Quelles conséquences sur les populations et les territoires ultramarins français face au dérèglement climatique et aux dégradations environnementales ? Ces territoires sont particulièrement vulnérables, de fait de leurs localisations et leur isolement par rapport à la métropole. Ils abritent pourtant une biodiversité exceptionnelle.
Ce numéro de la revue de presse se concentre sur les territoires français hors métropole : de la Guyane à la Guadeloupe en passant par la Nouvelle-Calédonie, la Réunion ou encore St-Pierre-et-Miquelon, ces territoires font face à des inégalités climatiques et environnementales prégnantes. Quels impacts sur les droits fondamentaux et le vivant dans ces territoires ?
Pour combattre les inégalités, sociales et climatiques, il nous faut les connaître. C’est le sens de cette revue de presse élaborée par les bénévoles de Notre Affaire à Tous, qui revient chaque mois sur les #IMPACTS différenciés du changement climatique, sur nos vies, nos droits et ceux de la nature.
Les DOM-TOM seront plus touchés par le changement climatique que la Métropole. La géographe Virginie Duvat, professeure à l’université de La Rochelle et auteure-contributrice au rapport spécial du GIEC sur les océans, décrit les enjeux majeurs auxquels doivent faire face ces régions françaises. Selon elle, « l’élévation du niveau de la mer, le réchauffement et l’acidification des océans, et l’intensification des tempêtes vont combiner leurs effets sur ces territoires ». À terme, les Caraïbes, comme les atolls du Pacifique mais aussi les îles de l’Océan Indien sont menacés de disparition.
Alors que les territoires d’outre-mer français représentent quasiment 0% des émissions de gaz à effet de serre de la France, ils sont les plus vulnérables et les premiers impactés. Au delà de leur position géographique, le combat est non seulement celui de la justice climatique mais aussi de la justice sociale. Le prisme de l’histoire coloniale est à prendre en compte dans l’étude de ces inégalités climatiques.
Ces inégalités s’illustrent d’ailleurs par l’ouragan Irma de septembre 2017. A Saint-Martin, un appel à la grève générale a été lancé, le 11 avril 2019, par des syndicats et des collectifs pour dénoncer les suites de l’ouragan, avec des revendications concernant les reconstructions, le maintien du service public, ou encore la résolution d’un conflit social à la collectivité. Symbole des inégalités, Saint-Martin cumule aléas climatiques et forte vulnérabilité, exposée à des cyclones de plus en plus intenses et fréquents, et l’insuffisance des mesures de prévention et réduction des risques. Les populations s’en relèvent difficilement à cause d’un accompagnement post-catastrophe trop faible et la lenteur de la reconstruction.
Les conséquences du changement climatique sur la santé des populations dans les territoires ultramarins français se font également sentir. En 2014, des chercheurs ont établi un lien direct entre l’ucère de Buruli et le changement climatique en Guyane. Il s’agit d’une infection qui connaît des pics lors des épisodes El Niño, de plus en plus fréquents.
Le territoire de St-Pierre-et-Miquelon est particulièrement concerné par la hausse du niveau des océans. Météo France remarque qu’après une élévation stable durant plusieurs millénaires, l’élévation du niveau de la mer s’est accélérée significativement au XXe siècle. Et les territoires ultramarins sont, en tout état de cause, les premiers concernés. Le portail Drias – Les futurs du climat propose d’ailleurs des projections climatiques pour encourager l’adaptation de nos sociétés.
Le scientifique Guy Claireaux cherche à montrer l’impact du comportement anthropocène sur le climat, en prenant l’exemple de St-Pierre-et-Miquelon. Il est effectivement possible d’observer que les effets du réchauffement climatique sur les côtes, tels que la submersion et le recul du trait de côte, sont aggravés par la hausse des phénomènes extrêmes et l’élévation du niveau de la mer. Xénia Philippenko écrit d’ailleurs une thèse en cherchant à partir du cas d’étude de Saint-Pierre-et-Miquelon, à élaborer une approche « bottom-up », c’est-à-dire qui parte du contexte territorial pour élaborer des stratégies d’adaptation différentes. Des projets d’adaptation sont effectivement nécessaires dans ce littoral, compte tenu de sa vulnérabilité face aux risques de recul du trait de côte et de submersion marine dans un contexte de changement climatique et d’occurrence possible de tsunamis.
L’enjeu de la montée des eaux inquiètent aussi près de 80% des Polynésiens, d’après une enquête menée par l’agence Alvea menée en juillet 2019. Pour Franck Courchamp, docteur en écologie et directeur de recherche au CNRS, « sur les 120 îles totalement submergées d’ici la fin du siècle dans le scénario optimiste, on a à peu près 30% qui viennent de Nouvelle-Calédonie, 30% de Polynésie française ». Mais, avant même une potentielle submersion, la hausse du niveau de la mer conduit déjà à une salinisation importante des eaux souterraines, rendant l’accès à l’eau potable compliqué.
En septembre 2019, le GIEC publiait un rapport spécial sur les océans et les zones glacées prévoyant des conséquences irréversibles de la montée des eaux sur les outre-mers. Une étude récente paru dans Nature Communications révèle d’ailleurs que le nombre de personnes qui seront impactées par la hausse du niveau des mers d’ici 2050 a été sous-estimé. Mais à l’élévation du niveau de la mer s’ajoute le réchauffement des eaux. En Guyane par exemple, la mer s’est réchauffé de 1°C sur les trente dernières années. Ce phénomène a notamment des conséquences sur la pêche à la crevette, puisque les stocks ont considérablement diminué. Les phénomènes El Niño et La Niña sont également une cause de ce déclin.
Dans les Antilles françaises, l’Ouragan Irma a fait des ravages en septembre 2017, causant la mort de 15 personnes et endommageant 95% du bâti à Saint-Martin et Saint-Barthélémy. Ces épisodes extrêmes deviennent de plus en plus fréquents et intenses au fil des années. En cause ? Le dérèglement du climat planétaire.
En Polynésie française, les coraux sont un des éléments principaux de l’écosystème de la région et sont fortement touchés par le réchauffement des océans. Or, ceux-ci sont une barrière naturelle qui protège les côtes de l’érosion et des vagues trop importantes. D’après le rapport du GIEC paru en octobre 2018 et Valeriano Parravicin, directeur d’études à l’école pratique des hautes études, « si l’on perd les coraux, en 2100, on pourrait avoir des vagues deux fois plus grandes dans les lagons ».
Les coraux de la Polynésie Française sont donc mis en danger. On remarque dès maintenant une accélération de leur blanchissement à cause des températures trop élevées de l’Océan Pacifique. Malgré ces effets, les décideurs politiques ne semblent pas comprendre l’ampleur de l’urgence, puisque le Parlement Européen a voté, le 4 avril dernier, une loi pour subventionner le secteur de la pêche pour la période 2021-2027, qui aura notamment des effets désastreux sur la biodiversité des “régions ultrapériphériques européennes”, dont la Guadeloupe, La Réunion, Mayotte, La Guyane, La Martinique, Saint Martin.
Les impacts du changement climatique sur la biodiversité de ces territoires sont très visibles. Dans les Caraïbes par exemple, les sargasses sont devenues un véritable cauchemar. Il s’agit de végétaux marins hautement toxiques qui s’amoncellent et sèchent sur les plages. D’après une étude parue dans la Revue Sciences, la masse de sargasses en juin 2018 était de plus de 20 millions de tonnes et s’étendait sur 8 850 kilomètres de long.
Quelles sont les causes de la prolifération de ces végétaux marins ? Frédéric Ménard explique que “le phénomène des sargasses est probablement lié au réchauffement climatique”. Le réchauffement des eaux créerait un milieu favorable à la prolifération, tandis que l’activité humaine autour du fleuve Amazone et les quantités d’eaux polluées qui y sont déversées seraient un facteur déterminant dans la croissance de ces algues néfastes pour la santé et l’environnement. Une Martiniquaise explique à Libération que “Les békés ont quitté les mornes du François et du Robert, mais les pauvres n’ont nulle part où aller”. Le phénomène accentue alors encore un peu plus les inégalités.
Après une grande crise de sargasses en 2015 et deux ans d’accalmie, les Antilles ont de nouveau été envahies. Les élus antillais ont donc tiré la sonnette d’alarme, comme le sénateur de la Guadeloupe Dominique Théophile. Pourtant, la faible réactivité des pouvoirs publics face à l’ampleur du phénomène met en lumière les inégalités de traitement persistantes entre les outre-mer et la métropole et les défis de l’accès aux droits. Lors de la conférence internationale sur les sargasses qui s’est tenue en Guadeloupe fin octobre 2019, Edouard Philippe a promis une aide “dans la durée” contre ces algues brunes toxiques. Reste à voir ce qu’il en restera dans les faits.
En plus du réchauffement climatique, les archipels polynésiens ont aussi subis des dégâts environnementaux liés aux essais nucléaires menés dans la région dans la seconde moitié du XXe siècle. Ces essais nucléaires ont des impacts sur les populations locales, que ce soit sur leur santé ou leur environnement, et l’opacité qui règne sur ces expérimentations ne permet pas d’en avoir une vision complète encore aujourd’hui.
Un autre exemple d’injustice environnementale subie par les outre-mers est perçu en Martinique et Guadeloupe. En effet, le chlordécone, pesticide toxique interdit aux Etats-Unis depuis les années 1970 et classé parmi les « cancérogènes probables » par l’OMS en 1979 a été interdit en métropole en 1990 mais a continué d’être utilisé pendant des années dans les bananeraies de Martinique et de Guadeloupe. Emmanuel Macron a même reconnu en 2018 qu’il s’agissait d’un “scandale environnemental”. Cette utilisation a créé une pollution durable des sols et une réelle catastrophe sanitaire. Un rapport s’alarme d’ailleurs de “la dégradation généralisée” des masses d’eau en Guadeloupe. Du point de vue sanitaire, le chlordécone augmente le risque de naissance prématurée et influe sur le développement cognitif et moteur des enfants. Le chlordécone augmente également le risque de cancer de la prostate, dont le nombre en Guadeloupe est l’un des plus élevés au monde. La contamination des sols et des eaux à la chlordécone impactent aussi durement le secteur économique et notamment les pêcheurs.
Enfin, les exploitations minières dans les territoires ultramarins français causent de nombreux problèmes environnementaux et sociaux. En Nouvelle-Calédonie, les mines de nickel font partie du paysage quotidien. La plus grande île de l’archipel concentre 25% des ressources mondiales de ce métal. La biodiversité exceptionnelle du territoire, l’une des plus riches de la région Pacifique, est sacrifiée au profit de cette ressource. Les dégradations environnementales liées à cette exploitation minière sont catastrophiques. Malgré les dispositions du code minier qui impose aux industriels la revégétalisation des sites miniers, les milieux sont complètement détruits. En 2006 déjà, 20000 hectares de terres étaient dégradées à cause de ces mines. Et, comme le démontre Catherine Larrère, les dégradations de l’environnement, « les pollutions de l’air, de l’eau et la répartition des sites dangereux ou toxiques affectent, en priorité, les plus pauvres », dans son livre Les inégalités environnementales.
Enfin, en Guyane, de graves problèmes environnementaux sont dûs à l’orpaillage illégal ainsi que l’exploitation minière. L’orpaillage illégal est un fléau pour l’environnement et la santé. Les populations autochtones en sont les premières victimes. En outre, les permis d’exploitation minière, délivrés par le gouvernement français, sont un réel danger pour le territoire guyanais, menaçant les forêts tropicales humides et la biodiversité. Ceux-ci sont en totale incohérence avec l’Accord de Paris et les recommandations du GIEC qui préconisent de mettre un terme à l’exploitation des énergies fossiles.
Retrouvez le prochain numéro de notre revue de presse sur les impacts du changement climatique dans un mois !