100 spécialistes du droit s’engagent pour un droit à la hauteur de l’urgence climatique. Etudiants, juristes, avocats, ils veulent rappeler que le droit structure nos sociétés, qu’il ne peut y avoir une relance juste sans un droit juste. “Le gouvernement n’est pas au-dessus des lois” : notre constitution garantit un droit à un environnement sain, il n’est pas envisageable que la relance économique se fasse au détriment de celui ci.
Pour cela ils préconisent ici le respect et l’amélioration de nos normes protectrices de l’environnement afin que les injections monétaires ne puissent se faire au détriment du vivant. Cette tribune annonce aussi un manifeste qui permettra d’approfondir et de concrétiser législativement ces recommandations. Ce sera une occasion d’ouvrir à toutes et tous le dialogue politique pour poser les fondations d’une société résiliente et respectueuse du vivant.
L’épidémie du Covid-19 nous rappelle et confirme tristement l’impact des activités humaines sur l’environnement, le climat et les répercussions que celles-ci engendrent pour la santé humaine.
Nous ne sommes aujourd’hui pas préparé·e·s pour répondre de façon solidaire, équitable et anticipée aux conséquences sanitaires découlant des prochaines catastrophes induites par le changement climatique, pas plus que nous ne l’avons été pour lutter contre celles résultant de la propagation du virus Covid-19.
L’atténuation des émissions de gaz à effet de serre, le financement de projets d’adaptation des populations aux effets du changement climatique, la prévention des risques, la protection de la biosphère, ces thématiques ont toutes été discutées, institutionnalisées, elles ont parfois même été l’objet d’une concrétisation normative en droit international, européen ou droit interne. Pourtant, ces acquis institutionnels, politiques et juridiques fragiles et régulièrement remis en cause se trouvent dans cette période de crise sanitaire profondément affaiblis, vidés de leur substance.
Le gouvernement s’apprête à mobiliser d’importants moyens financiers pour appuyer une « relance » de l’économie à la sortie du confinement. Cependant, la restructuration de l’économie n’est pas au-dessus des lois. Ce plan de sortie de crise doit être l’occasion de construire un droit en accord avec les textes internationaux et domestiques garants d’une haute protection de l’environnement.
En effet, les dispositions prévues dans ces textes ne nous obligent pas seulement à veiller à la préservation de l’environnement. Elles nous imposent aussi, comme le prévoit l’article 1er de la Charte de l’environnement, de protéger le lien de dépendance vitale que nous avons avec lui. La protection de notre rapport collectif à l’environnement est donc au cœur de nos exigences constitutionnelles puisqu’il revient au législateur de garantir le “droit [de chacun] de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé”. Le Conseil constitutionnel a d’ailleurs récemment reconnu que la protection de l’environnement, “patrimoine commun des êtres humains”, constitue un objectif de valeur constitutionnelle qui peut justifier une « atteinte » à la liberté d’entreprendre[1].
Des juristes force de proposition pour un droit respectueux du vivant
Nous appuyons la nécessité de nous doter d’un droit à la hauteur de l’urgence climatique et de la lutte contre l’effondrement de la biodiversité. Juristes, avocat·e·s, universitaires et citoyen·ne·s mobilisé·e·s pour un renforcement de la protection de l’environnement, du climat et des droits humains, nous demandons :
Que les lois qui encadreront le soutien de l’Etat aux entreprises en difficulté ne s’affranchissent pas des obligations climatiques et environnementales auxquelles l’Etat est tenu. Elles doivent être le reflet de ces principes constitutionnels garantissant notre droit à un environnement sain et à la protection du vivant.D’élaborer un plan de transformation de notre consommation énergétique définissant notre rapport aux ressources naturelles. Celui-ci devra contenir des objectifs législatifs contraignants et chiffrés, soutenus par des investissements forts dans les secteurs clefs, indispensables pour minimiser notre impact écologique : la rénovation thermique des bâtiments, le transport décarboné de personnes et de marchandises, les méthodes agricoles qui respectent le climat et la biodiversité, etc.
D’augmenter les exigences de droit public de l’environnement encadrant la mise en oeuvre des projets d’infrastructures industrielles, commerciales ou même d’intérêt public. Les outils du droit de l’environnement voient leur mise en pratique être perpétuellement amoindrie. Les avis des commissions expertes (dans les domaines de l’eau, des espèces protégées etc.) deviennent consultatifs, les procédures sont réduites, accélérées, mutualisées, et les pouvoirs dérogatoires des préfets perpétuellement augmentés[2]. Il est urgent de cesser le détricotage du droit de l’environnement, de rétablir les limites procédurales et la légitimité des experts dans l’analyse des impacts environnementaux.
De faire appliquer, renforcer et produire de nouvelles obligations environnementales et climatiques pour les multinationales, notamment les plus polluantes. Pour cela, la reprise rapide des travaux du gouvernement français sur la lutte contre la déforestation importée, la protection de la biodiversité et la fin de l’artificialisation des sols, ainsi que l’accélération du calendrier européen en matière de transformation agro-écologique de notre système alimentaire sont cruciales. Il est également essentiel d’établir un réel contrôle de la mise en oeuvre du devoir de vigilance opposable aux entreprises afin d’obtenir de celles-ci une mise en cohérence de leurs objectifs climatiques et environnementaux.
De pérenniser les avancées en matière de droit de l’environnement en actant la modification de l’article 1er de la Constitution et la reconnaissance des limites planétaires. Cet article doit mentionner que la République agit pour préserver l’équilibre de l’écosystème Terre en luttant contre les dérèglements climatiques, en protégeant la biodiversité, et plus largement en respectant les limites écologiques de la planète, qui conditionnent le destin de l’humanité et de l’ensemble du monde vivant. Une telle modification imposerait à l’Etat une obligation de garantir la lutte contre le changement climatique et la préservation de la biodiversité dans le respect des limites planétaires, et éviterait tout retour en arrière de la législation environnementale grâce au principe de non-régression.
De mettre en œuvre les mesures de lutte contre la criminalité environnementale, notamment celles liées à la lutte contre le braconnage. Plus encore, c’est l’application concrète du droit pénal de l’environnement dans son ensemble qui doit être repensée. Dès lors, nous devons inscrire le crime d’écocide dans notre droit pénal, demander sa reconnaissance au niveau européen et au niveau international dans le statut de la Cour pénale internationale, afin de mettre fin à l’impunité environnementale et de prévenir la destruction de grande ampleur des écosystèmes naturels terrestres et marins.
De reconnaître la nature comme sujet de droit, afin de pouvoir défendre de manière préventive les droits des écosystèmes à exister, se régénérer et évoluer et d’affirmer nos liens d’interdépendance avec le reste du vivant.
Afin d’étayer ces propositions que nous savons ambitieuses, nous publierons un manifeste dans le but de les transformer en une concrétisation législative. Pour cela, nous vous invitons toutes et tous à faire, vous aussi, vos contributions afin que les exigences constitutionnelles soient enfin respectées et transparaissent dans le droit qui structure notre société.
Une plateforme est disponible sous ce lien afin de recueillir vos suggestions et idées. Elles pourront être intégrées au manifeste afin de construire, ensemble, un droit à la hauteur de l’urgence climatique et environnementale.
Notes
[1] Décision n° 2019-823 QPC du 31 janvier 2020
[2] L’exemple du récent décret du 8 avril 2020 est criant, celui-ci pérennise, suite à une expérimentation menée pendant près de deux années, la faculté donnée aux préfets de région et de département, en métropole et outre-mer, de déroger aux normes réglementaires notamment en matière d’urbanisme et d’environnement.
Les signataires
Cent juristes, avocats, étudiants et citoyen-nes engagé-es, membres de Notre Affaire à Tous, portent le droit de l’environnement comme seul cadre possible à une relance économique juste et viable.
AMBROSELLI Etienne, Avocat au Barreau de Paris,
BATO Clotilde, Présidente de Notre Affaire à Tous
BAUDELIN Alexis, Avocat au Barreau de Paris
BAUDOUIN Clothilde, Coordinatrice de la vie associative de Notre Affaire à Tous
BELLÉE Éva, Juriste en droit public et en droit de l’environnement
BOUAYAD Aurélien, Doctorant et enseignant en droit de l’environnement
BRIENZA Bianca, Juriste droit public
BUSSIERE Sophie, Avocate au barreau de Bayonne
CABANES Valérie, Juriste internationaliste. Présidente d’honneur de Notre Affaire à Tous
CACAUD Philippe, Juriste, consultant international, droit des pêches
CASSAN-BARNEL Sandy, Juriste en Droit public
CHAMBERT-LOIR Camille, Juriste en droit de l’environnement
CLERC Antoine, Juriste
COURLET MILON Lucile, Juriste
COURNIL Christel, Professeure de droit public
DAVAL Marianne, Référente du groupe local Notre Affaire à Tous Strasbourg
de COURREGES Muriel, Juriste internationale, titulaire CAPA et LL.M. Georgetown, bénévole Notre Affaire à Tous
DELEAU Delphine, Avocate de formation, spécialiste en éco conception
DENIS Marine, Porte-parole de Notre Affaire à Tous, Doctorante en droit international, enseignante à Sciences Po
DIOP Pathé, Docteur en Science politique, Chargé d’enseignement à l’Université Catholique de Lille
DUBOIS Margaux, Juriste en Droit de l’environnement
GERBIER Chloé, Coordinatrice groupe juristes de Notre Affaire à Tous
GUINARD Dorian, Maître de conférences de droit public à l’IEP de Grenoble
HAMEL Samy, Juriste en Droit public
HEDDI Pierre, Avocat au barreau de Paris
HELLE-NICHOLSON Julien, Juriste en Droit de l’environnement
HILLAIREAU Léa, Juriste pour l’ONG Climate Parliament
JARLAND Lucie, Juriste en droit de l’environnement
JEAN-MEIRE Pierre, Avocat au barreau de Nantes
JOUAYED Célia, Juriste en Droit public et Droit de l’environnement
LAFOUGE Martin, Juriste titulaire du CAPA
LAILLER Chloé, Juriste en droits de l’Homme
LASFARGEAS Sylvia, Avocate au barreau de Paris
LUDWIG Marie-Hélène, Avocate au Barreau de Paris
MANCEL Thomas, Juriste
MABILE Sébastien, Avocat au Barreau de Paris, Docteur en droit, Enseignant à Sciences Po
MEERPOEL Matthieu, Docteur et Enseignant-Chercheur en Droit public
MERIGUET Nina, Juriste Droit de l’environnement
MOGUEN Céline, Juriste française titulaire du CAPA et solicitor britannique.
MONCOND’HUY Gabrielle, Juriste titulaire du CAPA
MOUGEOLLE Paul, Doctorant – juriste chargé du contentieux contre Total à Notre Affaire à Tous
NOILHAC Amélie, Juriste en droit des énergies et de l’environnement
PANISSET Camille, Référente du groupe local Notre Affaire à Tous Lyon
PERIGOT Manuel, Avocat au Barreau de Paris
POCHON Marie, Secrétaire Générale de Notre Affaire à Tous
PRIOUR Edgar, Juriste territorial
RAFFIN Edouard, Avocat au Barreau de Lyon
RINAUDO Cécilia, Coordinatrice Générale Notre Affaire à Tous
ROBBA Anna, Juriste en droit de l’environnement
ROBIOU du PONT Yann, Climatologue
ROTH Xavier, Juriste en droit public
SALOMÉ Jeanne, Juriste, Conseillère ONG, Bénévole Traduction Notre Affaire à Tous
SARDET Juliette, Juriste en droit international
SPIELEWOY Pierre, Doctorant en droit international de l’environnement
STURM Sailor, Avocat au Barreau de Grasse
SURAN Ilona, Coordinatrice partie juridique du groupe “Technologies Sociales” de l’Université Fédérale de Sergipe (Brésil)
TICHOUX Julie, Juriste en droit public
TOUSSAINT Marie, Juriste, Fondatrice de Notre Affaire à Tous
VAN VLASSELAER Marie, Juriste, vacataire tribunal administratif
VICENTE Marie, Juriste, référente du groupe Éducation & Sensibilisation de Notre Affaire à Tous Grenoble
VONDERSCHER Flavie, Juriste en droit de l’environnement
YZQUIERDO Marine, Avocate au barreau de Paris, coordinatrice Plaidoyer au sein de Notre Affaire à Tous
ZALCMAN Julie, Membre de la coordination de Notre Affaire à Tous
ANTOINE Marisa, Étudiante en droit public
BANULS Justine, Étudiante en droit public
BARBÉ Laure, Élève-avocate au barreau de Paris
BIONDO Martina, Élève-avocate au Barreau de Milan
CHAGNAUD Alice, Étudiante en droit des collectivités territoriales
CHAPLAIN Roxane, Responsable du groupe sensibilisation-éducation de Notre Affaire à Tous, Étudiante en droit de l’environnement
COHEN Salomé, Élève-avocate au barreau de Paris
CORREIA Caroline, Étudiante en droit international public
DUVAL Claire, Étudiante en droit international public
GUIBERT Hélène, Élève-avocate au barreau de Paris
LABBE Pascal, Étudiante en droit
LASSINE Margot, Étudiante en Licence de Droit
LEMIRE Adèle, Étudiante en Droits de l’Homme
SUILS PORTE Marine, Étudiante en droit de l’environnement
THIEBOLD Elena, Étudiante en droit de l’environnement
VAUCHER Maréva, Étudiante en contentieux publics
VON MINDEN Hannah, Étudiante en droit international
ANDERSON Antoine, Agent de collectivité locale Chargé de mission
BARBISAN Guido, Citoyen engagé
BOSSE Charline, Citoyenne engagée
BOUVET César, Étudiant engagé
CAZIN Nina, Étudiante en sciences politiques
CORNELISSEN Adrien, Citoyen engagé
DEHAIS Adeline, Citoyenne engagée
DONNEGER Marc, Thermicien
DUTHOIT Louis, membre du groupe multinationales de Notre Affaire à Tous
GLAICHENHAUS Kevin, Monteur Vidéo
GOURMEL Jonathan, Citoyen engagé, bénévole Notre Affaire à Tous
LESTERQUY Pauline, Économiste chercheur – Enseignante à Sciences Po
MOUREAUD Séverine, Enseignante d’histoire-géographie et membre du groupe sensibilisation-éducation de Notre Affaire à Tous
NOGUES BRUNET Hélène, Citoyen engagé. Animateur formateur La Fresque du Climat
PERRONNET Franck, Membre du groupe inégalités climatiques
PIPITONE Béatrice, Agent de l’Etat
RAY Marie Hélène, Citoyenne, traductrice bénévole à Notre Affaire à Tous
ROCHER Antoine, Citoyen engagé