Alors que TotalEnergies a été entendue le 29 septembre devant la Cour d’appel de Versailles, le Sénat a amendé le projet de loi Confiance dans l’institution judiciaire (PJL Justice) pour attribuer la compétence au tribunal de commerce de Paris. Un changement de position porté par les sénateurs Les Républicains qui risque de mettre en péril la loi pionnière sur le devoir de vigilance des multinationales, inquiète les organisations de la société civile et interroge quant au lobbying qui s’est joué en coulisse.
Le 28 janvier 2020, quatorze collectivités territoriales et 5 associations (Notre Affaire à Tous, Sherpa, Eco Maires, France Nature Environnement et ZEA) assignaient Total en justice en raison de l’insuffisance de ses engagements climatiques et de leur inadéquation avec les objectifs de l’Accord de Paris. Alors que Total porte une responsabilité particulière au regard de son empreinte carbone considérable, son plan de vigilance ne permet pas de prévenir les risques graves découlant du réchauffement climatique. Les associations et collectivités demandent au juge d’enjoindre à la multinationale de prendre les mesures propres à prévenir les risques découlant de ses activités en réduisant drastiquement ses émissions de gaz à effet de serre.
Sans répondre sur le fond, TotalEnergies a soulevé l’incompétence du Tribunal judiciaire de Nanterre et demandé à ce que le litige soit porté devant le Tribunal de commerce, juridiction d’exception composée de dirigeants d’entreprises. En février 2021, le Tribunal judiciaire de Nanterre nous a donné raison et a rappelé que le devoir de vigilance “relève de la responsabilité sociale de Total” et que “la lettre” des dispositions du code de commerce relatives au devoir de vigilance “commande un contrôle judiciaire”. TotalEnergies, qui a fait appel de cette décision, et les parties ont de nouveau été entendus devant la Cour d’appel de Versailles le 29 septembre.
Le Parlement doit trancher la question au sein du PJL Justice
Durant les débats de la loi Climat et résilience, la disposition donnant compétence pour juger de la mise en œuvre du devoir de vigilance par les multinationales aux tribunaux judiciaires avait été adoptée par les deux chambres, mais la CMP l’avait malheureusement supprimée, renvoyant son adoption dans le PJL Justice.
Alors que l’Assemblée nationale a adopté la compétence des tribunaux judiciaires en première lecture du PJL Justice, et que la commission des lois du Sénat avait voté le 10 septembre en faveur de la compétence du tribunal judiciaire, des sénateurs LR ont décidé de rouvrir le débat … après consultations avec les entreprises soumises au devoir de vigilance. L’amendement donnant compétence au tribunal de commerce de Paris a finalement été approuvé par la majorité du Sénat tard dans la nuit du 30 septembre. La position définitive du Parlement sera finalement tranchée en Commission Mixte Paritaire dans les prochaines semaines.
Une décision lourde de conséquences pour l’action en justice contre Total
Ce changement de positionnement (in)attendu interroge et inquiète les organisations de la société civile. Tout d’abord, parce que les amendements LR à l’origine du revirement du Sénat reprennent l’argumentaire des avocats de TotalEnergies et qu’une des sénatrices qui l’a soumis au vote est actionnaire de la multinationale. Enfin, parce que si le Parlement tranche en faveur du tribunal de commerce, les multinationales ne respectant pas les droits humains et détruisant la planète, comme TotalEnergies, qui sont et seront attaqués en justice sur la base de la loi sur le devoir de vigilance, seront « jugées » devant un tribunal composé de dirigeants d’entreprises.
Un situation inacceptable qui viderait le devoir de vigilance de sa substance, en l’assimilant à une simple problématique de gestion de l’entreprise laissée à l’appréciation des juges consulaires.
Notre Affaire à Tous continuera à se mobiliser pour que le texte issu de la CMP reflète réellement l’ambition initiale de la loi et que TotalEnergies puisse être jugé par un tribunal soucieux de prendre sérieusement en compte l’impact climatique colossal de la multinationale.