Article rédigé par Alice Renaud.

Contexte

La loi d’orientation pour la souveraineté alimentaire et le renouvellement des générations en agriculture, qui remet en cause un grand nombre de garanties environnementales, a été adoptée rapidement par le Parlement avant le début du salon de l’agriculture. Le Conseil constitutionnel a été saisi avant sa promulgation par les députés écologistes et insoumis. Notre affaire à tous a déposé une contribution extérieure pour appuyer et compléter leurs arguments. 

Décision

Par une décision n° 2025-876 DC du 20 mars 2025, le Conseil constitutionnel a censuré 18 articles soit près d’un tiers de la loi. 

  • 11 articles ont été considérés comme des cavaliers législatifs ou ont méconnu la règle de l’entonnoir ;
  • 7 articles étaient contraires, pour des motifs de fond, à la Constitution.

Précisions

Si le projet de loi d’orientation agricole avait été pensé pour répondre aux demandes des agriculteurs en crise, une partie de la loi qui est sortie des couloirs du Parlement visait à affaiblir les protections environnementales relatives à l’agriculture et à la biodiversité. Le juge constitutionnel a heureusement permis de limiter une telle dérive sur un certain nombre de points.

Les articles censurés sur le fond

Il a notamment censuré, au sein de l’article 1er, l’alinéa qui empêchait le pouvoir réglementaire d’aller au-delà des règles européennes dans le domaine de l’agriculture. Le Conseil constitutionnel considère, qu’en vertu de l’article 37 de la Constitution, le gouvernement dispose de compétences propres dont il ne peut être privées, par le pouvoir législatif, au profit de l’Union européenne. Cette interprétation inédite du principe de séparation des pouvoirs permet de censurer cet alinéa et de laisser une liberté au pouvoir réglementaire afin de protéger plus fortement certains intérêts. 

L’article 2, qui introduisait le principe de non-régression de la souveraineté alimentaire, est censuré en ce qu’il méconnaît l’objectif à valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi et le principe de séparation des pouvoirs. Cette censure est bienvenue puisque ce principe aurait pu être opposé au principe de non-régression de la protection de l’environnement dès lors qu’il était défini comme la protection du potentiel agricole de la Nation ne pouvant faire l’objet que d’une amélioration constante. Le Conseil constitutionnel décide que cet article est susceptible de faire obstacle à l’exercice du pouvoir réglementaire en ce qu’une évaluation systématique des textes qui pourraient avoir une incidence, même lointaine, sur l’agriculture ou la pêche aurait dû être effectuée. 

Le juge constitutionnel a également censuré l’article 31 qui instaurait une présomption de non-intentionnalité, lorsque l’exploitant exécute une obligation légale, réglementaire ou administrative, concernant l’atteinte aux espèces protégées et à leurs habitats naturels rendant beaucoup plus simple de ne pas être condamné pour ce délit. Cet article est contraire au principe de légalité des délits et des peines dès lors qu’il faisait dépendre le champ d’application de la loi pénale d’une décision administrative. 

L’article 35, qui introduisait une présomption de bonne foi de l’exploitant, obligeait à prioriser les procédures alternatives aux poursuites pénales et permettait à l’exploitant de ne pas être sanctionné si le manquement reposait sur une norme en contradiction avec une autre norme, a aussi été déclaré contraire à la Constitution. Pour les juges, cet article était, en partie, dépourvu de portée normative et inintelligible. 

Enfin, l’article 48, qui excluait les piscicultures, c’est-à-dire l’élevage de poissons en bassin artificiel, du régime de protection IOTA, méconnaît les articles 1 et 3 de la Charte de l’environnement. Cette nomenclature permet, selon le Conseil constitutionnel, d’empêcher certaines atteintes à l’environnement et sa suppression pour ce type d’activités n’est pas remplacée par un autre moyen de protéger l’eau et les milieux aquatiques ce qui met en péril l’environnement. 

Les cavaliers législatifs

La censure de certains articles de la loi d’orientation agricole, sur le fondement de l’article 45 de la Constitution, permet d’empêcher des atteintes graves à l’environnement. 

En effet, l’article 33 déclarait les travaux forestiers, notamment les travaux d’exploitation incluant la récolte des bois destinés aux filières industrielles et énergétiques, comme d’une part, indispensable à la préservation des écosystèmes et, d’autre part, des activités d’intérêt général sécurisées juridiquement tout au long de l’année. Le Conseil constitutionnel a expliqué qu’il ne présentait aucun lien avec le projet de loi déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale. 

Un autre cavalier législatif important à relever est l’article 42 de la loi qui excluait du décompte du zéro artificialisation nette les bâtiments agricoles et vidait en partie de sa substance cet objectif important pour l’atténuation au changement climatique et l’adaptation à celui-ci. 

La non-censure de certaines menaces

Bien que la décision du Conseil constitutionnel a permis de protéger certaines garanties environnementales que le Parlement essayait de supprimer, certains articles déclarés conformes à la Constitution demeurent des menaces pour la préservation de l’environnement. 

Le juge constitutionnel n’a censuré que partiellement l’article 1er de la loi. Il n’a pas déclaré contraire à la Constitution le fait que la protection, la valorisation et le développement de l’agriculture et de la pêche étaient d’intérêt général majeur et constituaient des intérêts fondamentaux de la Nation. D’après lui, cette partie de l’article 1er constitue une loi de programmation qui détermine les objectifs de l’action de l’Etat. Il ne peut donc pas se substituer au pouvoir du Parlement et se prononcer sur l’opportunité des objectifs que le législateur assigne à l’action de l’Etat. Toutefois, cet article pourrait avoir des conséquences réelles sur l’environnement si l’interprétation qui lui est donnée inclut toute la chaîne de valeur des produits agricoles comme l’installation d’usines agroalimentaires.

Le Conseil constitutionnel valide également le principe “pas d’interdiction sans solution” institué par l’alinéa 14 du 1er article de la loi qui empêche les autorités d’interdire des produits phytosanitaires autorisés par l’Union européenne s’il n’existe pas de solution pour les remplacer. Aussi, même si des études scientifiques établissent la dangerosité d’un ces produits, les autorités françaises ne pourront en prendre acte et devront attendre que l’Union européenne l’interdise. D’après le Conseil constitutionnel, cette disposition est programmatique et n’est pas contraire au droit de vivre dans un environnement sain. Il est cependant possible d’espérer une déclaration d’inconventionnalité de cet article dès lors que l’article 71 du règlement n° 1107/2009 du 21 octobre 2009 oblige chaque Etat-membre à tirer les conséquences de la dangerosité avérée d’une substance active en l’interdisant dans l’attente d’une action à l’échelle européenne. 

La différence de traitement permise par l’article 32 est justifiée, selon les juges, au regard de la nature de l’activité d’élevage et des variations qu’elle peut connaître. Les exploitants d’élevage sont donc davantage susceptibles de franchir les seuils d’application du régime de déclaration ou d’enregistrement des ICPE. Ainsi, le fait que l’amende soit 100 fois moins élevée (450 euros à la place de 45 000 euros) que pour les autres industriels lors d’un dépassement des seuils de maximum 15%, ne viole pas le principe d’égalité. Le Conseil constitutionnel explique qu’il ne voit pas le lien entre le montant très faible de l’amende et un manquement à l’article 1er ou 3 de la Charte de l’environnement. Pourtant, il paraît évident qu’une amende très faible n’est pas dissuasive pour les exploitants d’élevage ce qui affaiblit le régime protecteur qui découle de la nomenclature des ICPE. 

Enfin, le Conseil constitutionnel valide la facilitation de la modification du régime de déclaration ou d’autorisation des retenues collinaires ce qui rendrait, à terme, la mise en place de méga-bassines plus simple. 

Aussi, si la décision du Conseil constitutionnel permet d’éviter une grande partie des dangers initiaux de la loi d’orientation agricole, il faudra rester vigilant sur les conséquences de certains des articles validés rue de Montpensier.