Communiqué de presse – 22 juillet 2020
Depuis la crise sanitaire, sous couvert d’une relance économique nécessaire et supposément salvatrice, le gouvernement multiplie les actes visant à construire un réel système d’exception au profit des industriels. Loin d’être des actes éparpillés et déconnectés les uns les autres, ces différents décrets et annonces déconstruisent méthodiquement les procédures environnementales visant à garantir la protection du vivant, de la santé publique et les droits de participation et d’information du public. Un tel procédé de dérogation systématique entre en frontale contradiction avec les engagements du gouvernement sur l’objectif zéro artificialisation nette des sols, mais aussi avec la stratégie nationale bas carbone que 66 nouveaux sites industriels viendraient ébranler.
Le 3 avril 2020, brandissant la crise sanitaire comme alibi, le courrier du Medef, lobbying au grand jour, avait fait du bruit. Dans ce courrier était réclamé un moratoire sur les mesures en cours d’élaboration qui auraient pour conséquences d’alourdir les procédures administratives dans le but d’offrir une plus grande protection environnementale. Étonnant pour tous, scandalisant pour les plus engagés, aucune suite n’avait été donnée à de telles demandes.
Par la suite, un décret daté du 8 avril a généralisé un procédé en cours d’expérimentation (et cela sans consultation du public) visant à permettre au préfet de permettre à certains projets de se passer de procédure environnementale, dès lors que ceux-ci pourraient être considérés d’intérêt général. C’est bien sûr au préfet qu’est laissée l’appréciation de cet intérêt. Rappelons à ce stade qu’il s’agit ici de procédures telles que l’étude d’impact, qui permettent de faire état des enjeux environnementaux à l’emprise du projet. Ces procédures permettent également de poser les mesures visant à éviter, réduire ou compenser les impacts du projet. Au stade de l’expérimentation, un projet éolien en Vendée avait pu se voir exonérer de cette étude. Un tel décret contrevient à la séparation des pouvoirs et laisse aux prises de possibles conflits d’intérêt la protection environnementale assurée par les procédures.
Le pouvoir du préfet ne s’arrête pas là car le décret du 3 juillet lui assure la décision dans les procédures dites de “cas par cas” visant à déterminer si un projet doit se soumettre ou non à une étude d’impact environnementale. Le décret précise habillement que le préfet jugera seul s’il se considère ou non en conflit d’intérêt et en capacité de trancher objectivement le cas.
Le 17 juillet, la consultation sur les projets de décret et d’arrêté prend fin de manière discrète. Pourtant ces actes apportent une réduction des périmètres de procédure ICPE et de projets soumis à autorisation environnementale, principalement dans le secteur de la logistique.
Enfin le 20 juillet, le gouvernement annonce 66 nouveaux sites clé en main. Un site clé en main est donc un site où les procédures ont été effectuées avant la désignation du maître d’ouvrage à l’échelle du site. Le procédé “clé en main” permet donc pour les projets sur le site d’accélérer les procédures et d’obtenir le permis en trois mois. En effet, l’étude d’impact et l’enquête publique sur le site sont donc effectuées bien en amont de la désignation du maître d’ouvrage, les projets sont à ce moment encore très flous, les procédures demeurent donc vagues. Malgré les prescriptions législatives concernant l’étude d’impact, celle-ci est réalisée alors qu’il est bien difficile d’établir quelles seront les conséquences des projets particuliers sur l’environnement, la santé ou le cadre de vie.
L’association Notre Affaire à Tous travaille au quotidien avec les normes composant le droit de l’environnement afin de venir en aide aux collectifs en lutte contre les projets imposés et polluants. Il nous semble donc important de dénoncer ce mouvement de fond portant un détricotage systématique du droit de l’environnement. Si les demandes du Medef ont officiellement été ignorées, dans les faits c’est une immense brèche qui s’est ouverte depuis quelques mois dans le droit de l’environnement et cela au profit des industriels. Ces modifications s’imbriquant, elles laissent une marge immense au préfet, lui permettant, dans de nombreux cas, d’avoir la mainmise sur les procédures environnementales, autorisations et études d’impact d’un projet. Dans le cadre d’un des 66 sites, cela pourrait entraîner l’installation d’un site ICPE sans que le maître d’ouvrage n’ait eu ni à effectuer une étude d’impact, ni à demander les autorisations liées et cela dans un délai extrêmement court.
Il va s’en dire que de tels mécanismes portent atteinte au droit de participation et d’information du public, au principe de précaution et de prévention et entre frontalement en opposition avec les objectifs de zéro artificialisation des sols et de neutralité carbone.
Pour Chloé Gerbier de Notre Affaire à Tous : “Le pacte rebond est une dérogation de plus, il est construit en manifeste désaccord avec le droit de participation et d’information du public ainsi qu’avec le principe de précaution”.
Contact presse :
Notre Affaire à Tous – Chloé Gerbier : 06 46 43 55 09
ANNEXES – Rappels des faits :
- Le 3 avril dernier, le Medef adressait un courrier demandant au gouvernement un moratoire de 6 mois sur les mesures protectrices de l’environnement en cours d’élaboration.
- Le 8 avril, un décret donnait pouvoir de dérogation aux préfets notamment en matière environnementale.
- Le 3 juillet, un décret désignait le préfet comme compétent en matière d’étude au cas par cas.
- Le 17 juillet, prenait fin la consultation sur des projets de décret et d’arrêté qui d’une part portent modification de certaines rubriques de la nomenclature ICPE diminuant le périmètre de protection et d’autre part diminuent le périmètre de l’évaluation environnementale.
- Le 20 juillet 2020 le gouvernement annonce 66 nouveaux sites “clé en main”, afin de concrétiser un nébuleux “pack rebond”.
Rappels des conséquences de la désignation des 66 sites :
Un site clé en main est un site où les procédures ont été effectuées avant la désignation du maître d’ouvrage, ainsi qu’annoncé fièrement par le gouvernement. Le procédé permet donc d’accélérer les procédures et d’obtenir le permis en trois mois. Mais cet arrangement avec les procédures relève avant tout d’une profonde atteinte aux droits à l’information et à la participation du public et n’est pas aussi protecteur de l’environnement que le gouvernement semble l’affirmer.
L’article R122-5 du code de l’environnement alinéa 5° prescrit bien “une description des incidences notables que le projet est susceptible d’avoir sur l’environnement “, cette analyse résultant notamment de la construction du projet, de l’utilisation des ressources en phase de fonctionnement, des émissions de polluants et des risques pour la santé humaine.
Les alinéas 8 et 9 du même article imposent aussi la prévision de mesures afin d’éviter, de réduire, et de compenser les impacts du projet sur l’environnement, sans maître d’ouvrage, ce sont donc des mesures auxquelles l’état s’engage tout en sachant pertinemment qu’il n’en sera pas l’exécutant.
De la même façon, l’enquête publique invite les citoyens au plus proche du projet à se prononcer mais, comme le démontre l’enquête autour du projet du Carnet, les participants n’arrivent pas à se faire une idée claire du ou des projets qui prendront place sur le site. D’autre part le procédé d’aides sous condition sur lequel est basé le pack rebond semble entrer en conflit avec le droit européen en terme d’aide d’état et de concurrence.
Enfin, l’acte de droit permettant aux collectivités d’effectuer les procédures en place et lieu des maîtres d’ouvrage et sélectionnant ces sites est inconnu, ceux-ci semblent donc actés comme clé en main au bon vouloir du gouvernement. En janvier dernier le président annonçait d’ores et déjà la concrétisation de 12 de ces sites clé en main.
Deux collectifs en lutte ont contacté l’association. Il s’agit du collectif Stop Carnet s’opposant au projet menaçant près de 200 he de zones humides et d’un collectif de particuliers opposés au projet d’usine Clarebout visant une production industrielle de produits surgelés à base de pomme de terre.
Le projet Carnet fait déjà l’objet d’une étude d’impact en 2017 alors qu’aucun maître d’ouvrage n‘est encore désigné. D’autre part il fait l’objet d’une dérogation espèces protégées portant sur 116 espèces, les opposants au projet réunis au sein du collectif Stop Carnet n’ont de cesse de rappeler le flou et l’incohérence d’un site industriel construit d’un bloc sur un tel réservoir de biodiversité, l’autorité environnementale elle même questionne la localisation dans son avis concernant le projet.
12 sites représentaient déjà 12 territoires de plus de 50 he non artificialisés sacrifiés, nous ne pouvons accepter que 66 soient ajoutés à ce funeste tableau.