La première moitié de l’année 2019 a été marquée par de fortes mobilisations de la jeunesse pour le climat ! Mais qui sont ces jeunes qui se mobilisent et pourquoi ? Les jeunes et futures générations compteront parmi les populations les plus impactées par le dérèglement climatique. Ils et elles le ressentent d’ores et déjà, et se mobilisent contre l’inaction de nos gouvernants face à l’urgence. Leur slogan : “Pourquoi aller à l’école si leur futur n’est pas garanti et si la planète agonise ?

Ce 4e numéro de #IMPACTS, la revue de presse des inégalités climatiques, se concentre sur ces jeunes français-es qui sont descendu-es dans les rues pour faire entendre leur voix et montrer que le dérèglement climatique aura une incidence sur leurs choix futurs : leurs ressentis face à ce constat sont forts et souvent empreints d’émotions les poussant à agir. Nous prendrons également une approche sociologique et ferons l’état des lieux de ce mouvement mondial de la jeunesse qui s’engage. 

Pour combattre les inégalités, sociales et climatiques, il nous faut les connaître. C’est le sens de cette revue de presse élaborée par les bénévoles de Notre Affaire à Tous, qui revient chaque mois sur les #IMPACTS différenciés du changement climatique, sur nos vies, nos droits et ceux de la nature.

C’est en février 2019, que la mobilisation des jeunes pour le climat a réellement commencé en France, avec une première grève scolaire du vendredi devant le Ministère de la Transition Écologique et Solidaire, et la publication de leur manifeste de la jeunesse pour le climat ! L’objectif initial : donner toutes les semaines des “devoirs” à faire au gouvernement pour mettre fin à son inaction. Mais l’emballement pour la cause n’a vraiment émergé qu’à la venue à Paris, le 22 février, de Greta Thunberg, symbole et leader de cette jeunesse qui se mobilise ! Son célèbre “je veux que vous paniquiez” a mobilisé en masse et montré aux jeunes français-es qu’il est possible de faire entendre sa voix pour pointer la responsabilité des générations au pouvoir et le sort qu’ils réservent aux générations futures. 

Le mois de février n’était que le début d’un mouvement en pleine expansion ! Le 15 mars a eu lieu une mobilisation historique, puisque plus d’1,8 millions ont manifesté ce jour-là, dans plus de 2000 villes de 100 pays différents ! En France, cette mobilisation “massive, apolitique et non-violente”, a réuni 50 000 personnes à Paris et 190 000 dans toute la France. Ce mouvement s’est encore renforcé, et le 24 mai 2019, la deuxième grève mondiale a eu lieu, deux jours avant les élections européennes. Ce sujet a d’ailleurs été au cœur des campagnes européennes en France et chez nos voisins, les partis écologistes, soutenus par des votants jeunes, ont fait de très bons scores.

Cette génération ressent la finitude du monde. Ils et elles expriment leur colère envers la classe politique et le monde économique, en criant haut et fort “Nous sommes la nature qui se défend”. Leur colère face à l’irresponsabilité de celles et ceux qui, en 2050, serons morts est provoquée par le sentiment d’une injustice générationnelle. Mais leur engagement dans les rues, et dans les associations est-il en adéquation avec leurs modes de vie, caractéristiques de notre société occidentale ? C’est la question que posent des chercheurs aux jeunes et moins jeunes qui se sont mobilisé-es les 14, 15 et 16 mars

Pour le chercheur en sciences politiques Luc Semal, la peur s’empare de nombreux jeunes face au risque d’effondrement et à la catastrophe écologique. Une grande partie de ces jeunes pensent que la catastrophe écologique se produira de leur vivant. Il souligne cependant que la peur n’est pas nécessairement une émotion paralysante et peut être une alerte rationnelle face à ce risque, et inciter à l’action volontariste. Ce catastrophisme peut en effet contribuer à esquisser une démocratie écologique

Serait-ce donc la naissance d’une “génération climat”, caractérisée par la conscience de l’urgence climatique ? Cette jeunesse des rues ne s’arrête pas là et se politise, puisque, face à une politique des petits pas, ils et elles aspirent à un changement systémique. Leurs positions peuvent aussi parfois se radicaliser face à l’urgence, ce qui les mène à activer un nouveau levier d’action : la désobéissance civile. Devant les sièges des grands pollueurs comme la BNP Paribas, ou bien au siège de la Société Générale, où, au matin du 15 mars, une centaine de lycéen-nes se sont rassemblé-es pour dénoncer ses investissements massifs dans les énergies fossiles.

Cette mobilisation avait déjà commencé aux Etats-Unis, avec le mouvement This is Zero Hour créé par Jamie Margolin, qui avait mis plusieurs dizaines de milliers de jeunes dans les rues et devant le Pentagone en juillet 2018. En Belgique, le mouvement a rapidement pris aussi, dès janvier 2018 avec des dizaines de milliers de personnes défilant dans les rues de Bruxelles à plusieurs reprises. Face à cela, des mouvements tels Fridays for Future ou Youth for Climate, se sont structurés et pris une ampleur importante.  

Aujourd’hui très souvent mené-es par des jeunes femmes originaires de Suède avec Greta Thunberg – qui prévoit d’ailleurs de consacrer une année entière à la cause climatique en 2020 –, de Belgique avec Anuna de Wever, Kyra Gantois, Adelaïde Charlier, d’Australie, et de biens d’autres pays, ces milliers de jeunes restent déterminé-es à faire la grève tous les vendredis jusqu’à ce que nos dirigeant-es engagent des actions concrètes pour préserver leur avenir. Ces jeunes femmes reçoivent d’ailleurs de nombreuses menaces, dont le but est de les faire taire et de les décrédibiliser.  

Il y a 27 ans déjà, les jeunes prennaient la parole face à l’inaction de leurs gouvernements. C’était le cas de Severn Cullis-Suzuki, qui est montée à la tribune du Sommet de la Terre à Rio en 1992 pour délivrer un message d’alerte sur l’état de la planète. Elle observe l’actuel mouvement des jeunes et perçoit leur volonté de transformer leur colère en action engagée pour le vivant. Aujourd’hui encore, en amont du G7 qui se tiendra à Biarritz au mois d’août, des délégués du “Youth 7”, un groupe d’engagement du G7 envers la jeunesse, appellent les dirigeant-es à redoubler d’efforts pour atteindre la neutralité carbone avant 2050, afin de protéger les droits des plus vulnérables, impactés durement par le dérèglement climatique.

Ce mouvement est soutenu par de nombreuses personnalités du monde de la culture, mais aussi de nombreux scientifiques. 260 scientifiques et chercheurs de France, Belgique et Suisse, appelaient à descendre dans la rue avant le 15 mars, pour dénoncer l’inaction des pouvoirs publics face au dérèglement climatique. La célèbre climatologue française, Valérie Masson-Delmotte, co-présidente du GIEC, exhortait aussi lycéen-nes et étudiant-es à mettre la pression, face à l’insuffisance de la politique de la France. 

Aussi et bien heureusement, le corps enseignant s’implique dans ce combat ! Le collectif “Les enseignant-es pour la planète”, formé en amont de la mobilisation mondiale du 16 mars, appelant à soutenir et se joindre aux élèves se mobilisant ! Des professeurs essaient aussi d’intégrer l’écologie aux programmes scolaires, car il est trop peu enseigné, de l’école à l’université. Mais il n’est pas toujours facile de sensibiliser les élèves à ces thématiques, comme en témoignent certains professeurs. 

Les familles de ces jeunes sont aussi essentielles dans la réussite du mouvement : en effet, en Belgique, le 20 juin 2019, des grands-parents ont défilé dans les rues pour remplacer leurs petits-enfants en examen. Constatant l’ampleur de ce mouvement tout autant que la détermination des jeunes qui souhaitent insuffler force et exemple, la réponse du pouvoir politique et la réaction des gouvernements sont attendus.

Qui est cependant cette jeunesse qui se mobilise ? Pour Cécile Van de Velde, sociologue à l’Université de Montréal, ce qui frappe est d’abord l’extrême jeunesse des participants aux différentes marches et grèves pour le climat. Ensuite, de nombreuses études tendent à montrer que loin de représenter l’intégralité de la jeunesse française, les jeunes qui manifestent correspondent à des profils sociologiques bien définis. 

Pour Maxime Gaborit et Yann Le Lann, du collectif Quantité Critique, qui a effectué une étude sociologique sur le profil des participants de moins de 25 ans pendant les mobilisations pour le climat d’octobre 2018 et de janvier 2019, “jusqu’ici les manifestations parisiennes ont montré une relative homogénéité des participants : les enfants de cadres y sont surreprésentés, ainsi que les professions intermédiaires”. Pour les sociologues, le mouvement lycéen pour le climat est, pour l’instant, à l’image de la mobilisation transgénérationnelle. Cependant, les marches se concentrant dans les grandes villes, il est nécessaire de relativiser ces chiffres. Propos nuancé également par une conscience populaire écologique, puisque les études menées sur les Gilets Jaunes, par exemple, ont montré qu’il n’y avait pas de défiance envers l’écologie, malgré un engagement de leur part qui se veut plus social qu’écologique. Enfin, même si ces jeunes viennent plutôt de milieux aisés, ils et elles semblent se former de plus en plus à ces enjeux, et monter en expertise. 

Parmi cette mobilisation plutôt homogène, certains modes d’actions sont néanmoins intéressants à étudier. D’abord, le « Manifeste étudiant pour un réveil écologique« . Créé en octobre 2018, suite au constat que le fonctionnement actuel de nos sociétés nous conduit tout droit vers une catastrophe environnementale et humaine, ils et elles s’engagent à ne pas travailler pour des entreprises pollueuses et destructrices de l’environnement. A ce jour, ce sont plus de 30 000 étudiant-es qui refusent de travailler pour des employeurs qui ne respectent pas leurs convictions environnementalesComme le souligne Yann le Lann, le choix du terme “manifeste” n’est pas anodin venant d’élèves de “grandes écoles”, traditionnellement peu impliqué-es dans les mobilisations sociales. L’interpellation de leurs futurs employeurs sur leur responsabilité semble une démarche relativement nouvelle. 

Une autre belle initiative : le Lobby de Poissy. C’est la très belle histoire d’une classe de CM2 de l’école Montaigne de Poissy dont l’institutrice a décidé d’intégrer le livre « Hubert Reeves nous explique la biodiversité » dans son projet pédagogique. La classe a ensuite gagné un concours lui permettant de rencontrer Hubert Reeves, puis se sont enchainées diverses rencontres avec des personnalités du monde politique ainsi que des journées avec des journalistes. Aujourd’hui, ces jeunes souhaitent présenter “une déclaration des droits de la planète et du vivant” ! Pour la réalisatrice Elsa Da Costa-Grangier qui travaille à une web série sur ces jeunes, il est essentiel de “filmer le berceau de l’engagement citoyen”, et montrer que ces jeunes ne veulent pas assister à la destruction de la planète devant la télé, sans avoir leur mot à dire !