“Les inégalités de logement et de précarité énergétique aggravent les inégalités sociales. Résoudre ce problème, c’est résoudre des problèmes d’ordre climatique et d’ordre social.” Danyel Dubreuil
Ce 19ème numéro d’IMPACTS est consacré à la précarité énergétique et à ses impacts sur la population dans un contexte d’augmentation sans précédent des prix de l’énergie que vient aggraver la guerre en Ukraine. Pour parler de ce sujet urgent qui croise des enjeux sociaux et climatiques, IMPACTS a rencontré Aline To Lulala, en grand témoin de la précarité énergétique, et Danyel Dubreuil, coordinateur du collectif Rénovons engagé en faveur de la rénovation énergétique.
Aline Lo Tulala, grand témoin
“Aline, pouvez-vous vous présenter ?
Aline Lo Tulala, militante contre les passoires thermiques au sein de l’Alliance citoyenne 93 et actuellement suppléante de Bastien Lachaud, député sur Aubervilliers et Pantin et membre de l’Union populaire. En même temps, je suis aide-soignante de fonction et je travaille dans le secteur social.
Comment définiriez-vous une personne en situation de précarité énergétique ?
C’est une personne qui vit dans un logement souvent très mal isolé. Comme c’est très mal isolé, cette personne a beau chauffer, il fait trop chaud l’été et trop froid l’hiver, et les factures d’électricité ne cessent d’augmenter et deviennent très chères.
Entretien avec Danyel Dubreuil, coordinateur de l’initiative Rénovons
L’initiative Rénovons, alliance de 40 organisations mobilisées sur la précarité énergétique et la rénovation du bâti français, a proposé un bouclier énergie à l’hiver 2021 pour une politique efficace de lutte contre la précarité énergétique et de rénovation énergétique des bâtiments. Cette alliance regroupe entre autres la Fondation Abbé Pierre, le Secours Catholique, SoliHa, le CLER – Réseau pour la transition énergétique, le Réseau action climat.
En France, combien de personnes sont-elles touchées par la précarité énergétique ?
Tu as plusieurs chiffres qui peuvent servir d’indicateurs. La plupart des gens qui ont peu de ressources sont en précarité énergétique car c’est un rapport de consommation d’énergie sur le revenu. La barre est fixée à 8% pour les consommations de chauffage et d’eau chaude…
Que peut-on retenir du bouclier tarifaire mis en place par le gouvernement cet hiver ?
Les mesures 2021 ont annulé la hausse des prix de l’énergie pour les ménages concernés. La facture des ménages a augmenté de 100 euros et le chèque supplémentaire était de 100 euros, ce qui fait que les ménages n’ont quasiment rien gagné, ils sont dans la même situation qu’avant. Ils sont protégés de la hausse des prix mais la hausse continue avec des effets de rattrapage à venir, décalés dans le temps. Sur l’assiette dont on dispose, tout le monde n’a pas besoin d’être protégé de la hausse des prix. La hausse des prix est surtout pertinente pour ceux qui ont un usage immodéré de l’énergie, que ce soit en termes de carburant ou d’énergie consommée dans le logement. Pour eux, l’énergie n’est pas assez chère, c’est à dire que le poids de l’énergie dans leur budget est faible. Le taux d’effort énergétique de l’ensemble des français est de 4% environ. 8% pour les ménages en précarité énergétique, c’est déjà le double. Et ça ne concerne que les dépenses d’énergie liées au logement.
Les catastrophes naturelles, les personnes déplacées et les inégalités climatiques : le cas de la tempête Alex dans la vallée de la Roya
Entre 1988 et 2017 les intempéries sont à l’origine de 1121 décès par an et représentent un coût de 2,2 milliards de dollars de pertes estimées sur le territoire français. Selon le GIEC, la France métropolitaine a connu un réchauffement d’environ +1,4°C depuis 1900, une valeur plus élevée que la moyenne mondiale estimée à +0,9°C entre 1901 et 2012. La France figure parmi les pays d’Europe les plus vulnérables au dérèglement climatique.
Le 2 octobre 2020, le département des Alpes-Maritimes a été placé en vigilance rouge « pluie-inondation ». Les cumuls de pluie sur place ont atteint en quelques heures 450 à 500 mm dans l’arrière-pays et plus de 560 millions de tonnes d’eau sur le département, soit l’équivalent de 190 000 piscines olympiques. A l’issue de cet épisode, 55 communes des Alpes-Maritimes ont été reconnues en état de catastrophe naturelle. La Fédération française de l’assurance a recensé 14 000 déclarations de sinistres enregistrées pour un coût des dommages assurés atteignant 210 millions d’euros. Le coût final de la tempête Alex se répartit entre les dégâts causés aux habitations (72 %), aux biens professionnels et agricoles (25 %) et aux automobiles (3 %). Dans la vallée de la Roya, on recense 4 ponts détruits et 40km de voiries endommagées. Ces dommages s’accompagnent de traumatismes psychologiques pour les personnes sinistrées. Au lendemain de cette catastrophe naturelle exceptionnelle, de nombreuses questions se posent : comment reconstruire la vallée ? Où reconstruire les maisons détruites ? A l’avenir, comment prévenir de tels phénomènes climatiques, de potentielles crues similaires ?
Les dégâts de la tempête Alex dans la vallée de la Roya interrogent l’efficacité et l’adéquation de l’actuel régime d’indemnisation des victimes de catastrophes naturelles « CatNat » (I). Par ailleurs, les catastrophes naturelles, sources d’une augmentation des facteurs de paupérisation et de vulnérabilités nécessitent de questionner le rôle des acteurs publics dans l’adaptation et dans la prévention des catastrophes naturelles (II).
Synthèse sur la précarité énergétique
Alors que les ménages français les plus énergivores consomment 6 à 9 fois plus que les plus économes, une partie croissante de la population française, à cause de la hausse des prix de l’énergie, souffre de précarité énergétique, c’est-à-dire éprouve une difficulté à disposer de la fourniture d’énergie nécessaire à la satisfaction de ses besoins premiers. En 2020, 14% des ménages disaient avoir souffert du froid, en 2021, ils étaient 20%. Sur les 13 millions de personnes touchées, 40% estiment que c’est à cause d’une mauvaise isolation de leur logement, et 36% à cause de raisons financières. C’est pour dénoncer cette situation que les associations ont lancé le 10 novembre 2021 la journée de précarité énergétique.
Concrètement, la précarité énergétique a des impacts forts sur les populations touchées, leur santé, les logements, le climat et elle représente un coût pour la collectivité. La précarité énergétique aggrave fortement les inégalités sociales, et les passoires énergétiques, ces habitations très mal isolées et très énergivores classées F ou G sur les diagnostics de performance énergétique, sont particulièrement émettrices de CO2.
Plusieurs enjeux urgents se trouvent donc au cœur de ce problème :
– Celui de la rénovation massive des passoires énergétiques : pour protéger les ménages, améliorer l’efficacité énergétique des logements, et réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES).
– Celui de la réduction des inégalités sociales puisque ce sont aujourd’hui les ménages les plus modestes qui, proportionnellement à leurs revenus, consacrent la plus grosse part de leur budget à l’énergie.
Malgré des mesures d’urgence prises en 2022 pour faire face à la flambée des prix de l’énergie, peu d’avancées ont été faites sur le terrain des politiques publiques pour protéger les ménages et rénover le bâti français.
Sous l’angle des inégalités climatiques et environnementales, plusieurs questions se posent donc : Quel impact la précarité énergétique a-t-elle sur les populations ? Quelles populations sont les plus touchées ? Est-ce que le dérèglement climatique peut renforcer les vulnérabilités existantes ? Quelles solutions peuvent atténuer ces impacts ?
I. La précarité énergétique, une réalité qui touche toujours plus de ménages en France et en Europe
II. Précarité énergétique : vers une augmentation dans les années à venir ?
III. Quelles solutions pour réduire la précarité énergétique et anticiper les effets du dérèglement climatique ?
Conclusion
Une réduction des consommations d’énergie est nécessaire pour faire face à la hausse des prix de l’énergie, aux risques d’approvisionnement et à l’enjeu climatique. Malheureusement, aujourd’hui en France, ce sont les besoins de base des ménages les plus vulnérables qui sont les plus menacés.
Est-il socialement acceptable que 20% de la population ait du mal chaque année à disposer de l’énergie nécessaire pour couvrir ses besoins premiers en France ? Ce laisser-faire a non seulement des conséquences sociales et sanitaires importantes (10 milliards par an selon France Stratégies), notamment sur les enfants qui grandissent dans des foyers en précarité énergétique, et il ne permet pas de réguler les comportements qui sont en excès de consommation d’énergie, ni de régler la question des logements les plus émetteurs de CO2.