Aux Ministres des Affaires étrangères et aux Représentants permanents des Etats membres du Conseil de l’Europe
Nous, organisations de la société civile, mouvements sociaux, [et organisations de peuples autochtones] signataires de cette lettre, appelons à la reconnaissance rapide du droit humain à un environnement propre, sain et durable par le biais d’un protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Cette demande représente une priorité fondamentale pour les enfants, les jeunes et de nombreux autres parties prenantes à travers le continent et elle est soutenue par une large coalition d’organisations [œuvrant pour les droits de l’homme, la protection de l’environnement, l’égalité des sexes, l’inclusion sociale, ainsi que des syndicats et des organisations religieuses].
Les effets néfastes de la triple crise planétaire – changement climatique, pollution et perte de la biodiversité – affectent l’ensemble des habitants des États membres du Conseil de l’Europe. À l’échelle du continent, la pollution atmosphérique est responsable de la mort prématurée de plus de 300 000 personnes chaque année. L’accélération de la crise climatique alimente des vagues de chaleur sans précédent, des sécheresses prolongées, des inondations répétées, l’élévation du niveau de la mer et des incendies de forêt ayant des conséquences dévastatrices sur les communautés et les écosystèmes. De la mer Méditerranée jusqu’au cercle polaire, des écosystèmes entiers s’effondrent et de nombreuses communautés souffrent des conséquences de la perte irréversible de la biodiversité, qui affecte l’approvisionnement en eau potable, contribue à la détérioration de la qualité de l’air, met en péril la sécurité alimentaire, affaiblit la résilience des communautés et menace la pérennité des traditions culturelles. En conséquence, les jeunes générations grandissent désormais en étant confrontées à de nouvelles formes d’anxiété. Ces crises exacerbent les inégalités existantes et portent gravement atteinte aux droits de l’homme des individus déjà en situation de marginalisation.
Dans quarante-deux États parmi les quarante-six États membres du Conseil de l’Europe, le droit à un environnement propre, sain et durable est déjà protégé par les constitutions, les législations, les décisions de justice de chaque pays ou parce que ces États sont parties à la convention d’Aarhus. L’ampleur des préjudices subis par les populations en Europe ainsi que la nécessité d’une approche unifiée dans l’interprétation et la mise en œuvre du droit à un environnement propre, sain et durable rendent impératif pour le Conseil de l’Europe de prendre sans tarder des mesures décisives en vue de l’adoption d’un cadre juridique contraignant qui reconnaisse et protège le droit à un environnement propre, sain et durable.
L’adoption d’un protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme serait la réponse la plus forte et la plus efficace, fondée sur les droits de l’homme, à la crise environnementale, comblant ainsi une lacune dans la protection des droits de l’homme, clarifiant les mesures politiques requises et en incitant une responsabilité accrue, ce qui est indispensable pour la protection des générations actuelles et futures. Elle renforcerait et consoliderait la protection juridique du droit à un environnement propre, sain et durable dans toute l’Europe, garantissant ainsi la jouissance de tous les droits de l’homme. Cela conférerait également aux gouvernements du continent de normes juridiques additionnelles afin de défendre leurs politiques contre les violations et les procédures judiciaires abusives initiées par les entreprises.
Le droit à un environnement propre, sain et durable a été reconnu par des organismes internationaux et régionaux. Le Conseil des droits de l’homme des Nations unies a reconnu ce droit par une résolution en octobre 2021, et l’Assemblée générale des Nations unies a fait de même en juillet 2022. De manière notable, tous les États membres du Conseil de l’Europe ont voté en faveur de la résolution de l’Assemblée générale des Nations unies. Lors du Sommet de Reykjavik du Conseil de l’Europe, tous les chefs d’État et de gouvernement des quarante-six membres du Conseil se sont engagés à « renforcer [leur] travail au Conseil de l’Europe sur les aspects de l’environnement liés aux droits de l’homme, sur la base de la reconnaissance politique du droit à un environnement propre, sain et durable en tant que droit de l’homme ». Ce droit de l’homme est reconnu dans les principaux traités relatifs aux droits de l’homme dans d’autres régions du monde, notamment dans la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples et dans le Protocole additionnel de 1988 à la Convention américaine relative aux droits de l’homme.
À la lumière de la reconnaissance régionale et mondiale croissante de ce droit, nous sommes convaincus qu’un protocole additionnel renforcerait les obligations existantes en matière de respect, de protection et de mise en œuvre du droit de l’homme à un environnement propre, sain et durable. Le protocole inspirerait également d’autres normes législatives et politiques plus progressistes . Il encouragerait les États membres du Conseil de l’Europe qui n’ont pas encore reconnu juridiquement ce droit à le faire, promouvant ainsi une responsabilité équitable et partagée entre les États dans la protection d’un environnement sain.
La triple crise planétaire et l’impact croissant de la dégradation de l’environnement sur les droits de l’homme ont entraîné une augmentation du nombre d’affaires connexes devant la Cour européenne des droits de l’homme, une tendance qui devrait se poursuivre. Alors que la Cour a déjà affirmé l’obligation des États de protéger les droits de l’homme existants – tels que le droit à la vie (article 2) et le droit à la vie privée et familiale (article 8) – contre les risques environnementaux, créant ainsi un corpus croissant de jurisprudence en matière de droits de l’homme environnementaux, un protocole additionnel consoliderait la jurisprudence de la Cour et la rendrait plus cohérente, contribuant ainsi à une plus grande sécurité juridique.
La protection explicite du droit à un environnement propre, sain et durable dans le cadre de la Convention européenne des droits de l’homme clarifierait les obligations positives des États en matière de mise en place de mesures et de politiques de protection. Cela contribuerait à éviter les atteintes aux droits de l’homme qui affectent la jouissance d’autres droits tels que ceux contenus dans la Convention, notamment le droit à la vie, à la vie privée et familiale, et l’interdiction des traitements cruels, inhumains et dégradants, ainsi que d’autres droits tels que la santé, l’alimentation, l’eau et la culture. La protection de ce droit est particulièrement essentielle pour les personnes les plus exposées aux atteintes à l’environnement, comme les enfants, les jeunes, les femmes, les peuples autochtones, les minorités dans chaque pays, les personnes en situation de pauvreté, les personnes handicapées, les personnes âgées, les réfugiés et les migrants, les personnes déplacées et tout autre groupe touché de manière disproportionnée.
La reconnaissance de ce droit essentiel compléterait et renforcerait le cadre juridique existant, en affirmant l’importance fondamentale d’un environnement propre, sain et durable pour tous les aspects de la dignité humaine, de l’égalité et de la liberté. Conformément à la nature subsidiaire du système de protection de la Convention, cela permettrait à la Cour de maintenir sa jurisprudence actuelle en matière d’environnement tout en fournissant une base juridique supplémentaire dans les affaires impliquant des États qui ratifieront le protocole additionnel.
Sous l’égide d’un protocole juridiquement contraignant, la protection du droit à un environnement propre, sain et durable enverrait un message fort tant au niveau national qu’international, démontrant et réaffirmant l’engagement des États membres à faire face à la triple crise planétaire. Elle enverrait également un message de solidarité sans équivoque aux défenseurs de l’environnement et des droits de l’homme qui paient actuellement un lourd tribut pour leurs activités de plaidoyer.
Face à des crises sans précédent, le temps est venu pour le Conseil de l’Europe de remplir et de réaffirmer son mandat de promotion de la démocratie, de la primauté du droit et des droits de l’homme dans tous les États membres en reconnaissant et en protégeant le droit à un environnement propre, sain et durable par l’adoption d’un protocole à la Convention européenne des droits de l’homme.