par Hilème KOMBILA (Avocate-Présidente de NAAT-Lyon)

Le One Forest Summit : un rendez-vous crucial pour le droit des forêts tropicales

Le One Forest Summit s’est achevé hier soir et le Président français Emmanuel Macron reprend l’avion pour continuer sa tournée en Afrique.

Les six chefs d’États présents à cette rencontre internationale sur la conservation des forêts tropicales, la protection du climat et la biodiversité ont adopté un document baptisé “Plan de Libreville” qui contient une mesure phare: la création d’un fonds doté d’une enveloppe de 100 millions d’euros “pour les pays qui souhaitent accélérer leur stratégie de protection des réserves vitales de carbone et de biodiversité dans le cadre des partenariats” dont 50 millions seront mis sur la table par la France, a déclaré Emmanuel Macron. 

Le but affiché par le ministère de la Transition écologique français, était au départ de préserver les trois grands bassins forestiers tropicaux de la planète : la forêt amazonienne, le bassin du Congo et les forêts d’Asie du Sud-Est, qui jouent un rôle incontournable dans la régulation du climat et abritent une biodiversité inestimable. Selon le gouvernement, ce sommet avait pour but de concrétiser les orientations internationales relatives à l’urgence climatique et environnementale. 

Autrement dit, il s’agit de mettre en œuvre les grandes ambitions de la dernière COP15 sur la biodiversité qui a eu lieu à Montréal en 2022. A l’époque, un accord prévoyant la mise sous protection de 30% des terres et 30% des mers de la planète d’ici 2030 avait été entériné. Le plan de Libreville s’inspire également des principales résolutions de la COP27. Les pays présents se sont engagés à stopper la déforestation comme solution efficace dans la lutte contre le changement climatique

Comme le souligne le militant écologiste gabonais Marc Ona Essangui, président de l’association Brainforest, on comprend que cette rencontre ne se distingue pas mais s’inscrit dans la droite ligne des COP. Il estime à ce titre que la question de la préservation des forêts tropicales pour le climat “est devenue un gros business et ce business climatique profite à certains lobbies”. 

Source : https://www.radiofrance.fr/franceinter/a-quoi-sert-ou-pas-le-one-forest-summit-qui-se-tient-mercredi-et-jeudi-au-gabon-7067195

Nous pourrions dire beaucoup de choses sur ce rendez-vous politique, mais l’idée est aujourd’hui d’apporter un éclairage sur le droit de l’environnement et la justice climatique qui résulte de cet événement. Entre marchandage du bois et des fruits de la forêt et inclusion des populations et de leurs droits, quel est le bilan du premier One Forest Summit?

Photographie libre de droits.

La préservation des forêts tropicales comme objet d’échanges en droit des affaires

Lors de ce rendez-vous, l’objectif principal pour les États du Bassin du Congo comme le Gabon était de montrer au monde qu’ils étaient des terres fertiles à l’investissement économique et financier dit “vert”. Le développement des capacités d’investissement dont les pays forestiers du Sud ont besoin doit ainsi permettre de rétribuer, de manière juste et équitable, le « service » rendu à la planète par la préservation de la forêt.

Cet objectif, dont la réalisation passe notamment par la vente de crédits carbone, est soumis à une contrainte supplémentaire sur la production locale depuis que l’Union européenne (UE) a banni l’importation de produits issus de la déforestation. 

En décembre dernier, les institutions européennes sont parvenues à un accord final pour interdire la vente sur le territoire de produits issus de la déforestation. Le texte s’attaque à la dégradation des forêts primaires, peu nombreuses en Europe, mais également des forêts naturelles. En revanche, le Parlement n’a pas obtenu l’extension aux terres boisées pour protéger d’autres zones naturelles. Le Cerrado brésilien attendra donc le réexamen du texte dans un an, et la les savanes africaines et autres terres humides, celui qui interviendra deux ans.

Ce contexte explique le fait que deux leviers ont été discutés lors du sommet pour assurer la préservation des forêts tropicales, au moyen du droit économique: la transaction des services et la traçabilité des produits. 

Concernant la traçabilité des produits, l’UE a donc exclu l’importation de produits issus de la déforestation. La charge de la preuve revient à l’exportateur qui doit démontrer que des produits tels que le cacao, l’huile de palme, le soja, le café, le bois, le caoutchouc et certains produits dérivés comme le chocolat ou les meubles ne sont pas issus de la déforestation. Sans cette preuve, ils seront bannis du marché européen. 

La mise en place de ce mécanisme de traçabilité est louable car l’Europe est le deuxième importateur de déforestation au monde, juste derrière la Chine. Toutefois, on peut regretter que le maïs n’ait pas été inclus malgré la pression parlementaire. Il pourrait l’être dans le cadre d’une clause de révision d’ici à deux ans. La même réserve doit être émise pour le secteur financier qui est aussi exclu de l’accord.

Le Parlement avait pourtant plaidé pour que la règle s’applique aussi aux banques et institutions financières européennes. Le but était d’éviter une différence de traitement entre une entreprise qui ne peut pas acheter un produit issu de la déforestation et une banque qui peut financer des projets responsables de déforestation. 

Malheureusement, aucun des Etats membres n’a soutenu cette proposition. Même si elle sera à nouveau examinée dans deux ans, il est dérangeant de constater que le secteur financier échappe à l’effort indispensable à la préservation des forêts tropicales.

Sur le papier, l’avancée est donc notable mais mitigée face à l’urgence climatique et environnementale.  Greenpeace Europe a ainsi estimé nécessaire l’élargissement du champ d’action de l’Europe « dans les années à venir, pour protéger la nature dans son ensemble, pas seulement les forêts, et empêcher les entreprises qui détruisent la nature non seulement d’accéder au marché de l’UE, mais aussi d’obtenir des prêts des banques européennes « .

En pratique, les entreprises souhaitant faire entrer ces produits sur le marché vont devoir présenter un certificat au moment de franchir une frontière européenne. Ce certificat précise d’où vient la matière première qui a servi à la conception de leurs produits à l’aide des coordonnées GPS de l’exploitation incluses. Les candidats au marché européen devront par exemple indiquer la parcelle précise de terre où le cacao a été cultivé en fournissant des images satellitaires.

Cette géolocalisation des parcelles pose toutefois quelques difficultés. Par exemple, concernant le cacao justement, les plantations se trouvent souvent en dessous d’autres espèces d’arbres et une photographie satellite ne permet pas réellement d’attester de l’âge de la plantation. En effet, qu’elle soit ancienne ou récente, la plantation de cacao peut tout simplement ne pas apparaître sur une photo satellite quand elle se trouve dans la forêt primaire. A ce titre, le One Forest Summit a été l’occasion de passer en revue de nombreux outils issus des nouvelles technologies susceptibles d’aider au contrôle de la traçabilité ou au renforcement de la productivité. 

En effet, s’il faut pouvoir garantir au consommateur européen des produits non-issus de la déforestation, il faut aussi permettre aux producteurs locaux d’obtenir une rémunération suffisante. 

Pour rester sur l’exemple du cacao, si on demande à des producteurs, souvent âgés, de ne plus déforester, cela implique de renforcer les capacités de rendement et de productivité. Cela suppose de former et d’attirer les nouvelles générations tout en innovant pour augmenter le rendement des vieux cacaoyers. L’exigence européenne se traduit donc par une adaptation des pratiques agricoles, économiques et sociales. 

L’idée devrait être d’accompagner cette transition. Le changement de paradigme implique parfois de modifier le comportement d’un cultivateur qui a toujours eu l’habitude de déforester et replanter dans une terre plus fertile pour avoir un rendement lui permettant de vivre dignement. Cela demande de l’investissement, de la sensibilisation, de la formation, des technologies, etc.

Mais de temps nous manquons… Le calendrier de la mise en application des normes européennes est donc contraint. Les entreprises ont un an après l’entrée en vigueur du règlement européen, prévue début 2024, pour prouver que leurs matières premières n’ont pas été cultivées sur des terres déboisées après 2020. Ce délai est de deux ans pour les plus petites entreprises. Le degré de vérification variera en fonction du risque « élevé, standard ou faible » du pays d’origine. La non-conformité peut entraîner des amendes allant jusqu’à 4 % du chiffre d’affaires européen de l’entreprise concernée. Cette sanction sera harmonisée dans toute l’Europe.

En plus de l’adaptation économique et sociale des producteurs, les autorités de contrôle vont devoir sérieusement renforcer leurs effectifs et lutter contre la corruption parfois endémique dans certains États.  On le voit, la préservation des forêts tropicales demande une action qui ne peut être homogène face à la pluralité et la complexité des enjeux. 

Comme l’indique le CIRAD dans son engagement pour la préservation des forêts “L’aménagement des territoires forestiers nécessite de prendre en compte les particularités de chaque contexte et de comprendre l’articulation spécifique des différents enjeux et parties prenantes. Outre cette nécessaire contextualisation, chaque écosystème forestier s’analyse à plusieurs échelles, allant de l’arbre au territoire, dont chacun présente des caractéristiques et des finalités différentes. C’est donc bien une analyse contextuelle et multi-échelle qu’il est nécessaire de porter sur chacun des territoires forestiers afin d’en saisir les fonctionnements, et d’en organiser la gouvernance, entre États, territoires et communautés, entre acteurs publics et privés”.

Ainsi, en plus de la traçabilité des produits, il faut penser l’aménagement des forêts de façon contextualisée et multi-échelle. Cette idée se retrouve quand on se penche sur le deuxième levier du droit des affaires de la forêt tropicale: la tarification des services. 

L’un des objectifs du One Forest Summit est d’avancer pour trouver des financements pérennes du service rendu par les pays qui préservent leur forêt tropicale.  

L’une des principales pistes sur laquelle les experts financiers ont travaillé est l’instauration de « crédits carbone ou de biodiversité », qui permettent de rémunérer les pays pour les efforts entrepris pour protéger la forêt. Il s’agit d’un mécanisme qui permet à un État d’émettre ses propres crédits pour les vendre à des Etats ou à des entreprises qui cherchent à compenser une partie de leurs émissions de CO2. Par exemple, selon les autorités gabonaises, la forêt du Gabon capte environ 100 millions de tonnes de CO2 par an.

Certaines ONG comme Canopée, alertent sur le manque d’intégrité des marchés volontaires du carbone. Myrto Tilianaki, chargée de plaidoyer climat au CCFD-Terre Solidaire est également très critique sur ce marché car, selon lui, ces projets surestiment la quantité de carbone séquestrée. Récemment, une longue enquête du Guardian et Die Zeit a laissé entendre que la quasi-totalité des crédits carbone liés à des projets de reforestation certifiés n’avaient pas d’impact positif réel sur le climat. 

Les acquéreurs volontaires de crédits carbone sont donc rares, comme le note Philippe Zaouati, rapporteur du groupe de travail « Finance » dans le cadre du sommet. Le marché carbone volontaire, sur lequel les entreprises achètent des crédits vendus par les Etats, est une plateforme très contestée. “Il manque de qualité et d’intégrité, il est très fragmenté, avec des standards nombreux, compliqués à comprendre”. 

Si on entend que l’application  de standards éthiques demande un effort au monde financier, il ajoute qu’il y a “des besoins financiers d’un côté, des investisseurs potentiels de l’autre, et au milieu un marché qui a du mal à s’organiser pour faire se connecter acheteurs et vendeurs”. Le problème n’est donc pas celui de l’existence potentielle d’un marché mais celui de la mise en place de standards véritablement éthiques qui supportent les échanges marchands. Le marché est potentiel car le produit financier n’est pas certifié conforme aux exigences de l’échange.

Source : https://www.lesechos.fr/monde/enjeux-internationaux/sommet-sur-les-forets-tropicales-les-credits-carbone-au-coeur-des-debats-1911370

Pour faire face à ces critiques, des “crédits prémium” ont été imaginés, notamment par le Fonds pour l’environnement mondial (FEM). Il s’agit de valoriser des crédits carbone de meilleure qualité et plus chers qui prendraient par exemple davantage en compte les questions de biodiversité et sociales. D’autres experts ont aussi plaidé pour des outils comme les « certificats de biodiversité » qui pourraient être utiles dans des pays où il est difficile de mesurer les quantités de carbone.

Finalement, le “Plan de Libreville” prévoit un mécanisme qui répond au « modèle défaillant » du marché carbone par la mise en place d’un fond. Ce fond financera un mécanisme de rémunération des pays exemplaires dans la conservation des forêts et la sauvegarde de leurs stocks de carbone et de biodiversité, via les fameux certificats biodiversité. Ces certificats pourront être échangés avec des États souverains ou avec le secteur privé « au titre de contribution à la protection de la nature », a précisé Emmanuel Macron. 

Comme l’indique le directeur général de l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri), Sébastien Treyer, tout cela “ne pourra se faire sans des politiques publiques fortes de conservation” dans les États forestiers.  (Source: https://lesechos-congobrazza.com)

La question reste en suspens des modalités d’évaluation du degré d’exemplarité environnementale… En attendant, ces outils du droit des affaires et les politiques de conservation qui les accompagnent ne seront pas efficaces si elles ne s’accompagnent pas de politiques de justice sociale.

La préservation des forêts tropicales, comme sujet de politiques sociales inclusives

Pour le militant gabonais Marc Ona Essangui, ce sommet n’est pas assez « inclusif ». Il constate “que dans leur brochette d’invités, personne n’a osé préparer ce sommet avec toutes les composantes de la société gabonaise qui ont une expertise sur les questions forestières. Comme dans tous les autres sommets on fait venir des amis, des dirigeants, pour la communication et pour faire beau ». Il précise à juste titre qu’on “ne peut pas parler d’exploitation forestière sans intégrer le problème du conflit homme-faune par exemple. Pour plus d’inclusivité, j’aurais aimé que toutes ces personnes qui vivent ces phénomènes au quotidien montent à la tribune pour en parler. »

Source:https://www.radiofrance.fr/franceinter/a-quoi-sert-ou-pas-le-one-forest-summit-qui-se-tient-mercredi-et-jeudi-au-gabon-7067195 

Ce militant de la cause environnementale est bien placé pour parler du défaut d’inclusion du sommet, car il est lui-même président d’une association, Brainforest, qui a mis en place différents projets d’inclusion des femmes dans le processus participatif de gouvernance de l’exploitation forestière. Comme Brainforest, de nombreuses initiatives de la société civile gabonaise se sont déjà emparées du sujet de la valorisation de l’action des femmes afin de préserver l’environnement (Gabon écologie, Réseau gabonais pour le développement durable).

Nous parlons de l’inclusion des femmes car lors de la 4ème Conférence Mondiale sur les Femmes qui a eu lieu à Beijing, il a été souligné que “Les politiques en faveur du développement durable qui ne font pas intervenir la femme au même titre que les hommes ne sauraient être couronnées de succès à long terme […]. Tant que la contribution des femmes à la gestion de l’environnement ne sera pas reconnue et encouragée, l’objectif du développement durable continuera de se dérober

Pour illustrer ce propos, prenons l’exemple des femmes gabonaises. Ancestralement, dans les villages, les femmes sont responsables de la production, la transformation et la commercialisation agricole et forestière. Leur contribution à la production vivrière est aujourd’hui estimée à plus de 60%. 

Les femmes détiennent des connaissances, innovations et pratiques/techniques traditionnelles (CIPT) de conservation des semences. Leur expertise de la biodiversité recouvre les variétés sauvages aussi bien que les espèces domestiquées. Elles connaissent la valeur et l’utilisation des plantes au service de l’alimentation, la santé, l’économie et contribuent également à la conservation des ressources phyto-génétiques.

Toutefois, en milieu rural, cette activité peut dégrader l’environnement. Pour subvenir aux besoins de leurs familles, les femmes font de l’agriculture itinérante sur abattis-brûlis depuis les temps les plus anciens. Elles utilisent des combustibles, des engrais et pesticides, leurs maris abattent des arbres fruitiers pour la cueillette des produits forestiers non ligneux. Ces pratiques, plus modernes, contribuent à la déforestation qui touche presque la moitié des provinces du pays.

Ces effets nocifs sur la forêt et la vie des personnes ne sauraient faire des femmes des coupables. Ils découlent de leurs obligations productives et reproductives en matière de médecine traditionnelle, de culture vivrière, de collecte de produits forestiers, de bois et d’eau pour la nourriture, la boisson ou l’hygiène. 

En raison de cette situation très pragmatique, comme l’indique dans un entretien au JDD, le directeur de l’Agence Français de Développement: « il est bon que les dynamiques en cours sur les biens communs globaux comme les forêts puissent continuer à être débattues par les premiers acteurs concernés », notamment les populations locales et en particulier les femmes [NDLR]. 

Source:https://www.radiofrance.fr/franceinter/a-quoi-sert-ou-pas-le-one-forest-summit-qui-se-tient-mercredi-et-jeudi-au-gabon-7067195 

A ce titre, la position du CIRAD dans son engagement pour la préservation des forêts tropicales est éclairante: “La plupart des forêts tropicales font l’objet d’usages multiples, constituent des ressources économiques et sociales à fortes valeurs et sont au cœur d’enjeux de préservation de biens publics mondiaux. Outre qu’elles sont des hotspots de biodiversité et de stockage de carbone, elles représentent la moitié des forêts de la planète. Y cohabitent des processus naturels de long terme et des activités répondant à des besoins immédiats. Ainsi, la question de leur valorisation et d’un développement en faveur des populations locales est centrale et complexe. Face à des territoires finis, il est indispensable de penser un aménagement inclusif assurant la coexistence des populations, des activités et des usages”.

Cette idée d’inclusion des populations locales, notamment autochtones et féminines, se retrouve dans la “Feuille de route de Brazzaville : pour une foresterie participative plus efficace dans le contexte de l’agenda 2030 en Afrique centrale (FAO)” qui indique dans son préambule que:

“Les avantages sociaux, économiques et environnementaux pouvant dériver de la foresterie participative ne font l’objet d’aucun doute. Les populations autochtones et les communautés locales, lorsqu’elles ont des droits suffisants sur les ressources forestières locales, peuvent s’organiser de manière autonome et développer des institutions locales pour réguler l’utilisation des ressources naturelles et les gérer durablement. Ce mode de gestion forestière a des retombées directes sur la santé de la forêt et le bien-être des personnes qui en dépendent pour leur subsistance. Il est évident qu’il contribue ainsi aux objectifs de développement au niveau national, ainsi qu’aux objectifs globaux en matière de changement climatique et aux Objectifs de développement durable (ODD) des Nations Unies. En Afrique centrale, la foresterie participative ne parvient pas encore à atteindre ses objectifs”.

Source et approfondissements : https://www.fao.org/3/CA2324FR/ca2324fr.pdf

Cette gestion forestière inclusive et participative se met en place sur le terrain. Par exemple au Gabon: https://www.brainforest-gabon.org/actualites/?id=355. Sur le sujet de l’inclusion et de la participation, aucun engagement politique fort, c’est à dire concret et contraignant, n’est prévu dans le “Plan de Libreville”. A défaut d’exiger l’application effective en droit interne des règles internationales déjà existantes, ce Plan pose l’idée de conciliation entre protection exigeante de la forêt et intérêt économique direct, essentiellement tourné vers les populations locales qui vivent autour des forêts. 

On aurait préféré une obligation de résultats en la matière. Sur la question du développement, les chefs d’entreprises, réunis dans un One Forest Business Forum ont lancé l’initiative de créer dix millions d’emplois dans les activités liées à la gestion durable des forêts d’ici 2030. Là encore, rien n’indique qu’il s’agisse d’autre chose qu’une annonce ou une simple obligation de moyens. 

Si l’initiative est louable, on a du mal à savoir si les populations locales et autochtones vont bel et bien bénéficier économiquement du service rendu par la préservation de la forêt. Vont-ils aussi goûter à la manne issue des crédits carbone? L’avenir le dira. 

Pour le moment, sur le terrain gabonais, on peut constater que les éléments fondamentaux de la protection de l’environnement tels que la gestion des déchets ne sont pas effectifs. En effet, en marge des grands hôtels de luxe et du palais présidentiel où avait lieu le sommet, des décharges à ciel ouvert se retrouvent à tous les coins de rue. Le manque de sensibilisation de la population et des autorités est ici symptomatique de l’effort à faire si on souhaite réellement protéger la forêt tropicale. 

Pour Marc Ona Essangui, le Gabon n’est pas un modèle de conservation comme il le prétend, notamment concernant l’attribution des permis forestiers. “Quand on regarde le taux d’attribution de ces permis, on constate qu’il est très élevé et plus de 80% du territoire est attribué à l’exploitation forestière. Ajoutez à cela les permis miniers et pétroliers, il n’y a plus d’espace pour la préservation. ». 

Source:https://www.radiofrance.fr/franceinter/a-quoi-sert-ou-pas-le-one-forest-summit-qui-se-tient-mercredi-et-jeudi-au-gabon-7067195 

L’exemplarité du bilan carbone des États pose ici question. Si certains éléments institutionnels, tels que des autorités de contrôle indépendantes et impartiales, font défaut, comment évaluer le bilan carbone d’un Etat? Sans rentrer dans la démonstration de l’ineffectivité de la règle de droit en l’absence d’État de droit, rappelons simplement que le libéralisme économique n’existe que grâce à la garantie des libertés fondamentales les plus élémentaires. 

L’éthique environnementale de l’économie ne peut exister sans une éthique sociale et humaniste. Dans la partie 2 de nos réflexions sur le One Forest Summit, nous avions ainsi vu que la question de la préservation de la forêt ne peut se passer d’une réflexion sur le système juridique et la place laissée aux peuples dans la gouvernance. 

Comme l’indique le CIRAD dans son engagement pour la préservation des forêts tropicales “ Les forêts tropicales constituent à la fois des systèmes biologiques, des écosystèmes et des systèmes sociotechniques dans lesquels cohabitent des processus physiologiques et écologiques, des logiques économiques et des dynamiques sociales. La dégradation constatée de ces systèmes et l’accroissement des menaces qui pèsent sur eux révèle un défaut de gouvernance, et l’incapacité d’articuler ces différentes dynamiques et systèmes. Face aux défis posés par la préservation de biens publics globaux (climat, biodiversité, santé) pour laquelle les forêts tropicales jouent un rôle central, l’émergence de formes de gouvernance territorialisée, d’une gestion en biens communs est indispensable. À l’aune de normes globales, les États, les communautés concernées, le secteur privé et un ensemble d’acteurs des territoires doivent contribuer à mettre en place ces nouvelles formes de gouvernance, de façon intersectorielle et engagée. Cette piste de biens communs gouvernés, territorialisés, a été explorée et mise en œuvre de longue date dans d’autres domaines (la préservation et le partage des ressources en eau par exemple, avec l’avènement d’agences de bassin, de schémas d’aménagement, d’organisations locales d’usagers, d’arènes de négociation, etc.). La réflexion mérite d’être engagée par sous-bassin forestier, zone d’exploitation, bassin de collecte et d’usage, etc.”

La Déclaration universelle des droits de l’humanité indique que la nature est un patrimoine ayant une valeur intrinsèque et un objet essentiel pour les êtres humains qui doivent transmettre ce patrimoine. Concernant les forêts tropicales, le One Forest Summit illustre le fait que l’éthique environnementale entre dans le champ économique. Elle suggère que la répartition des ressources et leur accès sont indissociables des impacts environnementaux résultant de certains usages irréfléchis de ces ressources. Toutefois, la possibilité d’accéder ou non à certaines ressources (quantité et qualité) conditionne la dynamique de développement et donc influence le niveau de bien-être des générations présentes et futures. C’est pourquoi, cette éthique environnementale du droit des affaires doit, pour être légitime, s’accompagner d’une éthique humaniste visant nécessairement le renforcement et un renouvellement de l’Etat de droit. 

Le Président français a émis l’idée que le One Forest Summit devienne une rencontre annuelle, dans un pays africain ou sur un autre continent afin d’évaluer l’application du Plan de Libreville. 

La protection équitable de la forêt tropicale est illusoire sans garantie effective d’un droit national de l’environnement et sans une réflexion approfondie sur la reconnaissance de la forêt comme sujet de droits compatibles avec ceux des peuples. Espérons que le prochain One Forest Summit abordera ces sujets avec les populations concernées.