Ce 15e numéro de la revue de presse « IMPACTS » se concentre sur l’augmentation des inégalités et des discriminations de genre, en lien avec le dérèglement climatique.

Dès 2007, le GIEC notait que les conséquences du changement climatique variaient selon le sexe et indiquait que les plus pauvres étaient les plus directement touchés par ce phénomène. Or, dans le monde, 70% des personnes subsistant avec moins d’un dollar par jour sont des femmes et les femmes possèdent moins de 1% des ressources du monde. Le GIEC a ainsi établi dans son rapport de 2014 que les inégalités de genre existantes sont accrues par les risques climatiques. La position sociale des femmes les fragilise face au dérèglement climatique et elles comptent parmi les premières affectées alors même que leurs capacités d’adaptation et leur résilience sont limitées par les normes sociales. 

Pour combattre les inégalités sociales climatiques et environnementales, il nous faut les connaître. C’est le sens de cette revue de presse élaborée par les bénévoles de Notre Affaire à Tous, qui revient chaque mois sur les #IMPACTS différenciés du changement climatique, sur nos vies, nos droits et ceux de la nature.

Les femmes : premières impactées par le dérèglement climatique

A l’échelle mondiale, les plus pauvres sont les plus touchés face au changement climatique et la majorité des pauvres sont des femmes. En Asie et en Afrique, les femmes représentent 70% des personnes vivant sous le seuil de pauvreté, les laissant plus vulnérables face aux impacts du dérèglement climatique. La pauvreté est un facteur qui rend difficile l’adaptation au dérèglement climatique, et ce d’autant plus que les charges et tâches ménagères reposent souvent sur les femmes. 

Les pertes et dégâts subis sont accrus pour les femmes. Ceci s’explique par différents facteurs. Leur position sociale les fragilise face au dérèglement climatique et elles comptent parmi les premières affectées alors même que leurs capacités d’adaptation et leur résilience sont limitées par les normes sociales, par un moindre accès à des financements adéquats et par une participation limitée à la vie publique et politique, particulièrement dans les pays dits du sud

De par leur condition sociale et les rôles genrés, elles sont majoritairement en charge de l’alimentation de subsistance, de l’approvisionnement en eau, des tâches ménagères, et de tous ces éléments qui sont directement touchés par le dérèglement climatique, alors même qu’elles sont plus pauvres, ont moins de capital culturel et social et donc sont plus vulnérables aux crises. Leurs rôles sociaux les conduisent généralement à s’occuper des enfants, à attendre l’autorisation d’un mari ou d’un parent masculin pour sortir de la maison ou encore à ne pas apprendre à nager. Elles ont un moindre accès à l’information, une moindre capacité de mobilité, un moindre accès à l’éducation et à la formation. En effet, “une fille sur 4 ne va pas à l’école dans les pays en développement”. 

  • L’impact des catastrophes naturelles sur les femmes

 Tous ces éléments font que les femmes sont plus vulnérables lors d’événements climatiques extrêmes. En effet, au niveau mondial, les femmes sont quatorze fois plus susceptibles de mourir lors d’une catastrophe naturelle que les hommes. Pour prendre des exemples concrets, 80% des victimes indonésiennes du tsunami du 26 décembre 2004 étaient des femmes. La catastrophe de l’Ouragan Katrina en 2005 a également mis en lumière l’intersection de plusieurs inégalités, notamment de genre, en plus d’inégalités sociales et raciales. On estime notamment que 80% des adultes laissés-pour-compte suite à l’ouragan étaient des femmes.

Climat et santé féminine

La santé des femmes est aussi particulièrement impactée par le réchauffement climatique, concernant notamment la malnutrition et la santé sexuelle et reproductive. 

Les femmes enceintes sont plus vulnérables aux effets du dérèglement climatique. Les études sont encore récentes et peu nombreuses, mais la chaleur aurait un impact sur les accouchements prématurés dont le taux passerait de 5 à 16% en cas de vague de chaleur. Ces études montrent que les impacts sont d’autant plus importants quand les femmes viennent de milieux socio-économiques défavorisés. Les femmes enceintes et allaitantes sont également plus vulnérables aux maladies comme la dengue et le paludisme. Une étude de 2020 réalisée en Californie montrait que le fait de vivre à proximité de puits de pétrole et de gaz actifs peut exposer les femmes enceintes à un risque plus élevé de donner naissance à des bébés de faible poids, en particulier dans les zones rurales. En effet, les femmes enceintes qui vivent à moins d’un kilomètre des puits de pétrole et de gaz ont 40 % plus de chances d’avoir des bébés de faible poids à la naissance et 20 % plus de chances d’avoir des bébés petits pour leur âge gestationnel. 

En Europe, plus de femmes que d’hommes sont décédées lors de la canicule de 2003, selon une étude de 2008. Une surmortalité de plus de 85% chez les femmes de 75 ans et plus et de 51% chez les hommes de la même tranche d’âge a ainsi été observée. En plus d’être plus exposées à ces risques sanitaires, les femmes ont également moins accès aux soins lorsqu’elles en ont besoin, à cause des normes genrées ou à cause de salaires plus faibles, qui les empêchent parfois d’aller seule dans une structure de santé.

Violences de genre et dérèglement climatique

Le dérèglement climatique a également pour conséquences une augmentation des violences de genre. Ces violences (viols, agressions sexuelles, prostitution forcée…), déjà subies lorsqu’il n’y a pas de crise, augmentent dans les situations post-catastrophes ainsi que lors de déplacements de populations et de migrations. 

L’Union internationale pour la conservation de la nature (IUCN) publiait d’ailleurs en janvier 2020 une étude intitulée : “La violence basée sur le genre et son lien avec l’environnement : la violence de l’inégalité”, basée sur une enquête longue de dix années. Dans une autre étude publiée en juillet 2020, l’ONG CARE rappelait également que “les femmes déplacées par les catastrophes climatiques font aussi face à un plus grand risque de violence basée sur le genre, y compris la violence domestique, le mariage forcé et le trafic d’être humain”. De ce fait, beaucoup de femmes rescapées de catastrophes naturelles évitent de fréquenter les abris mis en place car elles craignent d’être agressées sexuellement. Ce constat est alarmant alors que la majorité des personnes déplacées par le changement climatique sont des femmes et des enfants. Paradoxalement, parce qu’elles sont chargées de s’occuper des enfants et des personnes âgées, le départ du foyer peut être rendu plus difficile. 

De plus, “les femmes et les filles doivent aller plus loin pour chercher de la nourriture, de l’eau ou du bois de chauffage” dû à la raréfaction des ressources. Ces distances et la difficulté de ces trajets augmentent les dangers physiques que subissent les femmes et ces dangers rendent propices le chantage sexuel : quand les ressources vitales se font rares (nourriture, eau), les hommes usent du chantage pour échanger les ressources contre des faveurs sexuelles.

Métiers du care et charge mentale environnementale

Le care est défini comme “des expériences ou d’activités “qui consistent à apporter une réponse concrète aux besoins des autres – travail domestique, de soins, d’éducation, de soutien ou d’assistance”. Ce terme définit donc à la fois des tâches domestiques mais également un milieu professionnel. Si les femmes sont davantage représentées sur le marché du travail en France, la répartition des métiers est encore très genrée avec notamment une surreprésentation des femmes dans le milieu du care, domaines souvent peu rémunérés, bien qu’indispensables. En effet, 90% des services du care sont menés par des femmes. En 2014, elles représentaient notamment 97,7% des aides à domicile, aides ménagères et assistants maternels, 90,4% des aides-soignantes, 87,7% des infirmières et sages-femmes, et 94,3% des employées de maison. 

Les sociologues Christelle Avril et Irene Ramos Vacca définissent les « métiers de femmes » comme « ceux qui s’inscrivent dans le prolongement des fonctions ménagères et maternelles » et pour la chercheuse Camille Froidevaux-Metterie « on estime que c’est dans la nature des femmes de prendre soin des autres, ce qui explique que ces métiers soient si peu considérés et si mal rémunérés« . En effet, cette situation peut s’expliquer par l’éducation des personnes genrées femmes, auxquelles les valeurs d’empathie sont plus souvent apprises, même inconsciemment. C’est ce qui peut expliquer aussi la part importante de femmes qui s’engagent pour l’écologie, à la fois dans la sphère privée et dans les associations environnementales. 

Les métiers du care sont encore trop dévalorisés et précaires. Nous l’avons vu pendant la crise sanitaire, ces secteurs essentiels, souvent occupés par des femmes, ont été mis en lumière. L’écoféminisme prend en compte ce sujet car le “soin des personnes, de la société et de la planète au sens le plus large du terme, rajoute une charge mentale supplémentaire aux femmes”, selon Solène Ducretot, co-fondatrice du Collectif Les Engraineuses et du festival Après La Pluie. 

Il est toutefois important de noter que la surreprésentation des hommes dans certains métiers les expose également aux conséquences sanitaires du dérèglement climatique. C’est le cas par exemple pour les travailleurs du bâtiment, plus exposés en période de canicule. Les agriculteurs subissent aussi de fortes pressions économiques résultant du dérèglement climatique, pouvant mener à des dépressions et des suicides

  • Charge mentale et écologie à la maison

 C’est bien connu, les tâches ménagères et la gestion du foyer sont encore majoritairement gérées par les femmes. Or, à cette charge déjà importante, s’ajoute le poids de la charge mentale et morale liée aux questions écologiques et environnementales et à leur application dans le quotidien du foyer. Ce sont souvent elles qui doivent gérer le changement lié à des pratiques zéro déchet ou plus écologiques comme la fabrication de produits ménagers, l’utilisation des couches lavables pour les enfants, le recyclage des déchets, l’achat de produits plus écologiques, repenser l’alimentation du foyer etc. Cela conduit à une charge de tâches ménagères supplémentaire, pouvant entraîner une fatigue extrême, mais également un fort sentiment de culpabilité en cas d’échec.

Droits des femmes, transition écologique et écoféminisme

L’étude des inégalités de genre et la montée des problématiques environnementales ont mené à de nombreuses réflexions sur l’écologie et les droits des femmes. L’écoféminisme est un courant de pensée qui met en avant des similitudes entre l’exploitation et la domination de la nature par les humains et l’oppression et la domination des femmes et des minorités par les hommes.“Ce sont les deux facettes de la même médaille, du même modèle de civilisation qui s’est imposé historiquement”, explique Jeanne Burgart Goutal, spécialiste du sujet. 

Le terme « écoféminisme » a été utilisé pour la première fois par Françoise d’Eaubonne, féministe française. Aujourd’hui, il existe diverses branches de l’écoféminisme, dont deux courants majoritaires : un courant matérialiste qui s’attache à chercher des solutions concrètes sur le terrain pour faire face à l’impact du changement climatique sur les femmes, et une branche spirituelle. Les divers courants ont tous en commun la volonté de mettre fin à la domination des humains sur la nature et à la société patriarcale, pour un monde plus respectueux. 

Ces réflexions permettent notamment d’inclure les femmes et les questions de genre dans les problématiques et politiques environnementales qui sont souvent considérées comme “neutres”, c’est-à-dire sans impact sur les questions de genre alors même qu’elles sont pensées du point de vue dominant, celui de l’homme blanc cisgenre. Par exemple, comment penser la mobilité et renforcer les modes de transport collectifs moins polluants sans inclure la sécurité des femmes et leur usage de ces transports ? Les femmes font donc partie de la solution aux problématiques du dérèglement climatique.

Les femmes : invisibilisées mais porteuses de solutions

Bien qu’elles aient les connaissances traditionnelles et qu’elles soient engagées pour la préservation de l’environnement, le travail que les femmes accomplissent est souvent invisibilisé et dévalorisé car il reste lié à la sphère privée. Elles sont encore trop souvent sous-représentées dans les sphères de pouvoir et de prises de décisions et leur accès à l’information est moindre. 

De plus, les impacts du dérèglement climatique sur les femmes restent mal connus car elles sont souvent sous-représentées dans les études écologistes publiées, encore plus lorsqu’elles viennent d’un pays des Suds. Leur point de vue est donc moins bien pris en compte, alors même qu’elles ont une “perception différente du changement climatique”. 

Dans les pays les plus pauvres, les femmes et les filles assurent la majorité de l’agriculture de subsistance et de l’approvisionnement du foyer en ressources vitales (eau, nourriture, combustible). En effet, elles sont les productrices de plus de la moitié des denrées alimentaires dans le monde et elles représentent entre 50 et 80% des petits agriculteurs. Pourtant, les inégalités dans l’accès à la propriété foncière sont palpables. Dans le rapport “Terres et changement climatique” du GIEC (2019), on apprend que “dans 59% des 161 pays étudiés, les lois, traditions ou pratiques religieuses empêchent les femmes de posséder des terres” et selon la FAO, “moins de 20% des propriétaires terriens de ce monde sont des femmes”. Les femmes sont ainsi productrices et permettent de nourrir les populations mais n’ont pas accès aux rendements de leur travail, alors qu’un accès égal à la propriété foncière entre hommes et femmes permettraient d’améliorer la sécurité alimentaire et de nourrir 150 millions de personnes supplémentaires, selon la FAO. La situation actuelle rend les femmes plus vulnérables de plusieurs manières, notamment parce que les ressources vitales vont devenir plus rares avec le changement climatique, alors qu’une amélioration de leur situation serait bénéfique pour l’égalité des genres, pour l’environnement et pour la sécurité alimentaire. 

Pourtant, “les femmes sont, partout dans le monde, porteuses de solutions”. D’après l’ONU Femmes, les femmes sont des “agents de lutte majeurs de l’adaptation”. En effet, parce que les femmes sont plus gravement touchées par le dérèglement climatique à l’échelle mondiale, celles-ci sont aussi plus à même d’être porteuses de solutions pour lutter contre ce phénomène. Leurs connaissances environnementales traditionnelles liées à leur expérience les rendent actrices du changement, selon Carlotta Gradin d’ONU Femmes France. En effet, elles sont plus à même d’utiliser leurs connaissances pour entreprendre des changements et mettre en place des solutions innovantes et soutenables face aux défis environnementaux : l’utilisation d’énergies vertes, et de nouvelles techniques d’agriculture, comme l’agro-écologie. 

De nombreuses études démontrent ainsi que l’inclusion des femmes dans les prises de décisions environnementales est bénéfique à la fois d’un point de vue environnemental et pour l’égalité des genres. Une étude de l’Université de Boulder aux Etats-Unis révèle également qu’une meilleure intégration des femmes aux groupes décisionnaires et dans les instances de pouvoir permettrait des décisions plus vertes et une meilleure préservation de l’environnement (notamment à travers la signature de traités). Enfin, dans une étude de Laura McKinney et Gregory Fulkerson intitulée “Gender Equality and Climate Justice: A Cross-National Analysis”, on apprend que dans les pays dans lesquels les femmes sont à la tête du pouvoir ou sont représentées dans les instances de gouvernance, l’empreinte carbone est plus faible que dans les autres pays.

Gouvernance climatique et luttes environnementales

A l’échelle de la gouvernance climatique internationale, les femmes sont encore sous-valorisées, et peu incluses dans les processus de négociations sur l’atténuation et l’adaptation au changement climatique. 

Dans les négociations climatiques, c’est seulement en 2001 que la thématique du genre est apparue, à l’occasion de la COP7 à Marrakech dans le cadre de la Plate-forme d’Action de Pékin de 1995 et l’objectif de l’égalité des sexes visant “l’amélioration de la participation des femmes dans les organes de la CCNUCC”, “la nécessité d’une représentation plus équitable dans les organes” et la recommandation faite aux Etats-parties de “considérer activement la nomination de femmes aux postes électifs”. 

Plus récemment, à la COP21 à Paris en 2015, sur les 150 chef-fes d’Etat participant à cet événement majeur, seules 8 étaient des femmes. En 2016, les conseils d’administration du “Fonds vert pour le climat” et du “Fonds pour l’environnement mondial” étaient composés de moins de 15% de femmes. 

  • Les femmes : figures majeures des luttes environnementales dans le monde

Pourtant, lorsque l’on étudie de plus près les combats environnementaux et climatiques sur le terrain, nous constatons que les femmes sont souvent en première ligne de l’action. Nous l’avons vu à partir de 2019 et des grèves mondiales des jeunes pour le climat : les jeunes femmes ont été aux avants postes de la création de ces mouvements pour la protection de la planète et de leur futur. Greta Thunberg, Anuna de Wever, Natasha Mwansa, Ayakha Melithafa, Luisa Neubauer, Jamie Margolin, Harriet O’Shea Carre et tant d’autres se sont mobilisées, déterminées à bousculer le cours des choses pour la préservation de leurs droits. 

Et ce phénomène n’est pas récent. Depuis les années 1970, de nombreuses luttes environnementales sont menées par des femmes, comme le rappelait Reporterre à l’occasion de la journée internationale des droits des femmes : contre la déforestation en Inde, au Kenya ou encore en Indonésie, contre les exactions de grands groupes pétroliers comme Shell au Nigéria, contre la construction d’oléoducs qui ravagent les terres des autochtones aux États-Unis et au Canada, ou encore contre l’exploitation d’hydrocarbures en Bolivie, la mobilisation des femmes est primordiale. 

La plus grande vulnérabilité des personnes de genre féminin serait une des raisons pour lesquelles les femmes s’intéressent plus aux questions écologiques et se sentent plus concernées. Pour la chercheuse Meg du Bray, les hommes blancs et conservateurs aux Etats-Unis se sentent en effet moins vulnérables aux effets du dérèglement climatique. Elle explique cela par une absence d’injustices systémiques et de préjudices subis par cette tranche de la population, par rapport aux femmes et aux minorités, qui sont plus confrontées aux risques et sont “plus disposés à accepter une certaine proportion de risque environnemental”. Cette partie de la population est beaucoup plus confiante dans sa capacité à s’adapter et à surmonter les risques environnementaux et est donc moins anxieuse face au phénomène.

Pour aller plus loin

  • C’est quoi l’écoféminisme ?, Arte
  • Après la pluie : horizons écoféministes, Solène Ducretot, Alice Jehan
  • François d’Eaubonne et l’écoféminisme, Caroline Goldblum, Françoise d’Eaubonne