Depuis le lancement de notre campagne « Faire de la France le pays leader du climat« , nous n’avons eu de cesse de porter nos cinq revendications auprès du grand public et des décideurs-ses. Nous avons ainsi transmis, conjointement avec d’autres organisations et expert-es, notre proposition de rédaction en vue de la réforme constitutionnelle au Président de la République et à plusieurs membres du gouvernement. À l’heure où nous prenons connaissance de la formulation proposée par l’exécutif, nous jugeons utile de communiquer sur le contenu de notre proposition.
Dans son discours devant la communauté internationale lors de la COP23 de Bonn, le Président de la République a évoqué le franchissement du “seuil de l’irréversible” et le risque que les équilibres de la planète ne se rompent. La France porte également auprès des Nations-Unies le projet d’un nouveau Pacte international, contraignant, pour l’environnement, qui permettra de refonder les relations internationales sur le respect de la nature et le respect de ses ressources, tout en garantissant les droits de l’Homme.
Face à l’urgence climatique et environnementale, et afin d’atteindre son objectif au niveau international, la France doit faire le premier pas et avoir pour ambition de constitutionnaliser tant « l’Acquis de l’Accord de Paris » que les récents principes environnementaux dans la norme suprême. Le Constituant doit acter par cette révision l’obligation d’agir contre les changements climatiques d’origine anthropique et pour préserver les communs naturels dont la biodiversité. Or, si la France a constitutionnalisé les droits de la troisième génération en 2005 avec la Charte de l’environnement, les normes constitutionnelles ne prennent pas acte des exigences définies au plan international et qui ne sauraient être remises en cause.
Au-delà des effets du changement climatique qui s’intensifient, les limites planétaires, à savoir les grands équilibres interdépendants qui conditionnent l’habitabilité de la Terre, sont également franchies. Plusieurs des limites définies par les scientifiques et reprises par la communauté internationale, du Panel de haut-niveau de l’ONU sur la viabilité du développement mondial (UN High-Panel Level on Sustainibility ; 2012) à la Commission européenne (2011), ont été dépassées, condamnant les générations à venir à vivre dans un monde moins accueillant que ne l’aura été le nôtre. L’approche climatique de la France doit tenir compte de l’importance de l’intégrité des écosystèmes dans la lutte contre le réchauffement climatique (Accord de Paris, 2015) et des boucles de rétroaction entre le climat et l’ensemble de ces grands équilibres (GIEC, 2007).
Le droit comparé constitutionnel peut être très inspirant pour proposer des modifications du texte de la Constitution. C’est le cas de plusieurs Constitutions dans le monde, dont la Constitution de la République dominicaine qui prévoit un plan d’organisation territoriale assurant “l’utilisation efficace et durable des ressources naturelles de la Nation, conformément au besoin de s’adapter au changement climatique” (article 194) ; de la Constitution tunisienne dont l’article 45 dispose que “L’État garantit le droit à un environnement sain et équilibré et contribue à la protection du milieu. Il incombe à l’État de fournir les moyens nécessaires à l’élimination de la pollution de l’environnement” ; ou encore de la Constitution de la Côte d’Ivoire, qui stipule dans son Préambule que le peuple ivoirien s’engage à “contribuer à la protection du climat et au maintien d’un environnement sain pour les générations futures”.
D’autres États européens ont déjà intégré à leurs Constitutions le devoir de protéger l’environnement et le droit, pour chaque citoyen(ne), de jouir d’un environnement sain plus ambitieux que celui défini dans la Charte. C’est le cas de l’article 112 de la Constitution norvégienne qui dispose que “chaque personne a droit à un environnement naturel et favorable à la santé dont la productivité et la diversité sont maintenues”, de la Suisse dont la Constitution reconnaît en son article 120 l’intégrité “des organismes vivants et de la sécurité de l’être humain, de l’animal et de l’environnement et protège la diversité génétique des espèces animales et végétales” ; ou encore de l’article 21 de la Constitution néerlandaise qui prévoit de donner aux pouvoirs publics la mission de « veiller à l’habitabilité du pays ainsi qu’à la protection et à l’amélioration du cadre de vie ». De surcroît, la responsabilité environnementale des personnes publiques a été inscrite à l’article 45 de la Constitution espagnole « des obligations pour les personnes publiques de protéger et améliorer la qualité de la vie et à veiller à l’utilisation rationnelle des ressources naturelles, défendre et restaurer l’environnement en ayant recours à l’indispensable solidarité collective » et à l’article 73 de la Constitution suisse “la confédération et les cantons œuvrent à l’établissement d’un équilibre durable entre la nature, en particulier sa capacité de renouvellement, et son utilisation par l’être humain”.
Si l’Etat français s’est engagé à plusieurs reprises à prendre en compte les impacts différenciés du changement climatique, et ce, à la fois sur la scène internationale et dans sa politique nationale, aujourd’hui son action vertueuse doit être consacrée au plus haut niveau de la hiérarchie des normes.
La méthode choisie pour cette nouvelle révision constitutionnelle doit impérativement tenir compte de notre histoire et l’acquis constitutionnel. La Charte de l’environnement ne saurait être modifiée tout comme d’ailleurs les deux textes fondamentaux que sont la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 et le Préambule de la Constitution de 1946 qui consacrent respectivement des “droits-liberté” civils et politiques et des “droits créance” économiques et sociaux. Les droits et principes consacrés par la Charte ont apporté une troisième génération des droits à l’édifice constitutionnel qui convient de laisser en l’état, et conformément à la jurisprudence du Conseil constitutionnel dite de l’ « effet cliquet ».
Il est proposé :
- de modifier l’article 1er de la Constitution
- d’ajouter un titre XII bis à la Constitution, dédié à la transition écologique
Article 1er de la Constitution
La France est une République indivisible, laïque, démocratique, sociale, solidaire et écologique. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion.
La République veille à un usage économe et équitable des ressources naturelles, garantit la préservation de la diversité biologique et lutte contre les changements climatiques dans le cadre des limites planétaires. Elle assure la solidarité entre les générations. Une génération ne peut assujettir les générations futures à des lois moins protectrices de l’environnement que celles en vigueur.
Elle respecte toutes les croyances. Son organisation est décentralisée.
La loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, ainsi qu’aux responsabilités professionnelles et sociales.
Nouveau titre de la Constitution
Titre XII bis De la transition écologique et solidaire
Article 1er « Dans le respect des principes posés à l’article 1er, l’État, avec le concours des personnes privées, doit contenir l’élévation de la température moyenne de la planète en poursuivant au plan national et local l’action mondiale menée pour limiter les atteintes à l’environnement d’origine anthropique, et en diminuant les concentrations de gaz à effet de serre dans l’atmosphère à un niveau qui empêche toute perturbation dangereuse du système climatique . »
Article 2 « Les personnes publiques, avec le concours des acteurs privés, ont le devoir de préserver la biodiversité et de lutter contre les changements climatiques, de protéger et d’améliorer la qualité de la vie, de la santé, des écosystèmes existants et de veiller à l’utilisation rationnelle des ressources naturelles. Les personnes publiques définissent les conditions de restauration de l’environnement et contribuent à la durabilité du développement économique. »
Article 3 “Les lois de finances organisent le financement des investissements nécessaires à l’adaptation publique aux grands changements naturels en cours et à venir.”
Article 4 « Les mesures engagées pour faire face à la transition écologique doivent respecter les droits de l’Homme définis par la Déclaration de 1789, confirmée et complétée par le préambule de la Constitution de 1946 et par la Charte de l’environnement de 2004.”