l’ensemble des obligations et des mesures de vigilance raisonnables nécessaires pour faire de la transition écologique une réalité.

Jérémie Suissa, Délégué général de Notre Affaire à Tous : “Comme l’a rappelé le Haut Conseil pour le Climat dans son dernier rapport, les impacts de la crise du Vivant sont d’ores et déjà visibles en France et les conséquences quotidiennes et imprévisibles. Et nous ne sommes pas prêts. Si l’Etat doit être le pilote de la transition nécessaire à laquelle la France s’est engagée, les entreprises doivent aussi prendre leur part. Or, une majorité des entreprises que nous avons analysées ne montrent pas de signes de changements structurels. Il est urgent de mettre en œuvre des outils de contrainte proportionnés à l’ampleur des manquements de ces acteurs clés pour la transition.” 

Alors que l’empreinte carbone cumulée des 27 multinationales évaluées s’élève à 1 651,60  millions de tonnes équivalent CO², soit près de 4 fois le total des émissions territoriales de la France en 2020 (396 Mt CO²), on observe majoritairement :

  • de nombreuses défaillances persistantes en termes d’identification des émissions indirectes, en particulier celles dites du “scope 3” (critère 1-A de la méthodologie) ;
  • une absence générale de reconnaissance de responsabilité, alors qu’il est indiscutable que chacun.e doit faire sa part en matière climatique (critère 1-B) ;
  • de nombreux engagements demeurent non-alignés avec l’objectif 1,5°C de l’Accord de paris et/ou ne portent pas sur l’ensemble des émissions des entreprises (critère 2-A) ; 
  • des carences sérieuses dans la mise en œuvre  de ces engagements (critère 2-B). 
  • certains plans de vigilance n’intègrent toujours pas suffisamment le climat (critère 3).

L’absence de conformité avec ces critères expose les entreprises au risque contentieux. La justice, dans les contentieux en cours contre Total et Casino, ainsi que dans d’autres potentiels dossiers de vigilance climatique que Notre Affaire à Tous étudie actuellement, aura un rôle déterminant à jouer sur de nombreux dossiers. 

Au-delà de la France, les institutions européennes et membres du Parlement Européen joueront également un rôle clé, dans le cadre des travaux en cours sur le projet de directive sur le devoir de vigilance uniformisée au sein de l’Union. Ce texte est depuis le début vivement attaqué par les lobbys des grands secteurs polluants, qui multiplient en parallèle les campagnes de greenwashing auprès de leurs salariés et clients. 

Découvrez nos actions contentieuses contre des multinationales.

ZOOM SUR LES MULTINATIONALES LES PLUS PREOCCUPANTES

Société Générale, Auchan, Casino, Eiffage, Bolloré, Total Energies, Bouygues et BNP Paribas se situent tout en bas de notre classement, en raison de politiques climatiques particulièrement insuffisantes.

Les scores de ces 8 multinationales sont très préoccupants. Une entreprise qui publierait  correctement les scopes 1, 2 et 3 d’émissions et prévoirait une stratégie climat dans le plan de vigilance (des mesures de pur reporting, hors analyse des risques, politiques et mesures d’action),  obtiendrait déjà 25 points. Aucune de ces 8 entreprises ne dépasse 33 points.

LES ENSEIGNEMENTS CLÉS DU RAPPORT

1- MANQUE D’INTÉGRATION DU CLIMAT AU PLAN DE VIGILANCE

3 entreprises sur 27 n’intègrent toujours pas le climat à leur plan de vigilance. Pourtant, l’analyse du risque climat au sein du plan de vigilance devrait être faite de manière systématique, en particulier pour les entreprises fortement contributrices au réchauffement climatique. En effet, la science climatique est extrêmement claire : les différents rapports du GIEC démontrent que l’aggravation du changement climatique comporte des risques d’atteintes graves aux droits humains et à l’environnement, en particulier au-delà de 1,5°C. Le risque climatique doit donc être intégré dans le plan de vigilance de chaque entreprise. Si 24 entreprises intègrent désormais le climat dans leur plan de vigilance, plus de la moitié (14) d’entre elles ne le font que très partiellement.

2- EMPREINTE CARBONE ET COMMUNICATION INCOMPLÈTE

Les entreprises analysées dans le benchmark ont toutes un lourd impact climatique : selon leurs propres communications, l’empreinte carbone cumulée des vingt-sept multinationales analysées s’élève à 1652 Mt CO²e, soit plus de quatre fois les émissions territoriales de la France. Une baisse de l’empreinte carbone cumulée peut être observée pour 2020, mais elle ne pourrait être que conjoncturelle (Covid-19). Par ailleurs, l’impact climatique des entreprises reste encore très insuffisamment retracé. Dix-huit des entreprises sur 27 ne publient pas ou de manière très incomplète leur empreinte carbone.

3- UNE RECONNAISSANCE LIMITÉE DU RISQUE CLIMATIQUE

La loi sur le devoir de vigilance exigeant une identification des risques pesant sur les droits humains et sur l’environnement, chaque entreprise doit explicitement reconnaître les conséquences de ses émissions de GES et de sa contribution au changement climatique.

Pourtant, seules 4 entreprises analysées reconnaissent explicitement leur contribution au changement climatique et analysent correctement les conséquences de ce dérèglement sur les droits humains et l’environnement. Une réelle prise de conscience demeure donc nécessaire afin de saisir l’ampleur de leur responsabilité et de mettre en œuvre les mesures adéquates pour lutter contre le changement climatique.

4- DES ENGAGEMENTS PEU PRÉCIS ET RAREMENT AMBITIEUX

Pour prévenir les risques graves d’atteinte aux droits humains et à l’environnement, les entreprises doivent adopter une stratégie efficace et cohérente avec l’Accord de Paris. Pour ce faire, les engagements pris doivent être chiffrés et détaillés en plusieurs étapes avec des objectifs intermédiaires précisés à l’horizon 2030, 2050 et au-delà.

La trajectoire 1,5°C (visant la neutralité carbone en 2050) est la seule trajectoire permettant de réaliser les objectifs de l’Accord de Paris avec une probabilité raisonnable (voir infra – méthodologie). Seule 1 entreprise sur 27 s’engage sur la trajectoire 1,5°C pour l’ensemble de ses émissions et avec une trajectoire chiffrée dans le temps.

5- L’ABSENCE MISE EN OEUVRE DE MESURES COHÉRENTES

La loi sur le devoir de vigilance oblige les entreprises à rendre compte publiquement de la mise en œuvre effective des mesures adaptées de prévention contre les risques d’atteintes graves aux droits humains et à l’environnement. Autrement dit, les entreprises doivent communiquer les mesures adoptées pour limiter le réchauffement planétaire en-deçà des 2°C, limite au-delà de laquelle le dérèglement climatique est extrêmement dangereux pour nos écosystèmes.

Les mesures présentées concernent rarement l’ensemble des activités émettrices des groupes et nombre d’entre elles sont basées sur des technologies indisponibles à l’heure actuelle, telles que les technologies de capture et de séquestration du carbone. Par ailleurs, le maintien de certaines activités (par ex. hydrocarbures non conventionnels) ou l’absence de plan de transition pour certains produits (par ex. voitures thermiques) remettent fréquemment en question la cohérence de la stratégie communiquée par l’entreprise. Enfin, aucune entreprise ne publie des informations suffisamment précises pour qu’un observateur extérieur puisse évaluer la mise en œuvre des mesures annoncées.

En somme, toutes les entreprises font face à un risque de non-conformité avec la loi sur le devoir de vigilance. Si elles ne se conforment pas à ces demandes, les multinationales pourront être attaquées en justice.

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Communiqué de presse

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