Quelles conséquences sur les populations et les territoires suite à des vagues de chaleur ? Canicules, sécheresses, pénuries d’eau.. Selon les lieux de vie, les métiers et les conditions socio-économiques, les impacts ressentis de ces épisodes varient, ce qui en fait une véritable question de justice.
Ce numéro de la revue de presse se concentre sur les épisodes de canicules ayant eu lieu en France durant l’été 2019, comment celles-ci ont été appréhendées et quelles solutions peuvent être mises en place pour y faire face. Quels impacts ont les canicules sur les droits fondamentaux ?
Pour combattre les inégalités, sociales et climatiques, il nous faut les connaître. C’est le sens de cette revue de presse élaborée par les bénévoles de Notre Affaire à Tous, qui revient chaque mois sur les #IMPACTS différenciés du changement climatique, sur nos vies, nos droits et ceux de la nature.
Quel lien entre canicules et changement climatique ? Le réchauffement climatique augmente la probabilité des vagues de chaleur, ainsi que leur intensité. L’été 2019 a été marqué par deux épisodes exceptionnels de canicule du 24 juin au 7 juillet, puis du 21 au 27 juillet. Plus de la moitié des stations de Météo-France ont enregistré des records de température durant cette période estivale, et cela ne va pas s’améliorer ! Pour Climate Analytics, même avec un réchauffement limité à 2°C, « la probabilité de canicules de plus de deux semaines devrait augmenter de 4% en moyenne« .
En effet, les résultats des nouveaux modèles climatiques français du GIEC viennent d’être publiés. Ils permettent d’analyser plus précisément les évolutions du climat. Et la conclusion est sans appel : les cycles caniculaires seront de plus en plus fréquents. Et ces épisodes ont des conséquences humaines et matérielles dramatiques. Bien que cela corresponde à 10 fois moins de décès qu’en 2003 grâce à la prévention et à la mobilisation des acteurs de terrain, ces deux vagues de chaleur ont tout de même provoqué 1500 décès supplémentaires en France.
Les non-humains sont également touchés. Une adaptation est nécessaire notamment pour les élevages, touchés de plein fouet par les conséquences dramatiques de l’allongement des épisodes caniculaires. Un constat alarmant qui touche aussi l’irrigation agricole : ainsi, dans l’Hérault, le conseil départemental a voté un « schéma irrigation » de 310 millions d’euros pour soutenir agriculteurs et viticulteurs. Ainsi, le Gouvernement semble vouloir s’adapter financièrement : il propose par exemple un effort financier pour le projet de loi de Finances (500 millions d’euros de crédits alloués à l’Agence de financement des infrastructures de transport de France).
Et la France n’est pas le seul pays touché : un rapport publié par l’ONU le 22 septembre dernier, présente un état du climat mondial particulièrement inquiétant puisque la planète vient de vivre ses cinq plus chaudes années jamais enregistrées. En France et en Europe, les records de chaleur sont tombés ces mois de juin et juillet 2019, l’Europe semble suffoquer. Le mois de juillet a d’ailleurs été “le mois le plus chaud jamais enregistré dans le monde”.
D’après le programme Copernicus Climate Change Service, « le mois de juin a été le plus chaud jamais enregistré en Europe avec des températures moyennes supérieures de plus de 2°C aux normales », le 27 juin étant la journée la plus chaude enregistrée pour un mois de juin en France.
Cette canicule de l’été 2019 s’est traduite en France, d’après les chiffres du ministère des Solidarités et de la Santé, par 1 500 morts. Or, ce nombre est vu comme une bonne nouvelle, puisqu’il est dix fois moins important que lors de la canicule de 2003 qui avait fait 15000 morts. Cela révèle deux choses. D’une part, qu’il y a une acceptation des conséquences des décès liés aux épisodes climatiques extrêmes, et d’autre part qu’il est possible d’agir pour les réduire.
Tout le monde n’est pas égal devant la chaleur, et les premiers touchés par cette canicule sont les plus de 75 ans qui représentent la moitié des personnes décédées. Dix décès sont survenus dans un environnement de travail et concernent des hommes travaillant en extérieur. Ce chiffre montre que les secteurs les plus exposés sont le BTP, la restauration et le monde agricole. Les livreurs à vélo sont également vulnérables à des températures extrêmes. La santé et la sécurité des travailleurs et notamment dans les professions en extérieur, sont donc mises en danger. Le code du travail indique que tout employeur doit prendre en considération les « ambiances thermiques », mais aucun seuil de température n’est fixé dans la loi.
Dans les zones urbaines et notamment les plus grandes villes, les personnes âgées sont touchées et les fichiers recensant les personnes vulnérables sont très inégaux d’une ville à l’autre. Les vagues de chaleur frappent plus fortement les quartiers populaires, créant ainsi de nouvelles inégalités. Aux inégalités économiques et sociales s’ajoutent les inégalités environnementales dues au bruit, aux transports, à la pollution et à la chaleur. En effet, « les endroits végétalisés où les habitations sont espacées sont moins chauds que ceux qui sont minéralisés et très denses. Lorsque l’on croise ces données avec la répartition socio-économique de la population, on constate que les quartiers populaires subissent plus que les autres les fortes chaleurs. Une chaleur accrue, qui est doublée d’une isolation des logements aléatoires et d’une mobilité réduite ».
Dès les années 1990, ces inégalités face aux canicules étaient déjà documentées, des études montrant que celles-ci exacerbent les inégalités socio-économiques déjà existantes. Ainsi, la canicule de juillet 1995 qui avait frappé Chicago, atteignant un maximum de 46°C, avait provoqué de 500 à 700 victimes. Ces victimes étaient en grande partie des populations pauvres, racisées et vivant dans des quartiers populaires. Quand, quelques semaines plus tard, une seconde vague de chaleur aussi intense que la première arrive, les autorités publiques sont cette fois préparées et on ne compte « que » deux victimes.
Reporterre a aussi étudié les situations particulières des prisonniers et des sans-abris qui subissent de plein fouet les conséquences des vagues de chaleur. Des associations comme La Croix Rouge et Genepi s’attachent à combattre ces inégalités.
Au mois de juillet 2019, des records de chaleur ont été battus dans une cinquantaine de villes en France. Pour exemple, Paris, qui n’avait dépassé la barre des 40°C qu’une seule fois en 1947 avec 40,4°C bat son record absolu avec 42,6°C enregistrés au mois de juillet.
Un jour de canicule, les écarts de température entre une métropole et sa plus proche campagne peuvent atteindre plus de 10°C. Alors comment l’expliquer ? En milieu rural, durant la journée les plantes utilisent le soleil et l’eau du sol pour la photosynthèse, puis restituent l’atmosphère l’eau puisée dans le sol. La nuit, cette « évopotranspiration » s’arrête. En revanche, dans les villes les rayons de soleil se retrouvent emmagasinés par les surfaces bétonnées et imperméables, qui, la nuit tombée, relâchent la chaleur accumulée. Résultat de cette chaleur ? Une utilisation de plus en plus massive de la climatisation qui est elle-même néfaste pour l’environnement et contribue à la surchauffe urbaine.
La densité de l’activité humaine en ville ainsi que l’organisation et l’aménagement des territoires urbains accentuent l’effet de chaleur. La superficie, les matériaux de construction utilisés, la géométrie des bâtiments et des rues sont autant de facteurs ayant un impact sur la chaleur. Solène Marry, docteure en urbanisme explique dans Le Monde, que le tissu urbain joue à cet égard un rôle important. Dans les villes avec des rues sinueuses, la chaleur s’évacue plus facilement. Le choix des matériaux de construction et de leur couleur a aussi un impact. « Par une journée ensoleillée de 26°C, un toit exposé au soleil peut atteindre une température de 80°C si sa couleur est foncée, 45 °C si sa couleur est blanche et seulement 29°C s’il est couvert de végétaux ».
Les grandes villes deviennent donc de vrais îlots de chaleur, ce qui implique de repenser nos villes. Cependant, des solutions existent, comme la végétalisation des villes. Le paysagiste Jean Marc Bouillon qualifie d’ailleurs l’arbre de « brumisateur » ou de « climatiseur » urbain. La ville de Paris projette d’ailleurs d’intégrer des forêts urbaines au paysage, à l’instar du quartier d’affaire d’Otemachi à Tokyo. A Los Angeles, une autre solution a été mise en place : l’installation de revêtements clairs au sol, puisqu’une surface blanche renvoie les rayons de soleils sans les accumuler. À Montréal encore, la municipalité a entrepris de « désasphalter » certaines zones, notamment pour verdir les petites rues résidentielles. En parallèle de la végétalisation des sols, ou lorsque celle-ci s’avère difficile, il est aussi possible de couvrir certains murs ou certaines toitures de végétaux, permettant ainsi de réduire la chaleur émise par les bâtiments.
Résultats des épisodes caniculaires estivaux ? En septembre, 88 départements français faisaient encore face à un important déficit hydrique, leur obligeant à restreindre leur utilisation d’eau. Cette sécheresse qui n’en finit pas est multiple : météorologique, agricole et hydrique. Malgré la pluie qui est revenue à la fin septembre, le problème est loin d’être réglé, et il faudra attendre 2020 avant une recharge efficace des nappes phréatiques et des sols artificiels. La ville de Guéret fait d’ailleurs face à une menace importante quant à son approvisionnement en eau potable, menace toute particulière pour les agriculteurs.
Vu du ciel, les conséquences du manque de pluie est palpable : herbe jaunie, plans d’eau à sec, forêts brûlées… Face à ces événements, la France ne paraît donc pas prête pour faire face aux chocs climatiques, qui sont pourtant inévitables. C’est ce que montre un rapport sénatorial sur l’adaptation au changement climatique en France.
Retrouvez le prochain numéro de notre revue de presse sur les impacts du changement climatique dans un mois !