Le groupe Recours Locaux de Notre Affaire à Tous a travaillé aux côtés des Amis de la Terre, de Maiouri Nature Guyane et de Wild Legal pour déposer un recours devant le Conseil d’Etat afin d’obtenir l’annulation du décret du 8 avril 2020. Ce décret généralise le droit des préfets à déroger à de nombreuses normes réglementaires, notamment en matière environnementale.

Le décret étend à la France entière une procédure instaurée en décembre 2017 à titre expérimental dans certains départements et régions, dont l’annulation avait déjà été demandée. 183 arrêtés dérogatoires ont alors été adoptés, parmi de nombreux cas inquiétants : cette période d’expérimentation a notamment permis l’installation d’une unité de méthanisation dans une zone protégée dans l’Yonne, ou encore la construction d’une digue et d’un parc d’éoliennes en passant outre l’obligation de réaliser une étude d’impact environnemental en Vendée.

Adopté en période de confinement, il permet aux préfets de contourner les normes existantes pour prendre des décisions dans des domaines étendus, tels que l’aménagement du territoire, l’environnement, la construction ou encore l’octroi de subventions. 

En effet, le droit de l’environnement et le droit de l’urbanisme sont protecteurs tant qu’ils imposent de nombreuses procédures, qui sont autant de modalités à l’implantation d’un projet. Ainsi, par exemple, une étude d’impact est nécessaire pour obtenir une autorisation loi sur l’eau, dérogations espèces protégées ou ICPE pour un projet.

Si cette étude n’est pas toujours opposable, elle permet néanmoins de répertorier les enjeux environnementaux sur le territoire où le projet s’implanterait. D’autre part, elle impose au maître d’ouvrage d’établir une séquence « Eviter – Réduire – Compenser », qui est établie afin de réduire les impacts du projet. En somme, cette étude est précieuse et de nombreux juristes revendiquent un caractère décisoire pour celle-ci, c’est-à-dire qu’elle soit prise en compte dans l’acceptation du projet.

Or, ce n’est aujourd’hui pas le cas. Pourtant l’on pourrait espérer que ce soit le prochain pas d’un droit plus protecteur du vivant.

Néanmoins, un mouvement de fond de détricotage du droit de l’environnement est à l’œuvre, et ce décret est précisément un pas en arrière à l’heure où, plus que jamais, il est nécessaire de faire face à la crise environnementale de manière ferme.

Un tel dispositif permettra notamment l’accélération des dispositifs procéduraux dans l’implantation de projets destructeurs. A l’heure où le gouvernement prône une relance économique, un tel décret est un réel facilitateur. Il n’est que peu surprenant que cette globalisation du dispositif arrive donc à l’orée du déconfinement.

C’est pourquoi les bénévoles du groupe Recours Locaux se sont saisis de l’affaire et comptent bien obtenir l’annulation du décret devant le Conseil d’Etat. 

Notre recours soulève notamment trois moyens entraînant l’illégalité de l’acte : 

  • D’une part, les porteurs de projets qui obtiendront des dérogations seront nécessairement ceux qui réussiront à faire valoir leur dossier auprès du préfet. Des projets identiques pourraient aussi être soumis à des obligations différentes selon les départements, ce qui remet en question le principe d’égalité devant la loi. 
  • D’autre part, le décret ne respecte pas la séparation des pouvoirs, car il permet à l’exécutif – le préfet – de délivrer, au cas par cas, des “dispenses” de législation qui sont d’ordinaire du domaine réservé du législateur.
  • Enfin, la formulation imprécise du décret et son champ d’application vaste vont à l’encontre de l’objectif de clarté et d’intelligibilité de la loi.

Les conséquences de la pérennisation du dispositif pourraient s’avérer extrêmement lourdes pour l’environnement, entrainant des brèches dans les procédures de protection déjà fragilisées.