Écrit par Hilème KOMBILA (Avocate-Présidente de NAAT-Lyon)
Aujourd’hui et demain se tient au Gabon le One Forest Summit, annoncé comme le grand forum mondial consacré à la préservation des forêts tropicales.
A l’occasion de ce sommet consacré aux enjeux forestiers, Notre Affaire à Tous fait le point sur les enjeux relatifs à la justice climatique qui entourent cet événement. À l’instar des dernières avancées sur les « pertes et préjudices » en matière climatique, l’un des enjeux actuel est d’obtenir de la part des pays « du Nord » des engagements financiers pour contribuer à la préservation des forêts tropicales. Malheureusement, la définition des « parties prenantes » admises à la table des négociations semble comme souvent trop restrictive et écarte en particulier les communautés locales.
Un rendez-vous mondial pour la sauvegarde des forêts tropicales
L’organisation du One Forest Summit au Gabon
Berceau de l’humanité, l’Afrique trouve en son cœur équatorial un poumon indispensable à la vie sur terre : le bassin du Congo. Au sein de ce bassin forestier, le Gabon contribue à l’effort mondial en matière d’environnement et de lutte contre le réchauffement climatique. Son territoire est recouvert à 88 % par la forêt équatoriale, deuxième puits de carbone de la planète.
Le Gabon a consacré 11% de son territoire à la création de 13 parcs nationaux. Ce “Gabon Vert” est un pilier du Plan Stratégique Gabon Emergent qui décrit les grandes orientations macroéconomiques du pays à l’horizon 2025. Les autorités gabonaises mettent en avant de nombreuses politiques qui ont pour objet la protection de la forêt, de l’océan et de la biodiversité. Toutefois, ce discours peut apparaître comme une stratégie visant à masquer les carences relatives au traitement des atteintes à l’environnement et plus largement celles de l’Etat de droit.
A ce titre, le scandal “Perenco” fait figure d’illustration des difficultés franco-gabonaises à sortir de la “France-Afrique”. Malgré la volonté affichée des dirigeants, certains freins semblent les empêcher de lutter efficacement contre les préjudices écologiques subis par la forêt équatoriale, en raison de l’activité de certaines multinationales.
Poursuivie en France pour ses atteintes au droit de l’environnement en République démocratique du Congo (RDC), Perenco est une société pétrolière détenue par l’une des familles les plus fortunées de France. Spécialisée dans l’optimisation des puits de pétrole précédemment exploités, elle devient incontournable en Afrique via ses filiales.
Dans le cadre des “Perenco files” dévoilés par le média Disclose, la ministre française de la Transition énergétique est éclaboussée par cette affaire. La ministre a en effet omis de déclarer des liens de sa famille proche avec la société française, basée sur des fonds domiciliés en partie dans des paradis fiscaux, dans sa déclaration d’intérêts à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP).
Pour en savoir plus lire l’article des Echos.
L’association Sherpa et les Amis de la Terre France, soutenues par l’ONG Environmental Investigation Agency (EIA-US), ont engagé une procédure afin d’obtenir réparation pour préjudice écologique commis en RDC.
« Il s’agit du premier contentieux visant à engager la responsabilité d’une entreprise française pour obtenir réparation de préjudices écologiques survenus à l’étranger », souligne Sherpa.
Pour en savoir plus sur le recours, consulter le site de Sherpa :
Dans ce contexte, le lanceur d’alerte sur les activités néfastes de Perenco au Gabon, Bernard Christian Rekoula, dénonce une opération de greenwashing quand on lui demande son avis sur l’organisation du One Forest Summit au Gabon.
Lire cet article du Point pour approfondir ce sujet.
Pendant ce temps, surfant sur la vague de la vente de crédits carbone générés par la préservation de sa forêt, le Gabon opère sa transition, dans la perspective d’un épuisement annoncé des ressources pétrolières. Ce “verdissement” de l’économie gabonaise devrait servir de modèle dans la sous-région puisque le président gabonais Ali Bongo Ondimba a été désigné samedi 25 février 2023 à la tête de la Communauté économique des États d’Afrique centrale (CEEAC).
Organisé avant les élections présidentielles gabonaises, sources inévitables de “perturbations”, le One Forest Summit est une vitrine pour le Gabon mais aussi pour l’Alliance des trois Bassins.
Les États porteurs des trois plus importants bassins forestiers au monde, dont le Brésil, l’Indonésie et le Congo RDC ont, à l’automne dernier en marge du G20 à Bali, officiellement conclu un partenariat pour la préservation de leurs forêts. Après dix ans de pourparlers autour d’ une alliance trilatérale, ce partenariat vise principalement à faire pression sur les pays dits riches pour qu’ils financent la conservation des forêts tropicales.
Bien conscient de cette réalité économique et de cet agenda politique, à la même période, c’est à Charm el-Cheikh lors de la COP 27, à l’occasion du sommet One Planet sur les réserves vitales de carbone et de biodiversité, que fut actée l’organisation du One Forest Summit à Libreville. Ce rendez-vous apparaît donc comme un défi, en attendant la prochaine rencontre de l’Alliance des trois Bassins, l’été prochain au Congo Brazzaville. Il est crucial sur le plan géopolitique et incontournable pour l’avenir de l’humanité.
La justice climatique et les forêts tropicales
Les forêts tropicales sont un maillon essentiel à l’équilibre climatique. Elles concentrent plus du quart du stock de carbone terrestre et 60 % du stock de carbone forestier. Elles jouent donc un rôle décisif dans l’atténuation et l’adaptation aux changements globaux.
Les forêts couvrent environ 4 milliards d’hectares soit un tiers des terres émergées et hébergent 80 % de la biodiversité terrestre. Réserve inestimable en la matière, les forêts tropicales représentent à elles seules la moitié des forêts mondiales et abritent la moitié des espèces terrestres de plantes et d’animaux.
80% de ces forêts tropicales se concentrent autour des trois bassins forestiers que sont l’Amazonie, le bassin du Congo, et le bassin du Bornéo-Mékong. Ils concentrent les deux tiers de la biodiversité terrestre.
Les forêts tropicales assurent la subsistance d’au moins 1,6 milliard de personnes au niveau local et participent à la séquestration du carbone pour l’ensemble de l’humanité.
Pourtant indispensables à la vie sur terre, les forêts tropicales sont en danger. Elles sont menacées par la déforestation et la dégradation forestière engendrées par les activités humaines. Elles sont aussi confrontées à des défis liés au changement climatique tels que l’évolution rapide des températures et de la pluviométrie qui impliquent l’adaptation des communautés végétales et animales.
Dans un contexte de changement global et d’érosion de la biodiversité, de nombreuses questions relatives à la justice climatique se posent concernant les forêts tropicales.
Comme l’indique le CIRAD :
Le CIRAD, acteur majeur de la recherche relative à l’agroforesterie, a identifié six problématiques qui entourent la lutte contre la déforestation et la dégradation des écosystèmes forestiers :
- La conversion des forêts tropicales en terres agricoles, en pâturages ou encore en plantations industrielles exige une transition agricole capable de proposer des systèmes agraires alternatifs capables de se maintenir sur des zones déjà déforestées ou s’étendre sur des terres dégradées.
- L’exploitation forestière pose conjointement la question de la gestion durable des espaces forestiers et celle de leur protection en tant que biens publics.
- Les dynamiques démographiques et socio-économiques font des activités de subsistance (agriculture, bois énergie etc.) l’une des principales causes de la déforestation dans de nombreux territoires, et des usages de la forêt une problématique centrale.
- Dans cette droite ligne et en écho aux problématiques internationales, la question de l’alimentation et de la durabilité des systèmes alimentaires est un enjeu majeur pour les populations des régions forestières.
- Des enjeux sociaux comme la reconnaissance des droits des peuples autochtones ou encore d’égalité et d’équité aussi bien entre les populations qu’entre les pays eux-mêmes se posent.
- Enfin, un enjeu de santé (au sens de One Health) doit être pris en compte, avec le rôle essentiel des écosystèmes forestiers dans la prévention et la lutte contre l’émergence de nouvelles maladies.
Comme l’indique Jean-Baptiste Cheneval, responsable du pôle plaidoyer du CIRAD, l’objectif des acteurs concernés doit être de “garantir un continuum entre préservation, exploitation et valorisation, afin d’assurer la durabilité des forêts tropicales”.
La sauvegarde des forêts tropicales, pour être juste, suppose donc de trouver un équilibre entre préservation, exploitation et valorisation, tant au niveau local qu’à l’échelle globale. Le rôle du droit est ici primordial tant il gouverne les questions de prise de décision, de structure de gouvernance, de contrôle des usages ou encore d’arbitrage des conflits.
C’est pour discuter de tout celà que les chefs d’État et de gouvernement se réunissent au Gabon à l’occasion du One Forest Summit (voir le programme).
Ces responsables politiques ont choisi de s’entourer de représentants de la société civile et de la communauté scientifique triés sur le volet. Malheureusement les représentants des peuples, à commencer par les parlementaires, ne semblent pas conviés à la table des négociations.
Cet oubli des peuples doit être mis en perspective avec les 3 axes qui déterminent la feuille de route des négociations:
- La progression des connaissances et la promotion de la coopération scientifique sur les écosystèmes forestiers;
- La promotion de chaînes de valeur durables dans le secteur forestier;
- Le développement de sources de financement innovantes notamment en explorant les solutions de conservation de la biodiversité fondées sur le marché.
L’enjeu des débats est donc le suivant: l’exploitation économique et la valorisation financière de la préservation, scientifiquement pensée, des forêts tropicales. Il s’agit d’utiliser le système économique et financier international afin de faire contribuer les pays dits riches à la sauvegarde des forêts par les pays dits pauvres.
Même si la dimension culturelle est représentée sous l’égide de l’UNESCO, on peut s’interroger sur la prise en compte des droits fondamentaux dans le cadre de cette feuille de route. L’ambition des organisateurs ne les a malheureusement pas conduit à mettre en avant le droit des peuples autochtones ou celui de la forêt si chère à leur cœur.